compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Alexandra Borchio Fontimp,

Mme Véronique Guillotin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Salutations à une délégation parlementaire ukrainienne

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans la tribune d’honneur, une délégation de députés ukrainiens, conduite par Mme Liudmyla Buimister, présidente du groupe d’amitié Ukraine-France de la Rada. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les ministres, se lèvent et applaudissent longuement.)

Elle est accompagnée par notre collègue Nadia Sollogoub, présidente du groupe d’amitié France-Ukraine, dont je tiens à saluer le travail remarquable. (Applaudissements.)

La délégation s’est entretenue aujourd’hui avec Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et avec Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

Alors que les combats se poursuivent à l’est et au sud-est de l’Ukraine, et que la Russie conduit des attaques brutales contre des infrastructures civiles, la France continue de condamner cette guerre d’agression comme elle l’a fait dès la première heure.

Sa solidarité avec l’Ukraine est inébranlable ; de même que son soutien politique, humanitaire et militaire. Nous tenons à l’affirmer avec force : il ne peut y avoir de négociations sans la participation de l’Ukraine et sans l’Union européenne, car il y va de la sécurité collective du continent européen tout entier. (Vifs applaudissements.)

Le Sénat apporte lui-même un soutien parlementaire actif. En témoignent les trois résolutions adoptées en 2022 et en 2023 : la première, condamnant la guerre d’agression russe ; la deuxième, reconnaissant le génocide ukrainien de 1932-1933 ; la troisième dénonçant les déportations d’enfants ukrainiens par la Russie.

L’année 2025 marquera le dixième anniversaire de notre coopération avec la Rada. Cette coopération se développe aujourd’hui en particulier dans la perspective de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne.

Cet avenir en commun, nous y croyons, car lui seul ouvre l’horizon de paix durable et juste que nous appelons de nos vœux.

Mes chers collègues, en votre nom à tous, j’assure de nouveau nos amis ukrainiens du soutien du Sénat de la République française dans leur combat pour la liberté et la souveraineté de leur pays. (Applaudissements.)

3

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.

situation internationale (i)

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. François Patriat. Monsieur le président, nous nous joignons bien entendu à vos propos à l’égard de nos amis ukrainiens, à qui nous apportons notre entier soutien.

Monsieur le Premier ministre, les États-Unis sont-ils toujours nos alliés ?

Pendant que la loi du plus fort tente de s’imposer, notre continent fait face à une menace existentielle. Alors que l’Europe se doit de garantir la paix à ses frontières, elle peine, aujourd’hui, à exister dans la résolution de la guerre.

L’Europe que nous avons bâtie depuis soixante-quinze ans est à la croisée des chemins. Depuis la fin de la guerre froide, jamais notre continent n’a été, à ce point, mis à l’épreuve par des éléments exogènes et endogènes qui le percutent dans ses fondamentaux historiques.

Nous faisons face à la fin d’une époque où tout ce que nous considérions comme acquis est désormais réexaminé, révisé, voire renversé.

Le dernier fait en date est la position américaine sur la guerre menée par la Russie en Ukraine, le président américain ayant affirmé hier que le président Zelensky aurait pu éviter le conflit.

Par son revirement stratégique, le président Trump a acté un renversement d’alliance en prenant le parti d’ouvrir des négociations bilatérales avec la Russie mettant de côté les Européens, mais aussi les premiers concernés : les Ukrainiens.

En souhaitant imposer à l’Ukraine une paix non concertée pour une guerre qu’elle n’a pas provoquée, les États-Unis renforcent la position impérialiste de Poutine qui menace désormais toute l’Europe.

Notre continent ne peut plus compter sur son allié américain. Face au risque existentiel qui pèse sur lui, nous devons désormais assurer nous-mêmes notre sécurité.

Je salue ainsi toutes les initiatives prises depuis 2017 par le Président de la République pour promouvoir un réarmement européen et créer une véritable défense européenne. Le sommet de Paris en est une étape cruciale et décisive.

Notre protection n’a pas de prix et passera par un effort inédit pour notre défense dans l’Union européenne.

Monsieur le Premier ministre, face à la désunion internationale orchestrée par M. Trump et aux volontés impérialistes de M. Poutine sur notre continent, comment la France et l’Europe peuvent-elles encore incarner la défense des valeurs démocratiques et le respect du droit international ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. François Bayrou, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord me joindre aux applaudissements qui ont exprimé si longuement et avec ferveur l’adhésion des parlementaires français, particulièrement du Sénat, au soutien à l’Ukraine à un moment où ce pays est si profondément agressé, physiquement et historiquement.

