M. Albéric de Montgolfier. Le « quoi qu’il en coûte », c’était un peu trop !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. … de redresser ses finances publiques et de mettre à contribution de façon exceptionnelle, temporaire et ciblée les contribuables qui le peuvent, je crois profondément qu’il continuera à voir la charge de sa dette augmenter sans discontinuer, ce qui viendra grever ses priorités politiques, et qu’il ne sera plus en mesure de protéger ses concitoyens, ses entreprises, ses collectivités, comme il l’a fait ces quatre dernières années.
C’est donc une question de souveraineté et de volonté collective : souhaite-t-on continuer à vivre dans un pays qui protège, qui sait cumuler politique de l’offre et État providence, qui est capable d’accepter l’existence de cycles politiques, au temps de la très haute protection succédant celui du redressement ? Un certain nombre de groupes politiques, ici même, ont eu à assumer cette réalité en leur temps – je pense notamment au groupe socialiste entre 2012 et 2017.
Il est temps de démontrer que nous pouvons continuer à faire le pari de l’emploi, de l’activité, de l’attractivité, tout en redressant nos comptes publics. (MM. Louis Vogel, Raphaël Daubet et Jean-Baptiste Olivier applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Michel Canévet et Louis Vogel applaudissent également.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, rarement les débats budgétaires auront suscité autant d’attention et de prises de position, souvent très divergentes, dans ce pays. Jamais un tel degré d’incertitude ne les aura entourés.
Évidemment, les contingences de notre vie politique l’expliquent largement. Mais le contexte économique et budgétaire dans lequel nous sommes amenés à nous prononcer l’explique tout autant, car il est à l’origine du contenu même du projet de loi de finances pour 2025.
Pour bien apprécier la situation dans laquelle nous sommes, je nous invite, j’invite les Français, à prendre, dans toute la mesure du possible, un peu de hauteur et de recul. Faute de comprendre la situation économique et budgétaire de notre pays, on ne peut pas comprendre ce budget, on ne peut pas le juger, on ne peut pas le voter.
La France vit certes à crédit depuis cinquante ans, puisqu’elle est en déficit depuis 1975, mais le déficit annuel et la dette, qui s’accumule, ne sont pas en soi un problème, loin de là. Ils nous permettent en effet de préparer l’avenir et de gouverner la France dans le temps long, celui de notre horizon commun.
Cela reste vrai tant que deux limites ne sont pas franchies : celle qui établit, chaque année, que le remboursement de cette dette reste soutenable, et celle qui traduit le fait que les investisseurs veulent bien nous prêter, et dans de bonnes conditions. La règle des 3 % de déficit est certes conventionnelle, mais force est de constater qu’elle est très protectrice, car elle permet, peu ou prou, d’éviter ces deux écueils.
Or que s’est-il passé depuis 2022 ?
En 2022, le déficit public de notre pays était déjà très élevé, puisqu’il s’élevait à 4,8 % du PIB. En 2023, alors que tous nos partenaires européens, soumis au même contexte économique, réduisaient fortement leur déficit, la France, elle, laissait ses comptes se dégrader sérieusement : de 4,8 % de déficit, nous passions à 5,5 %, et ce sans récession, sans choc, sans raison particulière.
Malheureusement, ce déficit n’est resté historique qu’un an : dès cette année, il est prévu qu’il atteigne 6,1 % du PIB, toujours sans récession, sans choc, sans raison particulière.
Et ce qui devait arriver arriva.
D’une part, la charge de la dette, mot convenu pour désigner en réalité ce que les Français doivent rembourser chaque année, explose dangereusement : elle était de 30 milliards d’euros par an en 2020 ; elle atteindra près de 100 milliards d’euros par an en 2029. Il n’y a pas d’argent magique : ces 70 milliards d’euros supplémentaires sont soit de l’impôt en plus, soit des dépenses en moins ailleurs.
D’autre part, les conditions d’emprunt se dégradent : la France emprunte désormais plus cher que l’Espagne, le Portugal ou la Grèce, pays dont je rappelle qu’il frôlait la cessation de paiements il y a dix ans. Nous sommes donc actuellement dans un état d’urgence budgétaire.
Je ne vais pas m’étendre sur les raisons qui nous ont conduits à cette situation. Le président Claude Raynal et moi-même y avons travaillé, avec sérieux et méthode, dans le cadre de notre mission d’information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023. Je vous renvoie à nos travaux.
