En effet, cette année, près de 64 000 défaillances d'entreprises seront à déplorer, alors que nous n'avons connu que 25 000 à 30 0000 défaillances pendant le covid-19.

Vous avez mentionné, en creux, un effet de rattrapage ; notons que le nombre de défaillances a été inférieur au record de 2015 : on en comptabilisait alors plus de 64 000.

Il est compréhensible que des défaillances surviennent, mais je rappellerai tout de même que, l'année dernière, il y a eu 830 000 créations nettes d'entreprises.

Pour répondre à la situation actuelle, j'ai demandé qu'il soit procédé à un suivi particulier, notamment dans votre département du Nord, qui traverse des turbulences économiques et industrielles. Nous nous appuierons sur la délégation interministérielle aux restructurations d'entreprises, le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) et les services déconcentrés de l'État.

En effet, monsieur le sénateur, la solution doit être recherchée du côté de la compétitivité des entreprises.

Vous le savez, la première partie du projet de loi de finances pour 2025, qui prévoyait des dizaines de milliards d'euros d'impôts supplémentaires sur les entreprises, a été rejeté par l'Assemblée nationale.

C'est la preuve que nous devons faire confiance aux chefs d'entreprise, leur simplifier la vie et baisser les impôts dont ils sont redevables.

Il nous faut aussi tenir le cap sur le coût du travail, car ce sont bien les chefs d'entreprise qui créent de l'emploi et de l'activité dans ce pays.

Je suis certain que, dans votre assemblée, les propositions formulées lors de l'examen du budget défendront l'intérêt des entreprises, et donc de l'emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour la réplique.

M. Olivier Henno. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.

Du reste, nous tenons à alerter le Gouvernement sur ce point particulier : aux contraintes financières connues, il ne faut à aucun prix, dans l'intérêt du pays, ajouter des difficultés économiques ou, plus grave encore, une éventuelle crise sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

perspectives de grèves dans les transports

M. le président. La parole est à M. Philippe Tabarot, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Tabarot. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué chargé des transports.

Si le Gouvernement doit faire face actuellement à des appels à la grève, il en est un qui a un air malheureusement trop connu, celui du traditionnel chantage à la grève de Noël à la SNCF.

Après un galop d'essai prévu le 21 novembre prochain, c'est bel et bien une grève illimitée qui est annoncée à partir du 11 décembre.

Cela aura des conséquences directes sur des millions d'usagers et un coût pour les contribuables, puisqu'une journée de grande grève coûte entre 10 millions et 20 millions d'euros.

Situation du fret ou mise en concurrence des lignes de transport express régional (TER) : tous les prétextes sont utilisés. Ne soyons pas dupes d'un timing parfaitement choisi, celui des négociations annuelles obligatoires (NAO), qui portent notamment sur les revalorisations salariales.

On pourrait débattre à l'envi des défis ferroviaires, mais, en définitive, les usagers du mois de décembre n'y seront pour rien : ils souhaiteront simplement retrouver leur famille à la veille de Noël.

Au bout du compte, c'est toujours l'usager qui trinque, d'autant plus que, depuis 1947, il n'y a pas eu une année sans un jour de grève à la SNCF.

Tout en réexpliquant les garanties apportées aux salariés du fret et l'obligation de procéder à une réorganisation pour sauver 5 000 emplois et éviter de rembourser 5 milliards d'euros indûment perçus, ne serait-il pas temps de briser le tabou de la grève et d'encadrer son exercice dans les transports ? (M. Fabien Gay s'exclame.)

Nous pourrions, à cette fin, reprendre les mesures de la proposition de loi tendant à assurer l'effectivité du droit au transport, à améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève, présentée entre autres par Bruno Retailleau et Hervé Marseille.

En effet, nous n'avons pas attendu certains députés populistes qui se réveillent aujourd'hui pour faire un travail de fond afin de sanctuariser certains jours dans l'année et lutter contre les grèves du quotidien.

Mme Cécile Cukierman. Noël, c'est un jour : le 25 décembre !

M. Philippe Tabarot. Monsieur le ministre, n'est-il pas temps désormais de respecter pleinement la liberté d'aller et venir des Français ? Oui, le droit de grève est un droit constitutionnel ; c'est pourquoi nous n'acceptons pas de le voir détourné, et encore moins dévoyé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP. – Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.

M. François Durovray, ministre délégué auprès de la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, chargé des transports. Je vous remercie, monsieur le sénateur Philippe Tabarot, de votre question qui m'offre l'occasion de saluer votre travail au sein de cette assemblée sur les transports (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.), en particulier votre proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports, qui sera examinée par l'Assemblée nationale le 9 décembre prochain, et votre proposition de loi visant à concilier la continuité du service public de transports avec l'exercice du droit de grève, sujet fondamental pour les élus de la Nation comme pour les usagers de la SNCF.

La continuité du service public est un principe constitutionnel au même titre que le droit de grève. Je suis également attaché à chacun de ces deux principes.

Trois motifs ont présidé au dépôt d'un préavis de grève par les organisations syndicales.

Le premier a trait au fret. Lors d'une réponse à une précédente question, j'ai rappelé les dispositions qui ont été prises par le Gouvernement pour lui assurer un avenir positif.

Le second motif porte sur les négociations salariales, qui, comme dans toute entreprise, relèvent de la direction générale de l'entreprise. Je note toutefois que, au cours des années passées, les agents et l'entreprise ont bénéficié de conditions favorables liées à l'évolution de l'usage du train par les Français. Je note également que l'inflation a aujourd'hui fortement ralenti – et c'est heureux pour les Français et pour leur pouvoir d'achat –, ce qui change le cadre des discussions.

Enfin, le troisième motif est lié à la mise en concurrence des trains express régionaux (TER) : le Gouvernement a apporté toutes les garanties sur les conditions sociales de ce processus.

Le dialogue a lieu et il se poursuit. Les Français ne comprendraient pas qu'une grève les pénalise dans leurs déplacements quotidiens, en particulier vers leur lieu de travail, et pour rendre visite à leur famille à l'occasion des fêtes de fin d'année. En tout état de cause, j'ai confiance dans la responsabilité et la capacité de dialogue de l'entreprise et des organisations syndicales. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Bernard Buis applaudit également.)

finances des collectivités locales

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Émilienne Poumirol. Ma question s'adresse à Mme la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation.

En mai 2024, les conclusions du rapport rendu par Éric Woerth à la demande du Président de la République confortaient le rôle du département et préconisaient de reconnaître celui-ci comme la strate de la solidarité et de la résilience des territoires.

En dépit de la prise de conscience du rôle central joué par les départements, ces derniers subissent une asphyxie budgétaire insoutenable.

Selon un rapport de la Cour des comptes d'octobre 2023, les départements sont l'échelon de collectivité territoriale le plus soumis aux fluctuations économiques et disposant des ressources financières les plus instables.

Du fait de la crise du marché immobilier, les départements ont vu baisser les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui constituent leur principale ressource, de 20 % l'an dernier.

Confrontés à une situation financière profondément dégradée, les départements font face à un risque systémique majeur. Leur financement se révèle totalement déconnecté des compétences qu'ils exercent et de leur démographie.

De fait, les départements voient leurs dépenses liées à la demande sociale fortement augmenter. Selon l'Observatoire de la décentralisation et de l'action sociale (Odas), en 2023, la dépense nette d'action sociale des départements a augmenté de 5,2 %. Ces derniers doivent également faire face au financement des décisions prises par l'État – le Ségur de la santé, l'évolution du point d'indice, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), etc. – sans compensation financière adéquate.

Face à cette augmentation des dépenses qu'ils ne peuvent contrôler et dépourvus d'un levier fiscal pour accroître leurs recettes, les départements, acteurs clés de la justice sociale et de la résilience territoriale, voient leur rôle gravement compromis. Alors que la situation est déjà critique et que les courbes de dépenses et de recettes se croisent, le projet de loi de finances pour 2025 porte un coup de rabot intolérable à leurs finances, et ce, sans aucun dialogue ni concertation préalable.

Comment comptez-vous répondre au cri d'alarme de l'Assemblée des départements de France (ADF), madame la ministre ? Comment éviter que certains départements ne soient mis sous tutelle ou en cessation de paiements ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation.

Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation. Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice Poumirol. Vous savez dans quelles conditions le projet de loi de finances pour l'année 2025 a été élaboré.

M. Rachid Temal. Non ! Il faut demander à Attal !

Mme Catherine Vautrin, ministre. Vous savez aussi que la situation difficile des finances publiques de notre pays a constitué le point de départ de ce projet de loi de finances. La dette publique s'élève en effet à 3 228 milliards d'euros et les intérêts de la dette, à 55 milliards d'euros.

Partant de cet état de fait, le Gouvernement a travaillé sur une réduction des dépenses, de l'État tout d'abord, à hauteur de 20 milliards d'euros, puis des dépenses sociales, à hauteur de 15 milliards d'euros. Il a enfin sollicité un effort des collectivités locales.

Pour autant, je partage votre constat selon lequel la situation des départements est tout à fait particulière, au moins pour deux raisons.

La première raison tient à l'incapacité dans laquelle se trouvent les départements à déterminer le montant des prestations qu'ils versent au titre des aides individualisées de solidarité et, partant, aux incidences très particulières que cela emporte sur leurs comptes.

La seconde raison a trait aux fameux DMTO et aux recettes par habitant très inégales que les départements en tirent. Dans un département côtier ou montagnard, ces recettes sont sans commune mesure avec les recettes que perçoivent des départements qui ne sont ni côtiers ni montagnards, et qui peuvent de ce fait se trouver dans une situation que j'oserai qualifier de plus précaire. Nous avons donc une difficulté en termes de ressources.

Sous la direction du Premier ministre, le Gouvernement, et plus particulièrement mon collègue chargé du budget et des comptes publics, travaille pour apporter des réponses très concrètes à la fois à ces différences de recettes issues des droits de mutation à titre onéreux et aux difficultés qu'emporte la ponction que vous évoquez pour les départements concernés, madame la sénatrice.

Dès cette fin de semaine, lors des assises des départements de France, le Premier ministre aura l'occasion de préciser l'engagement du Gouvernement auprès des départements. (MM. Laurent Somon et François Patriat applaudissent.)

agression d'un militaire à besançon

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Grosperrin. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.

Monsieur le ministre, comme de nombreux départements, le département du Doubs n'est pas épargné par des événements d'une grande violence.

Jeudi soir dernier, à la sortie d'une boîte de nuit, un jeune militaire du 19e régiment du génie de Besançon a été sauvagement agressé. Il se trouve à cet instant en état de mort cérébrale.

Cet été, Besançon avait déjà été endeuillé par l'assassinat froid de deux personnes en pleine rue.

Malgré le travail remarquable de la police nationale, de la gendarmerie et des procureurs, Besançon symbolise à elle seule l'accumulation d'actes nombreux qui angoissent la population.

La récente commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, menée par Étienne Blanc et Jérôme Durain, a analysé avec lucidité cette situation dangereuse pour le pays.

Si je connais votre détermination, monsieur le ministre, il reste que chacun doit agir dans le même sens. Il nous faut transcender les clivages et combattre les discours portés par une idéologie qui nie les violences, voit dans l'insécurité un simple sentiment et s'offusque dès que le mot « répression » est prononcé.

Dans la ville natale de Victor Hugo, ces démagogies dépassent l'imaginable, car même si les polices municipales, en appui, ne sont pas la solution à tous les problèmes, elles doivent jouer leur rôle et être utilisées dans toute l'étendue de leurs compétences.

Peut-être faudrait-il s'assurer qu'un maire ne puisse pas vider sa police municipale de toute efficacité en la privant d'armement. La priorité que nous devons donner à nos concitoyens est à ce prix et parfaitement conciliable avec la libre administration des collectivités locales.

Il nous faut également développer partout la vidéosurveillance, encore trop souvent refusée alors qu'elle est un appui inestimable dans le travail de la police et de la justice.

Ma question est simple, monsieur le ministre : pouvons-nous durablement accepter qu'un maire interdise à sa commune et à sa population les moyens de l'efficacité pour leur sécurité ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Bruno Retailleau, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur Jacques Grosperrin, la situation que vous venez de décrire et dont j'ai eu connaissance il y a quelques heures est, hélas ! révélatrice de l'hyperviolence que connaissent beaucoup de nos compatriotes, mais aussi, vous l'avez souligné, nos forces de l'ordre.

Toutes les vingt minutes, un refus d'obtempérer. Chaque jour qui passe, plus de 1 000 agressions, sans compter celles qui ne sont pas déclarées.

Derrière ces froides statistiques, ce sont autant de vies brisées, d'existences volées. Quand la République ne parvient pas à protéger les siens, notamment les plus fragiles, la confiance est blessée.

Demain, non loin du Sénat, je réunirai l'ensemble des préfets de France, des commandants de groupement de gendarmerie et des directeurs départementaux de la police nationale pour leur présenter une stratégie et leur donner des instructions en matière de lutte contre le narcotrafic – je l'ai déjà indiqué –, mais aussi de sécurité du quotidien.

Ce plan, cette stratégie, fixe à la fois une méthode et des objectifs.

La méthode consiste à donner, dans le cadre de chaque département, beaucoup plus de liberté aux commandants de groupement de gendarmerie et aux directeurs départementaux de la police, car l'on ne protège bien que ce que l'on connaît bien et que Paris ne sait pas tout. Cette méthode repose donc sur la subsidiarité.

Les objectifs ont pour leur part trait à l'amélioration de la visibilité et de l'efficacité. Il nous faut en effet davantage de visibilité, de manière à déployer la bonne patrouille, au bon endroit et au bon moment. Par ailleurs, entre 5 % et 10 % des multirécidivistes sont à l'origine de plus de 50 % des actes de délinquance. Nous allons donc les cribler et les cibler afin de gagner en efficacité.

Je vous rejoins toutefois, monsieur le sénateur : nous ne parviendrons pas à rétablir l'ordre républicain sans la coopération des communes. Comme vous, je suis favorable à un continuum de sécurité, à l'armement des policiers municipaux et à davantage de vidéoprotection.

Je réunirai bientôt un Beauvau de la sécurité et j'inscrirai ces dispositions à l'ordre du jour législatif. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour la réplique.

M. Jacques Grosperrin. Je vous remercie, monsieur le ministre. Nous connaissons votre engagement et la force de vos convictions. J'insiste sur la nécessaire mobilisation des maires, qui ne doivent pas rester à l'écart de ce continuum si nous voulons que celui-ci assure efficacement la sécurité de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

difficultés à l'exportation de la filière des spiritueux

M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Laurent. Lors d'un déplacement à Shanghai à l'occasion de la foire internationale des importations de Chine, la ministre Sophie Primas a abordé avec ses homologues chinois la surtaxe douanière frappant le cognac, l'armagnac et les brandies.

L'enquête antidumping lancée par les autorités chinoises a déjà exigé une coopération coûteuse de la filière. Ces investigations s'inscrivent dans un contexte de tensions commerciales entre la Chine et l'Europe à la suite d'un vote intervenu le 4 octobre dernier autorisant une hausse significative des droits de douane appliqués sur les véhicules électriques chinois importés en Europe, puis de la riposte chinoise par laquelle, dès le 11 octobre, un cautionnement de 38 % a été imposé sur certaines importations européennes.

Depuis, les exportateurs français subissent des annulations et des reports de contrats qui accentuent leur situation de vulnérabilité. Je remercie d'ailleurs notre président Gérard Larcher du soutien apporté à ces derniers.

Les représentants de la filière ont réaffirmé leur souhait de préserver la liberté de commercer et leur crainte de devenir les victimes collatérales de ces conflits.

J'ajoute que la réactivation de la taxe Trump, pour l'heure en suspens, pourrait également menacer nos exportations.

Vous avez évoqué l'importance de privilégier les négociations, monsieur le ministre. Je soutiens une telle approche. Ces difficultés qui concernent aujourd'hui le cognac et l'armagnac pourraient toutefois affecter demain les filières laitière et porcine. À l'approche du G20 au Brésil, nous espérons donc un engagement fort du Président de la République.

Nous avons appris hier que la Chine avait pris la décision encourageante de permettre aux importateurs de présenter des garanties bancaires en remplacement des cautionnements.

Où en sont les négociations, monsieur le ministre ? Quelles actions envisagez-vous de prendre pour protéger ce secteur essentiel à notre économie et à notre patrimoine ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le sénateur Daniel Laurent, après un an d'enquête diligentée en toute transparence, de manière contradictoire et dans le respect des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'Union européenne a décidé d'un relèvement des droits de douane appliqués aux véhicules électriques chinois qui est entré en vigueur le 30 octobre dernier.

À l'inverse, la décision chinoise de relever les droits de douane sur les produits d'un certain nombre de filières européennes, en particulier le cognac et les produits laitiers, est injustifiée et ne respecte en aucun cas les règles de l'OMC.

La Commission européenne a donc réagi rapidement. Dès le 23 septembre, elle a engagé une procédure relative à l'enquête menée par la Chine sur les produits laitiers auprès l'OMC. Le 8 octobre, elle a ouvert une nouvelle procédure devant l'OMC, concernant cette fois les droits provisoires appliqués par la Chine sur les brandies, et donc sur le cognac.

La ministre Sophie Primas, bien connue au Sénat, s'est rendue du 3 au 6 novembre dernier à Shanghai pour rappeler avec fermeté aux autorités chinoises notre détermination à défendre nos filières contre ces droits de douane illégitimes. Comme vous l'avez indiqué, nous avons obtenu un premier geste des autorités chinoises. L'assouplissement des conditions d'application de ces droits provisoires permettra d'en limiter l'impact sur les filières.

C'est un premier pas, mais ce n'est pas suffisant. Nous continuerons donc à travailler jusqu'à ce que nous obtenions la levée définitive de ces droits de douane injustifiables et inacceptables. Tel est l'engagement du Gouvernement sous l'autorité du Premier ministre. Soyez assuré, monsieur le sénateur, que Sophie Primas, Annie Genevard, ministre de l'agriculture et moi-même sommes mobilisés en ce sens. (MM. François Patriat, Jean-Baptiste Lemoyne, Alain Milon et Roger Karoutchi applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent, pour la réplique.

M. Daniel Laurent. N'oublions pas, monsieur le ministre, que la filière du cognac représente 4 000 exploitations, 250 maisons de négociation et 70 000 salariés. Quant à la filière de l'armagnac, qui réalise 14 % de son chiffre d'affaires en Chine, elle fait vivre 700 viticulteurs et assure 1 500 emplois directs.

Ces produits incarnent notre patrimoine immatériel et notre savoir-faire unique. La filière riche de ce savoir-faire ancestral compte sur votre appui, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

renouveau des bassins miniers

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

M. Christopher Szczurek. Ma question s'adresse à Mme la ministre du logement et de la rénovation urbaine, Valérie Létard.

Le bassin minier attend des actes, madame la ministre. Nous connaissons les difficultés nombreuses, mais aussi les formidables opportunités qu'offre ce territoire dont comme vous, je suis élu.

Pendant des décennies, les habitants de cette terre de travail, de partage et de fierté ont contribué à donner à notre pays sa grandeur et sa prospérité au prix d'extraordinaires sacrifices et d'autant d'efforts.

En 2017, à Oignies, commune de l'agglomération d'Hénin-Beaumont dont je fus premier adjoint au maire pendant dix ans, le Président de la République François Hollande avait promis le déblocage de 100 millions d'euros pour financer la rénovation thermique de logements dans 251 communes du bassin minier du Pas-de-Calais et du Nord.

En 2022, le candidat Emmanuel Macron s'était offert un grand tour du bassin minier, toujours dans la circonscription de Marine Le Pen, à Carvin. À l'occasion de cette tournée électorale, le Président de la République avait promis un engagement supplémentaire de 100 millions d'euros pour rénover les espaces publics du bassin minier.

Trois ans plus tard, les habitants et les élus attendent la concrétisation totale de cette promesse présidentielle qui engage autant Emmanuel Macron que ceux qui ont contribué à le faire réélire.

Où en sommes-nous donc aujourd'hui ? Selon le projet de loi de finances pour 2025, les quelques crédits inscrits pour le renouveau du bassin minier participeraient à clôturer les financements précédents, sans nouvel engagement financier de l'État.

Les médias ne retrouvant pas la trace de crédits sous l'intitulé « Engagement pour le renouveau du bassin minier » (ERBM), ils s'en sont inquiétés, peut-être à juste titre, la politique étant fatalement aussi une question d'affichage. Il reste que l'émoi et l'incertitude ont gagné les esprits à la fin du mois d'octobre.

Mes questions sont très simples, madame la ministre. Pouvez-vous nous confirmer que les 100 premiers millions d'euros pour la rénovation de l'habitat ont été consommés et nous assurer que 100 autres millions d'euros seront bien affectés aux espaces publics de nos résidences minières ? Les collectivités ont besoin d'être rassurées sur la participation financière de l'État à leurs projets de réhabilitation.

Notre territoire fut jadis considéré comme possédant le plus beau logement social du monde. Traumatisé sur le plan économique, social et écologique, il a aujourd'hui besoin d'un soutien sur le long terme, au-delà du seul ERBM. (MM. Aymeric Durox et Joshua Hochart applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement et de la rénovation urbaine.

Mme Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine. Monsieur le sénateur Szczurek, étant moi-même élue du territoire du bassin minier, et portant cette cause depuis des années, vous imaginez sans doute que je n'ai pas attendu votre question pour me préoccuper de l'avenir de l'engagement pour le bassin minier. Avec ma collègue Agnès Pannier-Runacher, tout aussi mobilisée que moi, et avec Mme Apourceau-Poly, M. Rapin, Mme Gacquerre et M. Corbisez, tous mobilisés en lien avec moi, nous travaillons pour que le Gouvernement soit au rendez-vous en 2025.

M. Christopher Szczurek. On n'a pas remarqué…

Mme Valérie Létard, ministre. Le Président de la République s'était engagé à allouer 100 millions d'euros à l'ERBM entre 2018 et 2027. Dès 2023, cet engagement était honoré.

Il s'était de plus engagé, non pas seulement à allouer 100 millions d'euros supplémentaires, mais à financer l'ensemble des besoins de rénovation de ce parc. En 2024, un financement de 17 millions d'euros supplémentaires a été accordé.

Pour 2025, il fallait évaluer les besoins de manière à tenir l'engagement d'une rénovation complète d'ici à 2027. Je me suis attelée à cette tâche dès ma prise de fonctions. Avec le préfet, avec les parlementaires mobilisés et les élus locaux, nous avons chiffré ces besoins.

La discussion, ici même, au Sénat, d'un amendement gouvernemental qui sera déposé sur la seconde partie du projet de loi de finances vous convaincra sans doute, monsieur le sénateur, que nous n'avons attendu après vous ni pour honorer les engagements du Président de la République ni pour nous occuper des habitants du bassin minier. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 20 novembre 2024, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt,

est reprise à seize heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Communication d'un avis sur un projet de nomination

M. le président. En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des lois a émis un avis favorable – 27 voix pour, 8 voix contre – sur la nomination de M. Didier Leschi aux fonctions de directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

4

Sûreté de l'enfant victime de violences

Adoption d'une proposition de loi modifiée

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi instituant une ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences, présentée par Mme Maryse Carrère (proposition n° 530 [2023-2024], résultat des travaux de la commission n° 114, rapport n° 113).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Maryse Carrère, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Mélanie Vogel et M. Xavier Iacovelli applaudissent également.)

Mme Maryse Carrère, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chaque année, environ 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles en France ; en moyenne, chaque semaine, un enfant meurt sous les coups de ses parents ; il a été observé une augmentation de 16 % des violences intrafamiliales non conjugales entre 2020 et 2021.

C'est peu dire que ces chiffres vertigineux et glaçants nous imposent une démarche volontariste et active en faveur de la défense et de la protection de notre jeunesse. Les impacts de ces violences sur les enfants sont nombreux ; je pense à leur santé mentale et physique, à leur vie affective, à leur scolarité, mais aussi, plus largement, à leurs relations sociales.

Les professionnels de la protection de l'enfance alertent depuis de nombreuses années sur l'urgence des situations et l'insuffisance des actions de nos institutions, qu'il s'agisse des réponses judiciaires, des moyens budgétaires ou encore de l'arsenal législatif.

La dénonciation des violences subies par les enfants est souvent mise en lumière au travers de faits divers macabres. Seulement, à la différence des autres mouvements de lutte pour les droits des victimes, les enfants n'ont pas les moyens de se faire entendre avec la même efficacité que les adultes. Bien entendu, en grandissant, il leur arrive de témoigner. Tout le monde se souvient, par exemple, de la parution du livre La Familia grande de Camille Kouchner, mais ces témoignages restent rares et arrivent souvent trop tard.

Le cas de l'inceste est peut-être le symptôme le plus évident des carences de notre système, puisque, encore aujourd'hui, il demeure très faiblement condamné, soit pour des motifs de prescription, soit faute de preuve. Un tel constat est inadmissible, d'autant qu'il place les victimes dans une forme de précarité juridique qui profite aux agresseurs.

L'évolution récente des lois pénales et civiles relatives aux violences faites aux enfants témoigne d'une prise de conscience de notre société.

Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen avait déjà souhaité alerter les pouvoirs publics sur les carences de notre législation, en déposant le 30 septembre 2019, sur l'initiative de notre ancienne collègue Françoise Laborde, une proposition de résolution visant à engager diverses mesures pour intensifier la lutte et la prévention contre l'inceste et à demander sa surqualification pénale.

Deux années plus tard, sur l'initiative d'Annick Billon, le Sénat s'était engagé dans cette voie. Ainsi, depuis la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, le code pénal prend mieux en considération, dans son article 222-22-3, la particulière gravité que représentent les viols et agressions sexuelles sur les jeunes mineurs, plus encore lorsqu'ils sont incestueux.

Dans la continuité de ces travaux, la loi du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales a entretenu cette dynamique, en instituant de nombreux dispositifs attendus tant par les victimes que par les acteurs de la protection de l'enfance.

Toutefois, ces avancées étant soulignées, il demeure des améliorations possibles, comme l'a souligné le récent rapport de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) du 17 novembre 2023, intitulé : Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit.

Pour le dire de façon synthétique, ces améliorations s'articulent autour de quatre axes : le repérage des enfants victimes, la réparation et le soin, la prévention des violences sexuelles, et leur traitement judiciaire.

La présente proposition de loi s'inscrit dans le cadre de ce dernier axe et suit la préconisation n° 26 du rapport précité de la Ciivise. Il vous est ainsi proposé, mes chers collègues, de créer une ordonnance de sûreté de l'enfant permettant au juge aux affaires familiales (JAF) de statuer en urgence, entre autres mesures, sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale en cas d'inceste parental vraisemblable. Seulement, je souhaiterais aller au-delà de cette préconisation, en couvrant tout fait de violence susceptible de mettre en danger l'enfant et non pas seulement les violences incestueuses.

Bien entendu, nous savons qu'il existe déjà de nombreux moyens qui permettent aux pouvoirs publics d'agir en cas de maltraitance. Le juge des enfants peut, par exemple, émettre des ordonnances de placement. Il existe également l'assignation à bref délai, qui permet au juge aux affaires familiales de se prononcer dans l'urgence, sous quinze jours, notamment en cas de violences à l'égard de l'enfant. Enfin, citons l'ordonnance de protection et l'ordonnance de protection provisoire, dont les mesures peuvent également bénéficier aux enfants.

Nous comprenons donc que l'ajout d'un nouveau dispositif puisse poser certaines difficultés, mais il faut reconnaître que l'architecture actuelle souffre d'une forme de dispersion et qu'il n'existe pas de moyen unique spécifiquement consacré à la protection des enfants dans l'urgence, comme c'est le cas actuellement en matière de violences conjugales.

Aussi, nous avons considéré qu'il était pertinent d'envisager la création d'un nouvel outil, qui, d'une certaine manière, regrouperait tous les autres. Cela permettrait de mieux prendre en compte la spécificité de ces violences, à l'image de ce qu'avait fait le législateur en 2010, lorsqu'il avait institué l'ordonnance de protection spécifiquement consacrée aux violences conjugales. C'est sur le fondement du parallélisme avec ce dispositif que nous avons imaginé cette proposition.

Pour autant, je le répète, nous entendons que cette proposition soulève certaines difficultés. Mes échanges avec la rapporteure, Marie Mercier, ont été d'une grande fluidité et je veux la remercier de ses éclairages et de sa détermination à toujours trouver des solutions ; j'associe également Dominique Vérien à ces remerciements.

Mme la rapporteure m'a indiqué – elle vous le précisera sûrement d'ici quelques instants – que, dans leur grande majorité, les acteurs de la protection de l'enfance n'étaient pas nécessairement favorables à la création d'un nouvel outil ad hoc. J'entends leurs arguments.

C'est pourquoi je vous proposerai, au travers d'un amendement que je vous présenterai ultérieurement, non plus de créer une nouvelle ordonnance, mais plutôt de modifier le champ de l'ordonnance de protection, afin que celle-ci ne se limite plus aux cas de violences conjugales et s'élargisse aux violences faites aux enfants dans le cadre familial. Je crois que cette nouvelle approche devrait permettre d'aboutir à une forme de consensus, le temps de la navette parlementaire offrant ensuite le temps d'en parfaire la rédaction. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI, INDEP et UC. – Mmes Marie-Pierre Monier et Mélanie Vogel applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a un objectif primordial, que nous partageons tous : la protection de l'enfance. Cette protection repose sur un cadre juridique fourni, que nous devons nous efforcer d'améliorer, voire de parfaire.

Et nous nous y appliquons ! Rien qu'au cours de cette année, nous avons renforcé à deux reprises les dispositifs de protection judiciaire de l'enfant présumé victime de violences, avec la loi du 18 mars 2024, dite loi Santiago, dont j'ai été rapporteur, et, plus indirectement, avec la loi du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate, dite loi Chandler, dont le rapport avait été rédigé par notre collègue Dominique Vérien, que je salue.

J'ai donc commencé mes travaux avec un a priori positif à l'égard de cette proposition de loi. Seulement, le dispositif inspiré de l'ordonnance de protection qu'elle tend à insérer dans le cadre juridique actuel suscite une grande réserve, quasi unanime, chez les acteurs de la protection de l'enfance que j'ai entendus en audition. Les magistrats concernés, qu'il s'agisse des juges des enfants, des juges aux affaires familiales ou des procureurs de la République, mais aussi les avocats, les services de la Chancellerie, une partie des associations consacrées à la protection de l'enfance et même, dans une certaine mesure, la Ciivise, pourtant à l'origine de la proposition, soit y sont opposés, soit conditionnent leur soutien à des modifications tellement substantielles qu'elles dénatureraient le dispositif du texte.

Cela tient à deux raisons principales : les défauts juridiques de cette ordonnance de sûreté ; le fait qu'elle altérerait la lisibilité et l'efficacité de la protection judiciaire de l'enfance. En conséquence, il ressort des travaux de la commission des lois qu'un tel dispositif nuirait à l'objectif que l'auteure de ce texte lui assigne.

Évoquons, en premier lieu, les limites juridiques – je vais vous en exposer cinq – de l'ordonnance de sûreté, avant de rappeler les nombreux dispositifs existants.

D'abord, les conditions de saisine du JAF apparaissent non seulement inédites, mais en outre moins favorables que celles des autres dispositifs de protection de l'enfance, qui seront brièvement exposés par la suite. Par ailleurs, cette saisine n'exigerait pas le dépôt d'une plainte pénale, ce qui est contraire au devoir de protection qu'un parent doit à son enfant. Au surplus, le dispositif ne prévoit pas de sanction en cas de méconnaissance de l'ordonnance, ce qui la priverait d'effectivité. En outre, il serait permis au juge de retirer tout ou partie de l'autorité parentale et non d'en suspendre seulement l'exercice ; cette mesure, d'une particulière gravité, paraît tout à fait inadaptée à une procédure d'urgence qui ne conclut pas à une reconnaissance de culpabilité. Enfin, ce dispositif étendrait indûment l'office du JAF, à qui il n'incombe en principe pas de se prononcer sur une potentielle infraction pénale commise par un adulte extérieur au cercle familial proche.

Surtout, cette ordonnance se superposerait à de nombreux dispositifs existants, au risque de fragiliser les équilibres du cadre juridique actuel. C'est ce que je souhaite aborder en second lieu.

La protection judiciaire de l'enfance repose sur plusieurs procédures, qui sont adaptées à la situation de l'enfant présumé victime de violences.

Nous pouvons, pour simplifier, répartir les dispositifs en deux catégories principales : d'une part, ceux qui permettent d'assurer la protection judiciaire d'un enfant en l'absence d'un parent protecteur et, d'autre part, celles qui fournissent à un parent protecteur les moyens de protéger son ou ses enfants.

En l'absence d'un parent protecteur, la protection judiciaire de l'enfant présumé victime de violences repose en principe sur l'action du juge des enfants. Ce dernier peut, en effet, prendre des mesures dites d'assistance éducative, parmi lesquelles figurent notamment l'ordonnance de placement ou, exceptionnellement, la détermination des droits de visite et d'hébergement des parents. Notons que ces mesures peuvent être ordonnées en urgence par le procureur de la République, dans le cadre d'une ordonnance de placement provisoire. Le procureur doit ensuite saisir, sous huit jours, le juge des enfants ; au-delà des mesures qu'elle permet d'obtenir, la saisine du juge des enfants est protectrice en elle-même, grâce aux diverses garanties procédurales qui l'accompagnent et qui témoignent de la spécialisation de ce juge.

Un parent protecteur peut, par ailleurs, recourir à plusieurs dispositifs qui assurent la protection judiciaire d'un enfant présumé victime de violences. Considérons, en premier lieu, la saisine générale du JAF, ouverte à l'un des parents ou au ministère public, afin qu'il se prononce quant aux modalités d'exercice de l'autorité parentale. À cette saisine générale s'adjoint une procédure d'urgence mise en œuvre sous quinze jours, l'assignation à bref délai, qui figure à l'article 1137 du code de procédure civile. Le code civil prévoit par ailleurs la suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement d'un parent poursuivi par le ministère public ou mis en examen par un juge d'instruction. La loi du 18 mars 2024 a d'ailleurs récemment étendu les motifs de cette suspension. Enfin, l'ordonnance de protection et la nouvelle ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI) bénéficient par extension aux enfants en cas de violences conjugales.

L'absence de soutien des différents acteurs de la protection de l'enfance et les limites juridiques de ce dispositif expliquent donc son rejet, en l'état, par la commission des lois.

Seulement, j'ai voulu poursuivre mes échanges avec les acteurs de la protection de l'enfance et l'auteure de la proposition de loi, notre collègue Maryse Carrère, afin de dégager une solution favorable à la protection de l'enfance. Je le répète, seul l'objectif consistant à améliorer la protection des enfants a guidé nos travaux, ainsi que le signal relatif à la mise en sûreté de l'enfant. Les amendements déposés par Maryse Carrère sont le résultat de ces consultations. Ils visent, en un mot, à étendre le dispositif existant de l'ordonnance de protection aux cas dans lesquels seul l'enfant est présumé victime de violences.

