Mme la présidente. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Mathieu Darnaud. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui afin de nous prononcer, à la demande du Gouvernement, sur l’accord négocié par la Commission européenne avec les pays du Mercosur.
Cette situation est inédite à plusieurs titres et doit nous pousser à une réflexion collective sur le processus qui nous y a amenés.
Cette situation est inédite, parce qu’il nous est demandé de nous prononcer sur un projet d’accord, dont les négociations ont débuté voilà vingt-cinq ans. Elle est aussi inédite, parce que, en lieu et place du large assentiment qu’il devrait recevoir, il fait sur nos travées l’unanimité contre lui. Elle est enfin inédite par le danger que fait peser cet accord sur notre souveraineté alimentaire et l’incompréhension qu’il susciterait dans le monde agricole.
Depuis son arrivée à la tête de la Commission européenne en 2019, Mme von der Leyen proclame que la politique commerciale doit entrer dans une nouvelle ère et qu’elle souhaite incarner une Commission « géopolitique ». Nous ne saurions mieux demander.
Nos concitoyens ont depuis longtemps constaté par eux-mêmes certains effets néfastes de la politique commerciale pratiquée par la Commission européenne.
Pour autant, le monde n’est plus celui d’il y a vingt-cinq ans. La compétition internationale s’est intensifiée. Les acteurs se sont multipliés, de nouvelles puissances ont émergé. D’autres enjeux, les questions environnementales en tête, sont venus s’ajouter à l’équation.
Nous n’avons pas aujourd’hui le même recul sur le libre-échange qu’en 1999.
De fait, la politique commerciale commune, l’un des piliers de la construction européenne, doit, elle aussi, évoluer radicalement. La puissance commerciale que représente l’Union européenne doit nous permettre de corriger les défauts de ce type d’accord.
Il est l’heure pour l’Europe de mettre fin aux dépendances qui affectent sa souveraineté, de sortir de la naïveté dans laquelle elle s’est réfugiée et enfin de défendre résolument les intérêts des Européens, des consommateurs, de nos entrepreneurs, de nos industries et de notre agriculture.
La présidente de la Commission européenne tente de nous présenter cet accord comme une victoire du libre-échange. C’est plutôt un coup de massue donnée au monde agricole, en totale contradiction avec ce que l’Europe impose à ses propres agriculteurs depuis de nombreuses années.
À l’heure où le verdissement de la politique agricole commune et le Green Deal engagent notre agriculture dans une transition à marche forcée, comment comprendre les initiatives qui déstabiliseront nécessairement l’outil de production, affaiblissant davantage encore notre souveraineté alimentaire ?
Les agriculteurs subissent déjà les effets de la surtransposition des normes européennes et la chute de compétitivité qui l’accompagne. Cette tradition, typiquement française, nous condamnera demain à ne plus être acteurs de notre consommation.
Le projet d’accord n’est évidemment pas sans vertu : des secteurs et des industries européens, comme la chimie, l’automobile, le secteur pharmaceutique, bénéficieraient de nouvelles opportunités offertes par l’accord avec le Mercosur.
Face à l’exacerbation de la compétition internationale, face aux tensions géopolitiques qui perturbent toujours plus les chaînes de valeurs, il apparaît nécessaire de chercher à sécuriser nos approvisionnements stratégiques, notamment en matériaux critiques.
Songeons ainsi qu’il y a vingt ans l’Europe pesait encore 30 % de la production mondiale, alors que, d’ici à 2050, sa part sera tombée sous les 10 %. Gardons enfin en tête que, sur notre continent, 40 millions d’emplois sont liés aux exportations.
Cela saurait-il justifier le sacrifice d’un secteur aussi essentiel que celui qui conditionne notre souveraineté alimentaire ? Cela justifie-t-il de renoncer à une politique de concurrence fondée sur un principe aussi simple que celui de la réciprocité ?
Je le redis avec force : l’agriculture n’est pas une activité comme les autres, elle est un pilier de notre existence !
Après des décennies de prospérité, nous avons parfois tendance à oublier la place centrale de l’enjeu alimentaire. Tous les travaux de prospective le soulignent : il redeviendra chaque jour plus fondamental au cours de ce siècle.
Depuis plusieurs semaines, les agriculteurs de notre pays nous envoient un signal d’alarme sur leurs difficultés à exercer et à vivre de leur travail. Nous entendons leur appel et devons leur apporter des réponses concrètes et immédiates.
