PRÉSIDENCE DE M. Didier Mandelli
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l'examen des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Hugues Saury. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur spécial applaudit également.)
M. Hugues Saury. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mission que nous examinons aujourd'hui est relativement modeste par son volume – moins de 2 milliards d'euros –, mais elle n'a rien d'anodin. À l'heure du retour de la guerre sur le sol européen et de la dégradation du contexte stratégique mondial, elle joue même un rôle essentiel.
En effet, cette mission symbolise avant tout le lien qui doit unir la Nation avec ceux d'entre nous qui, à travers les générations, consentent à risquer leur vie pour la défendre. Mais elle incarne aussi un esprit : celui du combat, qui anime nos militaires, et celui de résilience, que nous devons promouvoir et renforcer auprès de l'ensemble de nos concitoyens, en particulier parmi nos jeunes.
C'est pourquoi je me félicite que, malgré la situation de nos finances publiques, les crédits consacrés à la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » puissent conserver, à peu de choses près, le niveau qui était le leur l'année dernière.
Cette quasi-stabilité, que le groupe Les Républicains saluera en votant le budget qui nous est soumis, constitue en réalité un effort financier, et ce à double titre.
Tout d'abord, dans le contexte budgétaire actuel, la baisse de 1 % des dotations apparaît comme un bien moindre mal.
Ensuite, la mission est pour une large part constituée de prestations versées aux ressortissants de l'Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG). Or, en raison de l'avancée en âge de chaque génération du feu et des ayants cause, les besoins financiers se font mécaniquement plus faibles d'année en année. Dès lors, maintenir les crédits dans leur ensemble revient à augmenter ceux qui sont dédiés à certaines actions.
Je me réjouis donc que ces moyens supplémentaires aient pu être dégagés, mais surtout qu'ils soient alloués à des axes essentiels à mes yeux. Je pense notamment au meilleur accompagnement des blessés de guerre, qui matérialise la solidarité que la Nation se doit d'exprimer vis-à-vis de ceux qui acceptent de s'exposer au danger pour nous en protéger.
En effet, la pérennisation du plan Blessés, la mise en œuvre des mesures prévues par la loi de programmation militaire (LPM) ou encore la montée en puissance des maisons Athos sont des actions qui nous permettent d'exprimer notre reconnaissance.
Elles représentent surtout, pour les hommes et les femmes qui s'engagent, l'assurance que, s'ils devaient subir les conséquences du feu, la suite de leur vie ne serait pas nécessairement et irrémédiablement brisée. À l'instar des dispositifs prévus pour leurs enfants ou leurs conjoints au cas où ils devraient consentir au sacrifice ultime, ces mesures sont essentielles à l'engagement, et, donc, à la défense de la Nation.
Je pense ensuite aux actions en faveur des harkis et des rapatriés, qui sont indispensables pour contribuer à refermer les plaies nées d'une période ô combien douloureuse de notre histoire contemporaine. À ce titre, on ne peut que se réjouir de la hausse des crédits consacrés aux allocations viagère et de reconnaissance. En effet, elle est la conséquence des diverses révisions et revalorisations intervenues ces dernières années, que nous avions régulièrement appelées de nos vœux.
J'observe néanmoins que ces augmentations absorberont la quasi-totalité des 11 millions d'euros supplémentaires dédiés à cette action. Dès lors, cela signifie que l'enveloppe consacrée au droit à réparation créé par la loi du 23 février 2022 restera pour ainsi dire identique cette année, à hauteur de 70 millions d'euros. Mais cela signifie surtout que les conséquences budgétaires de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Tamazount n'ont pas été tirées à ce stade.
On peut comprendre, d'un point de vue comptable, la volonté de lisser le surcroît de dépenses sur les années à venir. Permettez-moi cependant de souligner que cela se traduira nécessairement par une mise en attente indue pour l'instruction de nombreux dossiers d'indemnisation.
