Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. François Patriat. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce stade de la discussion, et compte tenu de l’unanimité assez rare qui règne sur le sujet, nous n’éviterons pas les redites. Mais ce qui compte, c’est l’unité de la Nation face à ce péril, qui nous menace tous.

Nous ne pouvons pas, madame la ministre, monsieur le ministre, demander à nos agriculteurs de respecter des normes et à nos industriels d’œuvrer à la décarbonation de leurs activités tout en supprimant dans le même temps des droits de douane sur les biens qui ne respecteraient pas ces règles. C’est pourtant cette position schizophrénique que nous demande d’accepter la Commission européenne sur l’accord avec le Mercosur.

J’ai entendu les positions de chacun, mais je rappelle ici que le Président de la République a pourtant été clair à maintes reprises : « […] cet accord tel qu’il a été conçu et pensé, ne peut pas être compatible avec notre agenda climatique et de biodiversité ». Cette phrase, prononcée en 2021, témoigne que la France n’a pas attendu ces derniers mois pour s’opposer à cet accord.

Alors que certains médias et oppositions cherchent une nouvelle fois à rompre l’unité nationale que nous devons avoir en la matière, je tiens à rappeler que le président de la République a toujours et invariablement défendu la position française : celle d’un refus clair et sans tergiversation de l’accord tel qu’il est aujourd’hui présenté par la Commission européenne.

La France se bat chaque jour dans les négociations pour protéger les secteurs qui risquent de pâtir de l’accord, notamment certaines de nos filières agricoles et alimentaires. Nous ne transigerons pas sur le respect de nos normes environnementales et sanitaires, comme sur la mise en œuvre effective de l’accord de Paris sur le climat.

Sur ce dernier point, nous faisons face à un blocage supplémentaire : l’Organisation mondiale du commerce. Elle n’utilise pas l’accord de Paris dans les accords de libre-échange. La solution paraît alors toute trouvée. Il suffirait que cet accord sur le climat soit transcrit par l’OMC. De la sorte, il ferait partie intégrante des accords commerciaux dans le monde.

Or, ni la Chine, ni les pays du Mercosur, ni – et encore moins – les États-Unis, avec le retour de Donald Trump au pouvoir, ne veulent de cette retranscription, source d’une modification profonde du commerce mondial et de son fonctionnement actuel.

Pourtant, nous ne pouvons clairement pas accepter que 99 000 tonnes de bœufs, 180 000 tonnes de volailles et 25 000 tonnes de porcs par an entrent en Europe à un taux préférentiel de 7,5 %, contre 40 % aujourd’hui, sans respecter les normes européennes – cela a déjà été souligné à maintes reprises – qui s’appliquent à nos agriculteurs.

Reconnue pour son excellence, notre production se distingue par sa fiabilité, grâce à la qualité, notamment sanitaire et environnementale, de nos exploitations et à la stabilité de leur rendement.

En appliquant l’accord avec le Mercosur, nous créerons automatiquement une concurrence déloyale pour nos éleveurs, mettant en danger l’agriculture française, qui fait notre fierté et garantit notre souveraineté alimentaire.

En défense, la Commission européenne argue que ces produits importés ne seraient pas de nature à déstabiliser les filières européennes, car ils ne représenteraient que 1,6 % de la production européenne, atténuant le risque économique pour les éleveurs. Elle oublie de dire que les accords de libre-échange, y compris le Mercosur, ne portent que sur des pièces nobles de la carcasse, les filets, les faux-filets ou encore l’entrecôte, que les marchés européens peinent déjà à absorber.

Depuis une vingtaine d’années, les habitudes ont en effet évolué vers une plus grande consommation de viande hachée au détriment des pièces nobles. C’est vrai en Europe, mais également aux États-Unis et en Amérique du Sud. Ainsi, les pays du Mercosur ont, eux aussi, une consommation principalement axée sur la viande hachée et préfèrent exporter en Europe leurs pièces nobles à haute valeur ajoutée, leur permettant de marger plus sur leurs exportations.

