M. Max Brisson. Enfin, l’article 6 confère aux journalistes des entreprises de presse et des médias audiovisuels un droit d’agrément sur la nomination du directeur. Si le rapport issu des États généraux suggère de revoir le fonctionnement des entreprises de médias, il ne préconise nullement une telle mesure, rejetée au demeurant en avril dernier par l’Assemblée nationale lors de l’examen de la proposition de loi de Mme Sophie Taillé-Polian.

De surcroît, cet article soulève un problème constitutionnel en portant atteinte au principe de liberté d’entreprendre lequel, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, implique la liberté pour l’employeur de choisir ses collaborateurs.

L’instauration d’un tel droit ne risquerait-elle pas, en outre, de dissuader les investisseurs dans un secteur fragile ? N’existe-t-il pas déjà de multiples dispositifs et de nombreuses pratiques garantissant la protection du personnel des rédactions contre les pressions extérieures ? Les journalistes ne bénéficient-ils pas déjà, à titre individuel, de la clause de conscience et de la clause de cession, lesquelles garantissent l’autonomie de la rédaction vis-à-vis des propriétaires des entreprises éditrices ? Est-il besoin d’en rajouter, alors que nul ne le demande ? La question est posée et dévoile la propension à la surenchère des tenants de cette proposition de loi.

Vous l’avez compris, je ne souscris ni à la philosophie ni aux axes principaux de cette proposition de loi. Ce texte fait peser de réelles menaces sur la liberté éditoriale des médias audiovisuels, liberté qui est pourtant au cœur de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Ce qui pourrait éventuellement subsister de votre proposition de loi est par ailleurs prématuré et peu utile. Les apports de ce texte restent limités, une fois dépassées les questions sur la liberté éditoriale que je viens d’évoquer.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains rejettera les articles 1er, 2 et 6 de cette proposition de loi. À ce stade du débat, il continue d’être réservé sur l’article 7.

Nous attendons en revanche du Gouvernement une prise en compte des recommandations des États généraux de l’information et nous comptons sur vous, madame la ministre, pour défendre une vision plus équilibrée et consensuelle que celle que traduit la proposition de loi que nous examinons ce matin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a pour ambition de renforcer l’indépendance des médias et de mieux protéger les journalistes. Je tiens à saluer d’emblée le travail mené, malgré un calendrier perturbé, par son auteure, Sylvie Robert, et par la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport.

Nous faisons tous, en effet, sur ces travées, le même constat et nous avons une même ambition. Le même constat d’abord : la presse se porte mal, son modèle économique est menacé par les acteurs du numérique et son indépendance n’est pas assurée.

Une même ambition ensuite : celle d’offrir aux journalistes et aux médias pour lesquels ils travaillent un cadre juridique protecteur et adapté. Les nombreux travaux menés sur cette question par notre assemblée au cours de ces dernières années en sont la preuve.

Avant d’en venir au fond, permettez-moi d’exprimer un regret. Je le partage avec plusieurs de mes collègues. Ce texte, déposé en juillet dernier, arrive en séance alors que les conclusions des États généraux de l’information voulus par le Président de la République ont été présentées il y a tout juste un mois.

Les États généraux de l’information, je le rappelle, ce sont près d’un an de travaux, cinq groupes de travail, vingt-deux assemblées citoyennes, plus de cent soixante-dix auditions et, enfin, quinze propositions qui ont été formulées pour préserver l’espace public français et contribuer à la construction de l’espace public européen. Il nous semble aujourd’hui que c’est au Gouvernement d’en tirer les conclusions et de formuler les propositions législatives qui s’imposent.

Cette proposition de loi comporte cependant un certain nombre d’avancées que nous saluons. Elle vise notamment à faire évoluer la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, qui n’a pas permis d’atteindre tous les objectifs qui lui étaient fixés.

Je pense à l’article 3, qui vise à donner davantage de visibilité et de légitimité aux comités d’éthique des chaînes de télévision. Je pense également à l’article 4, qui tend à préciser et à améliorer le contenu des chartes de déontologie des journalistes qui régissent la profession. Je pense enfin à l’article 7, dont l’objet est de prendre en compte les problèmes soulevés par la loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, en prévoyant les conditions d’une négociation plus équilibrée de la rémunération entre éditeurs, agences de presse et plateformes.