Madame la ministre, ce dispositif a commencé à réparer une faute et à apaiser les souffrances nées des conditions de vie indignes subies par les harkis et leurs familles à leur arrivée sur le territoire national, eux qui ont pourtant fait le choix de la France et courageusement porté ses armes. Il serait donc malheureux qu'une ombre soit portée sur l'application de la loi, qui par ailleurs avance bien et satisfait progressivement à ses objectifs.
L'autre élément fort de ce projet de loi de finances a trait aux crédits consacrés à l'action « Liens armées-jeunesse », qui est absolument incontournable au regard de l'ambition de renforcer la résilience de notre société.
En effet, la guerre en Ukraine et la mobilisation du peuple ukrainien ont agi comme un révélateur. Par contraste, ces événements ont montré que, dans notre pays, la relation entre la Nation et ses armées s'était sans doute distendue depuis la fin du service militaire. Et force est de constater que les dispositifs mis en place depuis lors en direction de la jeunesse n'ont pas réussi à pleinement la restaurer, malgré les qualités indéniables de certains programmes, qui méritent d'être poursuivis et même amplifiés.
La progression de 57 % des ressources budgétaires, qui passeront de 26 millions à 41 millions d'euros, est dès lors un réel motif de satisfaction. Mais au-delà du niveau très substantiel de cette hausse, c'est surtout l'orientation qu'elle traduit qui mérite d'être saluée.
Cela fait en effet plusieurs années que, sur de multiples travées de cet hémicycle, nous exprimons notre préoccupation face à l'évolution de la Journée défense et citoyenneté (JDC). Nous étions nombreux à appeler à une révision de son format pour la recentrer sur son caractère militaire, afin de mieux diffuser l'esprit de défense et, pourquoi pas, faire naître des vocations dans l'active ou la réserve.
À partir de 2025, son déroulement sur des sites militaires, encadré par des militaires, est de bon augure et me semble de nature à renouer avec son objectif premier, à savoir contribuer à la mission régalienne de défense à travers l'information sur les enjeux de sécurité nationale.
Enfin, je souhaite aborder la revalorisation des diverses allocations perçues par les anciens combattants ou par leurs veuves, et qui sont conditionnées par la valeur du point de pension militaire d'invalidité (PMI).
Ces dernières années, le sujet a été régulièrement évoqué. Fort heureusement, il a connu des évolutions qui ont permis de combler, mais dans une faible mesure seulement, le fossé qui s'était creusé au fil d'une inflation trop longtemps non compensée, ou insuffisamment.
Une nouvelle revalorisation a eu lieu au 1er janvier. Elle est toutefois bien modeste.
Je comprends bien sûr que les difficultés financières actuelles ne permettent pas d'aller plus loin dans l'immédiat. J'espère néanmoins, madame la ministre, que ce projet de loi de finances sera l'occasion de prendre date afin de progresser plus résolument, dans les mois à venir, sur cette question fondamentale pour l'ensemble du monde combattant. (M. le rapporteur spécial applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec l'examen de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », nous débattons des crédits alloués à la solidarité de la Nation envers les militaires et les anciens combattants en raison de leur engagement et de leurs sacrifices au service de la sécurité de notre pays.
Comptant près de 1,8 million de ressortissants, le monde combattant rassemble tous ceux qui, titulaires de la carte du combattant – anciens combattants, victimes civiles de guerre et conjoints survivants –, peuvent se prévaloir du bénéfice du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, ainsi que les associations et fondations qui œuvrent pour la mémoire des conflits des XXe et XXIe siècles.
Le projet de loi de finances prévoit une légère baisse des crédits de cette mission, qui s'explique notamment par la diminution du nombre des ayants droit et des ayants cause en raison du déclin démographique naturel des bénéficiaires des pensions.
