M. le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme Sonia de La Provôté. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le moins que l'on puisse dire est qu'il n'est pas aisé de s'y retrouver dans les crédits de la mission « Culture » pour 2025.

À première vue, ils sont sanctuarisés, puisque leur montant global affiche une légère hausse en crédits de paiement par rapport à 2024. Ils s'inscrivent d'ailleurs dans une trajectoire de hausse pluriannuelle. La sanctuarisation est d'autant plus sensible que le décret de février 2024 avait annulé 4,6 % des crédits de la mission. Voilà donc un motif de soulagement dans ce contexte de reprise en main budgétaire.

Toutefois, la culture est un écosystème dont le périmètre dépasse largement le seul budget du ministère. On sait à quel point les politiques culturelles sont portées par les collectivités locales. Notre rapporteure pour avis l'a rappelé, elles financent les trois quarts du seul secteur de la création.

Dans ces conditions, la sanctuarisation des politiques culturelles territoriales est mise à mal, puisque les ressources des collectivités ne seront pas, elles, sanctuarisées. Leur baisse risque d'être massivement répercutée sur les compétences facultatives, au premier rang desquelles figure, bien sûr, la culture. Certaines collectivités ont d'ailleurs déjà annoncé qu'elles allaient opérer dès à présent des choix drastiques en ce sens.

Les conséquences pour le secteur culturel pourraient être dramatiques. Ce qui est en jeu, outre des milliers d'emplois, ce sont les fermetures potentielles de lieux essentiels, les disparitions d'associations et de compagnies, les annulations d'événements, la mise en danger des écoles d'art, les reports de programmation ; je n'y reviens pas, tout cela ayant été précédemment évoqué.

Les risques d'un effet domino sont imminents, ce qui nous alerte. En tant que présidente du groupe d'études sénatorial Arts de la scène, arts de la rue et festivals dans les régions, j'y ai été particulièrement sensibilisée.

Les festivals, piliers de la culture dans les territoires, sont dans une situation de grande fragilité économique : 48 % sont déficitaires à l'issue de l'édition 2024. Pire, 44 % des festivals dont le taux de remplissage est supérieur à 90 % sont déficitaires.

Ce n'est donc pas une question de succès. Les festivals doivent structurellement être soutenus par les politiques publiques et voir leur modèle économique repensé, au regard de leur importance pour faire vivre les territoires, en particulier en milieu rural.

Compte tenu de ce contexte, dans un premier temps, pour compenser quelque peu l'inévitable désengagement culturel des collectivités, nous vous proposerons d'abonder le programme « Création » à partir d'un prélèvement sur les crédits du pass Culture.

Nul doute que nous aurons un véritable débat sur ce point, tant les arbitrages nocturnes ministériels ont, semble-t-il, grandement fait bouger les lignes. Je me permets donc de dire dès maintenant un mot du pass Culture, car, pour le coup, ce dispositif échappe auxdits arbitrages.

Si le pass peine à concrétiser un véritable projet de politique culturelle, il n'en demeure pas moins l'un des outils de démocratisation de la culture. C'est pourquoi il ne nous semble pas pertinent de le réduire brutalement à la portion congrue, comme tendraient à le faire ses détracteurs.

Oui, les crédits qui lui sont dévolus peuvent être réduits et, ainsi, participer à l'effort collectif d'assainissement budgétaire. Pour autant, le projet de réforme actuellement à l'étude pour recentrer le dispositif sur ses objectifs originels mérite, selon nous, d'être regardé avec attention. Il faut maintenir son rôle d'outil au service de l'éducation artistique et culturelle et non l'ériger comme l'alpha et l'oméga de cette politique, dont la feuille de route reste encore fort peu lisible.

En outre, instaurer la gratuité sans la médiation, ce n'est pas créer une appétence nouvelle pour la culture, c'est inciter à consommer ce que l'on connaît déjà.

Concernant le patrimoine, il est, là encore, difficile de s'y retrouver, madame la ministre.

