compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Sonia de la Provôté,
M. Mickaël Vallet.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Madame la ministre, messieurs les ministres d’État, mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer en votre nom la présence dans notre tribune d’honneur de Mme Małgorzata Kidawa-Błońska, maréchal du Sénat de la République de Pologne, et des trois sénateurs polonais qui l’accompagnent. À leurs côtés se trouve Valérie Boyer, présidente du groupe d’amitié France-Pologne. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent.)
J’ai eu le plaisir de m’entretenir avec la présidente du Sénat polonais aujourd’hui, alors que vient de s’ouvrir la présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne. Nos échanges ont porté sur les priorités de la Pologne pour sa présidence, lesquelles sont articulées autour de la sécurité dans toutes ses dimensions, c’est-à-dire jusqu’à la souveraineté. Ce soir, nous prononcerons ensemble aux Invalides une allocution à l’occasion de la cérémonie de lancement de cette présidence à Paris.
Je me réjouis que la Pologne, dont l’engagement aux côtés de l’Ukraine est exemplaire, que ce soit au travers de l’aide directe apportée à ce pays meurtri par l’agression russe ou de l’accueil des réfugiés – plus de 1,2 million encore aujourd’hui –, occupe de nouveau une place centrale dans le dialogue politique européen.
Nos deux pays ont également en commun l’attachement au bicamérisme et au rôle stabilisateur de la Chambre haute. Je me félicite de notre détermination à soutenir ensemble la diplomatie parlementaire, notamment dans le cadre du triangle de Weimar des secondes chambres. Nous recevions d’ailleurs ici même, la semaine dernière, la présidente du Bundesrat.
Mes chers collègues, en votre nom à tous, je souhaite à Mme le maréchal du Sénat de la République de Pologne et à nos homologues sénateurs, ainsi qu’à M. l’ambassadeur de Pologne, la plus cordiale bienvenue. Je forme le vœu que ce séjour soit fructueux et vienne consolider l’amitié franco-polonaise. (Applaudissements.)
3
Mises au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Lors du scrutin public n° 177 sur l’article 1er de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, MM. Mikaele Kulimoetoke et Martin Lévrier ont été considérés comme n’ayant pas pris part au vote, alors qu’ils souhaitaient voter pour. Mme Salama Ramia souhaitait quant à elle voter contre.
Enfin, lors des scrutins publics nos 178 sur l’article 2, 179 sur l’article 3, 180 sur l’article 6 de ce même texte, ainsi que du scrutin public n° 181 sur l’ensemble de la proposition de loi, Mme Salama Ramia, enregistrée comme ayant voté pour, souhaitait voter contre.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Lors du scrutin n° 178, Mme Anne-Sophie Romagny souhaitait voter pour.
Lors des scrutins nos 179 et 180, Olivier Bitz et moi-même devons être enregistrés comme n’ayant pas pris part au vote.
Lors du scrutin n° 181, Mme Lana Tetuanui, M. Olivier Bitz et moi-même devons être considérés comme n’ayant pas pris part au vote. Par ailleurs, Mmes Isabelle Florennes et Olivia Richard, ainsi que MM. François Bonneau, Olivier Cadic, Loïc Hervé et Jean Hingray souhaitaient s’abstenir.
M. le président. La parole est à M. Michel Masset.
M. Michel Masset. Lors des scrutins nos 177 à 181, M. Ahmed Laouedj souhaitait s’abstenir.
Lors du scrutin n° 178, Mme Sophie Briante Guillemont et M. André Guiol souhaitaient voter contre.
Lors du scrutin n° 178, Mme Mireille Jouve souhaitait voter contre ; lors du scrutin n° 181, elle souhaitait s’abstenir.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel.
M. Stéphane Sautarel. Lors du scrutin n° 178, j’ai été enregistré comme votant pour, alors que je souhaitais voter contre ; lors du scrutin n° 181, j’ai été enregistré comme votant pour, alors que je souhaitais m’abstenir.
M. le président. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles figureront dans l’analyse politique des scrutins concernés.
4
Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport a été publiée.