D’autres propositions nous invitent en revanche à la prudence.

Il en est ainsi de celle qui vise à sanctuariser dans la loi la décision du Conseil d’État du 13 février 2024 et le changement de doctrine de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique dans son contrôle du pluralisme sur les antennes. Une telle sanctuarisation ne nous semble pas pertinente aujourd’hui au regard des engagements pris par l’Arcom et de la portée de la décision du Conseil d’État.

La proposition visant à renforcer les pouvoirs de sanction de l’Arcom pour lui permettre d’agir plus efficacement est un autre objet de désaccord. Il nous apparaît en effet que l’Autorité a démontré à plusieurs reprises, au cours de ces derniers mois, son pouvoir de sanction et sa capacité à faire respecter les principes d’indépendance et de pluralisme de l’information.

En ce qui concerne la protection du secret des sources, notre groupe souscrit aux conclusions de nos collègues de la commission des lois et de la rapporteure pour avis Lauriane Josende, qui ont souhaité circonscrire et consolider ce dispositif, en tenant compte notamment de la décision du Conseil constitutionnel du 28 octobre 2022.

Enfin, le droit d’agrément des rédactions dans la presse écrite et audiovisuelle pour le choix du directeur de la rédaction, tel qu’il est proposé dans le texte, nous semble soulever un certain nombre de questions, de nature notamment économique et juridique, qui nous invitent à la vigilance.

Ces réserves étant exprimées, les membres du groupe RDPI conditionneront leur vote à l’adoption des amendements déposés par plusieurs de leurs collègues.

M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la multiplication des supports de presse, la rapidité des flux de diffusion des contenus, le développement de l’intelligence artificielle (IA) invitent à une réflexion sur les conditions de collecte et de production de l’information. La protection des journalistes sous l’angle de la déontologie doit également être interrogée. En effet, l’on observe une défiance croissante à l’encontre des journalistes, comme en témoigne un sondage Ipsos de 2021 : 16 % des Français, seulement, leur feraient confiance.

La crédibilité des sources, l’indépendance de l’information et la probité des journalistes contribuent à entretenir la confiance dans la presse. C’est pourquoi il est important d’approfondir leur cadre déontologique. Selon une étude de l’Alliance des conseils de presse indépendants d’Europe (AIPCE), la confiance du public est en effet « plus importante envers les journalistes quand il existerait un conseil de déontologie ».

Cette proposition de loi de notre collègue Sylvie Robert vient donner un cadre aux chartes déontologiques accompagnant la signature d’un contrat de travail ou d’une convention entre un journaliste et un média, en renvoyant explicitement aux trois grands textes fondateurs. Elle leur offre également une plus grande visibilité en affirmant l’obligation de publicité par l’éditeur.

Si je salue cette mesure ainsi que celle qui vise à rendre plus visibles les comités d’éthique par la publicité de leurs avis et par le mécanisme de saisine en ligne, je propose d’aller au bout de cette logique.

Dans l’objectif de renforcer le cadre déontologique de la profession journalistique, je propose de créer un ordre des journalistes, composé de journalistes professionnels. Cet ordre veillerait au respect, par tous ses membres, des règles édictées par le code de déontologie des journalistes, dans lequel seraient fixés leurs missions et leurs devoirs.

Il me semble en effet que les membres d’une profession sont les plus compétents pour définir les principes qui la régissent et les critères pour y appartenir. C’est la garantie de leur indépendance et de leur protection vis-à-vis de leurs employeurs.

Cet ordre aura aussi pour responsabilité de délivrer la carte de presse. Aujourd’hui, la loi prévoit que celle-ci est accordée sur la base de critères essentiellement économiques. La personne y prétendant doit tirer au moins 50 % de ses ressources de son activité de journaliste. Or ce critère n’est plus cohérent au regard de la réalité économique de la profession de journaliste.

En effet, la chute des revenus liés au journalisme a pour conséquence d’empêcher de nombreux professionnels d’être titulaires de cette carte. C’est le cas par exemple des journalistes d’investigation, des réalisateurs de documentaires ou des photojournalistes.

