Sommaire
Présidence de M. Mathieu Darnaud
Secrétaires :
M. François Bonhomme, Mme Nicole Bonnefoy.
2. Hommage aux victimes des inondations, aux services de secours et aux élus locaux
3. Modification de l’ordre du jour
4. Violences intrafamiliales. – Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
Mme Marie Mercier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission mixte paritaire.
Suspension et reprise de la séance
5. Réseau routier national non concédé. – Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Alain Marc, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Adoption définitive de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
6. Candidatures à une commission mixte paritaire
7. Adaptation du droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 5 de M. Olivier Bitz. – Rejet.
Amendement n° 7 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 8 rectifié bis de Mme Marie-Do Aeschlimann. – Rejet.
Amendement n° 6 de M. Olivier Bitz. – Rejet.
Amendement n° 4 rectifié bis de M. Laurent Duplomb. – Adoption.
Adoption de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
8. Lutte contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 16 du Gouvernement. – Rejet par scrutin public n° 151.
Amendement n° 1 de Mme Corinne Narassiguin. – Rejet par scrutin public n° 152.
Amendement n° 7 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 4 rectifié bis de M. Olivier Rietmann. – Adoption par scrutin public n° 153.
Amendement n° 10 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 9 rectifié de M. Guy Benarroche. – Adoption.
Amendement n° 11 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 13 du Gouvernement. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 5 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 3 de Mme Corinne Narassiguin. – Rejet.
Amendement n° 2 de Mme Corinne Narassiguin. – Rejet.
Amendement n° 6 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 14 du Gouvernement. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 12 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article 4 (suppression maintenue)
Adoption, par scrutin public n° 154, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
9. Communication relative à une commission mixte paritaire
10. Ordre du jour
Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
compte rendu intégral
Présidence de M. Mathieu Darnaud
vice-président
Secrétaires :
M. François Bonhomme,
Mme Nicole Bonnefoy.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Hommage aux victimes des inondations, aux services de secours et aux élus locaux
M. le président. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ces derniers jours, le sud de notre pays a été frappé par de très violents orages et de terribles inondations. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le garde des sceaux se lèvent.) Plusieurs personnes sont décédées ou portées disparues dans le Gard, l’Hérault et l’Ardèche.
Mes pensées vont d’abord à leurs familles et à leurs proches, dont la vie a basculé ce week-end, souvent après des heures d’attente et de recherches.
Au nom du Sénat tout entier, je souhaite leur adresser nos vives condoléances pour le drame qu’ils viennent de traverser.
Permettez-moi également de saluer le professionnalisme et la totale mobilisation des services de secours, notamment les nombreux sapeurs-pompiers et gendarmes qui, depuis ce week-end, se dépensent sans compter pour rechercher les personnes disparues et pour éviter que d’autres drames ne se produisent.
Je pense enfin aux élus locaux qui, une nouvelle fois, se sont trouvés en première ligne avec leurs agents.
3
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par courriers en date des 8 et 11 mars, M. Guillaume Gontard, président du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, et Mme Cécile Cukierman, présidente du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, ont demandé que le projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Cambodge, inscrit à l’ordre du jour du jeudi 14 mars, soit examiné selon la procédure normale.
Acte est donné de ces demandes.
Par courrier en date de ce jour, le Gouvernement a demandé le report de l’examen de ce même projet de loi au mercredi 3 avril, en troisième point de l’ordre du jour.
Acte est donné de cette demande.
En conséquence, nous pourrions attribuer un temps de quarante-cinq minutes aux orateurs des groupes. Le délai limite pour l’inscription des demandes d’intervention serait fixé au mardi 2 avril, à quinze heures.
Il n’y a pas d’opposition ?
Il en est ainsi décidé.
4
Violences intrafamiliales
Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales (texte de la commission n° 350, rapport n° 349).
La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Marie Mercier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, savoir que faire de l’autorité parentale en cas de violences intrafamiliales est une question éminemment complexe, que nous devons résoudre avec pour seule boussole l’intérêt de l’enfant.
La proposition de loi d’Isabelle Santiago visait essentiellement à mettre en place deux mécanismes : la suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale en phase présentencielle, créée par la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, et le retrait de l’autorité parentale par les juridictions pénales en cas de condamnation.
La navette parlementaire nous a permis de nous mettre d’accord sur la très grande majorité des articles, et même d’y ajouter des dispositifs complétant la protection de l’enfant.
Nous avons rendu plus automatique – sans toutefois l’imposer au juge pénal – le retrait de l’autorité parentale en cas de condamnation pour un crime ou une agression sexuelle sur l’enfant ou sur l’autre parent.
Par ailleurs, nous avons mis fin au décalage entre le code civil et le code pénal en matière de retrait de l’autorité parentale en introduisant une disposition générale dans le code pénal. Cette réécriture, sur l’initiative de la commission des lois, devrait grandement faciliter le travail des magistrats et des avocats pénalistes en les incitant à s’emparer de ces mécanismes de nature civile.
Une des dispositions ajoutées en cours de discussion me tient particulièrement à cœur : l’institution d’une période de stabilité minimale de six mois pour l’enfant, dénommée « répit », après une décision de retrait de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement.
À l’issue des deux lectures successives par nos assemblées, le désaccord portait uniquement sur le régime de la suspension provisoire de l’exercice de l’autorité parentale avant tout jugement. Le Sénat avait décidé, dès la première lecture, d’étendre ce mécanisme aux cas de crime ou d’agression sexuelle incestueuse commis sur l’enfant, en raison d’un manque évident qu’il convenait de combler.
Toutefois, la commission des lois souhaitait maintenir le principe d’une saisine systématique du juge aux affaires familiales (JAF) par le procureur de la République dans les huit jours pour que la situation de l’enfant puisse être examinée in concreto par un magistrat et pour que la suspension ne puisse se prolonger au-delà de six mois sans cet examen. Dans notre esprit, c’était là une sécurité pour l’enfant et une manière de vérifier que la mesure était bien appropriée et proportionnée.
Le 6 février dernier, le Sénat a finalement adopté la disposition dans la version de l’Assemblée nationale. Il a ainsi accepté que la suspension puisse courir au-delà de six mois, tout le temps de la procédure pénale, ou jusqu’à la décision du JAF, lequel serait éventuellement saisi par l’un des parents et non plus systématiquement par le procureur de la République.
En revanche, le Sénat a supprimé le régime spécifique de suspension en cas de condamnation, même non définitive, pour des violences volontaires ayant entraîné une incapacité temporaire de travail (ITT) de plus de huit jours lorsque l’enfant a assisté aux faits, considérant que ce cas était déjà pris en compte à l’article 2.
Telle est la version sur laquelle nous nous sommes accordés en commission mixte paritaire et que je vous invite à adopter.
Jusqu’à présent, les juridictions pénales étaient réticentes face à la question de l’autorité parentale, notion qui relève du droit civil. Le travail mené par nos deux assemblées leur donnera donc les outils pour se saisir de cette question fondamentale et ainsi mieux protéger les enfants.
Enfin, nous serons attentifs à la manière dont les JAF auront à se prononcer rapidement sur la suspension de l’exercice de l’autorité parentale dans le cadre présentenciel. La commission des lois est très attachée à l’intervention du juge, seul à même de vérifier l’intérêt de l’enfant et le caractère proportionné de la mesure. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, après la belle semaine que nous venons de passer, placée sous le thème des droits des femmes, nous commençons celle-ci sous le thème de l’enfance.
Vous le savez, la protection de l’enfance constitue, comme celle des femmes, l’une des priorités de notre gouvernement. Aussi, je me félicite que les deux assemblées soient parvenues à un compromis dans le cadre des travaux de la commission mixte paritaire. Il faut dire que le texte que vous avez adopté le 6 février dernier était presque à maturité, puisque seul l’article 1er restait en débat entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Cet article, dans la version qui est soumise à votre vote aujourd’hui, modifie l’article 378-2 du code civil afin d’étendre le mécanisme de suspension de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi ou condamné.
Désormais, plus aucun risque ne sera pris : l’enfant n’aura plus de contact avec son agresseur présumé – soit le parent poursuivi pour crime ou agression sexuelle à son encontre – jusqu’à la décision de non-lieu du juge d’instruction ou la décision de relaxe ou d’acquittement de la juridiction pénale.
Certains ont pu penser que cette suspension portait une atteinte trop importante aux droits parentaux du parent poursuivi, d’autant que le texte, dans sa nouvelle rédaction, supprime l’obligation faite au procureur de la République de saisir le JAF dans les huit jours de la suspension. Or il n’en est rien : le parent mis en cause conserve la possibilité de demander la mainlevée de la suspension au JAF, et ce dès le lendemain de sa mise en œuvre.
S’il ne le fait pas, c’est la démonstration de son désintérêt pour son enfant ; s’il le fait, c’est l’occasion pour lui de démontrer à un juge sa capacité à assurer pleinement le bien-être et la sécurité de sa progéniture.
L’écriture à laquelle vous avez abouti permet donc d’atteindre nos objectifs de protection de l’enfant en amont de la décision pénale – je ne peux que m’en féliciter.
L’article 2, quant à lui, a très rapidement fait l’objet d’un large consensus en ce qu’il assure une avancée importante. En l’état du droit positif, le retrait de l’autorité parentale n’est qu’une simple faculté pour le juge, quelle que soit l’infraction ayant donné lieu à la condamnation.
Le second volet du dispositif concerne tous les délits commis sur l’enfant à l’exception de l’agression sexuelle incestueuse. En cas de condamnation, le juge pénal aura l’obligation de se prononcer sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou sur le retrait de son exercice.
Le troisième et dernier volet concerne le cas du parent condamné comme auteur, coauteur ou complice d’un délit commis par son enfant. En cas de condamnation, le juge pénal pourra ordonner le retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou de son exercice.
Je le dis et le redis devant vous : ces deux premiers articles constituent une avancée indéniable en matière de protection des enfants. De la même manière que la protection des droits des femmes revêt une dimension universelle, celle des droits des enfants mérite d’être promue et défendue au-delà de nos frontières.
Aujourd’hui, la France s’engage résolument pour protéger les plus petits d’entre nous. En cela, elle rejoint l’Espagne et l’Italie, qui connaissent des cas de suspension de plein droit de l’autorité parentale pour certaines infractions ou peines principales ; en Italie, les juridictions vont même jusqu’à prononcer le retrait définitif de l’autorité parentale.
Pour autant, j’ose le dire, notre législation, une fois entrée en vigueur, sera sans doute la plus complète et la plus protectrice d’Europe, parce qu’elle prévoit, dès le début de l’enquête, une suspension automatique de l’exercice des droits parentaux et qu’elle contraint ou autorise le juge pénal à se prononcer sur le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice pour toutes les infractions, de manière proportionnelle à leur gravité.
Nous pouvons être fiers de la qualité des travaux parlementaires et des échanges qui ont eu lieu entre les chambres et le Gouvernement. Cela démontre, s’il en était besoin, notre engagement commun au service de la protection de l’enfance.
Ce texte, n’en doutons pas, est très attendu par nos concitoyens : parce qu’il renforce la protection des plus vulnérables d’entre nous ; parce que c’est notre devoir de protéger l’enfant victime contre son parent agresseur ; parce que le foyer doit toujours rester un lieu où l’enfant peut grandir en paix et en sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme le rapporteur applaudit également.)
M. le président. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.
proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales
Article 1er
L’article 378-2 du code civil est ainsi rédigé :
« Art. 378-2. – L’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi par le ministère public ou mis en examen par le juge d’instruction soit pour un crime commis sur la personne de l’autre parent, soit pour une agression sexuelle incestueuse ou pour un crime commis sur la personne de son enfant sont suspendus de plein droit jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales, le cas échéant saisi par le parent poursuivi, jusqu’à la décision de non-lieu du juge d’instruction ou jusqu’à la décision de la juridiction pénale. »
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M. le président. Sur le texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.
La parole est à Mme Laurence Harribey, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Harribey. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, déposée par notre collègue députée Isabelle Santiago, arrive au terme de son parcours législatif. Nous nous félicitons que la commission mixte paritaire ait été conclusive.
Ce texte constitue un pas de plus vers la protection des enfants et prend place dans un continuum législatif qui, peu à peu, se consolide. Notre groupe a toujours été au rendez-vous des avancées législatives acquises en la matière.
Tout d’abord, la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste a opéré un changement, particulièrement attendu, dans l’appréhension pénale des violences sexuelles perpétrées sur des victimes mineures. Elle a ainsi inséré dans le code pénal de nouvelles infractions d’agressions sexuelles autonomes sur mineurs de moins de 18 ans dans le cas de l’inceste. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain avait d’ailleurs, par amendement, proposé de relever l’âge du non-consentement de 15 à 18 ans dans le cas du crime d’inceste.
Ensuite, la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet, est venue apporter des améliorations sur les conditions de repérage, d’accueil et d’accompagnement des enfants relevant de la protection de l’enfance.
Le présent texte prévoit une suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement pour un parent poursuivi ou mis en examen pour crime ou agression sexuelle incestueuse sur son enfant, ou pour crime commis contre l’autre parent pendant toute la durée de la procédure.
Mme la rapporteure et M. le garde des sceaux n’ont pas manqué de souligner que ce dispositif était très attendu par les associations de protection des enfants. (M. le garde des sceaux opine.)
L’autorité parentale est trop souvent instrumentalisée par le parent auteur de crime ou d’inceste pour garder une emprise sur la ou les victimes. Par ailleurs, une procédure peut durer plusieurs années. Compte tenu de ces éléments, il nous semblait indispensable de protéger l’enfant et le parent victime pendant l’intégralité de cette période.
Bien entendu, notre groupe votera ce texte dans sa rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire. Cependant, il faut dès à présent penser à l’après : nous espérons des évolutions en matière de droits de l’enfant et avons quelques pistes de travail.
Je pense tout d’abord à l’assistance d’un avocat lors de toute procédure judiciaire concernant un enfant. Celle-ci est obligatoire depuis 1993 dans toute procédure pénale, mais reste optionnelle dans les procédures civiles. La parole de l’enfant doit être aussi entendue dans les procédures civiles. À cet égard, je vous renvoie à la nouvelle pratique expérimentée dès le mois de mai 2020 par les avocats et les juges du tribunal pour enfants de Nanterre, qui va véritablement dans le bon sens.
Ensuite, la protection de l’enfant est primordiale pour assurer celle du parent victime – la mère, la plupart du temps. Il nous semble donc indispensable de renforcer l’ordonnance de protection.
Nous regrettons à cet égard que la proposition de loi de notre collègue Cécile Untermaier, votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 9 février 2023, n’ait jamais été inscrite à l’ordre du jour du Sénat, alors même que les associations de protection des femmes et les professionnels du droit demandent régulièrement la mise en œuvre des dispositions qu’elle comporte.
Enfin, une évaluation globale de l’aide sociale à l’enfance (ASE) nous semble nécessaire avant de travailler sur les évolutions législatives, tant le chantier est vaste.
Pour finir sur une note positive, nous tenons à souligner les annonces gouvernementales du mois de mai dernier, notamment la création de pôles spécialisés, qui vont dans la bonne direction. Nous espérons que les moyens nécessaires seront mis en œuvre pour concrétiser ces annonces. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Elsa Schalck, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissement sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Elsa Schalck. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, aujourd’hui s’achève la navette parlementaire sur la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales après un an de débats riches, qui ont permis d’approfondir la construction du texte, sans procédure accélérée.
La protection des enfants fait partie de ces sujets à la fois complexes et sensibles qui nécessitent temps de réflexion, rigueur juridique et travail transpartisan, afin de légiférer de manière efficiente, surtout lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, de modifier des dispositions importantes de notre code civil.
C’est désormais chose faite avec ce texte de la députée Isabelle Santiago. Permettez-moi de me réjouir, à mon tour, de l’accord auquel sont parvenus les membres de la commission mixte paritaire.
Je tiens également à saluer, au nom du groupe Les Républicains, le travail de notre rapporteure, Marie Mercier, ainsi que son implication bien connue au sein de cet hémicycle sur les sujets liés à la protection des enfants.
La présente proposition de loi met en œuvre plusieurs recommandations issues des travaux de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) et d’associations, dont je salue l’action.
Elle a pour finalité de mieux protéger les enfants victimes de parents violents, en particulier incestueux. L’article 1er prévoit la suspension provisoire de plein droit – dès le début des poursuites – de l’exercice de l’autorité parentale du parent poursuivi pour crime contre l’autre parent ou pour crime ou agression sexuelle commis sur son enfant.
L’article 2 pose le principe d’un retrait total de l’autorité parentale en cas de condamnation pour ces infractions.
Les chiffres démontrent la nécessité de légiférer. Je n’en citerai qu’un seul, aussi effroyable qu’éclairant : un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de l’un de ses parents.
Rappelons que l’autorité parentale est définie par notre code civil comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ». Nous savons combien l’autorité parentale est une notion fondamentale en droit de la famille.
Le principal sujet de débat entre l’Assemblée nationale et le Sénat s’est noué autour l’article 1er, relatif au régime même de la suspension de l’autorité parentale. Il a permis de mettre en exergue la recherche partagée d’équilibre entre les droits des parents et la protection des enfants.
Nous avons fini par nous mettre d’accord sur la suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale le temps de la procédure, c’est-à-dire jusqu’à la décision du JAF ou celle de la juridiction pénale. Je tiens à saluer ce compromis, convaincue qu’un parent violent ayant commis des crimes sur son conjoint ou sur son enfant ne peut être un bon parent.
Mme Marie Mercier, rapporteur. C’est certain !
Mme Elsa Schalck. Il appartiendra ainsi au parent poursuivi de saisir le juge et de prendre lui-même toutes ses responsabilités.
Je tiens à saluer le travail qui a été mené par notre assemblée pour réécrire les articles 2 et 3, animée par la volonté d’une meilleure cohérence entre les dispositions pénales et civiles, qui s’avère essentielle dans la pratique. L’article 2 constitue une avancée indéniable en instaurant l’obligation – et non la faculté – pour le juge pénal de retirer l’autorité parentale ou son exercice en cas de condamnation du parent.
Le groupe Les Républicains salue également l’introduction de l’article 2 ter par la rapporteure, qui prévoit qu’un parent privé de l’exercice de l’autorité parentale par le juge ne peut en demander la restitution avant l’expiration d’un délai de six mois, une fois le jugement devenu irrévocable.
En définitive, ce texte répond à un enjeu particulièrement important : protéger les enfants, faire en sorte que le foyer familial reste un espace de sécurité où l’enfant peut grandir en paix et préserver cette richesse si fragile qu’est l’insouciance de l’enfance.
Tel est l’objectif de ce texte ; tel est le souhait que nous partageons collectivement. Je me félicite aujourd’hui que nous y parvenions. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et RDPI. – Mme le rapporteur applaudit également, ainsi que Mme Laurence Harribey.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les violences intrafamiliales constituent à la fois des drames intimes et un phénomène de masse : drames intimes, parce qu’elles brisent la cohésion des familles et chargent les individus d’un immense fardeau ; phénomène de masse, parce que des millions de nos concitoyens ont à en subir les conséquences.
On estime en effet que 10 % à 20 % des adultes ont été victimes de telles violences lorsqu’ils étaient mineurs – c’est considérable. Si l’on tient aussi compte de toutes les personnes indirectement concernées par ces violences – les proches, qui ont dû apporter leur aide, mais aussi les associations et les professionnels qui se sont impliqués pour protéger les victimes –, l’on comprend que ces situations concernent une proportion très importante de notre population.
Dès lors, comment expliquer qu’il soit si difficile de prendre des mesures fortes pour endiguer ce phénomène ? Précisément parce que les violences familiales, avant d’être un phénomène de masse, constituent des drames intimes. Celui qui commet la violence, parfois le crime, occupe un rôle central dans la structure familiale ; celui-là même qui devrait donner de l’amour finit par provoquer de la souffrance.
Condamner un parent – le plus souvent un père violent – pour protéger une victime – le plus souvent une mère ou ses enfants – n’est jamais une bonne solution, mais c’est souvent la moins mauvaise. C’est en tout cas celle qui permet de mieux protéger les plus fragiles et d’éviter un engrenage infernal.
Le sujet est si délicat qu’il s’avère difficile de prendre des mesures fortes, non par manque de volonté, mais simplement par souci d’équilibre. Après plus d’un an de navette parlementaire, la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales est sur le point d’être adoptée.
Les débats à l’Assemblée nationale et au Sénat ont permis d’aboutir à un texte de compromis. La convergence des vues nous amène à une solution à la fois consensuelle et efficace, que le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera sans hésitation.
En première comme en deuxième lecture, notre groupe avait soutenu la position de la commission des lois du Sénat sur l’article 1er, qui concentrait l’essentiel du débat. Cet article prévoit la suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement, dès le stade des poursuites, pour le parent poursuivi pour crime contre l’autre parent ou pour crime ou agression sexuelle commis sur son enfant.
Notre groupe jugeait plus pertinent de conserver le caractère temporaire de cette suspension tout en laissant une place centrale au juge dans la procédure. Dans le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, il n’est plus question du délai maximal de six mois, voté en première lecture par le Sénat. Toutefois, le rôle du juge dans la procédure est renforcé. Nous espérons que cette nouvelle mouture permettra de mieux protéger les enfants : c’est là notre priorité.
Il ne s’agit pas tant de punir plus sévèrement le parent que de protéger l’enfant en le mettant à l’abri des violences et en lui permettant de conserver un lien avec ses parents, pourvu que cela ne nuise pas à son développement personnel.
Ainsi, la nouvelle version de l’article 1er ne retient plus le cas des violences volontaires ayant entraîné une ITT de plus de huit jours comme motif entraînant la suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement. Cette version nous semble plus équilibrée. Encore une fois, l’objectif est non pas de protéger un parent violent, mais bien de préserver le développement de l’enfant.
C’est tout le sens des travaux menés depuis plus de trois ans par la Ciivise. J’espère sincèrement que le temps pris par ces travaux et par les nôtres sera interprété par toutes les victimes de violences non comme le signe d’une lenteur inappropriée, mais comme le gage d’un travail sérieux, pondéré et ambitieux.
Dès après son adoption par le Parlement, ce texte qui vise à mieux protéger les enfants devra être appliqué avec rapidité et efficacité : il y va de la crédibilité de l’action publique. Nous le devons à toutes les victimes des violences intrafamiliales. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne vous cache pas ma satisfaction de voir ce texte, dont le parcours législatif a commencé en décembre 2022, bientôt adopté. Nous avons réussi à trouver un compromis sur ce sujet important pour aboutir à un texte complet, efficace et applicable rapidement.
L’ambition de cette proposition de loi est simple : mieux protéger les enfants exposés à des violences intrafamiliales. Cela s’avère plus que nécessaire au regard des chiffres : 400 000 enfants vivent dans un foyer où s’exercent des violences et plus de 160 000 sont victimes chaque année de violences sexuelles. Qu’ils soient directement victimes ou seulement témoins, les conséquences de ces violences sont destructrices à la fois pour leur développement, leur santé, leur scolarité et leur vie sociale.
Il est donc nécessaire d’agir, tant en matière judiciaire que médicale, ce qui suppose une meilleure prise en charge du psychotraumatisme que vivent ces enfants.
Nous agissons aujourd’hui sur le plan judiciaire au travers de cette proposition de loi, issue d’une belle coopération entre nos deux chambres, en particulier entre l’auteur du texte, Isabelle Santiago, et notre rapporteure, Marie Mercier. Je souhaite ici rendre hommage à la qualité de leur travail et à leur sens du dialogue, qui ont permis à la commission mixte paritaire d’être conclusive.