Je rappelle que cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
5
Sortir la France du piège du narcotrafic et statut du procureur national anti-stupéfiants
Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains et de la commission des lois, de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic (proposition n° 735 rectifiée [2023-2024], texte de la commission n° 254, rapport n° 253) et de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur national anti-stupéfiants (proposition n° 197, texte de la commission n° 255, rapport n° 253), présentées par MM. Étienne Blanc et Jérôme Durain.
La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.
Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Discussion générale commune
M. le président. Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Étienne Blanc, auteur de la proposition de loi et de la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Étienne Blanc, auteur de la proposition de loi et de la proposition de loi organique. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres d’État, mes chers collègues, avant d’évoquer les textes qui nous réunissent aujourd’hui, je tiens à rappeler que la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a eu à cœur d’écouter et de comprendre toutes celles et tous ceux qui, en France, sont confrontés à ce fléau.
Nous avons écouté et compris ceux dont l’engagement exemplaire – policiers, gendarmes, douaniers, magistrats, greffiers, personnels pénitentiaires – permet à nos institutions de tenir debout. Leur travail constitue notre principal rempart contre les narcotrafics.
Nous avons écouté et compris ceux qui travaillent dans les secteurs les plus exposés de nos ports et de nos aéroports. Ils subissent au quotidien la pression des trafiquants.
Nous avons écouté et compris nos compatriotes qui vivent à proximité des points de deal, ceux qui vivent à portée d’une balle perdue, les habitants de ces quartiers gangrénés par le trafic.
Nous avons aussi écouté et entendu nos concitoyens d’outre-mer, dont les collectivités sont aujourd’hui exploitées par les trafiquants comme zones de rebond, et qui ont parfois le sentiment d’avoir été négligés, voire abandonnés au profit de l’Hexagone.
Nous avons aussi entendu le cri de nos élus locaux, notamment de nos maires. Dans toutes les communes de France, des métropoles jusqu’aux villages, ils sont en première ligne face aux trafics. Les travaux de la commission d’enquête ont montré leur remarquable implication.
Au cours de nos débats, pensons aux maires de ces petites communes qui se sentent si seuls et si démunis quand un point de deal apparaît, comme à ceux qui, dans les grandes villes, mais aussi dans les villes moyennes, jusqu’à présent épargnées par le trafic, se trouvent brutalement confrontés à des règlements de comptes et à des violences inégalées.
Après cette nécessaire introduction, j’en viens aux deux propositions de loi qu’il nous revient aujourd’hui d’examiner. Les travaux de la commission d’enquête nous ont permis d’aboutir à un diagnostic inquiétant : celui d’une France submergée par le narcotrafic, d’une France où cette activité criminelle représente chaque année un chiffre d’affaires de 6 milliards d’euros et fait vivre environ 240 000 personnes, où l’incarcération ne fait plus peur aux délinquants.
Nous avons dressé le portrait d’un pays où les trafiquants utilisent tous les interstices pour pénétrer les institutions et les infrastructures. On peut par exemple se permettre de payer 100 000 euros pour faire déplacer un conteneur dans une enceinte portuaire si les stupéfiants qu’il contient rapportent plusieurs dizaines de millions d’euros à la revente.
Nous devons aussi nous souvenir que les trafiquants sont ingénieux. À chaque porte qui se ferme, ils cherchent une fenêtre à ouvrir. Pendant la crise sanitaire de 2020, alors que le confinement limitait les déplacements et, par voie de conséquence, le chiffre d’affaires des trafics, des systèmes de commandes en ligne avec des livraisons à domicile ont été imaginés. Lorsque nous avons mis en place 100 % de contrôles à Cayenne pour éviter les acheminements par les mules, c’est sur les Antilles que le trafic s’est reporté. Lorsque les grands ports français, celui du Havre notamment, ont pris conscience de la menace, ce sont vers des ports secondaires, notamment des ports de plaisance, que les flux se sont redirigés.
