M. Ronan Dantec. C’est le principe de l’assurance !

Mme Marie Lebec, ministre déléguée. Ce qui est en jeu, c’est non seulement la capacité du régime à retrouver un équilibre permettant d’assurer sa pérennité, mais aussi la capacité des assurés – ménages, entreprises et collectivités – à souscrire une offre d’assurance à un prix accessible.

La commission des finances du Sénat l’a d’ailleurs bien noté, en soulignant que cette proposition de loi « aggraverait la situation des sinistrés et remettrait en cause l’intégrité du régime CatNat ».

En troisième lieu, l’absence d’étude d’impact masque l’effet très incertain, malgré leur coût indéniable, de certaines propositions. Les sinistrés seront-ils réellement mieux indemnisés si cette proposition de loi est adoptée ? Nous en doutons.

Tout d’abord, les articles 1er quater et quinquies prévoient le financement par l’assurance des contre-expertises et l’obligation de recourir à un professionnel inscrit au tableau national des experts compétents en matière de retrait-gonflement des argiles (RGA). Ces mesures ne nous semblent pas opportunes. Pourront-elles d’ailleurs être mises œuvre ? Une difficulté tient à la disponibilité des experts compétents en matière de sécheresse.

Comme je l’ai indiqué précédemment, le Gouvernement travaille actuellement à préciser les obligations incombant aux experts désignés par les assureurs, le contenu du rapport d’expertise, ainsi que les modalités et les délais de l’élaboration de ce dernier. Par ailleurs, la profession d’expert d’assuré n’est à ce jour encadrée par aucun texte de loi et n’est soumise à aucune obligation en termes de compétence professionnelle. Des dérives sont ainsi, malheureusement, constatées.

Si les risques d’effets d’aubaine, aux frais du régime, et donc des assurés, sont évidents, la perspective d’une amélioration de l’indemnisation perçue par les sinistrés est, quant à elle, beaucoup plus incertaine.

Ensuite, la présomption simple de causalité prévue à l’article 2 pose un problème principiel et un problème de fond, qui pourraient in fine être préjudiciables aux sinistrés.

En effet, au-delà du principe fondamental du droit civil, défini par l’article 1353 du code civil, selon lequel « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver », faire porter sur l’assureur la charge de la preuve qu’un sinistre n’est pas la conséquence d’un phénomène de retrait-gonflement des argiles entraînera la réalisation d’études techniques complémentaires, qu’un simple constat permettrait souvent d’éviter. Cela allongera inutilement les délais d’indemnisation et augmentera la charge de gestion, laquelle sera répercutée sur les primes d’assurance.

Enfin, toujours en ce qui concerne ce même article, les experts soulignent, de manière unanime, que le caractère systématique de l’étude de sol géotechnique ne peut qu’entraîner des délais de gestion insoutenables, qui se répercuteront sur les délais de traitement et d’indemnisation des sinistres. Dans de nombreux cas, il n’est pas justifié de procéder à une telle étude : celle-ci vise à analyser le sous-sol, mais ne permet pas d’établir le lien de causalité avec le dommage constaté. Sa nécessité doit être appréciée en fonction des situations, selon les sinistres.

Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement ne soutient pas ce texte et partage les conclusions de votre commission, qui ne l’a pas adopté.

Je connais d’ailleurs, madame la rapporteure, votre implication sur ces questions, comme en témoigne la proposition de loi que vous avez déposée récemment.

Le Gouvernement se tient bien entendu à la disposition des parlementaires pour identifier, de manière concertée, des adaptations utiles, pragmatiques et finançables du régime CatNat, comme cela a déjà été le cas avec succès dans le passé, notamment lors de l’élaboration de la loi relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles, adoptée en 2021, qui avait été déposée sur l’initiative du député Stéphane Baudu.