Ce que vous avez noté, monsieur le président Patriat, n’est que la suite de cette séquence qui s’est ouverte il y a maintenant trois ans par l’agression délibérée et absolument injustifiée de la Russie de Poutine contre l’Ukraine. Cette date a marqué un renversement du monde.

Depuis la fin de la dernière guerre mondiale, nous vivions avec l’idée – certains diraient peut-être l’illusion – que la planète serait désormais régie par le droit, qu’aucun des grands pays ne s’attaquerait à la stabilité des frontières et qu’une loi internationale permettrait à chacun de poursuivre son développement, dans la perspective d’un avenir stabilisé. C’est cette certitude qui a été renversée par Poutine, à qui se sont jointes un certain nombre d’autres très grandes voix internationales, dont, hélas ! celle du quarante-septième président des États-Unis, élu dans les circonstances que l’on sait et sur un discours qu’on a entendu…

Il y a là une double inquiétude et, plus qu’une inquiétude, un double sentiment de désarroi. L’Ukraine semble abandonnée par le principal pays membre de l’Otan, qui s’était pourtant engagé à défendre le droit. Or il a ouvert le dialogue avec l’agresseur contre les agressés, pour se partager la zone – semble-t-il – au détriment des victimes. Il est vrai que l’Europe a vécu elle aussi dans cette illusion.

Notons que La France a été, depuis le général de Gaulle, sur une ligne qu’elle a constamment défendue : celle de notre autonomie dans l’équilibre du monde. Beaucoup de dirigeants français, au travers du temps, ont soutenu l’idée que c’était de nous que dépendaient, au bout du compte, notre liberté et notre indépendance.

Ce moment historique et ce basculement du monde que nous sommes en train de vivre invitent à deux résolutions.

La première, c’est que nous avons à construire cette Europe que nous avons à peine esquissée, ce qui demandera beaucoup d’efforts.

La deuxième, soyons-en certains, c’est que la France est le pays qui porte la première responsabilité dans une Europe qui se cherche, comme elle l’a d’ailleurs fait depuis toujours. C’est donc de sa vitalité, de sa prospérité et de son unité que dépendent en partie l’avenir de l’Europe et l’avenir de l’Ukraine, que nous aimons. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI.)

situation internationale (ii)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, vous venez de parler d’un basculement du monde : vous avez raison !

L’Europe est en guerre, elle est seule et elle est divisée. Ce que quelques-uns d’entre nous répètent depuis trois ans en prêchant dans le désert apparaît brusquement comme une évidence.

Mercredi dernier, un simple coup de fil entre Trump et Poutine a transformé l’Europe en paillasson et l’Ukraine en otage d’un pacte honteux.

Le soi-disant maître de l’art du deal et ses copains du golf de Mar-a-Lago, maquillés en diplomates, négocient seuls en cédant d’emblée aux buts de guerre de leur adversaire. Les rodomontades de la paix par la force ont fait place à la pantalonnade de la paix par la reddition. Celui qui, paraît-il, postule au prix Nobel de la paix est déjà assuré d’obtenir celui de la trahison et, depuis hier, celui de la provocation en accusant Zelensky d’avoir déclenché la guerre !

À Munich, son numéro deux, le génie des Appalaches, qui a soutenu l’assaut du Capitole, a osé nous donner des leçons de démocratie. Les Européens ont répondu : « Rien sur l’Ukraine sans l’Ukraine et rien sur l’Europe sans l’Europe. » Ce sont de belles paroles, mais comment les traduire en actes ?

Depuis des décennies l’Europe n’a cessé de reporter la construction de sa propre défense, malgré les alertes de la France, comme vous l’avez souligné, monsieur le Premier ministre.

En juin 2022, le Président de la République a annoncé « l’entrée de la France et de l’Europe en économie de guerre ». Nous n’avons, à ce jour, pas fait le moindre pas dans cette direction. La réunion de l’Élysée avant-hier n’a pas fait l’objet d’un communiqué pour ne pas étaler les divisions.

Que la guerre se prolonge ou que l’Ukraine ait besoin de garanties, les Européens seront seuls demain pour consentir l’effort, en matériel, en argent et en troupes. C’est en urgence, faute de l’avoir fait avant, que l’Europe doit investir massivement dans sa défense, utiliser les avoirs russes gelés, unir ses marchés de capitaux, sortir les dépenses militaires des critères de Maastricht. Ma question est simple : la guerre se rapproche et nos alliés s’éloignent, quel est le plan ? (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le président Malhuret, vous l’avez rappelé, la France a été constamment non pas seulement à l’avant-garde, mais souvent seule, notamment au cours de la dernière décennie, à porter l’idéal d’une Europe qui s’unirait pour exister.