L’action du Gouvernement doit être aussi saluée. Monsieur le garde des sceaux, je connais votre volontarisme sur la question du traitement judiciaire des violences intrafamiliales.
Ce texte va renforcer notre arsenal juridique en permettant, par exemple, de suspendre plus facilement et plus rapidement l’autorité parentale, mais aussi les droits de visite et d’hébergement, y compris pendant l’instruction.
Cela doit être salué, car nous rencontrions trop souvent des situations absurdes dans lesquelles l’enfant était obligé de passer le week-end chez le parent violent, en attendant qu’il soit reconnu par la justice que ce dernier l’était effectivement.
Les droits de la défense, dont il a souvent été question ici, ne sont pas lésés pour autant : le parent concerné pourra saisir le juge aux affaires familiales pour réexaminer un retrait qui aurait été décidé trop vite, ou dans le cadre d’affaires qui traîneraient durant trop longtemps. Comme ces retraits d’autorité parentale ne s’appliqueront que dans les cas les plus graves, l’exercice de cette faculté sera sans nul doute vivement conseillé par l’avocat à son client.
Plus généralement, je souhaite que ce texte contribue à faire évoluer les mentalités sur le terrain. Trop longtemps, l’idée selon laquelle on pouvait être un mari violent tout en restant un bon père a prévalu. Nous savons aujourd’hui qu’elle est fausse et que cette conception de la famille a emporté des conséquences particulièrement douloureuses pour de trop nombreux enfants.
Nous savons également, grâce à des témoignages de policiers, que la menace de retrait de l’autorité parentale touche beaucoup de pères. Puissent-ils donc réfléchir avant de frapper !
La version finale du texte conserve également les propositions du Sénat. J’ai à l’esprit, par exemple, l’ajout défendu par notre collègue Laurence Rossignol permettant au parent bénéficiaire d’une ordonnance de protection de ne pas avoir à informer l’autre parent d’un changement de résidence.
Évoquons également la suspension du droit de visite et d’hébergement de l’enfant dans le cadre d’un contrôle judiciaire, qui devient le principe et non plus l’exception, comme c’était le cas auparavant.
Enfin, concernant l’article 1er – qui nous a peut-être posé le plus de difficultés –, je me félicite que nous ayons réussi à trouver une rédaction convenant à tous et servant la protection des enfants.
Nous le savons, la lutte contre les violences intrafamiliales est particulièrement complexe, parce qu’elle touche à l’intime du foyer, mais aussi à certaines conceptions de la société, de la place et du rôle de chacun au sein de la famille.
Aujourd’hui, comme nous avons eu l’occasion de le faire à plusieurs reprises ces dernières années, nous faisons un pas de plus dans le bon sens, celui d’une meilleure protection des plus vulnérables. Nous devrions nous revoir prochainement, dans cet hémicycle, afin d’en faire un de plus, avec la création de l’ordonnance de protection immédiate qu’Émilie Chandler et moi-même appelions de nos vœux et qui a été votée à l’unanimité la semaine dernière à l’Assemblée nationale.
Pas à pas, nous construisons une société plus protectrice pour les femmes, pour les enfants, pour chacun d’entre nous.
En conséquence, le groupe Union Centriste votera bien évidemment ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – Mme Christine Bonfanti-Dossat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
M. Akli Mellouli. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les enfants victimes de violences intrafamiliales doivent être protégés. Cet impératif devrait aller de soi, mais cette protection demeure à regret très incomplète.
Les dispositions de la loi sont largement insuffisantes et inadaptées ; les défaillances sont malheureusement systématiques et leurs victimes sont nombreuses.
Parmi celles-ci, on compte l’enfant de Priscilla. Victime de violences sexuelles incestueuses de la part de son père, Priscilla tombe enceinte de lui et accouche d’un bébé à 15 ans. Ce père fut, certes, condamné pour violences sexuelles, mais il a gardé l’autorité parentale sur l’enfant.
Steffy a également dû subir les conséquences des défaillances de la loi. Elle a été victime d’une agression sexuelle par son père à l’âge de 14 ans ; celui-ci a l’interdiction de s’approcher de sa fille, mais il conserve l’autorité parentale.
Paul en a aussi fait les frais. Quand il avait 10 ans, son père a tué sa mère. Condamné à de la prison ferme pour ce féminicide, il a gardé l’autorité parentale sur son fils. Ainsi, il a pu mettre son veto à plusieurs procédures, comme le renouvellement du passeport de Paul, qui en avait pourtant besoin pour partir en vacances. En d’autres termes, l’auteur d’un féminicide a conservé l’autorité parentale sur son fils !
Malheureusement, les cas de l’enfant de Priscilla, de Steffy et de Paul sont loin d’être isolés : 400 000 enfants vivent dans un foyer où se produisent des violences conjugales et 160 000 enfants subissent chaque année des violences sexuelles.
Pis, ces enfants sont deux fois victimes, car à la violence physique s’ajoute la violence de la loi, laquelle ne les protège pas entièrement du parent violent. Malgré une attention renforcée, de nombreuses situations ne sont tout simplement pas prévues par les textes en vigueur. Ces omissions exposent les enfants à un risque inutile et, souvent, à de nouvelles violences qu’un cadre juridique plus protecteur aurait permis d’éviter.
La proposition de loi de la députée socialiste Isabelle Santiago – enfant du Val-de-Marne, tout comme moi – vise justement à construire un cadre juridique plus protecteur pour les enfants. Pour ne citer qu’un exemple, elle rendrait enfin systématique le retrait de l’autorité parentale en cas de violence sexuelle incestueuse.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires continue bien évidemment de soutenir ce texte ; nous saluons une nouvelle fois cette initiative essentielle, qui permettra de mieux protéger les enfants des violences intrafamiliales. Nous regrettons cependant que la majorité sénatoriale se soit opposée pendant longtemps à certaines mesures protectrices des enfants qui ont fait consensus à l’Assemblée nationale.
Nous saluons, en regard, le compromis trouvé, selon lequel l’exercice de l’autorité parentale est suspendu jusqu’à une décision sur le fond lorsqu’un parent est poursuivi par le ministère public pour certaines formes très graves de violences intrafamiliales.
Cette suspension est d’autant plus importante que notre système judiciaire reste lent, après des décennies de sous-investissement. Le délai de décision au pénal atteignant en moyenne treize mois, des mesures provisoires deviennent indispensables. En parallèle, il faut rendre les métiers de la justice plus attractifs pour permettre des recrutements.
En tout état de cause, le compromis trouvé en commission mixte paritaire permet de mieux protéger l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est pourquoi nous voterons en sa faveur.
Toutefois, ne soyons pas dupes : le chemin qui s’ouvre devant nous pour améliorer la protection des enfants victimes de violences intrafamiliales est encore très long. Nous avons l’obligation de renforcer la lutte contre ces violences et de prioriser la protection des victimes, mais ce gouvernement n’avance qu’à petits pas.
Dernier exemple en date de cette inertie, la situation dans laquelle se trouve la Ciivise : d’une part, la démission de onze de ses membres dès le 14 décembre 2023 a jeté la lumière sur le profond malaise qu’a généré le passage en force du Gouvernement, qui avait imposé un changement d’orientation et de direction en remplaçant le juge Édouard Durand ; d’autre part, les préconisations de son rapport de novembre dernier ne semblent pas être prises au sérieux par le Gouvernement.
Comment expliquer que nous observions si peu d’avancées à ce sujet, alors qu’une grande partie de leur mise en œuvre relève d’évolutions réglementaires que seul le Gouvernement peut engager ? Si ce dernier peut remplacer les membres de la Ciivise, il ne peut modifier ses préconisations ! Plutôt que d’essayer de les faire disparaître dans un tiroir où elles prendront la poussière, il convient de les mettre en œuvre de toute urgence. Nous y veillerons ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « l’enfant a le droit au respect de sa dignité et de son amour-propre, ne pas piétiner, ne pas humilier, laisser vivre sans décourager, ni brusquer ni presser, du respect pour chaque minute qui passe. » Ces mots sont ceux du pédiatre Janusz Korczak, précurseur et inspirateur de la convention des droits de l’enfant.
En effet, l’intérêt de l’enfant doit primer : l’enfant doit être protégé à chaque instant de sa vie, et donc tout au long d’une procédure judiciaire le concernant. Cette proposition de loi vise cet objectif, et je nous en félicite, mes chers collègues.
S’il a été malheureusement nécessaire de rappeler, durant cette longue procédure législative, que l’intérêt de l’enfant était primordial, le compromis trouvé œuvre en ce sens. Tant mieux !
Les chiffres sont édifiants : 400 000 enfants vivent dans un foyer où s’exercent des violences intrafamiliales de manière permanente, et 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles.
Ce texte vient donc combler un vide juridique sur la question de l’autorité parentale des parents coupables de violences criminelles et délictuelles sur leurs enfants et sur leurs conjoints.
Alors que la saisine du juge aux affaires familiales n’est pas toujours effective et que les délais actuels pour obtenir une date d’audience sont trop longs, la faculté de retirer ou de suspendre l’autorité parentale reste trop peu utilisée. Il était donc urgent de rappeler dans la loi la précellence de l’intérêt de l’enfant. Tout enfant doit être protégé, y compris de ses parents, quand il le faut. Un parent violent vis-à-vis de l’enfant ou de l’autre parent ou un parent incestueux ne saurait continuer d’exercer l’autorité parentale non plus que ses droits de visite et d’hébergement. Cette déclaration paraît évidente, elle est désormais légalement automatique.
Il est toujours bon de rappeler que l’intérêt supérieur de l’enfant prime sur le droit des parents à influer sur sa vie. C’est bien le parent agresseur qui brise la famille ; il ne peut dès lors que perdre son privilège.
Je ne peux que déplorer les nombreux témoignages, recueillis notamment par la Ciivise, de mères séparées s’inquiétant de laisser leur enfant repartir chez un père incestueux, d’un enfant obligé d’aller chez le parent violent en attendant un jugement, de pères agresseurs déposant une main courante contre une mère protectrice refusant de laisser son enfant retourner chez son bourreau, alors qu’il y est légalement contraint.
Malgré les avancées législatives de 2019 et de 2020, les enfants ne sont toujours pas suffisamment pris en considération. À ce moment de mon propos, je souhaite saluer le travail remarquable réalisé par la Ciivise, avec à sa tête le juge Édouard Durand, qui a abouti à la formulation de quatre-vingt-deux préconisations.
Puissiez-vous, monsieur le garde des sceaux, faire en sorte, pour le bien des enfants, que le juge Durand et son équipe soient en mesure de continuer à croire et à protéger les enfants.
Les conséquences sur l’enfant à long terme sont atterrantes. Les études à ce sujet sont sans équivoque et les statistiques glaçantes : 60 % des enfants témoins de violences souffrent de stress post-traumatique, 50 % des victimes de viol durant leur enfance ont fait une tentative de suicide. Une étude de l’ONU a montré qu’une femme ayant subi des violences physiques et sexuelles dans l’enfance a dix-neuf fois plus de risques de subir des violences conjugales et sexuelles à l’âge adulte qu’une femme qui n’a pas vécu ce traumatisme. Un homme qui a connu ce même type de violences a quatorze fois plus de risques d’en commettre à son tour.
Suspendre automatiquement l’autorité parentale permettra de protéger l’enfant et l’adulte qu’il deviendra. C’est primordial.
Malheureusement, nos enfants ne sont pas que les dommages collatéraux des violences intrafamiliales : ils en sont les victimes. Leur protection doit donc être la plus rapide possible, afin de les mettre à l’abri de manière à limiter tout traumatisme additionnel et à entamer le processus de reconstruction promptement.
De plus, ces dispositions permettront de libérer et de protéger la parole des enfants en limitant au mieux les influences perverses de parents criminels cherchant à contaminer leur témoignage.
Je ne peux que saluer, au nom de mon groupe, cette proposition de loi qui fait de l’intérêt de l’enfant un objectif sacré, tout en soulignant que cette avancée doit être accompagnée de moyens.
La balle est désormais dans le camp de l’exécutif pour faire baisser les chiffres édifiants que j’ai cités et pour que la dignité de l’enfant soit préservée.
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cela fait maintenant plusieurs années que la question des violences intrafamiliales est l’objet d’une prise de conscience par les pouvoirs publics comme par la société, qui se mobilisent de manière accrue afin de repérer, de sensibiliser à ce fléau et de le dénoncer.
Pendant longtemps, l’intime justifiait le silence : parce qu’il s’agissait de la famille, l’État et les pouvoirs publics ne devaient y regarder que de loin. De nos jours, ces événements n’ont heureusement plus le statut de fait divers. Nous savons qu’ils traduisent des phénomènes sociaux qu’il nous faut endiguer.
En même temps que les mœurs évoluent, notre droit s’étoffe en se dotant d’outils de plus en plus efficaces. Les acteurs judiciaires – policiers, juges ou agents de l’aide sociale à l’enfance – se mobilisent.
Bien entendu, il reste encore beaucoup à faire pour protéger les victimes de conjoints ou de parents violents et nous continuons de découvrir des drames que nous aurions pu éviter en agissant en amont. Il nous faut poursuivre nos réflexions autour d’axes que nous connaissons bien : prévention, détection, protection et sanction. Il revient au législateur de mobiliser toutes les ressources existantes, comme les récents travaux de la Ciivise.
Comme chacun d’entre nous, je me réjouis que la navette arrive enfin à son terme concernant cette proposition de loi et je tiens à une nouvelle fois à saluer ses auteurs ainsi que notre rapporteure, Marie Mercier. Nous avons souvent eu l’occasion de travailler ensemble au sein de la commission des lois et je connais son implication sur ces sujets. La mobilisation des membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ne nous a pas surpris – je les salue également.
Le Parlement s’était déjà accordé sur bon nombre d’articles de ce texte et nous étions parvenus à l’adoption conforme de mesures importantes. Ainsi, l’article 2 établit le principe d’un retrait total de l’autorité parentale en cas de condamnation pour crime commis sur l’autre parent ou d’agression sexuelle incestueuse ou crime commis sur l’enfant.
J’ai également à l’esprit différents enrichissements du texte initial, comme l’exonération de toute obligation d’informer préalablement l’autre parent d’un changement de résidence en cas d’ordonnance de protection.
Il ne restait finalement plus grand-chose sur quoi faire porter le débat lors de cette commission mixte paritaire : seul l’article 1er n’avait pas fait l’objet d’une adoption conforme. Il s’agissait de l’une des mesures les plus fortes de la proposition de loi, dont le contenu a déjà été rappelé en détail.
Cet article introduit une suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale en cas de poursuites pour crime commis sur l’autre parent ou de crime ou agression sexuelle commis sur l’enfant et en cas de condamnation pour violence conjugale.
Le groupe RDSE a pris position en deuxième lecture, avec un amendement déposé par notre collègue Nathalie Delattre. Nous étions en accord avec l’Assemblée nationale, même si nous entendions les avertissements de notre rapporteure.
Le Sénat a tranché en faveur d’un compromis, que nous avons soutenu. Le texte, qui devrait être définitivement adopté, reflète cette position intermédiaire : il ne dispose pas que la suspension s’applique après la condamnation, même non définitive, pour des violences sur l’autre parent ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours lorsque l’enfant a assisté aux faits.
À titre personnel, je considère que nous n’aurions pas dû avoir peur d’aller plus loin, mais la démocratie et le parlementarisme imposent à chacun une culture du compromis comme du consensus.
Tout cela va dans la bonne direction, il est donc entendu que notre groupe votera unanimement en faveur du texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. S’il faut se féliciter de l’adoption de cette proposition de loi, il demeure absolument nécessaire de poursuivre nos travaux sur ces sujets. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ma chère Isabelle Santiago, à cet instant, j’ai eu une pensée émue pour la petite Lisa.
En septembre 2023, à Conches-en-Ouche, dans mon département de l’Eure, tous les enfants avaient repris le chemin de l’école, mais la petite Lisa était absente. Elle subissait en permanence des sévices de la part de sa mère – qui l’avait déscolarisée – et de son beau-père. Un samedi soir, fin septembre, Lisa a été battue à mort.
Son corps portait de multiples hématomes d’âges différents sur le visage, le thorax, le dos, le pubis et les quatre membres. Ce drame effroyable fut largement relayé par la presse nationale. Ses bourreaux exerçaient depuis plusieurs années des violences répétées sur Lisa et sur son frère de 6 ans dont les récits sont difficilement soutenables.
Le destin de la petite Lisa a été tragique. Comme elle, quelque 400 000 enfants dans notre pays vivent dans un foyer où s’exercent des violences intrafamiliales, dont 160 000 sont victimes de violences sexuelles. Ces situations engendrent des séquelles psychologiques durant toute la vie de ces enfants, qui peinent à se reconstruire par la suite.
Le chemin législatif de ce texte a été long. J’admets être soulagée que les sénateurs et les députés membres de la commission mixte paritaire soient parvenus à un accord, car je pense avant tout à ces jeunes enfants, encore trop nombreux, victimes ou covictimes de violences intrafamiliales.
Cette proposition de loi marque une avancée essentielle dans la protection de l’enfance : il faut protéger le plus tôt possible les enfants victimes de ces violences ; leur mise à l’abri est une nécessité urgente et impérieuse.
Tous les cinq jours, un enfant est tué par l’un de ses parents ; plus d’un infanticide est commis chaque semaine dans notre pays. Ces chiffres sont édifiants.
Malgré le travail législatif que nous avons mené en adoptant les lois du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille et du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, trop d’enfants sont encore victimes de violences.
Le présent texte, fruit d’un accord en commission mixte paritaire, renforce notre arsenal juridique. C’est un pas de plus pour aider ces enfants et les sortir des situations très graves qu’ils subissent.
Je salue à ce titre le travail de notre rapporteure, Marie Mercier.
Comme l’a rappelé notre collègue députée Isabelle Santiago, auteure de cette excellente proposition de loi, un parent agresseur ou violent ne peut être un bon parent : la seule boussole est l’intérêt supérieur des enfants.
Selon le rapport de la Ciivise du 17 novembre dernier, Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit, ces violences débutent très tôt et durent parfois durant des années. Dans la majorité des cas, les agresseurs sont issus de la famille ou sont des proches de l’enfant. Nous ne pouvons laisser ces enfants entre les mains de leurs bourreaux. Il est plus que temps d’agir pour leur permettre d’être mis à l’abri le plus rapidement possible.
À cette fin, le texte prévoit une nouvelle rédaction de l’article 368-2 du code civil dont la formulation actuelle est quelque peu lacunaire, dans la mesure où elle ne retient pas le crime ou l’agression sexuelle incestueuse contre l’enfant parmi les motifs de suspension automatique des droits parentaux.
Ce manquement est comblé par le présent texte. Ainsi, nous pouvons espérer que les enfants victimes ou covictimes de violence seront plus facilement extirpés des situations dangereuses qu’ils subissent.
Au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, cette nouvelle rédaction n’impose pas de durée fixe de suspension de l’exercice de l’autorité parentale, mais laisse celle-ci courir jusqu’à une décision de l’autorité judiciaire.
Cette disposition est cohérente avec le reste des articles que nous avons déjà votés conformes. Elle s’inscrit dans la même ambition de protection de nos enfants, dans le prolongement des travaux qui ont été menés depuis le Grenelle des violences conjugales en 2019.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)
M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures vingt, est reprise à quinze heures vingt-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Réseau routier national non concédé
Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau routier national non concédé (proposition n° 347, texte de la commission n° 401, rapport n° 400).
Par courrier en date du 8 mars 2024, M. Patrick Kanner, président du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a demandé le retour à la procédure normale pour l’examen de ce texte.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrice Vergriete, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi sur laquelle vous êtes appelé aujourd’hui à vous prononcer vise à faciliter la mise en œuvre du volet routier de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS.
Il s’agit de combler une véritable omission de la loi, qui interdit aux régions d’accorder des délégations de signature aux agents de l’État exerçant dans les services routiers mis à leur disposition.
L’enjeu est le suivant : la loi 3DS a introduit la possibilité d’une mise à disposition de parties du réseau routier national non concédé, à titre expérimental, aux régions volontaires. En cela, cette loi, construite dans la concertation et le dialogue avec les élus et leurs associations, constitue une innovation par rapport aux précédents actes de décentralisation routière : elle ne prévoit pas un classique transfert aux départements comme par le passé, mais offre la possibilité aux autorités organisatrices des mobilités à l’échelle régionale de prendre la main sur la gestion, la modernisation et l’aménagement des axes routiers les plus structurants de leurs territoires.
Trois régions – Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes et Grand Est – ont saisi l’opportunité et se sont portées volontaires pour s’engager dans cette démarche, concernant un linéaire total de plus de 1 600 kilomètres de routes et d’autoroutes.
Les régions Grand Est et Auvergne-Rhône-Alpes ont d’ores et déjà conclu avec l’État une convention de mise à disposition entrant en vigueur au 1er janvier 2025. Les discussions sont en bonne voie avec la région Occitanie pour finaliser la mise au point de la convention. Le conseil régional doit se prononcer le 28 mars prochain.
Les régions candidates ont toutefois unanimement relevé une lacune dans le texte adopté en 2022, qui compromet, voire empêche l’exercice des nouvelles missions des régions : en l’état, au vu de la jurisprudence claire et constante du Conseil d’État, les présidents de conseil régional ne sont pas habilités à déléguer leur signature aux agents de l’État.
Or quiconque est familier de la gestion d’un réseau routier sait la quantité d’actes administratifs et réglementaires qui sont nécessaires au quotidien. Chaque direction interdépartementale des routes (DIR) sera ainsi amenée à émettre chaque année des centaines d’arrêtés de circulation pour travaux, interventions ou gestion d’événements sur la voie publique, des centaines, voire des milliers, de bons de commande pour réparer, entretenir, maintenir le patrimoine routier, et autant pour en exécuter la liquidation – et cette énumération n’est pas exhaustive.
Les services aguerris à la gestion des routes, qu’il s’agisse de ceux de l’État, des départements ou des métropoles, sont ainsi dotés de chaînes de délégations de signature qui permettent au niveau le plus pertinent d’agir avec réactivité au bénéfice des usagers de la route.
La présente proposition de loi permettra de transposer la même fluidité dans l’action au quotidien dans le cadre des expérimentations régionales, en précisant le périmètre de compétence du président du conseil régional et en autorisant les délégations et les subdélégations vers les directeurs et les agents des services de l’État.
En son absence, tous ces actes seraient en effet subordonnés à la signature de l’exécutif régional, ce qui serait tout simplement ingérable au quotidien.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne peut que pleinement soutenir la proposition de loi qui vous est soumise. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Alain Marc, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi très pragmatique tend à répondre à une difficulté rencontrée dans la mise en œuvre de l’expérimentation par laquelle une partie du réseau routier national non concédé est mise à la disposition des régions.
L’article unique de ce texte complète en effet l’article 40 de la loi 3DS du 21 février 2022 en instaurant une possibilité de délégation de signature du président du conseil régional au service de l’État mis à la disposition de la région pour la gestion du réseau routier confié dans le cadre de l’expérimentation.
Une telle disposition relève de l’évidence pour ceux qui, comme moi, sont ou ont été conseiller départemental. Contrairement aux régions, les départements ont en effet des services spécifiques.