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Christine Lavarde, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, certains ici s’étonneront sans doute de la présence de la ministre chargée des relations avec le Parlement au banc du Gouvernement pour l’examen de ce texte, mais c’est peut-être parce que le sujet que nous abordons est profondément interministériel : il concerne en effet à la fois le ministère de l’intérieur, pour la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, le ministère de l’économie, pour l’indemnisation et le fonctionnement du marché des assurances, ainsi que le ministère de la transition écologique, pour la prévention.

La problématique du retrait-gonflement de l’argile et, plus largement, des catastrophes naturelles dépend de ces trois acteurs. Lorsque l’on étudie le sujet, il convient donc d’envisager, sans les dissocier, les décisions qu’ils peuvent chacun prendre, car elles ont des incidences fortes sur l’équilibre du régime et sur sa soutenabilité à long terme.

Ce sujet n’est pas nouveau, nous en avons déjà largement discuté. Mme la ministre a rappelé la loi Baudu, qui a été promulguée à la fin de l’année 2021. Je ne peux pas ne pas souligner que celle-ci était une reprise, parfois imparfaite, de travaux antérieurs du Sénat, notamment de la proposition de loi issue de la mission d’information sénatoriale de 2019, dont Michel Vaspart était le président et Nicole Bonnefoy la rapporteure.

En 2021, nous avions collectivement considéré que la proposition de loi Baudu constituait un premier pas, parce qu’elle s’intéressait particulièrement à tout ce qui relevait de la compétence du ministère de l’intérieur, mais nous avions constaté qu’il serait nécessaire de revenir très rapidement sur la question du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, sous un angle financier.

Nous y voilà, trois ans et demi plus tard, durant lesquels peu a été fait. C’est sans doute ce qui explique que le groupe écologiste de l’Assemblée nationale ait déposé ce texte, qui a été adopté par l’Assemblée nationale. Ce ne sera pas une surprise, je suis défavorable à chacun de ses articles, pour des raisons très différentes.

Tout d’abord, une partie des articles sont satisfaits. En effet, le texte ayant été déposé à l’Assemblée nationale en février 2023, discuté en séance publique en avril de la même année, son examen a été concomitant de la préparation et de la publication de l’ordonnance du 8 février 2023, dont les textes d’application réglementaires n’ont été publiés que très récemment : l’un d’entre eux l’a été au mois de février et un autre, très important, au mois de mai.

Mme la ministre nous a indiqué que le décret sur les experts d’assurance devrait être publié dans les prochaines semaines, quand on nous l’annonçait dans les prochains jours lorsque nous menions nos travaux.

C’est parce que les mesures d’application ont tardé à être prises que les parlementaires se sont saisis de la question et tentent d’y apporter des réponses.

Ensuite, d’autres articles sont particulièrement inopportuns, notamment ceux qui constituent des demandes de rapports. En effet, les études publiées sur le sujet s’empilent déjà : le rapport Bonnefoy de 2019, les rapports sur la proposition de loi Baudu, les rapports de la Cour des comptes, ceux des missions d’inspection, deux rapports de la commission des finances du Sénat, un autre de la commission des finances de l’Assemblée nationale, sans oublier le dernier en date, le rapport Langreney. (M. Thierry Cozic proteste.) Les acteurs du secteur ont tous été auditionnés : nous connaissons tous la situation et savons ce qu’il faut faire pour assurer la soutenabilité du régime.

J’en viens maintenant aux problèmes de fond.

L’auteure de la proposition de loi a déclaré que mon opposition à ce texte était une question d’ego… J’en fais plutôt une affaire d’éco, c’est-à-dire d’économie. Je ne suis pas professeur d’économie, contrairement à elle, mais mes connaissances en la matière me font dire que nous ne pouvons pas adopter une telle proposition de loi si l’on est attentif aux finances publiques – Mme la ministre a rappelé le coût de cette proposition de loi –, aux risques très importants qu’elle ferait peser sur le fonctionnement du marché de l’assurance (Marques dironie sur les travées du groupe GEST.) et à l’équilibre de notre régime d’indemnisation des catastrophes naturelles.