S'agissant du calcul des pensions militaires d'invalidité, le précédent gouvernement avait retenu l'hypothèse d'une valeur du point de PMI de 16,05 euros en 2025, soit une revalorisation de 0,94 % par rapport à 2024. Celle-ci semblait trop faible au regard des prévisions d'inflation.
Aussi, le groupe RDPI salue l'effort du gouvernement actuel, qui propose finalement de fixer cette revalorisation à 16,07 euros, même si ce montant reste inférieur aux 16,09 euros évoqués avant la censure. Nous serons vigilants sur le respect de cet engagement du Gouvernement et veillerons à ce qu'une budgétisation suffisante permette de financer ce surcoût.
Parmi les mesures présentées, notre groupe soutient celle qui prévoit le maintien des droits reconnus aux anciens combattants, ainsi que la poursuite de la mise en œuvre du droit à réparation pour les harkis.
Nous soutenons également la nouvelle version de la Journée défense et citoyenneté qui sera déployée à titre expérimental en 2025. Les crédits qui lui sont alloués augmentent significativement – de 57,4 % – en 2025 pour atteindre 41 millions d'euros. Cette révision aura pour vocation de renforcer le lien avec la jeunesse et les militaires.
En effet, dans un contexte géopolitique dégradé et alors que nos armées rencontrent des difficultés de recrutement, il est fondamental, à travers la JDC, de consolider l'attractivité des métiers des armées en s'appuyant sur une expérience plus militarisée. À titre personnel, je milite depuis des années pour un retour du service militaire dans les outre-mer, du moins à titre expérimental, afin de mieux encadrer notre jeunesse. Je ne désespère pas d'être entendue un jour…
Pour conclure, en ces temps de contrainte budgétaire, notre rôle est de nous montrer à la hauteur de nos responsabilités. Dans cette perspective, le groupe RDPI appelle à voter les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. le rapporteur spécial applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chaque année, nous constatons la disparition progressive des générations ayant vécu les conflits armés. Cette évolution démographique entraîne inévitablement une réduction des crédits alloués à la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».
Toutefois, il est impératif de maintenir un niveau élevé de reconnaissance et de réparation, à la hauteur des sacrifices consentis par celles et ceux qui ont défendu notre pays.
Cette mission ne se limite pas à un soutien financier. Elle relève d'une obligation morale de la Nation envers ses anciens combattants et leurs familles, mais également vis-à-vis des générations futures.
Cette responsabilité doit perdurer, sans compromis. En Lot-et-Garonne, la mémoire combattante demeure vive. En témoigne la récente réunion, dans mon département, du congrès annuel de l'Union fédérale des associations françaises d'anciens combattants et victimes de guerre, en présence de nombreux porte-drapeaux et d'un public issu de toutes les générations.
Les marges budgétaires dégagées doivent permettre d'améliorer les dispositifs existants et d'adapter les aides aux besoins actuels.
À ce titre, je salue la revalorisation des pensions militaires d'invalidité prévue pour 2025. Cette hausse de 2,2 % corrige en partie l'inadéquation des mécanismes actuels face à la conjoncture économique.
Concernant les harkis et leurs familles, les dépenses augmentent afin d'honorer certaines décisions de justice restées trop longtemps insatisfaites.
Madame la ministre, je souhaite également attirer votre attention sur l'instruction de certains dossiers qui peinent à aboutir dans mon département. Ces efforts supplémentaires sont nécessaires pour réparer des injustices historiques.
La politique mémorielle englobe aussi la préservation des sites historiques et la commémoration des événements majeurs. La baisse du nombre des bénéficiaires des crédits de la mission n'empêche pas la mise en place d'une politique ambitieuse pour honorer la mémoire de nos anciens.
Ainsi, la refonte de la Journée défense et citoyenneté participe à remettre au cœur des préoccupations de la jeunesse, tout au long de la scolarité, l'engagement envers les valeurs républicaines et l'honneur de la mémoire des anciens combattants. Je pense ici au concours national de la Résistance et de la Déportation (CNRD), organisé en lien avec l'Association nationale des anciens combattants de la Résistance (Anacr), à destination des collèges et des lycées.