Avant de revenir en détail sur les effets de la présente proposition de loi, il me paraît intéressant de rappeler quelques éléments de contexte concernant la gestion décentralisée des routes.
Mon expérience au conseil départemental de l’Aveyron, dont j’ai notamment été vice-président et chargé des routes, m’a montré que les collectivités locales font souvent bien mieux que l’État lorsqu’il s’agit de gérer des infrastructures locales. Lors de précédents échanges, vous nous avez indiqué que vous en êtes également convaincu, monsieur le ministre.
Les collèges et les lycées, par exemple, n’ont jamais été aussi beaux que depuis qu’ils sont gérés par les départements et les régions grâce à la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, dite loi Defferre.
Il en est de même pour les routes. La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi Maptam, a fait des régions les chefs de file pour l’exercice de la compétence mobilité. La loi 3DS du 21 février 2022, votée quelques années plus tard, a complété ce dispositif en matière de mobilité, en permettant le transfert définitif de routes aux départements et la mise à disposition, aux régions volontaires et à titre expérimental, du réseau routier national non concédé. Cette expérimentation doit durer huit ans et s’achever en 2030.
Comme vous le savez, mes chers collègues, le réseau routier national non concédé est actuellement géré par l’État et ses services que sont les DIR et les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) que nous connaissons dans nos territoires en tant qu’élus locaux.
Ce réseau, qui s’étend sur 12 000 kilomètres de voies, soit seulement 1,1 % du réseau routier national, est toutefois stratégique puisqu’il concentre 19 % du trafic.
À l’issue de l’adoption de la loi 3DS, les régions Grand Est, Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie ont manifesté leur souhait de bénéficier de l’expérimentation. Le 4 janvier 2023, le ministère des transports a indiqué à ces trois collectivités locales les autoroutes et routes nationales qu’il entendait mettre à leur disposition, pour un total de 1 638 kilomètres.
Après cette décision, les négociations entre l’État et les régions se sont poursuivies pour procéder à la signature d’une convention encadrant cette mise à disposition. Les conventions avec les régions Grand Est et Auvergne-Rhône-Alpes ont respectivement été signées le 19 octobre 2023 et le 24 janvier 2024. En Occitanie, les négociations entre l’État et la région sont toujours en cours, mais elles devraient aboutir prochainement.
Au cours des échanges entre les régions et l’État, une difficulté technique et opérationnelle a été mise au jour. C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, nous examinons cette proposition de loi.
En effet, l’article 40 de la loi 3DS, qui prévoit l’expérimentation, ne permet pas au président de région de déléguer sa signature aux agents de l’État. Or le code général des collectivités territoriales ne prévoit pas non plus que le président du conseil régional puisse déléguer, de manière générale et en toute matière, sa signature à des agents de l’État. Le Conseil d’État est particulièrement vigilant sur ce point : il n’hésite pas, par exemple, à sanctionner les délégations de signature du conseil départemental à des agents de l’État dépourvues de base légale.
L’objectif de la présente proposition de loi est donc très simple : il s’agit de permettre au président du conseil régional de déléguer sa signature aux services de l’État que sont les DIR et les Dreal, ainsi qu’à leurs agents.
La gestion des routes impliquant la signature de plusieurs dizaines d’actes administratifs, dont certains sont parfois pris en urgence en cas d’intempéries, par exemple, une telle délégation du président de région aux services de l’État chargés des routes s’impose. Son absence rendrait la conduite de l’expérimentation inutilement complexe, risquant de la mettre à mal. Pis, les régions volontaires pourraient y mettre un terme.
Tout au long de l’expérimentation, même si les régions délèguent en pratique leur signature aux services de l’État pour la signature des actes administratifs du quotidien, ce sont bien les régions qui prendront toutes les décisions de gestion, d’investissement et d’aménagement des routes mises à leur disposition. L’État ne prendra donc plus aucune décision concernant les routes mises à disposition jusqu’à la fin de l’expérimentation.
À mon sens, le texte adopté par la commission est complet et ne pose aucune difficulté technique ou juridique. Les services du ministère des transports m’ont du reste indiqué que la proposition de loi répondait parfaitement à la problématique pointée par les régions.
Franck Leroy, président de la région Grand Est, que j’ai récemment reçu au Sénat, a insisté sur l’importance de ce texte pour la bonne mise en œuvre de l’expérimentation dans son territoire.
En 2030 ou un peu avant, nous serons amenés à faire le bilan de cette expérimentation en matière de décentralisation. Toutefois, nous ne pourrons le faire qu’à la condition d’adopter la présente proposition de loi, qui a d’ores et déjà été votée par nos collègues de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Jean-Claude Anglars applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Bruyen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Bruyen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi s’impose en quelque sorte, car son rejet conduirait inévitablement à une gestion totalement inefficace des routes transférées.
Oui, il convient de permettre aux régions candidates d’assurer le bon exercice de la compétence nouvelle dont elles vont disposer. Il faut donc que les principes de délégation de signature étendue qu’elle prévoit, et qui s’inscrivent plus largement dans un processus de transfert expérimental et transitoire, soient adoptés. À défaut, nous pourrions nous trouver face à des blocages en termes de procédure qui déformeraient l’analyse au moment d’établir le bilan de l’opération.
Ces blocages seraient du reste préjudiciables à l’entretien, à la rénovation, à la modernisation de ce réseau transféré, dont l’état n’est déjà pas extraordinaire, faute d’une attention suffisante de la part de son gestionnaire.
Le groupe Les Républicains est favorable à cette proposition de loi pertinente. Pour autant, je suis loin d’être totalement convaincu – et je ne suis pas le seul – que nous nous inscrivions, par ce transfert d’une partie du réseau routier national non concédé, au cœur des principes de la décentralisation, chers à nombre d’élus dans nos territoires.
Si cette mise à disposition relève, comme cela a été indiqué, d’une expérimentation prévue par la loi 3DS, le constat que l’on peut d’ores et déjà dresser conduit tout de même à porter un regard à tout le moins interrogatif sur ce dossier.
Cette expérimentation contribue sans nul doute à renforcer la différenciation. Je ne suis en revanche pas certain qu’un projet conduisant à désigner un gestionnaire de plus sur un domaine routier dépendant déjà de nombre de décideurs relève à proprement parler de la simplification.
On peut à tout le moins regretter que sur les plus de 10 000 kilomètres éligibles, seulement 1 638 kilomètres aient trouvé preneur auprès de trois régions seulement.
À ce jour, on peut surtout évoquer une fragmentation accrue de la compétence routière, exercée par les communes et les intercommunalités sur 700 000 kilomètres de route, et par les départements sur 380 000 kilomètres supplémentaires d’itinéraires structurants, qui constituent le maillage crucial pour les mobilités de nos concitoyens en milieu rural. Cette gestion confère aux départements une expertise reconnue sur le terrain, mais parfois quelque peu sous-considérée depuis la capitale.
Je ne conteste pas le chef de filât des régions en matière de mobilité. Je souligne simplement que les départements y apportent leur part, notamment pour ce qui concerne les infrastructures routières de proximité.
Je n’entends pas davantage remettre en question la mise à disposition de routes à ces trois régions courageuses. Celles-ci ont une assise financière et des ressources qui font cruellement défaut aux départements, la faute à un État central qui asphyxie méthodiquement et toujours davantage un échelon départemental pourtant d’une grande utilité pour répondre aux attentes de nos concitoyens. (Marques d’approbation sur des travées du groupe Les Républicains.)
Il faut bien dire qu’au-delà des solidarités humaines, cette difficulté des départements à agir comme il le faudrait et comme ils le souhaiteraient affectera douloureusement et dans un futur proche l’aménagement et l’équilibre des territoires. Il est donc urgent de s’en préoccuper.
Il serait notamment opportun de remettre le département au cœur de ce dispositif dont on mesure bien aujourd’hui – ce n’est pas un reproche – qu’il est en construction et loin d’être totalement abouti.
Il serait certainement possible de faciliter et d’encourager la signature de conventions entre régions et départements, ces derniers disposant de moyens matériels, de ressources humaines et d’une ingénierie reconnue. De telles mutualisations de bon sens contribueraient à améliorer la réactivité face aux interventions à mettre en œuvre.
Il serait en outre judicieux, dans le cadre de la seconde vague de mise à disposition annoncée, de revisiter les conditions du transfert que beaucoup ont considérées, à juste titre, comme constitutives d’un marché de dupes. On éviterait peut-être ainsi que le manque d’intérêt qui s’est manifesté à l’échelon national ne se confirme.
Il serait enfin utile de réfléchir aux usages possibles des recettes issues de l’écotaxe, dans les territoires où celle-ci pourrait être instituée, pour faire en sorte que les itinéraires qui pourront en bénéficier ne se limitent pas à des axes reliant les pôles urbains, mais incluent également des tronçons de liaisons dont l’importance est localement manifeste.
Je formule donc l’espoir qu’au-delà de cette proposition de loi, que mon groupe votera, une concertation véritable soit ouverte et que celle-ci ne mésestime pas trop l’échelon départemental, au regard de sa capacité à faire en sorte que la préoccupation relative aux mobilités soit prise en compte dans toutes ses dimensions territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la détérioration de notre réseau routier est de plus en plus visible.
Si les causes en sont multiples, je tiens à souligner l’importance des récents événements climatiques. Les pluies incessantes et les inondations qui en résultent, les forts gels ou encore les canicules malmènent nos routes et provoquent des dégradations prématurées.
Le manque d’entretien et de moyens est également en cause. Il en résulte une dégradation certes plus lente, mais non moins problématique.
Le sujet est essentiel pour les citoyens, en particulier les usagers, dont la sécurité est en jeu. Nos échanges en commission ont clairement mis en exergue les demandes d’investissement, d’aménagement et d’entretien. Nous en appelons à une action forte pour endiguer la détérioration du réseau routier français.
Les solutions sont multiples. Je partage l’idée que la subsidiarité dans ce domaine est primordiale. Les différentes strates, État et collectivités territoriales, proposent un panel de réponses. Organiser leur articulation doit conduire à des changements concrets et à une amélioration du service rendu aux Français.
Les orateurs qui m’ont précédé ont mis en lumière le manque de cohérence concernant le partage des compétences sur le volet routier. Nous devons absolument travailler à clarifier ce point afin de permettre des prises de décision plus claires, plus efficaces et plus rapides.
J’ai également entendu votre engagement, monsieur le ministre, à discuter des meilleures solutions avec notre assemblée. Nous répondrons bien entendu présents, tant le sujet est d’importance. Nous devons être guidés par le bon sens et la recherche de solutions logiques et pragmatiques.
J’en viens au texte que nous examinons, mes chers collègues. Nombreux sont ceux qui soutiennent l’expérimentation visée. Comme cela a été indiqué, trois régions, parmi lesquelles Auvergne-Rhône-Alpes, où se trouve le département dont je suis élu, se sont portées volontaires pour la mise à disposition du réseau routier national non concédé.
Concrètement, cette mise à disposition concerne l’aménagement, l’entretien ainsi que l’exploitation du réseau soit des routes, soit des autoroutes. Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, sont notamment visées la route nationale 7, à hauteur de Roanne, dont le dossier traîne depuis plus de quarante ans, ainsi que la route nationale 88, chère au président de région.
Dans la perspective du début de l’expérimentation, une contrainte de taille a été identifiée. En prévoyant la délégation de signature à plusieurs niveaux, la présente proposition de loi y répond de manière juste.
Je tiens à saluer le travail de la commission des lois et de son rapporteur, l’excellent Alain Marc. Le rapport a été très largement soutenu, ce qui prouve que lorsque l’on constate un obstacle et que l’on opte pour une solution réaliste et efficace, cela a du sens. La gestion quotidienne du réseau s’en trouvera optimisée. Je sais que c’est une attente forte des conseils régionaux et des régions volontaires.
Le doublement du délai de conclusion de la convention entre l’État et la région constitue un autre élément positif. Au regard des premiers résultats constatés, la prolongation de l’expérimentation elle-même au-delà des huit années prévues pourrait également constituer une option valable, mais nous aurons le temps d’en discuter le moment venu.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants – République et Territoires se prononcera très largement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos élus locaux le savent, un transfert de compétence se révèle souvent être un chemin pavé d’embûches. L’une des raisons principales en est la complexité administrative et réglementaire. Il arrive toutefois, comme c’est présentement le cas, qu’un transfert appelle non pas une simplification des règles, mais un complément législatif.
Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau routier national non concédé. Déposée par le député David Valence, elle a été examinée en commission, sans grand débat sur le fond.
Je salue notre rapporteur, Alain Marc, que je félicite pour la qualité du travail réalisé et que je remercie pour notre convergence de vues sur la question des départements ruraux et des transferts de routes nationales.
L’objectif de ce texte est de combler un oubli de nature technique et, partant, de faciliter l’application de l’article 40 de la loi du 21 février 2022, la fameuse loi 3DS. Cet article prévoit une expérimentation consistant à confier, pour une durée de huit ans, la compétence d’aménagement et de gestion des routes nationales et autoroutes non concédées aux régions volontaires.
Je salue cette mesure dont l’état d’esprit, qui s’inscrit dans une logique de différenciation et de décentralisation, doit être une source d’inspiration pour le Gouvernement dans d’autres domaines. À chaque fois que le Gouvernement nous permet de choisir le bon niveau d’adaptation d’une compétence au plus proche du terrain, et que le Parlement valide cela par son vote, nous ne pouvons que nous en féliciter.
Depuis 2014, les régions ont montré leur capacité à exercer le rôle de chef de file pour la compétence mobilité et transports.
Dans la continuité de la loi 3DS et sur la base de sections routières identifiées par le Gouvernement, trois régions ont manifesté leur intention de participer à ladite expérimentation : la région Grand Est, qui aura notamment la possibilité d’expérimenter l’écotaxe gérée par la région, la région Auvergne-Rhône-Alpes et l’Occitanie.
Le ministre des transports a formalisé les portions de route mises à leur disposition en tout début d’année 2023, pour un total de 1 638 kilomètres.
En vue d’assurer la bonne efficience de ces transferts, l’article unique de la présente proposition de loi ouvre la voie à une délégation de signature du président du conseil régional aux services de l’État mis à la disposition de la région.
En l’état actuel du droit, tous les actes quotidiens relevant de la qualité d’adjudicateur, d’ordonnateur, de gestionnaire du domaine routier ainsi que les actes visant à sa conservation doivent être signés par l’exécutif régional.
Au regard du nombre important d’actes juridiques qu’emporte la gestion de ce réseau au quotidien, c’est tout bonnement incohérent, pour ne pas dire irréalisable.
En l’absence de délégation de signature, cette expérimentation perdrait de sa pertinence et même de son intérêt. Il est d’autant plus nécessaire d’adopter ce texte que les discussions entre le Gouvernement et les trois régions sont en bonne route.
Comme cela a été rappelé, la convention avec la région Grand Est a été signée le 19 octobre dernier, la convention avec la région Auvergne-Rhône-Alpes, le 24 janvier 2024, et les discussions avec la région Occitanie sont en cours.
Le réseau national non concédé s’étend sur 12 000 kilomètres, soit 1,1 % du réseau national. S’il est actuellement géré par les DIR et les Dreal, force est de constater que l’État n’est plus en mesure d’entretenir le réseau national. Il a en effet perdu des compétences indispensables et se montre incapable de décliner ses propres engagements relatifs au réseau routier national dans les contrats de plan État-région (CPER).
Face à cet état de fait, une décision ministérielle du 4 janvier 2023 a permis le transfert de 1 638 kilomètres à seize départements et trois métropoles. À la date de ces décisions, le Gouvernement avait assuré qu’il s’agissait d’une première salve de transferts.
Je profite de notre présente discussion, comme je l’avais déjà fait lors des travaux de notre commission, pour me faire l’écho, monsieur le ministre, de la demande de certains conseils départementaux de discuter des modalités de transfert. Je pense bien sûr au département des Hautes-Alpes, que j’ai l’honneur de représenter dans cet hémicycle, qui, lors d’une première phase de discussions avec l’État, n’a pas réussi à trouver un accord avant le 31 décembre 2022 sur le niveau de compensation de crédits et sur le cas spécifique de l’ouvrage d’art qu’est le pont de Savines-le-Lac, traversant le lac de Serre-Ponçon.
Le ministre qui vous a précédé souhaitait aller jusqu’au bout des discussions, notamment syndicales, et effectuer le transfert aux départements qui avaient trouvé un accord avec l’État avant d’engager la deuxième phase de discussion.
Comme d’autres collectivités, le département des Hautes-Alpes souhaite développer des politiques de mobilité cohérentes à l’échelle de son territoire. Il est toutefois difficile, sur un réseau qui ne compte plus que 100 à 150 kilomètres de route nationale disponibles, de concilier les moyens mis en œuvre par le département et les attentes de nos concitoyens.
Par ailleurs, comme vous le savez, monsieur le ministre – nous aurons du reste le plaisir d’en discuter prochainement –, la perspective des jeux Olympiques de 2030 dans les Alpes françaises, notamment au sein du pôle briançonnais, dans le département dont je suis élu, impose que nous trouvions un accord rapidement. Il nous faudra nous montrer à la hauteur de cet enjeu d’intérêt national et international que constituera, après les jeux Olympiques de 2024, la deuxième étape des jeux Olympiques en France.
Pour en revenir au présent débat, au regard de l’ajustement technique nécessaire pour rendre le transfert visé opérationnel, le groupe Union Centriste votera cette proposition de loi à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent texte tend à préciser les articles 40 et 41 de la loi 3DS pour permettre l’exercice effectif, par les trois régions volontaires, de la mise à disposition, à titre expérimental pour huit ans, de certaines fractions du réseau routier national non concédé.
La possibilité pour les régions volontaires d’assumer la gestion, la modernisation et l’aménagement des parties les plus structurantes du réseau routier de leurs périmètres avait en effet été introduite dans la loi 3DS à la demande unanime des régions, représentées par leur association Régions de France.
En confortant juridiquement une possibilité dont les régions Grand Est, Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes tendent à se saisir, nous fournirons à celles-ci les conditions nécessaires à la mise en œuvre de cette expérimentation, au profit de leurs habitants.
La région où se situe le département dont je suis élu, le Grand Est, se verra ainsi offrir la maîtrise de ses axes structurants et la possibilité d’instaurer l’écocontribution poids lourds. Elle rejoindra à ce titre les cinq pays qui lui sont frontaliers. Cette écocontribution permettra de contrer les reports de trafic de transit. Combinée avec la taxe analogue que prépare la Collectivité européenne d’Alsace sur son périmètre propre, elle incitera à l’optimisation logistique et au report modal tout en dégageant des moyens pour accompagner la décarbonation des véhicules et les investissements routiers de modernisation.
Cette mise à disposition s’inscrit dans un mouvement de décentralisation des routes engagé depuis une cinquantaine d’années au moins, la plus grande partie du réseau routier relevant désormais de la responsabilité de collectivités territoriales. Quelque 55 000 kilomètres ont d’abord été confiés aux conseils généraux des départements en 1972, puis 18 000 kilomètres de routes supplémentaires en 2006. Cette expérimentation au profit des régions permettra bientôt d’augmenter le nombre de kilomètres gérés par des collectivités de 1 638 kilomètres sur les quelque 10 000 kilomètres qui étaient éligibles.
Le ciblage d’axes de plus longue distance que les routes départementales permettra de compléter les leviers d’action dont disposent les régions en tant que chefs de file des mobilités et coresponsables du déploiement des services express régionaux métropolitains, que ce soit par le développement du ferroviaire du quotidien ou des transports interurbains.
Cette expérimentation régionale sur des axes majeurs est gage d’une mise en œuvre pertinente et territorialement adaptée de la transition écologique des mobilités, que ce soit par l’instauration de voies dédiées aux cars express et aux bus à haut niveau de service, par des aménagements favorisant l’autopartage ou par le déploiement de bornes de recharge électriques.
La possibilité offerte aux régions de conduire l’aménagement d’axes stratégiques en cohérence avec leur politique de transition des mobilités permettra indéniablement d’accélérer et d’amplifier l’efficacité de l’action publique. Il est donc utile que la région, si elle en a la volonté, puisse prendre la main sur ces axes dans le cadre d’une politique de transport adaptée et cohérente pour le territoire.
Pour y parvenir, il faut toutefois en avoir les moyens. En 2022, dans un rapport intitulé L’entretien des routes nationales et départementales, la Cour des comptes pointait les carences et les dysfonctionnements responsables de la dégradation et du vieillissement du réseau.
Les départements rencontrent en effet des difficultés accentuées par les inégalités territoriales pour assurer les investissements et assumer la charge de leur réseau routier. De manière générale, les collectivités territoriales, notamment les régions, subissent un contexte financier défavorable qui n’est sans doute pas étranger au fait que seulement trois régions aient opté pour cette expérimentation. Nous sommes loin d’un formidable engouement régional.
Cette mise à disposition emportera des investissements substantiels pour les régions volontaires ; or l’on sait d’expérience que l’État n’est pas tout à fait au rendez-vous quand il s’agit de compenser financièrement les compétences transférées. En juillet dernier, les trois présidents de région concernés par l’expérimentation ont du reste relevé dans un courrier commun « le caractère nettement insuffisant du cadre financier de ce transfert ».
Il convient naturellement de débloquer les freins juridiques à cette expérimentation, de sorte que la mise à disposition des régions des agents qui resteront dans les services de l’État puisse s’effectuer avec fluidité pour l’ensemble des actes administratifs et réglementaires, des interventions, des arrêtés, des bons de commande, ainsi que pour la gestion des divers événements qui nécessitent des chaînes de délégation depuis le président de l’exécutif régional jusqu’aux agents sur le terrain. Le groupe écologiste votera bien évidemment pour cet ajustement législatif.
Il reste qu’il faudra sécuriser et garantir les moyens d’investissement nécessaires à la transition des transports. C’est ainsi que l’on conduira davantage de régions à prendre part à cette expérimentation et que l’on ménagera, à terme, des perspectives décentralisées désirables pour les agents des services routiers. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est assez troublante ; à tout le moins, elle soulève des interrogations.
L’article 38 de la loi 3DS du 21 février 2022 avait prévu de transférer des routes ou des portions de route à des collectivités qui le souhaiteraient. À ce jour, moins de 3 000 kilomètres ont trouvé preneur, trois régions seulement s’étant portées volontaires. Vraisemblablement lassées d’attendre la concrétisation du règlement de leurs difficultés routières, celles-ci ont estimé qu’il était préférable qu’elles s’en occupent elles-mêmes.
On peut donc dire qu’il n’y a pas eu un grand enthousiasme de la part des collectivités à reprendre une partie du réseau national, ce qui ne doit pas nous surprendre.
Faudrait-il s’en plaindre ou le regretter ? Rien n’est moins sûr, car, sur le fond, cette partition du réseau national non concédé pourrait conduire à soumettre certains itinéraires aux aléas et caprices des différentes autorités de transport qui auraient à s’en occuper. On ne peut exclure que, pour certains itinéraires reliant un point A à un point B, l’usager de la route ait à traverser des portions appartenant à plusieurs institutions différentes, qui n’auront pas toutes forcément la même approche des politiques routières. Nous aurions tout de même besoin d’une cohérence nationale pour structurer notre réseau national…
La présente proposition de loi prévoit que, sur demande des régions volontaires pour la reprise de fractions du réseau routier national, « le président du conseil régional peut, pour l’exercice de ses attributions propres ou de celles qu’il a reçues par délégation du conseil régional, par arrêté, donner délégation de signature, sous sa surveillance et sous sa responsabilité, aux chefs des services ou des parties de services mis à disposition ainsi qu’aux agents de l’État qui exercent au sein de ces services des fonctions de responsabilité au niveau territorial ou fonctionnel ».