En commission, vous avez annoncé avoir remporté un arbitrage important – il serait néanmoins bien hasardeux de citer des chiffres – en faveur du patrimoine, pour en faire, je cite, « la grande priorité du Gouvernement ». Quelle bonne nouvelle !

Or les coupes demandées par la suite par Bercy, au sein desquelles figure une baisse des crédits de la mission, ont calmé nos ardeurs.

Madame la ministre, l'évolution de ce budget, entre Bercy et votre ministère, c'est l'ascenseur émotionnel. Nous sommes passés du « rab » au rabot et, finalement, au rabot du « rab », si vous me permettez ce raccourci trivial et fort peu poétique au demeurant. (Sourires. – Mme Colombe Brossel applaudit.)

Nous retiendrons donc finalement qu'est prévue une augmentation. Celle-ci reste à expliciter, mais elle est déjà positive en soi.

Nous souhaitons que ces crédits supplémentaires soient non pas exclusivement concentrés sur les grands monuments, mais aussi destinés aux territoires, où les besoins pour le patrimoine sont considérables, notamment en termes d'entretien.

Les directions régionales des affaires culturelles (Drac), qui ne peuvent se déplacer au chevet de toutes les communes de leur ressort, faute de temps et de moyens, verraient ainsi un soutien bienvenu apporté à leurs missions ; si, toutefois, elles ont les moyens de se déplacer, car elles en sont à ne pas avoir de quoi payer les pleins d'essence, comme vous le savez. (Mme la ministre acquiesce.)

En conséquence, les interventions des Drac sont bien souvent réalisées dans l'urgence, moyennant des sommes colossales que les communes pourront de moins en moins assumer. Nous demandons depuis des années un inventaire du bâti patrimonial, classé ou non. Vous avez vous-même, madame la ministre, reconnu cette nécessité. En effet, faute de bien connaître notre patrimoine, nous ne sommes pas en mesure d'en cerner les problèmes.

Pour que le patrimoine territorial ne soit pas le grand oublié de cette grande cause nationale, deux outils devraient prioritairement être abondés.

Il s'agit, d'une part, du fonds incitatif et partenarial (FIP), le seul fonds à la main des collectivités, permettant d'accompagner le patrimoine des petites communes. À ce propos, madame la ministre, vous avez vous-même alerté les Drac, en novembre dernier, sur la sous-consommation de ce fonds, qui pâtit de ne pas être suffisamment connu et proposé activement dans les territoires. Le FIP est essentiel : portons-le tous auprès des collectivités, notamment dans les communes.

Il s'agit, d'autre part, de l'action « Architecture et sites patrimoniaux », qui est fort peu valorisée alors qu'elle est un outil de préservation du patrimoine dans les territoires, dont l'État devrait s'emparer pour développer une réelle stratégie patrimoniale.

Ces outils sont les garants de la qualité de nos patrimoines urbains et paysagers. Les utiliser et les défendre, c'est défendre l'histoire, l'avenir et l'image de nos communes.

Madame la ministre, pour conclure, je soulignerai que nous appelons de nos vœux la mobilisation de toutes les forces, dans les territoires, les Drac, le ministère de la culture, ainsi que les autres ministères, et la mise à disposition de financements réels, fléchés et identifiés en faveur du Printemps de la ruralité.

Vous savez à quel point culture et ruralité sont intimement liées et à quel point, en France, grâce à l'initiative et à la créativité locales, les déserts culturels n'existent pas dans les faits, pour peu que l'on enlève ses lunettes parisiennes.

Le Printemps de la ruralité est l'occasion d'affirmer non seulement la place prépondérante des droits culturels dans les politiques publiques, mais aussi leur nécessité.

Souvenons-nous : pendant la covid, la Madeleine l'avait emporté sur Proust ; depuis lors, nous le savons, nous subissons encore les conséquences de l'isolement et du déni de culture.

Nous attendons des budgets et des actes forts dans ce cadre. Au Sénat, vous nous aurez à vos côtés pour soutenir le déploiement du Printemps de la ruralité, pour peu qu'il y ait une feuille de route et des priorités claires.