Je rappelle juste un fait : le déficit prévisionnel s’établirait à 6,1 % en 2024, contre un chiffre de 4,4 % inscrit voilà moins d’un an dans la loi de finances issue du texte considéré comme adopté en application de l’article 49.3 de la Constitution.
J’exprime aussi un regret : de ces 50 milliards d’euros d’écart, personne n’endosse la responsabilité. Tous les responsables politiques que nous avons auditionnés ont répondu d’une même voix qu’ils n’étaient responsables de rien, ou de si peu, et qu’ils avaient tous bien fait. Ces 50 milliards d’euros, c’est pourtant la moitié de l’impôt sur le revenu payé par nos concitoyens, ou deux fois le budget de notre police et de notre gendarmerie.
« C’est pas moi », « c’est pas ma faute », « pas de bol ! » : comment lutter contre la crise démocratique quand les responsables politiques n’assument même pas la trajectoire des finances publiques du pays qu’ils dirigent ? Plus prosaïquement, comment faire comprendre ce projet de budget pour 2025 aux Français – comment pouvons-nous nous-mêmes, parlementaires, le comprendre ? – si tout le monde nous explique que tout va bien et que c’est la faute d’un gouvernement constitué le 21 septembre dernier, il y a donc un peu plus de deux mois, si nous en sommes là ?
Mettons fin à cette mystification : il est temps de dire la vérité aux Français. J’approuve ce budget pour ce qu’il est : un budget de vérité, un budget d’effort collectif inédit !
D’abord, les sous-jacents macroéconomiques du projet de loi de finances pour 2025 me paraissent crédibles. L’année dernière, à l’occasion de mon intervention en discussion générale sur le projet de loi de finances pour 2024, je vous indiquais que la prévision de croissance du Gouvernement était plus élevée que toutes les autres prévisions institutionnelles.
Tel n’est pas le cas cette année : la prévision retenue pour 2025 est de 1,1 % du PIB. Certes, la croissance pourrait être affectée par l’effet nécessairement récessif d’un budget de redressement, mais le consensus des économistes, dont les prévisions, actualisées au 11 novembre dernier, intègrent donc l’essentiel des effets du texte qui nous est soumis, l’évalue à environ 0,9 %, chiffre très proche, donc, de celui du Gouvernement.
Ensuite, c’est un budget de vérité, parce qu’enfin le Gouvernement fait autre chose que parler. Messieurs les ministres, l’an passé, je regrettais que les belles paroles de vos prédécesseurs sur le nécessaire sérieux budgétaire ne soient suivies ni d’effets ni d’actes. L’année dernière, les dépenses de l’État continuaient d’augmenter, encore et encore, de près de 6 milliards d’euros, hors mesures de crise, par rapport à 2023. Au total, retraitées de l’inflation, les dépenses de l’État ont ainsi progressé de 14 % depuis 2017, soit une hausse historique.
Je me réjouis que ce projet de loi de finances signe, enfin, la fin du « quoi qu’il en coûte ».
Il aura fallu quatre ans pour nous désintoxiquer de la dépense publique. Pour 2025, le Gouvernement prévoit « enfin », oserais-je dire, que les dépenses de l’État baissent de 3,2 %. L’effort, qui n’est pas lié au retrait des mesures de crise, est réel, parce qu’il est nécessaire et parce que nous sommes – j’y insiste – dans un état d’urgence budgétaire. Nous ne pouvons ni demander à nos concitoyens de toutes conditions de payer davantage d’impôts ni continuer de vivre à ce point à crédit.
La voie est donc claire : il nous faut réduire la dépense publique.
La commission des finances proposera d’aller plus loin en ce sens, non pas par dogmatisme, mais pour nous permettre de sortir du marasme budgétaire, tout en évitant au maximum des hausses d’impôts qui pèseraient sur les Français.
Notre commission a ainsi voté plus de 3 milliards d’euros d’économies supplémentaires par rapport à celles que propose le Gouvernement : baisse des dépenses en matière d’apprentissage ; réduction des crédits alloués aux opérateurs de l’État ; suppression ou réforme de dispositifs tels que le service national universel, le pass Culture ou l’aide médicale de l’État ; effort financier portant sur l’immobilier de l’État ; mise à contribution de l’audiovisuel public, etc.
J’entends bien sûr les remarques, qui émanent de certaines travées, sur la nécessité de réformes structurelles pour faire baisser la dépense. Autant vous le dire, je les partage, nous les partageons !