La capacité d’adaptation des trafiquants est aussi remarquable en ce qui concerne le blanchiment. Les narcotrafiquants utilisent des moyens aussi nombreux que divers pour dissimuler les fruits de leurs crimes. Ils recourent aux cryptoactifs, à des commerces de façade qui font office de blanchisseuses, à des systèmes traditionnels de compensation appelés hawala. Ils s’appuient sur des prête-noms pour acquérir des biens immobiliers, des bijoux, des voitures de luxe et même des œuvres d’art qu’ils pourront revendre pour en tirer des liquidités. Parfois même, ils réinjectent leurs fonds dans l’économie légale sans blanchiment préalable, notamment dans les secteurs où les paiements en liquide sont fréquents.
Nous le savons, la loi ne pourra pas tout. Des efforts resteront nécessaires hors du périmètre de compétences du Parlement, en particulier sur deux sujets.
Le premier sujet, c’est la coopération internationale. Le nombre de délinquants arrêtés et extradés depuis l’étranger demeure trop limité eu égard aux dizaines de criminels du haut du spectre qui continuent à vivre dans le luxe et la tranquillité à Dubaï ou ailleurs, d’où ils poursuivent leurs activités criminelles.
Le second sujet, ce sont évidemment les moyens. Je pense aux moyens humains, mais aussi aux moyens techniques et informatiques. Je ne doute pas que le Gouvernement pourra, au cours de cette discussion, nous exposer ses projets pour doter nos services répressifs des outils dont ils ont besoin pour procéder à une lutte efficace.
Face à ce constat, que prévoient les deux textes que Jérôme Durain et moi-même avons déposés ?
Je rappelle qu’ils s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie globale de lutte contre le narcotrafic. J’ai confiance dans la capacité du Sénat à préserver la cohérence de ces propositions de loi issues d’un rapport de commission d’enquête adopté à l’unanimité. C’est la première fois, d’ailleurs, qu’un rapport parlementaire présente une vision d’ensemble du problème.
Dans le délai qui m’est imparti, je me concentrerai sur trois mesures.
La première mesure, c’est la création du parquet national anti-criminalité organisée, le Pnaco. Sa mise en place est urgente au vu de l’état de la menace. Il est essentiel que ce nouvel acteur soit doté de toutes les prérogatives qui lui permettront d’être véritablement un chef de file. Je le dis avec force et en accord avec nos collègues rapporteurs, Muriel Jourda et Jérôme Durain : nous ne devons pas reculer sur les pouvoirs confiés au Pnaco, notamment en matière d’évocation et de coordination, sous peine de créer une immense déception et d’empêcher l’émergence d’un pilotage global à l’échelon judiciaire qui nous fait aujourd’hui défaut.
Prenons exemple sur la sagesse de nos prédécesseurs et rappelons-nous que le parquet national antiterroriste, dont le principe était pourtant si contesté, est aujourd’hui un éclatant succès.
La deuxième mesure concerne la lutte contre le blanchiment. J’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt des échanges qui ont eu lieu au sein de la commission des lois. N’abaissons pas notre niveau d’exigence à cet égard. Demandons à chaque acteur, y compris privé, de prendre sa juste part dans le combat que nous devons mener contre le blanchiment. Alors que nous allons demander des efforts importants à nos concitoyens au vu de l’état dégradé de nos finances, comment comprendraient-ils que nous ne menions pas une lutte acharnée contre le blanchiment ? Repérer les fonds suspects dès qu’ils entrent dans le circuit légal, c’est se donner les moyens de les saisir, de les confisquer, donc d’apporter de nouvelles recettes au budget de l’État et au service de la répression de la criminalité. Je vous proposerai d’ailleurs, pour éviter les incertitudes sur l’épineuse question de la prescription, de considérer que ces délits sont toujours occultes, ce qui va permettre de les poursuivre, y compris lorsque des délais importants sont écoulés.
La troisième mesure a trait aux techniques spéciales d’enquête. Ces techniques suscitent d’intenses débats, ce qui est parfaitement légitime compte tenu de l’intrusion qu’elles entraînent dans la vie privée des personnes qui, à ce stade d’une enquête, sont présumées innocentes. C’est pourquoi nous avons limité leur usage à la criminalité organisée et que nous nous sommes attachés à toujours refuser qu’elles puissent être utilisées pour la délinquance de droit commun.