Or la détention de la carte de presse est primordiale : c’est un gage de sérieux, qui permet d’obtenir des accréditations plus aisément, qui octroie une protection en cas de couverture d’événements dangereux et qui devrait aussi garantir le secret des sources.

En outre, la commission chargée de décerner la carte de presse est composée pour moitié de représentants des employeurs, ce qui semble discutable.

Je propose donc que la reconnaissance du statut de journaliste relève des pairs et que ce soit un conseil national de l’ordre des journalistes qui attribue la carte de presse et assure la discipline de la profession.

Madame la ministre, vous nous annoncez une grande loi sur les médias à l’issue des États généraux de l’information : définissons un cadre déontologique qui garantira la confiance dans la presse, la qualité de l’information et la protection des journalistes.

Espérant vous convaincre, madame la ministre, j’ai retiré avant la séance les amendements d’appel que j’avais déposés et qui visaient à instaurer une déontologie unique, alors que dans le contexte actuel, peu satisfaisant, les comités d’éthique sont à géométrie variable selon les médias. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Michel Laugier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Michel Laugier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « La liberté de la presse présente des inconvénients. Mais moins que l’absence de liberté. » Dans cet hémicycle, nous pourrions tous faire nôtre cette citation de François Mitterrand, n’est-ce pas, chère Sylvie Robert ?

Nous sommes tous, ici, des défenseurs de la liberté de la presse. Nous sommes tous, ici, des défenseurs des 580 journalistes emprisonnés actuellement dans 70 pays à travers le monde. Nous défendons tous, ici, les intérêts des journalistes, comme le Sénat l’a montré en étant la première chambre parlementaire à transposer la directive européenne du 17 avril 2019 sur les droits d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique.

Nous ne pouvons que souscrire à l’objectif légitime de cette proposition de loi, qui vise à renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes.

Oui, tous, ici, nous sommes des défenseurs de la liberté et de toutes les libertés.

Liberté du Parlement, tout d’abord, pour que les parlementaires puissent faire usage de leurs prérogatives législatives et ce, même si cette proposition de loi, aussi intéressante soit-elle, intervient à contretemps. Elle a en effet été déposée sur le bureau de notre chambre après que, en juillet dernier, l’Arcom a pris la décision de retirer des fréquences de télévision numérique terrestre (TNT) à deux opérateurs, ce qui prouve qu’elle exerce bien son autorité.

En outre, la proposition de loi a été déposée avant même que soient rendues publiques les conclusions des États généraux de l’information, de sorte que le texte ne peut naturellement pas en tirer les enseignements.

Ce vaste chantier, dans le cadre duquel cinq groupes de travail se sont réunis durant près d’un an pour mener cent soixante-quatorze auditions d’experts, a abouti à un point de situation particulièrement circonstancié et précieux sur le sujet. Celui-ci doit, selon moi, constituer le préalable de toute réflexion parlementaire sur les médias.

Le Gouvernement a par ailleurs annoncé un projet de loi pour 2025, dont il me semble important de connaître la teneur avant de lancer toute autre initiative.

Au-delà de ces considérations de calendrier, et même si certaines dispositions de la proposition de loi sont directement inspirées des conclusions du rapport de la commission d’enquête sénatoriale de 2022 sur la concentration des médias en France, auxquelles je ne peux que souscrire en ma qualité d’ancien membre, d’autres articles suscitent des questionnements.

Comme je l’ai rappelé, chacun d’entre nous est attaché à la liberté, notamment la liberté éditoriale des titres de presse et des médias.

Bien sûr, et c’est un journaliste de formation qui vous l’affirme, l’information n’est pas un bien de consommation comme les autres.

Bien entendu, une entreprise de presse a une responsabilité particulière : celle d’informer honnêtement, de rendre compte, de donner à voir, à connaître et à comprendre des faits, en somme d’être un médium entre ceux qui font l’actualité et les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs.

Mais un titre ou un média ne pourrait-il pas exprimer une sensibilité particulière ? Les titres de presse ou les médias adoptent tous une ligne éditoriale, qu’elle soit philosophique, religieuse ou politique. Elle est tantôt libérale, européenne, conservatrice ou progressiste.