Mais, je le rappelle, le Gouvernement a été nommé le 21 septembre 2024 ! Qui peut sérieusement lui demander, en si peu de temps, de mettre en œuvre des réformes structurelles à effet immédiat ? Je tends la main aux ministres en vue de travailler dès maintenant à des réformes d’ampleur, pour une action publique plus économe et plus efficace.
À court terme, notre priorité est et doit être de préserver le pouvoir d’achat des Français, et non de préserver telle ou telle enveloppe budgétaire ou tel ou tel opérateur. Pour ce faire, il faut faire des économies et éviter les hausses de fiscalité. C’est cet objectif qui a guidé notre commission des finances dans son refus de la proposition gouvernementale d’augmentation de la fiscalité sur l’électricité au-delà de son niveau d’avant-crise. Oui, le prix de l’électricité va baisser, messieurs les ministres ! Oui, c’est une bonne nouvelle pour les Français ! Et, ne vous en déplaise, cela ne doit pas être l’occasion pour l’État d’augmenter subrepticement les impôts !
La commission des finances du Sénat propose 3,4 milliards d’euros d’impôts en moins et, donc, de pouvoir d’achat en plus pour les Français.
Messieurs les ministres, vous êtes ici dans la maison des collectivités territoriales. Le rôle constitutionnel du Sénat est bien sûr de les représenter. Cela fait de nombreuses années qu’elles sont montrées du doigt, alors que les faits sont là : c’est bien l’État, et non les collectivités, qui est responsable de l’explosion des déficits depuis 2017. C’est l’État qui emprunte pour payer ses dépenses de fonctionnement courant. C’est donc l’État qui doit faire l’essentiel de l’effort de redressement de nos comptes publics.
Aussi, je me réjouis de constater qu’enfin nous convergeons sur ce point – j’en ai du moins le sentiment. Nous allons peut-être, grâce à votre gouvernement, sortir à la fois de la caricature et de l’impasse dans laquelle les relations entre l’État et les collectivités se trouvaient depuis plusieurs années.
En effet, à la différence notable de vos prédécesseurs, vous ne faites pas semblant de croire que la dégradation des finances publiques vient de la mauvaise gestion des collectivités territoriales. Merci à vous d’avoir reconnu très clairement à plusieurs reprises que tel n’était pas le cas. Cela fait du bien de l’entendre, ici en particulier : c’est salutaire.
Par ailleurs, comme je l’ai déjà indiqué à de nombreuses reprises, y compris à cette tribune, je suis favorable à un effort des collectivités locales pour redresser nos comptes publics. Je rappelle que nous sommes dans une situation d’urgence budgétaire et qu’il serait irresponsable de les préserver de tout effort, alors qu’elles représentent près de 20 % de la dépense publique et qu’elles bénéficient de plus de 50 milliards d’euros de concours financiers de l’État.
Oui, nous convergeons sur le constat, mais – oui – nous divergeons sur l’ampleur de l’effort à réaliser. Nous proposons que celui-ci soit ramené à 2 milliards d’euros, en lieu et place des 5 milliards d’euros que vous proposez : nous finançons cette réduction par des efforts supplémentaires que nous faisons porter sur l’État – cela ne vous surprendra pas…
Aussi, messieurs les ministres, nous proposerons de rejeter votre réforme du FCTVA, qui pénalise injustement l’investissement local. La commission des finances, grâce notamment au travail de notre collègue Stéphane Sautarel, a élaboré un dispositif de lissage conjoncturel, qui remplacera le fonds de réserve de 3 milliards d’euros prévu par le texte du Gouvernement. Tel est l’équilibre auquel nous sommes parvenus et que je souhaite préserver au cours de nos débats.
J’aurai un dernier mot sur la fraude fiscale, un sujet essentiel, tant il fait écho à une forme d’exaspération de nos concitoyens. Comment envisager un redressement de nos comptes publics de 60 milliards d’euros sans engager une action forte contre la fraude, notamment contre la pratique dite des CumCum ?
Je suis sûr, messieurs les ministres, que vous n’êtes pas dupes : vous savez que sous le joli mot d’« arbitrage de dividendes » se dissimulent des pratiques organisées de démarchage de clients dans le but exclusif de frauder l’impôt. À vrai dire, on entend tout et n’importe quoi à ce sujet : ainsi, certains affirment que ces pratiques n’existent pas ou qu’y mettre un terme aurait des conséquences catastrophiques pour l’attractivité de la place de Paris.
