compte rendu intégral

Présidence de M. Pierre Ouzoulias

vice-président

Secrétaires :

M. Guy Benarroche,

M. Philippe Tabarot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix-huit heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 6 novembre 2024 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date du 6 novembre, M. Guillaume Gontard, président du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, demande l’inscription à l’ordre du jour de l’espace réservé à son groupe, le jeudi 19 décembre, de la proposition de loi en faveur de la préservation et de la reconquête de la haie.

Acte est donné de cette demande.

Pour l’examen de ce texte, nous pourrions prévoir une discussion générale de quarante-cinq minutes.

En outre, nous pourrions fixer le délai limite pour le dépôt des amendements de séance au jeudi 12 décembre à douze heures, et pour les inscriptions des orateurs des groupes au mercredi 18 décembre à quinze heures.

Par ailleurs, les jeudis 14 novembre et 19 décembre, nous pourrions débuter l’examen des textes dans le deuxième espace réservé dès la fin du premier, si celui-ci se terminait avant seize heures.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

3

Nouvelle commission : quelle politique européenne et quelle influence pour la France ?

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Nouvelle Commission : quelle politique européenne et quelle influence pour la France ? »

Dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répartie pendant une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. Jean-François Rapin, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Pierre Médevielle applaudit également.)

M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un nouveau cycle institutionnel s’amorce pour l’Union européenne. Le moment est propice pour réfléchir ensemble à la politique européenne qu’il faut engager pour les cinq prochaines années et sur l’influence que la France peut exercer en la matière.

Certes, Ursula von der Leyen reste à la tête de la Commission européenne. Pour autant, cette reconduction ne signifie pas un statu quo. Mme von der Leyen promettait en 2019 une Commission « géopolitique » pour faire face aux bouleversements du monde et défendre les intérêts de l’Union. Sans juger du résultat, j’estime que ce précédent cycle a largement mis l’Union européenne et ses États membres à contribution.

Désormais, la donne politique a changé : il faut compter avec deux nouveaux blocs puissants, les droites souverainiste et populiste, qui constituent les troisième et quatrième groupes au Parlement européen, en lieu et place des libéraux de Renew Europe et des Verts sous la précédente législature.

Les défis européens se posent aujourd’hui en des termes nouveaux.

La transition climatique ne peut plus se concevoir sans prendre en compte l’impératif de compétitivité et d’autonomie stratégique. Le rapport d’Enrico Letta et celui de Mario Draghi montrent que l’Union européenne devra faire des efforts considérables pour tenir ses engagements.

Depuis l’élection de Donald Trump, la guerre en Ukraine ne peut plus être pensée en comptant avec certitude sur le soutien américain.

L’immigration illégale ne peut plus être tolérée par nos concitoyens, inquiets pour l’avenir de leur pouvoir d’achat, de leur sécurité et de leur identité.

Les politiques industrielles agressives conduites par Pékin et Washington nous mettent parfois dos au mur.

La défiance de nos populations envers la construction européenne et le populisme qui s’en nourrit ne peuvent plus rester sans réponse, sauf à se résigner à voir les extrêmes conquérir progressivement le pouvoir un peu partout, en Europe et dans le monde.

Notre pays, comme notre continent, se trouve à un moment charnière. Il n’y a pas de fatalité, car nous savons quel chemin nous devons emprunter. Le plus exigeant reste cependant à faire : l’arpenter !

Tout cela commande d’agir vite et fort. Or le moteur franco-allemand est à la peine : la coalition outre-Rhin vient d’imploser et nous savons combien notre pays, lui aussi, est fragilisé. Monsieur le ministre, quelle influence lui reste-t-il à Bruxelles ?

On ne peut ignorer que, dans l’hémicycle du Parlement européen, la délégation française la plus fournie est constituée d’élus du Rassemblement national : doté de trente eurodéputés, le parti d’extrême droite français compte un élu de plus que la formation allemande de la CDU-CSU.

