M. Loïc Hervé. Le bon sens montagnard !

M. le président. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Paul Toussaint Parigi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet que nous abordons ce jour me tient particulièrement à cœur.

Maire d’une commune pendant vingt ans, président d’une communauté de communes et sénateur d’un territoire essentiellement rural et montagneux, j’ai été, comme nombre d’entre vous, le témoin des grandes inquiétudes qu’a suscité parmi nos élus locaux le projet de transfert forcé des compétences « eau » et « assainissement » d’ici à 2026.

Faisant suite aux reports multiples de cette mesure adoptée dans la loi NOTRe en 2015, et au chemin parlementaire difficile des précédents textes visant à rendre optionnelle la délégation de cette compétence, il nous est aujourd’hui donné l’occasion, grâce à la proposition de loi de notre collègue Jean-Michel Arnaud, d’adapter cette mesure aux réalités concrètes de nos territoires, et de faire entendre la voix des maires en leur laissant le pouvoir de choisir.

Oui, il est temps de réaffirmer, par là même, que la commune reste l’échelon central de la démocratie locale, de montrer aux élus locaux que leur voix porte lorsqu’ils nous alertent sur les problématiques qui les mettent en grande difficulté et lorsqu’ils défendent l’intérêt final de leurs administrés.

S’il n’est pas question de remettre en cause le fait intercommunal, nécessaire à la dynamique territoriale, il s’agit d’apporter de la souplesse et de l’agilité à la mise en œuvre d’une compétence extrêmement technique, dont le transfert à marche forcée dans la ruralité et dans les zones de montagne serait préjudiciable.

Un tel transfert serait préjudiciable, d’abord, parce que les communautés de communes regroupent des territoires n’ayant pas les mêmes bassins hydrauliques. Or la mutualisation calquée sur des périmètres inappropriés, loin de favoriser les économies d’échelle, induira, hélas ! des dépenses coûteuses, voire faramineuses, nécessaires à la mise en réseau. Ce serait regrettable alors que les territoires de montagne connaissent aujourd’hui une qualité d’eau remarquable pour un coût modéré.

Il serait préjudiciable, ensuite, parce que les communes se sont déjà organisées en syndicats, quand cela leur semblait pertinent, pour gérer au mieux la compétence « eau » selon des logiques topographiques, et non au gré des frontières intercommunales.

Il serait préjudiciable, enfin, parce qu’il ferait peser sur le consommateur final un risque réel de surfacturation, induit par les moyens techniques, administratifs et financiers que devront mobiliser les intercommunalités pour la mise en œuvre de cette compétence.

Ayant été témoin du transfert de la compétence « déchets », je peux attester qu’à ce jour la facture a été multipliée par quatre pour nos administrés. Nous conviendrons tous qu’à l’heure de la rigueur budgétaire, dans une logique de rationalisation des dépenses publiques et d’inflation généralisée, mettre en place un tel transfert serait un contresens.

Par ailleurs, je tiens également à alerter sur le risque, à terme, de dépossession de la gestion de l’eau au profit de logiques financières, voire quasi monopolistiques, que nous connaissons déjà dans certaines régions.

Faisons donc confiance aux maires qui, face aux sécheresses répétées, ont encore démontré cet été leur formidable réactivité afin de pourvoir aux besoins en eau des habitants de leurs communes.

Faisons confiance aux maires qui, sur mon territoire, ont, du nord au sud – mon collègue Jean-Jacques Panunzi vous le confirmera –, voté en défaveur de ce transfert obligatoire.

Avançons de manière pragmatique et dépassionnée, loin de toute idéologie, et convenons que la spécificité des situations impose ici de repenser l’action publique locale.

Le risque d’une augmentation de la facture pour les usagers, l’affaiblissement du lien entre le maire et ses administrés, la nécessité de maintenir une fine connaissance des réseaux existants, ou encore l’absence de correspondance entre les périmètres intercommunaux et les bassins hydrographiques sont autant d’arguments qui plaident en faveur d’une gestion différenciée de ces compétences.