J’en appelle à la raison de chacun : une telle fraude existe bel et bien ; elle se chiffre même à plusieurs centaines de millions d’euros chaque année. Ce montant est considérable, certes, sans que l’on puisse le moins du monde en déduire que mettre un terme à ces pratiques pourrait signifier mettre à bas les banques françaises.
Il faut assurément faire cesser ces montages financiers, car la priorité de tous – je dis bien de « tous » – doit être l’application de la loi, y compris de la loi fiscale. Certains pays européens ont du reste décidé de réagir en changeant la loi, ce qui a mis fin, comme par enchantement, à ces pratiques frauduleuses.
C’est ce que proposera la commission des finances, au terme d’un travail de fond, qui remonte à loin, puisque cela fait maintenant de nombreuses années que nous travaillons sur le sujet – je pense notamment au précieux concours de nos collègues Albéric de Montgolfier et Vincent Éblé. Nous nous inscrivons ce faisant dans une démarche collégiale, puisque cette initiative est très largement – et sans doute unanimement – partagée sur les travées de cet hémicycle.
Voilà, mes chers collègues, les orientations qui sont celles de la commission des finances.
Voilà, messieurs les ministres, l’esprit dans lequel nous abordons ce débat au Sénat et les objectifs que nous nous fixons pour l’examen de ce texte.
Certes, dans un monde idéal, le gouvernement de Michel Barnier ne serait pas arrivé au pouvoir dans un contexte où le déficit public risquait d’atteindre 7 % du PIB.
Mais, à défaut d’une réaction plus précoce, convenons que le budget qui nous est proposé aujourd’hui est un budget de vérité et de raison. C’est en prenant la mesure, toute la mesure, de l’effort collectif auquel ce projet de loi de finances nous invite que je proposerai, sous réserve de l’adoption des amendements de la commission des finances, de l’adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. – M. Raphaël Daubet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, en ma qualité de président de la commission des finances, et alors que s’engage l’examen du projet de loi de finances pour 2025, je débuterai mon intervention en rappelant que cela fait plus d’un mois déjà que le rapporteur général et l’ensemble des rapporteurs spéciaux procèdent à l’analyse de ce nouveau budget, tant de son volet recettes que de son volet dépenses.
Je remercie l’ensemble des membres de la commission, ainsi que les rapporteurs pour avis, de la qualité de leurs travaux et des échanges qui ont nourri nos réunions.
Alors que l’examen des deux derniers projets de loi de finances avait été marqué par le recours du Gouvernement à l’article 49.3 de la Constitution, et que nous avions l’habitude de récupérer un texte enrichi de nombreux articles et dispositifs additionnels, nous connaissons cette année une situation inédite : le Sénat est saisi du texte initial du Gouvernement, soit de soixante-cinq articles seulement.
Si cette occurrence offre à notre assemblée l’occasion de jouer un rôle inédit, celui de proposer un texte qui pourrait être la base des discussions lors d’une future commission mixte paritaire, nous ne pouvons que collectivement regretter que le texte initial du Gouvernement n’ait pas été complété par les propositions de l’assemblée la plus représentative de l’état le plus actuel de l’opinion, et que le volet dépenses n’ait même pas été examiné.
Ce débat budgétaire s’ouvre donc alors même qu’aux termes du projet de loi de fin de gestion pour 2024, dont nous discuterons en début d’après-midi, le déficit de nos finances publiques s’établit à 6,1 % du PIB, soit 180 milliards d’euros environ, le pire déficit depuis la guerre, hors périodes de crise.
Sans revenir à ce stade de la discussion sur les raisons tant techniques que politiques qui ont conduit notre pays à connaître, en un an, une aussi soudaine et inquiétante aggravation de son déficit public – la hausse s’élève à plus de 50 milliards d’euros, soit 1,7 point de PIB, le déficit atteignant désormais 6,1 % du PIB au lieu des 4,4 % annoncés jusqu’au mois de février dernier par le gouvernement sortant –, le constat est clair et sans appel : il nous faut, dès cette année, redresser nos finances publiques, réduire significativement notre niveau de déficit pour diminuer notre appel à l’emprunt, et tout cela sans peser ni sur la qualité de nos services publics ni trop fortement sur une croissance que l’état de notre économie, comme celui de l’environnement international, ne nous permet guère d’imaginer très élevée.
