Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous commémorions il y a deux jours la tragique attaque terroriste survenue le 7 octobre 2023 en Israël, qui a coûté la vie à près de 1 200 Israéliens et a entraîné la prise d’otage de près de 250 personnes par le Hamas, dont près d’une centaine sont encore détenues, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre.
Je tiens à adresser tout mon soutien aux victimes de ces attaques et à leurs familles, mais aussi au peuple israélien et aux Français de confession juive, qui ont été blessés dans leur chair par cet acte d’une cruauté innommable. Aucun combat pour la liberté et pour le droit à l’autodétermination ne peut justifier de tels crimes, et Israël était fondé à faire usage de son droit à la légitime défense, à condition de l’exercer de manière proportionnée et en limitant autant que possible les répercussions sur les civils, en vertu du droit international.
Pour autant, un an plus tard, force est de constater que cette proportionnalité n’est pas de mise : la situation au Proche-Orient est extrêmement préoccupante. La paix semble encore lointaine alors que près de 80 % du territoire de la bande de Gaza a été détruit, ce qui a causé le déplacement de 2 millions de Gazaouis, la mort de près de 42 000 d’entre eux et des centaines de milliers de blessés, le tout dans un contexte de délabrement généralisé des infrastructures de santé en raison des bombardements.
J’adresse mes pensées aux victimes civiles palestiniennes et à leurs familles, ainsi qu’aux humanitaires qui œuvrent avec acharnement sur place pour leur apporter de l’aide.
Le contexte s’est encore détérioré récemment à la suite des attaques de l’Iran et du Hezbollah libanais sur le territoire israélien, qui ont conduit Israël à répliquer par des bombardements au Liban, ce qui a entraîné, à ce jour, la mort de près de 2 000 personnes et le déplacement de près d’un million de Libanais.
La situation humanitaire est extrêmement dégradée et la région se trouve face à un risque d’embrasement généralisé qui affecterait injustement les États voisins qui ne sont pas partie au conflit. Je pense par exemple à la Jordanie – je préside le groupe d’amitié de notre assemblée avec ce pays –, qui a vu ses flux touristiques baisser de 40 % alors même que son PIB repose pour 60 % sur le tourisme.
On voit aujourd’hui planer la menace d’une guerre totale, impliquant l’Iran et son programme nucléaire, ce qui serait catastrophique pour les États du Proche-Orient, les civils, et l’économie régionale et mondiale. L’urgence est donc de parvenir à stopper l’escalade avant qu’une guerre totale ne devienne inexorable.
Dans ce cadre, l’Union européenne, en tant que deuxième puissance mondiale, doit jouer un rôle clé dans la fourniture d’aide humanitaire et être un moteur dans les négociations en vue d’obtenir la paix. Le Conseil européen sera donc amené à se positionner sur ce point à l’occasion de sa prochaine réunion.
Monsieur le ministre, j’ai appris qu’une aide de la France de 10 millions d’euros sera apportée au Liban et qu’ont également été fournis deux postes sanitaires mobiles, ainsi que 10 tonnes de matériel médical. De son côté, l’Union européenne a annoncé prévoir une aide supplémentaire de 30 millions d’euros.
Il s’agit d’une première étape et je vous en félicite, ainsi que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Celle-ci a également indiqué que l’Union européenne était prête à apporter un soutien supplémentaire en mobilisant tous les outils d’intervention disponibles, y compris en recourant au mécanisme de protection civile RescUE et à sa réserve. Pourriez-vous nous indiquer si la France compte soutenir une mobilisation de ce mécanisme au Conseil européen ? Le Liban a en effet désespérément besoin de soutien pour faire face à la submersion des hôpitaux et aux pénuries de médicaments.
En outre, selon des diplomates européens, les États-Unis auraient suggéré à Bruxelles de réactiver sa mission d’assistance au poste-frontière de Rafah, afin de surveiller le point de passage de l’aide humanitaire en provenance d’Égypte. Cette reprise de la mission d’assistance sera-t-elle abordée au prochain Conseil européen et vous paraît-elle d’actualité ?
Il va par ailleurs sans dire que la situation humanitaire à Gaza comme au Liban ne sera pas soutenable à long terme sans l’obtention d’un cessez-le-feu total et immédiat et la reprise du processus de paix entre Israël et la Palestine. Pourtant, j’ai cru comprendre que les États membres ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur des mesures tangibles visant à engager une désescalade comme sur une déclaration commune demandant l’arrêt des interventions militaires au Liban et à Gaza. Une pression diplomatique accrue et coordonnée est pourtant cruciale si nous souhaitons qu’il soit mis fin à cette spirale infernale de violence.