C’est également la raison pour laquelle nous avons, pour chacune de ces techniques, prévu des garanties proportionnées à l’atteinte portée à la vie privée : intervention du juge des libertés et de la détention, limitation de la durée de déploiement, exigences sur la motivation de l’usage de telle ou telle technique.
Je crois indispensable d’aller encore plus loin dans l’utilisation de ces techniques spéciales. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement afin d’autoriser, dans des conditions conformes à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, une technique qui permettra d’activer à distance les appareils mobiles, notamment les téléphones. Je vous proposerai de la restreindre aux infractions les plus graves de la criminalité organisée et de prévoir qu’elle ne pourra être déployée que si l’utilisation d’une technique moins intrusive est impossible. J’espère que vous serez nombreux à apprécier l’équilibre que nous recherchons toujours entre l’exigence de la poursuite et la protection des libertés.
« L’enfer, c’est la vérité vue trop tard », selon Don Wislow, reprenant Hobbes. Mes chers collègues, je crois qu’il est encore temps de prendre la mesure des ravages que la drogue provoque dans notre société et, surtout, d’apporter une réponse forte et sans faiblesse. Faisons en sorte que le Sénat soit à l’origine de ce nécessaire sursaut. Les Français nous observent. Ils nous attendent. Il ne faut pas les décevoir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mmes Marie-Arlette Carlotti et Marie-Laure Phinera-Horth, ainsi que M. Vincent Louault, applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres d’État, mes chers collègues, il est facile d’intervenir après Étienne Blanc, qui vous a éloquemment présenté l’état de la menace que fait peser le narcotrafic sur la France.
Bien sûr, toute délinquance est un trouble à l’ordre public, mais le narcotrafic menace véritablement les intérêts de la Nation. C’est pourquoi nous devons nous doter d’outils qui soient à la mesure de ce péril. J’ai coutume de dire, et vous m’avez déjà entendu le répéter à cette tribune, que le droit est une somme d’outils au service de nos projets. Nous devons nous servir de l’existant et en inventer de nouveaux, car, quelle que soit la qualité de ceux qui travaillent aujourd’hui à éradiquer le narcotrafic – services d’enquête, douanes, magistrats –, ils n’ont pas aujourd’hui entre les mains les outils juridiques suffisants pour ce que nous devons faire.
D’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, je pense que vous êtes d’accord avec nous, puisque vous le dites aussi dans les médias. Nous avons en outre eu des échanges sur ce point. Aussi, je regrette que les amendements du Gouvernement soient un peu en retrait par rapport aux besoins, mais nous aurons l’occasion d’en reparler tout à l’heure.
Ces nouveaux outils, quels sont-ils ? Je n’en citerai que quelques-uns, laissant Jérôme Durain prendre ensuite le relais.
Il faut déjà se doter d’une architecture rassemblant services d’enquête et services judiciaires, de nature à permettre une coordination dans la lutte contre le narcotrafic. Cela passe par la création d’un parquet national, d’abord qualifié d’anti-stupéfiants par les auteurs de la proposition de loi, avant d’être requalifié en parquet national anti-criminalité organisée, le narcotrafic étant indissociable de nombre d’infractions commises autour de cette activité.
Nous voulons que ce parquet coordonne les parquets qui se trouvent dans les juridictions interrégionales, qui existent déjà, et les parquets locaux que vous connaissez tous.
Nous souhaitons qu’il puisse retenir des affaires. Il s’agit non pas de lui conférer un monopole, mais de lui permettre de juger les affaires les plus graves. Il doit à ce titre bénéficier d’informations pour exercer l’ensemble de ces compétences.
À côté de ce parquet, nous devons dessiner une nouvelle architecture avec les nombreux services qui ne doivent plus travailler en silos, mais véritablement en interministériel. Les auteurs de la proposition de loi souhaitaient que l’Office anti-stupéfiants, l’Ofast, soit chef de file. Comme il n’y a plus de parquet national anti-stupéfiants dans le texte de la commission, il aurait été incohérent de désigner l’Ofast comme chef de file. Aussi, M. le ministre de l’intérieur nous proposera tout à l’heure un dispositif qui nous permettra à la fois de désigner un chef de file et de mener un travail interministériel, ce qui est indispensable dans cette lutte.