Pour cela, madame la ministre, nous comptons sur votre détermination et sur celle du Gouvernement afin d’avancer rapidement dans les prochaines semaines.
Cet accord représente tout ce que l’Union européenne peut faire de pire. En voulant permettre l’accès à de nouveaux marchés pour nos entreprises – c’est certes essentiel –, elle oublie toutes les valeurs et les objectifs qu’elle s’est fixés et qu’elle impose dans les frontières de l’Union européenne.
Dans l’ombre des discours sur la compétitivité, ce sont le monde agricole dans son ensemble et les consommateurs qui paieront le prix fort de cet accord !
En effet, nos industries et nos agriculteurs sont confrontés à toujours plus de normes, au nom de la nécessaire lutte contre le changement climatique, afin non seulement de protéger la santé de nos concitoyens, mais aussi d’assurer le bien-être animal.
Comment pourrions-nous alors importer des produits qui ne respectent pas ces normes ?
Comment tolérer que nous imposions à nos éleveurs de volailles de réduire la taille de leurs élevages pour ensuite autoriser les volailles de fermes usines brésiliennes ?
Comment accepter que nous demandions à nos éleveurs de viandes bovines de maintenir un élevage en pâturage pour ensuite avaliser l’import de viandes engraissées aux antibiotiques de croissance ?
Comment pourrions-nous interdire toute une série de pesticides à nos céréaliers, tout en approuvant du maïs brésilien traité par des produits interdits depuis plus de vingt ans en France ?
La Commission européenne assure qu’elle veillera au respect des normes sanitaires européennes pour l’importation des produits venant du Mercosur. Comment répondre à cette exigence sans mettre en place de véritables clauses miroirs ?
De même, comment ne pas être inquiet lorsque l’on connaît l’insuffisance des moyens consacrés aux contrôles douaniers à l’entrée du marché unique ?
La Commission européenne a elle-même reconnu dans un audit que le Brésil n’était pas en mesure de garantir que la viande rouge exportée vers l’Union européenne n’avait pas été dopée avec des hormones de croissance aujourd’hui interdites en Europe.
Il faut également garder à l’esprit les volumes que le Mercosur est capable de fournir dans ses secteurs de prédilection. Ils sont immenses !
Les quotas préférentiels que nous lui octroierons seront donc non seulement remplis, mais ils pourraient en outre stimuler encore davantage les filières d’exportation qui existent déjà vers l’Europe.
Enfin, la récente proposition de la Commission européenne de mettre en place un fonds de compensation agricole est un trompe-l’œil destiné à tenter de calmer la colère des agriculteurs. La Commission, qui n’est pas au rendez-vous des attentes des agriculteurs, sait que cet accord ouvre la porte à une concurrence déloyale.
Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre vote aujourd’hui réaffirmera notre engagement envers les agriculteurs pour leur permettre de travailler dans de meilleures conditions et pour empêcher la signature d’un accord mortifère pour notre souveraineté alimentaire.
Notre vote enverra également un message à destination de la Commission européenne, un message d’unité transpartisan des deux assemblées. C’est un point suffisamment rare dans notre pays pour être relevé, en particulier dans le contexte politique que nous connaissons.
Dès lors, il apparaît inconcevable que cet accord entre en vigueur contre la volonté de la France, seconde économie et première puissance agricole européenne.
Les traités européens sont très clairs, le mandat de négociation donné à la Commission européenne est encore plus explicite. Cet accord doit être ratifié à l’unanimité des États membres.
Je tiens sur ce point à rappeler qu’en début d’année le Président de la République s’était réjoui d’avoir réussi à suspendre les négociations en cours comme la France le demandait. Pourtant, aujourd’hui, nous n’avons jamais été aussi proches de la signature d’un accord.
Notre message sur ce point est d’une extrême clarté ! L’arrangement juridique envisagé par la Commission européenne, déjà malheureusement utilisé pour d’autres accords, consistant à scinder ceux-ci afin d’en mettre en œuvre les dispositions en se contentant de la majorité qualifiée, est inconcevable. Sur un sujet d’une telle importance, balayer d’un revers de main l’avis de la France, celui de sa représentation nationale, aurait donc nécessairement de profondes conséquences politiques.
L’exigence démocratique doit désormais conduire les autorités européennes, comme les gouvernements d’ailleurs, à associer beaucoup plus étroitement les Parlements nationaux au processus de négociation des accords.
