M. François Bonhomme. Tout est dit !
M. Éric Kerrouche. Le pouvoir de dissolution qui donne aujourd'hui toute sa puissance au Président de la République deviendrait ainsi un « sabre de carton », pour reprendre les termes de Marie-Anne Cohendet.
Ce dernier point démontre que la formule électorale ne suffit pas. Il faut aussi prendre en compte les effets du calendrier électoral, des autres systèmes électoraux, de la géographie électorale et du système partisan lui-même.
Ainsi, dès lors que nous souhaitons modifier le mode de scrutin, nous devrons nous interroger sur nos objectifs. Néanmoins, la simplicité et la lisibilité pour les électeurs et les partis, comme la représentativité territoriale, seront les conditions essentielles pour réussir un changement.
Parce que, au groupe SER, nous souhaitons que chaque voix compte et voulons « déprésidentialiser » notre régime, nous sommes favorables à une poursuite de la réflexion parlementaire et nous voterons pour cette excellente proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans vouloir gâcher la fête,…
M. Olivier Paccaud. Vous pouvez ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre-Jean Verzelen. … j'exprimerai un point de vue quelque peu différent de ceux que nous venons d'entendre.
En effet, malgré les critiques, les attaques et les remises en cause régulières qui sont faites par certains dirigeants politiques, la Ve République a résisté à tout. Depuis soixante ans, elle permet de dégager des majorités au Parlement, d'avoir des alternances et au pays de fonctionner.
Et pourtant, la Constitution a été mise à rude épreuve du fait de pratiques qui n'étaient pas prévues comme la cohabitation, le quinquennat, ou des gouvernements fonctionnant avec une majorité relative, voire très, très, très relative... Mais elle a, en elle, les ressources et les outils qui lui permettent de tenir.
Depuis la dissolution de juillet dernier, nous sommes dans une situation inédite, complexe et incertaine, et c'est dans ce moment que revient le sujet de la proportionnelle aux élections législatives.
Vous me permettrez une première remarque : il faut se méfier des évidences et des fausses bonnes idées, qui soi-disant « font bien » et plaisent à l'opinion, mais qui finissent par modifier en profondeur nos institutions et sont remises en question quelques années plus tard.
Regardons le sujet de la fin du cumul des mandats : tout le monde trouvait cela formidable, mais, aujourd'hui, nombreux sont ceux qui s'accordent à dire que c'était une erreur et qu'il faut la corriger. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Quant à la fin du septennat, largement saluée, elle a considérablement transformé le rôle du Président de la République, ainsi que la place du Premier ministre et du gouvernement.
Je pourrais aussi parler de l'introduction de la proportionnelle aux législatives de 1986, qui n'avait visiblement pas emporté l'adhésion générale, puisque nous sommes revenus au scrutin uninominal majoritaire quelques mois après.
La proposition de résolution que nous examinons est un peu vague : il faudrait nous en dire plus… Quel type de représentation proportionnelle s'agit-il d'introduire ? Sera-t-elle départementale ? régionale ? nationale ? À un tour ou à deux tours ? Avec un effet majoritaire ou pas ?
M. Guy Benarroche. Cela ne change rien.
M. Pierre-Jean Verzelen. Il existe autant de combinaisons possibles que pour tomber sur les bons chiffres du loto ! (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Les dernières élections ont mis en évidence les fractures territoriales qui se creusent depuis des années entre les campagnes, les banlieues et les centres-villes. La situation pourrait se résumer en une formule : « Dis-moi où tu habites, je te dirai pour qui tu votes. » Nous vivons dans le même pays, mais nous ne partageons pas, ou plus, les mêmes réalités.
Ces fractures expliquent en partie les résultats des élections législatives de juillet dernier : l'Assemblée nationale est plus représentative qu'elle ne l'a jamais été. Mais pour quel résultat ? Le bilan n'est pas très encourageant et nous sommes plus que jamais dépendants – on le voit encore ces derniers jours – des stratégies vaseuses de certains partis politiques.