Nous aurons bien entendu l'occasion d'y revenir lors de leur examen, mais permettez-moi d'observer d'ores et déjà qu'ils apportent une réponse à l'essentiel des problèmes juridiques que soulèverait l'ordonnance de sûreté : les conditions de saisine seraient harmonisées ; un dépôt de plainte pénale serait requis lorsque les violences concernent un enfant ; le dispositif prévoirait une sanction ; seul l'exercice de l'autorité parentale pourrait être suspendu ; l'office du JAF serait mieux respecté.

L'adoption de ces amendements permettrait donc de limiter les risques que posait initialement la proposition de loi quant à la lisibilité du cadre juridique actuel de la protection de l'enfance et du fait des défauts juridiques précités. Ils ne les évacuent toutefois pas tous : d'une part, le risque d'instrumentalisation demeure ; d'autre part, il faut assurer la stabilité du droit, demandée par l'essentiel des acteurs de la protection de l'enfance.

L'OPPI, instituée par la loi du 13 juin 2024, n'est toujours pas effective en l'absence de publication du décret d'application, ce qui devrait être fait en février 2025. Deux choses nous paraissent certaines : la première, je le répète, c'est notre attachement partagé à la protection des enfants ; la seconde, ce sont les qualités du travail parlementaire, l'exemple de cette proposition de loi l'atteste.

Nous avons pu, grâce à nos échanges, éclairés par des auditions et consultations ouvertes, auxquelles de nombreux sénateurs de divers groupes ont participé – qu'ils en soient remerciés –, souligner les défauts d'un dispositif et en imaginer un autre. Ce dernier connaît cependant encore des limites. Le travail parlementaire, notamment lors de l'éventuel examen du texte à l'Assemblée nationale, permettra de les identifier et de les corriger.

Madame la ministre, je ne doute pas de votre attention. Nous le savons tous ici, la cause des mineurs doit être traitée comme une cause majeure ; les enfants resteront notre priorité, inlassablement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – Mme Laure Darcos et M. Christopher Szczurek applaudisssent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes, chargée de la famille et de la petite enfance. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, madame l'auteure de la proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous examinez aujourd'hui un texte visant à mieux protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales.

Son auteure souhaite créer, sur le modèle de l'ordonnance de protection prévue à l'article 515-9 du code civil, un dispositif spécifique de protection des enfants victimes de violences ou de violences sexuelles incestueuses : l'ordonnance de sûreté de l'enfant. Ce dispositif s'ajouterait à ceux qui existent déjà en droit positif, tout en présentant des spécificités.

Ainsi, selon ce nouveau régime, inscrit dans un titre dédié du code civil, l'ordonnance de sûreté pourrait être délivrée dans un délai maximal de quinze jours à compter de la fixation de la date de l'audience, « lorsqu'il apparaît vraisemblable qu'un enfant a subi un viol incestueux, une agression sexuelle incestueuse ou des faits de violence susceptibles de le mettre en danger, commis par une personne titulaire sur celui-ci d'une autorité de droit ou de fait, et lorsqu'il est à redouter qu'une nouvelle infraction soit commise ».

La délivrance d'une ordonnance de sûreté permettrait le prononcé, pour une durée de six mois, de mesures provisoires restrictives de liberté, telles que des interdictions de contact et de paraître, le port d'un dispositif électronique mobile anti-rapprochement permettant la géolocalisation permanente du parent violent et de son enfant, ou encore le retrait total ou partiel de l'autorité parentale ou de l'exercice d'icelle.

L'objectif de cette proposition de loi est particulièrement louable, puisqu'il vise à améliorer la protection des enfants victimes de violences intrafamiliales. Cette protection, vous le savez, est une priorité absolue pour le Gouvernement.

Je rappelle à ce titre que, le 20 novembre 2023, un plan de lutte contre les violences faites aux enfants pour la période 2023-2027 a été lancé, qui s'articule autour de vingt-deux actions tendant à améliorer la prévention des violences et la protection des enfants. Dans ce cadre, le législateur, activement soutenu par le Gouvernement, a adopté la loi du 18 mars 2024 précitée, dont Marie Mercier fut d'ailleurs rapporteure pour le Sénat. Cette loi, directement inspirée des recommandations de la Ciivise, permet aux magistrats de remettre en cause plus facilement les droits parentaux du parent poursuivi ou condamné pour des faits de viol ou d'agression sexuelle incestueux commis sur son enfant.

Elle permet ainsi la suspension automatique de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement dès le stade des poursuites ; elle crée un nouveau cas de délégation forcée de l'exercice de l'autorité parentale en cas de viol ou d'agression sexuelle incestueux ; et elle prévoit le retrait obligatoire de la titularité de l'autorité parentale en cas de condamnation pour viol ou agression sexuelle incestueux.

Ce texte garantit une protection efficace à l'enfant victime, en empêchant le parent agresseur de continuer à entretenir des liens avec lui et de prendre toutes les décisions nécessaires à l'organisation de la vie de celui-ci. Il rappelle, en creux – puisque le dispositif se greffe sur la procédure pénale –, que, en cas de faits délictuels ou criminels commis par un parent à l'égard de son enfant, nos règles de procédure pénale intègrent une dimension de protection de l'enfant. Ainsi, si les éléments de l'enquête confirment, à l'issue de la garde à vue, l'existence d'indices graves et concordants ou la caractérisation des faits commis, le parent mis en cause peut être placé sous contrôle judiciaire, voire en détention provisoire, permettant son éloignement et la protection de l'enfant.

Par conséquent, c'est la procédure pénale qui doit, en première intention, permettre d'assurer la protection de l'enfant victime. Il me paraît fondamental de le rappeler, au regard de la gravité des faits, pour lesquels le dispositif soumis à la discussion aujourd'hui est prévu.

Bien que je comprenne et partage bien entendu la volonté de toujours mieux protéger nos enfants, il ne me semble pas que cette proposition de loi puisse contribuer à atteindre cet objectif. Le dispositif qu'elle crée, sur lequel je me dois d'émettre d'importantes réserves, est en effet moins efficace que le droit existant.

Je m'explique.

Lorsque l'enfant est victime de violences physiques ou sexuelles de la part de l'un de ses parents, indépendamment de la procédure pénale qui devrait être engagée sans délai au regard de la nature des faits, tant le juge aux affaires familiales que le ministère public chargé des mineurs et le juge des enfants, spécialisés dans la protection des enfants en danger, peuvent d'ores et déjà intervenir en urgence, et parfois même sans délai. Quant à l'autre parent, qui est le premier protecteur de l'enfant en tant que titulaire de l'autorité parentale, il peut déjà saisir le juge aux affaires familiales en urgence, dans le cadre de la procédure de l'assignation à bref délai, qui permet d'obtenir une date d'audience rapidement, et même en extrême urgence dans le cadre de la procédure de référé, qui permet, elle, d'assigner à heure indiquée, y compris les jours fériés ou chômés.

Ces procédures permettent au juge aux affaires familiales d'attribuer provisoirement la jouissance du logement familial au parent protecteur, exactement comme il est proposé de le faire au travers de cette ordonnance de sûreté, et ce dans un délai beaucoup plus rapide, avec le référé d'heure à heure.

Par ailleurs, dans l'hypothèse où les violences commises sur l'enfant s'inscriraient dans un contexte de violences intrafamiliales avec des violences au sein du couple, l'ordonnance de protection délivrée au parent victime de violences profite également à l'enfant. Dans ce cadre, le juge aux affaires familiales peut prononcer des interdictions de contact entre le parent et l'enfant, et peut statuer sur l'exercice de l'autorité parentale et le sort du logement familial.

De leur côté, le procureur de la République ou le juge des enfants ont déjà la possibilité de prendre, sans délai et à toute heure du jour et de la nuit, au besoin avec le concours de la force publique, une ordonnance de placement provisoire qui permet d'extraire immédiatement l'enfant de son domicile sans débat préalable. Le cas échéant, l'enfant peut être placé chez l'autre parent et les droits de visite et d'hébergement du parent agresseur peuvent être réservés. L'enfant est ainsi immédiatement protégé.

Vous l'aurez compris, en permettant au juge aux affaires familiales de statuer en urgence sur l'exercice de l'autorité parentale et le sort du logement familial, et au procureur de la République ou au juge des enfants d'extraire immédiatement l'enfant de son milieu familial, notre droit dispose déjà d'un arsenal juridique efficace pour protéger en urgence l'enfant victime de violences intrafamiliales. Ainsi, confier au juge aux affaires familiales une compétence concurrente à celle du juge des enfants, qui est le juge naturel en matière de protection de l'enfance, conduirait à une perte de lisibilité de notre organisation judiciaire.

Ce sont ces éléments de réflexion que nous devrons avoir à l'esprit lorsque nous examinerons les amendements, dont celui de Mme Carrère, qui ont pour objet d'étendre, en remplacement du dispositif de l'ordonnance de sûreté, le dispositif de l'ordonnance de protection, lorsqu'il paraît vraisemblable que l'enfant a subi un viol ou une agression sexuelle incestueux ou des faits de violence de la part de l'un de ses parents ou de l'un de ses beaux-parents, en cas de cohabitation.

Je comprends que ces amendements visent à corriger certaines difficultés rédactionnelles et procédurales du texte initial et c'est positif, car notre droit, en particulier lorsqu'il s'agit de protéger les victimes les plus vulnérables, doit être clair et efficace. L'enjeu est trop important.

Les critères sur lesquels reposerait le prononcé d'une ordonnance de sûreté manquent d'objectivité, qu'il s'agisse de la condition selon laquelle « il est à redouter qu'une nouvelle infraction soit commise » ou de celle selon laquelle la commission des faits jugée vraisemblable doit être « susceptible » de mettre l'enfant en danger. Par ailleurs, en ce qui concerne le dispositif électronique mobile anti-rapprochement, qui est l'une des mesures de l'ordonnance de sûreté proposée initialement, la rédaction nécessite des éclaircissements, car elle laisse entendre que tous les mineurs pourraient en bénéficier, alors même que ce dispositif nécessite d'en comprendre pleinement le fonctionnement et que sa généralisation pourrait mettre les enfants en situation de conflit de loyauté.

Enfin, le texte cite, parmi les effets de l'ordonnance de sûreté, la possibilité pour le juge aux affaires familiales de retirer la titularité, et non le simple exercice, de l'autorité parentale. Je rappelle que cette prérogative est en principe confiée non pas à un juge seul, statuant dans l'urgence, mais à un tribunal composé de trois juges, en raison de la gravité de cette décision.

Tous ces arguments m'amènent à exprimer des réserves importantes sur ce texte, et ce malgré, encore une fois, le but plus que louable qu'il vise et auquel je m'associe. De façon éloquente, Mme la rapporteure de la commission a noté que la Ciivise elle-même avait exprimé d'importantes critiques à l'endroit de ce texte, preuve s'il en est que ce dernier ne peut malheureusement pas atteindre les objectifs qui lui sont fixés et auxquels adhère le Gouvernement.

L'amendement de Mme Carrère a pour objet d'éviter ces écueils, en se référant au cadre procédural de l'ordonnance de protection, avec quelques adaptations néanmoins, comme l'impossibilité de recourir à l'ordonnance provisoire de protection immédiate ou d'ordonner le port d'un bracelet anti-rapprochement.

Néanmoins, ces modifications du dispositif initial ne permettent pas de surmonter les réserves précédemment exposées. En créant, sans octroyer de moyens supplémentaires, une nouvelle procédure d'urgence devant le juge aux affaires familiales, qui se superposera à celles qui existent déjà, c'est à la lisibilité du droit et à l'accès au juge que l'on porterait atteinte.

Conservons une vision d'ensemble sur les outils existants de protection des mineurs. N'ajoutons pas de la complexité à des situations déjà terriblement compliquées. Gardons de la cohérence pour que la protection soit la plus efficace possible.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la protection des enfants est une priorité absolue du Gouvernement. Après avoir souligné les difficultés que pose cette proposition de loi et les réserves qu'elle suscite, le Gouvernement s'en remet néanmoins à la sagesse de la Haute Assemblée à son sujet. (Applaudissements sur les travées des groupe Les Républicains et UC ainsi qu'au banc des commissions. – Mmes Mireille Jouve et Laure Darcos applaudissent également.)

(Mme Anne Chain-Larché remplace M. Loïc Hervé au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous pouvons tous en convenir, malgré de nombreux progrès accomplis au cours des dernières années au sujet des violences intrafamiliales, les violences commises spécifiquement sur les enfants sont encore bien trop nombreuses. La Ciivise avance ainsi le chiffre de 160 000 victimes par an pour les seules violences sexuelles commises sur mineur au sein du cercle familial, estimation probablement sous-évaluée, ces violences étant par essence cachées et intimes.

Au regard de ce constat, la proposition de loi de notre collègue Maryse Carrère semblait donc bienvenue.

Ce texte, reprenant l'une des recommandations de la Ciivise, institue une ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences. Toutefois, et c'est le sens du rapport de notre collègue Marie Mercier, notre droit n'est pas dépourvu d'outils juridiques pour la protection des mineurs – Mme la ministre vient de le rappeler –, y compris dans des situations d'urgence, outils qui relèvent du juge des enfants, du juge aux affaires familiales ou du procureur de la République. Dans un premier temps, nous nous sommes donc demandé si le juge des enfants n'avait pas toutes les compétences requises pour protéger un enfant, sans avoir besoin de ce texte.

Néanmoins, le juge des enfants que nous avons entendu en audition nous a expliqué qu'il ne pouvait intervenir que lorsque les deux parents étaient défaillants et qu'il ne pouvait confier l'enfant à un parent protecteur. C'était donc bien au juge aux affaires familiales d'intervenir dans ce cas.

Nous nous sommes donc tournés vers ces juges qui, eux, nous ont expliqué que l'assignation à bref délai et l'ordonnance de protection pouvaient déjà servir à cela et qu'il n'était pas nécessaire d'ajouter une couche de procédure supplémentaire.

Alors, pourquoi ce texte ?

En réalité, cette proposition de loi est utile : si les outils existent, ils sont perfectibles, y compris de l'avis des professionnels eux-mêmes. Je pense à cet égard aux échanges que j'ai pu avoir avec le président du tribunal de Sens, dans mon département, qui, n'hésitant jamais à faire un peu de pédagogie, m'a expliqué les limites de l'assignation à bref délai en comparaison d'une éventuelle procédure d'urgence dédiée à l'enfant.

En effet, l'assignation impose au juge de statuer sur le fond dans l'urgence, ce qu'il ne peut pas toujours faire et ce qui conduit certaines juridictions surchargées à émettre un refus systématique a priori. L'ordonnance de protection permet a contrario de protéger et de laisser ensuite aux magistrats le temps de juger sur le fond.

Quant à l'ordonnance de protection telle qu'elle existe aujourd'hui, son bénéfice peut en effet être étendu aux enfants, notamment depuis une récente décision de la Cour de cassation. Pour autant, cette ordonnance est principalement destinée à la protection du conjoint victime, les enfants du couple n'étant concernés dans ce cas qu'à titre accessoire.

Ainsi, dans le cas où les violences ne s'exerceraient que sur les enfants, ce qui est fréquent en cas d'inceste, l'ordonnance de protection ne pourrait être délivrée.

Si un changement de notre droit fait donc sens, la proposition de loi dans sa version initiale n'est pas satisfaisante pour les raisons qui ont été évoquées à l'instant : la création d'une nouvelle procédure serait source de confusion, au détriment de l'efficacité attendue sur un tel sujet.

L'auteure du texte a donc fait le choix de réécrire le texte : plutôt que de créer un nouveau dispositif ad hoc qui se superposerait aux outils actuels, elle propose d'élargir le dispositif de l'ordonnance de protection aux cas de violences, vraisemblablement commises dans le cercle familial proche, à l'encontre d'un enfant.

L'ordonnance de protection deviendrait ainsi l'outil général de protection judiciaire d'urgence à la disposition du juge aux affaires familiales, puisqu'elle couvrirait l'entièreté du foyer familial et non plus le seul couple. Précisons que les juges se sont bien appropriés cette ordonnance et qu'ils n'auront donc aucun mal à en étendre le périmètre.

Mon groupe et moi-même ne pouvons que soutenir cette nouvelle version de la proposition de loi, qui permet de répondre à cette réalité des violences faites aux enfants et dont le dispositif gagnerait en clarté, pour le plus grand bénéfice de nos magistrats.

Le sous-amendement n° 17 d'Evelyne Corbière Naminzo est également le bienvenu, dans la mesure où il vise à faire entrer les enfants victimes dans le champ de l'ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI). Certes, cette ordonnance ne sera véritablement mise en application qu'en février prochain, mais est-il vraiment nécessaire que nous légiférions de nouveau sur ce sujet ultérieurement, alors qu'il nous semble naturel de prendre d'emblée ces enfants en compte, comme c'est le cas pour l'ordonnance de protection ?

En fin de compte, le dispositif que nous examinons aujourd'hui n'est peut-être pas totalement abouti, notamment parce que la réécriture que l'on nous propose est toute récente, mais je suis certaine que la navette parlementaire permettra de l'enrichir opportunément.

C'est pourquoi le groupe Union Centriste votera cette proposition de loi remaniée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles tous les ans, le Parlement a adopté un certain nombre de dispositifs pour lutter contre ce fléau.

La loi adoptée en mars dernier prévoit la suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement en cas de poursuite, de mise en examen ou de condamnation.

En parallèle, nous avons œuvré continuellement au renforcement de l'ordonnance de protection des femmes victimes de violences conjugales depuis sa création en 2010. Cette ordonnance, même si elle permet à une femme, vraisemblablement victime de violences conjugales, d'obtenir une mesure de protection judiciaire pour elle et ses enfants, ne suffisait pas à protéger les enfants victimes de violences en cas d'urgence.

Nous discutons aujourd'hui d'un texte prévoyant la mise en place d'une ordonnance de sûreté pour les enfants victimes, sur le modèle de l'ordonnance de protection, ou, plutôt, compte tenu de ce qu'a indiqué à l'instant l'auteure dudit texte, d'un dispositif étendant à ces enfants le champ de l'ordonnance de protection.

L'essentiel est de pouvoir mettre les enfants en sécurité dès que possible. Le juge aux affaires familiales doit pouvoir prononcer des mesures temporaires pour protéger l'enfant victime de violence, en statuant en urgence sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale. Le principe de précaution a toujours guidé le magistrat appelé à délivrer une ordonnance de protection : les enfants devraient donc en bénéficier, tout autant que les adultes.

La présomption d'innocence ne doit pas empêcher de prendre des mesures pour protéger en urgence l'intégrité physique et la santé mentale de l'enfant. Les enfants n'ont évidemment ni les ressources physiques, ni les ressources psychologiques, ni les ressources financières pour fuir un agresseur issu de leur propre cercle familial.

Une mise en sécurité rapide, la plus précoce possible, est nécessaire, d'autant qu'il arrive très fréquemment que le parent mis en cause, tant qu'il n'est pas poursuivi en justice, ne soit pas éloigné de l'enfant. Il en résulte que l'enfant victime continue de subir des violences durant des semaines, voire des mois, alors même que les institutions sociales et les autorités judiciaires ont été informées d'une situation de grave danger présumée.

Il n'existe ni protection ni justice si la parole de l'enfant est mise en cause. Ne pas mettre en sûreté un enfant qui a dévoilé les violences qu'il a subies, c'est le dissuader de parler et le renvoyer au silence. Les enfants dénonçant les agressions dont ils sont victimes ne devraient jamais être laissés sans protection.

Interdire au parent accusé d'entrer en contact avec l'enfant présumé victime est une avancée majeure quand on connaît les stratégies de manipulation des agresseurs. Ces derniers bénéficient souvent d'un niveau de protection et d'une crédibilité élevés au sein du cercle familial. Il n'est pas rare que les pères agresseurs rejettent la faute sur les mères protectrices, lesquelles prennent tous les risques pour protéger leurs enfants, y compris celui d'être placées en garde à vue.

Il est donc indispensable de soustraire les enfants victimes de violences à toute pression éventuelle des parents accusés : c'est pourquoi nous voterons en faveur de l'ordonnance protégeant ces enfants.

Nous déposerons néanmoins plusieurs sous-amendements à l'amendement de Mme Carrère, afin de renforcer le dispositif, notamment pour faire en sorte que le dépôt de plainte ne soit plus obligatoire. Dans la mesure où 88 % des violences incestueuses ne font pas l'objet d'une plainte, l'ordonnance de protection doit permettre de protéger l'enfant à partir d'un simple signalement, dès lors qu'il est à redouter que de nouvelles violences soient commises.

Pour que l'intérêt supérieur de l'enfant ne soit pas qu'une formule creuse dans notre droit, nous devons nous doter d'outils plus ambitieux. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et UC. – Mme le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je souhaite remercier Maryse Carrère de nous permettre de discuter cet après-midi d'un sujet absolument majeur, de nature quasi civilisationnelle : celui de la protection que notre société doit aux enfants victimes de violences, alors que, dans notre pays, un enfant est victime toutes les trois minutes d'inceste, de viol ou d'agression sexuelle, qu'un enfant sur cinq en moyenne serait concerné par ces violences, qu'un enfant meurt chaque semaine sous les coups de ses parents, et que 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année. Comment faire pour mettre un terme à tout cela ?

La proposition de loi touche à un domaine essentiel et apparaît comme une solution utile, même si elle ne constitue pas, bien sûr, l'unique moyen de lutter contre ces violences.

Elle vise à permettre au juge aux affaires familiales de délivrer une ordonnance de sûreté pour protéger des enfants vraisemblablement victimes d'inceste ou d'autres violences particulièrement graves, sur le modèle de l'ordonnance de protection destinée, elle, à protéger les victimes de violences conjugales.

Ce texte est utile parce qu'aujourd'hui il n'existe en réalité aucun mécanisme efficace pour protéger, en cas d'urgence, les enfants victimes de violences.

Nous disposons certes de mesures pour protéger ces enfants, mais, de par leur nature, elles ne permettent pas de répondre à l'ensemble des cas de violences qui leur sont faites ; parfois, ces dispositions contribuent au contraire à laisser de nombreux enfants sous le même toit que leurs agresseurs, et ce pendant des années – c'est un fait.

L'ordonnance de protection, une procédure que l'on connaît bien, permet en effet au juge de prononcer en urgence des mesures qui renforcent éventuellement la protection de l'enfant, mais celle-ci ne peut être délivrée que si l'agresseur est aussi l'auteur de violences conjugales. En d'autres termes, tant que la violence concerne l'enfant, et seulement lui, et pas l'un de ses parents, celui-ci ne peut pas être mis à l'abri de son agresseur par le biais de ce dispositif.

Or très nombreux sont les cas d'inceste qui ne s'accompagnent pas de violences conjugales. Pourtant, ces incestes existent bel et bien et relèvent tout autant de l'urgence que les incestes d'enfants vivant dans des foyers où leurs mères subissent des violences conjugales. Pour le dire simplement, on ne peut pas décider de moins protéger un enfant victime d'inceste parce que sa mère n'est pas battue.

C'est précisément à cet enjeu que ce texte entend répondre.

Près de 90 % des victimes d'inceste ne portent pas plainte. Pour les 10 % d'entre elles qui le font, souvent tardivement, la justice réagit encore souvent trop tard, voire parfois pas du tout.

Nous sommes collectivement très mauvais quand il s'agit de faire face aux violences incestueuses et, plus globalement, aux violences faites aux enfants. Ce texte ne permettra évidemment pas de tout résoudre, car l'ensemble de nos politiques, qu'elles soient de nature sociale, familiale, scolaire, judiciaire, pénale ou policière, doivent s'améliorer. Le chantier est immense.

Quand il y a vraisemblablement inceste ou violence grave, faut-il que le juge puisse prononcer une interdiction de contact ou suspendre l'exercice de l'autorité parentale ? L'ordonnance de sûreté est-elle utile ? Pour nous, la réponse est oui.

Aussi longtemps que notre droit n'intégrera pas un tel mécanisme, certains enfants victimes de violences, qui auront pourtant été repérés, passeront entre les mailles du filet.

Ce texte pourrait sans doute être amélioré : nous sommes là pour cela, et c'est donc ce que nous nous emploierons à faire cet après-midi. Les outils actuels de protection des enfants victimes peuvent-ils également être améliorés ? Oui, indiscutablement.

Pour conclure, je veux dire que l'objectif de mieux protéger les enfants victimes de violences sera servi par l'adoption de cette proposition de loi dans une version améliorée, laquelle pourra ensuite être éventuellement enrichie lors de la navette parlementaire. Car le rejet du texte, fût-il justifié par des raisonnements juridiques étoffés et intelligents, ne nous permettra pas de sauver un seul enfant ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, CRCE-K, RDSE et UC. – Mme Laure Darcos et Mme le rapporteur applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le constat qui nous conduit à discuter de cette proposition de loi cet après-midi est accablant : 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles au sein de leur famille.

Évidemment, ce sujet nous préoccupe tous. Il apparaît donc légitime que nous nous interrogions sur le meilleur dispositif qui permettrait de protéger ces enfants.

La présidente Maryse Carrère a pris une initiative très intéressante, qui repose sur plusieurs principes, sur lesquels je reviendrai et qui ont conduit mon groupe à déposer un certain nombre d'amendements.

Par ce texte, notre collègue propose que le juge puisse délivrer une ordonnance, afin qu'une série de mesures soient prises pour protéger les enfants victimes.

Plus précisément, elle prévoit de confier cette faculté au juge aux affaires familiales, conformément à ce que les représentants de ces magistrats spécialisés ont eux-mêmes exprimé. Ils se considèrent comme étant les plus à même de traiter cette question, contrairement à notre intuition initiale qui nous aurait peut-être amenés à attribuer cette compétence aux juges des enfants. Ceux-ci estiment a contrario que cette compétence ne peut pas relever de leur mission, dès lors qu'il y a un parent protecteur ; la faculté de prononcer un placement à domicile aurait posé une difficulté juridique et les aurait obligés à se livrer à des contorsions juridiques quelque peu risquées.

Il est donc proposé que le juge aux affaires familiales puisse être saisi, sans obligation de dépôt de plainte : celui-ci dispose d'un délai de quinze jours pour prendre une ordonnance de sûreté, ce qui nous paraît un peu long à nos yeux.

Sont prévues, dans ce cadre, des mesures extrêmement fortes, sur lesquelles nous portons une appréciation différente : le retrait de l'exercice de l'autorité parentale et la possibilité d'imposer le port d'un bracelet antirapprochement, non seulement à l'auteur des violences, mais aussi à la potentielle victime.

C'est pourquoi nous avons déposé un certain nombre d'amendements qui, tout en s'inscrivant dans cette réflexion globale, tendent à modifier le dispositif prévu et à exposer la position de notre groupe.

Nous proposons de réduire à six jours le délai de délivrance de l'ordonnance de sûreté, de supprimer la possibilité pour le juge d'ordonner le port d'un bracelet antirapprochement – obliger un enfant de 4 ans à porter un tel bracelet sur le chemin de son école maternelle nous semble d'une violence inouïe –, et de remplacer la possibilité de retirer l'exercice de l'autorité parentale par celle d'une simple suspension.

La présidente Maryse Carrère, en lien avec la rapporteure et nos collègues qui ont participé de près aux travaux de la commission, a finalement choisi de proposer une rédaction différente de son texte, qui a pour avantage de s'inscrire dans le prolongement des dispositifs préexistants, puisque, par le simple ajout d'un critère, elle en étend le bénéfice aux enfants victimes de violences.

Mélanie Vogel l'a en effet rappelé à l'instant, il est inexact d'affirmer que l'ordonnance de protection, dans sa version actuelle, protégerait l'enfant, car cela n'est véritablement le cas que dans la mesure où il y a également des violences conjugales. Autrement dit, l'ordonnance de protection peut bénéficier aux victimes de violences, et donc éventuellement aux enfants, mais pas aux enfants s'ils sont les seules victimes. Il reste donc un interstice à combler.

Il est vrai qu'il existe déjà de nombreuses procédures, qui sont assez complexes : si les juges en ont l'habitude, ce n'est pas le cas des justiciables. Or cela compte ! Par exemple, madame la ministre, l'assignation à bref délai n'est pas une réalité. (Mme la ministre déléguée manifeste son étonnement.) En effet, qui dit assignation dit avocat – et vous connaissez mon attachement à cette profession ! Il s'agit d'un processus très formalisé et lourd, qui prend nécessairement beaucoup de temps, parce qu'il implique que la victime rassemble un certain nombre de pièces, que son avocat engage les démarches auprès de la présidence du tribunal et qu'il obtienne une date pour l'audience… Dans les faits, il se passe donc un certain temps.

Par ailleurs, nous sommes favorables à ce qu'une plainte soit déposée, parce qu'il nous semble que l'enquête est un paramètre important. En effet, pour qu'il y ait enquête, il faut une plainte quand bien même le juge aux affaires familiales potentiellement saisi pourrait déclencher une enquête sociale – ce n'est pas une enquête pénale – et saisir le parquet, qui, lui-même, pourrait prendre des mesures.

L'argument qui pourrait nous être opposé dans quelques instants consiste à dire qu'un tel dépôt de plainte compliquerait les choses. Ce n'est pas le cas ! Déposer plainte est extrêmement simple, d'autant que celle-ci ne doit être produite qu'au moment de la procédure elle-même.

Mes chers collègues, nous traitons une matière extraordinairement délicate : nous parlons d'enfants qui ont parfois verbalisé la violence dont ils ont fait l'objet, mais c'est à un parent qu'il revient de gérer la situation et de faire en sorte que ces derniers puissent s'adapter aux mesures prononcées. Il semble donc nécessaire que ce soit le parent protecteur qui endosse ce rôle et puisse déposer plainte, afin qu'une enquête soit diligentée si, naturellement, les services de police l'estiment justifiée.

Nous sommes en outre favorables à la suspension de l'exercice de l'autorité parentale du parent coupable et, donc, à un allègement de son droit de visite et de son droit de garde, ainsi qu'à la possibilité pour le juge de statuer sur la résidence de l'enfant, car, je le rappelle, une femme victime de violences conjugales ne peut décider seule de la résidence de son enfant si l'autre parent n'en est pas d'accord.

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ces mesures nous semblent davantage protectrices pour l'enfant. C'est la raison pour laquelle notre groupe soutiendra cette proposition de loi, sous réserve du sort qui sera réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et UC. – Mme Laure Darcos et Mme le rapporteur applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christopher Szczurek.

M. Christopher Szczurek. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons cet après-midi entend répondre au fléau insupportable des violences physiques ou sexuelles infligées aux enfants, beaucoup trop souvent dans le cadre familial.

Ainsi, l'instauration d'une ordonnance de sûreté spécifique aux enfants victimes de violences peut constituer une réponse juridique efficace, sur le modèle de l'ordonnance de protection en cas de violences conjugales.

Depuis trop longtemps, la société française, comme tant d'autres, s'est contentée de palliatifs, refusant de regarder en face la gravité des drames qui se jouent derrière les portes closes. Les chiffres, hélas, parlent d'eux-mêmes : 160 000 enfants subissent chaque année des violences sexuelles. Chacune de ces vies est marquée à jamais ; ce n'est pas seulement un échec individuel, c'est aussi un échec collectif.

La loi doit faire en sorte de protéger les membres les plus faibles de notre société, une catégorie à laquelle appartiennent nos enfants. La récurrence de ces drames et leur diffusion dans la société choquent la population et appellent une réponse judiciaire et pénale à la hauteur de l'émotion.

À cet égard, l'ordonnance de sûreté de l'enfant victime, en favorisant la mise en œuvre de mesures d'urgence pour protéger les enfants exposés à des violences ou à des abus, répond dans son principe à une exigence d'efficacité et de célérité de la justice.

Certes, le travail effectué en commission a permis de relever un certain nombre de difficultés techniques qu'entraînerait l'adoption de ce dispositif et son manque d'efficacité, mais nous considérons que l'État doit être intraitable lorsqu'il s'agit de défendre nos enfants. Face aux monstres qui détruisent des vies, il ne faut laisser aucune place à la compromission.

Cette proposition de loi constitue avant tout un outil de protection. Sur le modèle de l'ordonnance de protection des victimes de violences conjugales, elle offre une nouvelle faculté aux juges, lorsqu'un cas d'inceste est avéré, qui nous permettrait de protéger plus efficacement les enfants victimes.

Aussi, nous approuvons le principe sur lequel repose ce texte et nous voterons les modifications proposées par son auteure pour le rendre plus efficace et mieux applicable.

Face à des procédures judiciaires nécessairement longues et complexes, la proposition de loi permettra d'accélérer les actions préalables de protection de l'enfant victime. Cette rapidité d'action est, ici, synonyme d'efficacité et de sécurité.

Ce texte représente un premier jalon, qui contribuera à améliorer notre droit et nos procédures judiciaires afin de protéger les enfants et, surtout, punir les faits incestueux.

Mes chers collègues, protéger un enfant, ne pas laisser plus longtemps un bourreau briser une vie en devenir, c'est préserver l'avenir. Nous voterons donc en faveur de cette proposition de loi, non pas seulement par choix politique, mais aussi par devoir moral, celui de protéger ceux qui n'ont pas encore de voix pour se défendre.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les chiffres sont glaçants : en France, toutes les trois minutes, un enfant est victime d'inceste, de viol ou d'agression sexuelle. Ce sont, chaque année, 160 000 jeunes victimes qui voient ainsi leur vie basculer.

Parce que ce sont justement des enfants et que les violences subies se déroulent majoritairement dans le cadre familial, leur souffrance reste invisible ; il leur est en outre impossible de la surmonter.

Pour peu qu'ils soient frappés par un handicap, c'est encore pire : ils ont alors un risque 2,9 fois plus élevé d'être victimes de violences sexuelles. Lorsque leur handicap est lié à une déficience intellectuelle ou à une maladie mentale, le risque est 4,6 fois plus élevé…

Notre délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est particulièrement attentive à ces faits de société. Ainsi, à la fin de l'année dernière, elle a une nouvelle fois auditionné le juge des enfants, Édouard Durand, coprésident de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise).

À cette occasion, celui-ci nous a convaincus, s'il en était encore besoin, de la nécessité d'agir sans faillir contre cette réalité terrifiante, non seulement en raison du coût social que ce fléau fait peser sur la société, mais surtout parce que le viol est un anéantissement de l'être et que l'impunité des violeurs d'enfants est absolument intolérable. Il nous a aussi rappelé combien il est nécessaire d'entendre la parole de l'enfant en toutes circonstances, selon l'adage « je te crois, je te protège », pour lui permettre de sortir de ce néant absolu.

Trop souvent, malheureusement, l'accompagnement fait défaut, à tel point que le juge Durand parle d'un second anéantissement. L'absence de soutien social correspond selon lui à répondre « tu mens » à la malheureuse victime.