Madame la ministre, monsieur le ministre, le Gouvernement doit continuer de s’opposer, avec toujours plus de fermeté, à cette manœuvre de la Commission européenne. Il doit en parallèle s’assurer d’amener davantage de partenaires européens à suivre notre position. À cet égard, nous nous réjouissons que le Gouvernement polonais nous rejoigne dans ce combat, ainsi que vous venez de l’annoncer, madame la ministre. Nous nous réjouissions que vous poursuiviez cet effort pour que d’autres parlementaires rejoignent la position française.
Mes chers collègues, aujourd’hui, nous réaffirmons collectivement que l’agriculture tient une place centrale dans notre société et qu’elle représente bien plus que l’image d’Épinal à laquelle on la cantonne bien souvent.
L’agriculture irrigue chacun de nos territoires, contribue au développement économique et à l’aménagement du territoire. Elle est à l’origine de traditions et de savoir-faire millénaires.
M. Guillaume Chevrollier. Tout à fait !
M. Mathieu Darnaud. L’agriculture est enfin le premier acteur de la transition écologique et la première victime du changement climatique.
Nous restons convaincus que ces accords peuvent être un relais de croissance puissant, un stimulant économique nécessaire et un outil diplomatique et stratégique fondamental pour la souveraineté de notre continent face aux tendances lourdes qui nous traversent.
En revanche, nous refusons avec fermeté un accord qui donne une prime à la concurrence déloyale sur nos marchés, qui va à l’encontre de tout ce que nous faisons pour protéger et améliorer le travail de nos agriculteurs et qui, finalement, emportera avec lui ce qu’il reste de notre souveraineté alimentaire.
Nous refusons de condamner les Français à consommer toujours plus de produits importés tout en faisant disparaître notre agriculture.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Mathieu Darnaud. C’est dans cet esprit que le groupe Les Républicains, qui partage la position du Gouvernement, se prononcera contre le projet d’accord avec le Mercosur. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP.)
MM. Max Brisson et Guillaume Chevrollier. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Didier Marie. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, en application de l’article 50-1 de la Constitution, le Gouvernement nous invite à un débat suivi d’un vote sur l’accord commercial de libre-échange que l’Union européenne s’apprête à signer avec le Mercosur.
À cette annonce, madame la ministre, monsieur le ministre, ma première réaction fut de m’interroger sur vos motivations, dès lors que nous attendons depuis 2019 l’inscription à l’ordre du jour du Sénat du projet de ratification du Ceta (Comprehensive Economic and Trade Agreement), traité fort semblable à celui dont nous débattons, qui a lui aussi suscité une forte contestation populaire et une mobilisation des agriculteurs, qui a été scindé en deux pour permettre l’application provisoire – depuis huit ans ! – de son volet commercial, et ce sans émouvoir particulièrement ni le Président de la République ni ses gouvernements successifs.
J’ai ensuite pensé qu’il s’agissait peut-être d’une prise de conscience de votre part, certes tardive, mais bienvenue, des dangers de ces accords de libre-échange, que vous preniez enfin en compte les demandes et les arguments que nous répétons depuis des années pour réorienter nos politiques d’échanges.
Nous pourrions aussi considérer, ce que nous n’osons imaginer, que nous sommes l’objet d’une manœuvre visant à nous associer symboliquement à un gouvernement en mal de majorité et suspendu à une possible censure. Peut-être même lui servons-nous de caution pour envoyer un message d’apaisement aux agriculteurs légitimement en colère ?
Je m’inquiète d’ailleurs de la signification du vote que vous nous demandez, n’ayant reçu aucune proposition écrite d’une éventuelle communication ou résolution. S’agit-il d’un soutien au Gouvernement, d’une adresse à la Commission européenne ou d’une rupture stratégique ?
En tout état de cause, nous ne souhaitons pas nous retrouver dans le rôle de l’idiot utile et nous vous invitons à vous souvenir à l’avenir du rôle du Parlement pour discuter des politiques et des positions que la France défendra au Conseil. Il ne s’agit pas seulement de recueillir notre soutien, il convient également de nous écouter : jusqu’à présent, vous ne l’avez pas fait, ou l’avez fait si peu, et votre initiative arrive malheureusement très tard, voire trop tard.
Que s’est-il passé depuis l’accord avorté de 2019 ? Rien ! Le compte n’y était pas ; il ne l’est toujours pas.
Rien, sinon que la France se trouve aujourd’hui isolée, comme en atteste sa perte d’influence en Europe. Onze États membres ont pris position en faveur de l’accord. Pour éviter un éventuel veto, la Commission européenne est prête à scinder celui-ci en deux. Il sera alors bien difficile à la France de mobiliser une minorité de blocage, malgré l’appui hier de la Pologne.
Rien, sinon que le Gouvernement a soutenu le report du règlement sur la déforestation, ouvrant ainsi une brèche dans l’accord et les négociations, et que le Président de la République a sonné le premier la charge contre la réglementation verte en Europe.
Voilà vingt-cinq ans que les négociations ont débuté, vingt-cinq années pendant lesquels le monde a changé.
Voilà vingt-cinq ans que le dérèglement climatique s’est accéléré, que le protectionnisme américain est plus que jamais affirmé, que la guerre commerciale entre la Chine et le reste du monde s’intensifie, que le multilatéralisme est en panne, à l’image de la paralysie de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et que nous connaissons une guerre d’agression à nos portes.
Voilà vingt-cinq ans que l’Union européenne dispose d’un mandat de négociation totalement obsolète, que les problèmes de fond posés par l’accord de 2019 sont connus et restent d’actualité.
Tout d’abord, cet accord est dangereux pour notre agriculture et notre souveraineté alimentaire.
Le fossé entre le cadre réglementaire européen et la pratique dans les pays du Mercosur sur les normes environnementales, sanitaires et de bien-être animal représente un double risque, économique pour nos agriculteurs, soumis à une concurrence déloyale, et sanitaire pour les consommateurs européens.
Alors que l’Union européenne a acté des positions ambitieuses pour faire évoluer notre agriculture, avec le Pacte vert et la stratégie de la ferme à la fourchette, autoriser aujourd’hui des produits ne respectant pas nos normes serait un terrible désaveu pour nos agriculteurs, qui n’ont comme ambition que de nous nourrir sainement.
Ainsi, la quantité de pesticides utilisés au Brésil est deux fois plus importante qu’en France et 145 d’entre eux sont interdits en Europe, car dangereux et cancérigènes. Les limites maximales de résidus sont dans la plupart des cas plus élevées que ce qu’autorisent les normes européennes. De même, les activateurs de croissance et les antibiotiques sont largement répandus dans l’élevage.
Madame la ministre, monsieur le ministre, il n’est pas acceptable que l’Union européenne ouvre 180 000 tonnes de nouveaux quotas d’importation de viande de volaille à droits de douane nuls, élevés dans des fermes usines cinquante fois plus grandes que les exploitations autorisées en Europe, alors que la moitié des poulets que nous consommons sont déjà importés.
Il n’est pas acceptable que l’Union européenne, qui encourage le pâturage sur nos territoires, accepte l’entrée de 99 000 tonnes de viande bovine supplémentaires, engraissée aux antibiotiques dans des exploitations de plus de 10 000 têtes, qui s’ajoutent au cumul des milliers de tonnes déjà autorisées dans les autres accords.
Il n’est pas acceptable d’autoriser l’importation d’un million de tonnes supplémentaires de maïs chaque année, à zéro droit de douane, traité à l’atrazine, herbicide interdit depuis plus de vingt ans en France, alors que nos agriculteurs réduisent l’utilisation de pesticides.
Il en va de même pour l’ouverture de quotas additionnels sans droits de douane pour le sucre, qui déstabiliseraient nos filières ultramarines, ou encore l’éthanol.
Tout cela n’est pas acceptable !
Alors que l’Europe se fixe des ambitions élevées et s’impose des conditions strictes de production, l’arrivée de ces produits sur nos marchés se fera au détriment des producteurs et éleveurs européens sur fond de distorsion de concurrence, de pression sur les prix et d’absence de contrôle.
Au-delà des volumes, ce sont aussi les conditions de production des pays du Mercosur qui alimentent les inquiétudes.
Ainsi, le Brésil a récemment suspendu ses exportations de viande de génisses à la suite de l’un des trop rares audits de la Commission européenne sur place. À cette occasion, il a été démontré que les autorités locales n’étaient pas en mesure de vérifier que ces produits ne contenaient pas de trace d’une hormone de croissance, l’estradiol 17-ß, interdite dans l’Union européenne depuis 1996, attestant de l’impossibilité d’avoir confiance dans le système de traçabilité brésilien.
Plus largement, cet accord ferait peser un risque majeur sur la sécurité des approvisionnements agricoles et de leur traçabilité alimentaire, portant atteinte à notre souveraineté alimentaire et à la bonne information des consommateurs.
Au Brésil, l’aboutissement de cet accord profiterait essentiellement aux immenses exploitations agricoles qui produisent sans aucune considération environnementale et sociale, au détriment des petits producteurs qui n’auront pas les moyens de résister à la pression sur les prix et aux peuples autochtones chassés de leurs terres.
Alors que certains acteurs sud-américains commencent à douter de l’intérêt de cet accord, celui-ci pourrait bien être perdant-perdant, en n’apportant pas les bénéfices promis aux pays du Mercosur et en les forçant à poursuivre un modèle de production intenable du point de vue environnemental et injuste socialement, tandis qu’il fragiliserait dans le même temps les normes européennes.
Cet accord serait également perdant-perdant pour le climat, car il entraînerait la poursuite de la déforestation de l’Amazonie. Depuis 1999, c’est une surface équivalant à la péninsule ibérique qui est partie en fumée. Cette déforestation, principalement liée à l’élevage et à la production de soja, contribue massivement aux émissions de gaz à effet de serre et à l’effondrement de la biodiversité.
Alors que l’Union européenne a adopté un règlement pour lutter contre les produits issus de la déforestation, que la droite européenne cherche malheureusement à affaiblir, ratifier cet accord serait un non-sens législatif et historique, totalement incompatible avec le respect de l’accord de Paris.
Cet accord est néfaste pour le climat, néfaste pour notre souveraineté alimentaire, néfaste pour la qualité de ce que nous consommons. Il est dangereux pour nos agriculteurs : tel est le message qu’ils vous adressent par leur mobilisation, madame la ministre, monsieur le ministre, mais leur alerte va bien au-delà de ce traité.
Les agriculteurs vous demandent, nous demandent avant tout d’être reconnus pour ce qu’ils apportent à la Nation. Ils revendiquent non seulement des prix rémunérateurs qui préservent en même temps leur santé, mais aussi la possibilité de vivre dignement de leur travail.
La compensation financière qui a été un temps évoquée est une illusion, un pansement sur une jambe de bois, preuve que l’accord ouvre la porte à une concurrence déloyale.
Alors que nos agriculteurs font des efforts pour satisfaire les nouvelles exigences de la société, ce qui entraîne des coûts importants et suppose des transitions parfois difficiles, ce dispositif financera inévitablement la disparition de pans entiers de nos sociétés en achetant le silence des derniers agriculteurs français et européens !
Très concrètement, madame la ministre, monsieur le ministre, l’agriculture ne doit pas être la variable d’ajustement des intérêts offensifs des États membres. Elle n’est pas un objet de marchandage. Il ne peut pas y avoir de deal entre malbouffe et belles voitures.
Céder, c’est renoncer à nos ambitions. Nous demandons depuis de nombreuses années une réorientation radicale de ces accords, qui doivent être des outils au service de nos intérêts stratégiques.
La force de l’Union européenne réside dans sa capacité de régulation. Elle seule peut défendre aujourd’hui un modèle de développement durable en utilisant la puissance de son marché intérieur.
Nos accords doivent redevenir de réels partenariats économiques et politiques, fondés sur la défense des droits humains, le respect des objectifs de développement durable de l’ONU, de l’accord de Paris, de la protection de normes sociales et environnementales élevées. Ils devront intégrer des clauses de réciprocité des normes, des clauses miroirs, des mécanismes contraignants assortis de sanctions et des clauses de revoyure assurant un réel contrôle démocratique. Ils devront également comporter des clauses de devoir de vigilance et de responsabilité sociétale des entreprises des pays concernés.
Le culte du libre-échange, qui a transformé l’Europe en continent de consommateurs dépendant de ses concurrents et qui a conduit à une casse sociale d’ampleur dans nos régions, favorisant au passage la montée des souverainistes et de l’extrême droite, ne doit pas aujourd’hui détruire la cohésion européenne. En cédant à des intérêts économiques immédiats, l’Europe se mettrait en danger, en exposant ses divisions internes sur des intérêts offensifs divergents, risquant de compromettre l’unité nécessaire pour défendre une vision commune.
L’Europe s’affaiblit sur la scène internationale et pourrait, si nous n’y prenons garde, être empêchée de défendre ses principes de durabilité et de solidarité.
Nos concitoyens, quant à eux, manifestent une défiance persistante à l’égard de cet accord.
La crise de confiance est nourrie par la Commission européenne, qui poursuit tambour battant les négociations de nouveaux accords tous azimuts, dans une logique purement libérale. Et bien qu’ayant reçu un mandat pour négocier un accord mixte, l’Union européenne envisage de scinder l’accord en deux et de faire adopter ses dispositions commerciales à l’encontre du mandat donné par les États, ce qui poserait un problème de légitimité démocratique.
Les résolutions adoptées à l’Assemblée nationale en 2023 et au Sénat en 2024 ont déjà souligné que les conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales n’étaient pas réunies pour signer cet accord.
Vous avez donc, madame la ministre, monsieur le ministre, un large soutien de l’opinion publique et des parlementaires. Mais qu’en ferez-vous ? Un message à la Commission pour rappeler que vous ne voulez pas de cet accord en l’état ? Un appui pour trouver une minorité de blocage, aujourd’hui difficile à constituer ?
Madame la ministre, monsieur le ministre, nous vous soutiendrons, mais ce que nous vous demandons, au-delà, c’est d’obtenir un moratoire sur l’ensemble des accords commerciaux en cours ; c’est de repenser notre modèle d’échanges commerciaux, de replacer la légitimité démocratique en son centre et d’agir pour des accords ambitieux et respectueux socialement et environnementalement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Franck Menonville. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour débattre de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur.
Pour la troisième fois, nous allons collectivement exprimer notre opposition à la ratification de cet accord en l’état, proposée par la Commission européenne. La Pologne a hier officialisé son opposition à cet accord, s’alignant ainsi sur les positions françaises.
Permettez-moi tout d’abord de saluer l’engagement personnel du Premier ministre Michel Barnier et de son gouvernement, afin de convaincre d’autres pays européens pour constituer une indispensable minorité de blocage.
Le contexte est aujourd’hui inflammable ; c’est peu de le dire. D’une part, la présidente reconduite de la Commission européenne souhaite accélérer la finalisation d’un accord d’hier, pour ne pas dire d’avant-hier, au risque d’un passage en force institutionnel. D’autre part, alors même que le deuxième acte des contestations agricoles s’intensifie sur nos territoires, il nous faut aujourd’hui avoir à l’esprit que 76 % des Français s’opposent à cet accord. Notre débat d’aujourd’hui est plus que nécessaire.
Rappelons que, pour les pays d’Amérique latine, l’Europe a fait figure de modèle d’organisation. En effet, le rapprochement initial entre les pays d’origine du Mercosur s’inspire de l’expérience de la construction européenne. Comme l’a dernièrement indiqué la ministre Sophie Primas, le Brésil est le premier partenaire commercial de la France en Amérique latine. Nous n’avons donc pas attendu le Mercosur.
Dans ce débat, il est nécessaire de souligner que nous ne remettons nullement en cause le principe d’une relation plus approfondie entre les pays de l’Union européenne et ceux du Mercosur. Mais le groupe de l’Union Centriste tient à rappeler trois lignes de force.
Première ligne de force, protection n’est pas synonyme de protectionnisme. Le retour d’un isolationnisme américain et de l’agressivité commerciale chinoise oblige l’Europe à s’organiser et à réagir sans naïveté.
Dans ce désordre international, elle a besoin d’alliés. Le rapprochement avec les pays d’Amérique latine, d’Amérique du Sud, peut alors ouvrir des possibilités, notamment économiques, mais notre préoccupation aujourd’hui porte sur les déséquilibres commerciaux que peut créer l’accord dans sa forme actuelle.
En 2017, l’Union européenne connaissait avec le Mercosur une balance commerciale déficitaire de 20 milliards d’euros sur les produits alimentaires et légèrement excédentaire sur les produits industriels. Aujourd’hui, nous craignons que ce déséquilibre préexistant ne s’accentue. Une étude d’impact menée par une université britannique a confirmé l’aggravation du déséquilibre actuel, une baisse anticipée de la production agricole européenne ayant été constatée au profit de l’importation accrue en provenance du Mercosur.