Encore une fois, faisons confiance aux maires, car ils connaissent leur territoire et sont en mesure de faire un choix qui répondra à l’intérêt des citoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant de débuter l’examen de cette proposition de loi, dont je remercie l’auteur, j’ai cherché, comme beaucoup d’entre vous certainement, quelle expression populaire sur l’eau – car il en est de nombreuses – pourrait le mieux résumer le combat sénatorial qui nous a rassemblés au fil des années, dans notre diversité, sur la question du transfert des compétences « eau » et « assainissement ».

J’ai finalement retenu cette réplique de cinéma adressée voilà trente-six ans par un fils de bonne famille à sa mère accablée par les turpitudes de la vie : « La vie n’est pas un long fleuve tranquille ! » (Sourires.)

En effet, madame la ministre, et ancienne présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, le parcours des compétences « eau » et « assainissement » dans les communes – et, au-delà, au sein de notre République – n’est pas un long fleuve tranquille ! (Marques dassentiment.)

En 2014 et 2015, je dénonçais, avec mes collègues du groupe CRCE, les dispositions de la loi NOTRe visant à imposer, de manière autoritaire, la remontée de ces compétences.

En 2017, Mathieu Darnaud déposait une proposition de loi dont l’objet était de revenir sur lesdites dispositions, afin de redonner aux communes qui le souhaitaient les compétences « eau » et « assainissement ».

En 2023, Jean-Yves Roux déposait à son tour une proposition de loi allant dans le même sens.

Et nous voilà réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi présentée par Jean-Michel Arnaud.

Je me permets de citer chacun de ces collègues sénateurs, comme lors de ces cérémonies d’inauguration où l’on remercie de nombreuses personnes ; ces remerciements, qui peuvent paraître un peu lourds et protocolaires, ont cependant le mérite de mettre en avant les indispensables partenariats ayant permis la réalisation de projets.

Il est en effet indispensable de rappeler le partenariat mis en œuvre pour faire aboutir nos travaux. Cela nous permet d’expliquer à celles et ceux qui nous ont écrit depuis quelques jours et semaines que notre objectif n’est pas de détruire un quelconque processus intercommunal ou de remettre en cause l’existence des communes.

Mme Cécile Cukierman. Qu’un tel projet soit ainsi partagé, au Sénat, peut surprendre ; pour autant, il s’agit d’un engagement réel, qui demain sera utile à notre pays.

Nous voulons rappeler que, pour faire République, un pacte social et politique très fort doit lier nos concitoyens et les élus, que ceux-ci représentent les communes ou qu’ils soient, comme nous, parlementaires. Ce pacte doit être scellé dans la plus grande des proximités, celle qui s’exerce à l’échelon communal.

Nous avons coutume de dire que la commune est la cellule de base de la République parce que c’est dans l’engagement des femmes et des hommes élus que se traduit ce lien. Si nous voulons, demain, répondre collectivement à la crise politique qui nous touche toutes et tous, nous devons préserver la commune, non pas en l’opposant à d’autres collectivités, mais en redonnant ce pouvoir de proximité à tous les élus locaux. (Très bien ! et applaudissements sur de nombreuses travées.) C’est ainsi que nous pourrons refonder ensemble le pacte social de notre République !

Cette proposition de loi, que certains commentateurs qualifieront peut-être de « petite loi », est finalement essentielle parce qu’elle nous permettra de dépasser nos divergences politiques – celles-ci existeront toujours demain, c’est la démocratie –, pour préserver l’intérêt général.

Nous n’avons donc pas voulu ce soir opérer de retour en arrière, détricoter quelque dispositif que ce soit, ou faire courir à notre pays un risque sanitaire…

Notre pays est formidable, contrairement à ce que j’ai pu lire et entendre ces dernières semaines. Ainsi, une commune du département de la Loire, Thélis-la-Combe, qui compte quelques centaines d’habitants et qui exerce directement la compétence « eau », se voit imposer les mêmes normes sanitaires que la Ville de Paris.

Notre pays est formidable parce qu’il accorde la liberté à l’échelon local, tout en garantissant à chacune et chacun d’entre nous, quelle que soit sa condition sociale et territoriale, la sécurité, celle qui permet de vivre sa vie.