Le premier enjeu d'un basculement vers la proportionnelle – les orateurs précédents ne l'ont pas mentionné – c'est le profil des candidats qui seront investis. Le non-cumul des mandats a déjà fait mal, mais le passage à la proportionnelle pourrait être le coup de grâce qui éloignerait encore plus l'électeur du député et le député des préoccupations du terrain.
M. François Bonhomme. Absolument !
M. Pierre-Jean Verzelen. Quelle sera la particularité des candidats qui seront investis demain ? Ils seront dans la droite ligne du ou de la cheffe de parti, ils en seront plus proches et d'autant plus redevables. Vous me direz que c'est déjà de plus en plus le cas.
M. Éric Kerrouche. Oui, en 2017 !
M. Pierre-Jean Verzelen. Certes, mais est-ce que le débat à l'Assemblée nationale y gagne ? Est-ce que la démocratie s'en portera mieux ? J'en doute.
Un mot sur l'intérêt que cela pourrait susciter chez les électeurs. Quand on observe la situation chez nos voisins qui ont mis en place la proportionnelle, rien ne prouve que les taux de participation soient plus importants. C'est même souvent le contraire que l'on observe…
Ce sujet nécessite que l'on prenne le temps d'en débattre dans un contexte apaisé. Je ne suis pas certain que les conditions politiques soient réunies en ce moment pour le faire… Essayons déjà, les uns et les autres, de nous atteler à trouver les conditions qui permettront à notre action politique d'être utile aux Français au cours des prochains mois.
Vous l'aurez compris, une grande partie des élus du groupe Les Indépendants votera contre cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si la démocratie pouvait être sauvée par un mode de scrutin, cela se saurait. Quand on regarde l'ensemble des pays, que leur système soit proportionnel, majoritaire à un tour ou à deux tours, la crise de la démocratie est générale et la proportionnelle ne sauvera rien du tout.
Pourquoi cela ? Parce que depuis une cinquantaine d'années, ou plutôt depuis une trentaine d'années en Occident, le hiatus entre les forces politiques et la volonté populaire n'a cessé de grandir. Le problème peut-il se régler en changeant le mode de scrutin ? Non. Il se réglera par une meilleure adaptation des forces politiques, il se réglera par une transformation profonde de la démocratie, il se réglera par des éléments favorisant une volonté collective et un projet commun. Mais dire que le mode de scrutin contribuera naturellement à rétablir la démocratie, cela n'a aucun sens.
En effet, certaines démocraties sont malades alors que la proportionnelle y est établie depuis des décennies. D'autres le sont aussi alors que le scrutin majoritaire y est établi depuis des années.
En revanche, il est vrai que le mode de scrutin reste un outil. D'ailleurs, le général de Gaulle a veillé à ce qu'il ne soit pas inscrit dans la Constitution en expliquant qu'il s'agissait, donc, d'un outil, c'est-à-dire un élément qui peut être modifié au fur et à mesure du temps sans que cela ait rien à voir avec le fonctionnement normal et régulier des institutions.
Si la France est en crise, malgré le scrutin majoritaire, c'est à cause de l'affaiblissement du pouvoir politique, des familles politiques et de l'État, mais ce n'est pas à cause du mode de scrutin. D'ailleurs, pendant cinquante ans, ce mode de scrutin a assuré la stabilité et la force de la démocratie française, sans que personne le mette en cause comme « affaiblisseur » de la démocratie. (Mme Nadine Bellurot renchérit.)
Certains l'ont critiqué comme n'étant pas assez représentatif, mais, en réalité, le gouvernement, stable, sûr de lui et majoritaire, y gagnait une capacité d'agir.
Or qu'attend-on du Parlement sinon qu'il donne au gouvernement la capacité d'agir ? En effet, ce que veulent les Français, comme toute Nation d'ailleurs, c'est que le gouvernement et le Parlement aient la capacité d'agir pour leur bien. Et peu leur importe de savoir que, en cas de dissolution, les députés seraient réélus de manière automatique parce que la proportionnelle garantirait leur siège. Cela n'a aucun sens ! (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Par exemple, je suis vice-président de la commission d'investiture du parti Les Républicains. Si l'on introduisait la proportionnelle, je serais élu à vie puisque c'est le parti qui déciderait.