Notre rôle de parlementaires est de nous assurer que l’ensemble des idées puisse s’exprimer dans le respect de la loi.

Nous devons protéger cette liberté, tout comme notre rôle est de défendre la loi du 18 octobre 2019 relative à la modernisation de la distribution de la presse, dite loi Bichet. Et c’est celui qui en a été le rapporteur qui vous le dit. Cette loi permet à tout lecteur de trouver en kiosque l’éventail des publications, quelle que soit leur ligne éditoriale.

En tant que législateurs, nous sommes aussi les garants de l’indépendance du régulateur sectoriel et de sa liberté d’action.

À travers le texte qui est soumis à notre examen, il s’agit de graver dans la loi le contrôle du pluralisme exercé par l’Arcom. Mais pourquoi définir un cadre législatif alors que le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative, a lui-même précisé les contours d’un tel contrôle dans sa décision du 13 février 2024 sur le respect du pluralisme ? La loi n’apporterait aucune protection supplémentaire et serait de ce fait superfétatoire.

De la même façon, la proposition de loi vise à renforcer les pouvoirs de sanction de l’Arcom, mais cette dernière dispose déjà d’une boîte à outils complète et dissuasive qu’elle sait pleinement mobiliser. Elle l’a montré récemment en utilisant pour la première fois le levier ultime du retrait de fréquences, comme je l’ai déjà rappelé.

Faisons donc confiance au régulateur et à sa rigueur, et laissons-le libre de mobiliser les moyens mis à sa disposition.

Dans cet hémicycle, je le répète, personne n’est un ennemi de la liberté de la presse, qui participe à l’essence même de la société démocratique. Mais la proposition qui vise à offrir aux rédactions un droit d’agrément sur la nomination du directeur de la rédaction outrepasse ce principe et entre en collision avec un autre droit, tout aussi essentiel : le droit de propriété de l’actionnaire.

Un patron de presse n’aurait pas le choix de nommer les cadres dirigeants de ses propres entreprises ? Quel serait l’intérêt pour un groupe d’entrer au capital d’une entreprise de presse s’il était corseté dans sa liberté d’entreprendre ? Demande-t-on au journaliste de faire valider son papier par son actionnaire ?

Un tel dispositif serait, en outre, de nature à affaiblir la valeur des titres de presse et des antennes. Il risquerait de freiner les initiatives d’industriels. Or leurs investissements sont essentiels à un secteur dont l’équilibre économique est fortement fragilisé. Une telle disposition risquerait de décourager les financements et de contribuer à la paupérisation de l’information.

N’oublions pas que, sur ce sujet aussi, des dispositifs existent déjà, à l’image du droit de veto, en vigueur dans plusieurs rédactions, du droit de cession ou de la clause de conscience. Ils permettent de garantir l’indépendance de tout journaliste qui ne serait pas en accord avec un nouveau propriétaire.

Avant de conclure, je souhaite rappeler l’attachement des membres du groupe Union Centriste à l’indépendance de la presse et à la liberté rédactionnelle de tout journaliste, lesquelles passent en premier lieu, selon nous, par la solidité du modèle économique.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Union Centriste soutiendra ce texte, sous réserve des aménagements que je viens d’évoquer. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi.

M. Jérémy Bacchi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte dont nous débattons aujourd’hui intervient dans un contexte où le droit de chacune et de chacun d’accéder à une information libre, pluraliste et de qualité est remis en cause.

Privatisation de l’audiovisuel public voulue par l’extrême droite pour donner les clés aux propagandistes du pire, prise de contrôle de titres, de chaînes de télévision ou de radio par des milliardaires au service de leurs intérêts… Oui ! Débattre et légiférer en faveur de l’indépendance des médias et de la protection des journalistes est plus que nécessaire et c’est la raison pour laquelle nous remercions nos collègues socialistes d’une telle initiative, notamment notre collègue Sylvie Robert.

Tout d’abord, nous saluons le renforcement des sanctions que peut prendre l’Arcom afin de les rendre davantage dissuasives.