Notre pays est formidable, enfin, parce que nous allons voter ce soir, à une très large majorité, cette proposition de loi. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour qu’elle suive son cours, tranquillement et sans débordement (Sourires.) à l’Assemblée nationale, afin que nous puissions redonner aux communes la place qui est la leur. (Applaudissements sur de très nombreuses travées.)

M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Akli Mellouli. Je remplace pour cette intervention mon irremplaçable collègue et ami Guy Benarroche. (Sourires.)

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est pas la première fois que notre assemblée se penche sur la question de la gestion des compétences « eau » et « assainissement ».

La gestion de l’eau, qu’il s’agisse de l’échelon de prise de décision, de la gouvernance ou du processus de répartition de la ressource, est un point central de la vision écologiste.

Nous avons été attentifs, la semaine dernière, aux propos du Premier ministre en réponse à une question d’actualité de notre collègue Cécile Cukierman. Il disait ainsi : « Il n’y aura plus de transfert obligatoire pour les communes qui n’ont pas encore transféré la compétence. » Dont acte.

La proposition de loi, présentée par Jean-Michel Arnaud, traite, au-delà de la question de l’eau, d’un sujet que notre assemblée connaît bien, et qui est souvent au cœur de l’engagement des sénateurs : le besoin qu’ont nos collectivités territoriales, dont les situations sont si disparates, de libertés locales et de compétences différenciées.

En l’occurrence, il s’agit d’évoquer la question récurrente du partage des compétences « eau » et « assainissement ». Cette proposition de loi n’est pas le premier texte sur le sujet. M. Barnier rappelait ainsi que, depuis l’adoption de la loi NOTRe en 2015, « cette question […] est une vraie difficulté, peut-être une blessure dans la confiance entre l’exécutif et le Sénat ».

En mars 2023, nous avions déjà examiné une proposition de loi sur le sujet, celle-là relative à la nécessité de gestion différenciée des compétences « eau » et « assainissement ».

Sans remettre en cause les avantages et les nécessités de l’échelon intercommunal, de nombreux territoires rechignent, depuis l’entrée en vigueur de la loi NOTRe, devant l’application indifférenciée de cette remontée de compétences. Ceux qui refusent la brutalité et l’inadéquation de ces décisions ne sont pas des Gaulois réfractaires, bien au contraire ; ils ne font qu’exprimer les besoins de leur territoire ! (M. Jean-Michel Arnaud opine.)

Par respect du principe de subsidiarité, notre groupe juge légitime que des élus puissent choisir librement de mettre en commun, ou non, les compétences « eau » et « assainissement », et décider des modalités de cette mise en commun selon les particularités de leur territoire.

Cette proposition de loi démontre que bien légiférer est une question de timing. Corriger les erreurs et améliorer les dysfonctionnements, en faisant trop peu et trop tard, peut avoir des effets néfastes.

Au moment où les finances des collectivités sont en danger du fait de coupes rendues nécessaires par des années de gestion pour le moins hasardeuse, sous la présidence Macron, qu’adviendra-t-il des charges d’investissement destinées aux infrastructures vieillissantes ? Sur ce point, l’exemple de la Guadeloupe est édifiant.

En agissant seulement maintenant sur ce dossier, les collectivités ont pris du retard dans leurs politiques d’investissement relatives aux réseaux d’eau et d’assainissement.

Nous entendons qu’il existe un besoin de simplification, mais nous redoutons la simplicité avec laquelle serait détricotée l’idée même de solidarité au sein de nos intercommunalités.

Notre discussion sur ce texte doit être pour nous l’occasion de connaître la vision du gouvernement Barnier sur l’organisation territoriale de notre pays.

Nos collectivités sont en attente de nombreuses évolutions : règles comptables nouvelles, transition écologique, démocratie renouvelée, etc.

Notre ancien collègue Daniel Breuiller, un camarade du Val-de-Marne que je salue, rappelait ceci : « On a longtemps cru, en France, que l’accès à l’eau serait garanti à tous et pour tous les usages. Cette affirmation n’est plus d’actualité : nous avons connu des sécheresses estivales redoutables, et nous connaissons aujourd’hui des sécheresses hivernales dont la réalité brutale annonce de nouveau des étés difficiles. […] Que l’on se place à l’échelle communale ou intercommunale, le problème demeure le même. Aujourd’hui, la politique de l’eau est sous-financée dans une fourchette de 800 millions à 3 milliards, voire 4 milliards d’euros par an. On est loin du compte ! »

À la veille de discussions budgétaires qui s’annoncent complexes au vu de l’état des finances publiques, et face au perpétuel argument de la dette, lequel phagocyte toutes les politiques que nous devons mener, nous soutenons un cap clair pour lever les incertitudes qui ont pu mener jusqu’à présent à une inaction certaine.