Nous lutterons aussi contre le blanchiment. Des commerces ouverts sans avoir rien à vendre, mais qui ont pourtant des clients jusqu’au milieu de la nuit ; de très jeunes gens qui sont propriétaires de voitures qui coûtent 200 000 euros, alors que nous ne leur connaissons aucune source de revenus ; les crypto-actifs qui sont utilisés par les narcotrafiquants… : nous avons travaillé sur toutes les facettes du blanchiment et nous aurons l’occasion d’en parler tout à l’heure.
Par ailleurs, nous proposerons un certain nombre de mesures adaptées aux nouveaux comportements des trafiquants désormais rendus possibles grâce aux moyens numériques, comme l’offre et la cession de produits stupéfiants, ou le recrutement, parfois de mineurs, à qui ils font miroiter des revenus abondants à peu de frais, mais qui se retrouvent en fait esclaves de gens pour qui leur vie n’a pas de valeur. Il y a déjà eu suffisamment de morts pour l’attester…
Nous nous sommes également inspirés de procédures utilisées dans la lutte contre les mafias, comme la création d’une infraction autonome d’appartenance à une organisation criminelle. Je pense malheureusement que nous en sommes là !
Mes chers collègues, il est utile que nous nous dotions de ces outils. Ils vont parfois assez loin ; d’ailleurs, certains nous disent que nous attenterions à l’État de droit. Pourtant, l’État de droit a précisément pour première caractéristique de mettre fin à la loi du plus fort : en l’occurrence, il va nous aider à lutter contre les plus forts et les plus violents. C’est en tout cas ce que nous vous proposons, au nom de la commission des lois, au travers de ces deux textes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
(Mme Anne Chain-Larché remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jérôme Durain, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les ministres d’État, mes chers collègues, j’adresse d’emblée mes vifs remerciements aux forces engagées dans la lutte contre la criminalité et réaffirme mon plein soutien aux élus qui subissent les conséquences des trafics. En tant que président de la commission d’enquête du Sénat sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, conduite avec Étienne Blanc, et rapporteur avec Muriel Jourda des deux propositions de loi que nous examinons aujourd’hui, j’ai pu voir que la mobilisation de ces acteurs était inébranlable et qu’ils ne cédaient jamais au découragement face au manque de moyens ou au sentiment de danser parfois au bord du gouffre. Soyons à la hauteur de leurs efforts et travaillons, comme eux, avec rigueur et ambition.
Il m’appartient, à la suite de Muriel Jourda, d’évoquer deux thèmes majeurs : la procédure pénale et la lutte contre l’emprise du trafic sur notre pays.
Le titre V de la proposition de loi, relatif à la procédure pénale, est particulièrement dense et technique. Il comporte de nombreuses évolutions indispensables pour que les enquêteurs et les magistrats puissent faire leur travail dans de bonnes conditions, sans subir le dépassement technologique qui permet aujourd’hui aux réseaux d’échapper à la répression.
La proposition de loi prévoit un arsenal complet pour leur faciliter la tâche. Je pense au jugement des crimes commis en bande organisée par des cours d’assises spécialement composées ; à la mise en place de juges spécialisés de l’application des peines, dont nous vous proposerons d’ailleurs de recentrer le périmètre de compétences sur les profils réellement dangereux ; à la création d’un régime exceptionnel d’immunité de poursuites pour les repentis susceptibles de faire tomber un nombre considérable de leurs complices ou de fragiliser les réseaux les plus puissants. Je pense enfin à la création d’un statut d’infiltré civil et à la sécurisation des relations entre les policiers et leurs informateurs.
Toutes ces évolutions cumulées auront un impact déterminant sur la capacité des services d’enquête à comprendre les réseaux délinquants et à identifier les membres du crime organisé. Gageons que le Gouvernement nous aidera à aller encore plus loin sur ce chapitre en assurant la recevabilité financière de certains amendements utiles pour mettre fin à cette stratégie de la peur grâce à laquelle les trafiquants empêchent les victimes de porter plainte et les témoins de les dénoncer.