Quant à la composition de la Commission européenne, elle a valu, rappelons-le, bien des déboires à notre pays. Le 17 septembre, la présidente von der Leyen dévoilait la liste des candidats aux postes de commissaires européens et la répartition des portefeuilles. La veille, le commissaire européen français Thierry Breton avait annoncé in extremis qu’il ne ferait finalement pas partie du nouveau collège. En moins de vingt-quatre heures, l’Élysée a proposé la candidature de Stéphane Séjourné, ancien ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Le retrait tardif d’un candidat est inédit, s’agissant d’un grand pays comme le nôtre, et traduit une faiblesse certaine de la France, empêtrée depuis trois mois dans ses difficultés politiques internes et placée sous l’épée de Damoclès d’une procédure pour déficit excessif qui entame sa crédibilité.

Dans le nouvel organigramme de la Commission, qui comprend, outre la présidente, vingt-six commissaires, la place de la France a été préservée, en apparence, et même renforcée puisque Stéphane Séjourné serait nommé vice-président exécutif chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, alors que Thierry Breton n’occupait pas de poste de vice-président.

Toutefois, Thierry Breton disposait d’un très large portefeuille et exerçait, en pratique, une grande influence au sein de la Commission européenne. Le nouveau commissaire européen français, lui, sera seulement à la tête de la direction générale chargée du marché intérieur, alors que son prédécesseur était également responsable de la direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies et de la direction générale de l’industrie de la défense et de l’espace.

Certes, en qualité de vice-président, Stéphane Séjourné sera chargé d’assurer la coordination de plusieurs commissaires européens, mais ce rôle n’est pas très clair. Dans le nouvel organigramme, certains commissaires européens sont en effet placés sous la tutelle de plusieurs vice-présidents, tandis que d’autres relèvent en même temps d’un vice-président et directement de la présidente de la Commission européenne.

En outre, la nouvelle composition du collège reflète les nouveaux équilibres en Europe, marqués par un basculement vers l’est. Ainsi, le commissaire européen polonais obtient le portefeuille stratégique du budget, à la veille du lancement des négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel. La place des pays baltes est également remarquable. Le poste de haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a ainsi été attribué à la candidate estonienne et le nouveau poste de commissaire européen chargé de la défense et de l’espace au candidat lituanien.

Le Sud n’est pas pour autant oublié. La candidate socialiste espagnole hérite d’un large portefeuille consacré à la transition verte, tandis que le candidat italien du parti de Giorgia Meloni sera chargé de la cohésion et des réformes, deux sujets majeurs.

Le passage de trois à six vice-présidents dans cette deuxième Commission von der Leyen risque en outre de diluer leur poids respectif et de les empêcher de contrebalancer le pouvoir de la présidente, qui s’en trouve augmenté.

La Commission européenne reste pourtant, en théorie, un organe collégial, dont le président n’est que le primus inter pares. Mais le caractère pléthorique et très politique de la nouvelle Commission renforce le poids de sa présidente qui, privilégiant un mode de gouvernance très centralisé, se positionne en cheffe d’un « gouvernement de l’Europe » plutôt qu’en responsable d’une institution indépendante, chargée d’incarner l’intérêt général européen. Quelle sera la cohérence d’ensemble de son action ?

Ainsi, le renforcement de la base industrielle et technologique de défense (BITD) sera-t-il confié au haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au commissaire européen chargé de la défense et de l’espace ou bien au commissaire européen chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle ? La réponse à cette question n’est pas dénuée d’importance, compte tenu des sensibilités différentes des États membres concernant l’industrie de défense et le lien transatlantique.

Il en va de même concernant la question sensible de l’énergie nucléaire, sur laquelle les positions des commissaires divergent de manière préoccupante.

On peut aussi s’interroger sur le portefeuille de certains commissaires, comme celui qui est à la fois chargé de l’énergie et du logement, alors même qu’on ne trouve aucune référence à ce deuxième domaine dans les traités européens : de fait, il ne s’agit pas d’une compétence de l’Union.

Tout cela appelle la plus grande vigilance de notre assemblée : il nous appartient de vérifier à la fois que les compétences des États membres, et donc les principes de subsidiarité et de proportionnalité, seront bien respectées et que l’action européenne prendra mieux en compte les réalités de terrain et la diversité nationale.