Nous sommes tous ici attachés à ce dispositif, qui constitue une spécificité française et qui permet d’assurer une protection à chaque citoyen en tout point du territoire national, quelle que soit son exposition aux différents aléas naturels.

Certaines dispositions de cette proposition de loi sont pertinentes sur le fond ; elles sont d’ailleurs incluses dans la proposition de loi que j’ai déposée au nom de la commission des finances du Sénat, mais celle-ci couvre un périmètre plus large que le retrait-gonflement des argiles. En effet, en ce qui concerne les experts par exemple, les difficultés sont les mêmes qu’il s’agisse d’évaluer un préjudice consécutif à une inondation, à une subduction, à un écoulement de boue ou à un retrait-gonflement de l’argile. Il faut donc légiférer sur les catastrophes naturelles dans leur ensemble. Il importe notamment de renforcer significativement toutes les actions de prévention, et pas uniquement celles qui sont liées au retrait-gonflement des argiles.

Je vous tends la perche, madame la ministre !

Malgré la bonne volonté dont le Gouvernement assure faire preuve sur ce sujet, je crains une certaine latence. J’ai peur que les choses n’aillent encore trop lentement. Vous avez évoqué le rapport Langreney, madame la ministre, mais ses propositions ne sont pas orthogonales – vous pourrez aisément le constater – à celles qui figurent dans la proposition de loi transpartisane de la commission des finances du Sénat, qui est déjà cosignée par près de 160 parlementaires.

Nous vous proposons ainsi une réponse immédiate, susceptible d’être adoptée dès la reprise de nos travaux en octobre, alors que vous prévoyez d’intégrer les recommandations de la mission dans votre plan national d’adaptation au changement climatique, dont on ne connaît toujours pas la teneur. Il devrait être présenté après la période de réserve liée aux élections européennes. Ensuite, il faudra organiser des consultations, ce qui allongera encore les délais. Puis il vous faudra trouver un véhicule législatif pour agir.

Les dispositions nécessaires pour assurer la soutenabilité du régime CatNat à long terme ne relèvent pas uniquement du périmètre de la loi de finances. Ce support ne suffira donc pas. Il faut aussi modifier les codes de la construction ou de l’environnement.

Nous vous proposons donc un vecteur législatif spécifique, bien identifié, susceptible d’être adopté en octobre 2024. Nous espérons que le Gouvernement sera au rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, contre toute attente, cette proposition de loi risque d’aggraver la situation des sinistrés du retrait-gonflement de l’argile dans la mesure où elle remet en cause l’intégralité du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles.

Aujourd’hui, le constat est sans appel : alors que près de 50 % du territoire est exposé au risque de RGA et que plus de 10 millions de maisons individuelles sont concernées, les conditions d’indemnisation prévues par le régime CatNat sont à l’évidence non seulement datées, mais, qui plus est, insuffisantes.

Concrètement, la moitié des dossiers d’indemnisation déposés sont classés sans suite, un quart d’entre eux seulement donnent lieu à une indemnisation. De nombreuses communes touchées par la sécheresse se voient refuser l’éligibilité au régime CatNat, puisque 50 % seulement des demandes de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle sont acceptées.

Or, en raison de l’augmentation des températures et du réchauffement climatique, le coût des sinistres liés à la sécheresse pourrait dépasser les 40 milliards d’euros entre 2020 et 2050, soit quasiment trois fois plus qu’au cours des trente dernières années. D’après la Caisse centrale de réassurance, la sinistralité annuelle liée à la sécheresse pourrait même augmenter de 60 % à 190 % à l’horizon 2050.

Dans ce contexte, si la gravité de la situation fait largement consensus entre nos deux assemblées, un dissensus apparaît quant aux réponses à apporter, ce qui est particulièrement manifeste dans la proposition de loi adoptée par nos homologues députés.