Cette loi, si elle est loin de résoudre le problème de l’eau, est un pas de plus vers la différenciation locale, à condition que celle-ci soit adossée à une réelle stratégie nationale de l’eau imposée par la raréfaction de ce bien qui doit rester commun.

Au vu des amendements déposés par le rapporteur, notre groupe votera ce texte. J’aurais pu commencer par là, mais ce n’est pas une surprise… (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Roiron.

M. Pierre-Alain Roiron. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, comme chaque année ou presque, nous examinons dans cet hémicycle une proposition de loi portant sur les compétences « eau » et « assainissement ». Ce sujet, à la fois technique et politique, soulève des questions centrales sur l’organisation de nos territoires et la gestion de l’eau, une ressource de plus en plus précieuse et stratégique.

Permettez-moi de commencer par rappeler le contexte.

La loi NOTRe du 7 août 2015 a rendu obligatoire le transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes et d’agglomération, suscitant de nombreux débats et ajustements. Le législateur a en effet cherché à adapter cette obligation par plusieurs textes de loi successifs. En atteste la loi du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes, dite loi Ferrand-Fesneau, qui a permis de reporter au 1er janvier 2026 le transfert obligatoire pour certaines intercommunalités. Ce report offrait une souplesse nécessaire pour tenir compte des spécificités locales.

De même, la loi Engagement et Proximité de 2019 a introduit un mécanisme de délégation partielle de ces compétences aux communes ou syndicats existants. Ces ajustements, qui avaient reçu notre soutien, visaient à renforcer la proximité et l’efficacité de la gestion de ces compétences, sans pour autant revenir sur leur caractère obligatoire.

Aujourd’hui, nous sommes invités à examiner une nouvelle proposition d’assouplissement. Nous voyons bien que cette proposition suscite un intérêt certain, tant sur le fond que sur la forme. En témoignent les déclarations récentes, faites ici même, du Premier ministre et l’engagement de la procédure accélérée.

Mes chers collègues, nous sommes ouverts aux adaptations, mais nous ne souhaitons pas défaire l’architecture de la loi NOTRe.

La gestion intercommunale des compétences « eau » et « assainissement » reste un modèle efficace pour répondre aux enjeux financiers et techniques liés à cette gestion. Nous l’avons dit à plusieurs reprises, et l’avons prouvé au travers de nos différents votes : des adaptations aux réalités locales sont nécessaires, mais il ne peut être question de revenir en arrière.

Ce texte appelle aujourd’hui à aller plus loin dans la décentralisation de ces compétences, notamment en zone de montagne où les spécificités géographiques et démographiques nécessitent des ajustements supplémentaires. Notre groupe entend ces préoccupations, mais nous devons veiller à ne pas ouvrir la porte à une remise en cause généralisée des acquis.

En effet, nous considérons que les dérogations au transfert de ces compétences ne doivent pas entraîner un détricotage du dispositif. Nous préférons ajuster de manière mesurée, comme cela a été fait jusqu’à présent, à l’article 1er.

Nous prenons note de l’amendement du rapporteur, lequel ne revient pas sur les transferts de compétences déjà effectués par nombre de communes. Néanmoins, la possibilité laissée à toutes les communes qui n’ont pas encore transféré ces compétences de le faire, en excluant celles qui n’ont pas fait l’usage de la minorité de blocage pour reporter le transfert en 2026, constitue selon nous une atteinte au principe d’égalité devant la loi, principe constitutionnel applicable aux collectivités territoriales et centre de gravité de la souveraineté interne de l’État.

Par ailleurs, nous saluons la possibilité accordée aux départements de jouer un rôle plus actif dans les politiques locales de l’eau.