La commission des affaires européennes du Sénat examinera d’ici à la fin du mois des recommandations que deux de ses vice-présidents et moi-même lui soumettrons. En matière européenne, il faut absolument parvenir à faire mieux et moins.

J’espère pouvoir compter sur votre soutien en ce sens, monsieur le ministre. Je m’apprête également à déposer une proposition de loi visant à instaurer un contrôle parlementaire sur la nomination des membres français dans plusieurs institutions européennes, à commencer par la Commission européenne.

J’en ai en effet la conviction, que vous partagez, que nous avons, en tant que parlementaires nationaux, une responsabilité et un rôle éminents à assumer en matière européenne si nous voulons que l’Union soit synonyme d’espoir pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Ahmed Laouedj applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le président, monsieur le président Rapin, je partage votre point de vue sur l’importance du rôle des parlementaires dans le débat européen. C’est la raison pour laquelle je me réjouis d’échanger avec les sénateurs et les sénatrices sur les priorités de notre agenda européen et sur l’influence française au sein de la Commission.

Vous avez dit, à juste titre, que la reconduction de la présidence de la Commission européenne ne valait pas statu quo.

Les défis auxquels nous faisons face le montrent bien. Notre débat a lieu quelques jours après l’élection américaine, qui aura bien sûr des conséquences majeures sur la relation transatlantique, la sécurité de l’Europe et la guerre qui se déroule à nos portes, en Ukraine.

Nous devons agir vite et fort. C’est le sens de nos propositions pour garantir la prospérité et la compétitivité de l’Union européenne, au travers de la mise en œuvre, notamment, des recommandations du rapport Draghi. La France défend plusieurs mesures pour renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne et rehausser nos ambitions.

À cet égard, l’influence de la France ne se décrète pas. Elle se construit, régulièrement, progressivement, avec humilité, en coopération avec nos partenaires, les vingt-six États membres de l’Union européenne et les différents commissaires.

Les thèmes défendus par la France depuis le discours de la Sorbonne du Président de la République en 2017 figurent aujourd’hui parmi les différentes priorités de la Commission européenne. Je pense en particulier à la stratégie industrielle, à la souveraineté technologique, à la défense, à la reconnaissance du nucléaire comme une énergie décarbonée, ou encore à la mise en place d’outils de politique commerciale pour répondre aux mesures protectionnistes de la Chine ou des États-Unis. C’est une Europe moins naïve qui est en train d’éclore, mais nous devons aller plus vite et plus loin. Cela fera partie de nos priorités au cours du mandat de la nouvelle Commission.

Nous devrons travailler non pas seulement avec Stéphane Séjourné, qui était auditionné par la Commission aujourd’hui, mais avec l’ensemble des commissaires européens. Certains de ceux que vous avez cités se sont d’ailleurs rapprochés des positions défendues par la France ces dernières années.

La nouvelle haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Kaja Kallas, avait ainsi fait siennes les propositions d’investissement et de création d’une dette commune européenne pour la défense lorsqu’elle était encore Première ministre d’Estonie.

Nous devons donc encourager cette convergence de vues pour former des coalitions avec nos partenaires européens. C’est ainsi que nous bâtirons notre influence pour mettre en œuvre cet agenda.

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jeudi dernier à Budapest, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, a rappelé : « Nous avons démontré que l’Europe pouvait prendre son destin en main quand elle était unie. »

En présence d’une quarantaine de chefs d’État et de gouvernement européens, le Président de la République a ainsi résumé la problématique, au lendemain de l’élection de Donald Trump : « Au fond, la question qui nous est posée [est] : voulons-nous lire l’histoire écrite par d’autres, [à savoir] les guerres lancées par Vladimir Poutine, les élections américaines, les choix faits par les Chinois […] ? Ou est-ce qu’on veut écrire l’histoire ? » Sans surprise, cette position est celle que notre majorité a toujours défendue et assumée depuis 2017.