Face à la résurgence de propos haineux et à la banalisation de l'antisémitisme, la transmission de l'histoire est plus que jamais cruciale pour sensibiliser les générations futures.
La mémoire des anciens bénéficiaires des crédits du programme 158 « Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la Seconde Guerre mondiale » ne doit pas s'effacer.
Ce programme poursuit aussi l'indispensable travail d'identification et de restitution des biens spoliés. Des poilus de la Première Guerre mondiale à nos soldats actuellement engagés en opérations extérieures, en passant par les figures de la Résistance, nous avons le devoir de préserver la mémoire de toutes celles et de tous ceux qui ont défendu notre liberté.
En 2024, ce devoir sacré a contribué à souder la Nation autour de la mémoire de Missak et Mélinée Manouchian. Nous espérons qu'il perdurera en 2025 avec l'entrée au Panthéon de Marc Bloch.
Le groupe du RDSE, fidèle à son engagement en faveur de la mémoire combattante et des valeurs républicaines, votera les crédits de cette mission. (M. le rapporteur spécial applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je m'exprime cet après-midi au nom de ma collègue Nadia Sollogoub, qui est absente pour raisons de santé. Je vous donne lecture de son intervention.
« L'analyse du budget de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » appelle une réflexion globale, tant sur sa structuration que sur sa trajectoire.
« En effet, de façon régulière et implacable, suivant en cela l'évolution démographique des bénéficiaires de ses crédits, ce budget se rétracte chaque année.
« Si, au fond, chacun comprend la logique de cette décroissance, il faudra pourtant, un jour, se poser la question de sa limite. Cette limite existe-t-elle, ou faut-il se résigner, l'année prochaine et les suivantes, à voir se contracter de nouveau les crédits finançant pourtant des actions en faveur de la reconnaissance du monde combattant ?
« S'il n'y a pas de limite à la fonte de ce socle, devons-nous accepter collectivement ce que cela signifie ? Triste symbole que de manifester notre reconnaissance au monde combattant en nous contentant d'appliquer une règle de trois, alors qu'un budget sanctuarisé permettrait un partage plus gratifiant entre bénéficiaires, de meilleures prises en charge, des actions nouvelles, quelques investissements peut-être…
« Madame la ministre, nous savons votre engagement au service de cette cause. C'est pourquoi j'invite le Gouvernement à la prudence quant à l'avenir du financement de cette mission à nulle autre pareille.
« Si, chaque année, nous pouvons nous féliciter, avec les rapporteurs, d'avoir sauvé quelques dispositifs financiers essentiels, la trajectoire de cette mission, je le répète, n'a rien de sain ni de satisfaisant. Je ne peux me résoudre à ce que moins de 1,9 milliard d'euros soient inscrits au titre de cette mission dans le projet de loi de finances pour 2026, tout simplement parce qu'il y aura forcément moins de titulaires de la carte du combattant.
« Rien ne garantit que ces baisses ne sont que conjoncturelles. Si, un jour – lointain ! –, nous discutions des crédits de cette mission dans un environnement budgétaire moins contraint, il n'est pas certain que ceux-ci augmenteraient pour autant. Je crains que le processus ne soit durablement enclenché et que, telle la grenouille plongée dans une eau chauffée progressivement, de compromis annuel en compromis annuel, l'on ne se dirige petit à petit vers ce jour où la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » n'aura plus grand-chose à partager…
« Pourtant, le monde combattant, dans sa diversité, dans ce qu'il représente pour aujourd'hui et pour demain, mérite mieux qu'une reconnaissance qui se rétracte lentement.
« Il y a dans le monde deux catégories de personnes : celles qui ont connu la guerre, et celles qui ne l'ont pas connue. Il y a ceux qui ont fait la guerre, et ceux qui ne l'ont pas faite.