Nous souhaitons tout de même alerter nos collègues sur la mesure visant à suspendre un média sans mise en demeure préalable afin de prévenir « toute ingérence malveillante, qu’elle soit nationale ou venue de l’extérieur ». Même si je comprends l’intention des auteurs de cette disposition, je rappelle que la décision du Conseil européen de décembre 2022 visant à interdire la diffusion dans l’ensemble des pays de l’Union européenne des médias russes Sputnik et Russia Today (RT) fut durement critiquée par la Fédération européenne des journalistes qui regroupe près de 61 organisations de journalistes dans 40 pays et qui représente près de 320 000 journalistes.

Son secrétaire général, Ricardo Guttiérrez, avait ainsi qualifié de « dangereux précédent » ladite décision, car si les règles de diffusion sont très claires, comme l’interdiction de l’incitation à la haine, en revanche qualifier tel ou tel propos de « propagandiste » relève d’une appréciation plus subjective, donc potentiellement dangereuse. Dans une démocratie, la liberté d’expression est protégée et ne vaut pas que pour ce qui fait consensus.

Ensuite, nous pouvons regretter qu’aucune disposition ne vise un conditionnement des aides financières de l’État et des collectivités locales. Certes, ce texte s’inscrit dans l’esprit de la loi Bloche, qui responsabilise davantage les groupes de médias qu’elle ne les contraint. Mais ce choix présente le risque d’atténuer l’efficacité des mesures du texte. En effet, la contrainte ne se réalise qu’a posteriori, une fois que le mal est fait, au travers des sanctions de l’Arcom.

Il eût été intéressant d’envisager un mécanisme de conditionnement du versement des aides au respect des conventions collectives, du code du travail et de la protection sociale des journalistes, afin de lutter concrètement contre la précarité du secteur.

Enfin, les États généraux de l’information ont rendu leurs conclusions le 12 septembre dernier, parmi lesquelles figure la modernisation des seuils anticoncentration.

En effet, les États généraux de l’information ont reconnu que la loi de 1986 était devenue obsolète et qu’il fallait désormais définir le « pouvoir d’influence » global d’un groupe plurimédias – entendez par là, chers collègues, sa capacité à atteindre les lecteurs ou les auditeurs –, ainsi qu’un seuil unique que les grands groupes ne pourront pas dépasser.

Nous considérons toutefois que cette proposition de loi contient des avancées qui contribueront à renforcer la protection des journalistes et l’indépendance des médias. C’est pourquoi, dans le contexte que j’ai évoqué, le groupe CRCE-K votera ce texte, qui produira à n’en pas douter des effets positifs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Monique de Marco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons l’examen de cette proposition de loi alors que le pays traverse une crise institutionnelle sans précédent. Cette crise nous impose de repenser nos manières de légiférer. La nouvelle configuration politique renforce l’importance du travail parlementaire et accroît aussi les responsabilités qui pèsent sur chacun d’entre nous. C’est dans cet état d’esprit que j’ai accompagné Sylvie Robert dans son travail de rapporteure, au cours d’un grand nombre des auditions qu’elle a conduites.

Ces auditions m’ont convaincue des limites du droit actuel pour garantir des conditions d’exercice satisfaisantes de la liberté de la presse. Il y avait déjà eu les travaux de la commission d’enquête sur la concentration des médias en France, en 2022, puis les conclusions des États généraux de l’information. Une fois encore, les professionnels que nous avons entendus nous ont rappelé les dangers d’un cadre éditorial imposé par les actionnaires aux rédactions. Ils ont évoqué, de nouveau, les menaces judiciaires qui pèsent sur eux et sur leurs sources : procédures bâillons, perquisitions et gardes à vue d’intimidation…

Ces auditions ont également permis de montrer que, après la révolution de l’internet, plusieurs de nos lois sont devenues complètement obsolètes. Ainsi, les seuils de concentration de la loi de 1986 sont totalement inadaptés aux nouveaux usages.

Les obligations qui pèsent sur les réseaux sociaux sont insuffisantes. À quoi bon renforcer, loi après loi, la déontologie des journalistes, si leur parole se retrouve noyée dans un océan de fausses informations et de post-vérités ? L’obligation de valoriser les contenus journalistiques dans les algorithmes me semble aujourd’hui incontournable pour garantir le droit de chacun à accéder à des informations fiables.