Certes, de nombreuses initiatives ont vu le jour en matière de lutte contre les violences sexuelles sur les enfants. Je pense notamment au plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2020-2022, qui a renforcé le 119 et qui a permis le contrôle systématique des antécédents judiciaires des professionnels et bénévoles exerçant une activité en contact avec des mineurs. Je pense bien évidemment à la création de la Ciivise ou à l'adoption, en 2021, de la loi Billon visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste.

L'initiative de notre collègue Maryse Carrère s'inscrit dans cet esprit. La proposition de loi que nous examinons cet après-midi entend créer un nouveau dispositif de protection judiciaire de l'enfant victime de violences.

Toutefois, l'intérêt d'instituer une ordonnance de sûreté de l'enfant est apparu limité à notre commission des lois, d'une part parce que le droit en vigueur répond déjà largement aux objectifs de ce texte, d'autre part parce que la proposition de loi comporte moins de mesures de protection que celles dont dispose le juge aux affaires familiales lors de l'octroi d'une ordonnance de protection.

En outre, contrairement à l'ordonnance de protection, aucune sanction pénale n'a été prévue en cas de violation des mesures prononcées par le juge aux affaires familiales dans le cadre de l'ordonnance de sûreté. La portée du texte s'en trouve, de ce fait, considérablement amoindrie.

C'est aussi la raison pour laquelle Maryse Carrère nous proposera un amendement de réécriture de l'article unique qui permettra d'atteindre le même objectif de protection de l'enfant victime de violences, mais dans le cadre d'une ordonnance de protection élargie aux cas de violences vraisemblables commises dans le cercle familial proche et nécessitant, par suite, une protection judiciaire d'urgence.

Madame la ministre, mes chers collègues, notre groupe souscrit pleinement à l'objectif qui sous-tend cette proposition de loi. Nous saluons l'initiative prise par notre collègue pour ajuster son texte et enrichir le dispositif de l'ordonnance de protection, afin d'y inclure les violences sur les enfants, notamment sexuelles. C'est la raison pour laquelle nous voterons en faveur de la proposition de loi ainsi amendée.

Seuls comptent pour nous l'efficacité de la réponse, les besoins fondamentaux de l'enfant et sa nécessaire protection. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC. – Mme Evelyne Corbière Naminzo, M. Laurent Somon et Mme le rapporteur applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Belrhiti. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner la proposition de loi visant à instituer une ordonnance de sûreté spécifiquement dédiée aux enfants victimes de violences, lesquels méritent sans nul doute une attention particulière.

Au fond, cette initiative tend à réaffirmer l'importance de la protection de nos enfants face au drame des violences subies en silence, quelles qu'elles soient.

À ce titre, je tiens à saluer la mobilisation de notre collègue Maryse Carrère, qui a placé ce sujet grave au cœur de nos réflexions. L'ampleur du problème est indéniable : il y aurait, selon la Ciivise, 160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année. Ce chiffre nous rappelle sans cesse l'urgence d'agir et le besoin de renforcer la protection des victimes les plus vulnérables de notre société.

Toutefois, sur la forme et sur le fond, le dispositif proposé soulève des interrogations, notamment quant à son efficacité.

La commission des lois, suivant l'avis de la rapporteure, a procédé à un examen attentif et rigoureux du texte : ce travail de fond met en lumière certaines faiblesses significatives du mécanisme envisagé.

Tout d'abord, la pertinence même d'une ordonnance spécifique, intitulée ordonnance de sûreté de l'enfant, demeure incertaine. De nombreux dispositifs existent déjà, tant en matière de protection judiciaire de l'enfance que dans le cadre de l'autorité parentale.

Plusieurs de ces dispositifs ont du reste fait l'objet de réformes récentes, notamment cette année au travers de la loi du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, qui a permis d'élargir les motifs de suspension de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale.

Les mesures actuellement en vigueur sont donc déjà de nature à offrir un cadre de protection pour les enfants exposés à des situations de danger. Il nous paraît davantage pertinent de les renforcer ou de les adapter que de multiplier les outils et, ainsi, d'alourdir le millefeuille législatif.

Par ailleurs, la proposition de loi qui nous est soumise présente une redondance notable avec les mesures d'assistance éducative.

En effet, les ordonnances de protection, ainsi que les autres prérogatives du juge aux affaires familiales, peuvent d'ores et déjà être activées pour protéger un enfant victime ou en danger. L'ordonnance de sûreté qui est proposée par notre collègue viserait, elle aussi, à instaurer un périmètre de protection, mais elle ne représenterait pas une avancée significative par rapport aux dispositifs en vigueur.

En outre, plusieurs acteurs auditionnés, parmi lesquels des représentants de la Ciivise elle-même, se sont montrés réservés. Ils ont manifesté leur réticence sur le fondement de considérations essentielles : ils regrettent l'absence de sanctions en cas de violation des mesures prononcées, un cadre juridique inadapté, ainsi qu'une potentielle atteinte à la lisibilité et à l'efficacité des dispositions en vigueur.

Ces points de vigilance doivent, il me semble, être pris en compte si l'on veut aboutir à un dispositif réellement efficace.

J'ajoute que la commission des lois a pointé le risque que nous modifiions trop prématurément notre législation en matière de protection de l'enfance, au regard des évolutions importantes que celle-ci a déjà connues ces derniers mois. Une évaluation de l'application des lois récemment votées permettrait, dans un premier temps, de mesurer leur impact réel et d'envisager, le cas échéant, les ajustements nécessaires. Prendre le temps de cette évaluation est essentiel si nous voulons garantir des dispositifs durables, adaptés et pleinement fonctionnels.

Mes chers collègues, notre volonté collective est de lutter contre les violences faites aux enfants. Cependant, ce qui est envisagé dans le cadre de cette proposition de loi ne garantit ni l'efficacité ni la pertinence du dispositif. C'est pourquoi nous nous en remettrons à l'avis de la commission. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport publié par la Ciivise le 17 novembre 2023 nous a tous révoltés. Il révèle en effet une réalité insoutenable : plus de 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année dans notre pays. Ce sont là 160 000 vies brisées ; 160 000 enfances détruites tous les ans. Ce sont, aujourd'hui, 5,4 millions de femmes et d'hommes adultes qui ont vu leur innocence s'envoler dès le plus jeune âge, victimes de traumatismes indélébiles.

Face à ce constat insupportable, nous, législateurs, devons faire preuve d'une vigilance et d'une mobilisation sans faille. C'est pourquoi, malgré les réserves que m'inspire le dispositif juridique proposé – j'y reviendrai –, je tiens à remercier notre collègue Maryse Carrère d'avoir déposé le présent texte.

Je le dis et je le répète, la protection de l'enfance ne saurait être un concept abstrait. Elle ne doit pas être la variable d'ajustement de nos politiques sociales.

Des dispositifs existent, qu'il s'agisse des ordonnances de protection, de l'autorité parentale adaptée ou encore des placements d'urgence. Aujourd'hui, la priorité n'est pas d'en créer d'autres encore, mais d'assurer la mise en œuvre rapide et efficace des textes en vigueur.

L'ordonnance de sûreté proposée par nos collègues du RDSE est conçue comme un outil supplémentaire destiné à renforcer la protection des enfants victimes de violences : je l'entends bien. L'utilité de ces dispositions m'inspire toutefois des réserves. En procédant ainsi, l'on risque de rendre les textes existants moins lisibles et donc moins efficaces.

J'y insiste, en la matière, nous disposons déjà d'un arsenal juridique, comprenant l'ordonnance de protection prévue par les articles 515-9 à 515-13-1 du code civil.

À l'ordonnance de placement provisoire (OPP) s'ajoute l'ordonnance provisoire de protection immédiate, un dispositif que nous avons adopté en juin dernier.

Face à un danger grave et imminent, cette ordonnance permet au juge aux affaires familiales (JAF) de prononcer en 24 heures des mesures de protection, comme l'interdiction de contact pour l'auteur présumé, la suspension du droit de visite et d'hébergement et des restrictions de déplacement. Or nous attendons encore la parution du décret d'application. Madame la ministre, tel est, selon nous, le véritable problème. Il est urgent d'assurer la pleine application de la loi.

Mes chers collègues, en adoptant cette proposition de loi, nous risquons de complexifier notre droit. Le danger est de rendre les dispositifs existants, comme l'OPPI et l'ordonnance de protection, moins lisibles et plus difficiles à mettre en œuvre pour les victimes comme pour les acteurs judiciaires.

C'est pour cette raison que j'ai déposé un amendement de réécriture. Je propose d'adapter l'ordonnance de protection pour y inclure les violences envers les enfants, qu'il s'agisse d'inceste ou d'autres violences intrafamiliales. En outre, cette ordonnance ne serait plus limitée aux seuls conflits au sein du couple. De tels objectifs me semblent de nature à susciter un large consensus.

Je suggère, plus précisément, d'étendre le champ d'application de l'ordonnance de protection aux situations de violences vraisemblablement commises dans le cercle familial proche. Ce faisant, on pourra cibler les violences contre les enfants, et ne pas limiter le dispositif aux violences au sein du couple, sans avoir à créer une nouvelle ordonnance de sûreté. Mme Carrère a d'ailleurs retenu cette formule dans son propre amendement de réécriture.

En parallèle, notre amendement tend à supprimer certaines dispositions de cette proposition de loi. Je pense notamment au bracelet antirapprochement, qui me semble inadapté pour des enfants, même sous la forme d'un boîtier de signalement. Pourquoi serait-ce à l'enfant de porter le fardeau du viol qu'il a subi ?

La Ciivise nous le rappelle : l'urgence est non pas de voter de nouvelles lois, mais d'assurer l'application effective des textes existants. Ce que nous devons garantir, ce sont des moyens concrets pour que nos magistrats, nos éducateurs et tous les professionnels engagés dans la protection de l'enfance puissent agir.

Avançons collectivement pour revoir les règles de prescription applicables à l'inceste et au viol. À cette fin, j'ai moi-même déposé une proposition de loi le 19 mai 2023. Le délai en vigueur est une seconde violence infligée aux victimes qui arrivent enfin à parler.

Avançons pour imposer la présence d'un avocat auprès de tous les bénéficiaires de la protection de l'enfance : ainsi, nous respecterons l'article 12 de la Convention internationale des droits de l'enfant, texte que la France a ratifié. Nous prendrons enfin en compte la parole de l'enfant, comme nous nous y sommes engagés au niveau international.

Enfin, avançons vers la création d'une délégation sénatoriale aux droits des enfants : une telle instance nous permettrait de mener des travaux transversaux sur ces sujets majeurs.

Face à l'horreur des violences faites aux enfants, nous ne saurions nous contenter d'un empilement, d'un enchevêtrement de dispositifs.

Je tiens à remercier de nouveau Maryse Carrère, ainsi que tous nos collègues du RDSE, d'avoir déposé cette proposition de loi et de l'avoir inscrite à l'ordre du jour. Nous avons tous la volonté de mieux protéger nos enfants. C'est pourquoi nous voterons le présent texte, dans une rédaction – nous l'espérons – améliorée par les amendements de réécriture.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme le rapporteur applaudit également.)

M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, déposée par Maryse Carrère, présidente de notre groupe – le RDSE –, et inscrite par ce dernier à l'ordre du jour du Sénat, résonne terriblement avec les chiffres des violences sexuelles faites aux enfants. En France, 160 000 victimes sont déplorées à ce titre chaque année : autant d'enfants envers qui la République ne tient pas sa promesse et qui voient leur vie bouleversée.

En 2023, la Ciivise déclinait, à l'aune de ce chiffre, quatre-vingt-deux préconisations pour lutter contre ces crimes abjects. Elle indiquait clairement que la première étape devait être la prise de conscience. Or le chemin à parcourir est encore long, tant le tabou sociétal entourant le sujet est puissant.

Seul un travail commun des élus, des magistrats et des associations nous permettra de faire réellement la lumière sur ces faits.

Au préalable, il faut accomplir un effort d'information et de prévention, car la loi et les juges qui l'appliquent ne peuvent pas tout. Parce que les enfants ne sont souvent pas en capacité de témoigner sur le moment des violences qu'ils subissent, il est indispensable que la société tout entière se mobilise pour détecter ces agissements le plus tôt possible.

Néanmoins, si le législateur ne peut pas tout, force est de constater que certaines réalités sont mal couvertes par le droit positif, voire ignorées de ce dernier : c'est le constat dressé par l'auteure du présent texte, puis confirmé par les membres de notre commission des lois.

Le législateur s'est déjà saisi à deux reprises de ce sujet, traité par les lois des 18 mars 2024 et 13 juin 2024. Mais – j'y insiste – plusieurs questions persistent, qu'il s'agisse du nombre de dispositifs existants, de l'articulation entre ces derniers ou de leurs délais de mise en œuvre.

Je tiens à remercier notre rapporteure, Mme Marie Mercier, du travail qu'elle a accompli sur cette proposition de loi et de sa volonté d'aller de l'avant.

Les auditions conduites ont permis à notre commission d'identifier les difficultés que pourrait engendrer ce dispositif. Proposée par la Ciivise en 2023, l'ordonnance de sûreté viendrait tout compte fait se superposer de manière inopportune aux mécanismes en vigueur.

Notre présidente, Maryse Carrère, a travaillé au cours des derniers jours pour surmonter ces difficultés techniques. Elle propose aujourd'hui une solution de compromis permettant d'engager la navette parlementaire. Il s'agirait d'étendre le champ de l'ordonnance de protection déjà placée entre les mains du juge aux affaires familiales, magistrat dont les récentes lois ont renforcé l'office.

S'il est voté, ce nouveau dispositif sera soumis à la délibération de l'Assemblée nationale et pourra, si nécessaire, faire l'objet de nouveaux ajustements. Je pense par exemple à la question du dépôt de plainte préalable.

Mes chers collègues, cette modification de l'article unique ne réduit en rien la portée du présent texte. En adoptant cette proposition de loi, nous confirmerons le volontarisme dont le Parlement fait preuve face aux violences commises contre les enfants. Le Sénat se doit d'être au rendez-vous.

C'est pourquoi, quel que soit le groupe auquel vous appartenez, je vous invite à voter cette proposition de loi, qui recevra bien sûr toutes les voix du RDSE. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC. – Mme Evelyne Corbière Naminzo et Mme le rapporteur applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Béatrice Gosselin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la protection des enfants victimes de violences est une priorité absolue pour notre société. Ce sujet, qui engage notre responsabilité collective, exige des réponses adaptées, rigoureuses et efficaces.

La proposition de loi déposée par Maryse Carrère traduit cette ambition, et je tiens à saluer la volonté qui anime notre collègue : renforcer les dispositifs en vigueur pour mieux protéger les plus vulnérables d'entre nous.

Toutefois, il est indispensable d'évaluer cette initiative à l'aune des outils existants et des réformes récentes.

Ces dernières années, nous avons considérablement renforcé le cadre juridique de la protection des enfants. La loi du 18 mars 2024, dite loi Santiago, a ainsi élargi les motifs de suspension et de retrait de l'autorité parentale, permettant d'intervenir plus efficacement en cas de danger pour l'enfant.

Ces réformes témoignent d'une volonté constante de mieux protéger les mineurs grâce à des outils éprouvés, comme l'ordonnance de protection ou les mesures d'assistance éducative prises par le juge des enfants. Ces dispositifs, bien qu'imparfaits, constituent aujourd'hui le socle de notre action.

L'ordonnance de sûreté, dont la création était initialement proposée, soulevait plusieurs difficultés.

Tout d'abord, nonobstant des conditions de mise en œuvre inédites, cette ordonnance semblait moins protectrice que les outils dont nous disposons déjà. Contrairement à l'ordonnance de protection, elle ne prévoyait aucune sanction en cas de non-respect des mesures décidées par le juge, ce qui aurait pu limiter son effectivité. De plus, elle introduisait un certain nombre de redondances. L'articulation des différents textes aurait été plus complexe et ces derniers seraient dès lors devenus moins lisibles pour les acteurs concernés.

Lors des auditions menées par Mme la rapporteure, les principaux acteurs de la protection de l'enfance – juges des enfants, juges aux affaires familiales, avocats, procureurs et représentants des associations – ont manifesté de grandes réserves. À la quasi-unanimité, ils ont souligné que, sous sa forme initiale, le présent texte risquait d'entraîner plus de problèmes qu'il n'en résoudrait. Ces marques de circonspection doivent nous inviter à la prudence.

C'est pourquoi je tiens à saluer le travail de réécriture accompli par Mme Carrère : par son amendement n° 1 rectifié, elle a corrigé un dispositif perfectible pour en faire un outil plus cohérent et mieux adapté aux réalités du terrain.

Notre collègue suggère désormais d'élargir le champ de l'ordonnance de protection afin de mieux répondre aux cas de violences intrafamiliales touchant les enfants. Il ne s'agit donc plus de créer un dispositif spécifique. Mme Carrère privilégie ainsi une logique de simplification, en adaptant et en renforçant les outils juridiques existants.

À l'heure actuelle, l'ordonnance de protection s'applique principalement aux violences commises au sein du couple. Si cet amendement est adopté, elle pourra également être utilisée dans les cas où des violences vraisemblables sont commises à l'encontre d'un enfant, notamment des viols, des agressions sexuelles incestueuses, des violences exercées par un parent, son conjoint ou son concubin.

L'amendement de Mme Carrère vise à faire de l'ordonnance de protection un outil central de protection judiciaire d'urgence, pour répondre efficacement aux cas de danger manifeste.

Pour garantir une mise en œuvre adaptée à la protection des enfants, plusieurs ajustements sont proposés.

Premièrement, le dépôt d'une plainte pénale devient obligatoire, car un enfant ne peut agir seul en justice. Cette procédure permet de garantir que des démarches judiciaires soient engagées pour protéger la victime.

Deuxièmement, le port d'un bracelet antirapprochement est écarté dans les cas impliquant des enfants, ce dispositif n'étant pas considéré comme adapté. Pour les enfants, les situations d'urgence peuvent être traitées par d'autres moyens existants, comme la garde à vue d'un parent violent ou l'ordonnance de placement provisoire, délivrée par le procureur.

Mes chers collègues, j'ignore quel sera le devenir de ce texte. J'en suis néanmoins convaincue : plutôt que d'adopter un énième dispositif, mieux vaut simplifier et renforcer l'arsenal existant. Ce faisant, nous pourrons mieux répondre aux besoins spécifiques des enfants victimes de violences intrafamiliales tout en garantissant une meilleure cohérence de l'action publique.

Il est crucial d'assurer une fluidité optimale entre les différentes autorités judiciaires impliquées, à commencer par les juges aux affaires familiales et les procureurs, et les autres acteurs de la protection de l'enfance. Le but ultime doit rester la sécurité de l'enfant, garantie par un système fiable, efficace et capable de répondre rapidement à toutes les situations de danger. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de la proposition de loi initiale.

proposition de loi instituant une ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences

Avant l'article unique

Mme la présidente. L'amendement n° 9, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Avant l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À la première phrase du premier alinéa de l'article 515-10 du code civil, après les mots : « la personne en danger, », sont insérés les mots : « y compris par l'enfant capable de discernement ».

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Cet amendement vise à permettre à l'enfant victime de saisir lui-même le juge aux affaires familiales afin d'obtenir une ordonnance de sûreté.

Je rappelle qu'aujourd'hui seul un des parents ou le procureur de la République peuvent saisir le JAF à cette fin. Or, dans bien des circonstances, l'enfant ne peut pas compter sur un tiers de confiance, un adulte protecteur, pour saisir le juge. C'est la raison pour laquelle il doit pouvoir agir par ses propres moyens.

Je sais qu'en droit les enfants ne peuvent pas saisir la justice pour eux-mêmes, mais tous les principes connaissent leurs exceptions. D'ailleurs, dans certains cas, les enfants peuvent déjà être acteurs ou actrices en justice.

En donnant ce pouvoir de saisine à l'enfant victime de violences, on lui confirmerait qu'on le croit. En outre, on gagnerait dans certains cas un temps précieux : à l'heure actuelle, l'enfant ne pouvant rien faire par lui-même, il est parfois tenu de trouver un adulte protecteur acceptant de saisir la justice en son nom, ce qui allonge les procédures inutilement.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, vous l'avez relevé vous-même, cet amendement tend à revenir sur un principe essentiel du droit français, à savoir l'incapacité d'un mineur à agir en justice pour lui-même.

Hormis la demande d'assistance éducative, qui peut prendre la forme d'une requête, et non d'une plainte, émise par le mineur en danger, tous les dispositifs de protection judiciaire de l'enfance respectent ce principe.

Il revient soit au parent protecteur, soit, en l'absence de ce dernier, au procureur de la République ou à un administrateur ad hoc de saisir, selon les cas de figure, le juge aux affaires familiales ou le juge des enfants.

En matière pénale, les associations de défense des droits des enfants peuvent également porter plainte pour des faits de violences commis sur un enfant, conformément à l'article 2-3 du code de procédure pénale.

Quant à l'appel de l'article 1191 du code de procédure civile, que vous mentionnez dans l'objet de votre amendement, il porte sur une mesure d'assistance éducative. On ne peut donc pas en déduire un droit général pour l'enfant à interjeter un appel.

Évidemment, cette incapacité à agir ne signifie pas pour autant que l'enfant victime de violences ne peut rien faire. Il peut, sans formalisme particulier, se signaler à la justice, notamment au parquet, et être entendu dans le cadre des procédures le concernant.

Quand bien même on jugerait opportun d'ouvrir aux mineurs la capacité d'agir en justice – je précise que ce n'est pas mon avis personnel ; en effet, je ne pense pas cette mesure soit réellement de nature à protéger les enfants, compte tenu de la vulnérabilité inhérente à leur âge –, il ne me semble pas pertinent de revenir sur un principe aussi fort du droit français par le biais d'une mesure sectorielle, limitée aux ordonnances de protection. Un tel sujet mériterait un débat plus large.

Enfin, telles qu'elles sont rédigées, ces dispositions permettraient à l'enfant de porter plainte pour des cas de violences uniquement à l'encontre d'un de ses parents. Cela ne me semble pas souhaitable, l'enfant ne devant pas être seul à porter la responsabilité d'une immixtion de la justice dans la vie de ses parents.

Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Pour les raisons que Mme la rapporteure a très bien exposées, le Gouvernement émet à son tour un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 8, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Avant l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le 1° bis de l'article 515-11 du code civil, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« …° Suspendre ou interdire les visites en centres médiatisés telles que définies par le quatrième alinéa de l'article 373-2-1 du code civil ; »

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Par cet amendement, nous souhaitons permettre au juge de suspendre les visites médiatisées.

Les modalités du droit de visite et d'hébergement peuvent être très difficiles à définir, que ce soit à long terme ou à titre provisoire, pour un enfant victime de violences.

Entre l'hébergement libre au domicile parental et la suspension des droits de visite et d'hébergement, l'organisation de visites libres dans un espace médiatisé peut apparaître comme une solution intermédiaire : dans ce cadre neutre, l'enfant peut garder un contact avec son parent tout en bénéficiant de l'accompagnement offert par des travailleurs sociaux ou des psychologues.

Ce choix traduit la volonté d'agir au mieux des intérêts de l'enfant. Mais, dans bien des cas, il peut provoquer des situations horribles à vivre pour les victimes. Ces enfants ont parfois le sentiment de subir des confrontations régulières avec leur agresseur : on comprend, dès lors, que de telles visites puissent avoir un effet psychologique dévastateur, malgré tous les efforts des professionnels présents.

Ces visites peuvent devenir un véritable cauchemar, conduisant à l'enfant à revivre, encore et encore, les traumatismes qu'il a déjà subis et dont on cherche précisément à le protéger. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, dans le cadre de la procédure judiciaire, l'on a multiplié les efforts pour que les enfants n'aient pas à répéter leurs témoignages.

Aussi, nous souhaitons simplement que ces visites puissent être suspendues lorsque le ou la juge se prononce quant aux modalités provisoires de protection de l'enfant en danger.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, ces dispositions sont pleinement satisfaites par le droit en vigueur.

Tout d'abord, le 1° de l'article 515-11 du code civil permet déjà au juge de prononcer des interdictions de contact, lesquelles s'étendent évidemment aux visites en centre médiatisé.

Ensuite, comme vous l'écrivez dans l'objet de votre amendement, le 5° du même article permet au juge de se prononcer sur le droit de visite du parent présumé violent. Les visites en centre médiatisé entrent nécessairement dans le champ de ces dispositions. Ces dispositions vont même plus loin que celles que vous proposez : lorsqu'une interdiction de contact est prononcée, « la décision de ne pas ordonner l'exercice du droit de visite dans un espace de rencontre désigné ou en présence d'un tiers de confiance est spécialement motivée ».

En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Madame Vogel, vous avez tout à fait raison d'insister sur la douleur que ces visites médiatisées peuvent provoquer, dans des contextes familiaux dégradés et violents. C'est la raison pour laquelle il est parfois nécessaire de faire cesser ces rencontres.

Toutefois – je vous le confirme –, votre amendement est satisfait : le juge aux affaires familiales peut à tout moment interrompre ou suspendre les visites médiatisées, voire les supprimer.

À son tour, le Gouvernement émet un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.

M. Xavier Iacovelli. Mme Vogel a tout à fait raison d'insister sur ce point. Les dispositions de son amendement sont certes satisfaites – je suivrai l'avis de la rapporteure et de la ministre –, mais elle appelle notre attention sur un enjeu majeur : la nécessité absolue de prendre en compte la parole de l'enfant.

La présence d'un avocat auprès de l'enfant n'est toujours pas obligatoire et, dès lors, la prise en compte de la parole de l'enfant n'est pas systématiquement garantie. Les visites médiatisées peuvent de fait s'imposer à lui, en attendant une éventuelle intervention du juge. C'est un véritable problème de fond qu'il nous faudra traiter à l'avenir, à la faveur d'un autre texte.

Mme la présidente. Madame Vogel, l'amendement n° 8 est-il maintenu ?

Mme Mélanie Vogel. Non, je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° 8 est retiré.

Article unique

Le livre Ier du code civil est complété par un titre XV ainsi rédigé :

« TITRE XV

« DES MESURES DE SÛRETÉ DES ENFANTS VICTIMES DE VIOLENCES

« Art. 515-13-2. – Lorsqu'il apparaît vraisemblable qu'un enfant a subi un viol incestueux, une agression sexuelle incestueuse ou des faits de violence susceptible de le mettre en danger, commis par une personne titulaire sur celui-ci d'une autorité de droit ou de fait, et lorsqu'il est à redouter qu'une nouvelle infraction soit commise, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence une ordonnance de sûreté de l'enfant.

« Art. 515-13-3. – L'ordonnance de sûreté est délivrée par le juge, saisi par l'un des parents ou le ministère public. Sa délivrance n'est pas conditionnée à l'existence d'une plainte pénale préalable.

« Dès la réception de la demande d'ordonnance de sûreté, le juge convoque pour une audience, par tous moyens adaptés, la partie demanderesse et la partie défenderesse, assistées, le cas échéant, d'un avocat, ainsi que le ministère public à fin d'avis. Ces auditions peuvent avoir lieu séparément. L'audience se tient en chambre du conseil. À la demande de la partie demanderesse, les auditions se tiennent séparément.

« Avant de délivrer l'ordonnance de sûreté, le juge peut donner mission en urgence à toute personne qualifiée d'effectuer une enquête sociale. Celle-ci a pour but de recueillir des renseignements sur la situation de la famille et les conditions dans lesquelles vivent et sont élevés les enfants.

« Art. 515-13-4. – L'ordonnance de sûreté est délivrée, par le juge aux affaires familiales, dans un délai maximal de quinze jours à compter de la fixation de la date de l'audience, s'il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblable la commission des faits de viol incestueux, d'agression sexuelle incestueuse sur l'enfant ou de violence susceptible de le mettre en danger par une personne titulaire sur celui-ci d'une autorité de droit ou de fait. À l'occasion de sa délivrance, après avoir recueilli les observations des parties sur chacune des mesures suivantes, le juge aux affaires familiales est compétent pour :

« 1° Se prononcer sur le retrait total ou partiel de cette autorité ou sur le retrait de l'exercice de cette autorité sur l'enfant victime, ainsi que sur les frères et sœurs mineurs de la victime. Il se prononce également sur les modalités du droit de visite et d'hébergement ;

« 2° Interdire à la partie défenderesse de recevoir ou de rencontrer l'enfant victime, les frères et sœurs mineurs de la victime ou toute autre personne spécialement désignée par le juge aux affaires familiales, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit ;

« 3° Interdire à la partie défenderesse de se rendre dans certains lieux spécialement désignés par le juge aux affaires familiales dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie demanderesse ;

« 4° Proposer à la partie défenderesse une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique. En cas de refus de la partie défenderesse, le juge aux affaires familiales en avise immédiatement le procureur de la République.

« Le cas échéant, le juge présente à l'enfant et à son représentant une liste des personnes morales qualifiées susceptibles de l'accompagner pendant toute la durée de l'ordonnance de sûreté. Il peut, avec leur accord, transmettre à la personne morale qualifiée leurs coordonnées afin qu'elle les contacte.

« Lorsque le juge délivre une ordonnance de sûreté, il en informe sans délai le procureur de la République.

« Art. 515-13-5. – I. – Lorsque l'interdiction prévue au 2° de l'article 515-13-4 a été prononcée, le juge aux affaires familiales peut prononcer une interdiction de se rapprocher de l'enfant victime à moins d'une certaine distance qu'il fixe et ordonner, après avoir recueilli le consentement des deux parties, le port par chacune d'elles d'un dispositif électronique mobile anti-rapprochement permettant à tout moment de signaler que la partie défenderesse ne respecte pas cette distance. En cas de refus de la partie défenderesse faisant obstacle au prononcé de cette mesure, le juge aux affaires familiales en avise immédiatement le procureur de la République.

« II. – Ce dispositif fait l'objet d'un traitement de données à caractère personnel, dont les conditions et les modalités de mise en œuvre sont définies par décret en Conseil d'État.

« Art. 515-13-6. – Les mesures mentionnées à l'article 515-13-4 sont prises pour une durée maximale de six mois à compter de la notification de l'ordonnance.

« Le juge aux affaires familiales peut, à tout moment, à la demande du ministère public ou de l'une ou l'autre des parties, ou après avoir fait procéder à toute mesure d'instruction utile, et après avoir invité chacune d'entre elles à s'exprimer, supprimer ou modifier tout ou partie des mesures énoncées dans l'ordonnance de sûreté, en décider de nouvelles, accorder à la personne défenderesse une dispense temporaire d'observer certaines des obligations qui lui ont été imposées ou rapporter l'ordonnance de sûreté. »

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements et sept sous-amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme M. Carrère, MM. Masset, Bilhac, Fialaire et Gold, Mmes Guillotin et Jouve, MM. Laouedj et Roux, Mme Briante Guillemont, MM. Grosvalet et Cabanel, Mmes Pantel et Conte Jaubert et MM. Daubet et Guiol, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le code civil est ainsi modifié :

1° L'article 515-9 est ainsi rédigé :

« Art. 515-9. - Le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence une ordonnance de protection :

« 1° Lorsque des violences sont exercées au sein du couple, y compris lorsqu'il n'y a pas eu de cohabitation, ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin, y compris lorsqu'il n'y a jamais eu de cohabitation, et qu'elles mettent en danger la personne qui en est victime ou un ou plusieurs enfants ;

« 2° Lorsqu'il apparaît vraisemblable qu'un enfant a subi un viol incestueux, une agression sexuelle incestueuse ou des faits de violence commis par un de ses parents ou, lorsqu'il y a cohabitation, le conjoint ou concubin de ce dernier, et qu'en raison de ces faits l'enfant est dans une situation de danger. » ;

2° La seconde phrase du premier alinéa de l'article 515-10 est complétée par les mots : « , sauf dans les cas mentionnés au 2° de l'article 515-9 » ;

3° À la première phrase du premier alinéa de l'article 515-11, après le mot : « compris », sont insérés les mots : « , pour les cas mentionnés au 1° de l'article 515-9, » ;

4° À la première phrase du I de l'article 515-11-1, après le mot : « et », sont insérés les mots : « , sauf dans les cas mentionnés au 2° de l'article 515-9, » ;

5° L'article 515-12 est ainsi modifié :

a) La seconde phrase est supprimée ;

b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Dans les cas mentionnés au 1° de l'article 515-9, les mesures prévues à l'article 515-11 peuvent être prolongées au-delà du délai de douze mois mentionné au premier alinéa du présent article si, durant ce délai, une demande en divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le juge aux affaires familiales a été saisi d'une demande relative à l'exercice de l'autorité parentale » ;

6° Au premier alinéa de l'article 515-13-1, après le mot : « Lorsque », sont insérés les mots : « , pour les cas mentionnés au 1° de l'article 515-9, ».

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Mes chers collègues, ma proposition de loi, dans sa rédaction initiale, tendant à créer une ordonnance spécialement destinée à la sûreté de l'enfant victime de violences. Cet objectif a suscité un large consensus, mais on a également fait valoir qu'une telle ordonnance pourrait être difficile à articuler avec les textes en vigueur.

Plutôt que de créer un nouvel outil qui se superposerait aux dispositifs actuels de protection, je vous propose donc d'élargir le champ de l'ordonnance de protection aux cas de violences vraisemblablement subies par un enfant dans le cercle familial, au-delà des violences commises au sein du couple. Nous ferions ainsi de l'ordonnance de protection l'outil général de protection judiciaire d'urgence des victimes de violences intrafamiliales en cas de danger manifeste, que ces violences touchent ou non les seuls adultes du couple.

Un tel dispositif nous permettrait d'entériner législativement une pratique des juges : ces derniers n'hésitent pas à aller au-delà de champ actuel de l'ordonnance de protection, tel qu'il est prévu par les textes, lorsqu'il faut protéger en urgence des enfants au sein de la famille.

Évidemment, plusieurs points peuvent encore être débattus, à commencer par le dépôt obligatoire d'une plainte pénale, qui ne figure pas dans ma proposition de loi initiale : étant donné l'incapacité de l'enfant à agir en justice pour lui-même, cette disposition peut effectivement sembler nécessaire. Nous pourrons nous pencher sur cette question : c'est tout l'intérêt de nos débats de cet après-midi et, au-delà, de la navette parlementaire.

Mme la présidente. Le sous-amendement n° 13, présenté par Mmes Corbière Naminzo et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Amendement n° 1, alinéa 6

1° Après les mots :

un de ses parents ou

insérer les mots :

une personne titulaire sur celui-ci d'une autorité de droit ou de fait

2° Remplacer les mots :

ce dernier

par les mots :

ces derniers

La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Les violences sexuelles sur mineurs ne sont pas commises par les seuls parents : elles peuvent être perpétrées par un grand-parent, une grand-tante, un beau-père, un frère, une sœur, un cousin ou un oncle.

Si une violence intrafamiliale sur trois est commise par le père ou le beau-père, dans 13 % des cas, c'est l'oncle qui se révèle être l'agresseur.

Il est urgent de prendre des mesures pour mieux protéger les enfants.