Monsieur le ministre, pensez-vous que cette situation puisse se débloquer à l’occasion du prochain Conseil européen ? Que compte faire le Gouvernement afin de parvenir à une position commune au sein de l’Union européenne ? Quelles sont les mesures envisagées concrètement pour parvenir à un cessez-le-feu ? Par exemple, la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël est-elle sérieusement envisagée par le Conseil européen ou cette méthode se heurte-t-elle au veto de certains États membres ?
Enfin, l’Union européenne a récemment lancé une nouvelle coalition internationale, notamment avec les pays du Golfe, visant à relancer le processus de paix par le biais d’une solution à deux États. Celle-ci s’est réunie le 26 septembre dernier en l’absence d’Israël, qui n’a pas répondu favorablement à l’invitation qui lui a été adressée. Si l’initiative me paraît opportune, je suis en revanche circonspect sur les capacités de l’Union européenne à peser dans le cadre de ces négociations, alors même qu’elle n’arrive déjà pas à se mettre d’accord sur une déclaration commune appelant à un cessez-le-feu au Liban…
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer quelles ont été les conclusions de cette réunion et quelles suites le Conseil européen compte y donner ? Des négociations sont-elles également engagées avec les États-Unis, qui ont un pouvoir d’influence certain sur le gouvernement israélien ?
Je reconnais que cela fait beaucoup de questions… (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur, je dois souligner que certaines informations me manquent pour vous répondre, notamment concernant l’une des réunions à laquelle vous avez fait référence. Je m’engage à vous les fournir dès que j’aurai des éléments plus précis à ce propos.
Vous l’avez rappelé, notre objectif est à la fois de mobiliser tous nos partenaires en vue d’un soutien à la population civile et d’une aide humanitaire, de la désescalade dans la région et de la reprise d’un processus de dialogue politique. Pour cela, la coordination et l’unité des Européens sont absolument nécessaires. C’est d’ailleurs le travail que mène la France et j’espère qu’il trouvera sa traduction dans les conclusions du Conseil européen et reprendra beaucoup des points que vous avez mentionnés.
La coordination est également nécessaire pour aider ceux qui souhaitent quitter la région, notamment certains de nos ressortissants européens qui sont actuellement au Liban.
Je tiens par ailleurs à souligner l’effort tout particulier que fournit la France en matière d’aide humanitaire. À l’occasion d’une autre question, j’ai mentionné le voyage au Liban du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, M. Jean-Noël Barrot, qui a permis de délivrer 12 tonnes d’aide humanitaire.
Le 24 octobre prochain, la France accueillera une conférence des donateurs réunissant tous les bailleurs pour continuer à soutenir le Liban. Cette action est évidemment au cœur de nos priorités et elle fera partie des initiatives que la France mettra en avant dans le cadre des négociations du Conseil européen.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Je tiens à vous féliciter à mon tour, monsieur le ministre, de votre accession à ces fonctions ministérielles.
Le Parlement européen vient de publier une vaste enquête d’opinion, réalisée auprès de plus de 26 000 citoyens issus des vingt-sept États membres. Il en ressort que les Français sont plus pessimistes que leurs voisins européens : ils sont les seuls pour qui la perception négative du Parlement l’emporte sur les avis positifs. Voilà qui ne manque pas de surprendre, alors que nombre de politiques communautaires nous ont protégés, notamment lors des crises récentes.
Depuis quatre mois, les équilibres ont évolué au sein de la délégation française, avec une extrême droite arrivée largement en tête. Cette poussée se retrouve d’ailleurs dans les scrutins nationaux d’autres États membres. Ainsi, récemment, en Autriche, le FPÖ s’est assuré la première place lors des élections parlementaires ; en Allemagne, elle s’est retrouvée pour la première fois victorieuse en Thuringe – c’est d’ailleurs la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale qu’un parti d’extrême droite remporte la victoire dans un Land.
Cela nous inquiète tout particulièrement. Nous sommes opposés à leurs positions sur la construction européenne et ses valeurs, à leur vision économique et géopolitique, notamment sur la guerre d’agression russe contre l’Ukraine, ou encore sur l’environnement.