La conséquence pour les éleveurs européens est colossale. Contrairement à ce qui nous est annoncé – un taux de 1,6 % –, les pièces exportées dans tous les accords de libre-échange cumulés, en y ajoutant le Mercosur, représenteraient 25 % de la consommation des pièces nobles en Europe. Cette concurrence directe et déloyale enlèverait définitivement toute compétitivité aux éleveurs français et européens. À terme, nous risquons la disparition de nos productions, au profit d’une consommation de produits importés aux normes sanitaires non conforme à nos standards.

L’Union européenne interdit sur son sol les hormones de croissance depuis 1998 et, en théorie, l’importation de viande de bœuf et de volaille élevés avec ces produits. Mais, faute de traçabilité et de contrôle suffisants, Bruxelles ne peut pas garantir que la viande importée respecte ces obligations. De la même manière, les antibiotiques de croissance sont interdits dans l’Union européenne depuis 2006, mais aucune réciprocité ne s’applique.

Face à ces réalités, les avantages économiques présumés de l’accord ne peuvent pas être invoqués. Selon la dernière analyse commandée par la Commission européenne, un accord n’entraînerait que 0,1 % – je dis bien : 0,1 % – de croissance supplémentaire dans l’Union européenne à l’horizon 2032. Pour la France, l’accord serait même plutôt récessif. Dans son dernier rapport sur les effets potentiels du Mercosur, Stefan Ambec souligne que les gains économiques attendus de cet accord ne pourraient pas compenser ses coûts sanitaires et environnementaux.

Bien que cet accord ne nous soit pas profitable en l’état, nous ne pouvons pas non plus en faire une généralité et condamner ainsi tous les accords de libre-échange, comme je l’ai entendu à l’instant.

Les accords nous ont permis de croître et de faire rayonner hier et aujourd’hui nos produits, nos savoir-faire dans le monde entier. J’ai une pensée particulière pour un secteur qui, s’il reste silencieux, aurait gagné à la conclusion d’un accord commercial : la filière viticole. C’est vrai aussi pour d’autres filières. Les 27 % de droits de douane qui sont actuellement appliqués sur nos vins par les pays du Mercosur rognent les marges des viticulteurs.

Dans le contexte de hausse actuelle des droits de douane de la Chine et à venir des États-Unis, il est indéniable que l’ouverture d’un marché représentant 300 millions de consommateurs et 80 % du PIB de l’Amérique latine peut être une chance pour nos producteurs. C’est vrai également pour nos spiritueux, pour nos produits laitiers ou encore pour notre industrie automobile.

C’est pourquoi nous devons continuer à négocier pour inscrire dans ce contexte nos critères sanitaires et environnementaux, ainsi que les clauses miroirs indispensables.

Si l’accord venait à être signé en l’état, malgré l’opposition résolue de la France, cela marquerait un tournant important pour notre pays en Europe.

À l’inverse, le dossier a également valeur de test pour le futur de la politique de libre-échange de l’Union européenne alors même que le Commission entame son nouveau mandat. Il sera regardé de très près par les autres pays avec lesquels l’Union négocie les accords commerciaux. Nous sommes ainsi face à une question purement politique, et non seulement économique et commerciale.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite, comme le groupe RDPI, à vous prononcer unanimement contre l’accord en l’état et à donner toute la légitimité au Gouvernement en votant en faveur de sa déclaration et des actions qu’il a l’intention de mener. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées des groupes RDSE et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)

M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord sur le Mercosur étant en négociations depuis une vingtaine d’années, il m’est difficile de concevoir aujourd’hui la nécessité de se précipiter.

Entre le mandat donné à l’Union européenne par les États membres et aujourd’hui, le cadre a beaucoup changé. L’inflation normative a multiplié les exigences pour nos agriculteurs en Europe, particulièrement en France. Nos normes environnementales et sanitaires européennes ont aussi beaucoup évolué.

Nous ne pouvons pas non plus oublier le contexte national récent. Après les fortes mobilisations et manifestations agricoles du début d’année, l’imminence de la signature de l’accord remobilise les agriculteurs, exténués par le sentiment d’être encore une fois la variable d’ajustement.