Quel que soit son lien de parenté avec l'enfant, l'agresseur est souvent protégé par la famille, qui veille à ce que le silence ne soit pas rompu. Une ordonnance de protection est donc nécessaire pour protéger l'enfant et lui permettre d'échapper à l'emprise de son agresseur, ce qui suppose de lever le verrou familial.

Par ce sous-amendement, nous souhaitons que l'ordonnance de protection s'étende à toute personne titulaire sur l'enfant d'une autorité de droit ou de fait : elle ne doit pas être limitée aux parents.

Mme Céline Brulin. Très bien !

Mme la présidente. Le sous-amendement n° 10, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Amendement n° 1, alinéa 6

Après les mots :

ou concubin de ce dernier,

insérer les mots :

ainsi que toute personne titulaire d'une autorité de droit ou de fait

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. La Ciivise a établi que, dans 19 % des cas, l'auteur des violences intrafamiliales commises était un frère et que, dans 13 % des cas, il s'agissait d'un oncle. Mme Mercier le rappelle d'ailleurs dans son rapport.

Protéger les enfants des violences commises par leurs parents, c'est évidemment très important, mais cela ne saurait suffire. Il faut répondre à cette réalité : dans bien des cas, les violences sont perpétrées par le frère, l'oncle ou encore le grand-père. Dans ces hypothèses, le juge aux affaires familiales doit également pouvoir recourir à l'ordonnance de protection.

Mme la présidente. Le sous-amendement n° 14, présenté par Mmes Corbière Naminzo et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Amendement n° 1, alinéa 7

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Ce sous-amendement vise à supprimer l'obligation de déposer une plainte pour bénéficier de l'ordonnance de protection.

Les femmes victimes de violences conjugales peuvent bénéficier d'un tel dispositif avant même le dépôt de plainte : pourquoi n'en serait-il pas de même des enfants ?

En dénonçant des violences sexuelles, un enfant accepte de livrer un secret honteux, enfoui au plus profond de lui-même. Il a le sentiment que quelque chose ne va pas. Il éprouve un terrible malaise qu'il s'efforce de décrire, mais il ne parle généralement pas de violences, et pour cause, on lui a présenté ces outrages comme un jeu ; un jeu à la fois honteux et secret.

Aujourd'hui, nous devons être aussi courageux que ces petites victimes qui osent briser le silence des violences sexuelles.

Les enfants ne connaissent pas la loi. Ils ignorent la procédure de dépôt de plainte. Le simple fait de dénoncer une violence devrait leur donner droit à une protection.

Ne pas protéger un enfant qui révèle les violences qu'il a subies, c'est prendre le risque de le pousser à se taire et ajouter à son traumatisme.

L'enfant, s'il n'est pas cru, peut éprouver un sentiment d'abandon de nature à affecter gravement sa santé, notamment mentale, pour de nombreuses années. Il risque ainsi d'intégrer la violence comme un schéma normalisé, ce qui peut le conduire, à l'avenir, à être de nouveau victime, ou à devenir un futur agresseur.

Pour éviter de nouvelles violences, il faut donc permettre à toutes les victimes de bénéficier d'une ordonnance de protection, même lorsqu'aucune plainte n'a été préalablement déposée.

L'objectif d'encourager le dépôt de plainte afin de poursuivre les agresseurs est louable. Pour autant, le cap de ce texte doit rester la protection de l'enfant. D'autres leviers devront permettre le développement du dépôt de plainte, sans pénaliser, dans le même temps, les enfants victimes.

Mme la présidente. Les deux sous-amendements suivants sont identiques.

Le sous-amendement n° 11 rectifié est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Le sous-amendement n° 15 est présenté par Mmes Corbière Naminzo et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

Ces deux sous-amendements sont ainsi libellés :

Amendement n° 1, alinéa 8

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter le sous-amendement n° 11 rectifié.

Mme Mélanie Vogel. Ce sous-amendement a également vocation à élargir le champ d'application du dispositif.

Cette fois, il s'agit non pas d'inclure dans le dispositif tout titulaire d'une autorité de droit ou de fait, mais de préciser que l'ordonnance de sûreté pourra être prononcée lorsque l'auteur des violences n'habite pas avec l'enfant.

On peut en effet facilement considérer que l'enfant est plus exposé lorsqu'il partage le domicile de la personne qui l'agresse. Mais il peut arriver que l'agresseur soit le parent qui n'habite pas avec l'enfant, un grand-père qui lui rend visite tous les week-ends, ou encore son entraîneur sportif. Il serait donc utile que le juge aux affaires familiales puisse se prononcer sur les cas où l'auteur des violences n'habite pas avec la victime.

Mme la présidente. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour présenter le sous-amendement n° 15.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Par ce sous-amendement, nous proposons également que l'enfant victime puisse bénéficier d'une ordonnance de protection, même quand il ne cohabite pas avec son agresseur.

Que ce soit à l'occasion d'une visite, d'une fête de famille ou des vacances, un agresseur a mille occasions d'exercer des violences sexuelles sans même habiter avec sa victime. Conditionner l'ordonnance de protection à la cohabitation serait donc très dangereux pour l'enfant.

Au nom de la sécurité du mineur – même si celui-ci n'est pas menacé au quotidien –, nous ne pouvons prendre aucun risque de récidive. Et si vous ne me croyez pas sur parole, allez lire les plaintes de ces enfants devenus adultes qui décrivent les violences sexuelles qu'ils ont subies. Allez donc lire ces plaintes, même celles qui ont été classées sans suite…

Mme la présidente. Le sous-amendement n° 16, présenté par Mmes Corbière Naminzo et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :

Amendement n° 1, avant-dernier alinéa

Supprimer les mots :

Dans les cas mentionnés au 1° de l'article 515-9

La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Ce sous-amendement vise à permettre la prolongation de l'ordonnance de protection au-delà de douze mois, comme c'est le cas pour les femmes victimes de violences conjugales.

La prolongation au-delà de douze mois est, en tout état de cause, décidée par le juge aux affaires familiales. Celui-ci devrait également pouvoir l'accorder aux enfants victimes de violences incestueuses. La protection et la sécurité d'un enfant ne peuvent être compromises par des délais de procédure trop longs.

Quand on connaît la saturation des services de la justice, on ne peut voir là qu'une mesure de bon sens. Nous reconnaissons tous qu'un enfant doit être protégé en raison de sa vulnérabilité. Alors, pourquoi n'aurait-il pas droit à la même protection que les femmes victimes de violences conjugales ? Pourquoi n'aurait-il pas droit à la meilleure protection que permet notre droit ?

Mme la présidente. Le sous-amendement n° 17, présenté par Mmes Corbière Naminzo et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :

Amendement n° 1, dernier alinéa

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Par ce sous-amendement, nous proposons que les enfants puissent bénéficier de l'ordonnance provisoire de protection immédiate.

Ce dispositif d'urgence, que nous avons adopté en juin dernier afin de protéger les femmes victimes de violences conjugales, est essentiel.

Nous étions partis du constat suivant : chaque jour compte. Chaque jour où l'enfant risque de subir des violences est une perte de chance pour lui. La violence subie pendant l'enfance a un impact immédiat sur la scolarité et la capacité d'apprentissage des victimes.

Le temps de l'enfance est un temps compté. C'est le temps où l'on se construit, où l'on apprend, où l'on se forme.

Il faut protéger les enfants des potentielles nouvelles violences, car les conséquences de ces agressions sont dramatiques pour leur développement, leur construction, leur scolarité et leur développement cognitif.

Aucune perte de temps ne saurait être admise, aucun risque de récidive ne peut être pris. Il est donc essentiel que les enfants puissent bénéficier de ce dispositif d'urgence.

Mme la présidente. L'amendement n° 12 rectifié bis, présenté par M. Iacovelli, Mmes Havet, Cazebonne et Nadille et MM. Buis et Rambaud, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le code civil est ainsi modifié :

1° L'article 515-9 est ainsi rédigé :

« Art. 515-9. - Le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence une ordonnance de protection :

« 1° Lorsque des violences sont exercées au sein du couple, y compris lorsqu'il n'y a pas eu de cohabitation, ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin, y compris lorsqu'il n'y a jamais eu de cohabitation, et qu'elles mettent en danger la personne qui en est victime ou un ou plusieurs enfants ;

« 2° Lorsqu'il apparaît vraisemblable qu'un enfant a subi un viol incestueux, une agression sexuelle incestueuse ou des faits de violence commis par un de ses parents ou, lorsqu'il y a cohabitation, le conjoint ou concubin de ce dernier, et qu'en raison de ces faits l'enfant est dans une situation de danger. » ;

2° À la première phrase du premier alinéa de l'article 515-11, après le mot : « compris », sont insérés les mots : « , pour les cas mentionnés au 1° de l'article 515-9, » ;

3° À la première phrase du I de l'article 515-11-1, après le mot : « et », sont insérés les mots : « , sauf dans les cas mentionnés au 2° de l'article 515-9, » ;

4° L'article 515-12 est ainsi modifié :

a) La seconde phrase est supprimée ;

b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Dans les cas mentionnés au 1° de l'article 515-9, les mesures prévues à l'article 515-11 peuvent être prolongées au-delà du délai de douze mois mentionné au premier alinéa du présent article si, durant ce délai, une demande en divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le juge aux affaires familiales a été saisi d'une demande relative à l'exercice de l'autorité parentale » ;

5° Au premier alinéa de l'article 515-13-1, après le mot : « Lorsque », sont insérés les mots : « , pour les cas mentionnés au 1° de l'article 515-9, ». 

La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Comme cela a été dit lors de la discussion générale, le dispositif de cette proposition de loi pourrait entraver l'application rapide et efficace des outils de protection existants.

C'est pourquoi je vous présente un amendement de rédaction globale de l'article unique. Je propose d'étendre le champ d'application de l'ordonnance de protection uniquement aux situations de violences vraisemblables commises au sein du cercle familial proche, ciblant les agressions commises contre les enfants, et non seulement au sein du couple.

Cet amendement prévoit également des adaptations spécifiques à l'ordonnance de protection pour les violences commises à l'encontre d'un enfant, tout en excluant la possibilité d'ordonner le port d'un bracelet antirapprochement.

Toutefois, l'auteure de la proposition de loi, dans son amendement de rédaction globale, a indiqué qu'elle souhaitait également écarter le recours à cette mesure. L'ensemble des groupes s'accorde en effet à reconnaître que ce dispositif est inadapté aux enfants – même s'il était prévu qu'ils ne portent qu'un boîtier de signalement. En effet, je ne vois pas pourquoi ce serait à l'enfant de porter le fardeau du viol qu'il a subi.

Contrairement à Mme Carrère, je pense qu'il faut conserver les dispositions de l'article 515-10 du code civil, qui ne conditionnent pas la délivrance de l'ordonnance de protection à l'existence du dépôt préalable d'une plainte. Il me semble qu'une telle exigence risquerait d'alourdir des démarches précisément prévues pour répondre à l'urgence.

En juin 2024, le Parlement a voté la loi renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate. Cette adoption est donc intervenue après le dépôt, en avril, de la proposition de loi que nous examinons.

L'OPPI permet au juge de décider, dans un délai de vingt-quatre heures, du placement immédiat d'un enfant en situation de danger, et ce indépendamment du dépôt d'une plainte.

Madame la ministre, il est important que vous saisissiez le garde des sceaux pour faire paraître au plus vite le décret d'application de la loi de juin 2024, pour enfin protéger les enfants et appliquer le droit.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Comme je l'ai indiqué lors de la discussion générale, la solution proposée par Maryse Carrère dans son amendement n° 1 rectifié permet de répondre à une part significative des limites que contenait le texte initial, lesquelles nous ont été signalées par la quasi-totalité des personnes que nous avons auditionnées.

En élargissant le champ de l'ordonnance de protection aux cas des violences familiales, et non plus aux seuls cas de violences au sein du couple, nous évitons la superposition des dispositifs de protection judiciaire. L'ordonnance de protection devient un dispositif général de protection des victimes présumées, qu'elles soient mineures ou majeures.

Cet amendement présente également l'avantage d'éviter au juge aux affaires familiales d'avoir à se prononcer sur des violences commises, par exemple, par un professeur ou un moniteur d'activité extrascolaire, ce qui ne fait pas partie de son office.

Je note, par ailleurs, que l'amendement apporte des adaptations au dispositif de l'ordonnance de protection pour tenir compte de la spécificité des violences commises à l'égard des seuls enfants. Je pense en particulier à l'obligation du dépôt de plainte, à l'impossibilité d'ordonner le port d'un bracelet antirapprochement, ou encore à l'irrecevabilité d'une demande d'ordonnance provisoire de protection immédiate, qui est octroyée sans contradictoire. Nous attendons, à cet égard, la prochaine publication du décret d'application.

La commission, néanmoins, n'est pas entièrement convaincue du bien-fondé de cet amendement, notamment au regard du droit en vigueur, qui semble suffisant. Je considère donc que l'amendement représente une piste intéressante, qui mériterait un examen plus poussé, notamment lors de la navette. Nous avons en effet eu trop peu de temps pour mener nos auditions.

C'est pourquoi j'émets un avis de sagesse sur l'amendement n° 1 rectifié, afin que le débat parlementaire se poursuive à l'Assemblée nationale pour enrichir le texte.

En ce qui concerne l'ensemble des autres sous-amendements et de l'amendement n° 12 rectifié bis, l'avis est défavorable.

L'extension prévue par les sous-amendements nos 13 et 10 n'est pas opportune, car les personnes titulaires d'une autorité de droit ou de fait correspondent à un spectre bien plus large que le cercle familial restreint. D'une part, le droit en vigueur est suffisant lorsqu'il ne s'agit pas des plus proches parents, a fortiori alors que le caractère urgent de la réponse judiciaire est moins évident. D'autre part, il ne revient pas au juge aux affaires familiales, mais au juge pénal, de statuer sur ces cas.

Concernant le sous-amendement n° 14 et l'amendement n° 12 rectifié bis, qui n'est pas tout à fait identique à l'amendement n° 1 rectifié, le dépôt d'une plainte me semble un corollaire indispensable, compte tenu – j'y insiste – de l'incapacité de l'enfant à agir en justice et de la gravité des faits invoqués qui doivent absolument obtenir une réponse pénale.

Je rappelle par ailleurs, en réponse aux arguments très émotionnels évoqués par les auteurs de ces propositions, que nous ne sommes pas, fort heureusement, face à un vide juridique : notre droit prévoit déjà de très nombreux dispositifs de protection ! Soyons donc vigilants. Lorsque nous faisons face à un enfant présumé victime de violences, écoutons-le, protégeons-le, et lançons une enquête.

Sur l'absence de cohabitation, qui est l'objet des sous-amendements identiques nos 11 rectifié et 15, j'estime que l'urgence est moins caractérisée dans ce cas, et que l'assignation à bref délai prévue à l'article 1137 du code de procédure civile permet déjà d'y répondre. Elle apparaît ainsi préférable à l'ordonnance de protection qui, bien qu'efficace, restreint fortement les droits de la défense.

Le sous-amendement n° 16 tend à confondre les situations de séparation conflictuelle, et éventuellement violente, entre adultes et les cas de violence à l'égard de l'enfant uniquement.

Enfin, le sous-amendement n° 17 vise à ouvrir l'ordonnance provisoire de protection immédiate aux cas de violences contre les seuls enfants. Cette procédure d'extrême urgence sans contradictoire me paraît inadaptée, dès lors qu'un parent protecteur est présent, condition nécessaire à l'octroi de l'ordonnance de protection. Sans cela, ce sont les ordonnances de placement qui sont pertinentes.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Comme je l'ai indiqué lors de la discussion générale, j'émets d'abord un avis de sagesse très réservé sur l'amendement n° 1 rectifié de la présidente Carrère.

En effet, madame la sénatrice, bien que je partage votre objectif de protéger les mineurs victimes de violences intrafamiliales, j'estime que les modifications que vous proposez ne permettent pas de surmonter plusieurs difficultés et suscitent des réserves de ma part.

Ma première réserve concerne le conditionnement de délivrance de l'ordonnance de protection à un dépôt de plainte préalable. Certes, il est plus que souhaitable qu'une plainte soit déposée. Néanmoins, en imposant cette condition, vous différenciez les dispositions qui s'appliquent aux parents, en cas de violences intrafamiliales, de celles qui s'appliquent aux enfants, en cas de violences dont ils seraient spécifiquement victimes, pour obtenir une même ordonnance de protection. En effet, le dépôt de plainte n'est pas une condition préalable pour le parent. Votre proposition me semble donc source de confusion et ne permettra pas de simplifier les dispositifs applicables aux enfants : au contraire, elle complexifie le mécanisme que vous souhaitez instaurer.

Ma seconde réserve vient du fait que le droit positif permet déjà au juge aux affaires familiales de statuer en urgence sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale dans le cadre de la procédure de référé, notamment du référé d'heure à heure, et ce sans délai. Ainsi, dans l'hypothèse où le mineur est en danger, parce que l'un de ses parents l'agresse ou que l'autre parent ne le protège pas suffisamment, le procureur de la République et le juge des enfants, qui est celui qui doit naturellement intervenir dans ces situations, peuvent prendre immédiatement une ordonnance de placement provisoire.

La rédaction que vous proposez risquerait donc de complexifier le droit, en brouillant les périmètres d'action du juge des enfants et du juge aux affaires familiales. Ce dernier devrait ainsi statuer, en cas de danger uniquement pour l'enfant, et se prononcer sur des qualifications pénales particulièrement complexes.

L'esprit de votre amendement est cependant louable. Aussi, je m'en remets à la sagesse du Sénat.

J'émets un avis défavorable sur le sous-amendement n° 13 de Mme Corbière Naminzo, qui vise à permettre la délivrance d'une ordonnance de protection pour les cas de violences commises par toute personne titulaire d'une autorité de droit ou de fait. C'est déjà le cas, puisqu'il revient d'abord aux parents de protéger leur enfant. Si l'intervention des parents, titulaires de l'autorité parentale, n'est pas suffisante, alors c'est au parquet ou au juge des enfants de prendre les décisions.

Mon avis est également défavorable sur le sous-amendement n° 10 de Mme Vogel, qui tend également à élargir le champ d'intervention du juge aux affaires familiales aux personnes titulaires d'une autorité de droit ou de fait. Or nous avons des réserves sur l'extension du mécanisme de l'ordonnance de protection aux violences sur les mineurs.

J'émets un avis de sagesse sur le sous-amendement n° 14 de Mme Corbière Naminzo. En effet, nous sommes plutôt favorables à la suppression de la condition préalable de dépôt de plainte pour délivrer l'ordonnance de protection.

J'émets également un avis de sagesse sur les sous-amendements identiques nos 11 rectifié et 15, qui tendent à permettre la délivrance d'une ordonnance de protection, y compris en l'absence de cohabitation entre l'enfant et les beaux-parents agresseurs. Nous bénéficions déjà d'un arsenal juridique en la matière. La procédure pénale, la garde à vue et le contrôle judiciaire permettent d'écarter l'agresseur, sous l'autorité du parquet et du juge des enfants. Toutefois, nous comprenons l'intention qui sous-tend ces sous-amendements.

J'en profite pour rappeler l'existence des unités d'accueil pédiatriques des enfants en danger (Uaped). Ce dispositif réunit dans un lieu unique des médecins – pédiatres et pédopsychiatres –, la police et d'autres professionnels, qui travaillent tous ensemble. Nous proposons, dans le projet de loi de finances (PLF), la création de vingt-cinq Uaped supplémentaires en 2025, afin que chaque juridiction soit dotée d'une telle unité sur son territoire. Les Uaped offrent des conditions adaptées au recueil de la parole de l'enfant, afin que celui-ci ne soit pas soumis à des pressions et qu'il puisse faire part de ce qu'il subit.

Pour les mêmes raisons, je m'en remets à la sagesse du Sénat sur le sous-amendement n° 16 de Mme Corbière Naminzo.

Idem sur le sous-amendement n° 17, en raison de notre réserve quant à l'extension de l'ordonnance de protection et de l'ordonnance provisoire de protection immédiate.

Enfin, le Gouvernement s'en remet également à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 12 rectifié bis. Monsieur Iacovelli, les décrets d'application des ordonnances provisoires de protection immédiate de la loi de juin 2024 seront publiés de manière imminente, au plus tard au début de 2025. Ils sont soumis au contrôle des instances et des autorités compétentes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.

Mme Dominique Vérien. Je veux revenir sur le sous-amendement n° 17, qui vise à étendre le dispositif d'ordonnance de protection provisoire immédiate.

Si nous élargissons le champ d'application de l'ordonnance de protection classique, allons au bout de notre élan, et faisons de même pour l'ordonnance de protection immédiate.

Sans cela, nous serions obligés de combler cet oubli en adoptant une autre « petite » proposition de loi – j'entends par là qu'elle ne serait constituée, encore une fois, que d'un seul article. Le mieux serait donc d'éviter tout oubli en faisant d'ores et déjà figurer cette disposition.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous m'excuserez de dépasser le temps de parole accordé aux explications de vote, étant donné que je souhaite exposer la position de mon groupe sur les neuf amendements et sous-amendements…

Mme la présidente. Nous vous faisons confiance pour rester concise !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. La tournure de ce débat m'embarrasse quelque peu car j'ai le sentiment d'une grande confusion dans les propos.

Nous sommes en train de chercher à construire un dispositif d'urgence, qui pourrait être mobilisé en quelques heures ou en quelques jours, pour protéger un enfant, dont, par hypothèse, les parents ne vivent pas une situation de violences conjugales. C'est l'objet, et le seul, de cette proposition de loi.

Ne parlons donc pas de la mesure de l'ordonnance de protection actuelle, puisque son champ d'application n'est pas adéquat.

Ne parlons pas non plus de la compétence du juge des enfants, car, que je sache, nous ne proposons pas systématiquement que l'enfant soit placé. Le placement à domicile n'est en effet pas possible, ce qui impliquerait un placement à l'extérieur – nous n'ouvrirons pas ici le débat sur l'aide sociale à l'enfance (ASE).

Mon groupe est favorable, par principe, à l'amendement n° 1 rectifié de Maryse Carrère, dont l'adoption rendrait, à mon sens, sans objet l'amendement de Xavier Iacovelli, comme je l'ai expliqué tout à l'heure.

Concernant les sous-amendements, nous sommes favorables au sous-amendement n° 13, qui prévoit d'élargir le dispositif à l'ensemble des titulaires de l'autorité parentale, de droit ou de fait.

Il n'est pas tout à fait exact de dire qu'il existe déjà des procédures qui répondent aux situations visées par ce sous-amendement. Il n'est pas ici question de plainte, de poursuites ou de tribunal correctionnel. On parle par exemple d'interdiction de contact avec un professeur de sport, un frère ou un oncle.

Il en va de même pour le sous-amendement n° 10, qui étend, lui aussi, le dispositif à toute personne titulaire d'une autorité de droit ou de fait.

Nous sommes défavorables au sous-amendement n° 14, car nous sommes favorables au dépôt d'une plainte. Cela permet en effet de donner lieu à une enquête pénale, et donc, d'aller plus loin dans les investigations.

Nous sommes favorables aux sous-amendements nos 11 rectifié et 15, qui prévoient de rendre possible la délivrance d'une ordonnance de protection lorsque l'enfant ne cohabite pas avec son agresseur. J'en ai exposé précédemment les raisons : l'ordonnance de protection ne permet pas seulement la suspension de l'autorité parentale, mais aussi l'interdiction de contact, parmi d'autres mesures qui peuvent s'appliquer à des personnes qui ne vivent pas avec l'enfant.

J'en viens aux sous-amendements relatifs à la durée de l'ordonnance de protection. Nous sommes favorables au sous-amendement n° 16 qui prévoit une possibilité de prolongation au-delà de douze mois. En effet, il est difficile d'estimer le temps nécessaire pour résoudre la situation. Le juge aux affaires familiales – il occupe, selon moi, le poste le plus difficile de la magistrature – reçoit les parents et l'enfant, attend les résultats de l'enquête sociale… Il prolongera la durée de l'ordonnance seulement s'il le juge nécessaire. Donnons-en lui donc la possibilité.

Enfin, le sous-amendement n° 17 me laisse perplexe. Le dispositif d'ordonnance provisoire de protection immédiate s'applique aux adultes, et non aux enfants. Le mécanisme devrait être plus formel. Il n'est pas exclu que mon groupe s'abstienne sur ce sous-amendement.

Mme la présidente. Je vous remercie pour votre concision, ma chère collègue.

La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.

M. Xavier Iacovelli. Mme de La Gontrie vient de le rappeler : le but de cette proposition de loi est de trouver une solution d'urgence en quelques jours, voire en quelques heures. C'est la raison pour laquelle mon amendement n° 12 rectifié bis ne prévoit pas le dépôt de plainte obligatoire. Je suis donc favorable au sous-amendement n° 14 de Mme Corbière Naminzo, qui vise à supprimer cette condition. Si celui-ci était adopté, mon groupe voterait volontiers l'amendement n° 1 rectifié de Mme Carrère.

Nous sommes également favorables aux sous-amendements nos 13 et 10, relatifs aux titulaires d'une autorité de droit ou de fait, pour les raisons qu'a exprimées Mme de La Gontrie. C'est une mesure qui va dans le bon sens : il me paraît en effet important de mieux protéger les enfants, y compris des agressions commises par des personnes extérieures au cercle familial.

L'amendement n° 12 rectifié bis que nous défendons est finalement la synthèse de l'amendement n° 1 rectifié de Mme Carrère et de plusieurs sous-amendements. Je vous invite donc à voter l'original ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour explication de vote.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Ces amendements et sous-amendements ont pour seul but d'apporter des solutions à des situations de violence, en l'occurrence d'inceste.

Peut-être ne sommes-nous pas suffisamment documentés sur le sujet. Je vous invite à relire Le Berceau des dominations de Dorothée Dussy. L'auteure le répète : l'inceste est un système de violence, dont la transmission est assurée par le silence et la protection qui est accordée aux prédateurs…

Par cette proposition de loi, c'est cet immense système que nous essayons de briser. Il est donc nécessaire d'empêcher le contact entre l'agresseur et sa jeune victime.

Plusieurs d'entre vous ont insisté, au cours de nos discussions, sur l'incapacité de l'enfant à agir en justice. J'entends cet argument. Pour autant, nous parlons de violences sexuelles, dont découlent, parfois, des grossesses précoces.

Dès lors qu'un mineur a un enfant, il est émancipé. Subitement, il est confronté à la fois aux violences qu'il a subies et à la réalité de la vie d'adulte. Je m'interroge vraiment sur notre volonté de protéger les enfants. Dans la réalité, une gamine de treize ou quatorze ans qui devient mère du fait de violences incestueuses a le droit de saisir la justice. Mais il est déjà trop tard pour elle…

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Je tiens à apporter une précision sur l'interprétation du droit, notamment de la dernière jurisprudence de la Cour de cassation. Il me semble en effet que nous ne partageons pas la même appréciation des dispositifs qui peuvent être rapidement mis en œuvre, dès lors qu'un enfant est victime de violences sexuelles de la part d'un parent.

En effet, dans un arrêt du 2 octobre dernier, la Cour de cassation a censuré le placement à domicile. Néanmoins, cette jurisprudence vise non pas le placement à domicile prévu dans le cadre de l'ordonnance de protection provisoire, mais le placement à domicile, chez ses parents, d'un enfant confié à l'aide sociale à l'enfance, dans des conditions quasiment identiques à un maintien à domicile.

Il faut se souvenir que, parmi les dispositifs qui permettent actuellement de répondre aux situations dramatiques de violences commises par des parents sur leurs enfants, l'ordonnance de protection provisoire permet au juge des enfants, qui est – je le redis – le juge naturel de la protection des enfants, d'éloigner le parent auteur des violences et de maintenir à domicile le mineur avec le parent protecteur.

Ainsi, notre droit positif prévoit déjà des modalités de réponse.

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 13.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 10.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 14.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix les sous-amendements identiques nos 11 rectifié et 15.

(Les sous-amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 16.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 17.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l'article unique est ainsi rédigé, et les amendements nos 12 rectifié bis, 6, 2, 3, 4 et 5 n'ont plus d'objet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Intitulé de la proposition de loi

Mme la présidente. L'amendement n° 7 rectifié, présenté par Mme M. Carrère, M. Bilhac, Mme Briante Guillemont, M. Cabanel, Mme Conte Jaubert, MM. Daubet, Fialaire, Gold et Grosvalet, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Jouve, MM. Laouedj et Masset, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi renforçant la protection judiciaire de l'enfant victime de violences intrafamiliales

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Il s'agit d'un amendement de coordination, visant à mettre en adéquation l'intitulé de la proposition de loi avec le nouveau dispositif qui vient d'être adopté – et je vous en remercie sincèrement, mes chers collègues.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. L'avis est favorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Je m'en remets à la sagesse du Sénat.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 7 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l'intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. La protection des enfants contre les violences, notamment sexuelles, est un combat de longue haleine partagé sur toutes nos travées.

En 2021, nous avons franchi une étape importante pour la protection des mineurs : la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste a permis d'établir des règles claires et strictes en matière de consentement. En deçà de l'âge de 15 ans, et de celui de 18 ans en cas d'inceste, toute relation sexuelle avec un adulte est désormais considérée comme un viol. Malgré cette avancée, les victimes sont encore confrontées à des parcours de protection et d'accompagnement fragmentés.

Des dispositifs existent, et il est essentiel de renforcer leur accessibilité et leur efficacité. C'est dans ce contexte qu'a été adoptée la loi du 13 juin 2024, qui vise à améliorer la protection des victimes de violences intrafamiliales mais dont les décrets d'application demeurent malheureusement en attente de publication. J'insiste sur l'urgence de les publier, pour ne pas retarder davantage la mise en œuvre de ces mesures.

Il y a un an, la Ciivise a formulé 82 recommandations appelant à des actions judiciaires plus adaptées, mais aussi à des mesures de prévention, de formation et d'accompagnement. Je tiens à cet égard à saluer le travail remarquable de son ancien coprésident, le juge Édouard Durand, et son investissement constant. Il incarnait une figure d'espoir pour les 160 000 enfants qui subissent chaque année des violences sexuelles. Je le rappelle, il y a une victime toutes les trois minutes ! Face à ces chiffres terrifiants, je salue l'initiative du groupe RDSE et de sa présidente, ainsi que les travaux de la rapporteure.

Pour autant, si la proposition de loi que nous avons examinée aujourd'hui est évidemment intéressante, elle demeure insuffisante. Les initiatives s'accumulent et les textes se superposent ; nous devons veiller à leur cohérence.

La méthode du pas à pas ne suffit plus. Le Gouvernement doit se saisir des recommandations de la Ciivise et travailler avec le Parlement pour bâtir un système de protection pleinement opérationnel contre les violences sexuelles. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – M. Xavier Iacovelli et Mme Laure Darcos applaudissent également.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi, modifiée, dont le Sénat a ainsi rédigé l'intitulé : proposition de loi renforçant la protection judiciaire de l'enfant victime de violences intrafamiliales.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – Mme Laure Darcos applaudit également.)

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures trente-sept.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Paiement en espèces

Rejet d'une proposition de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces, présentée par M. Christian Bilhac et plusieurs de ses collègues (proposition n° 628 [2023-2024], résultat des travaux n° 121, rapport n° 120).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Christian Bilhac, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Christian Bilhac, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, est-il normal que, dans notre République, les malfrats bénéficient de droits auxquels n'ont pas accès les honnêtes citoyens ? Pour moi, la réponse à cette question est : non ! Tel est l'objet de la proposition de loi que j'ai l'honneur de vous présenter, et qui vise à lutter principalement contre le blanchiment des espèces.

En France, le code monétaire et financier précise les plafonds de paiements en espèces pour les transactions entre particuliers, entre professionnels, mais aussi entre particuliers et professionnels. Les textes limitent le paiement en liquide à 1 000 euros, énumérant des exceptions aux articles L. 112-6 à L. 112-8. Ainsi, le paiement en espèces entre particuliers n'a pas de plafond, mais il doit être régularisé par écrit au-delà de 1 500 euros.

Une transaction en liquide entre un particulier et un professionnel, ou entre professionnels, est plafonnée à 1 000 euros, sauf si le domicile fiscal du débiteur se trouve à l'étranger et si celui-ci règle une dépense personnelle : la limite est alors fixée à 10 000 ou 15 000 euros, selon le droit européen. Il existe d'autres exceptions, tout à fait justifiées.

Ma proposition de loi vise à modifier l'article L. 112-6 du code monétaire et financier.

Il s'agit, tout d'abord, de supprimer le deuxième alinéa du I dudit article, pour soumettre le paiement des loyers à l'interdiction du paiement en espèces, au même titre que le paiement des traitements et des salaires. Je vise en particulier, au travers de cette disposition, les loyers de voitures – surtout ceux des grosses cylindrées.

Il s'agit, ensuite, de supprimer le a) du III du même article, pour exclure de la liste des dérogations possibles les paiements en espèces effectués par des personnes n'ayant ni chèque, ni compte de dépôt, ni d'autres moyens de paiement.

Je propose enfin, par un amendement que j'ai déposé, de limiter le champ d'application à ces deux points, sans l'étendre aux transactions entre les particuliers.

Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, au même titre que les salariés, les commerçants, les artisans, les professions libérales, les retraités, les demandeurs d'emploi ou encore les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), vous ne pouvez pas régler plus de 1 000 euros en espèces, car vous êtes titulaires d'un compte bancaire.

Selon la loi, ceux qui ne disposent pas de compte bancaire peuvent, en revanche, régler sans limitation de montant n'importe quel achat ou loyer en espèces. Les honnêtes gens peuvent à peine acheter un vélo d'occasion, alors que les voyous peuvent acquérir une berline de luxe !

Qui sont exactement ces 440 000 personnes concernées parce qu'elles n'ont pas de compte en banque ? Ce chiffre est élevé, compte tenu du droit à l'inclusion bancaire qui permet désormais à ceux qui le souhaitent de disposer d'un compte. Mais admettons...

Cette population comprend une bonne partie des personnes sans domicile fixe, dont le nombre a doublé au cours des dix dernières années. Mais, pour ces dernières, la limitation à 1 000 euros ne pose aucun problème puisque c'est un montant exorbitant... Parmi les autres individus ne disposant pas de compte bancaire, on trouve les divers trafiquants de drogue, d'armes ou d'êtres humains, qui peuvent à loisir blanchir les produits de leur commerce, en toute impunité.

On ne parle pas là de petites sommes, comme le montrent les saisies record de stupéfiants, toujours assorties de saisies d'argent liquide, qui défraient régulièrement la chronique.

Le 9 novembre dernier, lors d'une opération liée au trafic de stupéfiants, le parquet de Marseille a mis la main sur rien de moins que 1,2 million d'euros en espèces ! En Seine-et-Marne, en avril dernier, il s'agissait de 210 000 euros en petites coupures ; et à Angers, voilà deux ans, de 1,5 million d'euros en espèces...

Ces saisies ne sont que la partie émergée de l'iceberg !