Soulignons à ce propos que la Thuringe est le seul Land ayant atteint l’objectif européen de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, le parti arrivé en tête – il est d’ailleurs arrivé en deuxième position en Saxe – est celui qui rejette toute responsabilité de l’Allemagne dans le changement climatique. Le groupe RDPI souhaite que la dynamique européenne ne soit pas entravée.
Conservons et amplifions les nombreuses avancées enregistrées ces dernières années, qui sont aussi en faveur de notre souveraineté. Je pense à la taxe carbone aux frontières de l’Union européenne, à la redéfinition de la taxonomie européenne et à la relance du nucléaire, au Pacte vert, et au plan de relance européen dont un tiers a été fléché vers l’action climatique. La France a pu atteindre en 2023 une baisse record des émissions de CO2 – près de 6 % – ; cette baisse s’est poursuivie au premier semestre de cette année.
C’est aussi grâce à l’Union européenne et à l’action qu’y mène la France. Sur le fondement de ses conclusions du mois d’avril 2024 et conformément au programme stratégique 2024-2029, le prochain Conseil européen examinera dans le cadre de son ordre du jour les progrès accomplis dans le renforcement de la compétitivité de l’Union européenne.
Deux rapports, déjà cités, ont été remis : Bien plus qu’un marché d’Enrico Letta et L’Avenir de la compétitivité européenne de Mario Draghi, l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE).
Ce dernier prône des réformes sans précédent. Il évalue à 800 milliards d’euros par an le besoin d’investissement supplémentaire afin d’enrayer la « lente agonie » de l’Europe – les mots sont forts – face à la concurrence de la Chine et des États-Unis. À cette fin, les emprunts communs sont fortement conseillés pour répondre à nos ambitions communes, notamment en matière écologique. Monsieur le ministre, quelle sera la position de la France ? Est également soulignée la nécessité pour la survie des industries européennes de défense de passer à des commandes communes, avec des règles de préférence européenne.
Le rapport d’Enrico Letta, présenté au Conseil européen du mois d’avril dernier, préconise quant à lui d’accélérer l’intégration européenne dans la finance, les télécoms, l’énergie et la défense. Est notamment avancée la création d’un produit d’épargne de long terme ou d’une garantie publique européenne pour soutenir l’investissement dans la transition écologique.
Le Conseil européen tiendra également un débat approfondi sur la mise en œuvre de son approche globale en matière de migration, en mettant l’accent sur l’action extérieure, le renforcement du contrôle des frontières extérieures, l’augmentation et l’accélération des retours, ainsi que la lutte contre l’instrumentalisation, la traite des êtres humains et le trafic de migrants.
Monsieur le ministre, vous avez donné à ce sujet une interview dimanche dernier, en rappelant ceci : « Il n’y a pas de réponse au défi migratoire dans le repli national. » Nous en avons un exemple tout près de nous avec, trois ans après, la désillusion du Brexit : 53 % des Britanniques pensent que la situation a empiré ; seuls 10 % jugent que le pays a pu reprendre le contrôle de ses frontières. Face aux initiatives individuelles de certains États membres sur l’immigration, quel est le calendrier de mise en œuvre du pacte européen sur la migration et l’asile ?
D’autres enjeux d’importance majeure marqueront le prochain Conseil européen, à savoir la guerre d’agression russe en Ukraine et la situation dramatique au Proche-Orient depuis le 7 octobre 2023.
Sur la situation ukrainienne, nous avons évoqué avant l’été les nouvelles sanctions contre la Russie. Quelle possible intensification militaire est-elle envisagée ? À l’approche de l’hiver, des mesures urgentes seront également nécessaires afin d’accroître la sécurité énergétique de l’Ukraine et de répondre aux besoins immédiats de la population. En outre, le Conseil européen devrait réaffirmer son soutien à la formule de paix fondée sur la Charte des Nations unies et le droit international.
Au Moyen-Orient, l’Union européenne a toujours condamné avec la plus grande fermeté les attentats terroristes perpétrés par le Hamas en Israël, en reconnaissant aux Israéliens leur droit à se défendre, conformément au droit international. Ces attentats ont fait plus de 1 200 morts, en majorité des civils parmi lesquels se trouvent de nombreux Français. Un an après, le groupe RDPI s’associe à la douleur des familles endeuillées et à la volonté que tous les otages, notamment deux Français toujours retenus à Gaza, soient libérés au plus vite.