« Ceux qui l'ont faite ne peuvent pas mettre cette page de leur vie au passé, ils ne sont pas et ne seront jamais d'« anciens » combattants. Ils sont des combattants, portant cette expérience traumatisante qui ne les quittera plus jamais, qui aura exigé d'eux un dépassement de soi hors du commun, qui les aura marqués pour toujours.
« Je me fais cette réflexion à chaque fois que je rencontre ceux que l'on appelle les « anciens combattants », lors de cérémonies ou d'assemblées générales associatives. Cette histoire en eux n'est pas ancienne, elle cohabite avec leur présent.
« Je me permets de vous rappeler, madame la ministre, une expérience que nous avons partagée à Nevers, celle d'un combattant d'Indochine, largement octogénaire, venu témoigner devant des collégiens, qui a fondu en larmes lorsque vous lui avez donné la parole. Pour lui, la guerre, ce n'était pas au passé.
« Les combattants ne sont jamais « anciens », ils incarnent un autre visage de la vie et du monde. Ils sont et seront toujours au cœur de l'actualité.
« Cette négociation budgétaire annuelle, qui résulte du croisement de plusieurs données, dont le nombre de bénéficiaires, le niveau de l'inflation et l'âge du capitaine, devra cesser un jour, car elle est, au fond, assez blessante.
« Les tourments de notre planète doivent, hélas, nous préparer à accueillir les anciens combattants de demain – curieuse expression ! C'est bien la preuve que l'on doit changer cette dénomination et considérer le monde combattant comme un ensemble, regroupant ceux qui y entrent et ceux qui en sortent, des frères d'armes de tous les âges et de toutes les batailles, unis par le même courage et par le don d'une partie de soi à la même nation.
« Nous devons les accueillir dans ce cercle, sans états d'âme, avec une structuration solide, et non fluctuante, avec des moyens de prise en charge renforcés, avec les bons outils, et sans faillir, parce qu'eux n'ont pas tremblé. On entre parfois dans le monde combattant, on n'en sort jamais. Alors, tous les moyens doivent être sanctuarisés pour que la vie y soit un peu plus douce.
« "La guerre est la guerre, […] c'est-à-dire sans commune mesure avec le reste des choses, au-delà de la morale, de la raison, de toutes les limites de la vie ordinaire, une sorte d'état surnaturel devant quoi il ne reste qu'à s'incliner sans discuter ", témoignait Romain Rolland.
« Il ne s'agit pas, à l'occasion d'un débat budgétaire, d'évoquer ce que la guerre a d'évitable ou d'inéluctable, sa violence inutile, ses horreurs et son cortège de blessures. Je veux simplement rappeler que le budget dont nous discutons aujourd'hui est un dossier de chair et de sang, et que l'on ne peut pas le traiter avec une simple calculette.
« Madame la ministre, le groupe Union Centriste votera les crédits de cette mission, en espérant que ce budget aura connu cette année son dernier coup de rabot. »
J'en profite pour vous demander, en mon nom propre cette fois-ci, s'il serait possible de reprendre les travaux que nous avons interrompus il y a quelques mois. Je souhaiterais notamment obtenir une réponse de votre part sur les opérations extérieures (Opex) au Tchad. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. le rapporteur spécial, Mmes Marie-Claude Lermytte et Pascale Gruny et M. Roger Karoutchi applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est à noter que les députés ont été privés de l'examen de ce budget et que la chute du gouvernement Barnier a suspendu l'examen des crédits de cette mission par le Sénat.
Au-delà de ces péripéties, la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » traduit financièrement la reconnaissance et la solidarité de la Nation à l'égard des anciens combattants, qui lui ont sacrifié une part d'eux-mêmes, ainsi que la volonté de l'État de transmettre la mémoire de notre histoire.
Alors que, comme l'écrivait Amin Maalouf, « nous marchons comme des somnambules vers un affrontement planétaire », il est nécessaire de rappeler l'impératif de la paix pour l'émancipation des peuples et des individus.