Nous serons seuls, mais la question la plus fondamentale est : serons-nous nous-mêmes ? Accepterons-nous l’Europe ? Choisirons-nous d’exister ? L’interrogation to be or not to be n’aura jamais été aussi actuelle qu’aujourd’hui.

Vous me demandez que faire, quel est le plan ? Celui-ci, selon moi, repose en partie sur la volonté politique et sur le souhait de construire une défense qui ne dépende pas des autres, quels que soient ces autres. Nul n’ignore ce que suppose technologiquement et numériquement une telle affirmation. C’est le premier point.

Par ailleurs, et c’est le deuxième point, l’Europe sera-t-elle forte, en particulier économiquement ? Je ne crois pas que l’on puisse s’en tenir à une situation aussi déséquilibrée, avec toute la croissance de l’autre côté de l’Atlantique, grâce à un puissant soutien de la Réserve fédérale des États-Unis (FED), et toute la stagnation chez nous, où la Banque centrale européenne (BCE) fait preuve d’une prudente réserve.

Voilà la réalité devant laquelle nous sommes tous placés. La question se pose, comme vous l’avez rappelé, pour les investissements militaires, mais elle vaut également pour l’ensemble de notre économie. Force est de constater que les États-Unis ont depuis longtemps organisé la captation, ajoutant une puissance monétaire sans comparaison à une capacité de croissance entièrement soutenue technologiquement, industriellement et fiscalement.

Le moment vient, les jours approchent, peut-être les minutes, où nous devrons, en citoyens responsables, répondre à ces questions purement et simplement existentielles. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI, et INDEP.)

conséquences du dérèglement climatique sur le littoral côtier

M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Mireille Jouve. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Madame la ministre, qu’il s’agisse du rapport récent de la Cour des comptes relatif à l’aménagement du littoral méditerranéen ou d’articles dans la presse scientifique ou grand public, les alertes sur les conséquences du dérèglement climatique pour nos 20 000 kilomètres de côtes sont nombreuses.

Si la tendance – avec la bourrasque Trump et la montée des populismes – est de les nier, les villes côtières du nord au sud de l’Hexagone les subissent déjà.

Risques accrus d’inondation temporaire des zones basses du littoral en cas de tempête, salinisation des nappes phréatiques et des fleuves, altération de certaines infrastructures et destruction d’immeubles, recul du trait de côte, submersion des terres agricoles, atteintes à la biodiversité des parcs naturels : ces bouleversements sont connus.

Devons-nous faire « comme si » ? Devons-nous ignorer ces avertissements ? Il n’est plus temps de procrastiner. Il n’est plus question d’éviter les décisions par peur de leurs effets, car demain ce sera trop tard et trop coûteux !

J’associe à ma question Jean-Marc Ruel et Philippe Grosvalet, tous deux concernés, le premier avec la disparation sous les eaux du village de Miquelon où l’on organise déjà le relogement des habitants, le second avec 18 500 logements menacés par l’érosion d’ici à 2100, pour une valeur de 4,3 milliards d’euros en Loire-Atlantique.

Le littoral méditerranéen n’est pas épargné. Le parc naturel régional de Camargue pourrait perdre une surface de terres équivalente à quatre fois la superficie de Paris.

Selon François Sabatier, maître de conférences, la ville des Saintes-Maries-de-la-Mer subit « des reculs du trait de côte de 1 à 5 mètres par an, l’eau a englouti les épis, franchi la digue et fait disparaître la majeure partie de la plage au Grand Radeau ».

Ma question est simple : quels moyens comptez-vous mobiliser pour les stratégies et les actions de prévention, ainsi que pour le financement des défis que la France aura à relever ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice Jouve, que ce soit en Camargue ou ailleurs, le recul du trait de côte et la montée du niveau de la mer sont des enjeux majeurs qui n’épargnent aucune de nos régions côtières.

Le constat est clair : en cinquante ans, près de 30 kilomètres carrés de surface ont déjà disparu.

Cependant, le recul du trait de côte est un phénomène progressif et anticipable. Vous avez raison, plutôt que de fermer les yeux, il serait urgent d’agir, d’anticiper et de revoir nos politiques d’aménagement du territoire.