M. François Bonhomme. Exactement !
M. Roger Karoutchi. Par conséquent, un mode de scrutin suffirait-il à garantir la démocratie ? Bien sûr que non ! La démocratie impose surtout que nous osions nous regarder en face en nous demandant si le Parlement n'est pas affaibli et si nous sommes toujours à la hauteur de ce qu'attendent les Français. Et peu importe, encore une fois, selon quel mode de scrutin tel ou tel est élu.
La proposition de résolution de Mélanie Vogel aura au moins l'avantage de lancer le débat sur la possibilité d'instaurer un mode de scrutin différent en France. Nous l'avions fait en 1986. De plus, nos amis britanniques, qui ne sont pas des antidémocrates, ont un mode de scrutin majoritaire à un tour. Il n'y a rien de plus antidémocratique et, pourtant, ils s'y tiennent parce qu'ils considèrent que leur démocratie est ainsi stabilisée.
D'autres pays en Europe, qui ne sont pas très éloignés du nôtre, envisagent de remplacer leur mode de scrutin proportionnel par un scrutin majoritaire. Ce n'est donc pas le mode de scrutin qui change la donne, mais la force des partis et leur capacité à convaincre.
Certains d'entre vous avancent l'argument selon lequel un nouveau mode de scrutin mettrait fin à l'abstention. Mais l'abstention est forte dans de nombreux pays, qu'ils aient la proportionnelle ou pas.
M. Éric Kerrouche. C'est faux.
M. Roger Karoutchi. Ce n'est pas le mode de scrutin qui l'explique. En réalité, nous devrions surtout nous poser la question de savoir si, dans nos formations politiques, nous avons fait les transformations nécessaires pour être proches des gens et capables de défendre leurs convictions.
Le mode de scrutin est un outil ; ce n'est pas une arme pour la démocratie. La démocratie, c'est le Parlement et un gouvernement disposant d'une majorité qui agit pour le peuple français. Mes chers collègues, voilà ce que nous devons construire ensemble ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Olivier Paccaud. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en juillet dernier, les élections législatives ont renouvelé la composition de l'Assemblée nationale, sans dégager de majorité claire. Certains ont pu parler, à l'issue du scrutin, de « IVe République sous la Ve République », autant dire la quadrature du demi-cercle de nos hémicycles !
À cette occasion, nous avons pu douter de l'efficacité du scrutin majoritaire pour garantir, encore, une forme de stabilité de nos institutions.
De plus, une crise démocratique est venue se conjuguer à cette conjoncture politique qui est une lame de fond et que nous ne devons pas ignorer.
Aussi, madame la sénatrice Vogel, les élus du groupe RDPI sont favorables à la tenue du débat que vous proposez à travers ce texte. Le Premier ministre l'ayant aussi récemment approuvé, à cette tribune, nous avons accordé au nouveau gouvernement notre confiance pour mener ces discussions.
Cela étant dit, la récente censure, qui n'a pas été sans conséquences, notamment sur le plan économique, est venue apporter deux enseignements, opposés. À celles et à ceux qui appelaient à un changement des règles électorales, elle est venue confirmer la nécessité d'une évolution. À l'inverse, elle a nourri le doute chez celles et ceux qui pensaient que la culture du compromis dans notre pays – et chez ses représentants – n'était pas, en l'état actuel, fongible dans cette volonté d'une Assemblée nationale proportionnée, prétendument plus démocratique.
Pour reprendre la question posée par le professeur Julien Jeanneney dans une contribution importante sur la proportionnelle, « le moment de prise en conscience des affres d'une assemblée sans majorité claire est-il le mieux choisi pour proposer un système tendant à pérenniser une telle situation » ?