Malheureusement, le gouvernement Bayrou n'y semble pas plus sensible que le gouvernement Barnier. En témoigne la baisse de 1,1 % des crédits de la mission pour 2025. Les crédits finançant les pensions militaires d'invalidité connaissent une baisse de 4 %, dans un contexte où les anciens combattants subissent une perte de leur pouvoir d'achat face à l'inflation.
La dégradation constante de leur niveau de vie nécessiterait au contraire de revaloriser le point de PMI. L'augmentation de la valeur du point constitue une revendication de longue date des associations d'anciens combattants.
Selon l'Association républicaine des combattants pour l'amitié, la solidarité, la mémoire, l'antifascisme et la paix, la revalorisation du point de PMI a été beaucoup moins forte que l'inflation et aucun gouvernement n'en a tenu compte. Le décrochage est pourtant de plus de 16 %.
Le gouvernement Barnier avait prévu une hausse de 1,2 % du point de PMI, lui permettant d'atteindre 16,1 euros, soit une augmentation moindre que l'inflation prévue en 2025.
Concernant la campagne double, il semble important de régler le problème posé aux anciens d'Algérie. Actuellement, ceux-ci doivent prouver qu'ils ont pris part à des actions de feu ou de combat pour en bénéficier. Le Gouvernement doit corriger cette iniquité de traitement entre combattants, car elle n'a que trop duré.
De manière générale, la diminution naturelle du nombre de bénéficiaires de la mission s'accompagne systématiquement d'une simple réduction des crédits. Les moindres dépenses devraient au contraire permettre de financer de nouveaux droits ou de renforcer les dispositifs existants.
Enfin, concernant la baisse des crédits dédiés à la politique de mémoire, je tiens à exprimer notre inquiétude. La mémoire est l'espace du passé. Après la célébration du 80e anniversaire de la Libération de la France, il convient de se rappeler de l'histoire, afin de ne pas la voir se répéter. Le souci de réaliser des économies budgétaires ne peut par ailleurs justifier à lui seul la réduction des crédits alloués à la transmission de la mémoire et à l'indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la Seconde Guerre mondiale.
Les moyens de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » nous semblent encore insuffisants. C'est la raison pour laquelle le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky votera contre l'adoption de ces crédits.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée auprès du ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le rapporteur spécial, madame la rapporteure pour avis, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de vous retrouver cet après-midi pour parler de la mémoire et des anciens combattants, des sujets qui me tiennent profondément à cœur, en hommage à l'héritage de Clemenceau et de Maginot, en cette année du centenaire du Bleuet de France.
Vous connaissez la situation financière extrêmement préoccupante de notre pays. Je me réjouis que, dans le contexte international menaçant qui nous entoure, la trajectoire de réarmement soit pérennisée et que la loi de programmation militaire soit respectée : c'est une exigence pour garantir notre défense. Est-ce à dire que le ministère des armées ne doit pas contribuer aux efforts collectifs pour améliorer la situation financière et économique du pays ? Non.
C'est pourquoi j'ai consciemment fait le choix, dans la situation budgétaire que nous connaissons tous, de proposer des économies pour plus de 50 millions d'euros.
Je le dis tout de suite : cette diminution ne menace aucunement la double exigence de reconnaissance et de réparation que notre pays doit à celles et ceux qui ont pris les armes pour le défendre. Ces exigences ne sont pas négociables. Nous avons une dette envers eux : jamais je ne transigerai sur ce point.
La présentation tardive du projet de loi de finances pour 2025 nous a permis d'affiner les hypothèses sous-jacentes à plusieurs postes de dépenses et de confirmer deux dynamiques.
La diminution des bénéficiaires des pensions, rentes et allocations est une réalité structurelle. Cela nous permet d'ajuster la trajectoire financière et de revoir à la baisse certaines dépenses sans que rien ni personne n'en souffre.