À mesure que le narcotrafic s'étend sur tout le territoire français, avec son lot de « narchomicides », il est aussi pourvoyeur de transactions record en espèces et, par la même occasion, de croissance de notre PIB. En 2023, il aurait généré en France entre 3,5 milliards et 6 milliards d'euros de profits – la fourchette est large –, pour un PIB atteignant 2 565 milliards d'euros. « Fumez, sniffez, c'est bon pour le PIB ! », titrait d'ailleurs Charlie Hebdo...

Il faut en effet souligner que, depuis 2018, l'Insee intègre les sommes issues du trafic de drogue et de la prostitution dans le calcul de notre PIB, sous couvert d'harmonisation de la réglementation européenne.

L'argent n'a pas d'odeur – on le savait, et cela se confirme –, mais le narcotrafic est tentaculaire et frappe autant les villes que les territoires ruraux. Son ampleur a été mise au jour dans l'excellent rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, publié en mai 2024 par nos collègues Étienne Blanc et Jérôme Durain, lesquels y pointent du doigt la nécessité de contrôler les flux d'argent liquide.

Ce rapport décrit la multiplicité des méthodes de blanchiment des revenus du narcotrafic : réutilisation directe des fonds criminels ; réinjection des espèces dans le travail dissimulé ; blanchiment de proximité dans les commerces locaux – franchement, connaissez-vous beaucoup de gens qui vont acheter des macaronis ou des petits pois à trois heures du matin dans l'une de ces fameuses épiceries de nuit ? Soyons sérieux !... (Sourires sur les travées du groupe RDSE. – M. le rapporteur s'amuse.) – ; évitement du circuit bancaire... Autant de procédés facilitant l'extraction rapide des liquidités, devenues opaques, intraçables et insaisissables : 47 % des flux financiers produits par ces avoirs criminels sont constitués d'argent liquide, mais personne ne sait ce qu'il en advient.

Avec cette proposition de loi, je m'attache à l'aspect monétaire du trafic. Les malfrats utilisent les espèces, par exemple, pour louer des grosses berlines, acheter des produits de luxe, installer des commerces mais aussi pour corrompre. Aucune profession n'est épargnée, en particulier dans les ports et les aéroports où l'on corrompt certains agents.

En avril 2023, le pôle judiciaire de la gendarmerie nationale révélait d'ailleurs que plus de 90 % des billets de banque circulant aujourd'hui en France – y compris ceux que nous avons en poche ! – comportaient des résidus de drogue. Ce taux a doublé en dix ans.

On m'objectera qu'un signalement à Tracfin permettrait de régler le problème. Mais alors, comment se fait-il que des personnes dépourvues de ressources connues roulent encore au volant de grosses berlines ?

Je vois un autre écueil financier, qui est le comble du cynisme. Lutter contre le paiement en espèces entraînerait immanquablement une baisse du PIB au vu des sommes concernées, ce qui augmenterait de facto les ratios de la dette et des prélèvements obligatoires ! Mais, je le répète, l'argent n'a pas d'odeur... S'agirait-il de la véritable raison de l'opposition que rencontre cette proposition de loi dans les sphères financières ? Je m'interroge !

Je préfère conclure ce propos comme je l'ai commencé, en réaffirmant combien je trouve scandaleux que les droits des citoyens malhonnêtes soient plus avantageux que ceux des honnêtes gens. J'espère vous avoir convaincus, mes chers collègues, de voter en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Fabien Gay applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Canévet, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens tout d'abord remercier Christian Bilhac et les membres du groupe RDSE d'avoir proposé cette proposition de loi, qui nous donne l'occasion de débattre d'un sujet extrêmement important. Je partage leurs objectifs en matière de lutte contre la criminalité financière.

En effet, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme constituent deux fléaux majeurs que notre appareil législatif doit impérativement combattre, en s'adaptant en permanence à l'évolution des risques et des pratiques frauduleuses.

La crise que traverse actuellement notre pays en matière de narcotrafic, dont nous aurons l'occasion de débattre l'année prochaine, constitue l'un des aspects de cette problématique. Il est impératif que nous employions tous les moyens pour neutraliser les instruments de blanchiment de capitaux. Je rappelle, à cet égard, que les services répressifs ont procédé l'année dernière à plus de 24 000 saisies d'espèces pour un montant de près de 100 millions d'euros.

C'est à ce titre que l'usage des espèces peut constituer un risque. En tant que moyen de paiement anonyme, facile d'utilisation et instantané, la monnaie fiduciaire peut, dans certaines circonstances, présenter un risque de blanchiment de capitaux. Pour autant, l'argent liquide constitue également un moyen de paiement auquel nos compatriotes demeurent largement attachés et qui n'est en aucun cas synonyme de blanchiment d'argent.

Pour répondre au risque réel que représente la monnaie fiduciaire, le droit actuel prévoit déjà un encadrement strict des paiements en espèces.

Cet encadrement, que je vais rappeler, se doit d'être strictement proportionné dès lors qu'il entre en conflit avec le droit du paiement en espèces, lequel est l'expression directe du fait que les pièces et billets de banque ont cours légal dans la zone euro et qu'un commerçant ne saurait les refuser comme moyen de paiement sans motif légitime.

Dans sa rédaction actuelle, le code monétaire et financier a prévu un seuil de droit commun de 1 000 euros pour les paiements en espèces effectués par les résidents. Au-delà de cette somme, les résidents français ont l'obligation de recourir à un autre moyen de paiement. Pour les étrangers de passage en France qui, par construction, peuvent être amenés à transporter davantage d'argent liquide, un seuil aménagé à hauteur de 10 000 ou 15 000 euros est prévu dès lors que le paiement n'est pas effectué dans un cadre professionnel.

Il faut relever ici que le plafond applicable en France, qui a été ramené de 3 000 à 1 000 euros en 2015, est l'un des plus robustes de la zone euro. En Belgique ou aux Pays-Bas, ce seuil est trois fois plus élevé, tandis que dans plusieurs pays de la zone euro, parmi lesquels figurent l'Allemagne et la Finlande, aucun plafond n'est fixé pour les paiements en espèces.

Si l'entrée en application du règlement européen du 31 mai 2024 imposera aux pays de l'Union européenne d'appliquer un plafond d'au plus 10 000 euros à partir de 2027, cette évolution ne changera rien au fait que le plafond français est l'un des plus exigeants de la zone euro.

Enfin, le code monétaire et financier prévoit deux exceptions générales, dont l'objet est de limiter la restriction au droit de payer en espèces pour les situations dans lesquelles le risque de blanchiment n'est pas caractérisé.

Ces exceptions générales concernent, d'une part, les paiements entre particuliers pour des opérations non professionnelles et, d'autre part, les paiements des personnes non bancarisées, c'est-à-dire n'ayant pas de compte bancaire ou ne pouvant s'obliger par chèque ou par un autre moyen de paiement.

J'en viens aux mesures prévues dans la proposition de loi, qui sont fondées sur un objectif légitime de renforcement de la lutte contre la criminalité financière.

La proposition de loi prévoit d'abord de fixer un plafond spécifique pour le paiement des loyers.

Elle tend ensuite à supprimer le déplafonnement des paiements pour les opérations non professionnelles entre particuliers.

Elle vise enfin à supprimer le déplafonnement des paiements pour les personnes non bancarisées.

Sur les deux premiers points, je relève que les loyers sont déjà soumis, en l'état actuel du droit, au plafond de droit commun de 1 000 euros. Quant aux paiements entre particuliers pour une opération non professionnelle, ils font partie des dépenses de la vie courante qu'il n'est pas souhaitable de réglementer dès lors qu'ils ne constituent pas une voie de blanchiment d'argent.

Sur le troisième point, la commission a estimé après réflexion que la mesure proposée avait un caractère disproportionné. Je comprends l'intention de l'auteur de la proposition de loi, qui est d'empêcher tout contournement du droit en vigueur. Pour autant, les représentants des services chargés de la lutte contre la criminalité financière que j'ai entendus m'ont tous confirmé qu'ils n'avaient rencontré aucun cas documenté de contournement de la loi par un refus calculé d'ouvrir un compte bancaire. Peut-être pourrez-vous nous confirmer cette information, madame la secrétaire d'État ?

Les remontées de terrain qui me sont parvenues font apparaître, par ailleurs, qu'aucun trafiquant n'est non bancarisé pour éviter l'application de la loi.

Sur ce point, je tiens également à souligner l'existence d'une réglementation transversale anti-blanchiment dont l'effectivité est assurée par Tracfin, notre cellule nationale de renseignement financier, qui est particulièrement efficace.

L'obligation faite aux professionnels assujettis de réaliser un signalement à Tracfin en cas de soupçon de fraude est un instrument majeur qui permet, en l'état actuel du droit, de lutter contre les cas, envisagés par les auteurs de la proposition de loi, de paiements massifs en liquide, par exemple pour acheter une voiture de luxe ; un tel véhicule n'est d'ailleurs pas forcément acheté en France, mais peut l'être dans un pays proche.

Pour autant, les personnes non bancarisées représentent une population de plusieurs centaines de milliers d'hommes et de femmes, qui sont le plus souvent dans une situation précaire faisant obstacle à ce qu'ils puissent bénéficier de la procédure du droit au compte. En effet, cette procédure impose la production d'un justificatif de domicile, ce qui n'est pas possible pour certains publics fragiles.

Par conséquent, et bien que je sois entièrement favorable à ce que notre droit s'adapte en permanence aux risques identifiés de criminalité financière, les mesures proposées me semblent avoir un caractère disproportionné dès lors qu'elles pourraient mettre en difficulté des personnes fragiles sans simplifier le travail des services répressifs.

Pour ces différentes raisons, la commission des finances a rejeté ce texte lors de sa réunion du 6 novembre dernier. Je vous propose donc, mes chers collègues, de ne pas adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargée de la consommation. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui pose la question des outils dont nous disposons pour lutter contre la criminalité financière et faire obstacle au blanchiment des capitaux résultant de trafics illégaux. Je remercie donc son auteur, Christian Bilhac, de permettre aujourd'hui cet échange de vues sur ce sujet important.

En axant vos travaux sur les paiements en espèces, monsieur le sénateur, vous faites entrer la vie courante dans ce débat qui peut paraître de prime abord plutôt technique.

Le Gouvernement partage, bien sûr, pleinement l'objectif de s'assurer que nos moyens de contrôle et d'encadrement soient, à tout moment, les plus efficaces possible. La criminalité financière évolue, et elle évolue rapidement. Face à ce constat, il est impératif que nous soyons réactifs en actualisant, si besoin, le cadre réglementaire.

Le texte comporte trois évolutions principales, dans l'objectif que les paiements en espèces entre particuliers pour des opérations non professionnelles ne puissent pas constituer un canal de blanchiment des capitaux.

Premièrement, la proposition de loi prévoit de plafonner à 1 000 euros les paiements en espèces entre particuliers lorsque le débiteur est résident fiscal en France. Il s'agit d'une évolution majeure par rapport à la situation actuelle. Il existe en effet actuellement un plafond de 1 000 euros lorsque l'opération a lieu entre un particulier et un professionnel, mais il n'y a aucun plafond lorsque les personnes n'agissent pas pour des besoins professionnels.

Ce plafond de 1 000 euros pour les opérations professionnelles est l'un des plus stricts en Europe. En effet, sept pays ne connaissent à cet égard aucune limite, dont l'Allemagne et le Luxembourg ; seule la Grèce a fixé un plafond encore plus strict que le nôtre, à hauteur de 500 euros.

Deuxièmement, le texte vise à supprimer la tolérance dont bénéficient aujourd'hui les personnes n'ayant pas de compte de dépôt. En effet, celles-ci peuvent actuellement payer en espèces au-delà du plafond de 1 000 euros prévu pour les titulaires d'un compte bancaire. Sans cette dérogation, lesdites personnes, souvent fragiles – il est important de le rappeler –, seraient très pénalisées dans leur vie quotidienne.

Troisièmement, la proposition de loi prévoit de mettre en place un parallélisme entre les règles applicables aux salaires et celles applicables au paiement du loyer entre particuliers : un loyer de 1 500 euros ne pourrait plus être réglé en espèces entre particuliers.

Ces différentes mesures ont le mérite d'ouvrir le débat, mais, selon nous, elles risquent de ne pas atteindre l'objectif de la proposition de loi.

Il est important de rappeler que le cadre français est déjà l'un des plus restrictifs en Europe pour ce qui est de la circulation d'espèces. L'absence de limite aux paiements en espèces entre particuliers est compensée par de multiples limites et contrôles à l'entrée de ces espèces dans le circuit économique. J'en citerai quelques-unes.

Il n'est par exemple pas possible en France de payer ses créances publiques en espèces au-delà de 300 euros. Quant aux mouvements d'espèces aux frontières, ils sont surveillés, avec l'obligation pour les voyageurs de déclarer tout transport d'espèces supérieur à 10 000 euros. Autre exemple, les professionnels du secteur financier doivent informer Tracfin – M. le rapporteur l'a rappelé – des versements ou retraits en espèces effectués sur un compte dont les montants cumulés sur le mois dépassent 10 000 euros.

Enfin, au niveau européen, le règlement qui va entrer en vigueur en 2027 ne prévoit pas de plafond pour les opérations entre particuliers, car la lutte, légitime, contre le blanchiment et le financement du terrorisme est d'abord une affaire de transactions entre professionnels.

L'harmonisation des pratiques à l'échelle européenne est un excellent moyen pour lutter efficacement contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ce règlement introduira un plafond à 10 000 euros, alors qu'il n'en existe aucun aujourd'hui lorsqu'un professionnel est en jeu.

Au niveau français, donc, des limites existent déjà. Elles sont en cours d'élaboration au niveau européen. Par ailleurs, ni la police judiciaire, ni Tracfin, ni les services du Trésor n'identifient de risques de blanchiment à la hauteur prévue dans cette proposition de loi.

Le paiement des loyers entre particuliers ne semble pas représenter un outil de blanchiment. Dès lors, introduire à plafond à 1 500 euros n'est pas un outil attendu et utile en la matière, alors que ce plafond représentera une gêne ou un obstacle pour les Français qui souhaitent régler en espèces, et ce en toute légalité.

Ensuite, interdire tout paiement en espèces entre particuliers au-delà de 1 000 euros ne peut être effectif que s'il est possible de contrôler ces transactions. Or c'est bien entendu impossible, et ce n'est même pas souhaitable, sauf à ce que l'administration soit particulièrement intrusive.

En outre, il y a un risque réel, avec un tel plafond, que soient pénalisées les plateformes de revente en ligne ou de fourniture de services ponctuels entre particuliers, et avec eux une forme d'économie circulaire qui va croissant. Je sais que ce n'est bien entendu pas l'objectif de la proposition de loi, mais c'est un effet de bord réel que nous avons identifié.

Enfin, la tolérance accordée aux personnes qui ne disposent ni de compte bancaire ni de chéquier doit être conservée. Le Gouvernement n'adopterait peut-être pas la même position s'il y avait là un canal particulier de blanchiment, mais les services de l'État n'ont jamais identifié de contournement consistant à se priver volontairement d'un compte bancaire pour se soustraire au plafond légal…

Dès lors, la mesure proposée n'aurait que peu d'impact, voire n'en aurait pas du tout, sur la criminalité financière. En revanche, elle restreindrait de manière importante la liberté des personnes concernées.

Je le rappelle, les espèces constituent le seul moyen de paiement pour les centaines de milliers de personnes qui ne possèdent pas de compte bancaire. Leur nombre est certes faible au regard des dizaines de millions de comptes bancaires ouverts en France, mais il n'est pas du tout négligeable.

Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre droit encadre déjà le paiement en espèces, dans une perspective de lutte contre le blanchiment d'argent, la fraude fiscale et le travail dissimulé.

Si la présente proposition de loi s'inscrit dans cette dynamique, son exposé des motifs apparaît insuffisant à cet égard. Le blanchiment ou la fraude fiscale à grande échelle reposent non plus sur des valises de billets, mais sur une ingénierie financière complexe qui, bien qu'elle soit dématérialisée, reste très difficilement traçable.

Aussi, bien que son objectif semble légitime, les fondements de ce texte paraissent obsolètes. Pis, ses effets cibleront en priorité les catégories les plus défavorisées de la population.

L'argent liquide est un moyen de paiement crucial pour les personnes contraintes de recourir à un travail de subsistance, qui exercent des activités aux marges du salariat ou de l'activité indépendante.

On estime que, en France, 3 millions de personnes vivent en situation d'exclusion financière. Elles seraient les premières concernées par la limitation du paiement en espèces à l'égard des personnes ne détenant pas de chéquier, de carte ou de compte bancaire. Les 20 % de la population qui souffrent de la fracture numérique seraient également affectés.

En outre, en lieu et place d'une véritable politique d'accès au logement ou d'encadrement des loyers, l'interdiction du paiement en espèces des loyers supérieurs à 1 000 euros risque de bénéficier aux marchands de sommeil, lesquels pourront étendre leur commerce de misère aux personnes qui, faute de pouvoir payer de manière dématérialisée, n'auront plus accès au parc locatif.

Ainsi, ce texte risque de marginaliser encore davantage les catégories de la population les plus fragiles économiquement.

En revanche, je m'étonne qu'il ne soit pas fait mention, ou si peu, de l'effet que produirait cette proposition de loi sur le secteur bancaire et les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), qui déploient depuis des années un puissant lobbying visant à associer l'utilisation d'espèces à la criminalité.

En réalité, mes chers collègues, il est bien davantage question de frais et de données que de trafics. En somme, c'est big finance et big tech contre le cash.

L'argent liquide représente un coût que le secteur bancaire veut raboter, afin de faire des bénéfices en fermant des agences, pour substituer aux personnels des applications permettant un contrôle et une surveillance accrue des interactions avec les clients, le tout au profit des sociétés de paiement, qui pèsent désormais plus de 230 milliards d'euros.

Alors que nos dépenses quotidiennes touchent à l'intime, se diriger vers le seul paiement dématérialisé provoquerait une véritable explosion de la collecte des données, en matière tant de volumes que de granularité, ce qui renforcerait encore les risques liés à leurs usages.

Des chercheurs alertent : la société sans numéraire est l'une des formes les plus abouties du capitalisme de surveillance, car elle implique que chaque transaction passe par un complexe de banques, de sociétés de cartes, de fournisseurs de téléphonie et d'applications de paiement.

Si nous accordons à ces sociétés financières un contrôle total sur le système monétaire, toutes nos interactions économiques seront enregistrées sur des bases de données privées, pour analyse.

Enfin, il faut ajouter à ces risques qui concernent notre vie privée les points de défaillance de la dématérialisation.

Alors que nos vulnérabilités se multiplient face au réchauffement climatique et qu'elles sont renforcées par l'absence de planification énergétique comme de cloud souverain, semble-t-il vraiment opportun d'aller vers un système dans lequel nos capacités de paiement seraient tributaires d'immenses data centers privés, gourmands en énergie et exposés aux pannes, sans autre solution ? Nous ne le pensons pas.

Le paiement en espèces n'est pas un archaïsme ; c'est un système inclusif, respectueux de la vie privée, qui permet des microtransactions à l'échelle locale. Nous voterons donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER. – M. Thomas Dossus applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons, présentée par le groupe du RDSE, vise à renforcer la lutte contre le blanchiment d'argent et la fraude en limitant les paiements en espèces.

Elle tend notamment à réduire le seuil des transactions en espèces à 1 000 euros, à interdire le paiement des loyers en liquide et à supprimer les exemptions pour les personnes sans compte bancaire. Bien qu'elles découlent d'une volonté de transparence financière, ces mesures soulèvent des questions majeures d'inclusion sociale. Elles ratent totalement leur cible, si celle-ci est bien la fraude et le blanchiment.

Nous partageons tous l'objectif de lutter contre la fraude et le blanchiment d'argent sale. Le fléau du narcotrafic, qui touche durement notre pays, appelle des réponses fortes de l'État dans ces domaines.

Toutefois, cette proposition de loi n'aurait aucun impact sur les fraudeurs ou les narcotrafiquants, dont les lessiveuses et autres mécanismes de blanchiment à grande échelle continueraient de fonctionner sans avoir que faire des évolutions souhaitées.

En revanche, elle affecterait durement certains de nos concitoyens et concitoyennes, en particulier les personnes les plus vulnérables. Le recours aux espèces reste aujourd'hui une réalité pour de nombreux ménages en difficulté, qui utilisent l'argent liquide non seulement comme moyen de paiement, mais aussi comme réserve de valeur.

Supprimer les dérogations pour les personnes ne possédant pas de compte bancaire compliquerait le quotidien des plus précaires.

Rappelons-le, bien qu'un droit au compte bancaire existe en France, des obstacles réels à son exercice persistent. Les démarches à engager auprès de la Banque de France pour le faire valoir, les restrictions liées aux autorisations systématiques demandées par les services bancaires et l'absence d'autorisation de découvert compliquent l'accès aux services financiers, rendant ce droit souvent très théorique.

Exiger de personnes précarisées qu'elles trouvent d'autres moyens de paiement que l'argent liquide pour les transactions supérieures à 1 000 euros, y compris pour le paiement des loyers, pourrait accentuer leurs difficultés et, dans certains cas, accélérer leur exclusion.

Par ailleurs, la mesure visant à plafonner à 1 000 euros les transactions entre particuliers pourrait également poser problème.

Actuellement, ces échanges en liquide sont libres de toute limite, bien qu'un écrit soit requis au-delà de 1 500 euros. Imposer un tel plafond pourrait restreindre des habitudes de paiement courantes, comme lors de ventes de biens d'occasion ou de prêts informels. En limitant cette liberté, la loi risquerait de pénaliser des pratiques ordinaires qui, jusqu'ici, ne font pas l'objet de soupçons d'illégalité.

Enfin, le groupe écologiste soutient qu'il est nécessaire d'harmoniser le plafond des paiements en espèces à l'échelon européen, ainsi que le recommandent les auteurs du rapport de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier. Cependant, la fixation d'un seuil aussi bas que 1 000 euros à l'échelle nationale, alors que l'Union européenne préconise un plafond de 10 000 euros dans un souci d'harmonisation, soulève une question de cohérence vis-à-vis de nos partenaires.

De plus, l'ordre de grandeur des sommes brassées par le narcotrafic est d'une tout autre ampleur. Les travaux du journaliste spécialiste des mafias Roberto Saviano ont mis en évidence le rôle joué par les cartels lors de la crise des subprimes en 2008. Selon lui, c'est le recyclage de leurs liquidités colossales, issues du trafic de cocaïne, qui a alors largement permis de sauver les banques américaines et européennes. Ces affirmations sont vertigineuses, et cette proposition de loi n'est pas proportionnée aux mesures nécessaires pour lutter contre le blanchiment.

Au-delà de ces considérations, la liberté des paiements en espèces relève de la philosophie politique. Est-ce le rôle d'une société libérale que d'imposer un contrôle aussi renforcé des échanges monétaires entre acteurs économiques, nous rapprochant ainsi de la société de surveillance globale ?

En conclusion, bien que les objectifs de la proposition de loi soient louables, ses mesures doivent être examinées avec prudence. La lutte contre la fraude et le blanchiment est essentielle, mais elle ne doit pas être menée au détriment des populations les plus fragiles. Pour toutes ces raisons, notre groupe a choisi de voter contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.

Mme Florence Blatrix Contat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi de notre collègue Christian Bilhac, qui vise à limiter le paiement en espèces. Son but est de renforcer la lutte contre le blanchiment de capitaux et les activités criminelles connexes, telles que le trafic de stupéfiants ou la traite d'êtres humains.

Ce texte modifie le code monétaire et financier en vue d'interdire l'utilisation des espèces pour le règlement des loyers au-delà d'un seuil. Il prévoit aussi de supprimer les exceptions permettant des paiements supérieurs à 1 000 euros pour les transactions entre particuliers et pour les personnes non bancarisées.

L'objectif affiché est de mieux contrôler l'usage de l'argent liquide, qui peut constituer un levier de fraude et de blanchiment. Nous y souscrivons tous, mais il est légitime de se demander si les mesures proposées sont vraiment efficaces et adaptées. Surtout, nous devons réfléchir à leurs impacts, notamment sur les populations les plus précaires.

Pour commencer, rappelons que, selon la Banque de France, les espèces représentent encore 50 % des transactions aux points de vente en France, au-dessous de la moyenne de la zone euro. L'utilisation des espèces est notamment le fait des petites transactions quotidiennes, ce qui témoigne du caractère profondément ancré de cette habitude chez nos concitoyens.

L'attachement envers les paiements en espèces est particulièrement visible chez les plus précaires, pour qui l'argent liquide est un outil indispensable de gestion de leur budget, surtout en période d'inflation.

La Banque de France estime que, en France, environ 444 000 personnes ne possèdent pas de compte bancaire. Pour elles, les espèces sont souvent le seul moyen de paiement, que ce soit pour acheter des produits de première nécessité, pour louer un logement ou pour régler d'autres dépenses. En supprimant les dérogations existantes, la proposition de loi pourrait causer des difficultés considérables aux plus fragiles.

Comme l'a souligné la Banque de France, de nombreuses personnes en situation de précarité éprouvent des difficultés à ouvrir un compte bancaire à cause de leur situation socio-économique. En limitant le recours aux espèces, cette proposition de loi pourrait aggraver leur précarité et constituer pour elles une double peine.

De plus, la fixation d'un plafond pour les paiements en espèces des loyers soulève des questions. En effet, les services spécialisés dans la lutte contre la criminalité financière n'ont pas identifié de risques significatifs de blanchiment d'argent concernant ces transactions.

De même, nous nous interrogeons au sujet de la suppression des dérogations pour les paiements en espèces entre particuliers. Là encore, les autorités compétentes n'ont pas relevé de risques notables en matière de blanchiment. Cela nous amène donc à nous demander si cette mesure sera vraiment efficace pour lutter contre les réseaux criminels.

L'exposé des motifs cite l'exemple de la location de véhicules de luxe. Toutefois, ainsi que le rapporteur le souligne à juste titre, il serait plus pertinent de concentrer nos efforts sur la lutte contre le blanchiment des capitaux, en imposant des obligations spécifiques aux professions concernées, plutôt que de prendre des mesures générales sur l'ensemble des paiements en espèces.

Je souhaite également appeler l'attention sur un phénomène que nous constatons tous : le recul progressif de l'utilisation des espèces constitue un frein aux dons faits aux personnes sans-abri, qui dépendent largement de ces gestes de solidarité pour survivre.

En conclusion, bien que les objectifs affichés de cette proposition de loi soient tout à fait louables, on peut s'interroger sur l'efficacité de son dispositif. La suppression des dérogations pour les personnes non bancarisées ou pour les transactions entre particuliers ne répond pas de manière adéquate aux problématiques du blanchiment et pourrait aggraver les difficultés des plus vulnérables.

Dans ce contexte, bien que nous comprenions l'intention des auteurs de cette proposition de loi, nous estimons que les restrictions souhaitées ne permettent pas d'atteindre les objectifs fixés.

Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie Christian Bilhac et ses collègues du groupe du RDSE d'avoir pris l'initiative de cette proposition de loi qui vise à lutter contre le blanchiment d'argent et la fraude fiscale.

Nous souhaitons évidemment tous que les politiques publiques atteignent cet objectif. Le blanchiment d'argent est l'aboutissement de tous les trafics. La drogue suscite entre 3 milliards et 6 milliards d'euros de bénéfices par an en France, sans compter les ressources des réseaux criminels de prostitution ou des braquages.

La fraude fiscale nous empêche de financer nos politiques publiques.

Outre les problématiques de santé publique qu'ils soulèvent, ces trafics ont donné lieu ces dernières années à de nombreux règlements de comptes entre bandes criminelles, provoquant autant de violences et d'insécurité dans nos villes et nos campagnes. Mes pensées aujourd'hui vont particulièrement aux populations marseillaises et grenobloises, qui ont connu cette année de nombreux homicides liés à ces trafics.

Avant de légiférer, nous devons néanmoins nous interroger sur l'utilité des dispositions souhaitées par les auteurs de cette proposition de loi dans la lutte contre le blanchiment d'argent et la fraude fiscale.

Lutte-t-on contre les trafics de drogue, contre la prostitution illégale, contre les braquages et l'évasion fiscale en interdisant à nos concitoyens d'utiliser leur argent pour les quelques usages où cela est encore permis ? Non, je ne le crois pas.

On ne lutte pas contre les problématiques rencontrées par notre société en s'attaquant aux conséquences plus qu'aux causes. Une politique pénitentiaire ambitieuse et une justice ferme à l'égard des trafiquants sont les seules solutions pour lutter contre ces trafics. Il en va de même pour les services des ministères de l'économie et de l'intérieur dans la lutte contre les fraudes.

Restreindre la liberté de nos concitoyens dans l'usage de leur argent n'est pas une solution. Il s'agit là encore d'une ingérence supplémentaire de l'État dans le quotidien des Français. La libre utilisation de leur argent liquide est aussi un symbole de leur liberté. Certes, il ne s'agit pas d'être libertaire à outrance, mais l'utilisation des moyens de paiement liquides est déjà très largement encadrée.

Par ailleurs, réguler l'utilisation de l'argent liquide ne permettra malheureusement pas de mettre fin aux trafics, au blanchiment et la fraude. Comme toujours, les criminels s'adapteront. Ils utiliseront des solutions dématérialisées, telles que les cryptomonnaies, pour s'échanger de l'argent.

La société Chainalysis a estimé à cet égard que le volume des transactions illicites réalisées en cryptomonnaies, en premier lieu desquelles les fraudes et le blanchiment, a atteint 24,2 milliards de dollars en 2023 dans le monde, quand il était cinq ans plus tôt de seulement 2,3 milliards de dollars. C'est dire la professionnalisation des milieux criminels en la matière.

Enfin, et c'est là le principal écueil de cette proposition de loi, l'utilisation de l'argent liquide est le premier et parfois le seul moyen de paiement des populations fragiles.

Les personnes les plus précaires et défavorisées, ceux qui n'ont pas de comptes en banque, n'ont d'autre choix que d'utiliser leurs espèces pour vivre au quotidien. Les personnes âgées et ceux qui ne sont pas familiers du numérique – j'en fais partie ! – sont eux aussi les principaux utilisateurs de l'argent liquide. Ne l'oublions pas, les chèques ne sont plus souvent acceptés par les commerçants.

Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe Les Indépendants voteront contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Olivier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Olivier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la lutte contre la criminalité financière constitue, à n'en point douter, une priorité unanimement partagée au sein de cet hémicycle.

Dans un contexte d'explosion du narcobanditisme faisant craindre une « mexicanisation » de notre pays, ainsi que le ministre de l'intérieur Bruno Retailleau l'a très justement indiqué, l'assèchement des vecteurs de blanchiment apparaît plus que jamais indispensable.

La mobilisation collective autour de cet impératif a permis des avancées notables au cours des dernières années, parmi lesquelles figurent la réorganisation des services d'enquête de la douane française, le renforcement des moyens humains et financiers consacrés à la lutte contre la criminalité financière, et, plus récemment, la rénovation de la réglementation européenne via le paquet de lutte contre le blanchiment des capitaux publié en juin 2024.

La présente proposition de loi s'inscrit dans cet élan et mérite à ce titre d'être saluée. Son article unique vise à généraliser le plafond de paiement en espèces via la suppression de certaines dérogations. Une telle adaptation permettrait de s'assurer, selon son auteur, de l'absence de voies de contournement de la réglementation actuelle à des fins frauduleuses.

Cette généralisation de la contrainte semble à première vue opportune. La question est légitime : pourquoi des pans entiers de la population seraient-ils exonérés de ce plafond ?

Aujourd'hui, les seuils d'autorisation de paiement en espèces font en effet l'objet d'aménagements pour tenir compte des particularités de certaines catégories de paiement. Parmi celles-ci, trois dérogations sont en cause : le paiement des loyers, les transactions non professionnelles entre particuliers et les transactions effectuées par des personnes dites non bancarisées.

Si les deux premières dérogations ne semblent pas constituer d'efficaces moyens de blanchiment, du fait du niveau des montants qui sont concernés en général, l'exception adressée aux publics non bancarisés apparaît davantage propice au développement de certaines formes de criminalité financière.

Toutefois, cette déduction mérite d'être confrontée à la réalité des faits. Les conclusions du rapporteur sont à ce titre pour le moins éclairantes : aucun des experts auditionnés n'a permis de confirmer l'hypothèse d'une exploitation de ce régime dérogatoire comme vecteur de blanchiment.

Les quelque 400 000 personnes non bancarisées en France sont en majorité dans une situation de grande précarité, qui ne leur permet pas de bénéficier de la politique de droit au compte bancaire mise en œuvre par la Banque de France.

Dès lors, comment imaginer qu'ils puissent à loisir effectuer des transactions supérieures à 1 000 euros ? Si l'hypothèse de leur mise à contribution par les réseaux de blanchiment, en tant qu'intermédiaires, peut être envisagée, elle ne résiste pas à la réalité des faits.

Plus largement, les auditions ont également permis de confirmer l'absence de risque d'injection de fonds d'origine criminelle dans le circuit économique et financier pour les deux autres aménagements visés.

Bien loin d'apporter une solution efficace à l'endiguement des pratiques de blanchiment, la présente proposition de loi augure donc d'une inutile complexification du régime dérogatoire actuel, mais aussi de restrictions des libertés manifestement disproportionnées.

Ainsi que Mme la ministre l'a indiqué, le régime français apparaît déjà comme l'un des plus solides de la zone euro. Toutefois, cette robustesse ne doit pas modérer notre détermination dans la lutte contre la criminalité financière.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nadège Havet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vous séjournez à Amsterdam et vous tombez nez à guidon sur le vélo cargo de vos rêves ? (Sourires.) Vous êtes de passage à Berlin et vous flashez sur une toile d'art contemporain ? Vous souhaitez faire l'acquisition d'un ordinateur sur un site de particulier à particulier ? Oui, mais vous souhaitez régler en espèces… Eh bien, prenez garde, car les plafonds autorisés pour ce type de transaction diffèrent d'un pays à un autre, d'un type de paiement à un autre.

Sur la base d'un règlement de mai 2024 relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux, les paiements en liquide sont toutefois limités à 10 000 euros dans l'ensemble des pays européens, ce plafond pouvant toujours être abaissé selon les opérations.

La proposition de loi de notre collègue Christian Bilhac vise justement un point précis : restreindre les possibilités de paiement en espèces au-delà de 1 000 euros pour les particuliers, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Le code monétaire et financier définit en effet des plafonds pour les paiements en espèces suivant la nature de la transaction et la finalité professionnelle ou non de l'opération.

Ainsi, le paiement des traitements et des salaires, d'une dette ou d'un prêt sur gage ne peut s'effectuer en espèces au-delà d'un montant fixé par décret. Ce montant varie : pour les salaires, la limite est fixée à 1 500 euros ; pour une dette, elle est de 1 000 euros, sauf exception.

