Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué les grandes lignes du bilan de l’application des lois. J’ai pu d’ores et déjà apporter des réponses dans mon intervention liminaire.

En ce qui concerne le taux général d’application des lois, le Gouvernement s’efforce d’accélérer ses efforts, afin d’atteindre un taux de 75 %, qui serait en phase avec celui de l’année passée. Ce taux ne nous amène pas à écarter le retard pris pour l’application de certaines lois, y compris anciennes ; mais, dans le détail, vous le savez, certaines mesures peuvent prendre plus de temps à être adoptées, pour toute une diversité de motifs. De fait, la nécessité de procéder à des concertations supplémentaires et la hausse du nombre de consultations rendues obligatoires avant la publication de la loi allongent le calendrier initialement prévu.

Par ailleurs, des difficultés imprévues peuvent également survenir dans l’application de certaines dispositions, lorsque la loi est renvoyée à des éléments techniques essentiels au niveau réglementaire.

Le Gouvernement s’attache toutefois à ce que les ministères respectent leurs engagements de publication. Je veillerai, lors de la prochaine réunion du comité, à ce que les lois en retard puissent faire l’objet d’un rattrapage rapide et effectif.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Depuis plus de cinquante ans, le bilan de l’application des lois constitue, au Sénat, un exercice annuel essentiel, car, une fois la loi adoptée, le législateur doit s’assurer qu’elle est applicable.

Je tiens à remercier notre collègue Sylvie Vermeillet de son rapport, qui s’inscrit dans la continuité du travail du législateur. Ce bilan, comme plusieurs orateurs l’ont souligné, fait état d’un taux d’application de 64 % des mesures attendues. Il s’agit d’un niveau pratiquement identique à celui de l’an dernier. Aucun progrès n’est donc constaté.

En moyenne, le Gouvernement a mis cinq mois et vingt-trois jours pour publier les mesures réglementaires après la promulgation d’une loi. Ce délai correspond à celui qui était observé lors de la session précédente, qui s’établissait à cinq mois et vingt jours.

Je souhaite aborder plus particulièrement la question de l’application des lois adoptées après engagement de la procédure accélérée, procédure imposée de façon massive par le Gouvernement, puisqu’elle a concerné vingt-six lois sur quarante-quatre. Paradoxalement, le délai moyen de publication des textes d’application n’est pas plus rapide : il s’établit à six mois et dix-sept jours, dépassant le délai de six mois prévu depuis 2008 et réaffirmé en 2022.

Ainsi, en moyenne, les lois examinées en procédure accélérée font l’objet de mesures d’application beaucoup plus tardivement que les lois examinées selon la procédure normale. Madame la ministre, pouvez-vous nous apporter des éclaircissements concernant cette contradiction ?

Une autre donnée du rapport montre une situation très insatisfaisante : seulement 50 % des mesures d’application des lois adoptées après engagement de la procédure accélérée ont été prises, contre 63 % lors de la session précédente. Là encore, madame la ministre, pouvez-vous nous donner des éléments qui expliquent cet écart ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué dans votre question le recours à la procédure accélérée, également mentionnée par Mme Sylvie Vermeillet dans son propos liminaire.

L’engagement plus fréquent de la procédure accélérée sur les projets de loi est en effet une réalité, mais c’est une évolution de long terme. Cette procédure, prévue à l’article 45 de la Constitution, permet de déroger aux délais prescrits par l’article 42 entre le dépôt ou la transmission d’un texte et son examen en séance par chaque assemblée. Elle permet également de convoquer une commission mixte paritaire dès la fin de la première lecture. Elle s’applique de droit aux lois de finances, aux lois de financement de la sécurité sociale. En revanche, elle est exclue pour les révisions constitutionnelles.

Depuis juin 2022, le Gouvernement a essentiellement recouru à la procédure accélérée pour pouvoir réunir une commission mixte paritaire dès la fin de la première lecture. Le Gouvernement veille à préserver des délais raisonnables entre le dépôt ou la transmission des textes et leur examen en séance. Ce point fait d’ailleurs l’objet de débats réguliers en conférence des présidents.