Ensuite, les trois mois qui nous séparent de l'automne ont permis d'affiner les prévisions de facturation de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) pour des prestations servies aux grands invalides, dont les clefs de répartition n'avaient pas été revues depuis plus de dix ans.
Une étude approfondie a permis de constater une moindre dépense significative. Cette démarche technique ne remet pas en cause, d'une manière ou d'une autre, le niveau et la qualité des prestations délivrées. Là encore, cela n'aura aucun impact sur les bénéficiaires.
Ces deux éléments justifient l'amendement du Gouvernement visant à réduire les crédits de plus de 50 millions d'euros. Ce que je vous propose s'inscrit donc dans une logique de sincérisation du budget, car j'ai tenu à participer à l'effort qui est demandé à tous, mesdames, messieurs les sénateurs.
Le budget que je présente s'élève ainsi à un peu plus de 1,85 milliard d'euros. Il préserve toutes les composantes de la politique de réparation et de reconnaissance, tout comme il sanctuarise le programme 158, ce qui est une obligation morale à l'heure où le retour de l'antisémitisme exige une réponse résolue – j'y reviendrai.
J'entre désormais dans le détail. Comme l'an passé, ce budget est construit sur plusieurs piliers.
Le premier pilier, c'est la valeur du point de la pension militaire d'invalidité. Je suis fière de confirmer qu'elle passe de 15,90 euros à 16,07 euros, soit une légère hausse par rapport aux hypothèses de l'automne. C'est un levier central pour le pouvoir d'achat du monde combattant, pour reprendre vos mots, madame la rapporteure pour avis. Je sais que vous suivez tout particulièrement ce sujet, avec le rapporteur spécial Marc Laménie et les membres du groupe sénatorial d'études « Monde combattant et mémoire » que vous présidez.
Le deuxième pilier est celui de la mémoire combattante, de sa conservation comme de sa transmission.
Dès le mois d'octobre 2023, nous sommes entrés dans le cycle des 80 ans des débarquements et de la Libération.
Mesdames les sénatrices Émilienne Poumirol et Marie-Claude Lermytte, monsieur le sénateur Akli Mellouli, vous m'avez interrogée sur la baisse des crédits dédiés aux commémorations. L'essentiel de ces commémorations ayant eu lieu l'année dernière, ce projet de budget est en phase d'atterrissage et diminue logiquement.
L'année 2024 fut celle de la mémoire des débarquements, des combats de la Résistance et de la chevauchée victorieuse jusqu'à Strasbourg.
L'année 2025 célèbrera, elle, la courte année 1945 avec les derniers épisodes de la Libération, comme ceux des poches de Colmar et de l'Atlantique, où se sont illustrés des combattants de la France d'outre-mer.
Ce sera aussi la remémoration du retour des « absents », les prisonniers, mais aussi les déportés, avec la commémoration de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau le 27 janvier prochain.
Le retour des déportés doit être l'occasion d'approfondir les réflexions sur les causes et les manifestations de l'horreur nazie, qui ont aujourd'hui davantage muté que disparu. À cette fin, 1 million d'euros de mesures nouvelles seront consacrés au Mémorial de la Shoah, afin qu'il puisse continuer de mener ses précieuses actions de transmission de la mémoire, d'éducation à l'altérité et d'enseignement d'une page sombre de notre histoire.
Enfin, nous célébrerons la victoire sur l'Allemagne nazie.
Ce cycle prendra fin le 2 septembre prochain, lorsque nous commémorerons les 80 ans de la capitulation du Japon. Ce sera l'occasion de mettre à l'honneur le souvenir héroïque des combattants du Pacifique.
Comme l'année passée, il faut que nos commémorations soient l'occasion de grandes célébrations, d'une communion mémorielle qui rassemblera chacun de nos concitoyens autour du souvenir reconnaissant de celles et ceux qui ont rendu la liberté à notre pays. J'aurai besoin de chacun d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour partager cet engouement populaire dans vos territoires et embarquer notre belle jeunesse.