Le volet agricole inquiète particulièrement en France, car la ferme France n’est plus aussi compétitive. De deuxième exportateur mondial de produits agricoles au début des années 2000, la France a dégringolé et se situe désormais au sixième rang, avec une balance commerciale qui se dégrade fortement depuis.

Ce débat sur le Mercosur nous invite inévitablement à nous questionner, sur les conséquences, entre autres, de surtranspositions européennes en France. Nous avons voulu aller vite, très vite, trop vite pour l’environnement et la santé. Toutefois, dans un marché commun, si les autres ne nous suivent pas, cela revient à nous tirer une balle dans le pied.

Notre faible compétitivité est déjà visible à l’échelon européen. Nos contraintes sont plus lourdes que celles de nos voisins. Il est urgent d’aligner les normes françaises sur les normes européennes, afin d’éviter toute distorsion de concurrence interne à l’Union européenne et de pouvoir enfin discuter de ce traité commercial de manière cohérente avec nos alliés européens.

Jusqu’alors fierté nationale, notre agriculture semble aujourd’hui déconsidérée. Le Mercosur n’en est pas la cause, mais il pourrait briser un peu plus encore la compétitivité de notre agriculture française. Si l’accord est signé, il deviendra l’accord de libre-échange le plus important conclu par l’Union européenne, en lui ouvrant un marché de 780 millions d’habitants.

Or nos normes sanitaires et environnementales sont aux antipodes : antibiotiques, agriculture intensive, faible traçabilité, déforestation, utilisation de pesticides interdits, etc. Nous ne pouvons pas enclencher une telle marche arrière.

La suppression de la majorité des droits de douane fait dès lors craindre une déstabilisation de certaines de nos filières agricoles européennes face à cette concurrence déloyale, car nous ne nous jouons pas de facto avec les mêmes règles.

La signature de cet accord en l’état aurait des conséquences sur nos filières de viande bovine, de sucre ou encore de volaille, et fragiliserait nos exploitations, qui n’ont réellement pas besoin de cela en ce moment.

Nous entendons que certains aspects de cet accord pourraient offrir des possibilités, y compris pour certaines filières agricoles. Le vin, les spiritueux, le fromage pourraient en tirer profit. C’est également le cas d’autres secteurs et services à forte valeur ajoutée, comme la chimie, les produits pharmaceutiques ou encore l’automobile. Un accord de libre-échange facilitera l’import de métaux rares, indispensables aussi à nos économies pour l’électronique, le numérique et même les voitures électriques.

Les crises de ces dernières années, climatique, sanitaire ou liée à la guerre d’agression russe contre l’Ukraine, de même que les tensions géopolitiques actuelles et la menace d’une nouvelle guerre commerciale avec la Chine et les États-Unis nous incitent à diversifier nos partenariats.

Aujourd’hui, trouver de nouveaux débouchés pour notre économie, limiter notre dépendance économique à quelques acteurs, trouver des solutions pour le secteur stratégique est, certes, nécessaire pour pouvoir résister aux menaces extérieures.

Certains accords commerciaux, comme l’accord économique et commercial global (Ceta), ont pu se révéler bénéfiques. Les échanges bilatéraux de biens entre l’Union européenne et le Canada ont augmenté de 51 % entre 2017 et 2023 et de 34 % entre la France et le Canada. Par l’activation d’une clause de sauvegarde réellement garantie, nos exigences sanitaires ont pu être respectées ; nous l’avons vu dans le secteur bovin.

Mais l’accord avec le Mercosur n’est pas le Ceta, et nous ne voulons ni sacrifier notre agriculture et nos agriculteurs, qui sont un des joyaux de notre pays, ni transiger sur nos ambitions environnementales.

Le commerce international peut se révéler une chance, pour peu que les règles du jeu soient équitables.

Aujourd’hui, nous entendons l’inquiétude de nos agriculteurs. Nous ne sommes pas favorables à ce jour à un accord avec les pays du Mercosur, en tout cas en l’état.