Cette disposition, qui découle des travaux de la mission d’information sénatoriale sur la gestion durable de l’eau et reprend en fait le dispositif de l’article 5 de la proposition de loi visant à faciliter une gestion durable et apaisée de l’eau, portée par notre collègue Hervé Gillé, est particulièrement pertinente dans le contexte de raréfaction des ressources et des défis climatiques auxquels nous faisons face.

Mes chers collègues, il est temps de prendre de la hauteur. Le transfert des compétences « eau » et « assainissement » ne se limite pas au petit cycle de l’eau ; il faut envisager aussi le grand cycle de l’eau. Il s’inscrit dans une vision globale où nous devons articuler la gestion des ressources en tenant compte des enjeux environnementaux.

Face aux défis posés par le réchauffement climatique – les sécheresses, les incendies –, la gestion de cette ressource est devenue une priorité pour nos territoires. Elle implique une responsabilité collective, et il est de notre devoir d’assurer une gestion cohérente, au niveau tant local qu’intercommunal et départemental. Ne sous-estimons pas les conséquences d’un mauvais encadrement de cette compétence !

Je tiens à rappeler que dans l’ensemble des 170 services au taux de rendement le plus faible, 116 sont des services communaux, et donc non mutualisés. La mise en commun des ressources dans certaines zones géographiques est plus que jamais nécessaire ; je pense aux zones montagneuses, qui sont directement confrontées aux enjeux climatiques.

L’Union nationale des industries et entreprises de l’eau chiffre le déficit d’investissement pour l’eau potable entre 776 millions et 3,6 milliards d’euros ; 40 % des réseaux d’eau potable ont plus de cinquante ans – pour rappel, leur durée de vie oscille entre soixante et quatre-vingts ans.

La question de l’ingénierie territoriale est au centre des préoccupations des élus. Vous le savez, les coûts liés à cette compétence ne peuvent pas être supportés individuellement. Les investissements nécessaires pour entretenir et moderniser nos réseaux d’eau sont colossaux. Cela demande une gestion mutualisée. C’est pourquoi nous devons conserver une approche globale intercommunale.

Il est important de rappeler que, selon les dernières données, 50 % des intercommunalités exercent déjà la compétence « eau », couvrant plus de 80 % de la population française. Pour l’assainissement, ce chiffre est de 56 %, représentant 84 % de la population. Ces chiffres témoignent d’un mouvement positif, incarnant une réelle dynamique intercommunale qui s’affirme d’année en année.

Seulement 14 % des communes appartenant à une communauté de communes exercent encore la compétence « eau » sans aucune forme de mutualisation : une proportion dont il est possible de se féliciter, ou qui amène à considérer, à l’inverse, que nous connaissons encore des difficultés d’adaptation.

Notre approche, aujourd’hui, consiste à s’assurer que ces ajustements se font dans le respect de l’intérêt général, sans remettre en cause les principes qui ont déjà fait leurs preuves. Nous devons veiller à ne pas déstabiliser un dispositif qui fonctionne bien dans la majorité des territoires. Les élus ont plus que jamais besoin de stabilité au regard des récentes annonces budgétaires…

En conclusion, je nous invite à rester fermes sur le maintien du cadre intercommunal, qui garantit la cohérence de notre action en matière de gestion de l’eau. Accompagnons nos intercommunalités dans le développement d’une ingénierie ambitieuse, plutôt que de repousser sans cesse une échéance à laquelle ces établissements publics ont déjà répondu présent.

C’est dans cet esprit de responsabilité que notre groupe aborde cette proposition de loi, et c’est pour cette raison que nous ne la soutiendrons pas majoritairement. (Dommage ! sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Loïc Hervé et Jean-Raymond Hugonet applaudissent également.)

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d’aborder la proposition de loi, j’ai d’abord une pensée pour les Ligériens, qui subissent actuellement des inondations importantes, notamment au sud du département.

Enfin la liberté pour les communes ! Si un sujet peut être qualifié de sénatorial, c’est bien celui de l’exercice des compétences « eau » et « assainissement ». Pour cause : la Haute Assemblée ne cesse depuis bientôt dix ans de soutenir les élus locaux afin que ceux-ci récupèrent pleinement et entièrement leur liberté en la matière.