J’ajoute que l’engagement de la procédure accélérée répond aussi à une attente fréquente des parlementaires afin que certaines propositions de loi puissent être adoptées dans des délais maîtrisés. Ainsi, sur cinquante-sept lois d’initiative parlementaire promulguées depuis le début de la législature, trente-trois ont fait l’objet d’une procédure accélérée, soit près de 60 %. Au total, près de 80 % des lois promulguées ont fait l’objet d’une procédure accélérée, qu’il s’agisse d’un projet de loi ou d’une proposition de loi.

En ce qui concerne, enfin, les efforts engagés pour l’application des lois, le Gouvernement, je l’ai rappelé, ne distingue pas les textes ayant fait l’objet d’une procédure accélérée de ceux qui ont été adoptés selon la procédure normale. Dans un cas comme dans l’autre, l’exigence est la même de les voir appliquer dans des délais raisonnables.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Cadic. Madame la ministre, le groupe Union Centriste s’associe aux remerciements de l’ensemble de nos collègues pour la qualité du travail de Mme Sylvie Vermeillet, dont nous nous réjouissons.

J’ai deux questions concernant l’application de la loi du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (LPM).

D’abord, l’enveloppe de la LPM 2024-2030 prévoyait 4 milliards d’euros de besoins programmés pour le cyber, contre 1,6 milliard d’euros dans la LPM précédente. Allez-vous clarifier l’échelonnement annuel de cette enveloppe de 4 milliards d’euros avant l’examen du projet de loi de finances pour 2025 afin de nous permettre de mesurer l’impact des réductions budgétaires sur le volet cyberdéfense de la LPM ? Ces moyens seront-ils sanctuarisés du fait de la menace accrue des cyberattaques ?

Par ailleurs, la LPM a pour objectif d’atteindre 5 000 cybercombattants en 2025. Nous avons remarqué que sur un total de 4 600 postes en 2023, seuls 3 502 postes étaient comptabilisés comme « armés », ce qui représentait en 2023 un déficit de près de 1 100 emplois non pourvus. Ces postes seront-ils pourvus en 2024 ?

Ensuite, la recrudescence des incidents observés en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan depuis un an révèle la volonté de Pékin de s’approprier cet espace maritime international. Un amendement adopté dans le cadre de la LPM visait à rappeler que la France, seul pays européen présent dans l’Indo-Pacifique, devait contribuer à la défense du droit à la circulation maritime dans cette région, notamment dans le détroit de Taïwan. Peut-on évaluer la mise en œuvre de cette disposition et l’action de la marine française sur place ?

Jeudi dernier, Pékin a militairement encerclé Taïwan en guise de punition contre les propos du nouveau président Lai, au prétexte que celui-ci avait promis de défendre la démocratie de l’île. Les « séparatistes » de Taïwan finiront « dans le sang », a commenté le porte-parole de la diplomatie chinois.

La France dispose-t-elle d’un plan d’intervention maritime sur zone dans l’éventualité où la Chine ferait le blocus de Taïwan, violerait le statu quo et menacerait nos intérêts ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Cadic, la première partie de votre question concerne les enjeux financiers.

Vous l’avez souligné, le cyber est un axe fort et majeur de la LPM, qui est passé de 1,6 milliard d’euros sur sept ans dans la précédente loi à 4 milliards d’euros dans l’actuelle LPM. L’échelonnement de ces 4 milliards sera réparti sur sept ans, dans une logique de montée en puissance dès 2024. L’effort, il convient de le souligner, est dès à présent important puisque 330 millions d’euros ont déjà été consacrés au cyber, soit une hausse de 33 %. L’augmentation des crédits sera encore plus forte en 2025. Le projet de loi de finances vous apportera toutes les précisions nécessaires à cet égard.

En matière de ressources humaines, les effectifs cyber augmenteront de 20 % pendant la durée de la LPM. En 2024, la priorité en matière de recrutement est donnée aux segments qui permettent de faire face dès maintenant aux nouvelles menaces, à commencer par le cyber.