Voilà ce que nous appelons simplification administrative, mes chers collègues !
Tout cela intervient dans un contexte où les négociations sur les modalités financières des transferts n’ont pas abouti et où les négociations des contrats de plan sont toujours en cours. Il aurait pu être intéressant de profiter de cette occasion pour proposer des financements complémentaires aux régions.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Gérard Lahellec. L’article unique qui nous est proposé vise à adapter une procédure de délégation de signature de manière à faciliter les conventionnements entre l’État et les régions. Les présidents de région seraient ainsi habilités à signer des documents pour les fractions de route nationale continuant à relever pour partie de la compétence de l’État. Avouons qu’il s’agit tout de même d’une curieuse modalité de décentralisation !
Au moment du vote de la loi 3DS, je ne suis pas sûr que nous avions prévu une telle différenciation ni une simplification aussi compliquée.
Même si la procédure consistant à passer par une nouvelle proposition de loi pour résoudre un problème juridico-administratif apparaît comme la seule solution, cela n’excuse pas l’amateurisme qui a prévalu au moment de l’adoption de cette loi. Tout cela n’est pas très sérieux, raison pour laquelle nous ne souhaitons pas voter ce texte.
Nous ne voulons pas soutenir un transfert piégeux pour les régions, mais nous ne voulons pas non plus nourrir un blocage contre les exécutifs des régions qui ont eu l’audace de se lancer dans cette aventure et qui devront l’assumer. C’est pourquoi nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour examiner la proposition de loi de notre collègue député David Valence, également président du Conseil d’orientation des infrastructures (COI).
Ce texte d’ordre technique vise à corriger l’un des points du transfert du réseau routier national non concédé aux régions, à savoir la possibilité d’expérimenter qu’a ouverte la loi 3DS en son article 40. Plusieurs rectifications sont prévues pour assurer la bonne marche de cette expérimentation.
En premier lieu, il s’agit d’autoriser la délégation de signature du président de région aux agents de l’État chargés du réseau routier, c’est-à-dire ceux qui exercent dans les directions interdépartementales des routes et dans les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement.
En l’état actuel du droit, la possibilité pour l’exécutif régional de déléguer sa signature à des agents de l’État mis à disposition ne peut être mobilisée pour l’exercice d’une compétence transférée ou mise à disposition. En outre, le droit ne permet qu’une délégation aux chefs de services déconcentrés alors que, pour la gestion des routes, des subdélégations au sein même des services sont nécessaires. Cette modification lève donc un obstacle opérationnel à l’expérimentation en cours.
En second lieu, le texte prévoit l’allongement de huit à seize mois du délai pour la signature de la convention État-région fixant les modalités de mise à disposition aux régions des sections routières nationales.
Comme plusieurs de mes collègues l’ont souligné, trois régions ont d’ores et déjà sauté le pas : l’Occitanie, le Grand Est et Auvergne-Rhône-Alpes. Celles-ci vont donc récupérer à titre expérimental la gestion de 1 638 kilomètres d’autoroutes et routes nationales pour une période de huit ans.
Si l’on compte les départements et les métropoles parties prenantes de l’expérimentation, près de 30 % du réseau routier national ont changé de main dans le cadre de l’expérimentation, soit un taux qui reste en deçà des espérances initiales. On est loin du transfert aux départements des 18 000 kilomètres de routes nationales opéré dans le cadre de la loi du 13 août 2004.
N’ayant été élu sénateur que récemment, je n’ai pas participé aux débats de la loi 3DS. Il peut paraître étonnant que l’on ait souhaité transférer une compétence routière aux régions qui, au contraire des départements, n’ont jamais eu de services spécialisés dans le domaine de la voirie. Il me semblait que l’époque était à la clarification des compétences et à la simplification… Toutefois, l’heure n’est pas encore à l’évaluation ni au bilan de l’expérimentation.
Devant cette nouveauté sans doute appelée à durer, il n’est pas surprenant que nous ayons à ajuster le tir pour satisfaire les exigences du Conseil d’État, alors que les conventions ne sont pas encore toutes signées. Il s’agit surtout de rendre effective dans les meilleurs délais l’expérimentation prévue pour les régions.
L’objet de cette proposition de loi étant à ce point circonscrit, je n’aurai pas d’autres remarques sur le fond du texte. Toutefois, il y aurait beaucoup à dire sur les compensations financières de l’État, notamment pour les départements – mes collègues l’ont mentionné.
En commission, nous avons considéré que cette proposition de loi n’avait pas à être modifiée compte tenu de l’objectif visé. Néanmoins, les membres du groupe RDSE voteront en leur âme et conscience. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger. ((Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi présentée par le député David Valence, qui vise à rendre pleinement opérationnelle l’expérimentation permise par la loi 3DS du 21 février 2022.
Cette loi a ouvert la voie, à titre expérimental pour une durée de huit ans, à la délégation de la compétence d’aménagement et de gestion des routes nationales et autoroutes non concédées aux régions volontaires.
Je tiens à rappeler le caractère précurseur, en matière de différenciation, de la Collectivité européenne d’Alsace. Celle-ci s’est en effet vue transférer, au moment de sa création, la propriété des routes et autoroutes non concédées, classées dans le domaine public routier national.
Dans une même logique de différentiation, la loi 3DS a ouvert aux régions la possibilité de renforcer leur rôle en matière de mobilité, conformément à la loi Maptam.
Cette expérimentation répond par ailleurs à une demande de l’association Régions de France qui, dans un contexte de dégradation du réseau concerné, proposait en 2017 que l’exercice de la compétence voirie soit confié aux régions.
Actuellement, trois régions se sont engagées dans cette voie et les modalités de l’expérimentation sont en cours de finalisation.
Il convient de saluer le caractère novateur de ces transferts, qui illustre aussi bien la dynamique de décentralisation et de différenciation voulue par le Président de la République que la capacité d’innovation des collectivités territoriales.
Ce sont les régions volontaires qui définissent, en partenariat avec l’État, les modalités de l’expérimentation sur leur territoire. Elles disposent ainsi d’une certaine liberté dans la manière dont elles pourront gérer les quelque 1 638 kilomètres de route qui leur seront à terme transférés.
La région Grand Est, par exemple, a saisi l’opportunité de ce transfert pour mettre en œuvre une écotaxe à destination des poids lourds. Quant aux régions Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie, elles en ont profité pour assumer plus efficacement leur qualité de chef de file en matière de mobilité.
Plus concrètement, le texte que nous examinons vise à lever certains obstacles pratiques au déploiement concret de cette expérimentation sans en altérer l’esprit ni les principales modalités.
L’une des difficultés majeures restait l’impossibilité pour les exécutifs des conseils régionaux de déléguer leur signature aux agents des services routiers que l’État est censé mettre à leur disposition pour l’exercice de ces compétences.
Aussi, afin de ne pas fragiliser le bon déroulement de l’expérimentation, l’article unique de cette proposition de loi complète utilement l’article 40 de la loi 3DS en permettant précisément au président du conseil régional, et éventuellement aux personnes à qui il a délégué son pouvoir, de donner délégation de signature aux agents de l’État intervenant sur le réseau routier mis à disposition.
Lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, nos collègues députés ont adopté en commission des lois un amendement visant à prolonger le délai pour la signature de la convention État-région devant fixer les modalités de mise à disposition des sections routières nationales. Ce temps permettra de mieux sécuriser juridiquement la conclusion de ces contrats.
Cette proposition de loi témoigne du même esprit décentralisateur que la loi 3DS auquel les membres du groupe RDPI souscrivent pleinement. Elle en complète les dispositions de manière pragmatique et utile dans le but de rapprocher le pouvoir de décision des citoyens et de leur offrir un service public plus efficace et plus performant.
Pour ces raisons, les membres du groupe RDPI soutiennent ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Roiron. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Pierre-Alain Roiron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans une trajectoire de modernisation nécessaire au bon fonctionnement de notre réseau routier.
Depuis l’adoption de la loi Maptam en 2014, les régions ont progressivement assumé un rôle central dans la gestion des mobilités. La compétence transport et mobilité est ainsi devenue l’un de leurs budgets de fonctionnement et d’investissement les plus conséquents. La loi 3DS, en autorisant l’expérimentation du transfert aux régions volontaires de la compétence d’aménagement et de gestion des routes nationales et autoroutes non concédées, poursuit cette évolution.
Notre groupe avait émis des réserves sur cette expérimentation lors de l’examen de la loi 3DS. Nous avions mis en exergue les défis potentiels qu’elle représentait pour la cohérence et la lisibilité des compétences des collectivités territoriales, notamment en ce qui concerne la voirie.
Cette expérimentation, entreprise par les régions Grand Est, Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes, a révélé des difficultés techniques et opérationnelles, en particulier lors des négociations entre les régions et l’État. Résoudre les défis identifiés par les régions concernées, tel est l’intérêt du texte que nous examinons.
En effet, la relation entre l’État et la région est l’un des moteurs de l’action publique qui permet aux collectivités territoriales de poursuivre leur effort de territorialisation.
Si le réseau non concédé représente seulement 1,1 % du réseau routier national, il n’en est pas moins stratégique en ce qu’il concentre 19 % du trafic routier. En tant qu’ancien élu local, je peux affirmer avec conviction que les collectivités territoriales sont très souvent les mieux placées pour gérer efficacement ces infrastructures. Nous saluons le fait que le président du conseil régional pourra exercer pour la gestion de ces routes les mêmes compétences que celles qui lui sont déjà attribuées dans le cadre du domaine régional.
Comme vous le savez, une lacune majeure a été identifiée : les actions quotidiennes relevant des attributions de pouvoir adjudicateur et d’ordonnateur, en matière de gestion et de conservation des infrastructures routières, requièrent une délégation de signature aux services et agents chargés des réseaux routiers fournis par l’État. Ce texte vient combler cette faille technique.
Les modifications apportées lors des débats à l’Assemblée nationale, notamment l’allongement du délai de huit à seize mois pour la négociation des conventions de mise à disposition des routes, démontrent une volonté d’adapter le texte aux réalités du terrain. Cela semblait essentiel pour éviter tout litige juridique en cas de dépassement du délai initial et pour sécuriser juridiquement les opérations à venir. Il s’agissait également de répondre à une demande légitime des régions, qui cherchent à assumer pleinement leurs responsabilités en matière d’aménagement du territoire.
Cependant, à ce jour, force est de constater que cette expérimentation n’a pas suscité l’enthousiasme tant attendu. C’est la raison pour laquelle il semble opportun d’assurer une transition fluide et durable vers cette nouvelle forme de gouvernance routière. Il importe également de ne pas complexifier l’expérimentation ni décourager les régions volontaires. Avancer ensemble, mais sans esprit de contrainte, tel est l’objet de ce texte.
En outre, il aurait pu être pertinent que la convention de mise à disposition entre l’État et la région précise le périmètre exact du domaine et des installations concernés, le but étant de clarifier les négociations qui interviennent après la décision ministérielle, afin de définir finement les voies, routes et autres biens inclus dans ce périmètre.
Les régions restent des entités républicaines créées par les lois de décentralisation de 1981. Il est fondamental de garantir et de faire évoluer leurs libertés. Il nous faut par conséquent amplifier leur autonomie financière et fiscale pour qu’elles puissent étendre leurs compétences. Toutefois, cela doit passer par la concertation.
L’expérimentation permet de déroger de manière temporaire aux lois et aux règlements nationaux pour permettre à nos collectivités de faire entendre leur voix dans les territoires, afin de développer leurs libertés locales.
Nous voterons en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Favreau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gilbert Favreau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi sur la mise à disposition aux régions du réseau routier non concédé.
Cette proposition de loi fait suite aux transferts successifs des routes aux collectivités territoriales.
En effet, le réseau routier national s’amenuise d’année en année. De par une évolution progressive, notamment l’acte II de la décentralisation, qui a transféré aux départements les deux tiers du réseau routier national, on compte désormais à peine plus de 11 000 kilomètres de routes nationales non concédées contre 37 000 kilomètres de routes départementales.
Pour sa part, la loi 3DS du 21 février 2022 en ses articles 38 et 40 permet aux départements et aux métropoles de récupérer un certain nombre de routes. Dans le même temps, l’article 40 introduisait, à titre expérimental pour huit ans, une procédure de mise à disposition de certains axes du réseau routier national non concédé par l’État aux régions volontaires.
Cette mise à disposition temporaire n’a séduit que trois des treize régions métropolitaines : le Grand Est, l’Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes. Ces trois régions disposeront donc pour huit ans de 1 638 kilomètres de routes nationales.
J’ouvre un aparté pour vous faire part de la manière dont nous avons vécu la mise en œuvre de la loi 3DS dans mon département des Deux-Sèvres.
Après avoir été sollicité, le conseil départemental des Deux-Sèvres a proposé à l’État le transfert de l’axe RN 149-249 entre Poitiers et Nantes, qui traverse la partie nord du département d’est en ouest. Cette demande était justifiée par les fortes contraintes de circulation sur cet axe et par un nombre très élevé d’accidents.
Dans sa réponse à l’État, le département fixait néanmoins trois conditions suspensives, à savoir un état des lieux précis de l’intégralité des charges transférées, notamment pour le personnel, une compensation de l’État pour les charges nouvelles excédant les charges de fonctionnement et d’investissement ordinaires et l’engagement de l’État de contribuer, au moins pour 50 %, au programme de modernisation de l’itinéraire financé par le contrat de plan État-région.
Sur cette demande, le département s’est vu opposer une fin de non-recevoir au motif que « le calcul d’une compensation financière liée à la décentralisation, constitutionnellement garantie, ne peut donner lieu à une négociation spécifique entre l’État et la collectivité territoriale bénéficiaire du transfert ». Le département n’a donc pas maintenu sa demande et nous en sommes restés au statu quo ante.
La proposition de loi qui nous occupe traite de difficultés qui sont spécifiques aux régions. Dans le cadre de l’expérimentation, seules deux des trois régions volontaires ont conventionné avec l’État et l’entrée en vigueur de la mise à disposition est prévue au 1er janvier 2025 sous réserve de la signature d’une convention complémentaire, qui risque de compliquer encore le dispositif.
De plus, la mise à disposition des agents, au nombre de 860, est très complexe. On avait oublié que si les départements ont un service des routes, ce n’est pas le cas des régions. On avait oublié également que le code général des collectivités territoriales (CGCT) ne prévoit pas la possibilité générale d’une délégation du président du conseil régional à des agents de l’État.
La proposition de loi pallie cet oubli en prévoyant une telle délégation de signature du président du conseil régional aux services de l’État.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Gilbert Favreau. Ce montage est pour le moins séduisant. Toutefois, il me semble que cette proposition de loi ne marquera pas l’histoire du Parlement… Elle aura surtout pour effet de montrer l’inanité du système : l’État n’a pas les moyens, mais il ne veut rien lâcher ! Toutefois, je voterai ce texte, conformément à la position du groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’autres l’ont dit avant moi, cette proposition de loi technique est bienvenue.
Elle répond à un véritable besoin des trois conseils régionaux concernés par les transferts expérimentaux de routes nationales. Je ne veux pas revenir sur le fond du texte, car mes collègues l’ont déjà très bien fait, notamment Pierre-Alain Roiron.
Lors de l’examen du projet de loi 3DS, avec les élus du groupe socialiste, nous avions regretté que le volet des recettes pour les régions ne soit pas inclus dans le dispositif, sous prétexte que l’article sur l’écotaxe allait être développé en parallèle dans la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience. Finalement, seule ma région du Grand Est pourra instaurer une écotaxe, compte tenu des conditions draconiennes qui ont été définies dans la loi Climat et résilience et confirmées dans l’ordonnance qui a suivi.
Comme en 2021, je considère que pour que ces expérimentations soient des succès, il faut définir les modalités les plus adéquates au cas par cas, avec les acteurs concernés, et les mettre en cohérence avec les besoins qui peuvent être ceux des régions intéressées. Dès lors qu’elles n’ont été que trois à se lancer, j’estime que la loi 3DS est partiellement en échec.
Aussi avais-je songé à déposer un amendement visant à rouvrir la possibilité pour les régions de demander des transferts, qui auraient conservé le caractère expérimental, mais en différenciant, décentralisant et déconcentrant véritablement les négociations des contrats entre l’État et les régions – c’est-à-dire en étudiant chaque projet individuellement, tant j’estime que la durée fixe de huit ans n’est pas transposable à chaque réalité locale et à chaque projet.
La région Grand Est, qui est la seule à pouvoir instaurer une écotaxe, a besoin de ressources financières importantes pour amortir les investissements lourds et nécessaires sur les axes transférés expérimentalement, à commencer par l’élargissement et le verdissement de l’A31. Mais il a fallu attendre dix-huit mois pour que l’ordonnance écotaxe soit publiée : autant de temps et de ressources perdus pour la région, alors même qu’elle doit en parallèle travailler avec les directions interdépartementales des routes pour parfaire le partage de l’expertise technique, et avec les conseils départementaux pour agir de concert face aux risques de fuite des poids lourds sur les axes voisins de l’A31.
Plus généralement, une incertitude pèse sur l’effectivité des compensations financières liées à ces transferts : celles-ci sont régies par les contrats de plan État-région ; or les nouveaux volets mobilité desdits contrats s’étendent sur la période allant de 2023 à 2027. Ils ne couvrent donc pas l’intégralité de la durée de ces expérimentations, entre 2022 et 2030, et ne permettent pas aux conseils régionaux concernés de mener des politiques ambitieuses sur ces réseaux.
Je sais que les régions attendent ce texte. Je n’ai donc pas déposé d’amendement pour ne pas risquer de compromettre l’adoption conforme.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire si vous êtes prêt à relancer des cycles d’expérimentations de transferts en modifiant l’article 40 de la loi 3DS et, cette fois-ci, en renforçant les volets budgétaires et temporels comme je viens de l’indiquer ?
Avant de lancer des conventions citoyennes sur les mobilités, n’oublions pas de régler d’abord les tracasseries du quotidien causées par des textes pas assez bien écrits ni préparés, ce qui oblige les parlementaires, en l’occurrence David Valence, député de votre majorité, à devoir rectifier le tir deux ans plus tard.
Le groupe socialiste votera en faveur de ce texte court, précis et utile pour nos collectivités régionales. S’il vous plaît, monsieur le ministre, et à travers vous c’est à tout le Gouvernement que je m’adresse, travaillons autrement sur le volet législatif et écoutons davantage les élus locaux sur tous les sujets pour ne pas avoir à refaire ce pour quoi nous sommes réunis cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons vise à améliorer l’efficacité de la gouvernance régionale et à corriger une lacune de la loi 3DS.
L’article 38 de ladite loi prévoit la possibilité pour l’État de transférer aux départements, métropoles et régions des autoroutes, routes ou portions de voies non concédées. Aux termes de plusieurs décrets précisant les modalités et compensations de ces transferts, la situation est aujourd’hui celle d’un partage possible entre départements, régions et métropoles pour la gestion par les régions des routes nationales et des autoroutes non concédées.
Dans cette perspective, je voudrais brièvement évoquer deux éléments absents de ce texte et qui mettent en évidence les enjeux de cette proposition de loi, qui soulève des interrogations quant à la mise en œuvre de la décentralisation.
Le premier élément porte sur le rôle des départements, qui ne doit pas être oublié, même si le texte l’occulte. Au regard des débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale, je constate que cela n’a rien d’évident. Lors de l’examen de la loi 3DS au Sénat, le 8 juillet 2021, nous avions initialement supprimé l’article qui permettait à l’État de transférer des routes du réseau national aux régions volontaires.
Le second élément que je voudrais évoquer concerne le rôle de l’État. La loi 3DS a ouvert la troisième phase de désengagement de l’État dans le réseau routier, après des transferts massifs aux départements en 1972 et 2006. Aujourd’hui, quel rôle l’État joue-t-il encore ?
Cette réponse, nous l’attendons en Aveyron, où l’axe entre Toulouse et Lyon reste encore à aménager sur quarante kilomètres de passage à deux fois deux voies de la RN 88 entre Rodez et Sévérac-d’Aveyron, particulièrement accidentogènes.
L’État a concédé ce tronçon restant à réaliser au département de l’Aveyron. L’engagement financier substantiel de ce département et de la région Occitanie montre la volonté de faire avancer ce projet d’intérêt national. Cependant, des interrogations sur le financement complet de cet axe subsistent et l’engagement de l’État se fait attendre, alors même qu’il est crucial pour la réalisation dudit projet.
Ce dossier aveyronnais expose la complexité actuelle de la gestion du réseau routier principal par les collectivités territoriales et l’État.
Pour revenir plus directement au texte que nous examinons, cette proposition de loi est technique, comme l’ont rappelé les orateurs précédents. Compte tenu du travail accompli par la commission des lois, dont je salue le rapporteur et le président, je n’ai rien à ajouter. Par conséquent, nous voterons ce texte. Toutefois, monsieur le ministre, n’oubliez pas l’Aveyron ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.
proposition de loi visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau routier national non concédé
Article unique
(Conforme)
L’article 40 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi modifié :
a) Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Sur le domaine public routier mis à la disposition des régions, le président du conseil régional exerce les attributions prévues à l’article L. 4231-4 du code général des collectivités territoriales. » ;
b) Le troisième alinéa est complété par les mots : « de la présente loi » ;
c) À la première phrase du septième alinéa, le mot : « huit » est remplacé par le mot : « seize » ;
2° Le III est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« Dans le cadre de l’expérimentation prévue au présent article, le président du conseil régional peut, pour l’exercice de ses attributions propres ou de celles qu’il a reçues par délégation du conseil régional, par arrêté, donner délégation de signature, sous sa surveillance et sous sa responsabilité, aux chefs des services ou des parties de services mis à disposition ainsi qu’aux agents de l’État qui exercent au sein de ces services des fonctions de responsabilité au niveau territorial ou fonctionnel.
« Dans le cadre de l’expérimentation prévue au présent article, lorsque le président du conseil régional délègue une partie de ses fonctions aux vice-présidents ou à d’autres membres du conseil régional en application de l’article L. 4231-3 du code général des collectivités territoriales, le délégataire peut, sauf disposition contraire dans l’arrêté de délégation de fonction, subdéléguer la signature des actes relatifs à la fonction déléguée aux chefs des services ou des parties de services mis à disposition ainsi qu’aux agents de l’État qui exercent au sein de ces services des fonctions de responsabilité au niveau territorial ou fonctionnel.
« Les délégataires et subdélégataires peuvent, sauf disposition contraire dans l’acte de délégation ou de subdélégation, subdéléguer leur signature aux agents de l’État qui exercent au sein de leur service des fonctions de responsabilité au niveau territorial ou fonctionnel. »
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la procédure normale ayant été rétablie à la demande d’un autre groupe que le nôtre, je m’engouffre dans la brèche pour interpeller le Gouvernement.
En effet, la loi 3DS a été promulguée voilà plus de deux ans : une fois encore, nous constatons que la mise en œuvre des lois pose problème.
Parfois, les services de l’État se montrent très vigilants, allant même jusqu’à corseter l’action des parlementaires ; parfois – c’est le cas en l’occurrence –, ils laissent faire et ne font que se heurter dans les faits à l’impossibilité de mettre en œuvre un texte.
