M. Loïc Hervé. Mais qui a été condamné pour cela ?
M. Thomas Dossus. … le Parlement s’honorerait de jouer un rôle de garde-fou face aux dérives du Gouvernement. Il ne saurait en aucun cas lui servir de marchepied.
Monsieur le rapporteur, je ne suis pas d’accord avec vous quant au caractère proportionné de ce dispositif.
M. Loïc Hervé. C’est pourtant la réalité !
M. Thomas Dossus. J’en viens à un point dur du compromis sur les données : l’article 10 bis A.
Le Sénat avait voté un article efficace, permettant de s’assurer que les fournisseurs de services cloud hébergeant des données sensibles prennent toutes les mesures nécessaires pour empêcher tout accès ou toute ingérence d’acteurs tiers. L’article cité comportait ainsi des dispositions relatives au capital de ces sociétés.
Désormais, nombre de points sont renvoyés à un décret, comme les critères de sécurité et de protection, la détention du capital des sociétés hébergeant les données ou encore les éventuelles dérogations qui pourront être accordées. Le compromis demeure toutefois conforme à l’esprit de la rédaction sénatoriale.
Les objets numériques monétisables ont été un autre sujet de débat.
Schématiquement, deux visions s’affrontaient en la matière. Le Sénat plaidait pour un statu quo inspiré de la régulation des casinos afin de ne pas créer un nouveau Far West dérégulé, à mi-chemin entre le jeu vidéo et le jeu d’argent. À l’inverse, l’Assemblée nationale défendait une vision plus proche de celle des entreprises du secteur, au premier rang desquelles Sorare, qui souhaitent ouvrir de nouveaux marchés pour de nouveaux business.
À l’issue de la CMP, les Jonum feront bien l’objet d’une autorisation temporaire. Une des seules barrières qui leur sont fixées est de ne pas accorder de gains en euros. En revanche, elles pourront verser des gains en cryptomonnaies. Étant donné la rédaction initiale de ces dispositions, mieux vaut s’en tenir à ce compromis.
Il faut tout de même saluer les avancées du présent texte : les peines de bannissement des réseaux sociaux par le juge sont une bonne chose face aux harceleurs en ligne ; la régulation d’une industrie pornographique aux pratiques quasi criminelles fait quelques progrès – je pense notamment au droit à l’oubli –, même s’il faudra, en parallèle, doter la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos) des moyens dont elle a besoin ; quant à la lutte contre les deepfakes réalisés par l’intelligence artificielle et portant sérieusement atteinte à la dignité des personnes, elle doit aussi être saluée, de même que les mesures d’encadrement des pratiques commerciales de l’économie du cloud.
Mes chers collègues, en résumé, ce texte reste assez peu satisfaisant. Il nous inquiète par certains aspects, mais offre aussi une régulation bienvenue dans certains secteurs. C’est pourquoi nous nous abstiendrons.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le numérique façonne notre quotidien et redessine notre économie avec une influence croissante : il est impératif que notre législation embrasse cette réalité.
Le texte que nous examinons aujourd’hui témoigne de la volonté de l’Union européenne d’appréhender cet univers complexe et dynamique. Pourtant, derrière cette louable intention, se profilent des défis considérables.
Les contours flous de la technologie et les pressions géopolitiques internationales constituent des écueils à la mise en œuvre de réglementations efficaces. Actuellement, nos règlements ne sont que des balises dans un océan de changements ; car, au-delà des questions économiques, se profile un enjeu démocratique d’ampleur.
Les technologies numériques ont le pouvoir de façonner nos sociétés, nos valeurs et nos libertés. Loin d’être neutres, elles sont chargées d’intentions : celles des personnes qui les développent.
Les démocraties doivent évidemment se prémunir contre les influences exercées par tel ou tel pays autoritaire. Mais les influences étrangères ne sont pas le fait des seuls États : l’industrie du numérique est dominée par une poignée de firmes américaines concentrant des capitalisations boursières démesurées et nourrissant des ambitions politiques mondiales. Ces entreprises s’arrogent à cette fin certaines prérogatives étatiques, en toute impunité.