Vous évoquez également la présence française dans la zone indo-pacifique. Notre volonté est effectivement très claire : la France agit pour garantir la pleine liberté de la navigation. En mer de Chine méridionale, nous participons ainsi à la préservation de la liberté de navigation de tous. Des unités ont été déployées dans la région. Elles proviennent des forces de souveraineté présentes dans nos territoires d’outre-mer, mais également des moyens déployés depuis l’Hexagone. Je pense, par exemple, aux frégates multi-missions de la marine nationale ou aux missions de projection de l’armée de l’air.

Concernant le détroit de Taïwan, des bâtiments français le franchissent régulièrement. À titre d’exemple, la frégate de surveillance Prairial y est passée en avril 2023. L’action de la France dans la zone est prévisible et conforme au droit international. Ses franchissements sont menés de manière indépendante, sans implication d’un partenaire ou d’un allié.

Nous sommes donc pleinement investis dans la zone, conformément à l’esprit de l’amendement que vous avez déposé dans le cadre de la LPM. Nous continuerons à œuvrer dans cette voie.

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Mme Vermeillet l’a souligné dans son propos liminaire, parmi les lois les moins déclinées figure la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, appliquée à seulement 26 % quinze mois après sa promulgation…

Pourtant, ici même, la ministre Agnès Pannier-Runacher avait dramatisé l’enjeu en rappelant que les nouveaux EPR (European Pressurized Reactors, ou réacteurs pressurisés européens) attendus pour 2040 ne seraient pas en mesure de répondre à nos besoins d’électricité en 2030, et que nous aurions alors besoin de nous appuyer sur des éoliennes et des panneaux photovoltaïques en quantité.

Face à cette urgence, une forme d’« union sacrée » avait même émergé au Sénat pour répondre à cet appel, la mobilisation des territoires étant essentielle en l’espèce. Le rapport de Didier Mandelli avait donc peaufiné un ensemble équilibré de mesures – zones d’accélération et d’exclusion – et prévu un mécanisme de partage de la valeur, afin d’intéresser et de mobiliser les territoires, dans le respect de la préservation de la biodiversité, comme s’en souvient sans doute Sophie Primas.

Je souligne d’ailleurs qu’au Sénat cette loi a été votée à la fois par Les Républicains et par les écologistes ; c’est dire le caractère exceptionnel de cette union sacrée, même si je ne suis pas certain que nous puissions de nouveau parvenir à une telle entente lors des prochaines lois sur l’énergie…

Or, malgré l’urgence dont avait fait état Mme la ministre à l’époque, nous ne voyons malheureusement pas venir le décret d’application. Pourtant, après l’adoption du texte, des réunions de travail avaient été organisées pour discuter de la forme que prendrait ce décret ; un consensus avait même semblé se dessiner.

Madame la ministre, ma question est simple : pouvez-vous nous rassurer en nous garantissant que le décret sur le partage de la valeur sera publié très rapidement ?

Mme la présidente. Je vous confirme, mon cher collègue, que je me souviens très bien de cet épisode.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la loi du 10 mars 2023, notamment sur le partage territorial de la valeur des énergies renouvelables, dont l’un des objectifs est d’améliorer l’acceptabilité des projets d’énergie renouvelable et de mieux les ancrer dans la vie locale.

Le dispositif de partage de la valeur prévu par le projet de loi initial avait connu de profondes évolutions, notamment sous l’impulsion du Sénat. Je sais votre engagement de longue date, monsieur le sénateur, sur ces sujets et votre contribution à ce dispositif. Vous avez notamment souhaité qu’il permette de soutenir les plans d’action défendus par l’Office français de la biodiversité (OFB).

La loi promulguée prévoit une obligation de financement par les lauréats d’une mise en concurrence ou d’un appel d’offres en matière d’installation de production d’électricité d’origine renouvelable des projets favorables à la biodiversité et des projets portés par la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre d’implantation du projet en faveur des domaines limitativement énumérés dans la loi.