En 2015, la loi NOTRe imposait aux communes le transfert obligatoire de ces compétences vers les communautés de communes ou d’agglomération, et ce dès 2020.

En 2017, le Sénat tentait, en adoptant une première proposition de loi déposée par des sénateurs, de rétablir le caractère optionnel de ce transfert de compétences, mais le texte n’est malheureusement pas allé au bout de la navette parlementaire.

Les inquiétudes légitimes des élus ayant persisté, la loi du 3 août 2018 a permis, sous certaines conditions, le report de cette obligation jusqu’en 2026.

Plus récemment, le Sénat a adopté le 16 mars 2023 une autre proposition de loi visant à revenir sur le caractère obligatoire de ce transfert en rendant les deux compétences optionnelles pour les communautés de communes.

Pourquoi une telle détermination de notre part ? Parce que la gestion de l’eau et celle de l’assainissement sont deux compétences fondamentales pour les communes, et que leur organisation doit être optimale.

La loi NOTRe affichait certes des objectifs tout à fait louables : réduire le nombre d’acteurs intervenant dans ces domaines de compétence afin de les renforcer, mutualiser les moyens, améliorer les investissements et harmoniser les prix – même si l’on sait depuis longtemps que les mutualisations ne conduisent pas nécessairement à une harmonisation ou à une baisse des prix.

Ces objectifs se sont toutefois heurtés à deux réalités.

La première, c’est que cette loi n’a pas respecté le principe fondamental de libre administration des collectivités territoriales, en contraignant les élus locaux, lesquels étaient largement opposés à cette mesure de transfert des compétences. Aucun des pseudo-assouplissements suivants n’a par ailleurs réellement permis de restaurer leur liberté en la matière : au mieux, ils n’ont que reporté l’échéance et, au pire, ils ont complexifié les choses.

M. Loïc Hervé. C’est vrai !

M. Pierre Jean Rochette. La seconde réalité, c’est que cette mesure apparaît aujourd’hui tout aussi inadaptée qu’elle ne l’était déjà il y a bientôt dix ans.

Risque d’un affaiblissement de la connaissance des réseaux, absence d’identité entre le périmètre hydrique des communes et celui de l’intercommunalité, possibilité d’une augmentation des tarifs – c’est ce que vivent nombre de nos concitoyens – ou, encore, souhait de nombreuses communautés de communes de ne pas exercer ces compétences : autant de raisons qui démontrent la parfaite incohérence de la mesure avec la réalité du terrain. Rappelons-le, seulement 33 % des communautés de communes exercent encore aujourd’hui la compétence « eau ».

Depuis la première fois où le groupe Les Indépendants a pris position sur le sujet, il n’a cessé d’affirmer une position claire en faveur des élus locaux, en demandant l’annulation pure et simple du caractère obligatoire de ce transfert de compétences, et en soutenant son caractère optionnel.

Nous ne souhaitons pas empêcher les communes et les intercommunalités qui le souhaitent de procéder au transfert de compétences, mais nous ne voulons pas non plus les y contraindre. Nous voulons une solution pragmatique et réaliste, qui laisse le choix, la liberté, à ceux qui connaissent le mieux le terrain : les élus locaux.

C’est pourquoi notre groupe s’est profondément réjoui de l’annonce du Premier ministre Michel Barnier de revenir sur le caractère obligatoire du transfert de compétences.

C’est la preuve que les élus locaux ont enfin été entendus par le Gouvernement et par la ministre Françoise Gatel, qui les connaît parfaitement. La détermination du Sénat a fini par payer !

Cette proposition de loi de notre collègue Jean-Michel Arnaud est pertinente, car elle redonne aux communes un peu de liberté et de souplesse en rendant facultatif le transfert des compétences « eau » et « assainissement », ce que la Haute Assemblée demande depuis longtemps.

Toutefois, elle ne vise que les communes situées en zone de montagne. Une telle exception nous paraît difficilement justifiable vis-à-vis de toutes les autres communes, que nous, ici au Sénat, représentons.

Par conséquent, nous voterons en faveur de ce texte, à condition que les assouplissements proposés par l’excellent Alain Marc, rapporteur et membre du groupe Les Indépendants, soient acceptés. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)