Il y a urgence à légiférer, alors qu’une nouvelle révolution de l’intelligence artificielle s’annonce. La mise en conformité avec le règlement européen sur la liberté des médias du 1er mai 2024 et la récente adoption du projet de directive de la Commission européenne sur les procédures bâillons d’avril 2022 ne nous en laisseront pas le choix, quoi que pensent certains de nos collègues dans cet hémicycle.

Mes chers collègues, si vous êtes des républicains, vous voterez les dispositions de ce texte, qui garantissent le pluralisme, l’indépendance et l’honnêteté de l’information. En effet, derrière les grands mots de « liberté d’entreprendre » et de « liberté d’expression », certains font leur miel de la désinformation généralisée. L’idée n’est pas nouvelle, elle se résume par « du pain et des jeux ».

Je ne me résous pas à réduire la liberté de la presse à la liberté d’entreprendre de quelques-uns. Je ne me résous pas à ce que, parmi nous, certains protègent des intérêts particuliers en les faisant passer devant la nécessité, bien plus grande, de garantir la qualité du débat public, qui est pourtant vitale pour notre démocratie. Vous connaissez tous la formule de Victor Hugo : « La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c’est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l’une, c’est attenter à l’autre. »

Le même consensus se dégage des États généraux de l’information qui se sont achevés en septembre dernier. Le rapport établi à partir de leurs travaux souligne d’emblée que l’inquiétude est générale et profonde, que l’heure est à la sauvegarde du droit à l’information pour ceux qui la font et au développement du droit à l’information pour ceux à qui elle est destinée. Ce rapport nous rappelle que l’information n’est pas un bien comme un autre, qu’elle est un bien public et que, philosophiquement, elle est notre bien commun : celui qui donne à la cité son unité.

Selon certains, ce texte arriverait trop tard ou trop tôt, il serait prématuré, peu utile et incomplet, mais ce ne sont là que des prétextes pour ne pas le voter.

Mes chers collègues, souvenons-nous des leçons du Conseil national de la Résistance : « Assurer la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères. »

Je vous appelle à légiférer, à voter pour garantir l’indépendance des rédactions, à voter pour mettre les journalistes à l’abri des procédures judiciaires utilisées pour les faire taire, à voter pour garantir le pluralisme des courants de pensée, ainsi que la sûreté et la fiabilité des sources, ces nourritures de l’esprit. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Colombe Brossel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après l’examen de la proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d’enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d’affectation et de financement des établissements privés sous contrat, et avant celui de la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a une nouvelle fois inscrit, à son ordre du jour réservé, un texte qui résonnera fortement dans la société en raison de son objet : le renforcement de l’indépendance des médias et de la protection des journalistes. Notre groupe poursuit en cela les travaux menés par David Assouline, que je salue, lors des précédentes législatures.

À l’heure où de grands groupes utilisent des moyens économiques et financiers importants pour vampiriser le paysage médiatique et pour faire infuser leurs idées en irriguant les écrans et les ondes, y diffusant par exemple la présentation biaisée d’un sondage durant les récentes campagnes électorales, ou bien une séquence remettant en cause le droit fondamental que représente l’interruption volontaire de grossesse, les législateurs que nous sommes ont la responsabilité d’agir pour réguler ce qui est devenu un espace démocratique à préserver et à renforcer.

La loi Bloche du 14 novembre 2016 a permis de nombreuses avancées pour mieux protéger les journalistes et garantir davantage de pluralisme et de transparence dans les médias. Elle reste le dernier texte que nous avons adopté pour faire écho à ces préoccupations.

Mais, si les sujets soulevés par la présente proposition de loi résonnent aussi fort dans la société, c’est parce que celle-ci a changé. Certains médias sont apparus et d’autres n’existent plus… Surtout, les réseaux sociaux et les plateformes prennent une place toujours plus grande dans l’espace médiatique et la fabrique de l’information.

Un important travail mené sur l’initiative de la rapporteure, que je salue et remercie, notre collègue Sylvie Robert, a permis d’enrichir le texte initial. Cette proposition de loi est un texte utile, car il permet au Parlement de prendre la place qui doit être la sienne, au centre de ces enjeux, en tant que garant de la « liberté, du pluralisme et de l’indépendance des médias », conformément à l’article 34 de notre Constitution.