Les installations concernées ainsi que les modalités de financement des projets doivent être précisées par décret. Un premier projet de décret, élaboré en 2023, a fait l’objet d’un avis de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) en janvier 2024 et du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) en février 2024.

Le processus a néanmoins été suspendu afin de réexaminer certaines modalités, notamment la multitude des formes de financement envisagées initialement, avec l’éventualité d’un financement plus direct de certaines actions en faveur des collectivités ou de la biodiversité pour chercher à être plus efficaces.

Le budget du dispositif est également en cours de réexamen par rapport à la proposition initiale, qui était de fixer le montant des contributions à 17 500 euros par mégawatt installé. Compte tenu de l’impact de cette contribution sur le budget de l’État via les charges de service public de l’énergie et des efforts budgétaires engagés pour l’ensemble du ministère, les travaux d’élaboration du décret pourront donc reprendre dès que ces questions auront été tranchées.

Je précise enfin que le taux global d’application de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables est de 46 %, même si je partage le constat qu’il faut progresser sur ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour la réplique.

M. Ronan Dantec. Madame la ministre, votre réponse relativement précise ressemble à un enterrement de première classe…

Les COP (conférences des parties) régionales sont en train de prendre du retard. Mais quand le décret sur le partage de la valeur n’est pas publié, quand le fonds climat territorial, dont la mise en place était prévue dans le cadre du fonds vert pour le début de l’année 2024, n’est finalement annoncé que pour la fin de l’année, comment s’étonner que les territoires ne se mobilisent pas ?

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan de l’application des lois.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques
Discussion générale (suite)

Intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques

Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains et du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques (proposition n° 310, texte de la commission n° 616, rapport n° 615).

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques
Article 1er

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Madame la présidente, madame la rapporteure – chère Cécile Cukierman –, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd’hui, pour la deuxième fois, ce texte, qui vise à renforcer la puissance publique en précisant les conditions dans lesquelles elle peut avoir recours aux services de cabinets de conseil externes.

Ma position en la matière, vous le savez, est toujours restée constante et cohérente.

L’État doit-il pouvoir faire appel à des compétences dont il ne dispose pas en interne pour l’aider dans ses missions ? Oui.

L’État doit-il se renforcer, se réarmer, développer ses compétences, se doter d’un cadre renforcé sur le recours à ces prestations de conseil externes ? Je réponds également positivement à ces questions.

Cette recherche du cadre le plus efficace possible a guidé les travaux des deux assemblées, et je constate que, sur certaines dispositions, les échanges préalables et le travail de la commission ont permis, à mon sens, d’arriver à des points d’équilibre satisfaisants. J’y reviendrai.

La constance et la cohérence passent d’abord par l’engagement du Gouvernement à mettre en place un cadre renforcé sans attendre l’aboutissement du travail législatif.

Premièrement, la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 a fixé à la fois des modalités de contrôle interne et un cap de diminution des dépenses de recours à des cabinets de conseil externe. Et, alors que ce cap était une baisse de 15 %, les dépenses de recours à des prestations externes ont diminué de 35 % en 2022 et ont été divisées par trois en 2023.

Deuxièmement, ces résultats sont désormais plus transparents, car ils sont publiés annuellement dans le document budgétaire relatif au recours au conseil externe qui est soumis à la représentation nationale. Ce document permet d’assurer le suivi des dépenses dans la durée et de faire une revue ministère par ministère des commandes de prestations de conseil.

Troisièmement, dès ma nomination, j’ai mis en place un nouveau cadre, clair et ambitieux sur le recours aux prestations de conseil : c’est l’accord-cadre interministériel porté par la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), qui est entré en vigueur en janvier 2023 et qui, comme je l’ai déjà démontré, intègre très largement les recommandations de la commission d’enquête du Sénat.