Je tiens ici à saluer la qualité du récent rapport d’information sur le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles de Christine Lavarde, ainsi que celle de son rapport législatif sur la présente proposition de loi.

Certaines mesures de ce texte sont superfétatoires, dans la mesure où elles sont déjà satisfaites par le droit positif, tandis que d’autres sont inopportunes. En outre, cette proposition de loi pose un réel problème de financement : son coût s’élèverait à un milliard d’euros par an.

En tout état de cause, nous partageons les griefs exprimés par la rapporteure pour rejeter le texte.

Tout d’abord, celui-ci allongerait considérablement la durée de la procédure d’indemnisation et réduirait la couverture assurantielle sur le territoire. La présomption du lien de causalité entre les dommages constatés et le phénomène de RGA entraînerait une augmentation du délai des expertises, dans la mesure où la preuve négative est plus difficile à établir. La Caisse centrale de réassurance estime ainsi que le délai moyen des expertises passerait d’un à trois ans. Ces éléments sont susceptibles d’entamer la crédibilité des décideurs publics et d’aggraver la situation des sinistrés jusqu’à ce qu’elle devienne insoutenable !

Ensuite, l’obligation pour l’assureur de prendre en charge les frais de contre-expertise risque d’entraîner une forte augmentation des honoraires d’expertise et de provoquer un désengagement des assureurs du secteur des catastrophes naturelles.

L’obligation de choisir un expert inscrit sur une liste tenue par la juridiction administrative réduirait, de surcroît, le nombre d’experts spécialisés dans le risque de sécheresse.

Bien que la dérogation prévue par le texte soit louable, puisqu’elle permettrait à une victime de RGA d’utiliser, au choix, l’indemnité reçue pour réparer son logement ou pour en acquérir un nouveau, elle nous semble trop limitée. Il conviendrait plutôt de rétablir le principe de libre utilisation des indemnités d’assurance pour tous les sinistrés victimes de catastrophes naturelles.

Enfin, comme cela a déjà été rappelé, plusieurs dispositions relèvent du domaine réglementaire ou sont déjà satisfaites par le droit existant.

La labellisation des principaux acteurs intervenant en cas de RGA n’est pas de nature législative.

Des précisions sur la méthodologie de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle de sécheresse ont déjà été apportées dans une circulaire du ministère de l’intérieur le 27 avril dernier.

L’obligation de motiver de manière précise et détaillée les décisions de refus de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle est, elle aussi, déjà satisfaite par la loi.

Quant aux sept demandes de rapport, elles ne contribuent pas à la clarté et à l’intelligibilité de la loi, et ce d’autant moins que la plupart des sujets sur lesquels sont demandés des rapports sont déjà documentés dans de nombreux travaux.

Enfin, plus grave encore – j’insiste ! – est, à nos yeux, le coût de cette proposition de loi : tel est le principal angle mort de ce texte, qui n’offre pas de solution pérenne de financement garantissant la soutenabilité du régime CatNat sur le long terme.

Là encore, je partage la crainte de notre rapporteur. Un financement du régime CatNat par l’État, pour l’ensemble des catastrophes naturelles, n’est ni souhaitable ni acceptable, compte tenu de l’état délabré de nos finances publiques.

Aussi, pour l’ensemble de ces raisons, et dans l’attente que les recommandations du rapport d’information sur le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles soient converties en proposition de loi sénatoriale, les membres du groupe Union Centriste suivront la position adoptée par notre commission des finances sur l’initiative du rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Ghislaine Senée. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rejeter le texte qui est soumis au vote cet après-midi, c’est prolonger le calvaire des sinistrés.

Cela fait cinq ans qu’on promène les familles d’une proposition de loi à une autre, avant de les renvoyer à un décret, puis de nouveau à une proposition de loi, et, enfin, à une ordonnance et à des circulaires, sans toutefois apporter de solutions urgentes et concrètes aux drames qu’elles vivent.