Monsieur le ministre, à l’instar de mon collègue Gérard Lahellec, je veux attirer votre attention sur la situation dans laquelle les régions se trouvent. Elles rencontrent de lourdes difficultés pour faire aboutir le volet mobilité des CPER. Elles ont besoin d’un engagement de l’État pour les aider à relever ce défi. Elles doivent pouvoir répondre aux besoins de mobilité des habitants que ce soit par la route ou par le rail.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi relative au réseau routier national non concédé.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
6
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Adaptation du droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels (proposition n° 160, texte de la commission n° 389, rapport n° 388).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte dont nous débattons cet après-midi revêt une importance capitale, et je veux d’emblée dire ici qu’il emporte ma pleine et entière adhésion.
J’ai entendu les préoccupations de nos agriculteurs qui se trouvent de plus en plus souvent confrontés à des néoruraux souhaitant s’installer au vert sans en accepter toutes les conséquences.
Je le dis, cela n’est pas acceptable. Si l’on choisit la campagne, on doit l’accepter telle qu’elle est,…
M. Jean-Michel Arnaud. Très bien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … c’est-à-dire avec les gens qui y travaillent et qui la font vivre.
Dès le salon de l’agriculture de l’an passé, j’ai fait connaître ma volonté d’avancer sur cette question, afin de faire cesser les procès ubuesques que l’on voit fleurir régulièrement.
Car, oui, notre campagne est un milieu vivant, parfois même bruyant et odorant, un milieu dans lequel des femmes et des hommes se lèvent tôt, travaillent avec passion et sans compter leurs heures, pour nous nourrir.
Derrière les affaires qui peuvent prêter à sourire, dans lesquelles on cherche à faire taire le coq Maurice ou les cloches d’une église, il y a des situations humaines, des enjeux économiques, qui méritent que l’on s’y attarde.
Oui, certaines personnes engagent des actions en justice, parce qu’elles sont incommodées par le bruit des moissonneuses-batteuses. Pardonnez-moi cette familiarité, mais, parce que ces individus sont incommodés par le bruit des machines, ils semblent avoir oublié que l’on ne peut manger de pain si l’on ne coupe pas les blés…
Je le dis tout net, lorsque l’exploitation est là avant l’installation de la personne qui saisit la justice, ce type de procès n’a évidemment aucune raison d’être.
La présente proposition de loi permet de poser les conditions d’un « vivre ensemble » équilibré ; surtout, elle garantit le respect absolu de ceux qui vivent et travaillent chez eux depuis toujours.
Qu’il me soit permis d’insister ici sur un élément qui, je le crois, sera un point clé lors de nos débats : si ce texte répond à un besoin réel de nos campagnes, il a vocation à s’appliquer à toutes les relations de voisinage, puisque nous créons un nouvel article dans le code civil.
Sont donc concernés de la même manière les voisins des villes comme les voisins des champs. Je pense, par exemple, à la pizzeria du rez-de-chaussée qui, certes, dégage des odeurs et est bruyante, mais qui était là avant que de nouveaux habitants n’emménagent au premier étage.
La proposition de loi consacre tout d’abord le principe jusqu’alors jurisprudentiel de la responsabilité fondée sur les troubles anormaux de voisinage : chacun a le droit de jouir paisiblement de sa propriété, de son logement, de son fonds et a droit à réparation du préjudice qu’il subit.
C’est ce principe simple, partagé par tous, qui est repris dans le présent texte. Il s’agit d’une responsabilité sans faute. L’introduction de ce principe général dans le code civil le rend plus lisible et accessible ; elle renforce la sécurité juridique du droit français et assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi.
Le texte institue par ailleurs une exception générale tirée de la théorie dite « de la pré-occupation », afin de trouver un meilleur équilibre entre les différents intérêts en présence.
Tel est, mesdames, messieurs les sénateurs, le cœur du sujet qui nous occupe, car cette disposition fixe le principe selon lequel celui qui s’installe à proximité d’un lieu particulièrement bruyant ou polluant ne peut se plaindre d’un trouble anormal du voisinage, alors même que la nuisance existait au moment de son installation.
Le texte adopté par l’Assemblée nationale avait permis d’élargir le périmètre de cette exception de bon sens – de bon sens paysan, allais-je dire ! –, dont les modalités sont prévues actuellement à l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation.
L’exception a ainsi été étendue à celui qui exerce son activité dans des conditions nouvelles si celles-ci ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble. L’objectif est de ne pas limiter à l’excès les possibilités d’évolution des activités en question, de ne pas les figer dans un carcan qui limiterait leur développement, tout en les encadrant, pour ne pas nuire excessivement au voisinage.
La commission des lois du Sénat a par ailleurs souhaité ajouter, sur votre initiative, madame la rapporteure Gatel – je tiens ici à saluer votre travail –, le qualificatif d’« économiques » à la notion d’activités, afin de préciser le type d’activités visées par l’exonération.
Vous avez également précisé la notion d’« installation » de la victime sur les lieux ; vous avez ainsi privilégié la référence à un acte juridique en identifiant « l’acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage ».
Permettez-moi cependant d’exprimer une réserve sur ces modifications, qui restreignent le champ d’application du texte.
La restriction de l’exonération aux seules activités économiques ne traduit pas vraiment la volonté d’introduire ces règles de responsabilité dans le code civil, car ce dernier a vocation à être le plus général possible et à englober tous types d’activités, de quelque nature qu’elles soient.
De la même manière, la référence à « l’acte ouvrant le droit de jouissance » paraît trop restrictive et difficilement compréhensible. En effet, cette rédaction, contrairement à celle de l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation – dont elle s’inspire – n’inclut ni l’obtention d’un permis de construire ni la conclusion d’un acte authentique de vente, ce qui limite significativement la portée de l’exonération de responsabilité.
Là encore, la codification devrait concerner l’ensemble des citoyens, qu’ils habitent à la campagne ou en ville, qu’ils soient propriétaires ou locataires, qu’ils exercent une activité économique ou non.
Votre commission a enfin souhaité ajouter un III à l’article unique, afin de prévoir, dans le code rural et de la pêche maritime, un périmètre d’exonération plus étendu pour les activités agricoles dans le cas où le trouble anormal provient d’activités nouvelles résultant d’une mise en conformité de l’exploitation.
Seront examinés tout à l’heure des amendements tendant à insérer des dispositifs dans ledit code rural et de la pêche maritime, afin de satisfaire le souhait de nos agriculteurs de bénéficier d’une protection plus forte lorsque l’exercice de leur activité évolue. Cette préoccupation est légitime ; le Gouvernement y est particulièrement sensible.
Nous devons cependant rester attentifs dans la suite de nos débats à ce que le dispositif mis en place préserve un certain équilibre constitutionnel, à défaut de quoi nous risquerions la censure, notamment au regard du principe d’égalité des citoyens devant la loi, ainsi que du droit à un recours effectif.
Ne perdons pas de vue notre objectif : clarifier et sécuriser le régime de la responsabilité pour trouble anormal de voisinage et son exception, dont les conditions découlent de la théorie de la pré-occupation précitée, pour décourager les recours abusifs et vexatoires entre voisins.
Mettre un terme à des procès abusifs : c’est bien de cela qu’il s’agit. On dénombre aujourd’hui plusieurs centaines de procédures engagées contre des agriculteurs par des voisins quérulents, qui se plaignent de nuisances liées à leur activité. L’odeur du bétail, le bruit des tracteurs, le chant du coq ou encore le meuglement des vaches poussent certains de ces nouveaux habitants à saisir la justice, à l’instrumentaliser et à s’opposer à des exploitations qui étaient là bien avant leur arrivée.
Plus encore que décourager les recours contentieux, ce texte doit également servir d’instrument de dialogue entre voisins et contribuer à trouver une solution amiable, d’autant que, comme vous le savez, le développement des procédures amiables est l’une de mes priorités. Du reste, je sais, madame la rapporteure, que ce sujet vous tient aussi particulièrement à cœur. (Mme le rapporteur acquiesce.)
À cet égard, je précise que la tentative de médiation ou de conciliation préalable à la saisine du juge s’applique précisément aux troubles anormaux de voisinage.
Je forme le vœu que cette proposition de loi, qui définit les contours précis de notre cohabitation à tous – et même si sa rédaction devra encore être améliorée – puisse contribuer, dans le droit fil de la politique de l’amiable, à la pacification des relations de voisinage sur l’ensemble du territoire et au désengorgement des tribunaux.
C’est en somme un texte de concorde locale et d’apaisement. Par les temps qui courent, nous en avons bien besoin ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’apporter, à la suite du président Larcher, mon soutien le plus total à notre collègue François Patriat.
Monsieur le garde des sceaux, je partage l’essentiel de votre propos. Je souscris en tout cas à la manière dont vous avez présenté le dispositif de cette proposition de loi et à la nécessité d’une concorde dans notre pays, notamment au niveau local, entre ceux qui travaillent, font vivre et développent les territoires, et ceux qui s’y installent et découvrent que la campagne est tout autant qu’un lieu de vie un lieu où s’exercent des activités et des métiers essentiels, un lieu qui nous nourrit.
Comme vous l’avez souligné, le chant du coq, les odeurs de bétail, la pollution visuelle due à une cheminée d’usine ou de simples nuisances provoquées par des voisins irrespectueux, les troubles anormaux de voisinage font partie du quotidien de nos concitoyens. Ils empoisonnent parfois la vie des juges, mais ils gênent aussi ceux qui travaillent dans nos campagnes.
Après la loi du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi qui, en vue de clarifier et d’améliorer la lisibilité du droit, tend à codifier un régime largement dégagé par la jurisprudence.
Cet objectif me paraît pouvoir être pleinement partagé par le Sénat. J’en profite pour saluer l’engagement de l’auteure de ce texte, notre collègue députée du Morbihan, Nicole Le Peih.
Cette proposition de loi vise, d’une part, à inscrire dans le code civil un régime autonome de responsabilité sans faute, dont la codification, maintes fois envisagée, n’a jamais abouti et, d’autre part, à étendre la portée de la cause exonératoire, aujourd’hui prévue par le code de la construction et de l’habitation, à tous types d’activités et à tous types de demandeurs.
Dans le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale, cette cause exonératoire était applicable dès lors que trois critères étaient réunis : l’antériorité de l’activité génératrice du trouble à l’installation du demandeur ; sa conformité aux lois et règlements en vigueur ; sa poursuite dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles, qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal.
Favorable au principe d’une codification, la commission des lois a souhaité apporter plusieurs modifications à ce texte, afin d’en renforcer et d’en préciser le dispositif.
Tout d’abord, nous entendons apporter un début de réponse à la situation extrêmement difficile des exploitants agricoles, particulièrement concernés par la multiplication des recours de riverains souhaitant faire cesser ce qu’ils estiment être des troubles anormaux de voisinage, lesquels sont pourtant souvent considérés comme abusifs, ce dont témoigne le récent exemple de Vincent Verschuere dans l’Oise.
Afin de pallier cette difficulté, nous avons fait en sorte de garantir l’application de la cause exonératoire de responsabilité, dès lors que la modification des conditions d’exercice de l’activité résulte d’une nécessaire mise en conformité aux lois et règlements.
Prenons un exemple : si la loi interdisait demain l’élevage des poules pondeuses en batterie, cela signifierait que les producteurs d’œufs devraient se tourner vers l’élevage en plein air ; ils seraient alors tenus, pour se conformer à la loi, d’adapter leur activité pour éviter que celle-ci ne crée des troubles anormaux de voisinage.
Nous aurons l’occasion d’y revenir dans le cours de la discussion, puisque deux amendements ont trait à cette question. Sans présager du sort qui leur sera réservé, il me semble que notre assemblée doit poursuivre l’effort engagé par la commission et apporter une réponse aux inquiétudes pressantes des agriculteurs – c’est en tout cas la volonté que notre commission des lois a exprimée.
Ensuite, nous nous sommes attachés à sécuriser le dispositif à deux égards.
En premier lieu, si elle ne s’est pas montrée hostile par principe à l’extension à diverses activités de la cause exonératoire, la commission a relevé l’indétermination relative de la notion et les difficultés d’application qu’elle pourrait poser : doit-on vraiment exonérer tous types d’activités, y compris celles qui sont exercées dans un cadre strictement privé et qui ne peuvent dès lors être connues du nouveau voisin s’installant à proximité ?
Il a par conséquent semblé à la commission que la limitation aux seules activités économiques était davantage conforme à la philosophie générale de ce texte et à celle qui sous-tend une telle cause exonératoire, laquelle repose sur l’idée qu’un équilibre doit être impérativement trouvé entre jouissance paisible et liberté d’entreprendre et de travailler.
L’un des amendements à l’article unique tend à revenir sur ce point : si la proposition de la commission est peut-être perfectible, il serait toutefois dommage, monsieur le garde des sceaux, que nous n’apportions aucune solution à ce que nous avons qualifié d’« inexactitudes ». Celles-ci ont été relevées, lors de nos auditions, par des magistrats qui auront un jour à connaître des difficultés d’application qu’elles entraînent.
En second lieu, la commission des lois a souhaité préciser la notion d’installation. Mal définie dans le code civil, celle-ci présente l’inconvénient de ne pas renvoyer à un acte, mais à un fait juridique : l’occupation par le nouveau voisin des lieux.
Suffit-il à quelqu’un de poser quelques meubles dans une maison pour qu’il puisse se prévaloir d’une quelconque légitimité pour déposer un recours ? L’appréciation d’une telle installation peut être sujette à interprétation.
La commission a donc renvoyé en la matière à un « acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage », notion qui présente le double avantage de prévoir une datation précise et de renvoyer à une réalité juridique plus objective et conforme au principe selon lequel « celui qui vient aux nuisances ne peut s’en plaindre ».
La discussion aura à nouveau lieu sur ce point, mais nous avons cherché à faire œuvre utile en précisant des notions qu’à défaut il appartiendra à la jurisprudence de circonscrire, avec les aléas et les incertitudes que cela emporte.
Enfin, nous avons souhaité compléter la codification de la jurisprudence qu’opère la présente proposition de loi, en prévoyant les conditions, actuellement déterminées par la jurisprudence, dans lesquelles le juge judiciaire peut, dans le cas d’une activité autorisée par l’administration, ordonner des mesures visant la réduction ou la cessation du trouble anormal de voisinage.
Nous avons tenu compte à cet égard de la jurisprudence du Tribunal des conflits, qui a émis des réserves sur la compétence du juge judiciaire en la matière, au vu notamment du nécessaire respect de la séparation des pouvoirs. Il me semble qu’ainsi nous les satisfaisons pleinement.
Selon nous, ce texte sera significativement complété et sécurisé au terme de son examen par notre assemblée. Il présente l’intérêt d’apporter des éléments de réponse cruciaux aux difficultés rencontrées par les exploitants agricoles en matière de troubles anormaux de voisinage.
Dans ces conditions, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de loi, qui concrétise un effort attendu et nécessaire de codification. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, régulièrement, les médias attirent notre attention sur des contentieux liés à des troubles de voisinage en milieu rural, en raison du mode de vie à la campagne ou des activités agricoles.
Le son des cloches de l’angélus, le chant du coq, le bruit des tracteurs et des moissonneuses-batteuses, les odeurs à proximité d’exploitations agricoles, le meuglement des vaches, le bêlement des brebis : oui, la ruralité a ses spécificités liées aux diverses nécessités du travail agricole et à la vie villageoise.
S’ils peuvent prêter à sourire tant ils apparaissent cocasses, anecdotiques ou semblent reposer sur des motifs futiles, ces litiges traduisent parfois des situations très complexes.
L’anormalité de ces troubles de voisinage est appréciée in concreto par le juge qui se fonde sur une jurisprudence abondante.
La proposition de loi que nous examinons cet après-midi a pour objet de moderniser et de compléter le droit de la responsabilité civile en insérant dans le code civil un volet relatif aux conflits de voisinage.
Elle consacre ainsi une jurisprudence bien établie, afin que le principe de responsabilité fondée sur les troubles anormaux de voisinage à la campagne, comme à la ville, puisse être appliqué à l’ensemble du territoire de manière uniforme.
Une exception à ce principe est néanmoins prévue par le texte. En effet, le juge peut écarter cette responsabilité, dès lors que le trouble résulte d’une activité qui est à la fois préexistante à l’installation du nouveau voisin et conforme à la législation en vigueur, et que cette activité s’est poursuivie dans les mêmes conditions après l’installation du nouvel arrivant.
Ces trois conditions cumulatives garantissent ainsi un juste équilibre entre les intérêts de chacun.
Je partage la position de la commission des lois, qui souhaite améliorer le dispositif proposé et remédier à la principale difficulté à laquelle les exploitations agricoles peuvent être confrontées : ainsi, sur proposition de la rapporteure, un exploitant qui aura modifié les conditions d’exercice de son activité, afin de les mettre en conformité avec les nouvelles normes, ne pourra plus voir sa responsabilité engagée en cas de trouble anormal qui résulterait de cette mise en conformité. Je me réjouis de l’insertion de cette précision.
Avant de conclure, je tiens tout particulièrement à saluer l’action de médiation et de conciliation des maires des petites communes rurales. En effet, ils œuvrent avec dévouement et abnégation à l’apaisement des relations de voisinage entre les ruraux et les nouveaux arrivants lorsqu’un désaccord surgit.
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi, en apportant clarté et cohérence au droit de la responsabilité civile, est la bienvenue.
Elle n’empêchera pas certains procès d’avoir lieu, mais elle fournira un cadre juridique plus stable et homogène aux juges. Elle permettra de réduire les conflits de voisinage, en protégeant notamment nos agriculteurs contre les actions abusives intentées par certains nouveaux habitants des territoires ruraux. Elle aidera également les maires qui se trouvent en première ligne pour tenter de désamorcer ces conflits.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi, utilement modifiée en commission. (M. Pierre Jean Rochette applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Olivia Richard. Monsieur Patriat, permettez-moi tout d’abord de vous faire part à mon tour, à la suite de M. le président du Sénat, de M. le président du groupe Union Centriste et de Mme la rapporteure, de tout le soutien et de toute la sympathie de mon groupe.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la question de l’inscription du régime de la responsabilité civile pour troubles anormaux de voisinage dans le code civil a déjà fait l’objet de diverses propositions de loi d’origine sénatoriale par le passé. Ce texte s’inscrit dans un travail plus large d’adaptation de la responsabilité civile aux enjeux actuels.
Comme cela a été évoqué à de nombreuses reprises au cours de nos travaux, la responsabilité civile – ou l’obligation pour chacun de répondre du dommage causé à autrui et d’en assumer les conséquences – repose actuellement sur cinq articles du code civil, qui sont vieux de plus de 200 ans.
Ainsi, cette notion n’a été modernisée, au fil des divers bouleversements qui ont restructuré notre société, qu’au travers d’une importante construction jurisprudentielle issue des arrêts de la Cour de cassation. Cela n’apparaît plus suffisant aujourd’hui. Aussi ne peut-on que se réjouir de légiférer pour mieux encadrer ce droit, qui est le fondement de notre vie en société, la base de notre capacité à cohabiter.
Mes chers collègues, je veux saluer le travail de la commission, en particulier celui de la rapporteure Françoise Gatel, qui s’est attachée à préciser la rédaction de la clause d’exonération à la reconnaissance du trouble anormal de voisinage – c’était nécessaire. L’adoption en commission de son amendement a également apporté de précieuses clarifications sur les conditions dans lesquelles le juge judiciaire peut accorder des dommages et intérêts au demandeur et ordonner au défendeur de réduire ou de faire cesser le trouble.
Enfin, je tiens à remercier la députée Nicole Le Peih. L’inscription dans le code civil du régime de la responsabilité civile pour troubles anormaux de voisinage a été souvent envisagée, mais toujours repoussée. On ne peut donc que féliciter notre collègue de l’Assemblée nationale de sa persévérance.
Chacun d’entre nous peut un jour être confronté aux troubles du voisinage : nous ne vivons pas retranchés dans des îlots déconnectés du monde, nous habitons aux côtés des autres. Au-delà des voisins en conflit, qui sont les premiers intéressés, ce sujet concerne aussi les maires, bien souvent en première ligne et, si j’ose dire, à portée d’engueulade.
En effet, ces derniers sont régulièrement interpellés et sollicités pour résoudre les troubles de voisinage. Il en va de même pour les préfets, les procureurs, les juridictions, alors que l’on dénombre près de 18 000 dossiers ayant trait à un trouble anormal du voisinage.
Bien entendu, certaines de ces plaintes sont sans fondement : alors que le salon de l’agriculture vient de se clore, je ne peux que partager l’agacement des centaines d’agriculteurs qui, accusés de nuisances par leurs voisins néoruraux, sont forcés de s’expliquer devant le tribunal au sujet des effluves qui émanent de leurs troupeaux ou des bruits de leurs moissonneuses-batteuses – vous l’avez relevé, monsieur le garde des sceaux. Ces contraintes sonores ou olfactives sont, parmi d’autres, inhérentes aux activités d’une exploitation agricole.
Peut-être avez-vous d’ailleurs suivi l’affaire du fameux coq Maurice, traîné devant les tribunaux par ses voisins qui l’accusaient de chanter dès l’aube : elle a fini par mobiliser les médias du monde entier. Nous pouvons en sourire, mais ces péripéties judiciaires pèsent sur le moral des agriculteurs et peuvent même détruire des vocations à l’égard d’une profession pourtant indispensable à notre souveraineté alimentaire.
Aujourd’hui, nous protégeons non plus le chant du coq Maurice, mais bien le caquètement des poules délivrées de leurs batteries. Sur ce point, les agriculteurs peuvent être rassurés : comme je viens de le rappeler, en commission, en adoptant un amendement de la rapporteure, nous avons introduit une clause les protégeant des plaintes pour nuisance liées à leur activité agricole, quand bien même celle-ci viendrait à évoluer pour se conformer à de nouvelles normes.
Plus globalement, nous considérons que cette proposition de loi, qui codifie la jurisprudence, est indubitablement la bienvenue, dans un contexte de judiciarisation croissante des problèmes de voisinage. Le dispositif proposé est clair et équilibré et la clause exonératoire, fondée sur la théorie de la pré-occupation et ses trois critères – respect de la législation, antériorité du trouble et poursuite, dans les mêmes conditions, de l’activité qui en est à l’origine – est empreinte de réalisme.
Enfin, si nos débats portent sur une proposition de loi, pour répondre aux troubles anormaux de voisinage, n’oublions pas la prépondérance des liens sociaux et des relations de proximité à l’échelle du quartier : bien souvent, ils demeurent les meilleurs remèdes aux maux humains. C’est bien lorsque toutes les modalités de dialogue et de conciliation ont été épuisées que cette loi doit s’appliquer.
Mes chers collègues, je vous confirme, car vous l’aurez compris, que le groupe Union Centriste votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Catherine Di Folco applaudit également.)
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ». Il convient de cohabiter au mieux avec ses voisins, y compris sur ses travées. (Sourires.)
La proposition de loi que nous examinons découle d’une réflexion engagée de longue date en vue de codifier le régime de la responsabilité sans faute du trouble anormal de voisinage. Cette notion juridique, consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation, s’appuie sur l’appréciation du juge au fond, qui, seul, détermine la nature du trouble – bruits, odeurs, entraves à la vue…
Elle est caractérisée, comme l’a rappelé la rapporteure, par l’existence d’un dommage, l’anormalité du trouble, la relation de voisinage entre le défendeur et le demandeur, selon l’appréciation du juge. Des exonérations existent, la plus importante étant la condition de pré-occupation, c’est-à-dire la préexistence de l’activité entraînant un trouble anormal de voisinage.