Les élus l’ont d’ailleurs bien compris. Ils se sont mobilisés, notamment dans le cadre du Comité national du trait de côte, instance au sein duquel ils sont particulièrement actifs et défendent des propositions intéressantes.

Je publierai au début du mois de mars prochain le plan national d’adaptation au changement climatique. L’adaptation de nos zones littorales sera l’une de mes priorités. Idem pour les zones montagnardes et les communes forestières. Il s’agit de trois risques très concrets sur lesquels les élus travaillent aujourd’hui, au niveau local ou régional, et pour lesquels des solutions existent.

Vous m’interrogez sur les moyens dont nous disposons. Eh bien, je vous répondrai que le projet de loi de finances nous donne justement des moyens. Je pense d’abord au fond vert ; avec mon collègue François Rebsamen, j’envisage de consacrer 200 millions d’euros au sein de cette enveloppe spécifiquement à l’adaptation au changement climatique. Vous avez aussi voté une augmentation des crédits consacrés à la gestion des risques au titre du fonds Barnier de 330 millions d’euros, soit 100 millions de plus que l’année dernière. Ces deux enveloppes seront donc mobilisées.

Mais nous devons aussi mettre en place un financement pérenne du suivi des politiques du trait de côte, conformément à la demande des élus locaux. Lors de l’examen du budget, vous avez d’ailleurs milité en faveur de la mise en place d’un seul dispositif pour la submersion marine et pour la gestion du trait de côte. Je m’y engage. Nous pourrions peut-être y travailler en mobilisant les ressources fiscales locales, comme beaucoup d’élus locaux le proposent. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. Mickaël Vallet. Et le fonds érosion ?

demande de débat au parlement sur la situation de l’ukraine

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Vayssouze-Faure, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, trois ans de guerre en Ukraine, trois ans d’agression injustifiée, de massacres de populations civiles, de déplacements d’enfants, côté russe.

Trois ans de résistance héroïque, de courage inouï déployé par tout un peuple derrière le président Volodymyr Zelensky, du côté ukrainien.

Mais, aujourd’hui, nous sommes face à un tournant. Insidieusement, le doute s’est installé, la mobilisation s’est essoufflée et nos alertes sont restées lettre morte.

Déjà, en 2023, notre délégation sénatoriale appelait, au retour d’un déplacement en Ukraine, à agir plus vite, plus fort pour que le pays gagne la guerre.

Trop longtemps, nous avons cru que les États-Unis seraient éternellement de notre côté.

Vous-même, le 13 novembre dernier, déclariez en réponse à une question de notre collègue Claude Malhuret que Donald Trump était « trop avisé pour abandonner les Ukrainiens en rase campagne ».

La conférence de Munich nous place devant une exigence de lucidité : la démocratie américaine reste notre alliée, mais l’administration Trump est désormais un adversaire qui s’en prend à nos valeurs et qui entend décider de l’avenir de l’Ukraine en tête-à-tête avec Poutine.

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Avant même que les négociations aient débuté, le président américain semble avoir déjà tout lâché. Quelles garanties avons-nous que nos positions seront respectées ?

Monsieur le ministre, quelle est la stratégie de la France dans le dénouement de ce conflit ? Pouvez-vous nous confirmer, comme vient de l’indiquer la porte-parole du Gouvernement, à la suite de la proposition formulée hier à l’Assemblée nationale par nos collègues socialistes, à laquelle nous nous sommes associés, qu’un débat suivi d’un vote se tiendra au mois de mars, en application de l’article 50-1 de la Constitution ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le sénateur, je vous confirme que le Gouvernement organisera un débat en vertu de l’article 50-1 de la Constitution pour que nous examinions ensemble les données de la situation en gestation depuis des mois et des années, après les récentes prises de position de l’administration américaine.

Je fais comme vous la différence entre le peuple américain, qui est un allié, et l’administration américaine qui, au grand désarroi de beaucoup, semble aujourd’hui prendre ses distances avec les positions fondamentales que les États-Unis ont défendues depuis leur engagement dans la Seconde Guerre mondiale.

Premièrement, au niveau diplomatique, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères s’en est expliqué souvent devant vous, il s’agit de réunir les énergies européennes et de déployer un plan européen, y compris en matière de financement, afin de nous défendre.

Deuxièmement, il convient aussi de se mobiliser au niveau national. Il n’y aura pas de position européenne à la hauteur de nos espérances si la France, elle-même, ne réussit pas à résoudre ses problèmes et à retrouver l’élan qui devrait être le sien pour affronter des crises aussi graves.