Voilà ce que nous disent, dans une lettre ouverte, les associations de victimes. C’est aussi l’enjeu de nos échanges cet après-midi.

C’est la raison pour laquelle le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a souhaité inscrire à l’ordre du jour de sa niche la proposition de loi, défendue par Sandrine Rousseau, visant à mieux indemniser les dégâts sur les biens immobiliers causés par le retrait-gonflement de l’argile, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, le 6 avril 2023 – c’était il y a un an déjà.

Ce texte a été construit de manière transpartisane à l’Assemblée nationale. Il a été modifié et amélioré par des amendements déposés par les groupes Socialistes et apparentés et Les Républicains, mais aussi par la majorité présidentielle, avant d’être finalement adopté à la quasi-unanimité.

L’objectif politique de cette proposition de loi était de lever deux freins à l’indemnisation des victimes du retrait-gonflement de l’argile.

Premièrement, il s’agissait de modifier les critères d’éligibilité pour faciliter l’accès à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour l’ensemble des collectivités touchées par le phénomène. Cela représente 8 500 communes reconnues depuis 1989, sachant qu’une commune sur deux voit sa demande rejetée. La circulaire du 29 avril dernier assouplit les critères d’éligibilité. C’est là une amélioration salutaire, mais elle reste moins-disante par rapport à la proposition de loi soumise aujourd’hui à notre examen.

Le second frein levé concerne directement les victimes du retrait-gonflement de l’argile qui, dès l’obtention par la commune de l’arrêté de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, doivent effectuer un véritable parcours du combattant pour que leur société d’assurance les indemnise des dégâts qu’elles ont subis.

Dans bien des cas, l’assurance se défausse, malgré les primes et les surprimes payées, laissant les habitants seuls face à la fissuration et la dégradation de leur domicile.

En refusant de voter nos amendements de suppression, jugés inopportuns, la commission des finances a enterré le vote de cette proposition de loi. Elle a ainsi joué la montre.

Madame la ministre, madame la rapporteure, le contexte étant posé, permettez-moi de vous dire qu’il n’est pas acceptable de nous expliquer que cette proposition de loi est inopportune, car insoutenable financièrement à moyen terme par les assureurs et le régime CatNat.

Ce discours n’est pas recevable pour les propriétaires des 10,4 millions de maisons potentiellement concernées, d’autant moins que ces sinistrés, dont les assurances refusent de prendre en charge l’indemnisation, vont devoir payer le passage à 20 % de la surprime CatNat sur leur contrat d’assurance à compter du 1er janvier 2025. Franchement, c’est inacceptable !

C’est inéluctable : plus nous attendrons, plus les maisons se dégraderont, plus les coûts des travaux seront élevés et plus l’immobilisme et l’inaction coûteront cher à la puissance publique.

Telle est la réalité, madame la rapporteure ! Voilà dans quoi vous avez embarqué la majorité sénatoriale. Encore une fois, vous avez enterré une proposition de loi votée à la quasi-unanimité en première lecture à l’Assemblée nationale, au profit d’un nouveau texte dont le parcours législatif demeure très incertain.

Ce nouveau texte, plus généraliste, est centré sur le financement du régime, pas sur l’indemnisation des victimes du RGA.

Chers collègues, vouloir prévenir la catastrophe financière qui s’annonce est nécessaire ; d’ailleurs, je ne doute pas que nous saurons le faire. En revanche, prévenir la multiplication des phénomènes naturels liés au réchauffement climatique et à l’activité humaine, et leurs conséquences sur la vie de nos concitoyens, c’est une autre paire de manches.

Nous sommes face à un mur : cessons donc de le regarder ! Aujourd’hui, 54 % des maisons individuelles sont soumises au risque de RGA. Des solutions techniques existent : faisons fonctionner la solidarité nationale, amorçons les travaux, créons les filières, réhabilitons, rénovons et, par la même occasion, isolons ces logements dont nous avons besoin.