Chacun peut trouver logique que, dès lors qu’une activité existait avant l’installation d’un nouveau voisin, le trouble qu’elle occasionne ne puisse constituer un trouble anormal de voisinage. Toutefois, cette logique a des limites.
Aussi, si le groupe GEST salue le principe d’une codification de cette notion, qui était attendue, il est moins enclin à accepter l’inscription dans la loi d’exonérations absolues et étendues, comme le prône la commission des lois.
L’Assemblée nationale avait déjà assoupli formellement le critère de poursuite, mais la commission des lois du Sénat est allée plus loin – trop loin, à notre sens. Comme vous le savez, le groupe GEST prône pour un contrôle du juge. Aussi l’exonération spécifique pour les activités agricoles introduite par la commission paraît-elle trop large.
Les juristes Geneviève Viney, Patrice Jourdain et Suzanne Carval, dans leur traité de droit civil publié en 2017, considèrent que ces dispositions établissent vis-à-vis du premier occupant une « servitude légale de pollution », tendant à « pérenniser les situations nuisibles à l’environnement ».
L’idée de la commission est donc la suivante : lorsqu’un exploitant agricole modifie les conditions d’exercice de son activité pour la mettre en conformité avec les lois et les règlements, sa responsabilité ne peut pas être engagée du fait du trouble anormal en résultant. Il s’agit certes d’une position forte de la part du Sénat, mais elle nous semble pour le moins différenciée et, de ce fait, excessive.
Nous, écologistes, avons maintes fois souligné l’ambivalence qui prévaut dans l’application de ce principe de trouble anormal. Par exemple, la majorité de cet hémicycle souhaite vraisemblablement instaurer une exonération légale dans le cas de l’épandage de pesticides – sujet sur lequel nous avons, en vain, appelé à ouvrir aux maires la possibilité d’adapter les règles de distance lors de l’examen de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS –, considérant qu’une activité légale ne pourrait être perçue comme un trouble anormal de voisinage.
Admettons. À l’aune de ce raisonnement, que penser de l’interdiction d’installer des éoliennes ? Cette activité, tout aussi légale que l’épandage et tellement essentielle pour répondre à l’urgence environnementale, serait limitée ou sanctionnée au prétexte d’un préjudice visuel. Cette différenciation nous semble inégalitaire.
Nous regrettons ce réarmement juridique qui, encore une fois, a pour principal objectif et pour conséquence de protéger ceux qui commettent des nuisances et polluent, dès lors qu’ils le font au service d’une certaine idée de l’activité économique.
Sous couvert de traiter les conflits de voisinage entre néoruraux et citadins et les nuisances provoquées par les chants des coqs, cette proposition de loi pourrait emporter des conséquences très importantes sur des contentieux qui impliquent des exploitations agricoles polluantes – qui seraient, par exemple, passées d’un élevage moyen à un élevage intensif – ou des activités industrielles. Ce texte ne doit pas offrir un droit à polluer !
L’image quelque peu fantasmée des néoruraux ne doit pas cacher le fait que les conditions de vie des personnes qui habitent en milieu rural depuis très longtemps sont également menacées. Elles aussi subissent des pollutions environnementales, à l’instar des algues vertes, en Bretagne, qui sont la conséquence de nitrates d’origine agricole dans des bassins versants.
De plus, le groupe GEST regrette que ce texte soit examiné avant même que des politiques publiques nouvelles sur le sujet aient été évaluées. En effet, le recours à la conciliation pour répondre aux troubles anormaux du voisinage a été rendu possible il y a à peine deux ans. Avons-nous seulement évalué cette mesure avant d’en adopter une qui serait davantage restrictive pour ceux qui s’estiment lésés ?
Par ailleurs, ai-je besoin de rappeler que les personnes les plus précaires sont souvent celles qui subissent les plus grands dommages liés à des troubles du voisinage ? Je pense notamment à la pollution liée à une surfréquentation routière ou à la présence de sites de production industrielle près de leur logement, qu’elles ne peuvent pas quitter par manque de moyens.
Loin de se limiter à une structuration juridique nécessaire, le texte se drape dans une défense qui nous paraît caricaturale de la ruralité et de l’agriculture qui serait perturbée et empêchée par l’arrivée des rats des villes.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. C’est vrai !
M. Guy Benarroche. Vous connaissez la fable : Le Rat de ville et le rat des champs.
Il peut et il doit y avoir un contrôle du juge sur les préjudices que subissent nos concitoyens du fait des activités de leur voisinage. Les conditions d’exemptions prévues par ce texte étant trop larges, le groupe GEST ne le votera pas. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Quelle surprise ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les querelles de voisinage sont aussi vieilles que les relations humaines.
Parfois, le bon sens et le dialogue permettent de régler un différend, mais, dans certains cas, les enjeux économiques, moraux, esthétiques et psychologiques sont tels que le trouble ne peut qu’être porté devant les tribunaux.
Pour ce qui nous concerne, nous sommes de ceux qui analysent l’explosion des litiges entre voisins comme le symptôme d’un climat social dégradé et d’un affaiblissement du lien social dans notre pays.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. C’est vrai !
M. Ian Brossat. Bien souvent, les premiers remparts contre ces phénomènes sont les collectivités locales : les maires et les autres élus locaux endossent le rôle – souvent ingrat, il faut bien le dire – de médiateurs et de conciliateurs pour tenter, tant bien que mal, d’y faire face.
Il reste que les troubles de voisinage sont la cause de querelles et d’actions judiciaires qui pourrissent le quotidien d’un trop grand nombre de foyers, en ville comme à la campagne. Dès lors, nous ne pouvons que saluer la volonté d’intégrer dans le code civil, par l’adoption de cette proposition de loi, le trouble anormal de voisinage. Cette codification est une manière de garantir une application homogène de la jurisprudence sur le territoire. Nous sommes convaincus qu’il s’agit d’une démarche utile.
Toutefois, dans la mesure où il s’agit de légiférer sur l’obligation de réparer un dommage causé à son voisin, nous devons prendre des précautions. Notre rôle est aussi de garantir le droit au recours pour les nombreuses victimes de nuisances anormales.
La rédaction initiale du texte exonérait de la responsabilité civile toute activité préexistante à l’installation d’une personne, quelle que soit sa nature. Tout acteur déjà installé n’aurait donc plus à réparer les dommages qu’il pourrait causer à son nouveau voisin du fait de son activité.
Cette rédaction déniait tout droit de recours à une partie de la population victime d’un trouble anormal de voisinage et créait, en quelque sorte, un nouveau droit à polluer ou à faire du bruit. Le travail en commission a permis de réécrire le texte en veillant à n’inscrire dans le code civil qu’une transcription stricte de la jurisprudence, ce dont je me réjouis.
Compte tenu de cette réécriture, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes nombreux au sein de cette assemblée à avoir connu la réalité des conflits de voisinage : les oies de Monlaur-Bernet, dans le Gers, le coq Maurice de l’île d’Oléron, les ânes, les chiens, les exploitations agricoles, les élevages, les industries, les artisans… Il faut comprendre que chaque territoire a son propre patrimoine.
Toutefois, les conflits de voisinage augmentent et, quand la zizanie s’installe, l’ensemble de la collectivité en pâtit. Dans ma commune de Damazan, dont j’ai eu l’honneur d’être le maire pendant quinze ans, j’ai bien sûr connu ce type de conflits délicats, notamment lors de la création d’entreprises.
Cette proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels fait suite à de nombreuses autres initiatives parlementaires et nous rappelle la nature de ces enjeux.
Il s’agit tout d’abord d’enjeux écologiques, qui nous conduisent à renforcer les normes pour préserver notre nature et notre climat.
Il s’agit ensuite d’enjeux sociétaux. Le visage de nos départements change et une nouvelle population, autrefois urbaine, s’installe dans les campagnes. Ce nouvel exode est une bonne nouvelle pour l’attractivité de nos territoires, mais il met parfois à l’épreuve notre capacité à vivre ensemble.
Préserver l’harmonie d’un lieu signifie non seulement préserver le cadre de vie et le droit de propriété des citoyens, mais également protéger nos entreprises, qui font vivre nos territoires. Si l’intitulé ambitieux de cette proposition de loi peut paraître en décalage avec son dispositif, qui se limite à un pan spécifique de la responsabilité civile, les questions abordées relèvent au fond de sujets majeurs pour la ruralité.
Il est proposé de consacrer dans le code civil un régime de responsabilité prétorien pour les dommages causés par les troubles de voisinage dits anormaux. Si l’on trouve la première mention de ces troubles dès 1844, conséquence de la révolution industrielle et de la mutation de nos modes de vie, de consommation et de production, le législateur s’est tenu éloigné de cette question.
Le juge judiciaire a ainsi construit un régime autonome du droit commun de la responsabilité civile extracontractuelle disposé dans le code civil. Qualifié de souple, ce régime laisse au seul juge la faculté d’apprécier le critère de gravité de la nuisance, au cas par cas. Il s’agit donc d’un réel enjeu de sécurité juridique pour tous les justiciables, y compris pour nos entreprises.
J’ai pu constater, durant l’élaboration du rapport d’information intitulé Difficultés d’accès au foncier économique : l’entreprise à terre ?, que l’expansion des zones d’habitat, qui rapproche les habitants des locaux artisanaux et industriels expose parfois les entreprises à de nombreuses plaintes, au point de les contraindre au départ, et ce malgré la réalisation d’investissements importants pour limiter les nuisances.
Certains projets font même l’objet d’une présomption de nuisance au nom de laquelle des justiciables portent plainte devant la justice en amont de leur réalisation, ce qui empêche de nombreuses entreprises de s’implanter.
Pour en revenir au texte qui nous occupe, je tiens d’abord à saluer le travail de Mme la rapporteure.
M. Michel Savin. Très bien !
M. Michel Masset. Si les principes de la jurisprudence établie sont conservés, la limitation de la cause exonératoire aux seules activités économiques bouleverse l’équilibre qui a été trouvé à l’Assemblée nationale. Ce changement, qui exclut les activités privées, fera sûrement l’objet de débats, que ce soit dans cet hémicycle ou au cours de la navette parlementaire.
Par ailleurs, je souligne la prévoyance de notre commission, qui a tenu à remédier à l’imprécision de la notion d’« installation » et à préserver la compétence de l’administration – donc du juge administratif – pour les troubles autorisés par elle.
Enfin, je souligne un unique point de vigilance sur l’ajout d’une cause exonératoire au profit des agriculteurs pour les troubles causés par une mise en conformité avec les lois et les règlements. Je m’interroge sur l’aspect restrictif de cette mesure qui vise, en somme, à instaurer une forme de solidarité pour prendre en charge les conséquences des réglementations qui pèsent sur un secteur d’intérêt général.
Cette mutualisation en faveur d’un secteur essentiel à la vie de la Nation, l’agriculture, pourrait faire l’objet d’une plus ample réflexion. Pourquoi ne pas l’étendre à d’autres filières particulièrement importantes, notamment dans le secteur industriel et agroalimentaire ?
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe RDSE votera ce texte qui nous invite, au travers d’un sujet quelque peu technique, à réfléchir à la manière dont nous faisons société. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Olivier Bitz. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens à exprimer publiquement, au nom de l’ensemble du groupe RDPI qui a tenu sa réunion hebdomadaire ce matin, notre soutien à notre président, François Patriat, qui a été victime de dégradations devant son domicile.
S’attaquer au domicile d’un élu, quelles que soient ses prises de position et son appartenance politique, la nuit de surcroît, est tout simplement inqualifiable et inacceptable. Je sais que cette réaction est partagée sur toutes les travées de cet hémicycle.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. C’est vrai !
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Bien sûr !
M. Olivier Bitz. La proposition de loi que nous examinons vise à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels. Ce texte, à portée générale, concerne tout particulièrement nos espaces ruraux.
Chacun en est convaincu dans cet hémicycle : la ruralité française est magnifique. Elle constitue un espace de repos, de loisir, de détente et de vie pour de nombreux Français.
Un nombre grandissant de nos concitoyens décident de rejoindre cet espace durant leurs fins de semaines – qui sont, du fait du développement du télétravail, de plus en plus longues et commencent parfois le jeudi soir, voire le mercredi soir – pour trouver un repos mérité. D’autres décident de l’habiter définitivement, en faisant la navette avec leur lieu de travail situé en milieu urbain.
Ce mouvement d’installation vers la ruralité est compréhensible : de plus en plus de Français éprouvent une forme de rejet de la vie en ville, de ses contraintes, de son bruit et de sa pollution.
Ceux qui font le choix de la vie en milieu rural croient faire le choix du calme absolu. Souvent, lorsqu’ils achètent leur nouvelle résidence, qu’elle soit principale ou secondaire, leur conception de la ruralité relève en quelque sorte de la carte postale : rien ne devrait plus bouger.
C’est oublier que la ruralité, avant d’être un espace de repos ou de loisir, est un espace de production artisanale et industrielle, tout particulièrement agricole. La cohabitation entre ceux qui s’installent à la campagne, car ils aspirent au calme, et ceux qui veulent conserver et développer leur activité productive en milieu rural ne doit pas porter préjudice à l’activité économique, qui fait vivre nos territoires et qui nourrit les Français.
Pour assurer cette cohabitation malgré des aspirations aussi différentes, le premier outil à mobiliser est bien évidemment le dialogue. Nombre de crispations peuvent se résoudre par l’échange. À cet égard, je tiens à saluer les efforts auxquels ont consenti, depuis des années, la plupart de nos agriculteurs, en adoptant et en respectant des chartes d’épandage et en portant une attention constante à leur voisinage.
Malheureusement, cela n’empêche pas la naissance de tensions, de crispations, parfois de contentieux, auxquels la jurisprudence qui s’est développée sur les troubles anormaux de voisinage répond déjà très largement. Aussi ce texte vise-t-il à la conforter, à en assurer une application homogène sur tout le territoire national et à offrir au point d’équilibre trouvé par le juge une rédaction claire, qui permette la pédagogie.
En effet, il est important de rendre la règle plus intelligible pour envoyer un message clair à tous ceux qui font le choix de s’installer à la campagne : s’ils choisissent de vivre à proximité d’une activité de production, ils doivent accepter de cohabiter avec elle et avec les nuisances qu’elle occasionne, ainsi qu’avec d’autres activités consubstantielles à la ruralité, à l’instar de la chasse. Le choix de la ruralité présente de nombreux avantages, mais aussi des contraintes, qu’il faut assumer.
Ainsi, ce texte est bienvenu et le groupe RDPI le soutiendra. J’en profite pour saluer le travail de Mme la rapporteure, qui est en ce moment sur tous les fronts.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Il faut que cela cesse ! (Sourires.)
M. Olivier Bitz. L’amendement introduit en commission concernant la cause exonératoire de responsabilité spécifique aux activités agricoles me semble particulièrement nécessaire. Cette disposition tiendra compte de la nécessité pour les exploitants d’adapter leur installation pour la mettre en conformité avec des lois et des règlements qui leur ont été imposés par la puissance publique. Comment reprocher à un agriculteur une transformation de son exploitation guidée par la volonté de respecter les lois et les règlements ?
Nous défendrons un amendement visant à aller un peu plus loin en intégrant au dispositif toute évolution d’une exploitation, même si elle n’est pas motivée par une mise aux normes. Je suis d’ailleurs intervenu en commission sur ce sujet très important à mes yeux.
En effet, bloquer le développement d’une exploitation au niveau d’activité qui existait au moment de l’installation d’un nouveau voisin, c’est la condamner. Une exploitation qui ne peut pas se développer, c’est une exploitation qui ne peut pas s’adapter aux évolutions et aux besoins du secteur.
Cela pose également des difficultés en cas de potentielle reprise : un jeune agriculteur ne peut s’engager pleinement sans perspective de développement. Nous sommes d’ailleurs tous conscients de la nécessité d’encourager et de faciliter la reprise d’exploitation.
Dans le même esprit, pour protéger encore davantage les activités préexistantes, nous défendrons également un amendement visant à étendre la protection contre les recours abusifs aux activités non économiques. Le principe général serait ainsi le suivant : celui qui choisit de s’installer, en toute connaissance de cause, à proximité d’une source de nuisances, quelle qu’en soit la cause, économique ou non, ne peut pas engager une procédure fondée sur les troubles anomaux de voisinage.
Évidemment, ce texte n’épuise pas le sujet des conflits de voisinage, lesquels doivent d’abord se régler par le dialogue et par des négociations à l’amiable – c’est l’objectif que nous poursuivons tous ; en particulier, les maires de nos zones rurales agissent en ce sens. Néanmoins, il permettra de clarifier et d’améliorer la situation actuelle.
C’est la raison pour laquelle nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels.
Derrière cet intitulé se cachent tout simplement, nous l’avons bien compris, les troubles de voisinage d’une société contemporaine qui prône le respect de l’autre et le vivre ensemble, mais qui, pourtant, butte au quotidien, voire se fracasse sur les délicats accommodements entre les hommes, sur la cohabitation parfois douloureuse de l’homme et de son environnement ou encore sur la difficile conciliation de la vie humaine avec les activités économiques, agricoles ou commerciales.
Cette proposition de loi a donc pour objectif ambitieux de contribuer à apaiser cette cohabitation, ainsi que l’a souligné le garde des sceaux. L’intention est louable, reconnaissons-le. Pour autant, après avoir suivi les débats qui se sont tenus en séance publique au Palais-Bourbon, puis ceux qui ont eu lieu en commission au Palais du Luxembourg, force est de reconnaître que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain reste circonspect. Sans y être farouchement hostile, il s’interroge sur l’utilité d’un tel texte.
Depuis près de quarante ans, la Cour de cassation a fait valoir le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. Il s’agit d’un régime de responsabilité objectif, qui requiert la démonstration non pas d’un comportement fautif, mais d’un trouble permanent et continu, excédant la gêne normalement attendue dans le cadre des relations de voisinage.
Cette gêne doit être évaluée par le juge, en tenant compte des circonstances spécifiques dans lesquelles le plaignant se trouve. Celle-ci peut être d’ordre sonore, olfactif, esthétique, visuel, diurne ou nocturne, et a trait à une notion élargie du voisinage.
Cette proposition de loi a pour objet de consacrer tous ces éléments jurisprudentiels en introduisant un nouvel article dans le code civil, qui comprendrait à la fois le principe de responsabilité civile fondé sur les troubles anormaux de voisinage et son exception liée à l’antériorité du trouble constaté, décrite à l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation.
Notre circonspection tient au fait que ce texte, qui est censé graver dans le marbre une jurisprudence établie, une construction prétorienne élaborée au fil des ans et associée à un article connu du code de la construction et de l’habitation, ne semble pas faire l’unanimité. Comment une telle codification pourrait-elle simplifier et pacifier les relations de voisinage, dès lors que le bon sens convoqué par les auteurs de la proposition de loi et par le garde des sceaux ne fait pas consensus ?
En effet, il convient de le souligner : il n’existe pas de consensus ni de concorde.
Certes, les agriculteurs semblent satisfaits. Cette proposition de loi est faite pour eux, nous l’avons compris – et ce d’autant plus depuis la création en commission d’un régime d’exception spécifique. Je ne reviendrai pas à mon tour sur le célèbre coq Maurice de l’île d’Oléron ni sur les canards, les vaches, les tracteurs et autres fauteurs de troubles.
Toutefois, d’autres citoyens semblent s’inquiéter de cette proposition de loi, notamment les habitants de nos villes et les associations de locataires. Nous ne pouvons pas ignorer complètement leurs craintes en prétendant faire une loi pour désengorger les tribunaux et favoriser les résolutions à l’amiable.
En effet, les collectifs de riverains qui ne sont pas convaincus après la tentative de médiation iront au contentieux. Ils ne gagneront peut-être pas toujours, d’autant moins si la charge de la preuve leur incombe désormais au premier chef, mais ils se lanceront dans une procédure.
Aussi, est-ce vraiment donner sa meilleure chance au vivre ensemble dans notre pays, dans nos villes et dans nos campagnes que de voter une proposition de loi qui ne convainc pas pleinement ? N’est-ce pas, au contraire, contre-productif ?
Ne serait-il pas préférable de continuer de faire œuvre pédagogique en nous appuyant sur la subtile expertise des juges et leur bonne connaissance des articles en vigueur, tant dans le code civil que dans le code de la construction et de l’habitation ?
Évidemment, nos agriculteurs ont besoin de poursuivre leurs activités sereinement, à condition qu’ils respectent, comme le fait une grande majorité d’entre eux, les codes de l’urbanisme, de l’environnement et de la santé publique.
Évidemment, les habitants aspirant à vivre à la campagne doivent entendre que cette vie est une vie de tous les jours, pas une vie de vacances. À ce titre, elle peut être bruyante, odorante et, parfois, dérangeante.
De même, les habitants préférant la vie en ville, parce qu’elle offre une foultitude de services et d’équipements, doivent comprendre que ces avantages ont quelques effets secondaires : rires en terrasses, cris des enfants, bruits des ballons ou des assiettes qui s’entrechoquent…
En tant qu’élus, nous savons que, même s’ils restent très attachés à la défense des libertés collectives, les Français sont aussi de plus en plus exigeants quant à leur liberté individuelle et à leur bien-être ou confort personnel. En somme, cette proposition de loi révèle une autre facette d’un phénomène déjà bien connu : le Nimby (Not in my backyard).
Tout le monde est pour les panneaux solaires, les bornes de tri, les bancs publics, les logements sociaux, la campagne nourricière, les bistrots du coin, mais personne ne les veut trop près de chez soi, trop près de son jardin, trop près de sa cour.
« L’enfer, c’est les autres », déclarait Sartre. Malheureusement, aussi louable que soit l’intention de cette proposition de loi, le groupe SER n’est pas convaincu qu’elle parviendra à transformer certains voisinages infernaux en paradis sur terre.
On aura beau faire le procès des néoruraux qui ne s’accommodent pas de leurs voisins agriculteurs, seront-ils plus conciliants si on les renvoie en ville, là où l’on prône la densification pour éviter l’étalement urbain ?
Qui plus est, si l’on ne répond pas aux angoisses des urbains, quand on refait la ville sur la ville, où iront-ils, si ce n’est dans le périurbain ou le rural ? Au fond, ne partons-nous pas un peu trop du principe que tous ces voisins râleurs, futurs ou actuels, auraient le choix de leur habitation ? Je ne reviens pas sur la crise immobilière ou sur la pénurie généralisée de logements abordables.
Dans nos villes comme dans nos villages, on n’a pas franchement le privilège de pouvoir choisir son voisin et son voisinage… Les Français les plus aisés, oui ; les autres – et ils sont majoritaires –, rarement.
Dès lors, il est évident que certains habitants, qui vivent à côté d’activités gênantes, les ont un jour acceptées, parce que c’était cela ou rien ! Pour autant, doivent-ils les subir toute leur vie, parce qu’elles étaient préexistantes, alors qu’ils savent désormais que ces activités sont polluantes, dangereuses ou anormales ?
Demander à de futurs occupants de se renseigner de manière plus précise sur l’environnement de leur futur chez-soi, à l’aide des notaires par exemple, est évidemment pertinent, mais, je le répète, cela ne vaut que pour ceux qui ont véritablement le choix. C’est rarement le cas du demandeur d’un logement social, de l’étudiant qui cherche une chambre ou du salarié qui ne veut pas être trop éloigné de son emploi ou d’un établissement scolaire.