Dans cette introduction au débat, je voudrais par conséquent apporter de la nuance. En effet, la proportionnelle, d'un triple point de vue – au regard de nos exemples passés, des pratiques européennes et des nombreuses déclinaisons théoriques existantes –, recouvre un grand nombre de réalités. Il y a l'idée et il y a les faits.
En premier lieu, ne tombons pas dans un usage instrumental ou court-termiste de la révision de nos institutions. Il en va de la Constitution comme des lois électorales : il faut y toucher avec prudence et y réfléchir de façon globale, en associant les citoyens, qui doivent comprendre les implications de tout changement pour pouvoir se prononcer de façon éclairée. C'est du moins l'une des conclusions figurant dans l'enquête annuelle de la fondation Jean-Jaurès, publiée en décembre dernier.
De plus, quelques rappels s'imposent. Tout d'abord, si le système existant peut susciter des critiques, il ne faut pas en déduire pour autant qu'un autre modèle serait par principe le remède, en écartant la possibilité qu'il soit pire que le mal.
Quelques exemples suffiraient à le montrer sans qu'il soit besoin d'être exhaustif. Ainsi, le mode de scrutin que vous souhaitez introduire, lorsqu'il a été mis en œuvre dans notre pays, n'a jamais trouvé d'enracinement. Ses thuriféraires sont même parfois devenus ses détracteurs.
En outre, il faut rappeler un paradoxe. En effet, lorsqu'elle est organisée dans de petits territoires, alors la proportionnelle ressemble au scrutin majoritaire, mais lorsqu'elle est organisée à une échelle globale, alors elle peut favoriser l'éloignement des citoyens de leurs représentants. Or ce n'est pas l'objectif que nous souhaitons nous fixer.
Gardons également une certaine prudence dans l'affirmation selon laquelle la proportionnelle serait favorable aux idées : ce mode de scrutin peut au contraire ajouter de la radicalité en poussant la différenciation à l'excès. Chaque parti voudra se distinguer de son voisin le plus direct, en « clivant », rendant peu crédible la possibilité de coalitions futures.
La proportionnelle donnerait aussi un poids important à des groupes minoritaires. L'exemple espagnol est là pour nous faire réfléchir.
S'agissant de la stabilité que nous souhaitons rétablir, l'exemple belge doit également nous interpeller. Évitons donc de raisonner par automatisme. (M. Roger Karoutchi renchérit.)
Par ailleurs, si l'objectif est d'affaiblir le Rassemblement national, attention au retour de flamme, si je puis le dire ainsi. En effet, ce parti politique défend lui-même le scrutin proportionnel pour des intérêts particuliers bien compris, avec toutefois un correctif majoritaire très fort et dans une version différente du modèle défendu dans la proposition de loi que vous avez déposée, madame Vogel, en plus de cette proposition de résolution.
Enfin, sur l'utilisation d'un parallélisme avec les élections sénatoriales pour justifier le bien-fondé du passage à la proportionnelle, je dirai que l'argument ne vaut pas, car les candidats aux élections sénatoriales ont la possibilité de rencontrer la totalité de leur électorat, celui-ci ayant en miroir la possibilité d'identifier tous les membres figurant sur la liste du candidat. L'échelon est par ailleurs un échelon de proximité, à savoir le département.
En conclusion, les élus du groupe RDPI voteront majoritairement pour ce texte, car nous souhaitons que le débat sur l'évolution du mode de scrutin aux élections législatives puisse se tenir, mais avec toute la prudence qui s'impose et en y associant les citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Olivier Paccaud. C'est le fameux « en même temps » !
M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Ahmed Laouedj. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je salue l'initiative de nos collègues du groupe GEST, qui ouvrent un débat sur nos institutions et la crise politique que notre pays traverse.
Quelles que soient les convictions de chacun sur tel ou tel mode de scrutin, nous reconnaissons que la mécanique démocratique s'est fortement enrayée et la défiance de nos concitoyens est préoccupante. L'abstention explose, chez les jeunes en particulier. C'est préjudiciable pour la vitalité démocratique, et profondément décevant au regard des combats menés dans l'Histoire en faveur du droit de vote.