Toutefois, ces dispositions ne s'appliquent pas aux transactions entre particuliers n'agissant pas pour des besoins professionnels, aux paiements réalisés par des personnes incapables de s'obliger par chèque ou par un autre moyen de paiement, ainsi que par celles qui n'ont pas de compte de dépôt.

Avant d'en venir au contenu du texte et à sa finalité, deux constats peuvent être dressés.

Si nous observons ces dernières années le recul de l'usage des espèces dans notre pays, ce mode de paiement reste largement utilisé. Il représente la moitié des transactions aux points de vente et plus de deux tiers des opérations entre particuliers. Le recours aux espèces est particulièrement répandu pour les opérations non professionnelles entre particuliers, dont 71 % en volume sont payés en liquide.

En outre, l'encadrement reste bien plus contraignant en droit national qu'en droit communautaire.

L'article unique de la présente proposition de loi comporte trois mesures.

La première vise à fixer un plafond spécifique pour le paiement des loyers, ces derniers étant actuellement soumis au plafond de droit commun de 1 000 euros.

La deuxième tend à soumettre les paiements non professionnels entre particuliers au plafonnement de 1 000 euros prévus pour les résidents français.

Enfin, la troisième consiste à soumettre les personnes non bancarisées au même plafonnement.

Mon groupe entend évidemment également renforcer la lutte contre la criminalité financière, mais nous ne pensons pas que ce combat nécessaire passe par un durcissement du droit au paiement en espèces. Celui-ci fait l'objet, nous l'avons rappelé, d'un encadrement très strict. À ce jour, plusieurs pays n'appliquent aucun plafond, comme l'Allemagne.

L'exposé des motifs mentionne l'exemple du renforcement de l'encadrement de la location de véhicules de luxe. Nous partageons à ce sujet la position du rapporteur : l'objectif serait plus efficacement atteint au moyen d'aménagements du régime de lutte contre le blanchiment de capitaux, qui assujettit certaines professions à des obligations spécifiques, plutôt que par des mesures générales concernant l'ensemble des paiements en espèces.

Enfin, on compte plus de 400 000 personnes non bancarisées en France. Elles sont souvent dans une situation précaire qui ne leur permet pas de bénéficier de la procédure de droit au compte qui est ouverte par la Banque de France.

Leur inclusion dans le régime proposé conduirait à interdire les paiements en espèces de plus de 1 000 euros pour les personnes résidant en France et n'ayant pas d'autre moyen de paiement, ce qui ne nous paraît pas souhaitable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce n'est pas nouveau, le trafic organisé tue, la fraude fiscale fragilise notre pacte sociétal, le travail dissimulé déstabilise notre économie et l'industrie du blanchiment d'argent alimente toute cette machine mortifère.

Pour s'en convaincre, il suffit de considérer l'actualité inquiétante de ces derniers jours, liée aux conséquences tragiques du trafic de drogue : un jeune de 15 ans assassiné à Poitiers, une personne tuée à coups de couteau à Rennes ou encore un mort dans une fusillade à Valence.

Quel est le point commun entre ces tragédies ? Leurs auteurs ont tous bénéficié directement ou indirectement du recours au paiement en espèces pour parvenir à leurs fins. Autrement dit, le paiement en espèces facilite le financement des activités illégales et constitue une véritable « malédiction du cash », pour reprendre les termes de certains économistes.

En réponse, les mesures judiciaires et policières pour stopper les trafics en tout genre et la fraude fiscale sont indispensables. À cet égard, nous serons très attentifs au nouveau plan de lutte contre le narcotrafic présenté la semaine dernière par les ministres de la justice et de l'intérieur.

Plus largement, cette actualité met l'accent sur un sujet qui doit nous mobiliser : la lutte contre l'économie souterraine. Ce sujet me paraît important à deux titres.

D'une part, d'un point de vue financier et économique, l'économie souterraine représente aujourd'hui 11,6 % du PIB selon la Banque de France. Une manne fiscale considérable échappe donc à l'État.

Mes chers collègues, cela doit nous interpeller au moment où nous nous interrogeons sur l'avenir du financement du budget de l'État. Ne faudrait-il pas mener aujourd'hui une évaluation de l'efficacité et du caractère complet de notre boîte à outils pour lutter contre ce phénomène ? Un débat doit être ouvert sur ce point.

D'autre part, il faut identifier les moteurs de cette économie souterraine. Sur ce point, le cash joue le rôle principal, en raison de l'anonymat des échanges qu'il permet. Dans une note publiée cet été, la Banque de France confirme qu'il existe un lien étroit entre la taille de l'économie souterraine et la demande de billets. Autrement dit, la régulation du paiement en espèces constitue un levier essentiel pour lutter contre l'économie illégale.

Dans cet esprit, la limitation des transactions en cash s'impose comme une réponse complémentaire et fondamentale à l'action judiciaire et policière menée par le Gouvernement, en particulier pour traiter le bas du spectre des activités illégales, qui reste pour l'instant sous les radars.

En ce sens, la proposition de loi, présentée par notre collègue Christian Bilhac au nom du groupe du RDSE, apporte quelques solutions. En s'attaquant au financement des activités illégales, elle participe à la sauvegarde de l'ordre public, qui constitue un objectif d'intérêt général suffisant pour justifier un cadre juridique plus strict sur le paiement en espèces.

À cet instant du débat, mes chers collègues, j'ai bien compris que, sur toutes les travées, vous étiez contre cette proposition de loi. Elle a pourtant le mérite d'ouvrir le sujet et de poser la question fondamentale de la lutte contre cette économie parallèle et illégale qui nous fait tant de mal.

Les orateurs précédents l'ont dit de manière plus ou moins affirmée : nous sommes tous d'accord pour mener ce combat, qui exigera de nous lucidité et courage. En effet, nous ne pourrons plus nous cacher derrière l'objectif jamais atteint du maintien de la paix sociale : nous devrons réaliser un véritable travail de fond. Voilà ce vers quoi je vous invite à tendre, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.

M. Jean-Marie Mizzon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je tiens à remercier mon collègue rapporteur Michel Canévet, qui a réalisé un travail éclairant sur cette proposition de loi.

Le présent texte, proposé par Christian Bilhac, répond à une préoccupation qui nous est commune : le renforcement de l'efficacité de la lutte contre la criminalité financière. Cependant, si nous souscrivons à la volonté de lutter contre le blanchiment, l'article unique de cette proposition de loi ne constitue pas la voie adéquate pour atteindre cet objectif.

Nous faisons nôtres les griefs exprimés par notre collègue rapporteur pour rejeter le texte. Ces trois mesures de restriction du droit au paiement en espèces risqueraient de complexifier le régime actuel et d'entraver certaines libertés individuelles, sans garantir de bénéfice réel en matière de lutte contre la criminalité financière.

Premièrement, en ce qui concerne l'introduction d'un plafond spécifique pour le paiement des loyers, les services de la direction générale du Trésor n'ont pas identifié de risque significatif de blanchiment relatif au versement des loyers. De la même manière, le Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme estime, lui aussi, que la menace de blanchiment liée à la location immobilière est faible au regard du cadre existant.

Dès lors, introduire un nouveau plafond pour cette catégorie de transactions compliquerait le régime en vigueur, sans aucune certitude de renforcer la lutte contre la fraude.

La seconde mesure, qui consiste à étendre le plafonnement de 1 000 euros au-delà duquel le paiement en espèces est interdit aux transactions non professionnelles entre particuliers, apparaît quant à elle disproportionnée.

Outre que, encore une fois, aucun risque particulier de blanchiment n'est lié à ce type de transaction, le plafond applicable constitue déjà l'un des seuils les plus stricts de la zone euro.

Or le paiement en espèces reste le moyen privilégié pour les opérations entre particuliers. En restreignant cette liberté, nous risquerions d'entraver des transactions légitimes du quotidien, alors même que nous serions dans l'incapacité de vérifier l'effectivité de la mesure, puisque ces transactions ne font pas l'objet d'un contrôle systématique de l'administration.

Enfin, la troisième et dernière mesure, qui consiste à soumettre les personnes non bancarisées au plafond de 1 000 euros, soulève un enjeu social important. En effet, quelque 400 000 personnes ne disposent ni d'un compte bancaire ni d'un chéquier en France. De plus, ces citoyens sont souvent confrontés à la précarité, ce qui les écarte de la procédure de droit au compte mise en œuvre par la Banque de France.

Dès lors, leur interdire les paiements de plus de 1 000 euros en espèces, alors même qu'ils n'ont pas de moyen de paiement de substitution, laisse poindre un risque important d'accroissement de leur précarité. En ce sens, supprimer le régime dérogatoire dont bénéficient les personnes non bancarisées nous semble disproportionné, d'autant que, je tiens à le rappeler, rien ne garantit qu'une telle mesure permettrait de renforcer la lutte contre la criminalité financière, dans la mesure où aucune corrélation entre les deux n'est établie.

Bien entendu, nous partageons les préoccupations du sénateur Bilhac, qui s'attaque, au travers de cette proposition de loi, à un véritable problème, qu'il est bon de remettre sur la table. Il nous faut continuer à combattre le blanchiment des capitaux issus de trafics illicites et, plus encore, veiller à ce que la réglementation actuelle ne soit pas contournée.

Néanmoins, l'article unique de la présente proposition de loi ne permet pas d'atteindre les effets attendus par l'auteur du texte. Ainsi, nous rejoignons les craintes de notre collègue rapporteur quant à la mise en place d'un durcissement disproportionné de l'encadrement actuel du droit au paiement en espèces.

En effet, nous ne saurions ignorer les indications des services du Trésor, qui n'établissent pas de lien entre, d'un côté, les transactions non professionnelles entre particuliers, le versement des loyers et les personnes non bancarisées, et, de l'autre, la criminalité financière.

Nous bénéficions d'ores et déjà d'un encadrement strict visant à lutter contre le blanchiment. Complexifier le cadre en vigueur, sans aucune garantie de tenir les résultats escomptés, nous semble contreproductif. Cela nuirait à la clarté du dispositif, entraverait certaines libertés individuelles et risquerait de fragiliser les personnes non bancarisées.

Pour l'ensemble de ces raisons, les sénateurs du groupe Union Centriste suivront la position adoptée par la commission des finances, à l'instigation de son rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – Mme Nadège Havet applaudit également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l'article unique de la proposition de loi.

proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces

Article unique

L'article L. 112-6 du code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° Au deuxième alinéa du I, après le mot : « salaires », sont insérés les mots : « ainsi que des loyers » ;

2° Les a et b du III sont abrogés.

Mme la présidente. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Bilhac, Mme Briante Guillemont et M. Masset, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3 

Rédiger ainsi cet alinéa :

2° Le a du III est abrogé ;

II. – Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

…° Au b du III, après le mot « physiques », sont insérés les mots : « ,dont l'une des deux parties au moins ne dispose pas de compte bancaire, ».

La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Mes chers collègues, j'ai entendu les remarques que vous avez formulées au sujet des transactions entre particuliers. Cet amendement vise donc à revenir au texte initial pour ce qui concerne le paiement en espèces dans ce cadre. En effet, ce type de transactions est difficilement contrôlable et le seuil qui s'applique aujourd'hui suffit.

Il s'agit de se concentrer sur la limitation du paiement en espèces pour les personnes non bancarisées. Je sais que le vote risque d'être serré ; l'adoption de cet amendement permettra peut-être de retourner la situation !

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Michel Canévet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, dont l'adoption n'améliorerait pas suffisamment le texte.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État. Même avis défavorable, madame la présidente.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi.

Je rappelle que le vote sur l'article vaudra vote sur l'ensemble de la proposition de loi.

Y a-t-il des demandes d'explication de vote ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi relative au paiement en espèces.

(La proposition de loi n'est pas adoptée.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante,

est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Didier Mandelli.)

PRÉSIDENCE DE M. Didier Mandelli

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

6

financement de la sécurité civile : soutenir les Sdis dans leur gestion des nouveaux risques

Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Financement de la sécurité civile : soutenir les Sdis dans leur gestion des nouveaux risques ».

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre délégué, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. Philippe Grosvalet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER et INDEP.)

M. Philippe Grosvalet, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons, la sécurité est une préoccupation majeure pour nos concitoyens.

À l'heure où les guerres menacent aux portes de l'Europe, où nos quartiers et nos campagnes sont sous l'emprise des narcotrafiquants, où nombre de nos concitoyens rencontrent des difficultés pour se soigner, les sujets liés à notre sécurité individuelle ou collective saturent le débat public, qu'il s'agisse de la défense nationale, de la sécurité publique ou encore de la sécurité sociale.

En dehors des grandes catastrophes naturelles ou accidentelles, la sécurité civile est moins souvent évoquée. Il existe pourtant en France un service public tout à fait exceptionnel pour garantir la protection de nos concitoyens et leur porter secours et assistance.

Mobilisable sur simple appel téléphonique, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours par an, et capable en moins de vingt minutes d'engager jusqu'à plusieurs centaines de femmes et d'hommes formés à toutes les spécialités de secours et équipés de moyens considérables, partout sur le territoire, à la ville comme à la campagne, ce service public sans équivalent repose sur un modèle unique.

Unique, tout d'abord, par la coexistence au sein des effectifs de personnels aux statuts variés, dont 198 800 sapeurs-pompiers volontaires (SPV), 43 000 sapeurs-pompiers professionnels et 13 200 agents de statut militaire.

Unique, ensuite, par sa gouvernance, puisque le niveau opérationnel est confié au couple formé par le maire et le préfet, quand la gestion, notamment financière, des Sdis (services départementaux d'incendie et de secours) échoit aux départements et aux communes.

Unique, enfin, par son mode de financement, puisque les Sdis sont largement alimentés par les collectivités et, en premier lieu, par le département.

Grâce à ce modèle, les Sdis assurent quotidiennement leurs missions de secours de proximité à travers un maillage territorial de 6 000 centres d'incendie et de secours, réalisant près de 5 millions d'interventions par an. Il s'agit d'un service public essentiel du quotidien, au cœur des valeurs républicaines de fraternité, de solidarité et d'engagement.

Les Sdis ont connu de grandes évolutions depuis le début du XXIe siècle. Leur départementalisation a notamment permis la montée en compétences des sapeurs-pompiers volontaires et professionnels, la mutualisation et la modernisation des moyens, la rénovation quasi totale des centres d'incendie ou encore le renouvellement de la planification des risques dont le champ a été complété.

Cependant, après vingt ans d'efforts continus, certaines évolutions réglementaires et financières remettent clairement en question la capacité des Sdis à remplir leur mission de service public tout aussi efficacement qu'auparavant.

L'une des originalités de notre système est qu'il repose principalement sur le volontariat. Les effectifs comptent 78 % de sapeurs-pompiers volontaires, qui effectuent 67 % du temps d'intervention et ne représentent que 12 % des dépenses. C'est donc l'engagement citoyen qui constitue le socle du modèle français.

Cette spécificité est aujourd'hui remise en cause par l'application de la directive européenne de 2003 sur le temps de travail, dont l'interprétation pour les sapeurs-pompiers a été revue à la suite de la jurisprudence Matzak en 2018.

Une requalification du statut des sapeurs-pompiers volontaires, intégrant une obligation de professionnalisation, diminuerait considérablement le service rendu à la population. Nous pouvons sans peine anticiper les effets d'une telle évolution, qu'il s'agisse de la baisse de la capacité opérationnelle des Sdis, notamment en milieu rural, de l'allongement du temps d'intervention ou bien encore de la forte augmentation du coût de la sécurité civile dans les finances publiques.

S'il faut absolument conserver l'hybridité des statuts, il paraît en revanche important de rappeler les enjeux professionnels et sociaux liés à celui de sapeur-pompier volontaire, en particulier l'incomplétude des droits sociaux, et le surmenage physique et psychologique qui découle de l'alourdissement de la charge opérationnelle. En effet, cette charge croît considérablement, de sorte que les Sdis se retrouvent de plus en plus en tension.

Le nombre des interventions a grimpé de 30 % entre 2005 et 2021, et cette hausse est caractérisée par une sursollicitation dans le domaine médical, au travers du volet « secours et soins d'urgence aux personnes ». Sur les 75 600 interventions menées en 2023 dans mon département de la Loire-Atlantique, les trois quarts relèvent de cette catégorie.

Cette sursollicitation sur le secours à la personne met en exergue la fragilisation d'autres services publics de santé, la désertification médicale, la disparition de services hospitaliers d'urgence en milieu rural et les carences ambulancières, notamment. Au-delà des conséquences sur la charge opérationnelle des Sdis, un tel constat a pour effet que les sapeurs-pompiers s'interrogent de plus en plus sur le sens de leur engagement. Ils ont trop souvent le sentiment de se substituer à des acteurs absents ou défaillants.

Cette perte de sens se traduit aujourd'hui par une moindre attractivité de la profession, alors même que notre modèle de sécurité civile sera mis à l'épreuve, dans les années à venir, par l'augmentation des phénomènes climatiques critiques et par les évolutions démographiques.

Nous en expérimentons déjà régulièrement les conséquences, comme en témoignent les violentes inondations survenues dans le centre-est et le sud de la France, à la mi-octobre. La situation de nos outre-mer est aussi à souligner, car ces territoires restent particulièrement concernés par des problématiques climatiques spécifiques et lourdes.

Face à ces risques d'ampleur croissante, l'ambition doit rester la même qu'aujourd'hui : il faudra conserver des capacités d'anticipation qui préservent en amont et des capacités d'adaptation qui sauvent pendant la crise. Cet objectif ne pourra être atteint que par une nécessaire consolidation du financement des Sdis.

En effet, si ces services représentent la majorité des dépenses publiques de la sécurité civile, à hauteur de 5,39 milliards d'euros sur un total de 6,5 milliards d'euros, leur modèle de financement, qui repose quasi exclusivement sur les collectivités territoriales, est à bout de souffle.

Les principaux contributeurs sont les départements, qui assument la plus grande partie de la hausse des dépenses depuis 2003. Or leur situation budgétaire est extrêmement préoccupante, voire quasi périlleuse. Alors que les départements sont déjà à genoux et contraints de se fragiliser encore davantage pour contribuer au redressement des comptes de l'État, les budgets alloués aux services d'incendies et de secours en subissent directement les conséquences.

Les communes, quant à elles, ne peuvent prendre le relais du fait du plafonnement de leur contribution.

Les collectivités territoriales semblent donc avoir de plus en plus de difficultés à suivre la dynamique de dépenses des Sdis, dont les budgets sont principalement affectés aux ressources humaines.

Dès lors, toutes les pistes doivent être explorées. Une réflexion sur la consolidation des moyens alloués aux départements doit être menée, au travers de l'élargissement de la fraction de la taxe spéciale sur les conventions d'assurances (TSCA) qu'ils perçoivent, mais aussi par l'augmentation de son taux – certains d'entre nous ont déjà défendu cette idée lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024 – ou encore par l'actualisation de son assiette, inchangée depuis 2003.

La création d'une nouvelle part départementale, additionnelle à la taxe de séjour, qui associerait plus étroitement les touristes et les visiteurs au financement des services d'incendie et de secours mérite également d'être étudiée.

Enfin, les travaux autour de la « valeur du sauvé » doivent être poursuivis. Car, dans les débats sur le modèle de financement des Sdis, la participation des assureurs, qui retirent un certain bénéfice des interventions menées, ne doit pas être oubliée.

Des réflexions méritent d'être engagées sur le financement des Sdis, afin de trouver de nouvelles recettes à leur attribuer, en mutualisant davantage les moyens et en recentrant les sapeurs-pompiers sur leur cœur de métier.

J'ai moi-même présidé un Sdis pendant dix-sept ans. Pendant toutes ces années, j'ai vu des hommes et des femmes affronter tous les risques et faire preuve d'un courage et d'un dévouement remarquables, au détriment de leur vie professionnelle et familiale, et, parfois, hélas, au péril de leur vie.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Philippe Grosvalet. Si le but des missions qu'ils remplissent n'a pas de prix, puisqu'il s'agit de sauver, de préserver et de protéger, celles-ci ont en revanche un coût financier évident, ainsi que, parfois, un coût humain. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, GEST, SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité du quotidien. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me sensibiliser encore davantage à ce sujet. En effet, la sécurité civile fait partie du périmètre ministériel qui m'a été confié par Michel Barnier et Bruno Retailleau.

Nous accordons, bien évidemment, une attention particulière au modèle français de la sécurité civile, que nous souhaitons préserver, bien qu'il doive aussi évoluer compte tenu des nouveaux enjeux qui pèsent sur notre société.

Ce modèle est fondé en grande partie, comme vous venez de le rappeler, sur le volontariat. Nous souhaitons que cela perdure et nous devrons, à cette fin, améliorer le statut des volontaires, qui constituent le gros des troupes intervenant au quotidien pour secourir nos concitoyens.

Le Beauvau de la sécurité civile sera relancé, le 25 novembre prochain, à Rouen. Ce sera l'occasion d'évoquer tous les chantiers que nous aborderons ce soir dans le cadre de vos interventions, au premier rang desquels le financement de la sécurité civile. Celui-ci pèse, vous l'avez rappelé, non seulement sur les départements et sur les communes, mais également sur l'État, au travers du reversement d'une fraction de la taxe spéciale sur les conventions d'assurances.

Vous avez rappelé les problèmes fondamentaux qui se posent à nous. Nous travaillerons à les résoudre dans les mois à venir. Les contributions parlementaires seront évidemment les bienvenues, ainsi que l'expertise des élus locaux, particulièrement dans les départements.

Depuis quelques semaines, j'ai commencé à rencontrer l'ensemble des acteurs de la sécurité civile. J'écoute ce qu'ils ont à dire, afin de ne rien omettre à l'ordre du jour du Beauvau de la sécurité civile qui sera bientôt relancé. En effet, ces travaux avaient déjà été engagés avant la dissolution de l'Assemblée nationale.

Nous devrons progresser rapidement : nous nous fixons le calendrier le plus serré possible, pour aboutir, d'ici à la fin du mois de mars prochain, à des propositions concrètes.

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Ronan Dantec. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie le groupe RDSE d'avoir demandé ce débat.

Pour commencer, permettez-moi d'avoir une pensée pour les habitants de la région de Malaga, victimes ce soir des effets d'une goutte froide, après ceux de Valence il y a quinze jours. Nous voyons circuler les mêmes images, mais nous espérons tous bien sûr que le bilan humain sera moins tragique.

Ce qui se passe à Malaga montre clairement que nous sommes en train de basculer dans un monde nouveau pour ce qui est de la gestion des risques. Nous devons donc remettre à plat notre manière de réfléchir sur ce sujet ; c'est précisément le thème du débat de ce soir.

Avant d'en venir aux moyens d'intervention, le premier enjeu reste celui de la prévention. Nous serons, en effet, d'autant plus à même de réagir face aux catastrophes que nous en aurons limité les effets. Les informations que nous recevons de Malaga le confirment, puisque 3 000 personnes ont été évacuées pour limiter le coût humain. L'interdiction de circuler, lors de la dernière tempête en Bretagne, avait eu le même effet.

Face aux inondations, nous savons très bien à quel point la question de l'artificialisation des sols est centrale. Nous avons donc besoin en urgence de déployer le ZAN (zéro artificialisation nette) !

Aussi, je ne puis ce soir que me réjouir des déclarations très claires qu'a tenues Mme Vautrin sur ce dispositif devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, puisque, voilà quelques heures, elle s'est prononcée en faveur du maintien d'un premier palier d'objectifs à atteindre en dix ans.

Nous nous réjouissons que la ministre ait d'ores et déjà pris toutes ses distances avec la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux, déposée ce matin par Les Républicains. (M. Jacques Fernique applaudit.)

Face aux inondations, il faut aussi que les pratiques agricoles soient respectueuses de l'environnement. En 2015 – cette information n'a pas assez circulé –, l'agence de l'eau Artois-Picardie avait d'ailleurs publié un rapport dans lequel elle expliquait que la mutation du système agricole du Pas-de-Calais mènerait tout droit aux inondations que le département a connues ces derniers mois.

Le risque incendie doit également être pris en compte : catastrophes en Gironde, aux monts d'Arrée… La situation est telle qu'il existe dans les forêts du Gâvre ou de Paimpont – chez nous, dirai-je en regardant Philippe Grosvalet – un risque de feux. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Face à ces menaces, il faut redimensionner les moyens. Monsieur le ministre, j'espère que vous préciserez dans votre réponse les annonces de Bruno Retailleau – nous les avons bien entendues – sur les Canadair.

Certes, les pactes capacitaires permettent d'agir sur les incendies, mais vous conviendrez de l'urgence absolue de remettre en état notre parc aérien, qui est en très mauvais état. Alors que l'UE est parfois sur la sellette, la question de la mutualisation des moyens en Europe, notamment dans le bassin méditerranéen, se pose certainement si nous voulons être à la hauteur des enjeux.

Peut-être faut-il mettre en place un pacte capacitaire consacré aux inondations. Cette piste, monsieur le ministre, peut-elle figurer au programme du Beauvau de la sécurité civile ? C'est à voir, mais les inondations du Pas-de-Calais ont montré à quel point nous manquions tout simplement de pompes.

Avons-nous besoin d'une stratégie inondation nouvelle ? Nous espérons vos réponses les plus précises possible. Le troisième plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc-3) sera l'occasion de vérifier l'engagement de l'État face aux risques nouveaux de catastrophes, mais il semble assez évident que le système devrait être remis à plat.

Pour reprendre le propos de Philippe Grosvalet, l'articulation statutaire entre pompiers professionnels et pompiers volontaires doit être réexaminée. C'est une évidence !

La baisse des dotations aux départements comme aux bloc communal fragilise notre capacité de réponse aux risques. Comment envisagez-vous le problème, monsieur le ministre ? Faut-il sacraliser certains budgets et les dotations des collectivités territoriales. Comment faire pour que l'État évite d'affaiblir les moyens d'action des Sdis ?

Monsieur le ministre, l'intérêt de ce débat est de vous permettre de vous exprimer sur ces points extrêmement précis. Nous vous écouterons avec attention. En effet, le risque est devant nous, le réchauffement climatique est là et nous n'avons pas le temps de procrastiner sur les réponses à apporter. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDSE. – MM. Pierre Barros et Hervé Gillé, ainsi que Mme Patricia Schillinger, applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité du quotidien. Monsieur le sénateur Dantec, le premier des chantiers qui seront ouverts lors du Beauvau sera celui de la résilience. Il traitera à la fois de la prévention et de la réaction face aux risques liés aux inondations, mais aussi aux feux.

Je m'associe au message de compassion que vous avez adressé aux populations espagnoles. Nous nous sommes portés volontaires pour les accompagner, signe que la solidarité à l'échelle européenne que vous appelez de vos vœux fonctionne déjà régulièrement, même si elle doit être renforcée, notamment en matière de matériels disponibles.

Nous disposons de flottes aériennes qui sont composées d'appareils, parfois en location, extrêmement complémentaires, comme les hélicoptères ou les Canadair. Toutefois, je partage votre diagnostic sur leur vieillissement de cette flotte. Nous avons d'ailleurs signé une lettre d'intention pour charger un consortium, qui comprend notamment Airbus, de concevoir un appareil de transport d'eau permettant d'effectuer les mêmes tâches que les Canadair.

Le pacte capacitaire sur les feux de forêt sera maintenu. Nous réinscrivons dans le budget prévisionnel pour 2025 des sommes qui permettront en principe d'acheter deux pompes de grande capacité, comme celles qui nous ont servi lors des grandes inondations qu'une vingtaine de départements français ont pu connaître récemment.

Tous les sujets que vous avez abordés seront au programme du Beauvau de la sécurité civile, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé.

M. Hervé Gillé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'actualité espagnole – Malaga, Valence – nous rappelle chaque jour l'ampleur des défis auxquels notre propre pays fait face : incendies de forêt de plus en plus dévastateurs, inondations, sans oublier les crises sanitaires. Ces événements, souvent imprévisibles, exigent une réponse rapide, efficace et adaptée.

Face à cette multiplication des risques, il est crucial que nous soutenions nos services départementaux d'incendie et de secours, véritables piliers de la sécurité civile.

Les risques sont devenus plus nombreux et plus complexes. En Gironde, nous en avons été témoins ces dernières années avec des incendies dévastateurs, comme les mégafeux de l'été 2022, qui ont touché plus de 30 000 hectares de forêt et mobilisé des milliers de pompiers venus de toute la France et de toute l'Europe. Ces incendies, qui se déclarent plus tôt dans l'année et qui sont plus violents, représentent une menace de plus en plus grande pour nos territoires et pour nos forces de secours.

Un point essentiel ne doit pas être oublié : la santé des sapeurs-pompiers. En effet, plusieurs études ont révélé une réalité alarmante. Je tiens ici à saluer le rapport d'information sénatoriale Cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier : protéger les soldats du feu, ainsi que le travail remarquable de ma collègue Émilienne Poumirol.

Il est évident que les Sdis doivent être mieux équipés et soutenus de manière plus ambitieuse. Je pense au renforcement de la force aérienne nationale de la sécurité civile, avec notamment des moyens aériens stationnés sur le massif des Landes de Gascogne. La gestion et la mobilisation des matériels privés et publics doivent être interrogées.

Nous devons réformer notre système de financement. Ce dispositif fondé sur les contributions des départements et du bloc communal, exsangues financièrement, n'est plus tenable.

Il y a urgence à inscrire dans la durée le soutien financier de l'État, en pérennisant notamment les pactes capacitaires des Sdis, à hauteur des engagements pris par l'État au lendemain des importants feux de 2022. Cela a été fait pour les pactes capacitaires liés aux feux de forêt, mais il pourrait être envisagé de créer des pactes pour le risque inondation. Nous suivrons les résultats du Beauvau.

À ce titre, le mode de calcul de la taxe spéciale sur les conventions d'assurances (TSCA), versée par l'État aux départements au titre des Sdis, doit évoluer et prendre en compte le potentiel budgétaire et la pression démographique. Ainsi, la Gironde compte entre 18 000 et 20 000 habitants de plus chaque année. Cette importante hausse de la population accroît la pression opérationnelle sur chaque Sdis.

Avec l'aggravation du changement climatique, l'instauration d'un mécanisme de péréquation doit également être envisagée dans les départements particulièrement soumis aux aléas.

J'attire votre attention sur la hausse de charges, qui est significative pour les Sdis concernés, mais aussi sur l‘augmentation de quatre points de cotisation de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Celle-ci représente un coût de 3 millions d'euros par an pendant trois ans pour la Gironde. Qui compensera la hausse de 9 millions d'euros, monsieur le ministre ?

Nous devons investir massivement dans des équipements plus performants et plus sûrs, comme des tenues de protection adaptées au risque d'exposition aux toxines et aux produits chimiques. Nous savons qu'une tenue de qualité peut coûter jusqu'à 2 000 euros. Il est impératif d'assurer à nos pompiers des équipements conformes aux normes de sécurité les plus strictes.

Cette nécessité fait écho à la prise en compte de la « valeur du sauvé », une expression qui nous est chère. Il est grand temps de sortir d'une simple logique de coût : pour donner suite à la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie, sur laquelle j'ai travaillé avec ma collègue Laurence Harribey, une démarche d'évaluation socioéconomique de l'action des Sdis devrait être envisagée.

Une telle initiative permettrait de se rendre compte de l'importance du travail réalisé et de la valeur des vies, de l'environnement et des biens sauvés.

Mes chers collègues, il est urgent de mettre en place des solutions concrètes pour renforcer les capacités de nos Sdis. Le financement pérenne de ces services est un impératif absolu pour faire face aux risques actuels et à ceux qui viendront. Gouverner, c'est prévoir : sur des sujets aussi essentiels, il faut le démontrer. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDSE. – M. Pierre Barros applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité du quotidien. Monsieur le sénateur Gillé, des travaux sont menés sur la santé des sapeurs-pompiers. D'une part, le rapport de la sénatrice Poumirol – vous l'avez salué – visait à reconnaître certains cancers comme des maladies professionnelles. D'autre part, un observatoire de la santé a été lancé pour recenser auprès de tous les acteurs leurs difficultés réelles.

Concernant les nouvelles tenues de feu et les cagoules plus protectrices, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) met en avant un prix de l'ordre non pas de 2 000 euros, mais plutôt de moins de 1 000 euros. Visiblement, ces vêtements seront disponibles l'an prochain. Les équipements seront évalués par la direction générale, mais leur prise en charge restera de la responsabilité des Sdis.

Monsieur le sénateur, vous soulevez à juste titre la question des difficultés de financement. Elle fait partie des sujets que nous aborderons le 11 ou le 12 décembre prochain, en fonction du maintien ou non d'un mouvement de grève annoncé. Nous nous réunirons avec les départements pour étudier toutes les perspectives liées à la taxe spéciale sur les conventions d'assurances, à la taxe de séjour et à la fiscalité.

Le débat ne sera pas limité à certaines thématiques. L'objectif est d'obtenir le meilleur système possible. Il faut permettre à chaque département de garder des forces de secours suffisantes et équipées, mais aussi protéger les sapeurs-pompiers, auxquels nous sommes évidemment tous très attachés.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme un certain nombre d'entre nous dans cet hémicycle, j'ai eu la chance d'exercer la responsabilité de président de Sdis, de rencontrer des gens dévoués et de participer, à leurs côtés, à un modèle de sécurité civile qui fonctionne bien. Je remercie le groupe RDSE d'avoir proposé ce débat.

Pour ma part, j'aborderai trois points.

Premièrement, notre modèle doit être sauvegardé. Le statut de sapeur-pompier volontaire est celui de 80 % des effectifs. L'engagement des volontaires permet d'assurer un maillage territorial efficace et des délais d'intervention rapides. Face à un accident, à un incendie ou à toute autre situation grave, les premières minutes sont déterminantes.

Une épée de Damoclès pèse sur le statut du volontariat à la française. Depuis l'arrêt Matzak de la Cour de justice de l'Union européenne et l'avis rendu par le Comité européen des droits sociaux de février 2024, plane le risque que le sapeur-pompier volontaire soit requalifié en travailleur. Autant vous dire que le modèle s'effondrerait avec la fin du volontariat !

J'ai profité de la campagne des élections européennes pour interpeller les têtes de liste des principaux mouvements politiques, afin de leur demander de saisir la Commission européenne pour apporter enfin des clarifications. J'ai envoyé plusieurs lettres il y a six mois. Je n'ai reçu pour l'instant qu'une seule réponse… pour m'informer que mon courrier était bien arrivé !

Deuxièmement, je souhaite que les Sdis soient mieux compensés pour les services qu'ils assument en lieu et place d'autres services publics.

Les casernes sont le dernier endroit où la lumière est allumée la nuit. Il s'y trouve toujours quelqu'un au bout du fil, des hommes et des femmes capables de se projeter rapidement pour intervenir, tant et si bien que les Sdis assument des missions qui, à l'origine, ne sont pas les leurs.