Bien évidemment, le contexte budgétaire nous amène à faire preuve d'une grande vigilance sur ce sujet.

Sous réserve de ces observations, et parce que l'effort budgétaire est réel, bien qu'il nous faudra encore l'estimer au cours de la discussion budgétaire, le groupe Union Centriste votera, madame la ministre, les crédits de la mission « Culture ». (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. –M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la cathédrale Notre-Dame de Paris est de nouveau accessible au public depuis le 8 décembre dernier.

Cet événement majeur, attendu en France et à l'étranger depuis cinq ans, nous dit l'intérêt exceptionnel de notre époque pour le patrimoine. Dans ce contexte si particulier, je saisis l'occasion de la présente discussion budgétaire pour vous interroger, madame la ministre, sur l'adéquation entre les moyens financiers que lui consacre l'État et les fortes ambitions que ce dernier ne cesse de manifester pour sa préservation.

Je partage le constat inquiet de notre rapporteure pour avis, ma collègue Sabine Drexler, dont je salue la qualité du travail.

Malgré un amendement qui tend à abonder quelque peu – vous remarquerez la prudence de la formule ! – les crédits de paiement du programme 175, ce budget ne permet pas de corriger la « décorrélation récurrente entre les crédits du programme et les besoins d'investissement », pour reprendre l'expression employée par Mme Drexler dans son rapport pour avis.

Certes, sans cette manne, dont nous devons peut-être le crédit à l'action bienfaitrice de Notre-Dame de Paris, la situation aurait été encore plus précaire. Mais je regrette avec notre rapporteure pour avis l'absence d'une programmation dans la longue durée des investissements absolument indispensables pour assurer l'entretien et la restauration des monuments historiques et pour financer les travaux d'aménagement de nombreuses institutions patrimoniales.

Sans être exhaustif, il faut citer, pour le Louvre, le remplacement des équipements obsolètes, la restauration des bâtiments et l'ouverture de la colonnade donnant sur la place du Louvre. Le plus grand musée du monde est asphyxié par ses 9 millions de visiteurs annuels.

D'autres musées ont besoin d'investissements comparables. Je pense au château de Versailles, au musée Guimet, au palais des études des Beaux-Arts de Paris et à la Cité des sciences et de l'industrie, auxquels il faut ajouter les projets nouveaux de la maison du dessin de presse et du musée-mémorial du terrorisme.

La nécessité d'une vision globale et d'une réflexion structurelle s'impose avec encore plus d'acuité s'agissant du patrimoine non classé et, plus particulièrement, de sa composante religieuse.

Madame la ministre, vous avez estimé qu'un budget compris entre 75 millions et 100 millions d'euros par an permettrait de restaurer l'ensemble du patrimoine religieux.

Vous proposez de collecter ces fonds en rendant payante la visite de Notre-Dame aux touristes. En droit, cette utilisation de l'espace cultuel ne peut se faire sans l'accord du clergé, qui vous a exprimé à plusieurs reprises son opposition, y compris par la voix du pape François. La cathédrale est la propriété de l'État, et sa mise à disposition à son affectataire est inconditionnelle afin de respecter le libre exercice du culte garanti par la loi de 1905.

Sur le fond, je souhaiterais que vous nous précisiez comment vous pouvez évaluer le budget annuel de restauration des édifices cultuels non classés, alors que vos services ont été dans l'incapacité de nous transmettre leur inventaire et un bilan de leur état de conservation lors des travaux de la mission d'information que ma collègue Anne Ventalon et moi-même avons menée.

Le 5 juin 2023, depuis le Mont-Saint-Michel, le Président de la République a annoncé qu'une campagne d'inscription ou de classement au titre des monuments historiques des édifices religieux les plus menacés et les plus remarquables serait mise en œuvre. Plus d'an après, pouvez-vous nous préciser son état d'avancement ?

Dans notre rapport d'information, Anne Ventalon et moi-même avions attiré l'attention de votre ministère sur la situation patrimoniale très dégradée des synagogues d'Alsace et de Moselle. Elles sont les propriétés, en vertu du Concordat, d'établissements publics du culte, qui, pour nombre d'entre eux, n'ont plus les moyens de les entretenir. Leur classement serait l'un des moyens de contribuer à la préservation de ces derniers vestiges d'un judaïsme rural dont il convient de conserver les témoignages.