Nous avons besoin de réassurances sur différents aspects. Nous devons ainsi nous donner les moyens de réaliser de manière régulière les contrôles sanitaires existants et renforcer la traçabilité et avoir réellement la possibilité d’activer la clause de sauvegarde en cas de besoin. Par ailleurs, des clauses miroirs sont indispensables. Il faut également que les droits fondamentaux du travail soient respectés. Enfin, nous devons véritablement mettre en œuvre l’accord de Paris sur le climat. Ces points sont déterminants.

Nous comptons sur la France et sur ses partenaires européens pour lever nos inquiétudes et trouver une solution équilibrée, sans nous diviser.

La France, sous l’impulsion du Président de la République et du Gouvernement, n’est plus isolée sur la scène européenne. Hier, c’était la France. Aujourd’hui, il y a l’Italie et la Pologne. Qui y aura-t-il demain ? Nous souhaitons que se poursuivent les travaux entre l’Union européenne et le Mercosur et nous voulons être rassurés sur nos demandes, qui sont indispensables.

Nous ne pouvons pas, en l’état, soutenir la position de la Commission européenne. Il y va de notre souveraineté alimentaire. Nous voterons donc, comme nous y invite le Gouvernement, en faveur de sa déclaration. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous félicitons de la tenue de ce débat consacré au traité de libre-échange avec le Mercosur.

Depuis vingt-cinq ans, des négociations sont menées, dans l’opacité la plus totale, à l’abri des regards et des délibérations des peuples et des parlements nationaux, de part et d’autre de l’Atlantique.

Pis, la Commission européenne voudrait désormais scinder le texte pour permettre l’exécution provisoire de son volet commercial, soustrayant ainsi sa mise en œuvre aux votes des assemblées des États membres.

Je tiens à rappeler que, après que nous avons imposé, ici, au Sénat, un vote sur le Ceta, le précédent gouvernement a refusé de transmettre notre proposition de résolution à l’Assemblée nationale. Depuis, ce texte semble porté disparu. Mais où est-il ? Chers collègues de la droite sénatoriale, maintenant que certains d’entre vous sont devenus ministres (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.), il serait temps de laisser l’Assemblée nationale se prononcer sur ce que nous avons voté.

Nous partageons les inquiétudes des syndicats agricoles, des ONG et des peuples mobilisés unanimement contre cet accord avec le Mercosur. Les exploitations sud-américaines peuvent fournir des stocks d’importation sans équivalence possible pour l’agriculture française et européenne.

Si l’on ajoute ces quotas à ceux qui sont prévus par les dix-sept autres traités de libre-échange en cours, on fera face à un véritable dumping social et environnemental et à une mise en concurrence déloyale entre des systèmes de production très différents. Comment un éleveur de charolaises ou de limousines pourra-t-il rivaliser demain face aux éleveurs de bœufs sud-américains, mais aussi canadiens, néo-zélandais et de beaucoup d’autres pays ? Ce sera impossible !

L’aboutissement de ce traité empêcherait l’Europe de travailler à un nouveau pacte agricole, à une meilleure rémunération des paysans et à une alimentation de qualité accessible. Cet accord risquerait de creuser les profondes fractures du monde agricole des deux côtés de l’Atlantique et d’accroître la mainmise financière sur les sols et les productions.

Rien qu’au Brésil, le secteur agro-industriel prive déjà de terres près de quatre millions de petits paysans et multiplie les atteintes aux droits des populations autochtones.

Et la question sociale n’est pas la seule qui se pose. La finalisation de cet accord entraînerait également des effets dramatiques sur le climat. Pour les pays du Mercosur, il promeut un système de monoculture intensif, nocif pour nos sols, la biodiversité, l’Amazonie et la stabilisation du climat. Il entraînera, via des flux renforcés, une hausse de plus de 5 millions de tonnes des émissions de gaz à effet de serre, en favorisant le commerce de biens polluants, telles les voitures thermiques, interdites à la vente en Europe à partir de 2035.

Souhaitons-nous réduire notre impact environnemental afin de garantir aux futures générations une planète habitable ou ne cherche-t-on finalement qu’à délocaliser notre pollution hors d’Europe ?