Il est urgent d'apporter des réponses. La réforme du mode de scrutin est-elle la piste à privilégier ? Une assemblée parlementaire doit-elle être le parfait miroir de la société ? Dans ce cas, quel est le mode de scrutin idéal ?
Condorcet cherchait déjà la réponse à cette question au XVIIIe siècle et ses modèles mathématiques lui avaient permis d'aboutir à une certitude : la somme des préférences individuelles pouvait être irrationnelle.
Si la question du mode de scrutin est posée par de nombreux politologues et constitutionnalistes, il n'est pas facile de dégager une vérité absolue. En politique, l'épreuve des faits a parfois révélé des surprises.
Où se situent donc les limites du système d'aujourd'hui ? Encore récemment, on pouvait dire que le scrutin uninominal garantissait le fait majoritaire et, dans la foulée, une stabilité gouvernementale. Mais depuis juillet dernier, l'Assemblée nationale s'est morcelée sans dégager de majorité. In fine, nous sommes proches d'une représentation à la proportionnelle sans pour autant que le mode de scrutin ait bougé.
L'auteure de cette proposition de résolution prend acte de cette situation et invite à la clarifier. Toutefois, mon groupe reste partagé sur ce texte.
Pour certains de mes collègues du RDSE, le scrutin proportionnel pour les législatives, s'il est envisagé, ne peut l'être que dans le cadre d'une réforme plus globale, à commencer par la limitation de la dérive présidentialiste de la Ve République.
On cite souvent en exemple les pays européens qui ont adopté ce scrutin pour leur assemblée parlementaire. Mais rappelons que la plupart d'entre eux ont des régimes où la verticalité est moindre, avec un Premier ministre fort ou des partis qui ont la main pour créer des coalitions au sein de leur parlement.
Cette remarque renvoie aussi à la question de la culture du compromis, dont les élus français seraient dépourvus. Là aussi, c'est plutôt notre équilibre institutionnel qui ne la favorise pas.
Pour ma part, je suis favorable à l'introduction de la proportionnelle pourvu que nous soyons lucides : dans une assemblée divisée en trois blocs, un tiers – même un peu plus fort que les deux autres tiers – sera toujours plus petit qu'un demi ! Il faudra donc apprendre à mieux coaliser si le paysage politique devait rester pluriel comme il l'est aujourd'hui.
J'en viens enfin à un élément de discussion ouvert par la proposition de résolution, celui de la taille de la circonscription d'élection. Si le changement de scrutin vise à assurer une assemblée davantage représentative, trouvons le bon curseur pour garantir le lien entre les élus et leurs électeurs et pour éviter la mainmise des appareils nationaux sur les investitures.
Enfin, vous l'avez indiqué, chère collègue Mélanie Vogel, il n'y a pas de solution unique au rétablissement de la confiance entre les Français et leurs représentants.
Nous avons également la responsabilité de créer les conditions, par exemple, d'un meilleur engament citoyen, comme le RDSE l'a tenté à travers la proposition de loi tendant à renforcer la culture citoyenne de notre collègue Henri Cabanel, adoptée par le Sénat.
Au-delà de la question institutionnelle, notre premier devoir est de bâtir des projets sincères, soutenables, inscrits dans un contrat social inclusif et conformes aux valeurs républicaines. Éloigner nos concitoyens de l'abstention ou des votes extrêmes passe par le retour d'un cap d'espérance.
Comme je l'ai dit, au RDSE, les avis sont partagés. Pour ma part, je soutiendrai la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST. – Mme Isabelle Florennes applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Marianne est malade, elle souffre depuis longtemps d'un spleen inquiétant, et cela a commencé bien avant le capharnaüm de la dissolution et l'échafaud de la censure. Le poison de l'abstention, le chêne-lierre de l'antiparlementarisme, la « bordélisation » de l'Assemblée nationale par des olibrius bruyants et furieux : que de stigmates du malaise – et même de la crise – que vit notre République !