Une vaste campagne de bombardements et d’occupation de la bande de Gaza a suivi ce pogrom, de façon ininterrompue depuis lors. Elle aurait fait plus de 40 000 morts à ce jour et des centaines de milliers de civils ont été déplacés. Le conflit s’est étendu en Cisjordanie et au Liban, avec le Hezbollah.
Quels efforts diplomatiques pourraient être de nouveau entrepris par la France ? Alors que l’aide humanitaire aux Palestiniens de Gaza s’est largement intensifiée depuis un an, quels sont les moyens supplémentaires possibles en réponse à cette situation jugée catastrophique ?
En somme, nous avons éminemment besoin d’Europe, éminemment besoin de le rappeler et de l’expliquer pour qu’elle soit comprise.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Oui, madame la sénatrice, nous avons éminemment besoin d’Europe sur tous les sujets que vous avez mentionnés, que ce soit le processus de paix, la relance du dialogue au Moyen-Orient, le soutien à l’Ukraine, qui est fondamental à la fois pour notre sécurité et pour la défense de nos valeurs de démocratie et de liberté. C’est également le cas de la maîtrise de nos frontières extérieures pour laquelle, comme vous l’avez souligné, il ne peut y avoir de solutions que dans la solidarité et la coopération européennes.
Sur ce point, je tiens à souligner que la France soutiendra, comme le demandent plusieurs de ses partenaires, une mise en œuvre accélérée du pacte sur la migration et l’asile, s’il s’agit bien de l’appliquer dans sa globalité et de conserver l’équilibre qui est au cœur du texte adopté ces derniers mois.
Je vous remercie aussi d’avoir rappelé les engagements forts qu’a pris l’Union européenne sur la question de la décarbonation de notre continent. Vous avez mentionné quelques-uns des instruments qui permettent à l’UE de peser dans les équilibres globaux sur ces questions environnementales. Par exemple, imposer la taxe carbone aux frontières nous permet de ne pas nous faire imposer un moins-disant environnemental par nos partenaires. Nous veillerons évidemment à la mise en œuvre de ces mécanismes qui sont absolument nécessaires pour tenir les engagements climatiques de l’Union.
Enfin, je partage votre constat et les recommandations sur la mise en œuvre du rapport Draghi, la nécessité d’investir massivement, de lever les barrières réglementaires à l’innovation, à la productivité et à la compétitivité de notre continent.
Je profite d’ailleurs de votre interpellation sur ce sujet pour répondre à une question qui m’a été posée précédemment. Bien sûr, cela devra aussi inclure, comme le préconise Mario Draghi, une réflexion sur les règles concurrentielles de l’Union européenne, la question des aides d’État et la possibilité de faire émerger des champions industriels à l’échelon européen capables d’être compétitifs face aux grands partenaires, mais aussi concurrents, que sont la Chine et les États-Unis.
Mme la présidente. La parole est à M. Ahmed Laouedj. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Ahmed Laouedj. Monsieur le ministre, nous sommes à l’aube d’un nouveau chapitre, décisif pour l’avenir de l’Union européenne, qui pourrait déterminer si nous allons avancer ensemble vers un avenir prospère, ou si nous allons nous laisser entraîner par les courants du populisme qui menacent de nous diviser.
Les élections du 9 juin dernier ont été un révélateur, montrant que le projet européen, ce rêve d’unité et de coopération qui a été le nôtre pendant des décennies, est fragile.
Nous devons nous rappeler que c’est notre volonté de paix, de prospérité et de solidarité qui nous a guidés.
Nous devons nous rappeler que, malgré les obstacles et les difficultés, nous avons réussi à accomplir de grandes choses.
Nous avons réussi à créer un espace de liberté, de sécurité et de justice.
Nous avons réussi à construire un marché unique, qui est une source de prospérité pour nos concitoyens.
Nous avons réussi à établir des normes élevées de protection de l’environnement et des droits de l’homme.
Les électeurs européens, qui ont exprimé leurs inquiétudes dans les urnes, ont aussi des attentes fortes.
L’Union européenne est un levier d’actions essentiel pour apporter les solutions nécessaires. Nous devons poursuivre nos efforts et être à la hauteur des enjeux actuels.
Notre contexte commun est d’abord celui de l’immigration et de la question de l’intégration. À Bruxelles, les États devront rapidement présenter leur plan d’action du pacte européen sur la migration et l’asile.