En effet, le capitalisme s’empare du numérique. Il transforme la vie privée en outil de marketing, tandis que les géants du secteur dictent les règles du jeu, laissant l’utilisateur seul face à une surveillance algorithmique oppressante.
Entre l’internaute et les grandes firmes, la relation est terriblement déséquilibrée. Ces dernières se livrent à un chantage au consentement sans équivoque : internet étant devenu indispensable pour échanger, trouver du travail ou encore s’informer, l’internaute n’a d’autre choix que d’offrir ses données, lesquelles sont revendues et exploitées à ses dépens.
Cette réalité ne peut être appréhendée que dans toute sa complexité. En ce sens, les débats économiques doivent céder la place à une réflexion plus vaste, prenant en compte les enjeux démocratiques, sociaux et géopolitiques de l’ère numérique.
Cela étant, la trajectoire actuelle de l’intelligence artificielle semble principalement guidée par des considérations financières : en témoigne l’annonce faite par Emmanuel Macron lors du dernier salon VivaTech à Paris.
Le Président de la République a promis, à cette occasion, 500 millions d’euros supplémentaires pour le développement de l’intelligence artificielle en France. Cette approche privilégie clairement l’investissement, en le plaçant avant la régulation. Elle révèle la volonté de favoriser une innovation sans entraves. Pourtant, derrière cette quête d’excellence technologique, se dessinent des jeux de pouvoir bien plus vastes.
Cette course effrénée vers le progrès technologique est fortement influencée par les enjeux géopolitiques entre les nations. La domination américaine et la concurrence croissante de la Chine modèlent les politiques nationales en matière d’intelligence artificielle. Cette compétition impitoyable pousse les États à tout mettre en œuvre pour rattraper leur retard, parfois au détriment de considérations politiques et sociétales plus larges.
Mes chers collègues, au cœur de cette frénésie technologique, une question essentielle émerge : quel est le prix à payer pour ce progrès ? Devons-nous sacrifier nos principes démocratiques et nos valeurs fondamentales sur l’autel des compétitions économiques et géopolitiques ?
Cette interrogation ne se limite pas au « comment » ou au « quand ». Il s’agit surtout du « qui » : qui impose sa vision ? Qui conçoit les termes du débat et quels intérêts sous-tendent les avancées technologiques ?
Il est temps de transcender les considérations purement économiques pour aborder ces questions avec la sensibilité qu’elles méritent. Notre vision de l’avenir numérique ne peut se limiter à une course effrénée vers l’innovation : elle doit être guidée par des valeurs plus profondes, en harmonie avec nos aspirations collectives et nos principes démocratiques fondamentaux.
L’éthique et l’égalité doivent être les deux mots d’ordre guidant la nouvelle réglementation et le développement de ce nouvel espace numérique aussi concurrentiel que discriminant.
Avec mes collègues du groupe CRCE – Kanaky, nous nous abstiendrons. Ce texte souffre d’un certain nombre de lacunes. Il témoigne certes d’une prise de conscience nécessaire. Mais, pour naviguer avec succès dans ces eaux numériques tumultueuses, nous devons nous interroger, nous approprier les enjeux et surtout nous écouter mutuellement ; car c’est ensemble, dans un dialogue ouvert et constructif, que nous pourrons garantir une régulation juste et efficace, respectueuse des droits et des intérêts des citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la société française est confrontée au défi majeur de la transition numérique, qui bouleverse continuellement et en profondeur nos rapports, nos modes de vie, nos économies et nos industries.
Cette transition constitue non seulement une force transformative, qui permet de nouvelles avancées et ouvre la voie à une compétitivité accrue, mais aussi un défi, car elle fait courir des risques aux individus et aux entreprises évoluant dans cet environnement numérique en constante mutation.
C’est dans ce contexte que nous examinons le présent projet de loi, qui affiche l’ambition d’établir la confiance nécessaire à la réussite de cette transition.
Si nous nous réjouissons que la commission mixte paritaire soit parvenue à un accord, les sénateurs du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) regrettent de ne pas pouvoir participer aux réunions des commissions mixtes paritaires depuis le renouvellement sénatorial de septembre 2023, même en tant que membres suppléants. Le fait que notre groupe soit petit par le nombre ne devrait pas avoir pour conséquence notre mise au ban de la procédure législative. (Mme Nathalie Delattre opine.)
Nous déplorons aussi que les délais d’examen soient encore une fois trop contraints : ils ne permettent pas de travailler dans de bonnes conditions.
Cependant, ce projet de loi comporte des avancées notables : il vise l’objectif louable de rendre illégal en ligne ce qui l’est dans le monde physique et de rétablir une forme d’équité commerciale dans l’économie numérique.
En ce sens, l’encadrement de la facturation des transferts de données effectués par les fournisseurs de services d’informatique en nuage est une mesure juste qui doit contribuer à déconcentrer l’économie de la donnée.
Néanmoins, nous regrettons que certaines de nos propositions aient été écartées, tant en première lecture qu’en commission mixte paritaire.
Je pense notamment aux amendements de Nathalie Delattre, qui tendaient à créer un cadre légal pour protéger les lanceurs d’alerte numérique ou hackers éthiques, ce qui aurait constitué une reconnaissance de leur utilité et de leur rôle dans notre société. Sentinelles du web, ils permettent aux sites mal protégés de réduire leur vulnérabilité face à aux internautes mal intentionnés.
J’avais également suggéré de créer une nouvelle infraction réprimant la consultation, sans motif légitime, d’un site rendant disponibles des données piratées tout en sachant que celles-ci ont été volées.
Au centre hospitalier d’Armentières, on a encore récemment pu constater à quel point les conséquences des cyberattaques sont dramatiques : elles déstabilisent profondément, et parfois de manière durable, le fonctionnement des établissements ; elles entraînent aussi un ralentissement de la prise en charge des patients en plus de constituer une grave violation du droit à la vie privée.
Ces données dispersées dans la nature pourront être vendues à des tiers et sont la manne des usurpateurs d’identité. Dès lors, je regrette que notre proposition n’ait pas été retenue.
Je salue néanmoins l’introduction par nos collègues députés d’une disposition allant dans le sens d’un renforcement des contraintes de sécurisation des données de santé. Celle-ci rend obligatoire le recours à une solution de services d’informatique en nuage certifiée par le référentiel SecNumCloud de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) pour l’hébergement des données de santé.
Le Sénat avait cherché à assurer davantage la protection des populations les plus vulnérables en renforçant les mesures de bannissement sur les réseaux sociaux.
Ce texte offre des outils pour améliorer la sécurité des citoyens face aux campagnes de désinformation et de déstabilisation et protéger les utilisateurs contre les attaques de cybermalveillance au quotidien.
Il vise aussi l’objectif d’un rééquilibrage du marché européen de l’informatique en nuage tout en stimulant l’innovation, et ce pour que nos entreprises s’imposent comme des acteurs majeurs des nouveaux marchés sur la scène mondiale.
Cependant, prenons garde de ne pas pénaliser nos start-up en les privant d’avantages compétitifs. La solution réside plutôt dans la priorité que nos grandes administrations doivent donner à un hébergement national ou européen.
Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire va dans le bon sens. C’est pourquoi le groupe du RDSE le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Ludovic Haye. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’issue d’une navette parlementaire qui, malgré sa longueur, s’est révélée constructive, nous voici désormais, près d’un an après son dépôt au Sénat, à la dernière étape de l’examen du présent projet de loi.
Ce texte a pour principal objectif de protéger nos concitoyens, nos enfants, nos entreprises et notre démocratie face aux risques numériques.
Vous le savez, la transition numérique est ambivalente : elle constitue non seulement une formidable opportunité d’ouverture et de croissance, mais aussi un risque majeur pour nos sociétés démocratiques, en ce qu’elle accélère et facilite les opérations de manipulation et la divulgation de fausses informations. En outre, elle s’accompagne de l’émergence de nouvelles formes de harcèlement, de violence et de délinquance ; nous en avons malheureusement des exemples divers et variés chaque jour.
Le texte que nous avions voté à l’unanimité en juillet dernier est important. Il nous permettra de répondre en partie à ces enjeux et de mettre en œuvre trois règlements européens : le règlement sur marchés numériques, le Digital Markets Act (DMA), le règlement relatif à un marché unique des services numériques, le Digital Services Act (DSA), et le règlement sur la gouvernance européenne des données, le Data Governance Act (DGA).
Alors que nous passons de plus en plus de temps sur nos écrans et sur internet, et que nous évoluons quotidiennement dans l’espace numérique, des dérives et des comportements inappropriés fleurissent simultanément depuis plusieurs années. Il nous faut identifier et encadrer ces dérives : tel est précisément l’objet du texte issu des travaux de la commission mixte paritaire.
Aujourd’hui, avec l’anonymat qu’offre internet, nous assistons à une montée significative des cas de harcèlement en ligne, qui conduisent généralement et malheureusement à des drames et à des violences dans le monde physique.
Les deux premiers titres du texte relatifs à la protection des mineurs et des citoyens dans l’environnement numérique permettront d’y apporter des réponses concrètes, notamment en renforçant les pouvoirs de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) en matière de protection en ligne des mineurs. L’Arcom devra ainsi définir un référentiel des systèmes de vérification d’âge auquel devront se conformer les éditeurs de contenus pornographiques, sous peine de sanctions.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) soutient fortement cette mesure, qui fait suite à l’important rapport d’information de nos collègues de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Comme le disait Ursula von der Leyen : « Ce qui est interdit dans le monde réel doit être aussi interdit en ligne. »
M. Loïc Hervé. C’est bien de citer les grands auteurs ! (Sourires.)
M. Ludovic Haye. Par ailleurs, nous nous félicitons du rétablissement de l’article 5 bis qui instaure un délit d’outrage en ligne, afin de punir la diffusion en ligne de contenus portant atteinte à la dignité d’une personne ou présentant à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant. Ces situations qui fleurissent sur les réseaux sociaux via des vidéos cumulant des milliers de vues doivent pouvoir être sanctionnées.
Nous permettons aussi à l’Arcom de faire cesser la diffusion de contenus d’un média étranger visé par des sanctions européennes. À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie, l’Union européenne avait interdit – en adoptant divers règlements – la diffusion de contenus produits par des médias considérés comme proches du pouvoir russe, notamment les chaînes Russia Today (RT) et Sputnik.
Ces mesures ont toutefois été contournées à plusieurs reprises, en particulier par l’intermédiaire de sites internet domiciliés hors de l’Union européenne. À quelques mois des élections européennes, il apparaît urgent de répondre concrètement à ces menaces.
Rappelons que plus de 50 % des arnaques surviennent en ligne. Que nous soyons jeunes ou moins jeunes, aguerris ou non aux nouvelles technologies, nous sommes tous exposés à ces arnaques et en subissons régulièrement les frais, souvent par inadvertance, parfois par ignorance.
L’article 6 tend à apporter une réponse concrète en instaurant un dispositif national de cybersécurité grand public ciblant des actes de cybermalveillance, sous la vigilance de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Ce filtre national de cybersécurité prévoira notamment l’affichage par les navigateurs d’un message d’alerte avertissant l’utilisateur du risque encouru en cas d’accès à cette adresse.
Enfin, soulignons l’instauration d’un cadre de régulation pour les Jonum. La rédaction et les compromis trouvés en commission mixte paritaire nous semblent équilibrés et permettront d’évaluer sereinement ces nouveaux types de jeux. Ils seront toutefois bien contrôlés par l’Autorité nationale des jeux (ANJ).
En conclusion, ce texte participe à rendre illégal dans le monde numérique ce qui l’est dans le monde physique. Bien qu’il reste beaucoup à faire dans ce domaine, l’espace numérique sera, grâce à ces nouvelles mesures, plus sûr, pour nous comme pour les générations connectées à venir.
Ce texte est le pilier d’un espace numérique sécurisé et n’obère nullement les opportunités économiques qu’offre le numérique. Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera en sa faveur. (Applaudissements au banc des commissions. – M. François Patriat applaudit également.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous allons adopter aujourd’hui répond à l’urgence de réguler les entreprises du numérique, dont le modèle économique repose sur une accumulation de données massivement exploitées par des algorithmes aussi puissants qu’opaques.
C’est avant tout un texte d’adaptation de notre droit aux règlements européens qui visent particulièrement les plateformes dites « systémiques » captant l’essentiel de la valeur du marché numérique européen. Ces règlements établissent par ailleurs un cadre unique européen pour lutter contre les contenus illicites.
L’objectif est de parvenir à corriger les déséquilibres résultant de la domination de quelques acteurs et à responsabiliser davantage les plateformes vis-à-vis des contenus qu’elles diffusent.
Ce projet de loi avait également pour ambition de répondre à certains enjeux de société qui préoccupent les Français, tels que l’exposition des mineurs à des contenus pornographiques, le cyberharcèlement et la haine en ligne.
Pour élaborer un texte de compromis, la commission mixte paritaire a dû tenir compte non seulement des réserves émises par la Commission européenne sur ce projet de loi, mais aussi de la décision de la CJUE du 9 novembre 2023, qui a rappelé sévèrement le principe du contrôle par le pays d’origine établi par la directive e-commerce.
J’en viens à la protection des mineurs. Ma collègue Laurence Rossignol l’a rappelé en commission mixte paritaire : depuis bientôt quatre ans, les éditeurs de sites pornographiques contournent l’obligation de procéder à un contrôle de l’âge – la loi du 30 juillet 2020 n’est tout simplement pas respectée !
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 2,5 millions de mineurs, soit 12 % de l’audience des sites adultes, fréquentent dès l’âge de 12 ans des sites pornographiques. Nous craignons que l’application du présent texte continue de se heurter à l’obstruction des acteurs de l’industrie de la pornographie en ligne et que rien ne change pour la protection des mineurs.
S’agissant de la création du délit d’outrage en ligne, sanctionné par des amendes forfaitaires, notre groupe regrette que l’article 5 bis ait été réintroduit au dernier moment par la commission mixte paritaire, alors que l’Assemblée nationale l’avait supprimé en raison d’un risque sérieux d’inconstitutionnalité.
Concernant les Jonum, qui se trouvent à mi-chemin entre jeux vidéo et jeux d’argent, un cadre réglementaire était devenu nécessaire. La rédaction proposée par la commission mixte paritaire apporte des garanties sérieuses. Nous pouvons à cet égard saluer le travail du Sénat, qui en avait fait une ligne rouge.
Des gains sous forme de cryptoactifs pourront être attribués, certes de façon dérogatoire, à titre accessoire, et en tenant compte de plusieurs critères de plafonnement. Reste que la porte est désormais ouverte. Aussi, nous devons veiller à ce que l’ANJ dispose des moyens suffisants pour mener rigoureusement cette expérimentation.
Sur le volet économique, notre groupe a proposé plusieurs mesures significatives, afin de réguler le marché de l’informatique en nuage, dont les dysfonctionnements sont avérés, d’autant que sa forte croissance est captée par les principaux acteurs américains, une poignée de sociétés qui se livrent à des pratiques déloyales pour asseoir leur domination.
L’équilibre que nous avons défendu au Sénat pour permettre aux marchés français et européen du cloud de se développer davantage a été préservé. La suppression des frais de transfert en cas de changement d’opérateur, l’encadrement de la pratique des avoirs et l’interdiction de la vente liée sont autant de mesures qui contribueront à défendre un modèle de cloud ouvert, interopérable, portable et réversible. C’est aussi une manière de garantir la liberté de choix des utilisateurs.
Nous avons aussi avancé sur la protection des données face aux législations extraterritoriales : le texte permettra aux utilisateurs de savoir où sont leurs données, qui peut y accéder et ce qui en est fait.
D’autres chantiers de régulation nous attendent. Je pense notamment à la publicité en ligne, un sujet que mon groupe a tenté d’aborder au cours des débats, sans succès – l’article 45 de la Constitution nous en a empêchés. C’est dommage, car il y a urgence à renforcer l’indépendance des médias face aux pratiques anticoncurrentielles des leaders de la publicité en ligne, qui concentrent 80 à 90 % du marché.
Je souhaite enfin appeler votre attention sur les conditions de réussite des nouvelles régulations européennes. Au-delà des moyens importants à octroyer aux régulateurs et aux autorités compétentes et de leur capacité à se coordonner, nous devrons mobiliser l’ensemble des acteurs et des parties prenantes de l’écosystème numérique.
Nous devons être extrêmement vigilants sur la mise en œuvre du présent texte et sur les ajustements à venir, notamment dans la perspective de la révision du DMA. Néanmoins, la régulation n’y suffira pas ; il faudra une véritable impulsion pour inscrire l’effort de souveraineté numérique dans la durée.
Malgré ces quelques réserves, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements précédemment adoptés par le Sénat, l’ensemble du projet de loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission spéciale.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 169 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 304 |
Pour l’adoption | 302 |
Contre | 2 |
Le Sénat a adopté.
M. Patrick Chaize. Formidable !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marina Ferrari, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’ajouter quelques mots pour vous remercier de ce vote essentiel qui, il est vrai, survient après un long travail législatif.
M. le rapporteur Chaize a déploré ces délais d’examen, mais plusieurs d’entre vous, à la tribune, n’ont pas manqué d’en rappeler les causes, notamment les avis circonstanciés que nous avons reçus de la part de la Commission européenne et l’arrêt Google Ireland de la CJUE, qui nous ont obligés à revoir quelque peu notre copie.
Quoi qu’il en soit, ce texte pose des fondements que nous attendions depuis longtemps. Il permettra de mieux réguler l’espace numérique et de protéger nos concitoyens, en particulier les mineurs, un enjeu extrêmement important pour chacun d’entre nous.
Je tiens également à répondre à certaines remarques qui ont été formulées il y a quelques instants.
Oui, nous allons pouvoir sanctionner les comportements délictuels en ligne de la même manière que nous le faisons aujourd’hui dans l’espace public – et ce sans citer qui que ce soit, monsieur le rapporteur Hervé ! (Sourires.)
Contrairement à ce que j’ai pu entendre, nous ne sommes absolument pas en train de nous décharger sur l’Arcom ; nous attendons qu’elle définisse un référentiel des systèmes de vérification d’âge et qu’elle se saisisse de son rôle de régulateur, ce qui est bien normal.
Par ailleurs, je remercie sincèrement les membres de la commission mixte paritaire d’avoir défini un cadre de régulation clair pour les Jonum. En tant qu’autorité régulatrice, l’ANJ aura, elle aussi, tout son rôle à jouer. Je compte sur elle pour contrôler la façon dont cette expérimentation se déroulera.
En France, le secteur des Jonum n’est pas composé que d’une seule entreprise. Il convenait donc de trouver un modèle économique permettant d’offrir des garanties aux casinos face à ces entreprises émergentes, afin d’éviter toute concurrence.
J’abonde dans le sens des propos que plusieurs d’entre vous ont tenus : c’est bien un objectif de régulation de l’espace numérique que nous visons, mais il s’agit, au-delà, d’un vecteur indispensable de démocratie et de sécurisation de l’espace public.
Aujourd’hui, c’est grâce au cadre européen que nous sommes plus forts pour lutter contre les pratiques de certains acteurs en ligne. Compte tenu de la taille de notre marché numérique, les textes européens nous permettent de mieux répondre à la puissance économique des plateformes numériques étrangères.
Il était donc important que la France transpose le DSA et le DMA et qu’elle se montre un peu plus ambitieuse, ce qu’elle a toujours fait pour défendre la souveraineté de son espace numérique.
Enfin, je salue les avancées que comporte ce texte en matière de cloud : nous sommes en train de franchir une étape supplémentaire pour assurer la bonne protection de nos données essentielles. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)