Notre débat portera donc sur les voies et moyens d’y parvenir. Or, comme toujours, le diable se cache dans les détails des mesures proposées. Au moins n’entendons-nous plus dire que l’augmentation des impôts serait une ligne rouge par ceux-là mêmes qui, pourtant, sont responsables de la situation actuelle.
Quelles qu’aient pu être les motivations des baisses d’impôts décidées depuis 2018 et qu’elles aient été partagées ou non, lesdites baisses auraient dû être stoppées dès le début de la crise du covid-19.
La France, comme tous ses voisins européens, a fait face à deux crises majeures, l’une sanitaire, l’autre énergétique et inflationniste, qui ont rendu nécessaire un ensemble de mesures financières de soutien aux Français et à l’activité économique.
Mais la France seule s’est privée, annuellement et avec constance, de produits fiscaux très élevés, les plus discutables de ces mesures étant la généralisation aux 20 % des Français les plus aisés de l’exonération de taxe d’habitation,…
M. Albéric de Montgolfier. Une connerie !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. … pour 9 milliards d’euros au total, et la suppression progressive de la CVAE, pour plus de 5 milliards d’euros à ce jour et 8 milliards d’euros au total programmés d’ici à 2029, selon votre texte, messieurs les ministres.
Nonobstant les crises violentes et la nécessité de mesures de soutien exceptionnelles, mises en œuvre à très juste titre, les gouvernements successifs, imperturbables, ont méthodiquement poursuivi leur politique de l’offre, creusant inexorablement une dette et des déficits qu’il nous faut aujourd’hui collectivement combler.
En la matière, soyons précis. Chaque année et depuis 2018, ces baisses de recettes fiscales coûtent 62 milliards d’euros au budget. À elles seules, en cumulé, elles sont à l’origine d’une augmentation de la dette de 10 points de PIB, soit 300 milliards d’euros.
Aujourd’hui, quelles solutions envisager ? Il n’y a pas de miracle : des coupes budgétaires sévères, pour une large part, et quelques recettes nouvelles, l’effort demandé étant souvent temporaire pour le monde économique,…
M. Albéric de Montgolfier. Je demande à voir !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. … bien plus permanent pour les ménages et les collectivités locales.
Avant d’aller plus loin et de débattre des articles de ce projet de loi de finances, il ne serait peut-être pas inutile de porter un jugement sur cette politique de baisse des recettes fiscales.
Pour ce qui est de la taxe d’habitation, la mesure initiale de suppression de l’impôt pour 80 % des ménages a coûté 9 milliards d’euros. Son extension aux 20 % des Français les plus aisés, décidée à la suite de l’avis sans surprise rendu par le Conseil Constitutionnel, a, quant à elle, coûté également 9 milliards d’euros.
Je le rappelle, cette disposition devait se traduire par une augmentation de la consommation. Résultat : pour les ménages aisés, la suppression de la taxe d’habitation a surtout été perçue comme un bonus inattendu, qui leur a permis d’accroître leur épargne plutôt que de consommer davantage. Le taux d’épargne des ménages, qui s’était stabilisé à 12,9 % au premier trimestre 2018, a grimpé à 17,6 % au deuxième trimestre 2024, l’un des taux d’épargne les plus élevés d’Europe.
Avant d’augmenter les taxes sur l’électricité ou – dans une version plus sénatoriale – sur le gaz et avant de sous-indexer les retraites, je propose que nous reprenions, par une surtaxe temporaire d’impôt sur le revenu, un tiers du gain engrangé par les Français les plus aisés, soit 3 milliards d’euros prélevés sur ceux de nos concitoyens dont les revenus sont imposés au taux de 30 % et au-delà, selon une progression croissante. Si nous ne le faisons pas, l’État aura rendu aux plus aisés ce qu’il propose maintenant de prélever sur tous : une sorte de « Robin des bois », mais à l’envers !
Le même raisonnement vaut pour les impôts de production : il a été impossible à France Stratégie, organe placé auprès du Premier ministre, d’évaluer l’impact de la suppression, pour 15 milliards d’euros à ce jour, de différents impôts de production. Cette année encore, 1 milliard d’euros ont été rendus aux entreprises concernées, alors même qu’une telle baisse n’a aucun effet, puisqu’à en croire le président du Mouvement des entreprises de France (Medef) elle ne produirait pas « d’effet de choc ».