Concernant les carences ambulancières, le service d'aide médicale urgente (Samu) a pris la mauvaise habitude d'appeler ceux qui décrochent le plus vite et qui coûtent le moins cher, c'est-à-dire les pompiers. Ceux-ci assument maintenant une bonne partie des transports sanitaires. Les Sdis accompagnent, soutiennent et suppléent les services mobiles d'urgence et de réanimation (Smur) pour assurer des transports médicalisés d'urgence vers les hôpitaux dans les meilleures conditions.

Ces interventions sont peu, voire pas du tout compensées par les agences régionales de santé (ARS). Un certain nombre de Sdis ont attaqué des hôpitaux devant le tribunal administratif, mais ils ont tous été déboutés. Chacun comprend que ces réalités pèsent sur l'organisation humaine et sur les finances des services.

Troisièmement, à quelques jours de l'examen du projet de loi de finances par le Sénat, je ne puis éviter le sujet de la TSCA et de la nécessaire augmentation de la part revenant aux conseils départementaux, afin de financer les Sdis.

Les pompiers se mobilisent pour venir en aide aux départements qui leur sont voisins quand ceux-ci sont confrontés à des catastrophes – c'est tout à fait normal – ou pour renforcer les dispositifs de sécurité, comme pour les jeux Olympiques.

L'État s'engage à prendre en charge une partie des coûts liés à ces déplacements. Je ne sais pas pour les autres départements, mais les factures dans l'Aisne ne sont toujours pas payées. Veillons à ne pas répéter les mêmes erreurs que pour les loyers des gendarmeries !

Monsieur le ministre, sur tous ces points, nous attendons avec impatience vos réponses. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – M. Hervé Gillé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité du quotidien. Tout d'abord, monsieur le sénateur Verzelen, nous sommes particulièrement attachés au modèle, que nous souhaitons sauvegarder, d'une sécurité civile fondée sur le volontariat.

Non, les sapeurs-pompiers volontaires ne sont pas des travailleurs ! Toutefois, certaines situations fragilisent le statut, notamment les gardes postées, très utilisées dans une vingtaine de départements qui ont été identifiés par l'inspection générale de l'administration et par l'inspection générale de la sécurité civile. Des travaux ont d'ailleurs été engagés par le ministère de l'intérieur pour que l'on en revienne à des pratiques plus adaptées.

Le volontariat n'est pas propre à la France. Nous souhaitons travailler sur le sujet en convergence avec d'autres pays européens, étant donné que certains de nos modèles sont comparables.

Vous m'interrogiez ensuite, monsieur le sénateur, sur la compensation des charges indues, notamment par les ARS. Il nous faudra travailler avec le ministère de la santé sur le problème de l'exercice par les sapeurs-pompiers de missions qui ne sont pas en principe les leurs. Nous nous pencherons dans le cadre du Beauvau sur la doctrine d'emploi et sur les missions qui sont dévolues aux Sdis, pour nous recentrer sur les urgences.

Il nous faudra peut-être travailler avec les fédérations d'ambulanciers. L'objectif est que ceux-ci, lorsqu'ils bénéficient de secteurs d'intervention qui leur permettent de vivre, desservent mieux d'autres zones, un peu plus complexes, dans lesquelles ils ne vont pas et où nos sapeurs-pompiers sont donc extrêmement sollicités.

Enfin, la revalorisation de la TSCA fera partie du débat qui aura lieu à la mi-décembre prochain – je risque de répondre à plusieurs reprises de la même manière ! Nous ne sommes fermés à aucune évolution : il suffit d'en débattre, de trancher et de trouver un bon accord avec les fédérations d'élus départementaux et municipaux, qui sont les contributeurs.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Dumont. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Bitz et Michel Masset applaudissent également.)

Mme Françoise Dumont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce soir, à la demande fort à propos du groupe RDSE, nous parlons de ce serpent de mer qu'est devenue la question du financement de la sécurité civile.

Dans le cadre des auditions que j'ai menées en tant que rapporteure pour avis du budget de la sécurité civile figurant dans le projet de loi de finances 2025, plusieurs pistes se sont dessinées ou affinées.

Une première est la réévaluation de la taxe spéciale sur les conventions d'assurances, dite TSCA. Cette taxe est dynamique, mais elle est répartie selon des critères obsolètes datant de 2003.

Une deuxième piste intéressante est la sanctuarisation de l'intégration des véhicules d'incendie et de secours dans les exceptions à l'accise sur les énergies, introduite au Sénat par l'article 50 de la loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie.

Une troisième piste est la contribution des métropoles et des grandes agglomérations au budget des Sdis, dans un souci évident d'équité entre collectivités. Il conviendrait de rouvrir ce chantier.

Une quatrième piste est l'affectation de nouvelles ressources. Il faut creuser l'idée d'une nouvelle taxe additionnelle à la taxe de séjour, notamment pour les plateformes touristiques.

En effet, à titre personnel et en qualité d'élue d'un département très touristique, il me paraît important que des collectivités qui doublent ou triplent leur population à certaines périodes de l'année puissent augmenter leur taxe de séjour et en attribuer une part aux Sdis concernés. Cette mesure ne serait forcément vertueuse que pour les seuls départements fortement touristiques.

Une cinquième piste est de permettre aux Sdis de facturer leurs prestations, grâce à la téléassistance et à la téléalarme. Toutefois, la jurisprudence va plutôt à l'encontre d'une telle facturation, ce qui n'est pas idéal dans la situation économique actuelle.

Une sixième piste est la revalorisation des carences ambulancières, en se rapprochant du coût réel de la prestation.

Cette question n'a jamais vraiment été résolue. Une telle révision pourrait s'accompagner d'une simplification de la procédure de remboursement. En effet, les ARS versent les sommes dues aux centres hospitaliers universitaires (CHU) ; ensuite, les CHU les reversent aux Sdis. Il faudrait simplifier et prévoir un remboursement direct des ARS aux Sdis, pour éviter les blocages et les redondances de procédures.

Une septième et dernière piste serait d'inviter les assureurs à prendre part de manière plus importante au financement des Sdis. Cette solution aurait du sens au regard de la « valeur du sauvé » : les sapeurs-pompiers protégeant les biens et les personnes, leurs interventions sont autant de compensations à verser en moins aux assurés.

Comment soutenir les Sdis dans leur gestion des nouveaux risques, au regard du financement de leurs missions ? Nous nous sommes posé cette question dans le groupe de travail interne au groupe Les Républicains du Sénat sur la sécurité civile, que j'ai eu l'honneur d'animer pendant dix-huit mois.

Nous avons présenté nos travaux et remis notre rapport, le 30 octobre dernier, au ministre ici présent. Dans ce cadre, nous avons souhaité mettre en avant plusieurs préconisations de bon sens.

D'une part, au regard des moyens routiers, nous avons prôné un regroupement des commandes entre les Sdis. Il faut continuer à encourager ces mutualisations et permettre à ces services de solliciter à cette fin l'appui technique et juridique d'un pôle « innovation, stratégie et commande publique », à créer au sein de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises.

L'objectif est de réduire les coûts d'achat de véhicules et de matériels pour les Sdis, de permettre l'émergence d'une offre française et européenne susceptible de répondre aux besoins de la lutte aérienne contre le feu, ainsi que de limiter la dépendance à l'égard d'un nombre restreint d'acteurs extérieurs.

D'autre part, le groupe de travail a proposé de constituer une cellule « fonds européens » au sein de la DGSCGC. Elle disposerait de moyens humains dotés des expertises juridiques nécessaires pour servir de guichet unique national, destiné à faciliter l'accès aux fonds européens susceptibles d'être sollicités par les acteurs publics de la sécurité civile.

En effet, en France, le recours effectif aux financements européens demeure relativement limité dans ce domaine, contrairement à nos voisins. L'accès à ces subventions est souvent rendu difficile par la complexité des procédures de constitution de dossier, auxquelles le personnel des Sdis n'est pas toujours formé.

Toutes ces pistes sont autant de propositions simples et de bon sens que j'apporte ce soir à notre débat. Les finances des Sdis sont précaires et appellent à une refonte rapide des services : il faut que ces structures, disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept partout en France, soient sanctuarisées et que leurs missions soient valorisées à leur juste importance. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité du quotidien. Madame la sénatrice Dumont, je vous remercie de la remise de votre très intéressant rapport lors de notre rencontre du 30 octobre dernier. J'y répondrai point par point.

La première proposition de ce texte concernait la création d'un « ministère délégué à la protection civile ». Vous avez été exaucée : je suis là ! (Sourires.) En effet, une spécificité de ce gouvernement est de disposer d'un ministère dédié à la sécurité du quotidien, dans lequel est incluse la sécurité civile. Nous aurons donc le bonheur de travailler ensemble sur ce sujet.

La deuxième proposition concernait « la mise en place d'une politique industrielle nationale et européenne de la sécurité civile, en particulier au bénéfice de la composante aérienne de cette dernière. » Il existe un projet européen, à l'état embryonnaire, de construction d'avions bombardiers d'eau pour lequel le Gouvernement a signé une lettre d'intention. Nous sommes attentifs au déploiement de cette coopération, qui nous permettrait d'acquérir des bombardiers fabriqués chez nous, tout en bénéficiant de ce fait de délais de livraison moins longs et d'une maintenance plus facile.

La troisième proposition concernait les « financements européens ». J'ai eu l'occasion d'échanger sur le sujet avec l'association nationale des directeurs de Sdis, cet après-midi, comme j'avais déjà pu échanger avec vous. En vérité, les Sdis ne peuvent parfois pas prétendre à ces financements. Dans d'autres cas, la quantité de collaborateurs ou l'ingénierie au sein de ces services ne détermine pas forcément l'obtention de fonds.

Toutefois, l'Ardèche a pu acquérir en 2022 des tablettes numériques associées aux multiparamètres, financées à 100 % par des fonds européens, pour presque 2 millions d'euros. J'ai eu l'occasion de rendre visite aux sapeurs-pompiers concernés en tant que vice-président délégué aux fonds européens à la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Nous pouvons sans doute proposer aux Sdis de mieux les accompagner ou d'éditer à leur intention un guide des bonnes pratiques, afin qu'ils disposent des bons interlocuteurs, notamment au sein des régions et à la Commission européenne.

Pour en venir à votre propos d'aujourd'hui, je suis d'accord avec vous sur la commande publique. Les pactes capacitaires ont permis de réaliser 30 % d'économies sur les achats de camions passés par une commande groupée. Quelque 98 % de ces camions étaient français. Aussi, pour faciliter ces achats groupés, nous accompagnerons les Sdis dans la rédaction de leur cahier des charges.

Par ailleurs, l'exonération de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) à hauteur de 30 millions d'euros, c'est-à-dire de 300 000 euros par Sdis en moyenne, est à la signature : Bruno Retailleau s'en charge en ce moment même.

Quant à la taxe de séjour, elle fera partie des dossiers qui seront étudiés. Pour ma part, il me paraît assez cohérent que ceux qui visitent un territoire contribuent à sa sécurisation, notamment quand elle leur bénéficie directement.

Enfin, je terminerai en évoquant les procédures de remboursement.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre délégué.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué. Le tarif national d'indemnisation des carences ambulancières est passé de 125 euros en 2022 à 209 euros en 2023. Je serai attentif à la revalorisation régulière de cette somme.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SER et UC. – Mme Françoise Dumont applaudit également.)

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'actualité nous rappelle, une fois encore, combien les risques naturels et les menaces modernes nécessitent de notre part une vigilance accrue et des moyens renforcés.

Les inondations récentes en Espagne, au bilan dramatique, mais aussi celles qui se sont déroulées en octobre dernier témoignent de la fréquence croissante de ces événements climatiques extrêmes. Je n'oublie pas, bien sûr, la multiplication et l'intensification des feux de forêt, qui inquiètent par leur ampleur et par leur caractère dévastateur. Surtout, ils surgissent désormais en des lieux et en des moments inattendus.

Ces phénomènes, conséquence directe du bouleversement climatique, mobilisent nos services départementaux d'incendie et de secours bien au-delà des périodes habituelles et des amplitudes de risque ordinaires. Ils nous rappellent, certes, combien il est urgent de lutter contre le réchauffement climatique, mais aussi de soutenir ces services essentiels à la sécurité des Français, d'autant que les catastrophes naturelles ne sont qu'une partie des défis actuels auxquels ces services doivent faire face.

Les nouvelles menaces, qu'elles soient terroristes ou qu'elles impliquent des risques d'attaques chimiques et biologiques, exigent également une préparation et des moyens techniques et humains spécifiques. Dans ce contexte, les sapeurs-pompiers sont appelés à être des acteurs de plus en plus polyvalents, capables d'intervenir dans des situations de crise variées et parfois inédites.

À ce stade, je tiens à rendre hommage à nos 240 000 sapeurs-pompiers, dont 80 % sont des volontaires. Ils assurent, bien souvent au péril de leur vie, une mission essentielle. Aussi ai-je une pensée émue pour celles et pour ceux qui, dans l'accomplissement de leur mission, ont perdu la vie ou ont été blessés.

Face aux bouleversements évoqués, la mission des Sdis se transforme, pour répondre à la complexité croissante des interventions et à la diversité des risques.

Cette adaptation nécessaire pèse immanquablement sur leurs dépenses, alors que ces services constituent déjà l'un des postes les plus dynamiques de la dépense publique. En effet, la modernisation des équipements, l'amélioration des conditions de travail et les revalorisations salariales, indispensables pour valoriser un engagement qui ne faiblit jamais, représentent des investissements coûteux.

À l'heure actuelle, ce sont principalement les départements qui supportent cette charge. L'État assure environ un quart des financements des Sdis, tandis que la participation du bloc communal s'est en partie déplacée vers l'intercommunalité.

C'est dans ce contexte que nous débattons aujourd'hui du financement de la sécurité et du soutien à apporter aux Sdis dans leur gestion des nouveaux risques.

Des évolutions notables ont été réalisées. Face à la recrudescence des feux de forêt, le Président de la République a pris l'initiative de renforcer la flotte aérienne, essentielle pour les interventions rapides. Face aux menaces modernes, de nouveaux équipements nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC) ont été déployés.

De plus, des efforts importants ont été engagés pour la formation des sapeurs-pompiers et pour le développement de la coopération interservices, qui sont essentiels dans la gestion de crise.

Notre assemblée a également été particulièrement active dans le soutien apporté aux Sdis dans l'exercice de leurs missions.

Rappelons que l'exonération de taxe sur les carburants pour les véhicules des services d'incendie et de secours fait suite à une initiative prise par notre assemblée dans le cadre de la loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie. Cette exonération contribue à alléger les charges pesant sur les Sdis.

Cependant, les défis restent nombreux. La pression budgétaire demeure élevée et la hausse des dépenses s'annonce difficilement tenable sur le long terme.

Dans ce contexte, il est impératif d'explorer de nouvelles pistes pour réformer et soutenir le financement des services départementaux d'incendie et de secours, car les collectivités semblent avoir de plus en plus de difficultés à suivre la dynamique de leurs dépenses. Les départements, principaux contributeurs au financement des Sdis, ne disposent que de faibles marges de manœuvre.

Aussi faut-il réfléchir aux moyens d'accroître les ressources financières des départements destinées au financement des Sdis. J'espère que le Beauvau de la sécurité civile, qui est sur le point d'être relancé, sera l'occasion de s'emparer de cette question cruciale.

Il est par ailleurs indispensable de poursuivre la lutte contre la sursollicitation des Sdis pour les transports sanitaires urgents.

La loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, a introduit une évolution salutaire en redéfinissant les carences ambulancières, afin d'éviter que les Sdis ne soient affectés à des missions qui ne relèvent pas de leur cœur d'intervention.

Il faut toutefois aller plus loin et rendre plus dissuasif le coût du recours aux Sdis en cas d'absence de couverture ambulancière, en envisageant par exemple une révision des tarifs de l'indemnité de substitution.

Enfin, à l'heure où le volontariat, pourtant le pilier de notre modèle de sécurité civile, montre des signes de faiblesse, il est impératif de réfléchir aux moyens d'y inciter davantage, afin de pérenniser ce modèle auquel nos concitoyens sont profondément attachés.

Je souhaite ici évoquer les centres de première intervention non intégrés (Cpini), plus particulièrement l'engagement de leur plus de 9 000 sapeurs-pompiers volontaires. L'efficacité de notre modèle de sécurité civile repose en grande partie sur cet engagement, et il convient de leur témoigner notre reconnaissance.

Pour soutenir cet effort, il conviendrait de sécuriser juridiquement la pratique de certains Sdis ou départements qui prennent en charge l'allocation de vétérance. Ouvrir plus largement cette possibilité permettrait de soulager les communes et, en même temps, de soutenir le volontariat.

Mes chers collègues, face à tous ces défis, nous devons faire les choix stratégiques qui assureront aux Sdis les moyens d'assumer leur mission dans un contexte de risques croissants et complexes. La France dispose d'une sécurité civile qui est d'un haut niveau d'excellence, mais cet atout dépend de notre engagement collectif à pérenniser et à renforcer ce modèle.

Plus que jamais, nous devons engager les réformes nécessaires au soutien et à la valorisation de ces services indispensables à notre sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité du quotidien. Madame la sénatrice Schillinger, sur le sujet des crises climatiques, nous partageons tous évidemment le même diagnostic. Il y a là, d'ailleurs, plus qu'un diagnostic : nous voyons les risques se réaliser, comme en Espagne très récemment.

Pour ce qui est de la France, la dernière crise que nous avons vécue aurait pu se traduire par des décès, mais cela n'a pas été le cas : douze blessés ont été recensés. Cela veut dire que les plans communaux de sauvegarde et l'organisation de la sécurité civile dans notre pays fonctionnent globalement.

Reste que peuvent survenir des crises plus graves – c'est arrivé. C'est pourquoi le Premier ministre, aux côtés d'Agnès Pannier-Runacher, a récemment présenté le plan national d'adaptation au changement climatique. Nous allons amplifier l'effort ainsi engagé, afin d'aboutir le plus rapidement possible.

Pour ce qui est de faire face aux risques complexes, hors feux de forêt, 11 millions d'euros y ont été consacrés dans les pactes capacitaires 2023 et 2024, cette enveloppe permettant notamment de répondre aux défis du changement climatique. Je le disais, un complément de 1 million d'euros va être inscrit au budget, afin de financer en particulier l'achat de pompes de grande capacité mobilisables en cas d'inondations.

Pour ce qui est des nouveaux moyens mis en œuvre pour lutter contre les feux de forêt, je veux évoquer le déploiement des pélicandromes, sujet sur lequel nous avançons petit à petit : nous venons d'inaugurer une nouvelle structure de ce type à Marignane.

Le secours aérien n'est pas en reste : un programme d'acquisition sur six ans de trente-six hélicoptères H145 a été lancé, 100 millions d'euros étant inscrits à cet effet au budget pour 2025, et notre flotte va certainement passer prochainement à quarante hélicoptères.

Enfin, pour ce qui est du financement, j'ai évoqué tout à l'heure un certain nombre de pistes qu'ont mentionnées l'ensemble des sénateurs qui se sont exprimés ce soir à la tribune. Nous y reviendrons au mois de décembre prochain !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mmes Patricia Schillinger et Émilienne Poumirol applaudissent également.)

M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà à quelques jours d'une relance du Beauvau de la sécurité civile, prévue le 25 novembre prochain. J'y vois, monsieur le ministre, l'occasion de vous faire part des préoccupations les plus concrètes des territoires ruraux.

Les services d'incendie et de secours, nous le savons, sont confrontés à l'apparition de missions nouvelles qui bousculent les équipes et les équilibres financiers. Cette situation exige une réorientation des investissements et une adaptation des formations. Je pense évidemment au risque climatique : la multiplication des épisodes climatiques violents place nos sapeurs-pompiers sous tension.

Dans le rapport d'information sur la prévention des inondations que, avec mon collègue Jean-François Rapin, je viens de présenter, nous relevons qu'entre novembre 2023 et juin 2024 des communes ont été reconnues en état de catastrophe naturelle en raison d'inondations dans 53 % des départements, correspondant à autant de Sdis.

Nous avons ainsi dressé le constat que les services de secours ont été confrontés à leurs limites durant cette crise : le manque d'équipements de pompage lourds et de capacités héliportées a en particulier été déploré. En un mot, un renforcement capacitaire est indispensable.

Je souhaite donc vivement, monsieur le ministre, que vous accueilliez favorablement les amendements tendant à améliorer la préparation des équipes que nous nous apprêtons à présenter lors de l'examen du projet de loi de finances, d'autant plus que, fait nouveau et insupportable, les opérateurs nationaux d'assurance refusent d'assurer certains Sdis, ou n'acceptent de le faire qu'à la condition d'une augmentation des primes de l'ordre de 60 %.

M. Jean-Yves Roux. Le défi qu'ont à affronter les SDIS dans nos territoires ruraux est aussi celui de la prise en charge subie du surcoût lié aux défaillances des services d'urgence hospitaliers, en particulier à la fermeture desdits services la nuit comme le jour : dans les Alpes-de-Haute-Provence, ce surcoût était de 150 000 euros en 2023 et le chiffre prévisionnel pour 2024 atteint 250 000 euros…

Ces surcoûts ne sont que trop peu compensés, et le recouvrement des factures est insuffisant. Voilà la réalité !

J'en viens au troisième point d'incertitude qui pèse considérablement sur le financement des Sdis ruraux : la part dans les effectifs des pompiers volontaires et les difficultés de recrutement. Dans mon département, le fonctionnement du service repose à 96 % sur l'engagement de sapeurs-pompiers volontaires. L'épée de Damoclès d'une possible requalification du statut fait craindre le risque d'un effondrement. Nous devons lever ces incertitudes le plus rapidement possible.

Mes chers collègues, nos Sdis sont arrivés à un point de rupture, et ce d'autant que les collectivités locales, départements en tête, contributrices à hauteur de 5,6 milliards d'euros, sont exsangues.

Or la sécurité civile ne saurait être une variable d'ajustement budgétaire ; le drame de Valence est là pour nous le rappeler. Face aux mutations en cours, des décisions budgétaires s'imposent, tant conjoncturelles que structurelles, afin de redonner aux Sdis des marges de manœuvre adéquates à la réalité de leurs missions – j'associe à mon propos notre collègue Raphaël Daubet, sénateur du Lot, avec qui j'ai partagé quelques constats communs.

Dans le cadre de l'examen du projet de budget pour 2025, monsieur le ministre, je plaide pour un engagement de l'État en ce sens ou, à tout le moins, pour un moratoire qui aiderait les départements à passer ce cap.

Concrètement, pour le département des Alpes-de-Haute-Provence, le projet d'augmentation de quatre points de la cotisation employeur à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) représente 180 000 euros de dépenses en plus, quand la perte annoncée de deux points du taux du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) signifie 230 000 euros de recettes en moins. Le bilan est simple : un endettement accru et l'impossibilité de renouveler le matériel. Est-ce bien prudent ? Est-ce juste ?

Ce n'est pas nouveau, mais cela devient urgent : des mesures structurelles de bon sens s'imposent, au premier rang desquelles la mutualisation et – son corollaire – la péréquation.

Deuxième piste d'action : la rationalisation de la commande publique et une exigeante simplification administrative et normative.

Troisième proposition – tout le monde en a parlé : à défaut d'autres solutions, l'augmentation de la fraction de taxe spéciale sur les conventions d'assurances (TSCA) dévolue aux SDIS me paraît inévitable.

Au total, nous avons plus que jamais besoin d'un contrat d'objectifs et de performance clair, posant les bases d'un partenariat de sécurité civile entre l'État, les départements et les autres collectivités concernées.

Je conclurai mon propos par ce point, monsieur le ministre : dans mon département des Alpes-de-Haute-Provence, petit département de 160 000 habitants, nous avons mis en place au collège des classes de jeunes sapeurs-pompiers volontaires, ainsi que, depuis 2023, un bac professionnel de sécurité civile.

Je serai attentif au soutien que vous voudrez bien manifester à l'endroit de ces initiatives. L'investissement de notre pays pour les Sdis dépend aussi de notre capacité à rendre attractif sur le long terme cet engagement dès le plus jeune âge. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mmes Anne-Sophie Patru et Émilienne Poumirol applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité du quotidien. Monsieur le sénateur Jean-Yves Roux, j'ai reçu hier l'Association des maires ruraux de France, et nous avons eu l'occasion d'échanger à propos de la sécurité civile, mais aussi des polices municipales et des gardes champêtres. Nous avons évidemment une attention et une sensibilité toutes particulières à la ruralité.

Les difficultés de recrutement des sapeurs-pompiers volontaires sont amplifiées en secteur rural. Vous le savez, nous travaillons sur les sujets de reconnaissance et d'attractivité du volontariat ; un décret est notamment en cours d'arbitrage…

Mme Émilienne Poumirol. Qu'attendez-vous pour le publier ?

M. Nicolas Daragon, ministre délégué. … quant à la bonification du nombre de trimestres pris en compte pour le calcul de la retraite des sapeurs-pompiers volontaires, mais aussi des bénévoles des associations agréées de sécurité civile.

Nous n'avons pu trancher en quelques semaines ce qui n'a pu être décidé en plus d'un an : vous ne m'en voudrez pas, mesdames, messieurs les sénateurs. Mais nous continuons d'y travailler et espérons aboutir bientôt.

J'en viens à trois sujets importants, qui sont étroitement connectés : l'accompagnement des Sdis et des collectivités en général par les assureurs ; le financement par ces derniers de l'activité de sécurité civile ; enfin, leur présence dans la gouvernance. Il faudra mettre sur la table ces trois questions si l'on veut un débat serein.

Pour ce qui est des secours sanitaires, monsieur le sénateur, je partage votre propos : le tarif national d'indemnisation des carences ambulancières est fixé à 209 euros, quand le coût réel d'une intervention est supérieur à 400 euros. On le voit, les Sdis supportent en partie une charge qui devrait incomber entièrement au ministère de la santé, avec lequel nous aurons évidemment à échanger dans le cadre du Beauvau de la sécurité civile, afin d'améliorer les modalités de prise en charge.

Précisément, le Beauvau apportera une réponse aux questions de financement, que nous ne saurions arbitrer ici. Les départements et les communes, j'y insiste, seront partie prenante de ce travail – je sais combien le Sénat y est sensible.

M. le président. La parole est à M. Pascal Martin. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pascal Martin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les récentes inondations qui ont ravagé l'Espagne et nombre de départements français rappellent, s'il en était encore besoin, le caractère vital des services d'intervention en cas de catastrophe naturelle.

Dans notre pays, ce sont les services départementaux d'incendie et de secours qui sont au centre du dispositif d'aide aux victimes. Leur excellence n'est plus à prouver, comme en témoigne la position de la France comme premier contributeur du mécanisme de protection civile de l'Union européenne.

Aujourd'hui, les Sdis sont cependant menacés par un effet de ciseau.

D'un côté, les besoins ne vont malheureusement pas cesser d'augmenter. Le changement climatique, en particulier, ne peut que multiplier l'occurrence et l'intensité des phénomènes climatiques extrêmes, qu'il s'agisse des tempêtes ou des feux hors norme. On peut également penser au phénomène de retrait-gonflement des argiles, qui va fragiliser un nombre considérable de bâtiments sur le territoire national ; et je n'oublie pas la lutte contre les risques industriels et technologiques.

D'un autre côté, dans le contexte budgétaire que l'on connaît, les moyens financiers qui sont alloués aux Sdis tendent à stagner, voire à régresser.

Certes, des économies dans la gestion du service sont envisageables. Elles ne peuvent passer que par un effort de mutualisation des ressources, notamment par la création de plateformes de gestion et de traitement des appels communes aux sapeurs-pompiers et au Samu.

Pour intéressantes que soient ces pistes côté dépenses, elles ne régleront pas structurellement le problème : nous ne pouvons faire l'économie d'une réforme du financement des Sdis. Je remercie donc nos collègues du RDSE d'avoir inscrit cet indispensable débat à l'ordre du jour de la Haute Assemblée.

La fiscalité des Sdis a déjà été partiellement adaptée à la montée en charge de leur activité. Je pense à l'exonération du malus écologique et de l'accise sur les produits énergétiques, l'ex-TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) pour les carburants utilisés par l'ensemble de leurs véhicules, exonération votée ici même, faut-il le rappeler, et inscrite dans la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie, texte d'initiative sénatoriale que j'ai eu moi-même l'honneur de déposer avec trois de mes collègues.

Néanmoins, nous allons avoir besoin d'une réforme plus fondamentale. À l'heure actuelle, les Sdis sont quasi intégralement financés par le conseil départemental et le bloc communal. Le rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA) de 2022 et celui de la mission Falco de 2023 ont souligné combien ce système est à bout de souffle face à l'évolution des risques et de la sollicitation opérationnelle.

M. Pascal Martin. De nombreuses pistes sont sur la table pour le réformer. Permettez-moi d'évoquer celles qui me semblent les plus prometteuses.

Premièrement, il est proposé de moderniser la part de la taxe spéciale sur les conventions d'assurances attribuée aux Sdis : assiette, fraction versée, péréquation, plusieurs leviers peuvent être actionnés pour en augmenter le rendement.

Deuxièmement, on peut envisager le versement aux Sdis d'une quote-part de la taxe de séjour et la création d'une contribution nouvelle sur les locations de type Airbnb.

Troisièmement, certains évoquent – je suis le premier à le faire ce soir – la possibilité d'élargir la taxe Gemapi (taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations), pour en faire une taxe sur les risques majeurs. À ce propos, nous sommes plus réservés. Politiquement, un tel élargissement serait délicat pour les collectivités, alors même que, en la matière, la solidarité nationale devrait jouer à plein.

C'est pourquoi la quatrième piste me semble plus intéressante. Elle recouvre deux voies plus originales qui pourraient être explorées : primo, l'élargissement de la possibilité de facturation par les Sdis de prestations qui ressortissent au secteur privé ; secundo, l'action des Sdis permettant aux compagnies d'assurance de réaliser des économies, il serait légitime qu'une fraction des gains des secondes revienne aux premiers, comme cela a cours dans certains pays anglo-saxons ou en Suisse – c'est le principe de la « valeur du sauvé ».

Ces deux dernières pistes sont véritablement disruptives, car elles impliquent en quelque sorte un changement de culture de la part des Sdis. Mais, face à la montée en puissance des périls naturels, il va falloir se résoudre à décloisonner le secteur public et le secteur privé en matière d'intervention et de secours.

On parle de plus en plus d'adaptation au changement climatique ; on ne pourra à notre sens s'adapter à une France réchauffée de 4 degrés qu'en revoyant totalement le financement des Sdis dans le sens que j'ai indiqué. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – Mme Émilienne Poumirol et M. Ronan Dantec applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité du quotidien. Monsieur le sénateur Pascal Martin, je veux le souligner, la France est le premier contributeur de l'Union européenne en matière de formation et de déploiement – vous le savez bien, vous qui êtes expert du sujet.

En ce moment même, nous sommes, me semble-t-il, le seul pays étranger à contribuer à la gestion de la catastrophe sans précédent qui s'est produite en Espagne, à Valencia – vous me permettrez de prononcer ce nom à l'espagnole, mesdames, messieurs les sénateurs, car je m'inquiète, depuis le début de ce débat, chaque fois que j'entends le mot « Valence » ! (Sourires.)

Cinquante sapeurs-pompiers y ont donc été mobilisés tout récemment ; compte tenu du délai qu'il a fallu pour que nous puissions enfin envoyer des forces en soutien aux sapeurs-pompiers espagnols, on mesure bien combien notre système, organisé nationalement, est pertinent.

Concernant la mutualisation des moyens des Sdis, une vingtaine de plateformes communes d'appel d'urgence 15-18 sont en cours d'expérimentation et vont être évaluées. Nous devons aussi travailler sur les achats mutualisés, auxquels procèdent d'ores et déjà un certain nombre de départements. J'ai évoqué la procédure, prévue dans le pacte capacitaire, qui permet d'abaisser de 30 % le coût d'achat d'un camion. Il nous faut déployer ce type d'opérations plus souvent, afin de faire des économies d'échelle.

En matière de financement, je partage vos orientations. Nous étudierons toutes les options, mais, en effet, la piste doit être évoquée d'une facturation des prestations, notamment de secours, qui pourraient être évitées, sur le modèle de ce qui a longtemps été fait, par exemple, avec la « carte neige ».

La question de la participation des assureurs doit également être posée : je le disais, nous allons devoir discuter à la fois de la taxe et de la gouvernance, étant entendu par ailleurs que plus nous ferons de prévention, plus, à mesure que le niveau de risque sera abaissé, les assureurs diminueront leurs primes.

Je souscris à la totalité de vos propos, monsieur le sénateur ; nous nous rendrons prochainement dans votre département pour la relance du Beauvau, et vous aurez l'occasion d'évoquer ces pistes.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parmi les nouveaux enjeux auxquels sont confrontés les services départementaux d'incendie et de secours, ainsi que l'ensemble de nos sapeurs-pompiers, qu'ils soient professionnels ou volontaires, on pense évidemment aux effets du changement climatique. Celui-ci s'accélère. L'observatoire européen Copernicus vient de le démontrer : l'année 2024 sera la plus chaude jamais enregistrée.

Dans tous nos départements, nous connaissons désormais trop bien les conséquences d'un tel état de fait : inondations, feux de forêt, crues, tornades, canicule, sécheresse…

Les interventions se multiplient, se diversifient et courent sur des périodes de plus en plus longues. La pression logistique et opérationnelle qui pèse sur les Sdis ne cesse de croître. À titre d'exemple, il y a un an, lors du passage de la tempête Ciarán, le Sdis de Seine-Maritime a dû réaliser près de 600 interventions pour les seules journées des 2 et 3 novembre.

Les conséquences du dérèglement climatique poussent également les Sdis à adapter leurs techniques et à renforcer leurs moyens et ressources. En plus de développer la formation, ils doivent désormais se doter de nouveaux équipements nécessaires à la lutte contre des risques auxquels ils étaient autrefois peu confrontés. Ces évolutions devraient accroître les coûts qu'ils supportent d'au moins 20 % d'ici à 2040.

Parmi les nouveaux enjeux auxquels sont confrontés les sapeurs-pompiers, il y a aussi la désertification médicale et les difficultés de nos services de santé à assumer leurs missions – je pense en particulier aux carences ambulancières.

Lorsque les services d'urgence ferment régulièrement, comme c'est le cas à Lillebonne ou à Fécamp, dans mon département, les services d'incendie et de secours sont évidemment davantage mis à contribution.

Certes, le secours à la personne fait partie de leurs missions, mais ils sont de plus en plus fréquemment contraints de se déplacer pour des interventions qui ne relèvent a priori pas de leur champ de compétences. Ils transportent de plus en plus souvent de plus en plus de personnes vers des lieux de soins de plus en plus éloignés. En vingt ans, ces sursollicitations ont augmenté de 85 %, sans que le poids financier afférent ait été comblé.

De surcroît, dans le contexte inflationniste actuel, les Sdis sont eux aussi soumis à l'augmentation des prix du matériel ou des carburants. Aussi le montant de leurs dépenses ne fait-il que croître, sachant que leurs budgets sont assurés pour plus de la moitié par les départements et pour un tiers par les communes et les intercommunalités – cela a été rappelé.