Enfin, nous avons également renforcé les compétences internes de l’État, conformément, là aussi, aux recommandations formulées par le Sénat, en nous dotant d’une Agence de conseil interne, que j’ai inaugurée le 26 mars dernier. Si cette agence est pour le moment dotée d’un effectif de 53 agents, celui-ci sera porté à 75 agents d’ici à la fin de l’année. Elle est déjà très active : ses travaux ont ainsi contribué à améliorer le fonctionnement de nos services publics dans les secteurs de l’éducation, de la sécurité ou encore du médico-social. Je lui ai d’ailleurs confié la responsabilité de la réalisation de la cartographie des compétences internes de conseil et de leur renforcement dans chaque ministère.

Tous ces éléments démontrent la volonté sincère du Gouvernement d’avancer, dans un cadre efficace, proportionné et concret. De fait, je souhaite que nous ayons pour boussole de nos échanges la nécessité de l’effectivité et de la proportionnalité des dispositions que nous retiendrons.

Les travaux de la commission d’enquête comme ceux que les deux assemblées ont menés sur ce texte ont illustré ce que peuvent apporter des dispositions particulières encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans le secteur public, et je crois que nous pouvons le faire en respectant les principes de proportionnalité et d’égalité devant la loi. Lorsque je fais la synthèse des contributions du Sénat et de l’Assemblée nationale, je considère qu’il nous est possible d’aboutir à un texte qui réponde à ces objectifs partagés.

D’abord, je tiens à souligner les apports du travail réalisé en commission voilà quelques jours.

Je salue, madame la rapporteure, les propositions que vous avez portées sur certains points, qui permettent de trouver un équilibre du point de vue de la proportionnalité.

Ainsi, vous avez souhaité recentrer les déclarations à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) sur les profils d’encadrement et de supervision et restreindre le périmètre de la loi, pour ce qui concerne les prestations numériques et informatiques, aux prestations qui comportent une part avérée de conseil stratégique. C’est un bon équilibre qui a été trouvé.

Si je salue ces avancées, vous ne serez pas surpris, mesdames, messieurs les sénateurs, par la constance de mes positions sur un certain nombre d’autres sujets qui demeurent dans le texte depuis les débats que nous avons eus en première lecture. Sur chacun des sujets sur lesquels nos positions peuvent diverger, j’ai toujours veillé à formuler une proposition, car, souvent, nous visons la même finalité.

Vous retrouverez ces propositions dans les amendements du Gouvernement, très largement conformes à ceux que j’ai proposés en première lecture. Ils portent sur différents sujets : sur les enjeux liés aux mécanismes de contrôle de la HATVP, dont je propose l’intégration dans le droit commun, à savoir le droit pénal, plutôt que la création de sanctions administratives dédiées au secteur du conseil ; sur les questions des mobilités public-privé ; sur les obligations relatives aux conjoints ou aux activités bénévoles des consultants, la constitutionnalité des mesures proposées pouvant être interrogée ; sur la question des établissements publics industriels et commerciaux (Épic) soumis à la concurrence ; ou encore sur l’application rétroactive de la loi, avec, là encore, un enjeu de constitutionnalité des mesures que vous adopterez.

Je conclus en abordant la question de l’extension du dispositif aux collectivités territoriales. Je ne crois pas trahir la pensée collective en disant que le recours aux prestations de conseil peut concerner l’État comme les collectivités.

À l’issue du débat que nous avons eu en première lecture, le Sénat était arrivé à la conclusion qu’il fallait approfondir cette question, qui n’entrait pas dans le champ des travaux de la commission d’enquête sénatoriale. L’Assemblée nationale s’en est donc saisie, via une mission flash, formulant le souhait d’une transposition aux collectivités des mesures les moins contraignantes, adaptées en vertu d’un seuil de commande publique ou de population.

C’est le seuil de population qui a été retenu lors de l’examen à l’Assemblée nationale. Je comprends des travaux de votre commission que le cadre doit être plus spécifique. Cependant, trouver pour la représentation nationale la bonne modalité pour encadrer le recours aux prestations de conseil doit, à mon sens, faire partie des objectifs à atteindre d’ici à la lecture définitive et à l’adoption du texte.