Qui diable peut nier la défiance, les douves quasi infranchissables séparant désormais le peuple souverain et les élites gouvernantes ? Sociologues, philosophes et éditorialistes déploreront que le citoyen soit malheureusement de nos jours avant tout consommateur et « accro » aux réseaux sociaux, que l'exigence de droits ait balayé les devoirs civiques, que l'intérêt général et le bien commun soient devenus des notions désuètes...
Comment donc renouer le fil de la confiance, revitaliser et ressusciter la fibre citoyenne et le fameux « vivre ensemble » ?
Voilà qu'un carillon joyeux s'élève ! On a trouvé la pierre philosophale électorale, la catharsis démocratique, le graal de la fontaine de la citoyenneté : la proportionnelle !
Mme Raymonde Poncet Monge. Qui a dit cela ?
M. Olivier Paccaud. Permettez-moi, après Roger Karoutchi et Pierre-Jean Verzelen, d'être un peu moins enthousiaste. Car la proportionnelle, voyez-vous, nous la connaissons bien. Elle a fait ses preuves. Elle est tout sauf une innovation miraculeuse, révolutionnaire et moderne.
Souvenez-vous de la IVe République, le temps des arrangements, des combinaisons et des gouvernements éphémères. Souvenez-vous de 1986, du « florentin » François Mitterrand, machiavélique ingénieur d'une proportionnelle qu'il maîtrisait à merveille pour minorer la victoire de la droite en offrant trente-cinq députés au Front national...
La proportionnelle ? C'est le vice au bras de la vertu électorale. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Éric Kerrouche proteste.) La vertu, indéniable, c'est la représentativité partisane, et la proportionnelle la permet. Mais n'a-t-on pas aujourd'hui à l'Assemblée nationale une quasi parfaite représentativité du paysage politique national sans la proportionnelle ?
Quant au vice, c'est le régime des partis, des copains et des coquins, des copines et des coquines (Exclamations sur les travées du groupe GEST.), c'est le règne des apparatchiks, c'est la recentralisation électorale, c'est une pluie de parachutés médiocres, c'est le lien plus que fragilisé avec les territoires… (Mêmes mouvements.)
M. Ahmed Laouedj. Arrêtez de fumer !
M. Olivier Paccaud. La baguette magique de la fée proportionnelle a ainsi, jadis, permis à une conseillère régionale d'Île-de-France de se transplanter dans le Nord-Pas-de-Calais, ou encore à une sénatrice de l'Oise – mon département – de devenir en quelques heures sénatrice du Val-de-Marne : nul doute que notre démocratie y a beaucoup gagné !
Car la proportionnelle repose sur un outil intangible : la liste. Celle-ci est toujours composée et validée par le parti – n'est-ce pas, monsieur Karoutchi ? –, presque toujours à Paris.
Certains me répondront qu'il y a la bonne et la mauvaise proportionnelle, celle à la liste départementale, régionale ou nationale, celle à un tour, celle à deux tours ou – pourquoi pas ? – un subtil alliage de proportionnelle et de scrutin uninominal ? Tout est possible, mais tout n'est pas souhaitable.
Et ce qui ne doit surtout pas être méprisé, c'est l'utilité d'un second tour. Celui-ci est en effet un précieux temps de réflexion offert aux électeurs, autrement dit une opportunité de correction.
Victor Hugo a bien résumé la sagesse et l'intérêt du bicamérisme : « La France gouvernée par une assemblée unique, c'est l'océan gouverné par l'ouragan. » Je dirai, quant à moi, que le tour unique, c'est le saut dans le vide sans parachute.
Aujourd'hui, la République vacille, son souffle est court, son visage marqué par l'usure des illusions perdues. L'antidote miracle n'existe pas et la proportionnelle n'est qu'un placebo aux effets secondaires ravageurs. Car c'est non pas d'un simple artifice électoral que Marianne a besoin, mais d'un ressaisissement collectif, d'un sursaut républicain et d'une refondation civique. Sans cela, l'abîme s'élargira, et demain, ce ne sera plus seulement la démocratie qui sera en crise : la Nation elle-même sera en péril.