C’est la raison pour laquelle la disparition pure et simple de l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation nous semble délicate, et ce d’autant que la commission des affaires économiques n’a pas été saisie, ne serait-ce que pour avis ; or son avis en matière d’agriculture, de commerce, d’urbanisme ou d’habitat eût été intéressant.
Tenir compte du déjà-là, faire avec le déjà-là : ces expressions et démarches sont appréciées des architectes et urbanistes qui pensent la ville durable. Nous y souscrivons pleinement.
Parfois, nous devons protéger le déjà-là : c’est notamment le rôle des défenseurs du patrimoine, que celui-ci soit architectural, sensoriel, vert ou autre. Parfois, nous devons au contraire ne pas figer le déjà-là, mais l’enrichir – étendre un bâtiment, agrandir une ferme, surélever un immeuble ou bâtir en fond de parcelle.
Tout cela est d’abord du travail de dentelle. Je ne suis donc pas sûre qu’un nouvel article du code civil, forcément concis, mais peu consensuel, voire un peu abscons, saisisse la finesse des situations autant qu’ont pu le faire jusqu’à présent les juges dans des décisions sur mesure.
Aussi, parce que les associations de locataires se montrent manifestement réservées, même sur le texte issu de notre commission des lois, parce que des membres du Conseil national du bruit ont exprimé leur opposition,…
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Ils l’ont fait bruyamment… (Sourires.)
Mme Audrey Linkenheld. … parce que les collectifs de riverains, urbains comme ruraux, continuent de s’interroger sur l’utilité de modifier nos codes, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain considère que, en l’état, le statu quo (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) est peut-être le meilleur moyen de garantir la façon dont notre droit régit notre vie en société, c’est-à-dire le meilleur service à rendre à notre vivre ensemble.
Cependant, comme respecter l’autre, c’est aussi l’écouter, nous verrons si la discussion fera évoluer notre position. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, selon l’exposé des motifs, cette proposition de loi vise ainsi à « introduire dans le code civil le principe de responsabilité fondée sur les troubles anormaux du voisinage, consacré par la jurisprudence, afin de garantir une application homogène ».
Après la loi du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises, nous avons en effet besoin de clarifier encore la situation pour répondre notamment à l’inquiétude des organisations agricoles. Cela passe par l’inscription dans le marbre de la loi d’une adaptation de la responsabilité civile aux enjeux actuels, car nous sommes encore trop souvent témoins de recours abusifs de nombreux voisins à l’encontre d’agriculteurs.
Aussi, l’Assemblée nationale a proposé la rédaction d’un nouvel article 1253 du code civil définissant le principe de la responsabilité « de plein droit » de certaines personnes « à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage », rédaction à laquelle a été ajoutée une clause exonératoire de responsabilité s’appliquant lorsque le trouble anormal causé à la personne lésée provient d’activités, quelle que soit leur nature, préexistantes à son installation, qui se sont poursuivies dans les mêmes conditions et sont conformes aux lois et règlements.
Rappelons qu’actuellement la notion juridique de « trouble de voisinage » n’existe pas dans le code civil. Pour s’adapter aux changements de vie de notre société, un régime de responsabilité particulier et autonome a été progressivement créé par le droit jurisprudentiel.
De ce fait, il revient au juge d’apprécier in concreto et de manière objective l’anormalité du trouble en question. En 1976, en introduisant des dispositions contenues dans l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation, le législateur a expressément prévu des situations où la responsabilité ne saurait être engagée, notamment par la réunion de trois critères concomitants : l’antériorité du trouble, l’adaptation à la législation en vigueur et la poursuite de l’activité, qu’elle soit agricole, industrielle, artisanale, commerciale, touristique, culturelle ou aéronautique.
Dans ce contexte juridique, un arrêt de la Cour de cassation de 2023 a considéré que, dans un village de l’Oise, les nuisances consécutives à la construction d’un hangar à moins de cent mètres des habitations pour laquelle l’agriculteur a bénéficié d’une dérogation de la préfecture du département « excédaient […] les inconvénients normaux du voisinage ». L’agriculteur a finalement été condamné à verser plus de 100 000 euros de dommages et intérêts aux plaignants.
Cette affaire n’est malheureusement pas isolée, puisque la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) a recensé près de cinq cents procédures opposant les agriculteurs français au voisinage.
Si, pour la commission des lois, la rédaction d’une codification en la matière semble opportune, il lui est apparu que la formulation actuelle de la clause exonératoire n’était pas satisfaisante, notamment en ce qu’elle ne se concentrait pas sur les activités économiques et qu’elle ne prenait pas suffisamment en compte les spécificités liées aux activités agricoles. Elle a donc apporté des précisions spécifiques aux conditions d’application de ce texte à ces mêmes activités agricoles.
À l’article unique de la proposition de loi, la commission a ajouté les alinéas 8 et 9 insérant un article L. 311-1-1 au code rural et de la pêche maritime qui dispose que la responsabilité « n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités agricoles qui se sont poursuivies, postérieurement à l’acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage, dans des conditions nouvelles résultant de la mise en conformité de l’exercice de ces activités aux lois et aux règlements ».
Il apparaît en effet anormal qu’un exploitant agricole puisse être condamné pour trouble du voisinage, alors qu’une disposition législative ou réglementaire viendrait l’obliger à modifier les conditions d’exercice de son activité.
Toutefois, pour éviter toute dérive, deux limites précises et nécessaires ont cependant été posées à la clause exonératoire par la commission.
Mes chers collègues, un certain nombre d’associations ou de collectifs représentant les victimes de troubles de voisinage se sont inquiétés du risque que la rédaction du texte issu de l’Assemblée nationale faisait peser sur le principe de trouble anormal de voisinage. En effet, il était initialement prévu que la clause exonératoire s’appliquerait dès lors que ce trouble proviendrait d’activités, « quelle qu’en soit la nature ». Cette formulation trop imprécise privait le juge de toute marge d’appréciation et risquait d’empêcher des recours susceptibles d’être véritablement justifiés.
Rappelons que l’objectif de ce texte est aussi de mieux protéger les citoyens des effets néfastes liés aux troubles de voisinage.
La version sénatoriale du texte semble donc mieux répondre aux inquiétudes exprimées par nos agriculteurs, en leur offrant un environnement juridique plus sûr et plus visible. Elle prend en compte le contexte de fortes mutations liées à la défense de notre souveraineté alimentaire que connaît le monde agricole.
Nous devons mettre fin à la judiciarisation excessive, pour ne pas dire abusive, liée à la surréaction de certains néoruraux, d’autant plus quand ces troubles ont précédé l’installation de ces nouveaux arrivants.
Même s’il sanctuarise particulièrement les activités agricoles, ce texte renforce la sécurité juridique du droit français et conforte plus généralement le droit de chacun de nos concitoyens à pouvoir jouir paisiblement de son bien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis est court – un article unique –, mais il est important, puisqu’il vient codifier dans le code civil un point essentiel : le régime de responsabilité pour troubles anormaux de voisinage. Ce régime, dégagé dès le milieu du XIXe siècle par la jurisprudence, et affiné depuis, prévoit, pour reprendre la formulation de la Cour de cassation, que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».
Le législateur est néanmoins d’ores et déjà intervenu pour encadrer ce régime, qu’il a inscrit dans le code de la construction et de l’habitation, en l’accompagnant d’une clause exonératoire de responsabilité en cas de pré-occupation, c’est-à-dire dans le cas où une activité causant un trouble anormal préexiste à l’installation du voisin demandeur. Il s’agit là d’une conciliation nécessaire entre le droit à la quiétude, d’une part, et les nécessités de l’activité économique, d’autre part.
La codification aujourd’hui proposée constitue l’aboutissement logique et bienvenu de nombreuses réflexions, et s’inscrit dans un contexte de crise agricole, sur la gravité de laquelle on ne dira jamais assez combien le Sénat a alerté le Gouvernement, rapport d’information après rapport d’information.
L’une des manifestations de cette crise est sans nul doute le sentiment de rupture du lien entre le monde agricole et une partie des Français. En témoigne la multiplication dans les journaux des affaires de contentieux entre un agriculteur et son voisinage.
Je n’évoquerai pas à mon tour l’affaire de l’agriculteur de l’Oise condamné pour nuisances sonores et olfactives, relatée par M. Bonhomme. C’est justement cette multiplication des conflits de voisinage entre ce que l’on appelle parfois les néoruraux, qui ont une image bucolique de la campagne, et les agriculteurs qui confère au présent texte une forte actualité.
Cependant, bien que le Premier ministre ait annoncé une adoption rapide de ce texte comme élément de réponse à la crise agricole, je n’identifie pas, à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale, de dispositifs nouveaux de nature à prévenir l’inflation contentieuse dont sont victimes nos agriculteurs : pas un amendement du Gouvernement à l’Assemblée nationale ni même au Sénat pour traduire la volonté du Premier ministre. (M. François Bonhomme s’exclame.)
Tâchons donc, ici, au Sénat, de traduire en actes concrets les annonces et les mots puissants de la communication gouvernementale : « mettre l’agriculture au-dessus de tout ».
M. Laurent Duplomb. Très bien !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Je salue à ce titre l’amendement adopté en commission des lois, sur l’initiative de sa rapporteure, qui prévoit, au sein du code rural et de la pêche maritime, une clause exonératoire spécifique à l’agriculture, relative aux troubles résultant d’une mise en conformité de l’exploitation. Comment imaginer en effet qu’un agriculteur ait à choisir entre se conformer aux nombreuses normes en vigueur et s’exonérer de sa responsabilité ?
Néanmoins, je considère qu’il reste possible de pousser le curseur un cran plus loin, dans le respect du droit au recours effectif, pour prévenir les contentieux résultant de la vie normale d’une exploitation, notamment de l’évolution de ses activités ou de son agrandissement.
Pourquoi un jeune agriculteur qui s’installe avec soixante vaches, pour débuter dans le métier, ne pourrait-il pas, comme tout entrepreneur souhaitant développer son activité, dégager du revenu et amortir le coût de ses investissements en passant à cent vaches ? (M. Laurent Duplomb acquiesce.) Pourquoi ne pourrait-il pas décider de diversifier son activité, pour sécuriser davantage son revenu ?
C’est précisément ce que M. Duplomb entend permettre au travers de son amendement. (M. Laurent Duplomb opine.) Sa rédaction s’inspire non seulement de textes précédemment déposés ici, au Sénat, mais aussi des réflexions du Conseil d’État, pour une meilleure sécurisation des activités agricoles.
M. Laurent Duplomb. Très bien !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Il y a là, monsieur le garde des sceaux, de quoi véritablement revenir vers le monde agricole en lui disant : voilà ce que nous avons fait pour vous !
Du concret, du concret, encore du concret : voilà ce qu’attendent nos agriculteurs. Ne manquons pas l’occasion, par ce texte, de leur en donner. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui a pour ambition de limiter les conflits de voisinage, mais aussi de répondre aux préoccupations urbaines. Cette initiative, empreinte d’une volonté de progrès, mérite notre attention. Bien que l’intention qui préside à cette réforme soit louable, puisqu’il s’agit d’apporter clarté et sécurité en matière de troubles anormaux de voisinage, je m’interroge sur l’approche retenue et sur ses implications potentielles.
Je tiens à souligner que, dans un contexte où la modernisation de notre droit est une nécessité, nous devrions aspirer à une réforme qui intègre de manière cohérente l’ensemble du droit de la responsabilité civile. L’exemple de la Belgique, qui a récemment entrepris une révision globale de ce droit, nous montre qu’une modernisation exhaustive et réfléchie est non seulement possible, mais également bénéfique.
L’accent mis par la proposition de loi sur une facette particulière du droit de la responsabilité civile, sans tenir compte de la complexité et des nuances des relations de voisinage, soulève des questions importantes. En adoptant une vision plus large, englobant à la fois le droit de la responsabilité civile et le droit des biens, nous pourrions parvenir à une compréhension plus nuancée et à des solutions plus adaptées à la diversité des situations que nos concitoyens rencontrent au quotidien.
En outre, l’absence, dans cette proposition de loi, de précisions concernant les sanctions associées aux troubles anormaux de voisinage mérite une attention particulière. Sans une définition claire des conséquences juridiques, nous risquons en effet de laisser place à une incertitude qui pourrait affaiblir l’efficacité de la réforme et miner la confiance dans notre système législatif. Il est impératif que nous nous penchions sur cette lacune, pour nous assurer que la législation apporte une réponse adéquate et juste à ceux qu’elle cherche à protéger.
Il est également essentiel de souligner que notre objectif commun est de trouver des solutions pragmatiques qui répondent aux besoins réels de notre société, sans précipitation ni partialité. Dans cette optique, cette proposition de loi pourrait constituer un premier pas vers une réforme plus complète et équilibrée, qui saura tenir compte des enjeux actuels. Une telle démarche nous permettrait de répondre de manière plus adéquate aux besoins de tous les secteurs de notre société, en tenant compte spécifiquement des défis posés par la crise agricole qui viennent d’être évoqués.
Vous me permettrez de citer un défi que nous devrions affronter prochainement, celui du « zéro artificialisation nette » (ZAN), puisque les experts ne cessent de nous alerter sur l’explosion des troubles anormaux de voisinage, du fait d’une densité mal pensée. Voilà un défi qui dépasse ce texte et qu’il nous faudra relever. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels
Article unique
I. – Le sous-titre II du titre III du livre III du code civil est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :
« CHAPITRE IV
« Les troubles anormaux du voisinage
« Art. 1253. – Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte.
« Cette responsabilité n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités économiques existant antérieurement à l’acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage mentionné au premier alinéa, conformes aux lois et aux règlements et qui se sont poursuivies, sous réserve de l’article L. 311-1-1 du code rural et de la pêche maritime, dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal.
« Lorsqu’une activité économique à l’origine du trouble mentionné au premier alinéa du présent article a été autorisée par l’autorité administrative, le juge peut accorder des dommages et intérêts et ordonner les mesures permettant de réduire ou faire cesser ce trouble, sous réserve qu’elles n’aient ni pour objet ni pour effet de contrarier les prescriptions édictées ou de priver d’effet les autorisations ainsi délivrées par l’autorité administrative. »
II. – (Non modifié) L’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation est abrogé.
III (nouveau). – Après l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 311-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 311-1-1. – La responsabilité prévue au premier alinéa de l’article 1253 du code civil n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités agricoles qui se sont poursuivies, postérieurement à l’acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage, dans des conditions nouvelles résultant de la mise en conformité de l’exercice de ces activités aux lois et aux règlements. »
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article unique.
M. Olivier Paccaud. En tant que sénateurs de l’Oise, Mme Valente Le Hir et moi-même souhaitons intervenir, car le cas de M. Verschuere, évoqué par Mme le rapporteur, M. Bonhomme et Mme Estrosi Sassone, nous mobilise depuis maintenant plus de dix ans.
Il est triste d’avoir à légiférer sur le « vivre ensemble » et le « travailler ensemble » – le bon sens paysan devrait l’emporter. C’est triste, mais nécessaire. Nous avons voté, il y a trois ans, un beau texte, afin de définir et de protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises. Hélas ! ce texte est resté lettre morte.
Le cas de M. Verschuere est emblématique – son avocat se trouve d’ailleurs dans nos tribunes – : son seul délit est d’avoir agrandi son étable. Pendant dix ans, il a vécu un calvaire judiciaire et a été condamné à verser 106 000 euros de dommages et intérêts, ainsi que la Cour de cassation l’a confirmé au mois de décembre dernier. Son seul crime ? Avoir voulu travailler.
Mes chers collègues, les troubles de voisinage existent. Je tiens à saluer le travail de la commission des lois et l’amendement de M. Duplomb, tout comme d’autres amendements de grande qualité qui ont été déposés sur ce texte.
Que voulons-nous ? Que nos campagnes deviennent des musées ? Des paysages de carte postale sans saveur ni odeur ? Non, ce n’est ni ce que nous souhaitons ni ce dont nous avons besoin !
Je conclurai sur une note un peu lyrique dans ce palais de Marie de Médicis, en citant Sully : tous, nous souhaitons que « labourage et pâturage [demeurent] les deux mamelles dont la France est alimentée » et soient, comme jadis, « les vraies mines et trésors du Pérou ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par M. Bitz, Mme Schillinger, MM. Mohamed Soilihi, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, MM. Omar Oili, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Rohfritsch, Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
économiques existant antérieurement à l’acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage mentionné au premier alinéa,
par les mots :
, quelle qu’en soit la nature, préexistant à l’installation de la personne lésée, qui sont
La parole est à M. Olivier Bitz.
M. Olivier Bitz. Par cet amendement, il est proposé de revenir au texte de l’Assemblée nationale, pour ne pas limiter son application aux seules activités économiques.
En effet, le principe selon lequel l’arrivant doit s’adapter à l’existant peut être tenu pour général – c’est très largement le cas aujourd’hui. Les signataires de cet amendement considèrent qu’il est inutile de restreindre l’application de la clause exonératoire ; il convient donc de revenir à la rédaction de l’Assemblée nationale.
Par ailleurs, l’expression « l’acte ouvrant le droit de jouissance » pose des difficultés juridiques. Si elle permet de dater précisément la mesure de l’état des nuisances, elle semble en revanche trop restrictive au regard de potentielles modifications ultérieures des installations.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Cher collègue, vous avez vous-même laissé pressentir que l’avis de la commission ne serait pas favorable, ce qui est exact…
Vous proposez de revenir à la version initiale du texte, alors même que la commission des lois a souhaité en éclaircir et en garantir les dispositions. C’est d’ailleurs pour en sécuriser le périmètre qu’elle y a fait figurer la notion d’« activités économiques ».
Une telle mesure a été inspirée par la présidente de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, qui, lors de son audition par la commission, a fait part de ses interrogations sur la notion d’« activités » qui figurait dans la rédaction initiale et qui lui semblait instaurer un champ indéfini. La commission des lois reste donc attachée au principe d’activités économiques.
Ensuite, vous revenez sur la notion de datation que nous préférons à celle d’« installation ». Celle-ci pose en effet problème : il suffirait qu’une personne ayant acheté une maison y installe trois ou quatre meubles pour se déclarer victime de troubles anormaux de voisinage.
La mention d’un acte juridique sécurise davantage le texte. La commission des lois estime qu’il serait dommageable de revenir purement et simplement à la rédaction initiale de la proposition de loi. Nous l’avons enrichie sans ego, mais parce qu’il nous semblait nécessaire d’en conforter les dispositions.
Monsieur le garde des sceaux, vous évoquerez sans doute la notion de permis de construire, qui, à ses yeux, ne serait pas couverte par notre rédaction. Ce n’est pas faire offense à votre compétence que de dire que je ne suis pas certaine que la notion d’« installation » couvre à coup sûr l’obtention d’un permis de construire ; à première vue, l’installation de son titulaire semble nécessaire.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur Bitz, le Gouvernement émet un avis favorable sur votre amendement.
M. André Reichardt. Voilà qui est étonnant ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame le rapporteur, certes, vous avez auditionné un haut magistrat de la Cour de cassation, mais la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) ne partage absolument pas cette analyse.
Monsieur le sénateur, je fais pleinement mienne votre proposition, qui consiste à rétablir, à l’alinéa 5, la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.
Il me semble en effet extrêmement important d’appliquer à l’ensemble des activités le principe de responsabilité civile pour troubles anormaux du voisinage et de ne pas limiter ce principe aux seules activités économiques.
Je partage également votre proposition de suppression de la notion d’« acte ouvrant le droit de jouissance ». Cette notion ne permet pas de faire référence de manière claire et précise à l’acte juridique concerné. Par ailleurs, elle ne couvre pas toutes les situations envisagées.
Un retour à une rédaction plus large me semble donc préférable pour englober toutes les situations, et pas uniquement celles qui octroient un droit de jouissance.
M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.
Mme Audrey Linkenheld. La discussion autour de cet amendement illustre bien la difficulté à laquelle nous sommes confrontés et que j’ai soulignée lors de mon intervention liminaire.
Cette proposition de loi cherche à concilier deux problématiques.
La première d’entre elles a trait au trouble anormal de voisinage. Pourquoi devrions-nous considérer que ce trouble ne pourrait être le fait que d’activités économiques, et non d’activités privées ? Chacun d’entre nous peut être à l’origine d’un trouble anormal de voisinage.
La seconde concerne l’exonération de la responsabilité en matière de trouble anormal de voisinage et le droit à réparation auquel cette responsabilité ouvre, le cas échéant.
En l’espèce, l’article auquel fait référence le sénateur Bitz, qui relève du code de la construction et de l’habitation, et non du code civil, porte précisément sur la clause exonératoire et sur les cas où la demande de réparation n’est pas possible. Les dispositions qu’il contient ne sont en effet circonscrites qu’aux activités économiques, à savoir les « activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques ».
Voilà le genre de confusion que l’on crée quand on veut, au sein de plusieurs alinéas d’un même article, mélanger la jurisprudence des juges en matière civile et un article du code de la construction et de l’habitation, qui porte sur d’autres sujets.
C’est la raison pour laquelle nous voterons contre cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Les installations classées pour la protection de l’environnement sont exclues des exonérations de responsabilité pour trouble anormal de voisinage.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement a pour objet d’exclure les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) – il s’agit des exploitations industrielles ou agricoles susceptibles de créer des risques ou de provoquer des pollutions ou nuisances, notamment pour la sécurité et la santé des riverains et l’environnement – du régime des exonérations de responsabilité pour trouble anormal de voisinage. Ces installations répondent à un régime d’autorisation environnementale spécifique prévu aux articles L. 511-1 A à L. 511-2 du code de l’environnement, car elles peuvent présenter des dangers ou des inconvénients pour la commodité du voisinage.
En l’espèce, l’article unique prévoit d’exonérer de responsabilité les activités agricoles et les activités économiques qui bénéficient de la théorie de la pré-occupation.
Il convient toutefois de ne pas fragiliser les équilibres existants, issus de la jurisprudence. Je citerai comme exemple le procès pour trouble anormal de voisinage à Fos-sur-Mer, qui opposa ArcelorMittal à quatorze riverains se plaignant de la pollution industrielle du site.
Le régime d’exclusion de responsabilité prévu par le texte pourrait, dans certains cas, heurter le principe du droit d’agir en responsabilité et, plus généralement, celui du droit au recours effectif, en privant les victimes d’un trouble anormal de toute possibilité juridictionnelle de le faire cesser. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. J’ai dit tout à l’heure qu’il fallait éviter l’excès ; or je pense que vous êtes particulièrement excessif en présentant cet amendement, mon cher collègue. Vous prévoyez que les ICPE ne puissent bénéficier de la cause exonératoire de responsabilité. Les ICPE incluent un grand nombre d’installations très diverses, certaines industrielles ou agricoles, mais également certaines éoliennes terrestres !
Qui plus est, vous allez vider le texte de sa substance : il ne restera plus rien ! Il me semble que ce n’est pas l’objectif recherché.
Enfin, cette proposition de loi n’a pas pour objet de créer un droit à polluer, bien au contraire. Les ICPE répondent à certaines obligations et autorisations administratives. Avec tout le respect et l’amitié que j’ai pour vous, vous comprendrez que je ne puisse soutenir votre dévotion aux normes.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 1 rectifié ter est présenté par Mme Jacquemet, MM. Longeot, Mizzon et Henno, Mme Antoine, MM. Cambier et Canévet, Mme Sollogoub, M. Courtial, Mme Billon, M. Fargeot, Mmes O. Richard, Perrot, de La Provôté et Saint-Pé, MM. Duffourg et Hingray et Mme Romagny.