Bref, nous avançons et je souhaite que les débats de cet après-midi nous permettent de continuer de progresser concrètement sur ce sujet important. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

J’en profite pour avoir une pensée pour notre ancienne collègue, Mme Éliane Assassi.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure de la commission des lois. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en octobre 2022, nous avons adopté, en première lecture, la proposition de loi déposée par nos collègues Éliane Assassi et Arnaud Bazin visant à traduire les préconisations faites en mars 2022 par la commission d’enquête sénatoriale sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, à la suite du recours massif par l’État à ces prestations au cours du précédent mandat présidentiel.

Monsieur le ministre, vous vous étiez alors engagé, dans l’hémicycle, à ce que la navette parlementaire poursuive rapidement son cours, avec le succès que nous connaissons… Nous ne pouvons que regretter que le Gouvernement n’ait jugé bon ni d’engager la procédure accélérée sur ce texte ni d’inscrire le texte sur une semaine du Gouvernement : cela en dit long sur son envie de le voir aboutir un jour…

Il aura fallu attendre plus d’un an pour que cette proposition de loi soit inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, sur la semaine dite « transpartisane ». L’Assemblée nationale l’a finalement adoptée le 1er février dernier, mais son vote s’est soldé par la réécriture de la plupart des dispositions de la proposition de loi, dans un sens souvent opposé au vote du Sénat.

Monsieur le ministre, vous avez insisté sur les progrès accomplis depuis la publication des travaux de la commission d’enquête du Sénat. Je crois que c’est sous l’influence des travaux de la Haute Assemblée et de la pression de l’actualité que de telles avancées ont pu avoir lieu. J’en conclus que le Sénat avait bel et bien vu juste lorsqu’il avait dénoncé « un phénomène tentaculaire », qu’il convenait non pas, certes, d’empêcher dans l’absolu, mais d’encadrer et de rendre plus transparent. Nous pouvons donc nous satisfaire que les préconisations sénatoriales aient eu un premier écho concret.

Toutefois, ces mesures, pour utiles qu’elles soient, ne sauraient remplacer la nécessité d’un cadre légal unifié, contrôlé et sanctionné, comme l’ont voulu les auteurs de la proposition de loi.

C’est dans cette optique que notre commission des lois a apporté un certain nombre de modifications au texte transmis par l’Assemblée nationale.

D’un côté, certains ajustements, dans une volonté de compromis propre à une deuxième lecture, ne modifient qu’à la marge le texte que l’Assemblée nationale nous a transmis. Neuf articles ont, en outre, été adoptés sans modification par la commission.

D’un autre côté, la commission a rétabli, sur un certain nombre de points, le texte adopté en première lecture au Sénat, l’Assemblée nationale ayant, souvent sur l’initiative du Gouvernement, revu à la baisse les ambitions de notre assemblée, notamment en matière de déontologie.

Sur le premier point, nous avons constaté avec satisfaction que l’Assemblée nationale a confirmé les objectifs du Sénat consistant à garantir la transparence dans le recours aux cabinets de conseil, notamment au travers des règles imposées par l’article 2, à rendre systématique la réalisation d’une évaluation de la prestation par l’administration bénéficiaire, conformément à l’article 6, et à mieux protéger les données de l’administration, les articles 17 et 18 nous ayant été transmis dans une rédaction qui nous convient.

Nous pouvons également nous féliciter que, malgré le souhait contraire du Gouvernement, l’Assemblée nationale ait maintenu, à l’article 3, la publication d’un rapport listant les prestations de conseil effectuées pour le compte de l’État et de ses établissements publics. Le maintien de ce rapport paraît d’autant plus nécessaire que le « jaune » budgétaire, créé par la loi de finances pour 2023, ne respecte pas pleinement les obligations légales, puisqu’il ne contient pas toutes les informations demandées par la loi de finances et que ces informations n’ont pas été publiées en format ouvert.

Par conséquent, la commission a rétabli en grande partie la rédaction initiale de l’article 3 – les députés avaient réduit le périmètre des informations demandées – et y a adjoint l’obligation de publication en format ouvert qui figurait initialement à l’article 4, dont nous avons maintenu la suppression.