Vu le sort budgétaire que réserve aux collectivités le projet de loi de finances pour 2025, on voit mal comment départements, communes et intercommunalités pourront répondre aux besoins des Sdis, en fonctionnement, en équipement, en matériel, en véhicules, etc., d'autant que, en parallèle, ce même projet de loi de finances affiche une baisse des moyens affectés par l'État à la sécurité, ce qui risque d'accroître encore la pression budgétaire sur les collectivités !

Quant au projet de loi de financement de la sécurité sociale, il prévoit une hausse de 4 points par an pendant trois ans du taux de cotisation des employeurs territoriaux à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, ce qui aura un impact considérable sur les Sdis !

Il convient donc de trouver de nouvelles ressources. Soyez assuré, monsieur le ministre, que nous formulerons des propositions en ce sens lors des débats budgétaires qui vont nous mobiliser dans les prochains jours.

Des travaux parlementaires – plusieurs collègues les ont évoqués, et je note des convergences – ont également défriché des pistes en matière de financement spécifique des Sdis. Je pense à l'augmentation de la fraction de TSCA qui leur est allouée ou à la création d'une nouvelle taxe départementale additionnelle à la taxe de séjour, qui permettrait de faire contribuer les touristes au financement des services d'incendie et de secours. Voilà des pistes qui méritent d'être examinées.

Enfin, monsieur le ministre, j'ai entendu vos propos sur le décret relatif à la bonification des retraites des sapeurs-pompiers volontaires ayant accompli au moins dix ans de service. Nous en attendons la publication, et nos volontaires, eux, n'ont que trop attendu : il est temps que cette bonification devienne effective !

Dans les prochaines semaines, j'en suis sûr, nous nous rendrons les uns et les autres, à l'invitation de nos services d'incendie et de secours, aux célébrations de la Sainte-Barbe. Nous y dirons combien l'engagement des sapeurs-pompiers est précieux ; nous y honorerons la mémoire des disparus. Mais il convient aussi de garantir à nos Sdis les moyens de protéger l'ensemble de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et RDSE. – Mme Émilienne Poumirol et M. Marc Laménie applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité du quotidien. Madame la sénatrice Brulin, je partage évidemment le diagnostic que vous avez posé à propos du changement climatique.

Le plan présenté tout récemment par le Premier ministre répond pour partie au défi, mais il convient aussi que nous fassions des progrès pour ce qui est d'inculquer à l'ensemble de nos concitoyens une véritable culture de la prévention. Les plans de communaux de sauvegarde s'inscrivent dans une démarche qu'il va falloir généraliser.

Vous avez raison de le souligner, en quelques heures nous sommes capables de mobiliser des centaines de volontaires. L'exemple du phénomène climatique qui s'est produit en Ardèche le montre : 800 sapeurs-pompiers ont pu être mobilisés en une heure, signe que les modes d'alerte et de mobilisation de nos volontaires fonctionnent.

Pour ce qui est de la sursollicitation des Sdis en matière de transport sanitaire, la réforme du transport sanitaire urgent, via la mise en place d'un système de garde pour les ambulances privées, a fait diminuer le nombre de carences de 14 % en 2023. Cette bonne pratique doit être généralisée.

Quant au budget de la sécurité civile pour 2025, il est en effet en baisse de 3 % par rapport à l'exercice précédent. Cela s'explique tout simplement par le décalage de la commande prévue d'avions bombardiers d'eau Canadair : ces appareils ne seront pas disponibles avant 2030, et nous avons préféré nous orienter vers l'option d'une commande à un nouveau consortium européen, ce qui va nous permettre de disposer d'un avion bombardier d'eau français. En réalité, le budget est donc étalé, plutôt que réduit.

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE. – Mme Patricia Schillinger et M. Marc Laménie applaudissent également.)

Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier le groupe RDSE d'avoir mis à l'ordre du jour de notre assemblée ce débat essentiel sur le financement des services départementaux d'incendie et de secours. Ce sujet est fondamental, tant le financement des Sdis tend d'année en année à se précariser.

Je n'aborderai pas ce soir, car il a été longuement évoqué, le problème du statut du volontariat et de l'arrêt Matzak ; en tant qu'ancienne présidente de Sdis, je suis bien sûr très sensible à la complémentarité entre les professionnels et les volontaires, ainsi qu'à la nécessité de maintenir du statut de sapeur-pompier volontaire.

Je n'évoquerai pas non plus – derechef, il en a déjà été beaucoup question – le sujet de la prévention des risques climatiques.

Je concentrerai mon intervention sur les aspects financiers, ainsi que sur un point qui me tient à cœur, à savoir la politique de prévention en santé menée auprès de nos sapeurs-pompiers.

En application des lois du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité et du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile, les contributions des communes au budget des Sdis sont figées : elles ne peuvent augmenter davantage que l'inflation.

Aussi le département est-il aujourd'hui le principal financeur des Sdis : il contribue à leur budget à hauteur des deux tiers. Heureusement, depuis 2005, une partie de la taxe spéciale sur les conventions d'assurances, la fameuse TSCA, leur est affectée par l'État à cet effet.

Cependant, et à titre d'exemple, dans mon département de la Haute-Garonne, cette dotation est aujourd'hui calculée en fonction de la population du département telle qu'elle fut recensée en 2002, soit environ 1,1 million d'habitants. Mais la population haut-garonnaise s'est accrue depuis lors de 17 000 à 20 000 personnes chaque année ; ainsi s'établit-elle en 2024 à 1,45 million d'habitants, soit une augmentation de plus de 387 000 habitants, l'équivalent d'une ville comme Nantes ou Nice, qui n'est pas prise en compte dans le calcul des contributions versées par l'État et par les communes et qui doit donc être compensée par le département.

Or, vous le savez, monsieur le ministre, les collectivités territoriales sont financièrement exsangues, et votre PLF pour 2025 ne fait qu'accentuer leurs difficultés. Dès lors, comment les départements pourront-ils encore financer et soutenir les Sdis dans leur gestion des nouveaux défis et des nouveaux risques ?

Face à l'augmentation de la population et à l'émergence de risques liés au dérèglement climatique ou à l'évolution de la menace, il apparaît aujourd'hui indispensable de réformer le mode actuel de financement des Sdis, fondé sur les contributions du département et du bloc communal.

Il conviendrait en particulier d'augmenter le taux de la fraction de TSCA qui leur est dévolue, tout en la modernisant, en actualisant son assiette et en tenant compte de la forte évolution de la pression démographique.

Il est par ailleurs nécessaire de mettre en place un pacte capacitaire spécifiquement dédié au risque inondation, comme cela a été fait pour les incendies après les feux qui ont touché la Gironde en 2022. Un tel pacte permettrait notamment l'acquisition de moyens de pompage de grande puissance, sans qu'il y ait besoin de faire appel au mécanisme d'aide européen.

La prise en compte de la « valeur du sauvé » constitue également un enjeu fort pour les Sdis : il s'agit de faire en sorte qu'ils apparaissent non plus comme une charge ou un coût, mais comme un service public de proximité à valoriser, bénéfique pour l'ensemble de la société.

Une autre piste de financement a été évoquée, à savoir le versement d'une quote-part de la taxe de séjour perçue par les communes.

Parmi les nouveaux défis auxquels sont confrontés les Sdis, il y a aussi celui de la protection de la santé de nos sapeurs-pompiers.

Avec ma collègue Anne-Marie Nédélec, ici présente, j'ai rédigé au nom de la commission des affaires sociales du Sénat un rapport d'information sur les cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier.

Ce rapport met en lumière la polyexposition de nos pompiers à des substances toxiques, dont certaines sont reconnues comme cancérogènes, telles que les fumées toxiques, l'amiante, les retardateurs de flamme, les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), les perturbateurs endocriniens, les protoxiques ou les hydrocarbures aromatiques polycycliques.

Pour répondre au développement de ces risques, le rapport préconise d'élargir la présomption d'imputabilité au service aux types de cancer dont le lien avec l'activité de sapeur-pompier est reconnu par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), comme le font d'autres pays tels que le Canada, les États-Unis ou encore l'Australie.

En outre, le rapport insiste sur la nécessité de mettre en place une véritable politique de prévention au sein des Sdis, laquelle se heurte à la faiblesse des moyens qui leur sont accordés.

Ainsi, alors qu'un nouveau modèle de cagoule filtrante devrait être bientôt disponible et que la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises s'apprête à en discuter, son coût d'au moins 50 euros, contre quelque 15 euros pour le modèle actuel, rend peu crédible l'idée d'en équiper rapidement les sapeurs-pompiers.

C'est pourquoi nous appelons de nos vœux la création d'une dotation exceptionnelle consacrée aux équipements de protection individuelle (EPI) et aux cagoules.

Sans une réponse concrète et rapide de l'État, les délais de réponse seront amenés à s'allonger, ce qui entraînera de fait une dégradation de la qualité de ce service public, qui est souvent le dernier présent dans nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et INDEP. – M. Pierre Barros applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité du quotidien. Je vous remercie de votre intervention, madame Poumirol, et de votre rapport sur les cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier.

La DGSCGC est en train de travailler sur le sujet, avec la création d'une matrice emploi-tâche-exposition, en partenariat avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Un protocole de nettoyage des EPI contaminés à l'amiante est également en cours d'élaboration, ainsi qu'une étude sur l'exposition des sapeurs-pompiers aux fumées des feux de forêt, réalisée par l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp).

Les EPI novateurs offrent une meilleure protection thermique et un taux de filtration des particules fines de 70 %, contre 0 % actuellement. Nous recherchons une tenue polyvalente pour éviter d'importants surcoûts et l'inconfort de certains équipements – mais vous savez tout cela parfaitement, ayant vous-même travaillé sur ces questions.

Pour ce qui concerne le financement, je vous invite à venir découvrir la Bourgogne, le 12 décembre prochain, quitte à traverser la France. (Sourires.) Nous travaillerons sur ces sujets, sachant que les pactes capacitaires ont tenu compte du risque d'inondation via des acquisitions de matériel lourd et que l'achat de pompes spécifiques est toujours en projet.

Nous reverrons ces questions, que vous avez évoquées, dans le cadre du Beauvau. Vous avez mentionné la taxe de séjour : j'ai évoqué cette piste avec David Lisnard aujourd'hui même. Vous découvrirez la position des communes sur ce point lors des débats, dont je ne doute pas qu'ils seront animés.

M. le président. La parole est à Mme Annick Petrus, pour le groupe Les Républicains.

Mme Annick Petrus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la sécurité civile, fondement de notre République, repose sur une organisation à même de répondre efficacement aux besoins spécifiques de nos territoires.

Depuis quelques années, ces derniers sont de plus en plus confrontés à de nouveaux risques – aucun territoire n'y échappe. La crise du volontariat, qui s'y ajoute, impose de trouver sans cesse des mesures incitatives qui affectent le budget, qu'on le veuille ou non.

À Saint-Martin, cette organisation est en pleine transformation avec la création, en janvier prochain, d'un service territorial d'incendie et de secours (Stis) autonome, projet essentiel auquel j'ai l'honneur de participer activement en tant que membre du comité de pilotage.

Beaucoup de territoires ultramarins font face à tous ces défis. Les risques naturels, notamment les cyclones et les inondations, combinés aux exigences liées à l'activité portuaire et touristique, appellent une organisation locale plus réactive et adaptée. Notre territoire de Saint-Martin pourrait être doublement, voire triplement affecté : le fait qu'il s'agisse du seul centre de secours de l'île implique une autosuffisance opérationnelle en cas de catastrophe majeure, dans l'attente des premiers renforts.

Notre modèle actuel, qui est dépendant du Sdis de la Guadeloupe, avec lequel nous sommes conventionnés depuis 2007, a montré ses limites. Le choix de créer un Stis autonome s'est imposé à nous dans la mesure où les recrutements opérés à notre place par la Guadeloupe n'apportaient aucune garantie en termes de fidélisation du personnel et nous exposaient aux demandes de droit à la mobilité à tout instant, alors même que le coût d'un retour sur le continent n'est pas budgétisé.

Cette nouvelle organisation et ce fonctionnement autonome permettront de renforcer les moyens humains et matériels consacrés à la gestion des risques climatiques, industriels et sanitaires, puisque nous disposerons de notre propre schéma territorial d'analyse et de couverture des risques (Stacr). Avec une administration autonome et un niveau opérationnel en phase avec les enjeux, nous serons mieux à même d'anticiper une gestion opérationnelle sans faille en attendant l'arrivée des renforts et de répondre à la crise du volontariat, qui touche tous les territoires français.

Pour atteindre ces objectifs, il est impératif de garantir un financement pérenne et ambitieux des Sdis, qui repose aujourd'hui essentiellement sur les contributions des collectivités locales. Or ces dernières, surtout les ultramarines, font face à des contraintes budgétaires importantes, amplifiées par l'insularité.

Ainsi, le coût de fonctionnement de notre Stis est estimé à plus 9 millions d'euros, charge qui incombera entièrement et uniquement à la collectivité, à l'instar de ce qui se passe dans toutes les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution. Celles-ci cumulent les compétences d'une commune, d'un département et d'une région, mais avec des ressources financières limitées par leur statut.

Cette spécificité renforce la nécessité d'un accompagnement de l'État, car il est primordial que la collectivité puisse assumer cette responsabilité sans compromettre la réalisation d'autres priorités essentielles pour le territoire. Les besoins sont clairs et nombreux : renouveler les équipements obsolètes, recruter du personnel administratif pour répondre à la création des différents services, renforcer la formation des sapeurs-pompiers, proposer des mesures incitatives pour fidéliser les sapeurs-pompiers volontaires et anticiper les crises potentielles avec des outils modernes, comme les systèmes d'alerte précoce pour les inondations.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Annick Petrus. Cet enjeu de souveraineté et de justice territoriale, qui garantit à chaque citoyen, où qu'il réside, une protection égale et adaptée face aux risques, requiert donc le soutien financier de l'État. La sécurité civile est un droit fondamental, dont la réussite repose sur des choix clairs et ambitieux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Patricia Schillinger et M. Michel Masset applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité du quotidien. Madame la sénatrice Petrus, je vous confirme que le Beauvau de la sécurité civile et le Beauvau de la police municipale comprendront une étape consacrée aux outre-mer. Avec François-Noël Buffet, ministre chargé des outre-mer, nous devons réfléchir à son format, afin d'être au plus proche des territoires. Nous ferons d'ailleurs en sorte que ces débats se tiennent dans un territoire ultramarin.

Vous avez indiqué qu'un service territorial sera créé en janvier 2025, à Saint-Martin. Sur le sujet de l'attractivité, les mêmes questions qu'en zone rurale peuvent se poser ; nous devons continuer d'y travailler pour ce qui concerne non seulement le volontariat, mais aussi l'activité professionnelle.

Quant à l'alerte précoce, nous avons récemment testé le dispositif FR-Alert, dont les effets de bord imposent encore quelques ajustements. Il s'est cependant révélé particulièrement efficace lors des dernières inondations, qui ont touché vingt départements ; il sera pleinement applicable dans tous les territoires ultramarins.

M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, et INDEP.)

M. Olivier Bitz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les débats sur le financement de nos politiques publiques ont pris une acuité toute particulière ces derniers mois.

C'est dans ce contexte, que chacun a bien à l'esprit, qu'intervient notre débat sur le financement de la sécurité civile en général, et le soutien aux Sdis en particulier – je remercie à mon tour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen d'avoir demandé son inscription à l'ordre du jour.

Le contexte financier est difficile. J'ai essayé, en préparant mon intervention, de rester fidèle à ma ligne, c'est-à-dire de ne pas proposer de prélèvement obligatoire supplémentaire. Toutefois, avant même de traiter de la couverture des nouveaux risques, constatons que le modèle de financement de nos Sdis est déjà à bout de souffle. Nombre d'entre eux n'arrivent pas à boucler leur projet de budget pour 2025.

L'augmentation envisagée de 4 points des cotisations Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) représente 1,5 million d'euros de frais de fonctionnement supplémentaires pour un Sdis comme celui du Val-d'Oise ; pour celui de l'Orne, qui m'est cher, nous parlons d'une dépense supplémentaire de 200 000 euros. S'ajoute à cela l'augmentation importante des coûts d'assurance et l'inflation en général.

De manière plus structurelle, l'augmentation de la demande opérationnelle dans le domaine sanitaire progresse bien plus vite et plus fortement que les ressources. Forcément, cela coince… Le vieillissement de la population et les déserts médicaux grandissants viendront encore renforcer cette pression opérationnelle sur le secours aux personnes.

En ce qui concerne les recettes, les premiers financeurs des Sdis que sont les départements sont eux-mêmes asphyxiés. Alors que la participation financière des conseils départementaux a plus que doublé sur la période 2002-2021, nous observons depuis 2016 une légère baisse de leur contribution nette hors taxe spéciale sur les conventions d'assurances (TSCA). Ce ralentissement est la traduction immédiate des difficultés financières que les départements connaissent. Or le PLF 2025 prévoit pour l'instant – j'ai bon espoir que le Sénat sera entendu sur ce point – de leur demander un effort supplémentaire de 2,2 milliards d'euros, alors que 60 % d'entre eux connaissent déjà de fortes contraintes.

Les Sdis ne pourront relever les défis financiers des nouveaux risques de sécurité civile si leurs premiers financeurs sont eux-mêmes en grande difficulté.

Le risque RH, qui a déjà été évoqué, constitue l'un des principaux nouveaux risques. L'érosion du volontariat est à mettre en regard de l'augmentation simultanée de la demande opérationnelle : nous allons nous retrouver avec moins de volontaires pour plus de missions.

Que ce soit en raison des menaces pesant sur l'engagement non professionnel ou de l'application de la directive européenne sur le temps de travail, l'affaissement du volontariat imposerait de recruter immédiatement des sapeurs-pompiers professionnels, dont nous ne saurions pas aujourd'hui financer les postes. Voilà, à mon sens, le premier risque auquel s'attaquer pour éviter la remise en cause non seulement de notre modèle de sécurité civile, mais aussi de son financement.

Les nouveaux risques de sécurité civile, à proprement parler, ont déjà été analysés : extension dans le temps et dans l'espace des feux de forêt et d'espaces naturels, inondations, risques liés à la protection de notre patrimoine ou au développement des motorisations électriques.

Quelle est la bonne échelle pour y répondre ? Si les nouveaux risques exigent de nouveaux moyens, ceux-ci ne doivent pas forcément être positionnés au niveau de chaque Sdis. La question des moyens nationaux, qu'il s'agisse de leurs capacités comme de leur doctrine d'emploi, soutiens irremplaçables des Sdis, doit être posée à l'aune de ces nouveaux risques.

À cet égard, je m'inquiète du ralentissement de la montée en puissance de la quatrième unité de sécurité civile de Libourne ou de l'ajournement des indispensables travaux programmés sur la base de sécurité civile de Nîmes. De même, sur les moyens aériens, nous devons réfléchir à une vision plus stratégique.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Olivier Bitz. Voilà autant de sujets de réflexion sur les moyens venant en soutien de nos Sdis. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité du quotidien. Monsieur le sénateur Olivier Bitz, je souhaiterais rappeler quelques chiffres importants dans le cadre des prochaines négociations sur le financement : au travers de la TSCA, l'État finance les Sdis à hauteur de 26 %, contre 29 % pour les conseils départementaux hors TSCA, 34 % pour les communes et 11 % pour les autres ressources, dont le FCTVA.

Les communes devront donc occuper une place aussi importante que les départements dans les discussions à venir. Nous appelons tous de nos vœux ce schéma de financement, qui permettrait une évolution modérée pour les collectivités territoriales. À nous de trouver d'autres pistes de financement ; nous y réfléchirons ensemble lors du débat qui se tiendra le 12 décembre prochain, en Bourgogne–Franche-Comté.

En ce qui concerne le volontariat, Bruno Retailleau cherche à négocier une nouvelle directive européenne plutôt que de modifier le droit du travail.

Quant à la quatrième unité, elle comptera 228 militaires de la sécurité civile à la fin 2024. Il s'agit d'une montée en puissance progressive, mais régulière – nous étions à 160 militaires en début d'année –, pour atteindre un effectif de 500 militaires le plus vite possible. Il est vrai que l'année budgétaire particulière que nous vivons implique un ralentissement, mais il n'est pas question d'arrêter ce mouvement.

M. le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE, RDPI et INDEP.)

Mme Nadine Bellurot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un département rural comme celui de l'Indre, sans nos sapeurs-pompiers professionnels et, tout particulièrement, volontaires, nous ne pourrions pas faire face aux conséquences de la désertification médicale.

Ils comblent en grande partie les défaillances du système de santé, alors que l'Indre fait partie des territoires les moins bien dotés. Pour leur engagement sans faille, je souhaite donc les saluer et les remercier.

Tous les Sdis sont confrontés à un accroissement du nombre de leurs interventions, notamment au titre du secours d'urgence aux personnes, soit environ sept interventions par minute. Comme l'avait indiqué l'ancien ministre de l'intérieur lors du Beauvau de la sécurité civile, en avril dernier : « Notre modèle est solide, mais il est sous tension ».

En parallèle, les Sdis doivent s'adapter aux nouveaux risques et aléas liés au changement climatique. En témoigne, ces dernières années, l'accroissement des feux d'espaces naturels résultant des fortes chaleurs et des sécheresses. En 2021, dans le parc naturel régional de la Brenne, dans mon département, près de 100 hectares ont été détruits par les flammes, alors que l'Indre, historiquement, n'est pas un territoire en proie aux incendies. Récemment encore, nous avons vécu des inondations tragiques, en France et en Espagne.

Notre modèle unique de sécurité civile doit donc être conforté. Cet impératif suppose de donner aux sapeurs-pompiers les moyens nécessaires à la réalisation des tâches constitutives de leur cœur de métier. Se pose aussi la question de l'adaptation des ressources des Sdis aux nouvelles missions et actions complémentaires dévolues aux sapeurs-pompiers. Ces derniers appellent d'ailleurs à une meilleure préparation des territoires pour faire face à ces risques aujourd'hui étendus.

Ainsi, de nombreux Sdis évoquent la piste d'une valorisation du sauvé, également appelée le « coût du sauvé ». Il s'agirait de faire participer financièrement les sociétés d'assurance, à hauteur des coûts matériels et humains évités par l'action préventive des sapeurs-pompiers. On peut citer le bâchage en période d'inondation ou encore la préservation des massifs forestiers et des milliers d'hectares épargnés des flammes grâce aux moyens des Sdis.

Par exemple, en 2022, dans l'Indre, à la suite d'un épisode violent de grêle, le Sdis est intervenu à 2 000 reprises pour couvrir des toitures afin de combler le manque d'entreprises de couverture. Cela a permis non seulement de sécuriser les logements et infrastructures menacés à la suite des intempéries, mais également d'éviter des dégâts supplémentaires. Par voie de conséquence, l'intervention du Sdis, en se substituant à celle d'entreprises privées, réduit les coûts des compagnies d'assurance qui y auraient fait appel.

Dans le contexte budgétaire que vous connaissez, il est demandé aux collectivités territoriales de participer à l'effort de redressement des comptes publics. Rappelons pourtant que les premiers financeurs des Sdis sont les conseils départementaux, les communes et les intercommunalités. Afin de trouver de nouvelles solutions de financement, monsieur le ministre, une réflexion peut-elle être menée avec les compagnies d'assurance en vue de reverser aux Sdis une part de cette portion « sauvée » ? Cela permettrait de les rétribuer à hauteur d'une partie du coût réel des dégâts ou dommages si les sapeurs-pompiers n'étaient pas intervenus, et ce notamment lorsque les Sdis agissent en lieu et place d'acteurs privés.

Je remercie nos collègues du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen pour ce débat important : nous avons besoin de nos pompiers ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE, RDPI et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité du quotidien. Le débat sur la défaillance de la couverture médicale doit être mené avec le ministère de la santé. Ce sujet nous occupera lors du Beauvau.

Le risque incendie est lié au réchauffement climatique et à la sécheresse. Les pactes capacitaires y répondent en partie, avec plus de 1 000 engins financés grâce à l'appui de l'État. Je salue d'ailleurs le travail accompli à Valabre en matière de formation à la lutte contre les incendies. En visitant ce centre de formation unique en Europe, j'ai constaté la présence de délégations de plusieurs pays, signe que les pratiques françaises sont reconnues à l'étranger.

Je partage votre avis sur la valorisation du sauvé. Les assureurs devront être présents autour de la table au moment de discuter du financement et de la gouvernance. Nous ne manquerons pas de les interpeller sur ce sujet, à vos côtés.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Nicolas Daragon, ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité du quotidien. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de m'associer aux remerciements qui ont été adressés au groupe RDSE pour l'organisation de ce débat. Celui-ci nous aura donné l'occasion de nous exprimer sur les Sdis, l'un des sujets centraux du portefeuille que m'ont confié le Premier ministre et le ministre de l'intérieur.

L'ancrage territorial des Sdis fait leur force. La décentralisation de ces services est un succès unanimement reconnu ; elle a permis une montée en compétence très rapide de notre chaîne de sécurité depuis 1996. Je veux saluer l'intelligence des territoires : les présidents de conseils départementaux, les présidents des conseils d'administration des Sdis, les maires et les préfets ont su inventer un modèle de gouvernance robuste, réactif et résilient.

Les résultats sont au rendez-vous. En témoigne la capacité de mobilisation des sapeurs-pompiers, qui interviennent toutes les six secondes en tout point du territoire, mais aussi au cours d'événements climatiques de plus en plus fréquents. Quelque 3 000 sapeurs-pompiers ont ainsi été récemment mobilisés dans vingt départements en un temps record.

À cet égard, je tiens à rappeler que nous sommes une référence mondiale dans le domaine de la sécurité civile ainsi que le premier pourvoyeur, en Europe, de formations aux secours à la personne.

Vous avez toutefois raison, mesdames, messieurs les sénateurs, notre modèle de sécurité civile va devoir faire face à de nouveaux enjeux : dérèglement climatique, vieillissement de la population, désertification médicale, etc. La pression opérationnelle va donc s'accroître. Or notre modèle a un coût et nous savons qu'il va falloir trouver de nouvelles sources de financement, en lien avec les principaux financeurs que sont les départements, les communes et l'État.

Le budget national des Sdis, d'un montant de 6 milliards d'euros, est financé à près de 60 % par les conseils départementaux, dont 1,3 milliard d'euros est reversé par l'État au titre de la TSCA, et à quelque 40 % par le bloc communal.

Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, nous allons relancer, le 25 novembre prochain, avec tous les partenaires impliqués, le Beauvau de la sécurité civile.

Un temps spécifique sera réservé à la question du financement. À ce stade, tout est envisageable : augmentation de l'assiette de la TSCA, affectation d'une partie de la taxe de séjour aux services d'incendie et de secours, sollicitation des compagnies d'assurance ou plus grande participation des métropoles.

J'indique au passage que l'instruction relative au remboursement de l'accise supportée par l'acquisition des gazoles doit être signée par le ministre Retailleau. L'exonération de 30 millions d'euros interviendra donc tout prochainement.

Nous avons également parlé de mutualisation, qui est un sujet central.

De toute évidence, les choix que nous ferons ensemble lors du Beauvau de la sécurité civile affecteront non seulement les finances, mais aussi la gouvernance, tant ces deux sujets sont intimement liés.

Le fait d'entrer dans une logique assurantielle, qui nous conduit à faire participer les usagers à la prise en charge de certains risques, n'est pas un tabou. Je pense aux très nombreuses interventions des Sdis liées à des activités de loisirs ou sportives, qui pourraient être couvertes en partie par des assurances privées ou facturées de temps en temps. C'est déjà le cas en Suisse, où les citoyens évitent d'appeler les sapeurs-pompiers pour de petites blessures, puisqu'il leur en coûte, à titre personnel, près de 1 000 francs suisses.

Le volontariat est de toute évidence un modèle à préserver. Il y a là un enjeu opérationnel en ce qu'il nous permet de mobiliser, en tout point du territoire, des centaines de sapeurs-pompiers. Ainsi, lors des inondations du mois d'octobre en Ardèche, 800 sapeurs-pompiers, tant volontaires que professionnels, ont été mobilisés en moins d'une heure et nous ont permis d'éviter un drame. Une nouvelle fois, je tiens à les remercier pour leur action lors de cet épisode cévenol.

Tout cela a un coût, mais la somme engagée reste modique : 90 euros par habitant, ce qui est aussi une exception française.

Pour pérenniser ce modèle unique au monde, nous devons valoriser l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires et avoir des gestes forts de reconnaissance de leur action au service de la Nation. Plusieurs propositions ont été mises sur la table : octroi de trimestres de retraite de bonification, simplification des modalités d'engagement et de formation, mise en place de quotas de décorations…

Ces propositions feront l'objet d'un chantier spécifique en janvier prochain, à l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers. Bien évidemment, nous y associerons les associations agréées de sécurité civile, également concernées par les questions de valorisation et de reconnaissance de leur engagement bénévole, qui est d'ailleurs remarquable.

Enfin, la sécurité civile doit rester une politique publique régalienne, placée sous le commandement opérationnel du ministère de l'intérieur. Je me permets d'insister sur ce point, dans le contexte d'une crise inégalée de la sécurité civile en Europe, en particulier en Espagne.

En lien avec les préfets, les collectivités locales ont un rôle central à jouer dans la gestion des crises. Le développement remarquable des plans communaux de sauvegarde (PCS) et des plans intercommunaux de sauvegarde (Pics) a permis de sauver de nombreuses vies lors des inondations exceptionnelles d'octobre dernier.

Reste que nous devons nous poser collectivement cette question : quel avenir souhaitons-nous donner à notre sécurité civile à l'horizon de 2040 ? Tel est l'objet du Beauvau de la sécurité civile, que j'ai l'honneur de piloter.

Des investissements structurels sont nécessaires pour assurer la pérennité de nos moyens de secours. Je pense notamment à notre flotte de moyens nationaux aériens. Le ministre de l'intérieur s'est engagé hier, devant la commission des lois du Sénat, à tenir les engagements pris pour renouveler la flotte d'hélicoptères EC145. La question des avions bombardiers d'eau se pose également.

Il est de notre responsabilité collective de trouver des solutions soutenables financièrement pour garantir à la fois notre résilience et notre souveraineté.

Préserver notre modèle de sécurité civile, sécuriser le financement des Sdis et se préparer au dérèglement climatique sont les défis que nous devons relever ensemble.

Dans cette perspective, vous pouvez compter sur le Gouvernement et sur moi-même pour mobiliser toute notre énergie. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Masset, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et INDEP.)

M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à entendre les différents intervenants qui se sont succédé, je pense que nous pouvons saluer collectivement l'initiative du groupe RDSE, sous l'égide de sa présidente Maryse Carrère.

Le débat qui nous a réunis ce soir est crucial pour les Sdis, qui accomplissent un travail remarquable sur l'ensemble de notre territoire et font face à de nouveaux défis, comme la désertification médicale.

Avec l'extension de l'offre médicale, les sapeurs-pompiers ont vu leur mission ambulancière et de premiers secours exploser en l'espace de dix ans. Cette augmentation significative n'a d'ailleurs fait l'objet d'aucune compensation financière.

Ils doivent également répondre au défi du changement climatique. Du nord au sud, les témoignages des sapeurs-pompiers sont sans équivoque : les événements d'ampleur extraordinaire sont de plus en plus fréquents, en particulier les phénomènes de crues soudaines. Les inondations dramatiques que nous avons connues ces dernières années, et même ces derniers mois, sont amenées à devenir très récurrentes, ce qui conduira à toujours plus solliciter nos pompiers.

Le plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc) démontre que nos forêts vont subir un risque d'incendie exponentiel, dans l'espace comme dans le temps.

Enfin, le vieillissement de la population représente un pan très important de l'activité des Sdis.

Monsieur le ministre, vous avez annoncé une concertation pour repenser notre modèle de sécurité civile et son financement. Vous n'avez pas manqué de rappeler que ce sont les départements qui interviennent en ce domaine, aux côtés des communes.

Selon vous, nous devons tout remettre à plat et refonder ce système, afin qu'il reparte pour une trentaine d'années. À la bonne heure ! En effet, ce sont bien les départements, entre autres collectivités, qui se trouvent au cœur de la problématique de financement. En amont de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, ce débat tombe à point nommé pour envisager cette refonte.

Plusieurs pistes ont été évoquées par mes collègues, telles que l'augmentation de la fraction du taux de TSCA attribuée aux départements ou le versement d'une quote-part de la taxe de séjour…

Rappelons, à cet égard, que le taux de couverture moyen de la contribution des départements aux Sdis est trop bas. Une augmentation permettrait donc d'alléger la pression budgétaire que subissent ces services. Vous pouvez compter sur mon groupe pour discuter de nouveau de ce sujet, monsieur le ministre.

Si les départements assurent 60 % du financement des Sdis, les communes ne sont pas en reste puisqu'elles en assurent les 40 % restants. Dans le département du Lot-et-Garonne, par exemple, la dépense par habitant équivaut à quelque 85 euros, pour près de 25 000 interventions par an.

Alors que les missions sanitaires représentent 80 % de l'activité des Sdis, il est temps que l'État vienne renforcer le financement de ces services de secours à la personne si essentiels.

Revenons sur le Lot-et-Garonne : face au vieillissement de la population dans ce département rural, le Sdis 47 s'est considérablement outillé en mettant sur pied une plateforme départementale interservices. Celle-ci permet, depuis 2016, d'unifier le 15 et le 18, de même que le service d'accès aux soins, afin de réguler l'entrée à l'hôpital.

Devant le succès d'une telle initiative, l'agence régionale de santé a décidé, cette année, d'apporter un soutien financier d'un montant de 500 000 euros. C'est un point que je tenais à souligner.

Par ailleurs, les Sdis s'adaptent à la transformation de l'engagement. Je pense notamment à la féminisation, qui est une très bonne chose dans cette catégorie d'activités.

L'investissement est aussi un sujet important. Certains travaux d'entretien de casernes ou d'immeubles d'un autre genre sont éligibles au fonds vert, ainsi qu'à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Notons que l'obtention des subventions peut parfois constituer un parcours difficile.

Il faut pouvoir traiter ces nouvelles demandes si nous voulons renforcer l'attractivité et l'engagement de nos pompiers volontaires et professionnels.

Nous disposons de tous les rapports parlementaires et départementaux possible pour améliorer le financement des Sdis dès le projet de loi de finances pour 2025 et conforter un modèle de protection civile unique au monde, plébiscité par les Français, qui représente un outil majeur du secours à la personne. C'est un modèle exemplaire qui démontre ce que les femmes et les hommes peuvent faire de meilleur.

Sauver ou périr, courage et dévouement : tels sont les principes qui fondent l'action de nos sapeurs-pompiers. Je veux leur dire que nous serons toujours à leurs côtés. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)

7

ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 14 novembre 2024 :

À dix heures trente :

Proposition de loi visant à interdire le démarchage téléphonique.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures vingt.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER