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Service civique
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à renforcer le service civique, présentée par M. Patrick Kanner et plusieurs de ses collègues (proposition n° 600 [2022-2023], texte de la commission n° 497, rapport n° 496).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que notre nation est fragilisée par le poids des crises à répétition, le socle même de notre République, le lien social, est aujourd’hui mis à l’épreuve. C’est dans ce contexte tumultueux que je m’adresse à vous comme législateur, mais aussi comme défenseur d’une génération en quête de sens, de direction et surtout d’actions concrètes.
La jeunesse française, animée par un désir d’engagement, pleine d’idéaux et de causes à défendre, se heurte pourtant à un mur de frustrations en raison d’un manque de possibilités et de moyens, ainsi que d’une confiance en l’avenir érodée. Devant cette réalité, des questions demeurent. Comment allons-nous répondre à l’appel de nos jeunes ? Sommes-nous prêts à transformer leur aspiration en une force motrice pour notre République ?
La réponse – j’en suis convaincu, mes chers collègues – réside en partie dans le renforcement du service civique. Avec plus de 780 000 jeunes accompagnés depuis sa création, le succès du dispositif ne fait plus aucun doute.
Une telle réussite n’est pas le fruit du hasard. Elle résulte, certes, du nombre d’engagés, mais aussi, et surtout, des valeurs et compétences que le service civique promeut : la solidarité, la conscience collective, la diversité des expériences sociales ainsi que le développement d’aptitudes favorisant l’insertion professionnelle. Ces aspects, qui sont au cœur de son action, en font un pilier essentiel dans le tissu socio-éducatif de notre pays.
Au fil des ans, le service civique s’est révélé être un vecteur d’orientation pour les jeunes, leur offrant souvent les clés pour affiner leur projet de vie professionnelle. Il a été négligé depuis 2017 au profit d’un dispositif inspiré de la culture militaire (Mme la ministre déléguée s’esclaffe.), par ailleurs tout à fait respectable. Pour notre part, nous préférons vous proposer un dispositif citoyen, ancré dans l’éducation populaire. Laissons derrière nous la nostalgie pour redynamiser ce dispositif éprouvé et transpartisan. Il est essentiel de se souvenir que l’engagement doit résulter d’un choix personnel. Celui-ci ne doit pas être imposé par le Gouvernement ; il doit émerger spontanément, comme le fruit d’une décision individuelle.
Dans le contexte actuel de tensions, exacerbées par une jeunesse désorientée parfois jusqu’à l’extrême, comme l’ont cruellement illustré les émeutes de juillet dernier, il devient essentiel de revitaliser le service civique.
Dès 2022, notre collègue Stéphane Piednoir avait qualifié le service civique d’« école de l’engagement citoyen à davantage valoriser ». (M. Stéphane Piednoir acquiesce.) Animé par cette conviction, j’ai conçu une proposition de loi ambitieuse, articulée autour de cinq axes stratégiques, visant à augmenter considérablement l’attractivité et l’impact de ce dispositif. Mon objectif, qui est aussi celui du groupe socialiste, est clair : transformer positivement l’accès, la visibilité et la valeur de cet engagement dans la vie de nos jeunes.
Premièrement, en élargissant l’accès au service civique jusqu’à 30 ans, nous ouvrons grand les portes de l’engagement. Cependant, étant conscient des questionnements autour d’une telle démarche, je salue la proposition pragmatique de Mme la rapporteure Sylvie Robert, qui limite cet élargissement à 27 ans, comme un premier pas mesuré et prometteur. Mais la recherche permanente du compromis m’amènera à vous proposer que l’élargissement puisse être expérimenté pour une période de trois ans.
Deuxièmement, diversifier les structures d’accueil en y incluant les institutions de la République, c’est offrir une pluralité d’engagements possibles, garantissant ainsi à chaque jeune de trouver une mission qui lui ressemble. Si la présente proposition de loi prospère, le Sénat, l’Assemblée nationale et le Conseil économique, social et environnemental (Cese) pourront recevoir des jeunes en service civique.
Troisièmement, lutter contre l’invisibilité du service civique m’a amené à ériger sa promotion en mission nationale au sein de nos structures éducatives. Intégrer la possibilité d’effectuer un service civique au cœur du parcours académique, grâce à une année de césure assortie de la promesse d’un retour garanti en formation, marque un pas significatif vers une incorporation harmonieuse de ce dispositif dans nos trajectoires éducatives.
Quatrièmement, revaloriser l’indemnité du service civique, qui reste largement en dessous du seuil de pauvreté, constitue une mesure de bon sens et un signal fort de notre engagement envers la jeunesse. Rappelons-nous que les 18-25 ans sont les plus exposés à la précarité. L’indemnité actuelle de 620 euros, avec 505 euros à la charge de l’État et 115 euros à la charge de l’organisme d’accueil, constitue un frein majeur pour de nombreux jeunes issus de milieux défavorisés. Une revalorisation de cette indemnité est impérative, afin de permettre à toutes les personnes désireuses de s’engager de le faire sans craindre pour leur subsistance financière. Cette problématique étant délaissée par l’exécutif pour des raisons comptables – je n’y reviens pas, cela a déjà été évoqué –, il nous incombe, à nous parlementaires, de prendre nos responsabilités pour permettre à toute cette génération de s’engager dignement.
Cinquièmement, valoriser cet engagement dans les parcours académiques et professionnels, comme Parcoursup ou encore les concours de la fonction publique, c’est donner de la valeur à l’engagement et envoyer un message clair : la République reconnaît, valorise et récompense le service qu’ont rendu de jeunes citoyens.
Mes chers collègues, ce que vous propose le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, ce n’est pas seulement une réforme, c’est un appel à l’action, un appel à donner à notre jeunesse les moyens de s’engager !
Je suis conscient que, malgré cette initiative législative, de nombreux défis restent à relever. Des interrogations subsistent, y compris au sein de mon camp politique au sens large.
Originellement imaginé comme un engagement accessible à tous, sans exigence de compétences spécifiques, le service civique se trouve désormais à la croisée des chemins. Les pratiques condamnables telles que l’emploi déguisé ou la sélection sur compétences menacent son intégrité et son objectif d’inclusion, favorisant ainsi une certaine forme d’élitisme au détriment de la diversité sociale.
Pour prévenir de telles dérives, il est vital, madame la ministre, d’accentuer à l’avenir les contrôles opérés par l’Agence du service civique, ainsi que par l’inspection de travail. De plus, un renforcement du soutien aux structures d’accueil et aux tuteurs, via une formation adéquate, un accompagnement continu et une augmentation des ressources financières et humaines à leur disposition est nécessaire pour assurer un encadrement de qualité pour les volontaires, dans le respect des principes fondateurs du service civique.
En outre, aujourd’hui, l’objectif de mixité sociale se heurte à une réalité d’exclusion économique. À défaut d’une hausse de l’indemnité – pour être clair, je préfère qu’un jeune de 25 ans demande à effectuer une mission de service civique plutôt qu’à percevoir le revenu de solidarité active (RSA) –, que le Gouvernement et la majorité sénatoriale voient manifestement d’un mauvais œil, des mesures complémentaires telles que la prise en charge des frais de transport ou l’attribution d’un logement étudiant pourraient être envisagées pour éliminer les barrières matérielles à l’engagement.
Seule une détermination continue à améliorer et à élargir le service civique fera de ce dispositif un véritable instrument d’émancipation et d’intégration sociale pour tous les jeunes, quelles que soient leur origine ou leur situation économique. Le service civique est une politique publique vertueuse.
Mes chers collègues, l’heure est venue d’agir avec courage et conviction. Faisons du service civique la pierre angulaire d’une République bienveillante et empathique, une République qui écoute, qui inspire et qui valorise de jeunes citoyens. Unissons-nous pour transformer le service civique en un pilier de notre cohésion nationale, un catalyseur pour une génération prête à affronter positivement les défis si lourds de notre époque. C’est bien ensemble que nous bâtirons une France plus forte, plus unie et infiniment plus inclusive, en faisant confiance aux jeunes générations ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Sylvie Robert, rapporteure de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une « école de l’engagement citoyen à davantage valoriser » : telle est la description du service civique faite de manière consensuelle par la mission d’information visant à renforcer la culture citoyenne de nos collègues Henri Cabanel et Stéphane Piednoir.
Depuis la création du service civique, le nombre de volontaires n’a cessé de progresser. Après une phase d’expansion entre 2010 et 2017, le nombre annuel de missions se stabilise désormais autour de 80 000 par an.
Au-delà de ces chiffres, le service civique a su trouver sa place en tant que politique publique en faveur à la fois de la jeunesse et de l’engagement. Il a su convaincre également au sein de la classe politique, je tiens à le signaler : le service civique, issu d’une proposition de loi sénatoriale, traverse les courants politiques. Il a été mis en place sous la présidence de Nicolas Sarkozy, est monté en puissance sous celle de François Hollande et a été officiellement intégré au sein du dispositif « 1 jeune, 1 solution » par Emmanuel Macron.
Chaque année, ce sont des jeunes aux parcours très différents en termes d’âge, de diplôme, de situation ou d’origine qui deviennent volontaires. Cette variété des profils témoigne de la capacité du dispositif à remplir sa mission d’accueil de la jeunesse dans sa diversité pour constituer un moment de mixité sociale et d’engagement au service des autres.
La proposition de loi de M. Kanner et du groupe socialiste vise à renforcer le service civique. Je salue cette initiative, qui va permettre au Sénat de souligner, de manière transpartisane – j’en suis convaincue –, l’utilité du dispositif, dans un contexte budgétaire qui s’annonce en revanche compliqué pour l’Agence du service civique : l’annulation de 100 millions d’euros de crédits est en effet évoquée…
Au-delà de ces perspectives budgétaires inquiétantes, de multiples obstacles subsistent, auxquels cette proposition de loi souhaite répondre.
Tout d’abord, cette forme d’engagement est encore trop souvent méconnue des jeunes.
Au cours de ses travaux, la commission de la culture a sécurisé le mécanisme de césure pour les jeunes en prévoyant dans la loi le droit de réintégrer la formation dans laquelle ils étaient inscrits avant leur mission. En effet, le service civique intervient le plus souvent lors des études supérieures, l’âge moyen des volontaires étant de 21 ans.
En revanche, elle a supprimé l’obligation d’intégrer cet engagement parmi les critères devant être pris en compte dans l’examen des candidatures dans les filières sélectives. Cela, vous l’imaginez, risquait de créer une rupture d’égalité.
Autre obstacle identifié, l’indemnité, dont le montant constitue parfois un frein pour le jeune en situation précaire. Un premier effort a été fait voilà quelques mois pour porter l’indemnité à 620 euros, soit un montant supérieur au RSA. En accord avec l’auteur du texte, qui souhaite une augmentation supplémentaire de celle-ci, j’ai proposé à la commission de l’aligner sur la rémunération touchée par un jeune de 18 ans en première année d’alternance. Nous aurons, je l’imagine, l’occasion d’en débattre en séance.
La commission est en revanche revenue sur l’allocation de fin de contrat. Elle estime que celle-ci fait doublon avec les droits acquis au titre du compte d’engagement citoyen (CEC) dont bénéficie tout volontaire effectuant une mission de six mois minimum. Afin de tenir compte de la spécificité du service civique et des volontaires, qui sont très souvent des étudiants ou des jeunes en reprise d’études, nous avons étendu au paiement des frais d’inscription en formation initiale les droits acquis dans le CEC au titre du service civique.
Autre point important, le texte ouvre la voie à une aide financière renforcée pour la structure d’accueil en fonction du diplôme, de l’origine ou encore d’une situation de handicap du volontaire accueilli. C’est une forme d’encouragement des structures à choisir des jeunes au profil plus atypique.
C’est également dans cette optique que le texte initial prévoyait de porter à 30 ans l’âge plafond pour effectuer un service civique. Cette disposition a fait débat lors de nos travaux en commission.
Pour maintenir l’équilibre fragile entre politique en faveur de l’engagement et outil d’insertion professionnelle, j’ai proposé à la commission de porter l’âge limite à 27 ans, soit deux ans de plus que l’âge actuel. Je suis certaine que le débat se poursuivra tout à l’heure lors de l’examen des articles !
Les auteurs du texte souhaitent également renforcer la formation des jeunes volontaires. La commission a inséré une disposition afin que ces formations soient réalisées par un organisme accrédité spécifiquement pour cela. Elle a aussi porté à trois le nombre de jours de formation obligatoire.
Le texte ouvre également la voie à tous les organismes agréés pour faire de l’intermédiation. Cette possibilité, qui permet à une structure de porter juridiquement le service civique et de mettre à disposition le volontaire au profit d’une autre structure, souvent plus petite, est actuellement réservée aux associations.
Avec ce texte, une intercommunalité pourra par exemple prendre en charge un service civique au profit des communes ou des associations de son territoire. Cette mesure est de nature à faciliter le développement du service civique auprès de petites structures et dans les territoires ruraux.
Le texte vise ensuite à mieux valoriser le service civique. Au nom du principe d’égal accès aux emplois publics, la commission a substitué à la prise en compte d’un service civique dans les épreuves d’admissibilité des concours externes une possibilité pour les statuts particuliers de permettre aux anciens volontaires de bénéficier d’une dérogation aux conditions de diplôme ou de titre pour s’inscrire à ces concours. Pour le troisième concours, elle a remplacé la création d’une voie spécifique pour les anciens volontaires par une prise en compte de la durée du service civique dans le calcul de la durée d’expérience professionnelle exigée.
Le service civique est ainsi pris en compte de la même manière que les contrats d’apprentissage ou de professionnalisation.
Enfin, nous avons inclus la durée du service civique dans les périodes pouvant être prises en compte dans le cadre d’une procédure de validation des acquis de l’expérience.
Chers collègues, depuis sa création en 2010, le service civique a su montrer toute sa pertinence et se forger une place à part entière auprès des jeunes. Quinze ans après sa création, et alors que notre jeunesse a soif d’engagement, ce texte représente, une nouvelle fois sur l’initiative du Sénat, une étape supplémentaire dans le développement du service civique.
Je conclus en disant que, dans notre contexte, parfois qualifié de morose, ce texte est un signal de confiance envoyé à la jeunesse, mais aussi la promesse de faire de la place des jeunes une priorité dans notre société ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est pour moi un vrai plaisir de pouvoir échanger avec vous aujourd’hui non seulement sur le service civique, mais aussi, plus largement, sur la société de l’engagement que nous construisons pour notre jeunesse et avec elle.
L’engagement peut prendre plusieurs formes. Pour ma part, je mets un point d’honneur à accompagner chaque jeune vers l’engagement qu’il souhaite, sans lui imposer, tant s’en faut, une forme ou un autre. Service civique, bénévolat, jeune sapeur-pompier, service national universel, réserve opérationnelle, démocratie collégienne et lycéenne ou encore scoutisme : toutes ces formes d’engagement méritent d’être accompagnées et reconnues, toutes méritent d’être proposées à notre jeunesse. À chacun de trouver ensuite celle avec laquelle il se sent le mieux, celle avec laquelle il va grandir, celle avec laquelle il va, en un sens, construire un bout de son avenir et de son chemin.
Vous avez raison, monsieur Kanner : c’est bien dans une société de l’engagement que l’on crée du lien, que l’on bâtit une société plus forte, une société qui nous fait confiance et qui nous donne confiance en l’avenir. Plus que jamais peut-être, alors que la société est confrontée à plus de difficultés et que les violences croissent, ce qui permet de faire face, c’est une confiance plus forte en l’avenir, en soi, en sa propre génération. Cela passe par l’engagement.
Ce qui est certain, c’est que le service civique évolue. Et c’est un succès. Voilà déjà quatorze ans qu’il existe. Plus de 775 000 jeunes en ont bénéficié. C’est un souvenir ancré dans nos territoires. Une génération entière peut rejoindre le dispositif : de 16 ans à 30 ans pour les personnes en situation de handicap. Le projet a vocation à continuer à évoluer.
Beaucoup trop de nos collectivités n’accueillent pas encore des jeunes en service civique, même si l’on note une augmentation qu’il faut, me semble-t-il, saluer. Aujourd’hui, des intercommunalités prennent en charge des missions d’agrément pour des communes. Des communes s’engagent à offrir une telle possibilité aux plus jeunes. En effet, quelles sont les structures les plus proches dans nos territoires ruraux ? L’école et la mairie. Et fondamentalement, l’école et la mairie permettent un engagement de proximité, offrant ainsi une chance aux jeunes ruraux.
Au-delà, nous devons aussi accompagner l’ensemble des aspirations de notre jeunesse. Le service civique, c’est un engagement auprès des anciens, par exemple dans les Ehpad, au sein d’associations sportives ou encore à l’échelon européen, avec le service civique européen.
L’une des priorités pour les jeunes aujourd’hui, c’est la question écologique. Voilà deux jours, avec le ministre Christophe Béchu, nous avons lancé le service civique écologique pour plus de 50 000 jeunes. Ces derniers ont vocation à être accueillis et accompagnés.
Le service civique, c’est aussi un service civique d’urgence. Cela figure dans la proposition de loi, même s’il faut peut-être affiner la rédaction. Il s’agit de permettre à des jeunes, comme cela a été le cas pendant le covid-19, d’interrompre leur mission pour répondre à une urgence sociale ou écologique, pour venir en aide à un village après une inondation ou pour accompagner les personnes les plus vulnérables en cas de canicule.
Faisons confiance au service civique, en continuant d’adapter le dispositif aux aspirations et aux réalités de notre jeunesse.
Bien entendu, je ne suis pas naïve. Au contraire : je crois tellement en ce projet que je vous rejoins sur la nécessité de lever les freins, l’un après l’autre. Et il y en a, même si la situation s’améliore. Il y a plus de jeunes qui s’engagent dans les territoires ruraux, 21 %, et c’est une chance ; il faut continuer dans cette voie. Il y a une stabilité du nombre de jeunes qui s’engagent dans les quartiers prioritaires, et c’est essentiel. Il y a plus de jeunes en situation de handicap, parce que nous les avons formés et parce que l’Agence du service civique s’engage au quotidien.
Le dispositif n’est pas encore suffisamment connu aujourd’hui, même si nous avons mené avec l’Agence du service civique une campagne grand public, avec des affiches à proximité des lycées et des universités, dans les abribus, mais aussi des messages à la télévision ou sur les réseaux sociaux, c’est-à-dire là où sont les jeunes.
D’autres difficultés persistent. Je pense par exemple au logement ou aux transports.
Le logement est un frein très important. Certains jeunes sont malheureusement empêchés d’aller dans des métropoles pour des raisons de coût. Face à cela, nous avons apporté des réponses complémentaires. Le service civique Jeunes et nature permet à un jeune de s’engager sur un territoire qui ne serait pas le sien. Des associations nouent des partenariats avec les foyers de jeunes travailleurs ou des maisons des adolescents ayant des logements. Des élus locaux mettent à disposition des logements communaux pour accueillir en colocation des jeunes en service civique.
Aujourd’hui, le service civique, c’est une multiplicité de réponses, notamment territoriales. C’est surtout, je crois, une communauté d’actions qu’il faut continuer à accompagner. Car oui, ce magnifique dispositif est un succès pour les jeunes et pour la France !
Certes, il reste – c’est vrai – un certain nombre de défis à relever.
L’un d’eux réside, je le crois, dans la reconnaissance de ces magnifiques parcours, que notre société a vocation à mieux accompagner et faire connaître. C’est la raison pour laquelle les travaux de la Haute Assemblée aujourd’hui sont, me semble-t-il, importants ; il faut mettre en lumière cette remarquable génération.
L’an dernier, 150 000 jeunes ont fait un service civique, un record, c’est la preuve que le dispositif fonctionne. Cette année – nous ne sommes qu’au début du mois d’avril –, plus de 90 000 jeunes ont déjà commencé leur mission de service civique. Signe de l’ancrage de ce superbe projet, neuf jeunes sur dix aujourd’hui sont satisfaits de l’aventure. Mieux, plus de 60 % des jeunes ayant effectué un service civique s’engagent ensuite bénévolement dans une association ou rejoignent un conseil municipal des jeunes. C’est dire que le service civique permet quelque chose de fondamental : la société regarde les jeunes avec confiance et ceux-ci ont envie de rendre cette confiance.
Au-delà de l’engagement, notion qui, je le crois, nous réunit tous, le service civique renforce la cohésion nationale et la mixité sociale. Il offre surtout une formidable occasion de vivre un parcours citoyen.
Madame la rapporteure, cette proposition de loi, que vous avez améliorée en commission, comporte un certain nombre de mesures positives. Si j’ai quelques réserves sur plusieurs dispositions, je tiens à saluer la qualité de votre travail.
Mes réserves portent d’abord sur tout ce qui pourrait créer une zone de flou entre service civique et projet d’insertion professionnelle. Le service civique, c’est une mission d’engagement. C’est la raison pour laquelle je suis, monsieur le président Kanner, extrêmement vigilante à la substitution à l’emploi. Nous avons augmenté le nombre d’agents chargés de contrôler les missions et doté l’Agence du service civique d’un outil informatique permettant de détecter les missions qui cibleraient toujours les mêmes profils, en fonction par exemple du diplôme : si, pour certaines missions, il était systématiquement fait appel aux détenteurs d’un BTS (brevet de technicien supérieur) de management commercial opérationnel (MCO), il y aurait de quoi s’étonner ! Ces contrôles sont essentiels. Je serai intransigeante, car la confusion que je viens d’évoquer est contraire à l’esprit même du service civique et met de fait en danger ce magnifique projet.
Par ailleurs, la rédaction des dispositions relatives au service civique d’urgence – sur le fond, nous sommes d’accord – devra peut-être évoluer au cours de la navette parlementaire.
Nous sommes également interrogatifs sur l’obligation pour les services académiques d’accompagner une démarche d’insertion professionnelle – là encore, cela rapproche trop le service civique d’un projet d’insertion – ou sur l’utilisation du compte d’engagement citoyen pour une formation éligible au financement du compte personnel de formation (CPF). En effet, les droits acquis par un engagement de service civique peuvent permettre, par exemple, de payer une partie du permis de conduire ; nous tenons à laisser aux jeunes la liberté d’utiliser leur CEC comme ils le souhaitent et nous ne souhaitons pas le flécher sur la formation professionnelle.
Je pense qu’il y aura des débats sur l’extension de l’âge. Aujourd’hui, l’âge moyen des volontaires est de 21 ans. Mon objectif est d’en accueillir de plus jeunes. Il est possible d’effectuer un service civique dès 16 ans ; bien entendu, il faut que cela puisse mieux s’articuler avec leur parcours scolaire et universitaire. Aller jusqu’à 27 ans, cela soulève un certain nombre de questions, pour des raisons, là aussi, de proximité avec l’insertion professionnelle.
Toutefois, et sans préjuger de la nature des débats, je salue une nouvelle fois la qualité de votre travail, madame la rapporteure, et celle des échanges qui se sont tenus en commission.
Comme vous tous, je crois à la vertu de ce splendide engagement. Laissons à notre jeunesse la liberté de choisir la forme qu’il prendra et les missions à exercer. Si nous lui faisons confiance, faisons-lui confiance jusqu’au bout ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Annie Le Houerou et Nicole Bonnefoy applaudissent également.)
Mme Mathilde Ollivier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quatre mois après l’examen de notre proposition de loi pour une allocation universelle d’études, je me réjouis de voir, une nouvelle fois, le sujet de la jeunesse au cœur de nos débats.
En même temps, je dois bien vous l’avouer, je suis relativement perplexe face à ce texte.
Oui, le service civique est un marqueur fort des politiques de jeunesse. Alliant la solidarité et l’intérêt général, il s’inscrit dans une volonté d’ouverture et de découverte du monde associatif. Il représente, pour beaucoup de volontaires, un premier pas dans le monde du travail, ainsi que de nouvelles perspectives pour des jeunes en décrochage scolaire ou rencontrant des difficultés pour déterminer leur projet de vie.
Chez les écologistes, nous sommes bien clairs : nous sommes pour le service civique ! Mais c’est bien parce que nous sommes pour ce dispositif que nous refusons de fermer les yeux et de faire comme si les contours étaient parfaits et que la seule chose à faire soit de l’élargir.
Élargir un tel dispositif sans l’encadrer, c’est prendre le risque de le dénaturer et, surtout, de précariser les premiers concernés, c’est-à-dire les jeunes.
En effet, nous pensons que la montée en puissance du dispositif sur cette dernière décennie ne doit pas nous conduire à une course en avant des chiffres, à vouloir toujours plus de personnes engagées, sans se préoccuper de leur situation, de leur indemnisation et de leur insertion dans le monde du travail.
Mes chers collègues, il est de notre responsabilité de repérer, de comprendre et, surtout, de répondre aux limites du service civique.
Le texte comporte plusieurs mesures qui nous préoccupent : l’élévation de l’âge limite à 30 ans, puis à 27 ans après le passage en commission ; l’élargissement du périmètre à d’autres secteurs comme les assemblées parlementaires, les juridictions administratives et financières ; le retour en arrière en commission sur le niveau d’augmentation de l’indemnité, qui, finalement, n’est pas à la hauteur des attentes.
Ces élargissements, sans renforcer les garde-fous face au risque d’emploi dissimulé, ne sont pas souhaitables. Dans ce cas, le risque est de voir se développer un service civique à deux vitesses, selon la perspective esquissée par l’étude du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), avec, d’un côté, les jeunes les plus diplômés qui s’engageraient après une période d’activité par goût de l’intérêt général et, de l’autre, les jeunes moins diplômés qui feraient un service civique après une période de chômage pour trouver une opportunité professionnelle et une source de revenus. Comment pourrait-il en être autrement lorsque l’indemnité est actuellement fixée à 619 euros, même pas la moitié d’un Smic ?
Comme indiqué clairement dans le rapport de la commission, le cœur du sujet est le niveau de l’indemnisation. Je vois déjà des sénateurs de la majorité de droite vouloir revenir sur cette idée d’augmentation. J’alerte fortement au sujet de ce positionnement. On peut débattre pendant des heures et des heures au sujet de la jeunesse, mais si l’on ne prend pas conscience de la précarité des jeunes en service civique et de leurs difficultés dans la vie, alors on n’avancera pas et on n’améliorera pas la situation ! J’espère que vous appliquerez également au service national universel (SNU), qui coûte 2 000 euros par mois et par jeune, la rigueur budgétaire dont vous faites votre mantra.
Nous avons l’occasion de proposer un autre chemin à la jeunesse. Renforçons le service civique existant et améliorons le dispositif, en augmentant nettement l’indemnité, en nous assurant du respect des missions, en encadrant le temps horaire des volontaires et en proposant dix jours de formation.
Nous le savons, les réponses apportées par le Gouvernement ne répondent pas au quotidien des jeunes. Madame la ministre, avec le SNU, vous proposez de mettre la jeunesse au pas.