Il en va de même pour l’exportation de produits chimiques, notamment des pesticides interdits en Europe. Chers collègues, comment justifier l’interdiction, légitime, de ces substances, qui contraint nos agriculteurs à modifier leurs pratiques pour protéger notre santé à toutes et tous, si elles sont autorisées dans les produits alimentaires importés ? Une mesure générale doit être prise d’urgence : l’interdiction des produits importés qui ne répondent pas à nos normes sociales et environnementales.

Les prétendus gains de pouvoir d’achat ne peuvent pas être obtenus au détriment de la qualité sanitaire de l’alimentation et de l’environnement.

Monsieur le ministre, nous ne nous contenterons ni d’« exigences additionnelles » sur le climat ni d’une vague renégociation, comme la Commission européenne l’envisage.

Les trompe-l’œil que sont les déclarations conjointes et autres protocoles additionnels, qui n’ont qu’une valeur déclarative, mais aucune force exécutoire, sont non pas des correctifs suffisants, mais de faibles somnifères qui permettent d’imposer la mise en œuvre à marche forcée de ce type d’accord.

L’entrée en vigueur de nouvelles exigences est trop incertaine, notamment si l’on tient compte de la situation géopolitique.

Si le président Lula est en rupture avec la ligne de son prédécesseur en matière d’environnement, le président Milei affirme que le réchauffement climatique est un mensonge, et juge « bidons » toutes « ces politiques qui accusent l’homme d’être responsable du changement climatique », et ce dans un pays où les services publics sont détruits, où la pauvreté explose et où les sécheresses et les incendies se multiplient.

La France et l’Union européenne ne peuvent raisonnablement pas soutenir le développement d’un modèle « extractiviste » et productiviste nocif à tous points de vue.

Malgré ce type de discours climatosceptiques, c’est bien vers un monde à +2,5° degrés Celsius que nous nous dirigeons. Il est donc nécessaire de repenser nos modes de production et de consommation.

Personne n’est dupe : les véritables bénéficiaires de cet accord seront les grosses multinationales européennes, désireuses de mettre le grappin sur de nouveaux marchés.

Ainsi, en prévision de l’entrée en vigueur de cet accord, Lactalis investit massivement au Brésil depuis 2019 pour y produire du lait qui, demain, sera exporté vers l’Europe. (M. Yannick Jadot marque son approbation.) Dans le même temps, le groupe laitier réduit en conséquence sa collecte sur le sol français. Près de trois cents petits producteurs sont d’ores et déjà laissés sur le carreau.

Quel modèle agricole européen voulons-nous et, au-delà, quel modèle de développement humain ? Souhaitons-nous répondre aux besoins de la population ou permettre aux groupes agro-industriels d’accroître leurs bénéfices en produisant là-bas pour réimporter ici ?

Si Emmanuel Macron a fait part de son opposition à l’aboutissement des négociations, pourquoi le mandat de négociation français n’a-t-il pas été révoqué ? N’est-ce pas une opposition de façade ? Le volet agricole de ce traité a-t-il déjà été accepté par la Commission ?

Quelle cohérence y a-t-il encore à voter des lois de régulation imparfaites, comme la loi Égalim, si de tels traités viennent tout balayer ?

J’ajoute qu’il est bien hypocrite de prétendre devant les caméras se soucier de l’environnement quand l’on vote à Bruxelles pour le report de la directive interdisant les produits importés issus de la déforestation. (M. Yannick Jadot acquiesce.)

M. Fabien Gay. En somme, ce traité a besoin pour aboutir d’une opacité totale. Il protège non pas les peuples, mais les profits des multinationales européennes, qui cherchent de nouveaux débouchés, à l’heure où les États-Unis développent un protectionnisme agressif contre nos industries.

Pour notre part, nous refusons d’aggraver ce système de prédation fondé sur l’appropriation des fruits du travail et sur des discriminations systémiques envers les femmes, les autochtones et les travailleurs étrangers.

À la violence de la libre circulation des capitaux et des marchandises, nous préférons un nouveau type de coopération avec les peuples du Mercosur, qui commencerait par la reconnaissance et la réparation de la dette coloniale que nombre de pays européens ont creusée dans ces pays. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Tout rapprochement devrait être fondé sur les valeurs de solidarité, d’égalité et d’équité, et déboucher sur des investissements vertueux participant à l’indispensable bifurcation environnementale, afin de garantir une bonne vie pour toutes et tous, de chaque côté de l’Atlantique.