Je propose par conséquent que la CVAE soit restituée aux intercommunalités et aux départements en trois ans et que l’État récupère la TVA correspondante. Cette mesure aura trois effets positifs : renouer le lien entre l’économie et le territoire ; rehausser les recettes de TVA au bénéfice de l’État ; et, enfin, permettre à celui-ci de participer financièrement, si nécessaire, et dans le cadre d’un accord à trouver avec les collectivités locales, au rétablissement d’une contribution résidentielle.
Le Gouvernement lui-même a ouvert la voie à une remise en cause des baisses d’impôts non gagées par ses prédécesseurs. Avec une surtaxe sur deux ans des très grandes entreprises, il revient de fait, certes temporairement, sur la baisse de 33 % à 25 % du taux de l’impôt sur les sociétés.
Je propose au fond de faire la même chose pour récupérer une partie du produit fiscal perdu de la taxe d’habitation ou de la CVAE. Il ne s’agit pas, vous l’aurez compris, d’augmenter les impôts, mais bien plutôt de revenir sur des baisses d’impôts inconsidérées. Le Gouvernement considère d’ailleurs, comme vous le savez, que la suppression d’exonérations de cotisations patronales est une baisse de la dépense et non une augmentation des recettes. Aussi ma proposition consiste-t-elle simplement à traiter de façon analogue l’impôt sur le revenu, la taxe d’habitation et la CVAE.
Dans son rapport sur la libre administration des collectivités locales, adopté l’an passé, le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation proposait de faire bénéficier la fiscalité locale d’une protection constitutionnelle et d’inscrire le principe d’autonomie fiscale des communes dans la Constitution.
Mes chers collègues, la crise des finances publiques que nous connaissons doit nous permettre de revenir sur nos erreurs. Ne laissons pas passer cette chance unique, pour le Sénat, de donner une issue constructive à son travail. Je ne suis pas sûr qu’une telle occasion se représente de sitôt.
Comme le disent les Anglo-Saxons, « si quelqu’un a quelque raison que ce soit de s’opposer à ce mariage, qu’il parle maintenant ou se taise à jamais ! » (Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Thierry Cozic applaudissent.)
M. Albéric de Montgolfier. On va se taire, alors ! (Sourires.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Si vous êtes favorables, mes chers collègues, au rétablissement d’un pouvoir fiscal pour les collectivités locales, dites-le aujourd’hui en votant mes amendements, ou alors n’en parlez plus jamais ! (Rires. – Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Raphaël Daubet applaudit également.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion n° I-1541 tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Savoldelli, Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d’une motion n° I-1541.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2025 (n° 143, 2024-2025).
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l’article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant pour dix minutes maximum, un orateur d’opinion contraire pour dix minutes maximum, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond, et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Pierre Barros, pour la motion.
M. Pierre Barros. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, tout d’abord, que les choses soient claires : il n’est pas question ici de refuser le débat.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Ah !
M. Pierre Barros. Notre groupe n’a jamais refusé de débattre, bien au contraire. La question n’est donc pas celle du débat en lui-même, mais de ce sur quoi il nous est demandé de débattre aujourd’hui.
Ce projet de loi de finances pour 2025 est annoncé comme celui du partage de l’effort en vue du redressement des finances publiques, lesquelles ont été mises en péril par la gestion calamiteuse des précédents gouvernements.
Face au projet de loi initial du Gouvernement, marqué du sceau de la récession sociale en lieu et place du progrès social, les députés ont légitimement remanié, en première lecture, et à l’issue de trois semaines de débats, le volet du texte consacré aux recettes, en adoptant 472 amendements.
La gauche a ainsi démontré qu’un autre budget pour la France était possible : un budget du partage des richesses, qui met en évidence que l’austérité pour tous est un choix politique et non une fatalité, ce qui n’a rien, messieurs les ministres, d’irresponsable ni d’inacceptable.
La taxe Zucman, prélèvement de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 1 milliard d’euros, a ainsi été adoptée. L’exit tax, impôt créé en 2011 pour freiner l’évasion fiscale, a quant à elle été renforcée, et la soumission des dividendes à cotisations sociales a été gravée dans le marbre des comptes rendus parlementaires.