Ainsi, nous créerons un véritable appel d’air économique, tout en nous approchant des objectifs de décarbonation dans le secteur du bâtiment.

M. le président. Il faut conclure, chère collègue !

Mme Ghislaine Senée. Telle était la volonté de nos collègues de l’Assemblée nationale. C’est un terrible rendez-vous manqué pour le Sénat : nous le déplorons. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER, RDSE et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.

Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le nombre de sinistres causés par le retrait-gonflement de l’argile a explosé de 145 % entre les périodes 2006-2024 et 1989-2005. Ainsi, 10,5 millions de maisons individuelles, soit 54 %, sont menacées par ce phénomène climatique, et 3,1 millions d’entre elles se trouvent en zone d’exposition forte.

C’est dire à quel point cette nouvelle proposition de loi revêt un enjeu majeur. À cet égard, notre groupe regrette qu’elle ait été rejetée en commission des finances et que, opportunément, une proposition de loi de notre collègue rapporteure ait été déposée au Sénat la veille de la présente niche.

Cette démarche consistant à manier le calendrier parlementaire mine l’initiative législative des groupes minoritaires et rompt avec la conception de la démocratie sénatoriale. Nous le déplorons et le condamnons.

Mon département de la Dordogne est particulièrement en proie à ce phénomène, du fait des sols argileux, qui agissent comme une éponge, se rétractant en séchant et se gonflant en réaction à l’humidité. Sur la période précitée, les précipitations y ont été soutenues et les nappes phréatiques ont peiné à absorber le surplus.

Force est de constater que, comme ailleurs, ce sont les logements construits avant 1921 et après 1976 qui cumulent 69 % des risques les plus importants. Nous devons nous fixer un objectif de zéro aléa moyen ou fort sur les constructions neuves.

Les collectivités disposent de vingt-quatre mois pour demander à être reconnues comme éligibles au régime CatNat. Certaines communes espèrent toujours décrocher le sésame tant espéré : figurer sur l’arrêté ministériel portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Sauf que, chaque année, nombre d’entre elles en sont exclues.

Les élus locaux se trouvent dépourvus de solutions face à leur population. La procédure est longue et fastidieuse, et le délai de recours insuffisant : c’est pourquoi nous proposerons, par amendement, de le porter à quatre-vingt-dix jours, afin de laisser aux collectivités le temps de réaliser les contre-expertises nécessaires pour apporter des éléments nouveaux et fonder leur recours.

En Dordogne, 135 des 303 demandes formulées sont restées sur le carreau et n’ont pas été inscrites dans le dernier arrêté du 16 avril 2024. Les raisons sont bien connues : d’une part, les retraits-gonflements d’argile sont difficiles à faire reconnaître ; d’autre part, les modalités de relevé n’intègrent que le niveau d’humidité des sols superficiels.

Sur ces points, la proposition de loi apporte des solutions opportunes en instaurant une présomption de RGA à l’article 2, car ce n’est qu’en renversant la charge de la preuve que l’indemnisation des sinistrés pourra être améliorée. L’expert devra désormais démontrer que le dommage n’a pas comme cause déterminante le retrait-gonflement de l’argile.

À cet égard, et malgré le risque d’allongement à trois ans du délai moyen de l’expertise, lequel est probablement surestimé, le surcoût de 250 millions d’euros qu’a relevé la rapporteure est d’une certaine manière un moindre mal.

La commission a justifié le rejet du texte en invoquant le coût élevé des dispositifs qui y sont prévus. Il est à noter que, à pratiques inchangées, le coût du risque de RGA pourrait s’élever à 2,1 milliards d’euros par an dans les années à venir, contre 1 milliard d’euros entre 2017 et 2020. Il était même deux fois plus faible entre 1982 et 2017. C’est donc tout le modèle de financement du risque climatique qui doit être passé en revue.