En avril, sept ans après son premier discours de la Sorbonne, le Président de la République avait ainsi mis en garde : « L’Europe est mortelle. » Il appelait dans le même temps à bâtir une défense « crédible », une Union « plus souveraine et plus puissante ».

Ces discours fondateurs ont été suivis d’actes.

En témoigne le rôle clé joué par la France dans le plan de relance post-covid, d’inspiration keynésienne, à l’échelle continentale, qui a été largement salué, notamment par les sociaux-démocrates espagnols, et voté, par exemple, par les Verts français, en dissonance notable, toutefois, avec Raphaël Glucksmann et les membres de sa liste en 2021.

En témoigne encore la position centrale de la France dans la nouvelle définition de la taxonomie européenne incluant le nucléaire. Notre pays s’apprête d’ailleurs à battre son record d’exportation d’électricité. Là encore, nous avons pesé sur les décisions.

En témoignent, toujours, les mesures prises pour la mise en œuvre de politiques communes, à l’instar du pacte sur la migration et l’asile, que Pedro Sánchez et la gauche allemande ont voté. La gauche française l’avait quant à elle rejeté, évoquant, soit dit en passant, une forme d’« inhumanité », ce qui est faux, choquant, et pour le moins cavalier envers ses partenaires européens.

La réunion des membres du parti socialiste européen (PSE) à la demande des socialistes français sera aussi l’occasion d’aplanir leurs nombreuses fractures avec les autres membres du centre gauche, mais également d’aborder la question du Mercosur – j’y reviendrai. Politiquement, je souhaite qu’ils y parviennent.

Je partage en effet – une fois n’est pas coutume – le point de vue que de nombreux responsables de La France insoumise ont exprimé récemment. Ils font le même constat que Valérie Hayer durant la campagne des européennes : les socialistes français sont en fait si proches du centre et si loin de la gauche radicale ! Vous le savez aussi bien que nous, et vous avez d’ailleurs voté, comme notre groupe, pour Ursula von der Leyen, contrairement à eux.

Dans ce combat que nous menons collectivement contre les extrêmes, il n’est plus possible d’avoir un visage à Bruxelles et un autre à Paris. Le contexte l’impose, il va falloir jouer collectif : entre États membres, mais aussi entre membres de la même coalition à l’échelle européenne.

Ursula von der Leyen a dévoilé sa nouvelle équipe de commissaires au mois de septembre.

Je salue le travail remarquable effectué durant cinq ans par Thierry Breton en tant que commissaire européen au marché intérieur et aux services.

La France a désigné Stéphane Séjourné candidat au poste de commissaire européen chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, responsable de l’industrie, des petites et moyennes entreprises (PME) et du marché unique. Alors que son audition vient de s’achever, je veux ici l’assurer de notre entière confiance pour porter notre voix dans ces domaines d’importance.

J’ai déjà évoqué les récentes victoires remportées ces derniers mois. D’autres dossiers, en cours et à venir, porteront la marque de notre influence. Notre position sur l’Ukraine n’a pas évolué depuis le début du conflit. Elle doit être celle de l’Union. Le Président l’a rappelé, nous avons un intérêt commun à ce que la Russie ne l’emporte pas.

En parallèle, la victoire de Donald Trump doit conduire l’Europe à prendre son destin en main et à ne plus compter sur une aide importante des États-Unis, notamment au sein de l’Otan et dans le cadre du conflit en Ukraine.

Depuis des années, les négociations sur l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur n’aboutissent pas, en raison de l’opposition de la France. Cet accord pourrait en effet augmenter de 25 % la déforestation et de 63 % le prix du bœuf importé. L’importation en provenance de ces pays de produits ne respectant pas les normes européennes pourrait être dévastatrice pour nos éleveurs.

Menée par la France, la résistance s’organise en Europe. Nous pesons contre l’Allemagne, qui plaide pour une signature rapide, sans modification ni compensation. La ministre de l’agriculture l’a rappelé il y a quelques jours : nous sommes frontalement opposés à cet accord.