Je m'engage, comme je l'ai fait dès mon arrivée au ministère des armées au mois de juillet 2022, à délocaliser les cérémonies de commémoration des journées nationales d'hommage chaque fois que cela sera possible et aura du sens. Je sais que vous y êtes très sensibles.
Le troisième pilier est l'accompagnement de nos militaires blessés. C'est la logique du plan Blessés, dont le ministre des armées, Sébastien Lecornu, m'a confié la charge.
Cela débute par plus de 7 millions de mesures nouvelles au profit de la transformation de l'Institution nationale des Invalides pour consolider cette remarquable institution, héritière de trois cent cinquante ans de solidarité nationale.
Cette année, avec 1 million d'euros supplémentaires, nous ouvrirons près de Colmar une sixième maison Athos, ce dispositif de réhabilitation psychosociale qui vient en aide aux blessés psychiques. Nous poursuivrons aussi les réflexions qui ont été engagées sur les conditions d'ouverture d'un dispositif maison Athos outre-mer.
Pour faire écho aux succès remportés par l'Armée de champions lors des jeux Olympiques et Paralympiques, un nouveau dispositif de 300 000 euros permettra de rembourser intégralement des prothèses de nouvelle génération à but sportif pour encourager la réhabilitation par le sport, que l'on sait si efficace pour nos militaires blessés.
Le quatrième pilier concerne l'attention particulière que nous continuons de porter aux harkis.
Après la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français, ce sont plus de 11 millions d'euros supplémentaires qui sont inscrits dans ce budget. Au total, les mesures en faveur des harkis s'élèvent à plus de 123 millions d'euros, dont 70 millions pour le droit à réparation.
Les conséquences de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) du 4 avril 2024 relative aux harkis sont, par ailleurs, bien prises en compte dans ce projet de ce budget.
Nous n'oublions évidemment pas la jeunesse.
Des mesures nouvelles à hauteur de 15 millions d'euros permettent de renouveler significativement l'organisation de la Journée défense et citoyenneté (JDC). Elle sera repensée en profondeur afin de devenir un véritable moment de rencontre entre notre jeunesse et nos armées.
Cette refonte permettra aussi de repenser les modalités de recensement des Français afin de disposer demain, comme l'a dit le ministre des armées, des données qui seront le cœur souverain de la capacité des armées à mobiliser en cas de besoin. Recenser les volontariats comme les compétences, voilà un objectif utile à la résilience de la Nation.
J'ajouterai un mot sur le programme 158 « Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la seconde guerre mondiale ». Cette année, plus de 85 millions d'euros sont consacrés au financement des dispositifs d'indemnisation des victimes de la Seconde Guerre mondiale ou de leurs ayants cause. Le maintien de cet effort financier traduit le soutien constant du Gouvernement envers les victimes de l'antisémitisme.
En 2025, alors que nous commémorerons les 80 ans de la libération des camps, il était impensable de diminuer les crédits de ce programme. Alors que les actes antisémites sont en nette augmentation, alors que certains cherchent à importer un conflit étranger en France, la mémoire de la Shoah doit servir de guide pour ceux qui, comme moi, croient que la promesse républicaine repose sur l'insécabilité du lien qui unit la liberté, l'égalité et la fraternité.
N'oublions jamais ce qu'a dit l'un d'entre vous, Robert Badinter, qui entrera bientôt au Panthéon : « Les morts nous écoutent. »
Vous l'avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de budget place la mémoire, le monde combattant et le lien entre les armées, la Nation et la jeunesse au cœur de la conservation de nos forces morales. En votant ce budget, vous apporterez votre pierre à l'édifice de la résilience de la Nation et vous resserrerez les liens qui nous unissent. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi qu'au banc des commissions. – M. Vincent Delahaye applaudit également.)