Nous affirmons que les assureurs doivent prendre toute leur part à ce financement ; quant à la puissance publique, elle ne pourra s’exonérer de toute contribution. Le risque climatique doit progressivement faire partie des missions régaliennes d’un État moderne. Sans une protection accrue des populations, le risque est de créer des sans-droits et des sans-toits.

Le groupe CRCE-K soutiendra unanimement cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie le groupe GEST d’avoir inscrit à l’ordre du jour de nos travaux cette proposition de loi visant à mieux indemniser nos concitoyens frappés par le retrait-gonflement des sols argileux.

Ce phénomène commence par une fissure fendillant d’abord le crépi, puis s’étendant jusqu’à constituer une faille, puis une cassure irréparable. Il finit par remettre en cause les économies de toute une vie de travail. Gardons à l’esprit le drame social que cette situation représente.

Au travers de ce texte, il s’agit de protéger les biens des personnes et de combattre les inégalités.

Au 30 janvier 2024, après onze arrêtés parus au Journal officiel, 6 700 communes étaient éligibles au régime CatNat au titre des sécheresses subies en 2022 : il s’agit d’un record absolu.

Pour autant, bon nombre de communes ne sont pas prises en compte, ce qui provoque une vague de mécontentements tout à fait compréhensible.

Ainsi, dans le Lot-et-Garonne, 28 communes du secteur de Monflanquin demeurent exclues du périmètre du régime CatNat. Je peux témoigner, ici, du profond sentiment d’injustice des maires déboutés et de l’angoisse qui frappe 510 foyers de leurs communes.

S’il fallait encore convaincre certaines têtes dures de la véracité du réchauffement climatique, ce phénomène de dilatation et de rétractation des sols est une preuve très concrète des changements climatiques que nous subissons.

Les précipitations anormales que nous constatons depuis des mois ne doivent pas nous faire oublier les sécheresses inédites que nos territoires ont vécues ces dernières années et qui ont fragilisé tant de bâtis.

La Haute Assemblée avait ouvert la voie au début de l’année 2020 en adoptant à l’unanimité la proposition de loi de Nicole Bonnefoy. Que de temps perdu depuis !

Je veux bien entendre les réticences exprimées par les collègues sur ce texte et cosigner une nouvelle proposition de loi. Toutefois, chaque retard que nous prenons en ce domaine aggrave la situation de milliers de nos concitoyens.

De surcroît, la loi n’étant pas rétroactive, nous perdons un temps précieux pour traiter une avalanche de catastrophes naturelles qui n’a que faire de l’agenda parlementaire et de nos atermoiements.

Le dispositif examiné aujourd’hui n’est certes pas parfait, mais il contient des avancées non négligeables eu égard aux difficultés rencontrées par les habitants et les élus locaux.

Ainsi, le texte permet une prise en compte des mesures d’humidité des sols pour caractériser l’état de catastrophe naturelle. Il établit la présomption de RGA comme cause déterminante du dommage subi, jusqu’à preuve du contraire. Il prévoit que l’aggravation d’une fissure dans une construction est un préjudice indemnisable. Enfin, lorsqu’un logement est devenu inhabitable, le texte permet que l’indemnisation puisse servir à la construction d’un nouveau logement.

Mon analyse est simple : affichons une fois pour toutes une solidarité sans faille et sachons nous unir pour débloquer la situation actuelle !

Toutes les initiatives législatives sur ce dossier essentiel pour les Français sont bien sûr opportunes. Alors, qu’attendons-nous, mes chers collègues ? Votons un texte et avançons vers une nouvelle étape !

Nous autres, parlementaires des territoires, nous savons qu’il est urgent d’apporter des réponses concrètes aux citoyens concernés. Agissons en cohérence avec nos votes précédents.

Vous l’aurez compris, vous pouvez compter sur la détermination et le soutien du groupe du RDSE pour avancer, à tout moment, sur ce dossier national d’importance majeure. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, SER et CRCE-K.)