Les membres du groupe Les Républicains voteront contre cette proposition de résolution. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Mignola, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie la sénatrice Vogel et le groupe GEST d'avoir inscrit à l'ordre du jour cette proposition de résolution. Je m'en tiendrai à quelques réflexions sur les notions de temporalité et d'instabilité, en me donnant pour méthode celle de l'humilité au regard de la qualité et la profondeur de vos interventions. En effet, ceux qui se sont exprimés ont su faire preuve de nuance, avec parfois une grande force rhétorique ou bien en montrant plus de prudence, et je remercie chacun d'entre eux.
Pour ce qui est de la temporalité, madame la sénatrice Vogel, vous avez raison de dire que l'on entend trop souvent qu'il faudrait commencer par s'occuper de toutes les difficultés à l'échelle internationale, européenne, nationale ou même territoriale, avant de traiter la question du mode de scrutin. Je souscris donc volontiers à vos propos lorsque vous affirmez que la représentativité du Parlement doit être au cœur de nos débats et de nos préoccupations.
En effet, le mode de scrutin, autrement dit la façon dont les Françaises et les Français désignent leurs représentants, est une source de légitimité pour la démocratie représentative. D'ailleurs, au cours de toutes les crises que nous avons récemment traversées, cette notion a été chaque fois réinterrogée par ceux qui exprimaient leur mécontentement.
Elle est aussi une source de légitimité pour les décisions que vous prenez, mesdames, messieurs les sénateurs, ainsi que pour la mise en œuvre de celles-ci. À ce propos, le sénateur Karoutchi a eu raison de parler d'un hiatus. En réalité, c'est l'efficacité de l'action publique qui est malade et l'enjeu est celui d'une réconciliation entre l'action du Parlement et la manière dont nos concitoyens en ressentent les effets. Plus les représentants du peuple réunis à l'Assemblée nationale et au Sénat seront légitimes, plus la force qu'ils auront pour veiller à l'application des décisions prises sera importante, de sorte que nos concitoyens en ressentiront davantage les effets.
En outre, comme le sénateur Jadot l'a très bien rappelé, la question du mode de scrutin est aussi une source d'acceptabilité.
On le voit bien, lorsque les électrices et les électeurs se sentent mal représentés à l'échelon du Parlement, assez naturellement, les décisions difficiles à prendre – car l'action publique consiste aussi à prendre ce type de décisions – sont beaucoup plus rapidement et vivement contestées. Aussi, s'interroger sur l'introduction d'une plus forte dose de proportionnelle dans le mode de scrutin doit nous conduire à cheminer ensemble dans le sens de l'amélioration de l'efficience de l'action publique.
S'agissant de l'instabilité que pourrait provoquer un tel mode de scrutin – c'est évidemment avec beaucoup d'humilité que je m'exprimerai sur ce point –, j'observe, comme l'a fait le sénateur Paccaud, que, lors des élections législatives de 1986, seule fois où le scrutin proportionnel s'est appliqué, celui-ci avait paradoxalement conduit à ce qu'une majorité, fût-elle un peu plus étroite qu'annoncé, se dégage à l'Assemblée nationale.
Je note également, redécouvrant en ma qualité de ministre les débats au sein de la Haute Assemblée, qu'il existe incontestablement une majorité dans votre chambre, alors même que les sénateurs sont élus majoritairement au scrutin proportionnel.
Par conséquent, nous devons veiller collectivement à ne pas perdre tout sens de la nuance.
La sénatrice Vogel l'a d'ailleurs rappelé, nous sommes les seuls en Europe à ne pas avoir recours au scrutin proportionnel et à ne pas l'avoir inscrit dans nos textes institutionnels. Cela résulte sans doute de l'originalité même de notre République française, mais nous ne pouvons pas pour autant faire l'économie d'une réflexion à ce sujet : quand on a raison seul contre tous, c'est parfois que l'on a tort…