Sur le volet migratoire, c’est également la position française qui a été adoptée par le Conseil européen. En effet, sur demande, notamment, de la France, les ministres de la justice et de l’intérieur se sont accordés sur la nécessité de réviser la directive Retour de 2008. La France, l’Allemagne et l’Espagne ont également obtenu l’avancée de l’entrée en vigueur du pacte pour la migration et l’asile dès 2025.

Sur la compétitivité, Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), prône dans son rapport des réformes d’une ampleur inégalée et chiffre à 800 milliards d’euros par an le besoin d’investissements supplémentaires. Face au risque isolationniste et protectionniste des États-Unis, l’Europe doit se défendre économiquement en investissant pour résister dans la guerre commerciale qui s’annonce.

Mario Draghi propose également que les emprunts communs soient régulièrement utilisés pour mettre en œuvre les ambitions de l’Union en matière de transformation écologique. J’ai participé au forum urbain mondial du Caire la semaine dernière, en tant que présidente du Partenariat français pour la ville et les territoires (PFVT). La voix de la France est attendue, car il y a urgence, alors que cette année est la plus chaude qui ait jamais été enregistrée.

Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz se sont rencontrés à plusieurs reprises afin de discuter du rapport Draghi, mais un point de désaccord central persiste. L’idée d’un nouvel emprunt commun européen, soutenue par la France, reste combattue par l’Allemagne. Le groupe RDPI y est évidemment favorable. Notre pays devra convaincre les États dits frugaux d’emprunter cette voie, comme nous l’avons fait pour le plan de relance post-covid.

En outre, face au risque de hausse des droits de douane lié à la nouvelle donne internationale, l’Allemagne pourrait se tourner davantage vers l’Europe afin de garantir la compétitivité de ses entreprises dans un contexte de croissance atone.

Dans son rapport, Mario Draghi souligne enfin la nécessité, pour la survie des industries européennes de défense, de passer à des commandes communes et plaide pour des règles de préférence européenne. Il suggère de faciliter la concentration des industries de défense européenne en nommant un commissaire européen à la défense. Enfin, il constate que certains équipements européens, de même que certaines technologies, sont supérieurs ou équivalents à ceux qui sont produits aux États-Unis, pour un investissement pourtant trois fois plus faible.

Mes chers collègues, l’Europe est face à son destin, et ce dans tous les domaines.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Je partage votre constat, madame la sénatrice Havet. En effet, la seule conclusion que nous pouvons tirer de l’élection américaine, c’est qu’il nous revient, en tant qu’Européens, d’investir dans notre autonomie stratégique et notre souveraineté pour prendre en main notre destin. Sans cela, nous laisserons d’autres écrire notre histoire à notre place.

Nous devons donc investir dans notre défense commune, dans la protection de nos frontières, dans notre politique commerciale et dans la réindustrialisation. En réalité, nous avons déjà commencé à mettre en œuvre de telles politiques ces dernières années.

Je profite de votre intervention pour rappeler la position très ferme du Gouvernement sur le Mercosur. Cet accord n’est pas acceptable en l’état. Il ne respecte ni l’équité commerciale ni nos exigences environnementales, en l’absence de clauses miroirs. La France n’est pas opposée aux accords de libre-échange. Pour autant, nos partenaires commerciaux doivent appliquer nos normes et nos standards. C’est le principe même de l’équité.

Nous travaillons avec nos partenaires à constituer une minorité de blocage. En l’état, la France, je le répète avec la plus grande clarté, ne peut accepter cet accord.

M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj.

M. Ahmed Laouedj. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par un hasard du calendrier, les changements institutionnels en cours au sein de l’Union européenne coïncident avec le retour au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis.

Il est indéniable que cette situation modifie l’environnement politique et il est essentiel que nous prenions rapidement la mesure de cette nouvelle réalité afin d’adapter nos stratégies politiques.

Le retour de Donald Trump à la tête des États-Unis pourrait avoir des répercussions significatives sur nos relations transatlantiques, notamment en ce qui concerne la guerre en Ukraine et le conflit au Moyen-Orient, mais aussi sur les mouvements conservateurs en Europe qui le soutiennent et l’imitent.