Le travail de nos collègues députés fut aussi riche d’enseignements politiques. Il a mis en lumière des alliances d’opportunité entre le Gouvernement, les groupes de la droite républicaine et ceux de l’extrême droite, nouées afin d’empêcher davantage de justice fiscale dans notre pays. Le résultat du vote en témoigne : 192 voix pour et 362 voix contre le texte remanié.
Inquiet de voir son projet de loi de finances transformé, M. le Premier ministre agite depuis quelques jours le spectre du 49.3. Formidable idée ! Cet expédient aggraverait encore un peu plus la crise démocratique dans laquelle nous sommes plongés.
Pourquoi M. Barnier refuse-t-il de prendre à bras-le-corps le sujet de la justice fiscale ? Pourquoi ne pas reconnaître l’échec absolu de la politique de l’offre menée depuis sept ans et ses conséquences désastreuses pour notre pays ? Le chômage repart à la hausse ; nombre de licenciements et de fermetures d’usines se profilent ; la charge de la dette publique s’envole, soumise au caprice des marchés.
Non, nous ne sommes pas ici pour faire semblant de débattre. Nous n’entendons pas être relégués au rôle de figurants, saisis d’un budget écrit d’avance.
Messieurs les ministres, nous refusons de participer à une comédie politique qui renforce le ressentiment de la population à l’égard de tous les élus. Mais rassurez-vous : dans l’hypothèse où cette motion ne serait pas adoptée, nous sommes prêts, avec les forces de gauche présentes ici au Sénat, à démontrer, article après article, que votre projet est particulièrement inadapté et injuste. Nous serons évidemment force de proposition.
Parlons plus en détail de ce projet de loi de finances. En sept ans, nous sommes passés de la politique du « quoi qu’il en coûte » à celle du « quoi qu’il advienne ».
Quittant Bercy, M. Bruno Le Maire, ex-ministre des finances, s’est targué dans son discours d’adieu d’avoir réalisé 55 milliards d’euros de baisses d’impôts. Or, en juillet 2024, la Cour des comptes analysait la situation de façon tout à fait différente : selon elle, les baisses d’impôts et de cotisations décidées depuis six ans « ont contribué à la dégradation du déficit public et modifié la structure des recettes des différentes administrations publiques », pour un impact estimé à 62 milliards d’euros en 2023.
Depuis, la France a certes changé de gouvernement, mais elle n’a pas pour autant changé de cap. Vous poursuivez le « quoi qu’il advienne » en vous attaquant désormais aux services publics locaux. Partant du postulat mensonger qu’ils seraient responsables du déficit abyssal que l’État a lui-même creusé, vous tentez par tous les moyens de les supprimer.
Dans cette situation politique tout à fait lunaire, nous tenons à saluer votre habileté sémantique. Les mots que vous employez ont bel et bien un sens, mais non forcément celui auquel on s’attend.
Ainsi avons-nous été choqués tant par le sort réservé aux collectivités territoriales que par les termes employés à leur propos dans votre projet de loi de finances pour 2025.
Par exemple, pour résorber une partie du déficit public, vous avez décidé de créer un « fonds de résilience des finances locales » en ponctionnant une partie des budgets locaux à hauteur de 3 milliards d’euros. Personne n’a bien compris en quoi consistait ce mécanisme de prélèvement nommé tour à tour fonds de précaution, fonds d’autoassurance et fonds de réserve. Il faudra nous expliquer plus précisément ce dont il retourne…
Comment les élus doivent-ils interpréter le terme de « résilience » ? Doivent-ils considérer qu’il faut être résilient face au choc traumatique que vous leur faites subir, ou bien que ce fonds a vocation à prévenir l’effet de coups plus massifs à venir sur les finances publiques locales ?
Le discours prononcé par M. le Premier ministre lors des assises des départements de France, le 15 novembre dernier, était lui aussi des plus habiles. En préambule, M. Barnier déclarait renoncer aux efforts demandés aux collectivités territoriales ; et, quelques minutes plus tard, il concluait son propos en évoquant le lissage éventuel des mesures initiales sans indiquer de réelles perspectives… À l’issue du congrès des maires de France, nombre d’élus locaux restaient de même dans l’expectative.
Au-delà des mots, les actes ont un sens. Or, qu’il s’agisse des élus ou des agents des collectivités locales, les intentions concrètes du Gouvernement restent des plus obscures.