La crise migratoire qui touche l’Europe depuis des années ne cesse de s’amplifier. Elle a créé de profondes divisions et tensions politiques au sein de l’Union européenne. Certains pays, comme l’Allemagne, ont choisi de fermer leurs frontières, tandis que d’autres ont adopté une attitude plus ouverte.
À cet égard, mes chers collègues, nous devons nous rappeler que le principe de libre circulation des personnes est un élément fondateur de la construction européenne. Pourtant, la généralisation des contrôles aux frontières contrevient sérieusement à ce principe. La décision de l’Allemagne risque d’ouvrir une dangereuse boîte de Pandore !
Face à la situation budgétaire tendue, nous craignons que les investissements se concentrent sur l’aspect sécuritaire, laissant l’accueil et l’intégration à la marge.
L’ordre du jour du prochain Conseil européen sera également marqué par la question de la guerre au Proche-Orient.
La situation au Liban et à Gaza constitue une crise humanitaire qui ne peut être ignorée. Des milliers de personnes ont perdu la vie, des milliers d’autres ont dû quitter leur foyer et des infrastructures essentielles ont été détruites.
Au Liban, le bilan de la guerre de 2006 a été dépassé en moins d’une semaine, alors que l’État d’Israël vient seulement de pénétrer la frontière. Trop de civils ont injustement péri à Gaza. Ne laissons pas cette tragédie se répéter à Beyrouth.
Les frappes contre le pays se sont intensifiées ces dernières heures, semant la peur et la désolation parmi la population. La France doit de nouveau exprimer son désaccord face à l’invasion du Sud-Liban. Sans buts de guerre explicites, cette incursion pourrait s’éterniser et se transformer en colonisation. Cette offensive sert simplement les intérêts du Premier ministre israélien, qui ne cache plus son intention de briser les Libanais.
Le 5 octobre dernier, le Président de la République Emmanuel Macron a dit qu’il était favorable à un arrêt des livraisons d’armes à Israël, en indiquant que la priorité devait être le retour à une solution politique. L’Union européenne doit s’aligner sur cette position de la France et prendre des mesures pour soutenir des initiatives diplomatiques efficaces. Cela pourrait inclure un embargo sur la livraison des armes à Israël.
Il s’agit non pas uniquement de mettre fin à un conflit, mais de construire une paix durable !
Dans la lignée de nos dernières conclusions, nous devons rappeler notre attachement à l’intégrité du territoire ukrainien. L’approbation du nouveau prêt de 35 milliards d’euros dans le cadre du programme international d’aide est une nécessité. Ce soutien est crucial pour les Ukrainiens.
Par ailleurs, nous devrons, avant l’hiver, nous prononcer en faveur d’un renforcement des infrastructures énergétiques ukrainiennes. L’attribution d’un nouveau programme en faveur du secteur énergétique est nécessaire.
Enfin, en matière de fiscalité européenne, le groupe RDSE est du côté des solutions ! Depuis toujours, nous proposons d’améliorer le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, d’actionner le levier sur le surplus des résultats d’exploitation des entreprises, de mettre en place un impôt minimum commun sur les multinationales. Une fiscalité européenne plus juste est nécessaire pour financer les investissements massifs dont l’Union européenne a besoin.
Monsieur le ministre, je vous souhaite bon vent dans vos nouvelles missions ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur, je vous remercie de vos bons vœux.
Vous avez à votre tour fait le constat de la fragilité de l’Union européenne. Ce constat, nous le partageons, qu’il s’agisse de la situation économique et géopolitique ou du rôle que l’Union européenne doit jouer pour répondre à ces défis.
Beaucoup des sujets que vous avez mentionnés ont déjà été abordés à l’occasion d’autres interventions. Je m’attarderai sur deux points.
Vous avez évoqué le rétablissement du contrôle aux frontières de l’Allemagne.
Je tiens à rappeler que ce rétablissement temporaire et proportionné du contrôle aux frontières est prévu par l’accord de Schengen. La France a d’ailleurs pris une décision similaire à l’époque des attentats terroristes de 2014 et 2015. Pour autant, une telle situation ne peut pas nous satisfaire durablement : elle appelle à prendre des mesures européennes collectives de maîtrise de nos frontières extérieures, via la mise en œuvre rapide du pacte européen sur la migration et l’asile, le renforcement de l’agence Frontex, les mécanismes de solidarité entre pays européens, et à apporter des réponses européennes à ces défis qui touchent tous nos partenaires et tous les pays de l’UE.