Je vous propose donc d’examiner cette double nécessité, européenne et nationale, dans le courant du mois de mars. Je m’en suis entretenu avec à peu près tous les présidents de groupe présents dans cet hémicycle. Tous ont défendu cette position. Je vous confirme donc bien volontiers que ce sera le choix du Gouvernement. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Vayssouze-Faure, pour la réplique.

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de votre réponse.

Vous avez ici, en face de vous, des démocrates qui feront bloc dans l’intérêt du pays. Les grands principes, les incantations et les sommets, nous les partageons, mais cela ne suffit plus : il faut cesser de subir et agir !

Demain, vous et le Président de la République aurez besoin de convaincre la Nation tout entière afin qu’elle consente aux efforts nécessaires pour défendre l’Ukraine, pour garantir notre sécurité et pour préserver notre modèle démocratique. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST. – M. Pierre Barros applaudit également.)

Mme Laurence Rossignol. Très bien !

crise démocratique et institutionnelle en france

M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Ian Brossat. Monsieur le Premier ministre, ce matin même, au Sénat, nous auditionnions les candidats au Conseil constitutionnel. Leur nomination n’a évidemment rien d’anodin, car il ne s’agit pas de n’importe quelle institution. Il s’agit d’une des institutions les plus importantes de notre République, l’institution garante de la constitutionnalité des lois.

Le premier candidat que nous avons auditionné, Philippe Bas, a suscité un large consensus. (Applaudissements sur lensemble des travées. – Bravo ! sur des travées du groupe Les Républicains.) Je le dis d’autant plus librement qu’il n’est pas issu de nos rangs – je crois que cela vient de se voir. (Sourires.)

Le deuxième candidat, Richard Ferrand, n’a pas suscité – c’est le moins qu’on puisse dire – le même enthousiasme, au point d’être rejeté par une majorité de commissaires aux lois tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Il n’échappe finalement au couperet des trois cinquièmes qu’à une voix près, grâce à l’abstention bienveillante et complice des députés du Rassemblement national. (Huées sur des travées du groupe Les Républicains.)

Ma question est double.

Quel deal caché, quel accord de couloir, quel marchandage d’arrière-cuisine a donc été conclu pour aboutir à l’abstention de l’extrême droite ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que l’une des premières audiences que Richard Ferrand pourrait présider concerne une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité d’un élu. Or il se trouve, comme par hasard, que c’est l’un des enjeux du procès pénal de Mme Le Pen !

Une seconde question en découle. Ne pensez-vous pas précisément, au vu des conditions chaotiques de cette nomination, qu’il serait sage que le Président de la République procède à une autre désignation, qui échappe à tout soupçon, pour présider le Conseil constitutionnel ? (Applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains, GEST, SER, CRCE-K et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Mignola, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pendant un instant, j’ai cru être l’objet de vos applaudissements !

Je veux à mon tour, dans le sillage du sénateur Brossat, saluer la désignation du sénateur Bas au Conseil constitutionnel, que vous pouvez applaudir une fois encore si vous le souhaitez. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. C’est un bon début !

M. Patrick Mignola, ministre délégué. Monsieur le sénateur Ian Brossat, si je ne partage pas l’ensemble de vos propos, il est un élément sur lequel nous nous rejoignons : il s’agit de l’importance du rôle du Conseil constitutionnel… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Paccaud. Et de sa crédibilité et de son indépendance !

M. Patrick Mignola, ministre délégué. … dans la vérification de la conformité et de la constitutionnalité des lois, et du respect des règles, auquel, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes tous attachés.

En l’occurrence, il existe une règle de désignation des membres du Conseil constitutionnel, qui s’impose autant à M. le président du Sénat qu’à Mme la présidente de l’Assemblée nationale ou à M. le Président de la République. Selon cette règle, la candidature que chacun d’entre eux présente est validée si et seulement si elle n’est pas rejetée par une majorité de trois cinquièmes des suffrages exprimés. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

En tant que premiers défenseurs de nos institutions, vous reconnaîtrez facilement que chacun doit se plier à cette procédure. À ce titre, je ne doute pas que le Conseil constitutionnel saura, dès demain, s’assurer à vos côtés du bon respect des règles de nos institutions. (Huées sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur des travées des groupes UC et RDPI.)

Un sénateur du groupe CRCE-K. Quelle honte !

défense européenne

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)