Enfin, nous considérons que, sans majorité sociale et politique, l’actuel gouvernement doit œuvrer pour l’abandon de ce projet de traité de libre-échange. (Applaudissements sur les travées.)

En conséquence, nous voterons cette résolution afin de vous donner mandat, madame la ministre, de le refuser. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST. – MM. Henri Cabanel et Michel Masset applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Jadot, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Yannick Jadot. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, quelle unité ! C’est notre moment « JO de Paris ». J’en suis heureux, car l’unanimité n’a pas toujours été au rendez-vous, y compris sur cet accord. J’en suis particulièrement heureux aussi, car selon moi, il n’est pas trop tard.

Oui, l’accord commercial UE-Mercosur est un accord « dinosaure ». Il a été conçu à une époque où l’on parlait peu du dérèglement climatique, des pollutions chimiques, de l’explosion des cancers, de la malbouffe ou encore de la souffrance animale.

Il a été conçu à une époque où les gouvernements assumaient d’abandonner les classes populaires ici pour les exploiter là-bas, de l’autre côté de la planète, et assumaient de faire de chaque hectare de terre, et bientôt de chaque parcelle d’intimité, une marchandise à vendre, à exploiter, sur le seul critère de sa rentabilité.

Nous n’étions pas si nombreux, alors, à dénoncer non pas l’idée d’un commerce international juste et équilibré, mais l’explosion des accords de libre-échange qui, nous le savons, nous ont rendus dépendants, vulnérables et nous ont affaiblis économiquement, socialement, environnementalement et, de plus en plus, politiquement.

Voilà maintenant un quart de siècle que cette négociation a été lancée. Voilà maintenant un quart de siècle que l’Amazonie disparaît, au point d’avoir perdu une surface équivalente à celle de la péninsule ibérique. Et pendant ce dernier quart de siècle, plus de 200 000 fermes ont aussi disparu dans notre pays.

Cet accord, c’est la mondialisation du dérèglement climatique, de l’effondrement de la biodiversité et de l’extinction des espèces ; c’est la mondialisation de la disparition des paysans ici et là-bas ; c’est la mondialisation de la malbouffe et de la souffrance animale.

Cela a été maintes fois rappelé : sur le demi-millier de pesticides qui sont utilisés particulièrement au Brésil et en Argentine, près de cent cinquante sont interdits en Europe.

D’ailleurs, lorsque Bolsonaro était au pouvoir, il n’a pas simplement incendié l’Amazonie au service de l’agrobusiness du soja et de la viande, il a aussi autorisé de nombreux pesticides extrêmement dangereux.

Milei fera certainement de même, et pourrait également sortir l’Argentine de l’accord de Paris. Comme quoi l’extrême droite n’intoxique pas seulement les esprits et le corps social, elle contamine nos organismes et l’ensemble du vivant.

Il en va de même des accélérateurs de croissance, antibiotiques et hormones, qui sont courants dans les pays membres du Mercosur, mais interdits chez nous.

Et je ne parle même pas de la souffrance animale absolument dramatique dans les abattoirs – ceux qui en ont déjà visité au Brésil le savent –, où sévit par ailleurs le travail forcé.

Pour toutes ces raisons, nous nous opposons bien sûr à cet accord, et ce depuis toujours.

Mes chers collègues, la quasi-unanimité qui règne sur nos travées est incontestablement une force qui doit résonner jusqu’à Bruxelles et y être entendue.

Dans la lettre ouverte que j’ai écrite à Ursula von der Leyen et que vous avez été très nombreux à signer, nous avons alerté la Commission européenne et le Conseil sur les conséquences d’une éventuelle adoption de cet accord malgré l’opposition de la France.

Elle entraînerait, dans un pays qui se trouve déjà sous la menace politique d’un populisme anti-européen, une déflagration démocratique peut-être aussi forte que celle que nous avons connue voilà vingt ans, au moment de la signature du traité constitutionnel européen (TCE).