Le procès-verbal distinct prévu par l’article 16 fera, à n’en pas douter, l’objet de débats nourris. C’est tout à fait légitime, car il nous revient de trouver le juste équilibre entre deux impératifs apparemment opposés : la garantie des droits de la défense et de l’égalité des armes, qui doit se concilier avec la protection de l’identité des personnes menacées – témoins, infiltrés, informateurs – ou des méthodes d’action les plus sensibles des enquêteurs, lesquelles ne sauraient être révélées sans porter atteinte à la capacité de la police et de la gendarmerie à faire leur travail dans de bonnes conditions.
Nous avons constaté, pendant les travaux de la commission d’enquête, que certains outils dont le législateur avait entendu doter les enquêteurs ne pouvaient pas être utilisés, car la description de leur fonctionnement dans le dossier de la procédure viendrait « donner des billes à l’adversaire », comme on nous l’a expliqué : cette situation n’est pas tenable. Nous ne pouvons pas accepter que le contenu de la loi reste platonique. J’espère que nous pourrons nous mettre d’accord sur ce principe et trouver, ensemble, un juste équilibre.
Muriel Jourda et moi-même avons d’ores et déjà modifié la rédaction de l’article 16 pour y ajouter de nombreuses garanties, essentielles à nos yeux. Ainsi, nous avons prévu le versement au dossier de la procédure de l’ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention, qui autorisera le recours au procès-verbal distinct. Nous avons également indiqué que le recours à ce procédé devait être nécessaire à la manifestation de la vérité, ce qui impliquera un effort particulier de motivation en amont de tout déploiement. Nous avons par ailleurs précisé les conditions du contrôle de la chambre de l’instruction, dont je rappelle qu’il sera systématique sur les éléments inscrits au procès-verbal distinct. Je pense que la solution à laquelle nous sommes parvenus est la bonne et j’espère que le Sénat la soutiendra largement.
Sur le sujet des nullités de procédure, les débats ont été nourris. Les notions de « manœuvre » et de « négligence » risquent de nous faire passer à côté de notre but, puisqu’elles peuvent elles-mêmes donner lieu à des contentieux. C’est pourquoi Muriel Jourda et moi-même proposerons une réécriture permettant de modifier des dispositions qui sont aujourd’hui le support des stratagèmes dénoncés par la commission d’enquête. Certes, c’est une solution plus modeste, mais elle est vraisemblablement plus efficace.
Enfin, le titre VI de la proposition de loi permet de lutter contre l’emprise de la criminalité organisée sur nos infrastructures, dans les prisons et dans certains quartiers.
La corruption est une gangrène, une arme de choix grâce à laquelle les trafiquants font progresser leur influence délétère dans tout le corps social. L’article 22 viendra garantir une meilleure prévention et une détection plus facile de la corruption, sans stigmatisation.
La commission vous proposera un amendement visant à étoffer notre dispositif de détection de la corruption dans les ports, infrastructures éminemment stratégiques pour les narcotrafiquants, via un recours renforcé à la vidéosurveillance des installations sensibles.
Ce qui nourrit la corruption, c’est parfois l’appât du gain, mais c’est surtout la peur des représailles en cas de refus. Il faut rétablir la confiance dans l’État, dans la protection qu’il peut apporter à ceux qui veulent dénoncer les promesses ou les pressions dont ils font l’objet.
De nombreux amendements ayant pour objet les enjeux pénitentiaires ont été déposés : c’est le signe d’une prise de conscience importante et bienvenue. Là encore, l’intervention du Gouvernement pour permettre l’examen d’amendements judicieux, mais qui créent de toute évidence de nouvelles charges financières, sera appréciée sur toutes les travées.
En conclusion, je rappelle que c’est le Sénat qui, le premier, s’est saisi du sujet du narcotrafic dans son ensemble, en ayant la volonté de trouver des solutions pour que nos institutions reprennent l’ascendant face aux trafiquants. L’exemple de nos voisins montre qu’il ne faut pas prendre le risque d’être dépassé par la menace. N’attendons pas qu’il soit trop tard avant de réagir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur certaines travées du groupe UC. – Mme Marie-Laure Phinera-Horth applaudit également.)