Nous craignons que l’agriculture européenne ne soit une variable d’ajustement des accords commerciaux, alors que la Commission européenne elle-même imagine un fonds de compensation pour dédommager nos agriculteurs. C’est inacceptable et inenvisageable ! Alors que l’impératif de souveraineté alimentaire s’est inscrit à notre agenda, les agriculteurs ne demandent pas la charité ; ils défendent un projet d’entreprise et souhaitent pouvoir vivre dignement de leur activité. C’est un engagement de beaucoup d’entre nous dans cet hémicycle.
Voilà qui rejoint notre deuxième ligne de force : le pragmatisme ne doit pas céder à la caricature. Le projet d’accord ne peut pas être le bouc émissaire d’une agriculture européenne en proie à des difficultés, faute de choix stratégiques.
Si le compte n’y est pas pour certaines filières, d’autres peuvent malgré tout y trouver un intérêt. Je pense notamment à l’automobile, au vin ou encore à l’approvisionnement en métaux rares. Comment ne pas souhaiter une meilleure reconnaissance de nos produits, de nos labels, de nos appellations d’origine contrôlée ? Mais comment ne pas partager l’incompréhension des agriculteurs, à qui l’on demande d’être toujours plus vertueux tout en ouvrant nos frontières à des produits qui ne respectent pas nos normes européennes ? Si le contingent négocié ne constitue pas le raz-de-marée annoncé, il peut néanmoins déstabiliser nos filières, poussant les prix à la baisse.
Le rapport rendu en 2020 par une commission indépendante présidée par Stefan Ambec parle à juste titre d’une « occasion manquée » pour l’Union européenne d’obtenir des garanties environnementales et sanitaires. D’autant que, depuis la signature du volet commercial de l’accord en 2019, les ambitions environnementales des politiques européennes ont été rehaussées par la précédente commission. Elles sont d’ailleurs un des catalyseurs de la crise actuelle.
Comment peut-on imaginer que la présidente von der Leyen, qui a promu la stratégie farm to fork, avec son lot de contraintes réglementaires et ses conséquences sur l’agriculture européenne, ait si peu d’exigences dans cet accord sur la qualité environnementale, sanitaire et normative des importations ?
C’est le sens de notre troisième ligne de force : fervents Européens, nous pensons qu’il faut donner une place accrue au contrôle démocratique de ces accords commerciaux. Il nous semble important de souligner que le Parlement européen a rappelé à plusieurs reprises, en 2018 notamment, le caractère mixte de cet accord, donc la nécessité d’une ratification à l’unanimité par les parlements nationaux.
Le politologue bulgare Ivan Krastev parle de « démocratie frustrée » quand la mondialisation, auparavant présentée comme un jeu à somme positive, creuse les inégalités, faute de vigilance démocratique.
La première des exigences est la convergence réglementaire. Il n’est pas acceptable d’exonérer nos partenaires commerciaux de contraintes que nous imposons à nos acteurs économiques. Il nous semble donc que des clauses miroirs couplées à des moyens de contrôle sont nécessaires. Une simple annexe ne saurait en effet compenser le manquement constaté du volet commercial.
La deuxième des exigences est la transparence des négociations. Nos concitoyens et les parlements nationaux sont en droit de mieux connaître les enjeux de cette nouvelle génération d’accords, qui va au-delà de simples aspects commerciaux.
Et la troisième exigence est la responsabilité. Les parlements nationaux doivent être davantage associés dans les négociations et dans leurs évaluations. Nous partons, je le crois, de très loin…
L’exécutif européen doit s’attacher à la protection de nos standards, alors même que, à titre d’exemple, l’audit mené au mois d’octobre dernier par la direction générale de la santé de la Commission européenne illustre la défaillance du système de contrôle brésilien de la grippe aviaire.
Le groupe Union Centriste n’est évidemment pas hostile par principe aux accords internationaux. Mais nous considérons qu’à ce stade, celui-ci ne correspond ni à notre époque, ni à nos ambitions actuelles, ni même à la situation géopolitique à laquelle nous sommes confrontés. De plus, il fait peser un risque beaucoup trop important sur notre souveraineté alimentaire. Il va à l’encontre des grands principes que nous nous imposons à nous-mêmes. Or, la réciprocité est aujourd’hui indispensable pour rapprocher nos deux continents et rassurer nos concitoyens européens.
Madame la ministre, monsieur le ministre, pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste votera en faveur de la déclaration du Gouvernement et s’oppose fermement en l’état à la ratification du Mercosur ainsi proposé par la Commission. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)