Pour envisager d’imposer de telles coupes budgétaires au service public local, il faut bel et bien que vous soyez déconnectés des réalités quotidiennes des villes et villages de notre pays.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 contient des mesures d’austérité sans précédent, aux dépens de la santé et des prestations de sécurité sociale – je pense notamment à la hausse du ticket modérateur. De même, tout en culpabilisant à son tour les malades et les retraités, le projet de loi de finances pour 2025 inflige à nos territoires des mesures d’austérité d’une ampleur inédite. Non seulement les recettes des collectivités territoriales sont amputées de 10 milliards d’euros, mais les agents comme les élus, rendus responsables de la situation, sont culpabilisés à leur tour.
Messieurs les ministres, les élus locaux sont épuisés d’assumer des politiques avec lesquelles ils sont en désaccord.
Depuis plusieurs années, les communes subissent des pertes de recettes réelles, alors que les dépenses, elles, sont en constante progression.
L’effet ciseaux n’est pas un simple concept économique : c’est une réalité, et une réalité à très court terme, pour nos collectivités territoriales. À ces contraintes s’ajoutent des phénomènes inattendus, comme les émeutes ou les catastrophes climatiques, qui laissent les élus isolés face à des dépenses massives qu’ils ne peuvent pas engager.
Sachez que, depuis maintenant quatre ans, être maire et plus largement élu local, c’est assumer une perpétuelle gestion de crise.
C’est se demander si, le 31 décembre de l’année en cours, un assureur aura daigné répondre au marché lancé au nom de la collectivité.
C’est accompagner les familles qui cherchent un médecin pour constater un décès.
C’est se trouver face à des collègues élus, ou des directeurs généraux de collectivités territoriales, qui se demandent si le service public a encore un sens, s’ils rempileront dans leurs fonctions ou dans leur mandat, tant les responsabilités sont lourdes.
C’est être face à des habitants dont le pouvoir d’achat s’est réduit à rien et qui n’ont plus, pour tout viatique, que leur colère.
C’est faire face à l’impossibilité de déployer les moyens qu’exigent les écoles, les routes, les équipements sportifs et culturels, les services de pompiers, la police municipale, les travailleurs sociaux, ou encore les nombreux chantiers qu’implique la bifurcation écologique.
Les élus locaux sont déjà frappés de plein fouet par les effets récessifs de votre politique, et vous souhaitez encore en rajouter.
Dans sa version transmise au Sénat, le projet de loi de finances pour 2025 fixe la contribution des collectivités territoriales à 5 milliards d’euros via une réduction des concours financiers de l’État. Vous espérez ainsi réduire leurs dépenses de fonctionnement ; mais, messieurs les ministres, exception faite de la masse salariale, nombreux sont les élus qui ne peuvent plus rogner aucun budget : en êtes-vous conscients ?
Quels services publics devront-ils fermer ? Quels postes devront-ils supprimer ? Des postes d’agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) ? de policiers municipaux ? d’agents de l’état civil ? Je vous le redis : en vous en prenant aux collectivités, vous vous trompez de cible.
La fortune cumulée des 500 plus grandes fortunes de France dépasse aujourd’hui 1 200 milliards d’euros, en hausse de 5 % par rapport à 2023. Ce constat ne vous semble-t-il pas assez clair ?
Les collectivités territoriales et les services publics ne sauraient être la variable d’ajustement de libéraux qui profitent de la crise.
J’ajoute que l’effort budgétaire demandé aux collectivités aura deux lourds impacts déjà prévisibles : un recul massif de l’investissement local, de l’ordre de 12 milliards d’euros, et une hausse inévitable de l’endettement public. Nous sommes face à un véritable non-sens économique, social et écologique.
Tout comme votre projet de loi de financement de la sécurité sociale, votre projet de loi de finances, sous un habillage faussement technique, distille l’idée que les Français ne travaillent pas assez et que notre modèle engendre trop de dépenses sociales. On l’a encore entendu ce matin.
Avez-vous mesuré l’impact d’une telle politique sur la vie des Français ? Avez-vous mesuré ce qu’ils vont perdre en matière d’accès aux soins et de pouvoir d’achat ? Avez-vous mesuré l’altération de leurs conditions de travail et les conséquences de vos choix sur les entreprises locales, sur ceux qui produisent et, plus largement, sur notre économie ?
C’est un autre budget que la gauche sénatoriale veut proposer : un budget qui soit au service de la solidarité nationale et non au profit de quelques-uns.
Nous refusons de renoncer à la justice sociale et à la justice fiscale.
Mes chers collègues, nous vous invitons à voter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER.)