Permettez-moi de revenir sur ces enjeux et, tout d’abord, sur le renforcement de notre démocratie.

Dans un contexte de défiance toujours plus grand des citoyens envers les médias, alors que l’actualité foisonne, il est évident que la confiance ne peut reposer que sur une information de qualité et diversifiée. C’est pourquoi l’article 1er sanctuarise la jurisprudence du Conseil d’État du 13 février 2024 relative au pluralisme. La nouvelle rédaction de l’article proposée par la rapporteure va dans le bon sens et le groupe socialiste estime tout à fait cohérent d’inscrire cette jurisprudence dans la loi. C’est la raison pour laquelle nous nous opposerons à l’amendement de suppression de cet article.

Les assauts d’actionnaires avides d’exercer un pouvoir toujours plus étroit suscitent par ailleurs des interrogations sur le cadre d’exercice des journalistes. Au-delà des garanties professionnelles déjà existantes, la volonté d’un actionnaire pèse très lourd. Ainsi, la ligne éditoriale d’un média peut changer du tout au tout, d’un jour à l’autre.

Telle est la raison d’être de l’article 6, qui prévoit l’instauration d’un droit de validation du directeur de la rédaction par les rédactions. Bien que les points de vue varient sur ce sujet et que des questions se posent, notamment sur la nécessité de prendre en compte la taille des rédactions pour fixer les taux de validation requis, nous restons attachés à ce droit d’agrément. En effet, dans la mesure où il sous-tend un partage de la décision, il constitue un contrepoids nécessaire à la toute-puissance des actionnaires.

À ceux qui nous opposent que c’est un risque pour le secteur, nous répondons que ce droit de validation de la rédaction existe déjà dans certains grands médias et fonctionne bien, et qu’il témoigne surtout de la confiance entre journalistes, rédaction et actionnaires.

À ceux qui nous opposent l’existence de droits individuels, comme le droit de cession ou le droit de conscience, nous répondons en invoquant le droit collectif, la régulation et le bon fonctionnement des rédactions.

L’enjeu est ensuite la nécessité pour le secteur de la presse de répondre à une réalité économique. Je fais bien sûr référence à la problématique des droits voisins. Quoi de plus logique que de nous inscrire dans la tradition sénatoriale, à l’avant-garde sur ce sujet ?

Oui, il faut aller plus loin en matière de transparence des négociations. Et il faut permettre aux agences de presse, spécificité française au sein de l’Union européenne, de percevoir les droits qui leur reviennent, alors que les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon) les leur refusent au nom d’une définition de la publication de presse issue de la directive européenne de 2019, qui laisse planer un doute sur leur qualité de bénéficiaires. C’est peu dire que l’attente est forte au sein de l’écosystème – nous l’avons constaté au cours des auditions – afin de rééquilibrer les rapports et de mettre fin au combat entre le pot de fer et le pot de terre.

Enfin, en matière de protection des journalistes, l’enjeu est juridique.

L’article 5 renforce la protection du secret des sources des journalistes en l’étendant aux directeurs de publication et à tous les journalistes. Il modifie ainsi la loi sur la liberté de la presse de 1881. La contribution de la rapporteure pour avis prouve que plusieurs solutions sont envisageables pour avancer dans une seule et même direction.

Il y a quelques semaines étaient rendues les conclusions des États généraux de l’information en présence de l’ensemble des acteurs du secteur, professionnels des médias et de l’information, ainsi que des citoyens engagés dans cette démarche. La présente proposition de loi, déposée dès le mois de juillet dernier, anticipe de nombreuses propositions issues de ces états généraux, ce qui en confirme la pertinence.

Fake news, défiance populaire à l’égard de la presse et des médias audiovisuels, concentration économique, fragilisation du modèle économique, évolution des usages, développement des plateformes numériques, rôle et régulation de l’intelligence artificielle : tels sont les défis auxquels nous sommes confrontés en tant que citoyens et en tant que législateurs et auxquels les auteurs de ce texte se proposent d’apporter un début de réponse.

Je vous invite, mes chers collègues, à voter cette proposition de loi avec enthousiasme et gravité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)