En effet, si nous nous opposons à cet accord, c’est aussi pour des raisons démocratiques : premièrement, parce que la Commission a toujours refusé de renégocier le mandat de négociation, qui remonte pourtant à 1999 ; deuxièmement, parce que le contenu de cet accord d’association n’est accessible ni aux citoyens ni aux parlementaires que nous sommes ; troisièmement enfin, parce que la Commission envisage de scinder l’accord en deux parties, afin de contourner les parlements nationaux.

Je l’ai dit, notre quasi-unanimité est une force. Toutefois, elle nous oblige si nous voulons convaincre. Elle nous oblige à être crédibles, mais aussi cohérents.

La cohérence suppose d’abord de ne pas exporter ce que nous refusons d’importer. Vous le savez, nous produisons sur notre territoire des pesticides que nous interdisons à nos agriculteurs, mais que nous exportons malgré tout.

Ces pesticides sont dangereux pour notre santé – c’est pourquoi nous les interdisons –, mais nous considérons qu’ils ne le sont pas pour les paysans de l’autre côté de la planète… Et au bout du compte, ces produits reviennent dans nos supermarchés au travers de nos importations.

Madame la ministre, la loi Égalim est censée interdire la production et l’exportation des pesticides qui sont interdits en France. Le ministre Béchu s’était engagé à rendre opérante cette interdiction. Nous attendons toujours !

Sur les 7 300 tonnes de pesticides interdits chez nous que nous avons exportées en 2023, la moitié avait pour destination – je vous le donne en mille – le Brésil !

Nous ne pouvons pas utiliser l’argument de la dangerosité de molécules chimiques qui nous menaceraient pour refuser de les importer si, dans le même temps, nous continuons de les exporter.

Madame la ministre, je vous le demande : mettez fin à cette funeste hypocrisie !

La cohérence suppose ensuite de ne pas faire subir aux paysans du Mercosur et d’ailleurs ce que nous refusons d’infliger à nos paysans.

En exportant de la poudre de lait, nous mettons en effet en péril l’activité de petits producteurs brésiliens et d’ailleurs, qui sont souvent regroupés dans des fermes familiales et qui iront grossir les favelas. De fait, nos exportations de poudre de lait remettent en cause la souveraineté alimentaire des régions concernées.

Parlons justement de la souveraineté alimentaire. Il s’agit d’un slogan intéressant, auquel chacun désormais se réfère.

Pour nous, la souveraineté alimentaire n’est pas un concept cynique et mercantiliste. Nous n’avons ni le fantasme d’une agriculture française qui nourrirait la planète ni celui d’une compétitivité acquise à coups de subventions publiques, au mépris des revenus des paysans, de l’environnement, de la santé, des territoires, des terroirs et de l’alimentation.

La souveraineté alimentaire que nous défendons depuis les années 1990, c’est le droit pour un pays ou pour une communauté de pays de décider démocratiquement de l’organisation de son agriculture et de son alimentation, notamment pour éviter de dépendre excessivement de l’extérieur, y compris pour les intrants, les pesticides et autres semences.

Pour nous, la souveraineté alimentaire revient à privilégier systématiquement les producteurs, les consommateurs et les citoyens au détriment – c’est très clair – de l’agro-industrie, de l’agroalimentaire et de l’agrochimie.

Mes chers collègues, notre dernier enjeu de cohérence est celui du choix de notre modèle agricole. On ne peut pas refuser un jour les importations au nom d’une agriculture européenne plus vertueuse pour en sacrifier le lendemain les vertus.

En arrivant au pouvoir, Bolsonaro et Trump ont directement attaqué les agences publiques chargées de la protection du climat, de la santé et de la biodiversité.

Je regrette pour ma part très sérieusement les discours et les propositions qui remettent en cause la science de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) ou encore le travail de l’Office français de la biodiversité (OFB), en livrant ces organismes aux attaques et, parfois, aux violences d’une minorité. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

À cet égard, madame la ministre, j’aurais aimé vous entendre, pas simplement dénoncer les violences qui ont émaillé certaines manifestations, mais soutenir les agents publics de l’OFB.