En revanche, sur un nombre non négligeable de sujets, la rédaction de l’Assemblée nationale nous a semblé bien en deçà de l’ambition initiale de la proposition de loi et des enjeux sous-jacents.

Pour ce qui concerne le cadre déontologique que le texte vise à instaurer, la commission a veillé à la fois à ce que les obligations nouvellement créées soient proportionnées et à ce que les mécanismes de contrôle et de sanction soient adaptés et efficaces.

Dans ce double objectif, la commission a tout d’abord clarifié la nature des obligations déontologiques prévues et le champ des personnes physiques concernées.

Il faut saluer l’adoption par l’Assemblée nationale de l’obligation faite aux prestataires et aux consultants d’adresser à l’administration une déclaration exhaustive, exacte et sincère de leurs intérêts. Dans un souci de proportionnalité, la commission a notamment jugé opportun de recentrer, à l’article 10, l’obligation de déclaration d’intérêts sur les seuls consultants ayant des fonctions d’encadrement ou de supervision, pour en exempter les consultants ayant un profil « junior », qui n’ont qu’une mission d’exécution.

Par ailleurs, la commission a veillé à doter la HATVP des moyens adaptés à sa nouvelle mission de contrôle du respect, par les cabinets de conseil, de leurs obligations déontologiques.

En particulier, la suppression du pouvoir de contrôle sur place, décidée en séance publique par l’Assemblée nationale sur un amendement du Gouvernement, a semblé dommageable à la commission, qui l’a rétabli à l’article 12, afin de garantir l’efficacité et la crédibilité du dispositif de contrôle institué par la loi et mis en œuvre par la HATVP. Je sais, monsieur le ministre, que nous y reviendrons.

De plus, la commission a maintenu la position qu’elle avait exprimée en première lecture, à savoir que le recours à la sanction pénale n’est guère adapté aux manquements à des obligations déclaratives. C’est pourquoi elle a rétabli, à l’article 13, le régime de sanctions administratives adopté par le Sénat en première lecture ; nous en rediscuterons également, monsieur le ministre. Ces sanctions, pouvant prendre la forme d’amendes, seraient prononcées par la commission des sanctions, nouvel organe créé au sein de la HATVP, composé de trois magistrats.

J’en viens désormais à la question du périmètre du texte, qui, nous nous en souvenons tous, s’était déjà posée lors de la première lecture.

Dans l’objectif de trouver un compromis, nous avons accepté certaines des modifications, pourtant substantielles, apportées par l’Assemblée nationale.

Ainsi, à l’article 1er, nous avons maintenu certaines dérogations prévues par nos collègues députés, en particulier la fixation d’un seuil de 60 millions d’euros de dépenses annuelles de fonctionnement pour déterminer les établissements publics nationaux concernés par le texte.

En revanche, l’intégration des collectivités territoriales au périmètre du texte, opérée par l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement, ne nous a pas paru acceptable, tant pour des raisons d’opportunité que du fait d’un désaccord affirmé quant à la méthode employée. Rendez-vous compte, mes chers collègues : en presque deux ans, le Gouvernement a maintenu une position de principe, sans même prendre la peine de consulter les associations d’élus locaux, avant de proposer leur intégration au périmètre du texte… Heureusement, le Parlement l’a fait ! Nous y reviendrons plus en détail lors de l’examen des amendements, mais, ne souhaitant pas créer de suspense à ce sujet, je vous informe d’ores et déjà que la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement de rétablissement de l’article 1er bis déposé par le Gouvernement.

En l’état, la commission des lois vous invite à adopter le texte, qui rétablit les ambitions du Sénat tout en acceptant de nombreuses modifications apportées par l’Assemblée nationale. Cette deuxième lecture n’est pas vaine ; elle illustre l’intérêt de faire vivre le débat parlementaire.

Formulons cependant le vœu que nous n’ayons pas de nouveau à attendre un an et demi pour que la proposition de loi soit examinée à l’Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Arnaud Bazin applaudit également.)