Madame la ministre, la lutte contre l'antisémitisme doit être une grande cause nationale. Votre ministère pourrait y contribuer par un programme de défense et d'illustration des patrimoines du judaïsme.

Le musée d'art et d'histoire du judaïsme de Paris contribue déjà à ce travail, notamment auprès des publics scolaires. Il souhaite agrandir ses espaces dédiés aux collections permanentes dans le cadre d'un projet d'aménagement essentiel pour réaliser sa mission éducatrice.

La Ville de Paris contribuera à son financement pour 6,5 millions d'euros. Conformément à une pratique ancienne, il serait heureux que le ministère de la culture lui apportât une aide financière du même montant. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Colombe Brossel et M. Henri Cabanel applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco.

« Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, veuillez,

« Par ces quelques vers devant vous prononcés

« Avec facétie et fébrilité, vous laisser emporter

« Par le plaisir de la prose et des mots projetés.

« Quelques secondes encore laissez-moi espérer

« Captiver et préparer à recevoir ma pensée

« Les esprits délicieux de la Haute Assemblée,

« Et le bienfait de la rime, même pauvre, démontrer.

« Hélas, l'art de Corneille n'est pas chose aisée !

« Dans les Pays de la Loire, le voilà menacé,

« Plaise au Gouvernement alerté d'y pallier

« Et nos faibles pouvoirs budgétaires compenser. »

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si mon ton est léger, mes mots sont graves, car ce qui se passe à Nantes pourrait essaimer sur tout le territoire. Dans le contexte budgétaire difficile imposé aux finances territoriales, nombreuses sont les collectivités qui abandonnent leurs prérogatives culturelles.

Jusqu'à présent, les budgets culturels des collectivités locales représentaient deux fois le budget du ministère. La situation est donc extrêmement préoccupante.

Les coupes drastiques appliquées par certaines collectivités au budget de la culture ne peuvent être réduites à l'effet mécanique des baisses de dotations. Elles sont le résultat de décisions politiques qui ont directement pour but de remettre en cause le service public de la culture, lequel joue un rôle essentiel dans tout le pays pour l'accès à la culture et l'émancipation des Français. Elles ont pour conséquence de fragiliser profondément les artistes, les institutions culturelles et toutes celles et tous ceux qui font vivre le service public de la culture.

Incohérentes sur le plan économique, de telles décisions ont pour conséquence de détruire des milliers d'emplois et des structures qui créent de l'activité partout dans le pays.

Le spectacle vivant est le premier concerné. Il dépend fortement de subventions pour exister, et cela depuis la Grèce antique : à l'époque, le théâtre était subventionné par les citoyens les plus riches, afin que les modestes puissent y accéder gratuitement. Plus tard, Molière n'aurait sans doute pas été aussi prodigue s'il n'avait pas obtenu, malgré ses irrévérences, le soutien de Louis XIV.

Pendant des siècles, dans toutes les civilisations, les pouvoirs publics ont cherché à purger les passions populaires par des représentations théâtrales cathartiques.

Je doute que l'on puisse parvenir à un modèle économique rentable, qui permette de rendre le théâtre autonome de subventions. Et je redoute de voir se généraliser la censure budgétaire et politique.

Malgré tout, l'État a le pouvoir de mettre les lieux culturels à l'abri des pressions immobilières. Nombre d'entre eux sont menacés de fermeture : le théâtre du Cerisier à Bordeaux, le cinéma Le Luminor à Paris, le centre d'art Montevideo à Marseille, pour ne citer qu'eux. Appliquons l'ordonnance du 13 octobre 1945, qui protège les lieux de spectacle.

D'autres secteurs se portent bien, mieux que le théâtre, heureusement.