Monsieur le sénateur, je vous remercie également d’avoir mis en exergue la question du renforcement des infrastructures énergétiques de l’Ukraine, alors que nous savons qu’un hiver difficile se profile et que, une fois de plus, la Russie se livre à des frappes cyniques contre les infrastructures civiles de ce pays. Sachez que la France sera particulièrement attentive au renforcement de ces infrastructures comme au soutien à la défense antimissile ukrainienne, puisqu’il s’agit de l’une des priorités de ses livraisons d’armes depuis le 24 février 2022.
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonneau.
M. François Bonneau. Monsieur le ministre, le 9 septembre dernier, l’ancien président du Conseil italien et ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a dévoilé son rapport très attendu sur l’avenir de la compétitivité européenne.
Ce rapport met en avant trois axes pour relancer la croissance au sein de l’Union européenne : innover et combler le retard technologique ; avoir un plan commun pour la décarbonation et la compétitivité ; renforcer la sécurité et réduire les dépendances. Il pose un diagnostic sévère, mais juste, et indique quelles réformes structurelles il serait utile de mettre en place pour que l’Union européenne soit plus forte.
Un sujet m’intéresse tout particulièrement : on apprend dans ce rapport qu’entre juin 2022 et juin 2023, 78 % des dépenses européennes d’approvisionnement en matériel de défense ont été confiées à des fournisseurs non européens, dont 63 % aux États-Unis…
Le rapport est aussi force de solution, puisqu’il contient au total 170 propositions et prévoit une nouvelle stratégie industrielle, à la fois, pour mieux libérer le potentiel d’innovation au sein de l’Union européenne et pour investir en mutualisant les ressources. Mario Draghi estime que la mise en œuvre de ses propositions nécessiterait entre 750 milliards et 800 milliards d’euros d’investissements par an d’ici à 2030, soit environ 4,5 % du PIB européen.
Dans le domaine de la souveraineté stratégique, l’une de ces propositions consiste à mettre en place une véritable « politique économique étrangère » pour réduire nos dépendances stratégiques. Mario Draghi propose notamment de créer une « plateforme européenne des matières premières critiques », chargée d’agréger la demande pour les achats conjoints et de gérer des stocks stratégiques à l’échelon européen. Il s’agit bien ici de sécuriser les approvisionnements essentiels pour notre industrie. Cette proposition va dans le bon sens dans le contexte de crise stratégique que nous traversons.
En réceptionnant ce rapport, Ursula von der Leyen a affirmé : « Beaucoup d’éléments vont découler et ont déjà découlé dans les lignes directrices politiques et seront intégrés dans les lettres de mission [des futurs commissaires européens]. » Cela m’amène à aborder le sujet du renouvellement de la Commission européenne, plus particulièrement le cas de Thierry Breton.
Le Président de la République avait été clair dans les discussions avec Mme von der Leyen : il voulait pour la France un poste de vice-président de la Commission européenne, qui devait lui permettre de décliner ses priorités d’autonomie stratégique et de souveraineté économique. Au-delà du marché intérieur, de l’industrie et du numérique, dont Thierry Breton avait déjà la charge, le Président français militait pour que notre commissaire européen récupère également le portefeuille de la recherche et du commerce, voire de l’énergie.
Visiblement, les mauvaises relations entre Thierry Breton et la présidente von der Leyen ont conduit cette dernière à imposer un ultimatum à la France : soit Thierry Breton était maintenu dans ses fonctions sur son périmètre existant, soit la France proposait un nouveau commissaire en vue d’obtenir un portefeuille plus large, mais il devrait s’agir d’un commissaire plus docile. Nous avons vu quelle solution a été retenue, même s’il faut encore passer l’étape des auditions devant le Parlement européen…
Permettez-moi de m’interroger sur le poids de la France au sein de la future Commission européenne après un tel désaveu !
En conclusion, monsieur le ministre, je souhaite connaître le sort du projet de loi relatif à la résilience des activités d’importance vitale, à la protection des infrastructures critiques, à la cybersécurité et à la résilience opérationnelle numérique du secteur financier. Ce texte, fruit de la transposition de directives européennes, devait être examiné au mois de juin dernier par notre assemblée. La dissolution en a décidé autrement… Ce texte sera-t-il prochainement réinscrit à l’ordre du jour de nos travaux ?