Par ailleurs, les États-Unis, sous la direction de M. Trump, pourraient modifier leur approche de sujets cruciaux tels que le commerce international, le climat et les relations diplomatiques.

Face à ce renouvellement institutionnel, à la nomination des nouveaux commissaires européens et au retour de l’America first, l’agenda des politiques européennes doit non seulement être clair, mais également juste, inclusif, écologique et démocratique.

Il faut que l’Union européenne se montre unie si elle ne veut pas être effacée par les États-Unis. Il est impératif que les pays membres parlent d’une seule voix, surtout dans un contexte où l’individualisme de certains États pourrait mettre à mal les fondements mêmes de notre union.

La France et l’Allemagne, piliers de l’Europe, doivent s’unir, agir et enfin assumer leur rôle de leaders pour encourager une coopération renforcée et éviter que les tensions internes n’affaiblissent nos positions sur la scène internationale.

En ce sens, l’agenda stratégique élaboré par le Conseil européen a mis en exergue des points sur lesquels l’Union et la France doivent parachever leur travail et maintenir une dynamique d’amélioration.

Nous devons travailler pour une Europe forte, sûre, prospère, libre et démocratique. Les pays européens doivent parler d’une seule voix, d’abord dans le domaine de l’environnement.

Alors que se tient aujourd’hui la conférence des Nations unies sur le climat à Bakou, l’Union a décidé de s’exprimer unanimement en faveur du Pacte vert pour l’Europe et des technologies à zéro et faibles émissions.

Les catastrophes climatiques de plus en plus fréquentes, et dont l’intensité et la violence sont exponentielles – je pense bien évidemment aux événements ayant eu lieu en Espagne au début du mois –, doivent constituer un moteur dans l’appréhension des risques de demain et nous inspirer des mesures pour lutter contre le dérèglement climatique et protéger les citoyens européens.

Dans le domaine sécuritaire ensuite, l’Union est menacée aux confins de son territoire par des tentatives de déstabilisation croissantes, qui l’obligent à affirmer son ambition et son rôle d’acteur stratégique.

Encore une fois, l’élection de Donald Trump laisse présager des conséquences géopolitiques fortes pour l’Europe. C’est pourquoi la coopération entre les membres de l’Otan doit se raffermir.

Enfin, d’un point de vue économique, nous avons toujours à l’esprit le rapport Draghi. Il est impératif que l’Union gagne en compétitivité, en attractivité et en rayonnement en valorisant son marché et ses travailleurs. Des économies sociales de marché robustes seront le moteur de la réalisation de nos ambitions. Faisons confiance à nos entreprises en les mettant en valeur. Permettons-leur de se développer, d’innover et de créer pour que l’Europe puisse s’imposer.

Je ne peux conclure mon propos sans évoquer la perte d’influence de notre pays au sein de la nouvelle Commission européenne et de sa capacité à défendre sa propre vision, notamment pour ce qui concerne l’établissement des priorités de l’agenda politique 2024-2029.

La candidature de Stéphane Séjourné a été proposée à la suite de la démission de Thierry Breton, mais le portefeuille qui lui reviendra, moins fourni, sera également « co-supervisé ».

En effet, bien que Stéphane Séjourné ait obtenu le poste de vice-président ainsi qu’un portefeuille à la prospérité et à la stratégie industrielle, le domaine des politiques centrales de concurrence lui a échappé et son influence pourrait par conséquent s’en trouver limitée.

De nombreux domaines de son portefeuille font en outre l’objet d’une « co-supervision ». La France n’aura la main, semble-t-il, ni sur la défense et l’espace ni sur l’énergie. Elle devra constamment négocier avec ses homologues pour promouvoir son agenda industriel, sans capacité apparente à peser sur les négociations budgétaires à venir.

Malgré cela, je reste convaincu que notre pays restera fort et mobilisé en faveur de cette union des peuples qui nous est si précieuse. La France saura faire valoir ses positions à l’échelon supranational et retrouver l’influence qui a toujours été la sienne.

À l’échelle nationale, nous, sénateurs du groupe du RDSE, y veillerons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nadège Havet applaudit également.)