Je pense au cinéma, après que les spectateurs ont retrouvé le chemin des salles. Dans ce domaine, nos attentes sont d'une autre nature. J'espère que l'Assemblée nationale examinera la proposition de loi que nous avons fait adopter au Sénat, qui conditionne les aides du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS).

Madame la ministre, vous avez dit à raison être à la tête d'un ministère régalien. On oublie parfois que la culture revêt une forte dimension diplomatique. De ce point de vue, la baisse de 12,4 % des crédits affectés aux services culturels des ambassades constitue un coup dur pour l'influence culturelle française et pour la paix.

Si je souhaitais en revanche saluer votre effort en faveur du patrimoine, avec des crédits supplémentaires très attendus dans les territoires, force est de constater que, depuis cette nuit, la culture est de nouveau sacrifiée.

Nous attendions plus d'un budget pour la culture. Nous attendions que celui-ci traduise un nouveau souffle, qu'il réponde aux aspirations en faveur d'une plus grande diversité culturelle, et ce dès le stade de la création.

Les freins liés à l'origine sociale doivent être combattus, à l'instar de ce qui se fait en matière d'exonération des frais d'inscription pour les étudiants boursiers.

Le revenu de remplacement pour les artistes auteurs que nous proposons va dans le même sens, celui de reconnaître le travail dans les carrières artistiques. D'autres États européens, comme la Belgique, se sont dotés de tels moyens.

Il faut également agir au stade de la diffusion.

Dans le secteur des arts visuels, les aides sont insuffisamment ciblées sur les petites structures émergentes. Elles profitent souvent à des acteurs économiques extrêmement puissants, par le biais des aides fiscales aux fondations et aux mécènes. Dans un rapport de 2018, la Cour des comptes en établissait déjà les limites. La gratuité de l'accès pourrait être exigée en compensation des aides publiques consenties.

Enfin, une réflexion doit s'ouvrir sur la notion de patrimoine et de matrimoine. Le souci de mieux représenter les femmes artistes dans les collections et les expositions publiques a finalement permis de nets progrès en la matière.

Notre patrimoine muséal doit aussi s'expurger de son passé colonial. Votre budget n'anticipe pas les moyens nécessaires à l'adoption du projet de loi-cadre de restitution des biens coloniaux, alors même que c'était une promesse du chef de l'État.

Dans les territoires ultramarins, le manque de visibilité culturelle nourrit le sentiment d'oubli. À nous de célébrer la diversité comme un formidable moteur de créativité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mmes Colombe Brossel et Marie-Pierre Monier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel. (Mme Marie-Pierre Monier applaudit.)

Mme Colombe Brossel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'avais préparé une intervention écrite qui saluait un certain nombre d'avancées, regrettait un manque d'ambition et revenait en détail sur tel ou tel sujet.

Cependant, par la grâce d'un amendement nocturne,…

M. Max Brisson. De deux amendements !

Mme Colombe Brossel. C'est vrai, cher collègue !

Par la grâce de deux amendements nocturnes, donc, même si nous avons désormais l'habitude de voir déposer des amendements quelques heures à peine avant l'examen du budget, je suis, comme tout le monde, contrainte de reprendre mon texte.

Dans cette intervention, je faisais état d'une forme de déception, de la part de l'ensemble du secteur culturel et des élus que nous sommes, sur le budget, qui traduisait un manque de soutien affirmé, constructif, positif aux artistes et aux acteurs de la création culturelle.

Il est extrêmement préoccupant de constater, et nous avons eu l'occasion de travailler le sujet au sein de la commission, qu'un tel manque de soutien fait peser un lourd poids sur la liberté de création elle-même.

Je renvoie d'ailleurs au travail d'évaluation de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP), mené par nos collègues Sylvie Robert, Else Joseph et Monique de Marco, qui avaient alors pointé un certain nombre d'éléments intéressants de ce point de vue.

Dans mon intervention initiale, je saluais, parce que telle est son habitude, au-delà de ses interrogations, frustrations ou doutes, notre commission et le travail constructif qu'elle mène, notamment, sur les écoles d'art, les scènes de musique actuelles et les festivals.

Cependant, quelques heures avant l'examen du budget, un amendement est arrivé visant à minorer de quelque 130 millions d'euros les crédits de la mission « Culture ». Cela appelle de ma part deux remarques, sur le fond comme sur la forme.

Sur le fond, nous avions une interrogation, à défaut d'avoir une réponse, sur la place accordée aujourd'hui par le Gouvernement à la culture comme outil d'émancipation individuelle et collective, comme instrument de construction du commun, comme engagement de liberté qui permet de faire Nation, de faire République aussi, et ce n'est pas rien dans le monde actuel.

Mais quel manque d'ambition, madame la ministre ! Alors que, en ce moment même, des collectivités territoriales sont en train de « raboter » – pour reprendre le mot à la mode depuis trois jours – les crédits qu'elles consacrent à la culture, à la création, vous venez nous proposer, au travers d'amendements nocturnes, une baisse de crédits qui va accélérer un tel désengagement.

Parmi les collectivités territoriales, qui, par ailleurs, sont contraintes à des exercices budgétaires difficiles, certaines ne manqueront pas de trouver dans cette absence d'ambition de l'État en matière de création culturelle un moteur et une raison supplémentaire pour poursuivre leur désengagement financier dans ce domaine.

Ces amendements nocturnes sont donc finalement bien plus graves que ce qu'ils tendent à porter en tant que tels. Ils mettent le feu aux poudres.

Dans le dispositif qui nous est proposé, on trouve une application très bizarre de la règle de trois, qui m'échappe totalement. Lorsque le gouvernement précédent – il faut suivre ! (Sourires.) – visait 5 % de déficit, on baissait de 90 millions d'euros le budget de la culture. Maintenant que le gouvernement actuel vise 5,4 % de déficit, on réduit le même budget de 130 millions d'euros.

Voilà une règle mathématique qui me laisse pensive après tant d'années d'études de l'économie : comprenne qui pourra… (M. Max Brisson s'exclame.)

Dans cet exercice mathématique et budgétaire pour le moins étrange, il n'y a qu'un seul sujet, finalement, qui est préservé par le Gouvernement : c'est le pass Culture.

Mes chers collègues, nous avons tous porté, certes à des degrés différents, le besoin d'un débat et d'un travail approfondis sur le pass Culture, en redisant qu'il était, non pas une politique culturelle à part entière, mais un outil de politique culturelle, et qu'il convenait que les rapports d'évaluation successifs publiés en la matière ne soient ignorés ni par les parlementaires ni par le Gouvernement.

Eh bien, finalement et bizarrement, les crédits du pass Culture ne subissent une baisse que de 5 millions d'euros, alors qu'il pouvait être envisagé de travailler à une solution permettant de préserver ce qui doit l'être – la table ronde évoquée par Karine Daniel était éclairante de ce point de vue –, tout en ayant le souci de la bonne gestion des deniers publics.

Sur la forme, je ne puis m'empêcher, au troisième jour de la reprise de nos débats budgétaires, de souligner le mépris qui s'exprime à l'encontre non seulement de l'ensemble de ceux qui font vivre la culture dans notre pays, mais aussi des parlementaires que nous sommes.

Quel mépris pour le travail que nous menons au sein des commissions, pour toutes les tables rondes et les auditions organisées, pour tout le travail fourni par les rapporteurs et auquel ils associent l'ensemble des élus !

Depuis trois jours, nous voyons se succéder à cette tribune des ministres qui nous disent : « Rassurez-vous, nous allons très bien travailler et nous concerter avec le Parlement. » Je leur répondrai : « Nous avons bien compris vos éléments de langage, chers amis, mais, en réalité, vous piétinez le Parlement ! »

Nous ne pourrons pas rester muets face à un tel mépris pour l'ensemble de ceux qui font la culture et pour les parlementaires. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Monique de Marco applaudit également.)

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Oh là là, que de grands mots !

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme cela a été dit avant moi, il est bien difficile de s'y retrouver dans les crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, que nous examinons aujourd'hui.

Malgré un contexte éminemment défavorable pour les finances publiques et en dépit des efforts demandés à l'ensemble des services de l'État, il est indispensable que le Gouvernement sanctuarise le budget du ministère de la culture.

La mission « Culture » doit en effet disposer de moyens adaptés pour répondre aux priorités portées par l'État, en premier lieu l'accès à la culture pour tous dans tous les territoires.

Pour mémoire, le programme 131 soutient la diversité et le renouvellement de l'offre artistique en matière de spectacle vivant et d'arts visuels et le programme 361 porte les politiques du ministère en matière de transmission des savoirs et de démocratisation de la culture, tandis que le programme 175 finance la préservation et l'enrichissement du patrimoine.

Avec la diminution de ces crédits, exigée par Bercy et concrétisée la nuit dernière, comment pourrons-nous dégager les moyens nécessaires à la création artistique, aux établissements de l'enseignement supérieur dédiés à la culture, aux dispositifs d'éducation artistique et culturelle et à la préservation de nos monuments historiques ?

La question se pose d'autant plus que le budget affecté à la culture ne prend pas en compte l'inflation. Or celle-ci agit depuis plusieurs années comme une lame de fond et met à mal les structures culturelles en diminuant leur capacité de mener à bien leurs activités de création et de diffusion.

Par ailleurs, la participation à la réduction du déficit public imposé par l'État aux collectivités territoriales dans le cadre du PLF pourrait bien augurer de lendemains difficiles, non seulement pour la création et les structures de diffusion, mais aussi pour l'emploi artistique, avec la dégradation inévitable de la situation des intermittents du spectacle.

À cet égard, madame la ministre, je vous remercie d'avoir obtenu la mobilisation d'un fonds d'urgence pour soutenir les spectacles vivants les plus en difficulté.

Les établissements concourant à la transmission des savoirs sont, comme les structures labellisées, dans une situation critique. Ces difficultés, qui affectent aussi bien les écoles supérieures d'art que celles d'architecture, sont de nature tant conjoncturelle que structurelle. Ce sont d'ailleurs les mêmes que celles qui sont rencontrées par les établissements culturels : augmentation des charges fixes et soutien financier institutionnel insuffisant.

Malgré les alertes lancées année après année, l'enseignement supérieur de la culture s'enfonce dans une crise dont on ne voit pas la fin. Un plan de refinancement s'avère nécessaire pour les écoles supérieures d'art et un véritable cap doit être donné aux écoles nationales supérieures d'architecture.

S'agissant du pass Culture, j'avais eu l'occasion, l'année dernière, de saluer son succès indéniable. Il permet à de nombreux jeunes d'accéder aux biens culturels de leur choix.

J'avais toutefois appelé à des ajustements, afin qu'il ne demeure pas un simple « chèque consommation », mais qu'il permette à chaque jeune de développer et diversifier ses pratiques culturelles.

Dans ce cadre, je ne peux que partager votre ambition, madame la ministre, de réformer la part individuelle du pass Culture, dans l'objectif de favoriser la diversité des parcours culturels des jeunes issus des milieux les plus modestes.

En ce qui me concerne, j'avoue que ma préférence allait plutôt à un renforcement de la part collective, plus à même de faire découvrir à nos collégiens des terres inconnues.

Enfin, je soulignerai que l'action du ministère de la culture en matière patrimoniale doit être poursuivie, tant les besoins d'investissement sont importants.

Dans mon département, l'Essonne, des bâtiments classés sont menacés en raison d'un manque d'entretien. C'est notamment le cas d'édifices religieux remarquables, qui doivent, comme tant d'autres, patienter sur la longue liste des monuments à restaurer et à préserver.

Si je ne méconnais pas la nécessité de mener à son terme l'extension du site des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine et d'engager la rénovation en profondeur du centre Pompidou, j'espère cependant qu'une part non négligeable des crédits du programme 175 sera destinée à la restauration des monuments et édifices protégés de nos villes et de nos villages.

Il faut continuer de mener une action énergique et de longue haleine, comme le suggéraient nos collègues Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon dans leur excellent rapport d'information. (Mme Gisèle Jourda applaudit.)