L’amendement n° 2 rectifié ter est présenté par M. Bonneau, Mme Bourcier, M. Joyandet, Mmes N. Delattre et Guidez et MM. Lemoyne, Menonville, Chasseing et Cigolotti.
L’amendement n° 3 rectifié octies est présenté par Mmes Joseph, Gruny et Demas, M. Paccaud, Mme Josende, M. Laménie, Mmes L. Darcos et Berthet, MM. Panunzi, H. Leroy, Sautarel, Burgoa et Cadec, Mme Gosselin, MM. Pellevat et Savin, Mme Ventalon, MM. Darnaud et Brisson, Mme Imbert, M. de Legge, Mme Eustache-Brinio, M. Lefèvre, Mme Pluchet, MM. Naturel et Folliot, Mmes Dumont et Di Folco, M. Genet, Mmes Petrus, Muller-Bronn et Borchio Fontimp, MM. Belin et Sido, Mme Aeschlimann, M. Reynaud et Mmes Drexler et Nédélec.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les effets sonores causés par les enfants dans les services aux familles, les aires de jeux pour enfants et les installations similaires ne sont pas des troubles anormaux de voisinage.
La parole est à Mme Annick Jacquemet, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié ter.
Mme Annick Jacquemet. Cet amendement a pour objet d’exclure de la catégorie des troubles anormaux de voisinage les effets sonores causés par les enfants dans les services aux familles, les aires de jeux pour enfants et les installations similaires.
Depuis la réforme des normes applicables à la petite enfance, dite Norma, l’espace extérieur est obligatoire dans toutes les nouvelles crèches situées dans un kilomètre carré accueillant moins de 10 000 habitants et fortement recommandé dans les autres établissements.
Pour autant, de nombreuses crèches subissent des conflits de voisinages, les habitants à proximité de ces établissements considérant que les enfants font trop de bruit. Concrètement, les crèches concernées peuvent faire face à des refus de mise à disposition de l’usage des espaces communs au droit du local de la crèche, des refus d’autorisation d’aménagement des espaces communs à usage privatif, aménagements pourtant exigés par la réglementation relative à la protection des enfants, et des restrictions d’usage des espaces communs par une copropriété, contraires aux intérêts des enfants.
Pour garantir leur liberté individuelle et favoriser leur épanouissement, il me semble important de consacrer un droit des enfants à faire du bruit.
Cet amendement, rédigé avec la Fédération française des entreprises de crèches, vise donc à établir un cadre juridique qui permettra à tous les enfants accueillis en crèche de disposer des mêmes droits dans leur espace extérieur, en particulier du droit de jouer !
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié ter n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Else Joseph, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié octies.
Mme Else Joseph. Par cet amendement, il s’agit de ne pas assimiler les bruits des enfants de nos crèches à des troubles anormaux de voisinage.
Depuis quelques années, les rires et joies de nos enfants donnent lieu à des crispations. Des contentieux, qui traduisent une crise du lien social, se sont même développés !
Pourtant, ces bruits, aussi vieux que le monde, ne sont pas ceux de marteaux-piqueurs ! Lors de l’examen de ce texte par l’Assemblée nationale, monsieur le garde des sceaux, vous avez rappelé que le bruit des enfants ne pouvait pas être un trouble anormal de voisinage, appelant par là même au retrait d’un amendement à l’objet similaire. Vous laissez ainsi les crèches subir des conflits de voisinage.
Nous espérons sincèrement que les débats au Sénat permettront la mise en œuvre du droit effectif des enfants à faire du bruit. Trop de crèches, victimes de conflits de voisinage, se voient refuser l’accès à certains usages.
Mes chers collègues, cessons d’embêter les Français : laissons jouer nos enfants et ne les brimons pas par ces humeurs bien procédurières de ce monde parfois sans rêve des adultes que nous sommes !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Encourageons les enfants à crier et à exploser de joie ! S’ils ne le font pas, cela signifie qu’ils sont en mauvaise santé.
Mes chers collègues, je vous entends et je vous comprends ! Vous évoquez les difficultés liées à l’installation de crèches, certains habitants n’acceptant pas certains bruits.
À mes yeux, votre préoccupation ne relève pas des problématiques à propos desquelles nous légiférons aujourd’hui. Il n’y a pas de trouble anormal de voisinage lorsqu’il s’agit d’une crèche ou d’une école. Le juge sait apprécier la situation. En outre, nous avons prévu des exonérations pour les activités économiques – les crèches peuvent être considérées sous cet angle.
En l’occurrence, même si votre position recueille tout mon soutien, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir retirer vos amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J’ai lu ces amendements identiques avec une forme de tendresse. (Sourires.)
En effet, une école accueillant des tout-petits jouxte la Chancellerie. (Exclamations amusées.) Il va de soi que, de temps en temps, c’est très animé et il m’arrive même de renvoyer des ballons. Pour autant, il ne s’agit pas d’un trouble anormal. Vous l’avez dit, madame la rapporteure, ce qui serait anormal, c’est que l’on n’entende pas ces enfants et qu’ils ne se déchaînent pas pendant la récréation.
Si des difficultés surviennent – il peut y en avoir –, il faut laisser le juge trancher au cas par cas.
Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, comme la commission, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ses amendements identiques.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié ter et 3 rectifié octies.
(Les amendements sont adoptés.)
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. On les mettra dans la Constitution la prochaine fois !
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié bis, présenté par Mmes Aeschlimann et Dumont, M. J.M. Boyer, Mmes Nédélec et Petrus, MM. Belin et Bouchet, Mme Belrhiti, M. Savin, Mme Lassarade, M. de Legge, Mme Garnier, MM. Courtial et Joyandet, Mme Gruny, MM. Sautarel, Milon et Burgoa, Mme Noël et MM. Khalifé, Genet, Panunzi, Cadec et Sido, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les effets sonores causés par les enfants dans le périmètre des écoles, collèges et lycées ne sont pas des troubles anormaux de voisinage.
La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Après les crèches, les écoles… (Sourires.)
Monsieur le garde des sceaux, vous l’avez rappelé lors de la discussion générale, quand on s’installe à la campagne, on doit accepter celle-ci telle qu’elle est, y compris avec les inconvénients d’une installation agricole préexistante.
Il doit en être de même pour ce qui concerne les établissements scolaires. Quand on emménage près d’une école, on doit accepter que, pendant un temps limité, dans un espace dédié, des enfants puissent jouer et se défouler – ce qui ne fait pas de nos enfants des barbares.
La mise en œuvre de la théorie jurisprudentielle du trouble anormal de voisinage a pu déboucher sur la condamnation de collectivités – je fais ici référence à des situations vécues –, sur le fondement d’éléments objectifs, au motif que les enfants pouvaient faire du bruit dans une cour de récréation le matin, l’après-midi et au cours de la pause méridienne.
Cet amendement tend donc à élargir la clause exonératoire, ce qui permettra de prévenir ce type de contentieux pour le moins abusif et d’éviter que les collectivités qui sont chargées de la gestion et du fonctionnement de ces établissements scolaires ne soient traînées en justice par des riverains nouvellement installés, sous prétexte que les enfants font du bruit.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. C’est le même avis que précédemment.
Ce texte a trait à des troubles anormaux de voisinage, c’est-à-dire à des troubles extrêmes. Le juge sait apprécier s’il s’agit de bruits liés à la vie quotidienne.
Je vous le dis gentiment, mes chers collègues, à ce stade, nous pourrions également ajouter les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et d’autres structures. (Exclamations sur certaines travées du groupe Les Républicains.) Je parle d’un strict point de vue juridique !
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je ne suis pas défavorable à cet amendement, j’y suis extrêmement défavorable !
Je le redis, avec un faible espoir d’être compris : il ne s’agit pas là de troubles anormaux. Entendez-le ! Sinon, les mots n’ont pas le même sens pour tous.
Que voulez-vous que je vous dise d’autre ? Je me rassois, désespéré. (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour explication de vote.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Il ne s’agit pas de situations virtuelles. J’ai ici une décision de justice concernant ma commune, qui vient de faire l’objet d’une condamnation pour un trouble anormal de voisinage lié au fonctionnement d’une cour de récréation. Ce sont donc des cas qui existent. C’est la raison pour laquelle je me permets d’insister.
J’entends bien les avis de Mme la rapporteure et de M. le garde des sceaux. Pour autant, les éléments que je mets en avant sont factuels et jurisprudentiels.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Cela ne veut pas dire que la jurisprudence a raison !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 6, présenté par M. Bitz, Mme Schillinger, MM. Mohamed Soilihi, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, MM. Omar Oili, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Rohfritsch, Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 311-1-1. – La responsabilité de plein droit prévue au premier alinéa de l’article 1253 du code civil n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités agricoles au sens de l’article L. 311-1, préexistant à l’installation de la personne lésée, qui sont conformes aux lois et aux règlements et qui se sont poursuivies dans les mêmes conditions ou sans modification substantielle de ces conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal. »
La parole est à M. Olivier Bitz.
M. Olivier Bitz. Cet amendement est particulièrement important à nos yeux.
En effet, en l’état actuel du texte, nous nous référons au moment de l’installation du nouveau venu pour figer le niveau d’activité de l’activité voisine, notamment de l’activité agricole. Ainsi, on examine ce qu’elle représente en termes de nuisances, puis, sauf modifications législatives ou réglementaires ou mises en conformité, il n’est pas possible de revoir à la hausse les nuisances existantes.
Selon nous, la rédaction de cet article est beaucoup trop limitative. En effet, une exploitation agricole doit pouvoir se développer dans une certaine mesure, en intégrant des activités menées de manière différente ou de nouvelles activités.
Il nous semble donc important de ne pas figer le niveau d’activité de l’exploitation agricole, au moment de l’installation du voisin.
Pour autant, il ne s’agit évidemment pas de permettre tout et n’importe quoi. C’est la raison pour laquelle nous nous référons à la notion de « modification substantielle » : la limite posée à l’agriculteur serait une modification substantielle de son activité et des nuisances qu’elle provoque.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par MM. Duplomb et J.M. Boyer, Mmes Estrosi Sassone et Primas, MM. Cuypers, D. Laurent, Darnaud, Klinger, Sol et Karoutchi, Mme Puissat, M. Paccaud, Mmes Noël, Di Folco et Berthet, MM. Panunzi, Daubresse et Cadec, Mme Gosselin, MM. Pellevat, Savin, Hugonet, J.P. Vogel, Chatillon, Brisson, Grosperrin et Laménie, Mme Belrhiti, MM. Milon, Michallet et Anglars, Mmes Imbert et Bellurot, MM. de Legge, Reynaud, Genet, Bonhomme et Somon, Mme Muller-Bronn, MM. Tabarot et Sido, Mme Borchio Fontimp, MM. J.B. Blanc et Belin, Mme Gruny, MM. Chasseing et Favreau, Mmes Bonfanti-Dossat, Lassarade, Micouleau, Demas, P. Martin, Dumont et Joseph, M. Gremillet et Mme Aeschlimann, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Compléter cet alinéa par les mots :
ou dans des conditions telles qu’il n’en ait pas résulté une aggravation substantielle du trouble par sa nature ou son intensité
La parole est à M. Laurent Duplomb.
M. Laurent Duplomb. Quelle est la réalité de l’activité agricole ? Non seulement cette activité ne peut pas être conservée au niveau qui prévalait au moment de l’arrivée du voisin, mais aussi il faut lui donner la possibilité d’évoluer, comme le prévoit aussi l’amendement présenté par M. Olivier Bitz.
Pour rédiger cet amendement, nous sommes partis du principe qu’il convenait de se fonder sur un article du code civil. En effet, le juge se référant en priorité à ce code, il nous a paru important qu’il puisse continuer à le faire, y compris pour ce qui concerne une activité agricole. Toutefois, pour prendre en compte les spécificités de l’activité agricole, nous avons également voulu introduire une référence dans le code rural et de la pêche maritime.
En commission, Mme la rapporteure a fait inscrire dans cet article la référence au code rural et de la pêche maritime pour ce qui concerne la mise aux normes.
En effet, un agriculteur a l’habitude d’être confronté à de nombreuses injustices et injonctions contradictoires. Ainsi, lorsqu’il est obligé par l’État de se mettre aux normes et qu’après l’avoir fait il se voit condamné par son voisin pour troubles anormaux du voisinage, il est victime d’une injustice flagrante. D’un côté, il est obligé de se mettre aux normes ; d’un autre côté, il peut être traîné devant les tribunaux du fait même du respect de cette injonction.
Un rappel relatif à la mise aux normes a donc été inséré dans le code rural et de la pêche maritime.
Par cet amendement, il s’agit d’introduire les termes suivants : « dans des conditions telles qu’il n’en ait pas résulté une aggravation substantielle du trouble par sa nature ou son intensité ». Cela permet de prendre en compte l’évolution de l’exploitation, son éventuelle diversification ou son accroissement naturel.
Le trouble est de même nature quand une ferme passe de soixante à cent vaches laitières, comme l’a rappelé Mme la présidente de la commission des affaires économiques, que je remercie.
Par ailleurs, si, pour se diversifier, un agriculteur crée une activité d’élevage de poulets ou de poules pondeuses, il se produit une « aggravation substantielle du trouble ».
Une telle rédaction permet de prendre en compte le panel complet des éléments régissant le développement et l’évolution d’une exploitation agricole digne de ce nom.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Comme cela a été évoqué lors de la discussion générale, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 6.
Monsieur le sénateur, vous revenez d’une manière excessive, si je puis dire, sur les modifications apportées en commission, notamment sur le critère de l’installation.
Par ailleurs, cet amendement vise à introduire trois critères alternatifs. Si je ne doute pas de la capacité du juge à apprécier la situation, il me semble que ces dispositions contribuent à ajouter du flou, ce qui entraînera des marges d’appréciation trop larges.
À mes yeux, il est important, conformément à l’esprit de cette proposition de loi, que nous sécurisions les choses.
Enfin, il ne nous paraît pas impossible d’avancer vers la mention d’une « modification substantielle », comme l’a d’ailleurs évoqué le Conseil d’État dans le cadre de son avis sur la proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises, dès lors que cette mention est circonscrite aux seules activités agricoles et inscrite dans le code rural et de la pêche maritime.
La commission a une nette préférence pour l’amendement n° 4 rectifié bis de M. Duplomb, qui lui paraît mieux construit et plus en accord avec l’esprit de l’auteur de la proposition de loi et sur lequel elle émet un avis favorable. Je vous invite donc, monsieur le garde des sceaux, à vous effacer au profit de M. Laurent Duplomb ! (Exclamations amusées.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pour ne rien vous cacher, madame la rapporteure, le Gouvernement n’a pas la même préférence que la commission ! (Sourires.) Je m’en explique brièvement.
L’amendement n° 6, défendu par M. Olivier Bitz, a pour objet de permettre à l’agriculteur de bénéficier d’une exonération de responsabilité lorsque son activité a connu une modification non substantielle. Prenons l’exemple d’un élevage de chiens qui passerait de vingt à vingt-cinq bêtes ou bien de la modification de la localisation des ouvertures d’un bâtiment d’élevage. Parce qu’il partage cet objectif, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.
En revanche, l’amendement n° 4 rectifié bis de M. Laurent Duplomb soulève des difficultés. Il vise en effet à compléter l’alinéa 9 introduit par la commission des lois de votre assemblée, en prévoyant une nouvelle clause d’exonération de responsabilité. Ainsi, un exploitant qui fait évoluer de manière importante les conditions de son exploitation pourra bénéficier d’une exonération de responsabilité s’il démontre qu’il n’en résulte pas pour son voisin une aggravation substantielle de son préjudice.
Selon moi, une telle rédaction présente deux difficultés.
D’une part, les critères de « nature » ou d’« intensité » du trouble manquent de clarté et, à l’évidence, seront source d’insécurité juridique.
D’autre part, une telle disposition revient en réalité à exonérer l’exploitant auteur d’un trouble anormal de voisinage qui aurait fait évoluer de manière substantielle ses conditions d’exploitation, au motif que la nature ou l’intensité du trouble n’a pas été substantiellement modifiée. Cette rédaction, selon le Gouvernement, revient à priver la victime du trouble de tout droit à réparation, alors qu’elle a subi une aggravation de son dommage. Or on ne peut refuser d’indemniser un préjudice au seul motif que celui-ci n’est pas substantiel. Cela va d’ailleurs à l’encontre du principe de réparation intégrale du préjudice en droit de la responsabilité civile.
Monsieur le président, je profite de ma dernière intervention sur ce texte pour exprimer, au nom du Gouvernement, mon total et indéfectible soutien à M. François Patriat.
Je veux le redire – je l’ai déjà dit, hélas ! trop souvent –, s’en prendre à un élu, c’est s’en prendre à la République.
M François Patriat m’a dit qu’il avait saisi la justice. J’espère – j’en ai même la conviction – qu’elle fera son travail. Bien évidemment, comme je l’ai déjà demandé à de multiples reprises par voie de circulaire, elle prendra en considération sa qualité d’élu. Ce qui se passe est insupportable ! Aucune cause ne justifie des exactions semblables à celles dont votre collègue a été victime, mesdames, messieurs les sénateurs. (Applaudissements sur toutes les travées.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.
M. Laurent Duplomb. Monsieur le garde des sceaux, je ne suis pas d’accord avec votre analyse, pour la simple et bonne raison que l’objet de l’amendement n° 4 rectifié bis renvoie non pas à la notion de « développement substantiel », mais à celle d’« aggravation substantielle ».
En revanche, le terme de « nature » fait sens, en particulier dans l’exemple que vous avez pris. En effet, ne pas préciser que l’évolution est de même nature laisse au juge la faculté d’interpréter cette évolution.
Pour ma part, j’ai démarré mon activité agricole avec soixante vaches. Aujourd’hui, nous en avons cent vingt. S’agit-il d’une évolution substantielle ? À mes yeux, la réponse est « non », dans la mesure où j’y ai été contraint pour des raisons économiques – je ne l’ai pas fait par plaisir. En revanche, ce qui est certain, c’est que cette évolution est de même nature : quel que soit le nombre de vaches, soixante ou cent vingt, les nuisances sont les mêmes. La machine à traire, qui se met en route à des moments précis, fonctionnera un tout petit peu plus longtemps. Par conséquent, l’aggravation de la nuisance liée à la machine à traire est substantielle, puisque la traite, au lieu de durer une heure et demie, dure une heure trois quarts ou deux heures.
Telles sont les raisons pour lesquelles cet amendement est ainsi rédigé. Excusez-moi de ne pas être d’accord avec vous, monsieur le garde des sceaux, : ma rédaction a le mérite d’être bien plus claire. Le juge aura ainsi une vision très précise de ce que le législateur aura voulu, indépendamment de ce qu’il pourra ensuite interpréter.
En effet, trop souvent, la loi est rédigée de telle sorte qu’elle permet au juge de faire la loi à la place des parlementaires, ce qui ne correspond pas à ma façon de voir !
M. Olivier Paccaud. Exactement !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié bis.
(L’amendement est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
8
Lutte contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques (proposition n° 183, texte de la commission n° 399, rapport n° 398).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre les discriminations est bien évidemment une ardente nécessité. Notre gouvernement est profondément engagé à promouvoir l’égalité sous toutes ses formes dans la société, ce qui implique un combat résolu et sans relâche contre toute discrimination.
Malgré l’inscription formelle de l’égalité dans nos textes fondateurs, la réalité montre que cet idéal est encore loin d’être atteint pour nombre de nos concitoyens. Il devient donc impératif d’assurer à chaque individu l’accès mérité à des opportunités d’emploi, à un logement décent, ainsi qu’aux prêts bancaires nécessaires pour concrétiser ses projets personnels ou professionnels.
Des données recueillies par l’Insee révèlent qu’environ 20 % des Français ont été confrontés à des discriminations au cours des cinq dernières années. Ce chiffre souligne l’urgence de la situation et, par conséquent, la nécessité de ce texte.
Cette réalité est encore plus prégnante au sein des communautés issues de l’immigration, où 82 % des individus rapportent avoir été discriminés, principalement en raison de leur origine ou de leur couleur de peau. Nous ne pouvons vivre avec ces constats.
Les domaines de l’emploi et du logement sont particulièrement touchés par ce phénomène, ce qui démontre une capacité déconcertante à marginaliser les différences.
Cette discrimination n’épargne personne, frappant également les femmes à différentes étapes de leur vie, les personnes en situation de handicap, les membres de la communauté LGBT+ et les seniors. En réalité, elle touche tout le monde. (M. François Bonhomme s’exclame.)
Ces pratiques discriminatoires sont en totale contradiction avec les valeurs républicaines de notre nation et appellent donc à une action immédiate et déterminée.
Dans cette optique, la proposition de loi du député Marc Ferracci visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques s’inscrit dans le cadre d’un engagement pris par le Président de la République pour combattre avec plus de vigueur les discriminations.
Elle reflète la volonté gouvernementale et s’aligne sur le Plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine 2023-2026.
Ce plan vise, avec une détermination sans faille, à marquer des changements tangibles et durables dans notre société. Il est nécessaire de considérer notre société comme elle est.
En commission, puis en séance publique, l’Assemblée nationale a adopté cette proposition de loi, qui a été défendue avec conviction par son auteur, dont je salue ici l’engagement.
Ce texte propose des mesures essentielles pour lutter contre les discriminations qui minent nos principes républicains et l’idéal de méritocratie qui nous est cher, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons.
Par l’application de tests statistiques et individuels, ce texte vise à démanteler les pratiques discriminatoires et à promouvoir la justice sociale, qui est l’une des conditions de la cohésion nationale. Il transmet le message clair que les origines, la couleur de peau, les croyances, l’âge ou l’orientation sexuelle d’un individu ne doivent absolument jamais constituer des obstacles à l’emploi, à l’accès au logement ou aux services bancaires.
Face à la discrimination, certains se voient contraints – je trouve cela déchirant – de dissimuler leur identité, changeant de nom, mentant sur leur âge ou inventant des subterfuges. Une telle résignation témoigne d’un profond désespoir.
Cette proposition de loi vise précisément à redonner espoir à ces Français, en leur offrant les moyens de se défendre et de réclamer justice.
Pour transformer la société, il est crucial de modifier en profondeur les comportements des entreprises, des institutions et des administrations publiques.
Afin d’atteindre cet objectif, la proposition de loi étend l’utilisation du testing statistique, pour déceler les pratiques discriminatoires au sein des entreprises et des institutions. Ce mécanisme implique l’envoi de candidatures fictives, différenciées par des critères susceptibles d’être discriminants, afin de recueillir des données permettant d’analyser les pratiques discriminatoires à grande échelle et d’identifier les organisations fautives.
L’ambition, forte, est de tester 500 entreprises en 2024. Celles qui seront reconnues coupables de discrimination et qui n’auront pas pris les mesures nécessaires pour y remédier seront publiquement signalées, grâce à une stratégie de publication encadrée des résultats. Ce dispositif s’appuie sur l’existence d’un arsenal juridique contre la discrimination, dont l’efficacité reste à prouver, comme le démontre l’absence de condamnations pénales en matière de discrimination depuis 2020. Telle est en effet la réalité objective.
Ce texte, largement révisé par la commission des lois du Sénat, a pour ambition de fournir aux victimes de discrimination un véritable parcours judiciaire. Le Gouvernement, par voie d’amendement, exprimera sa volonté de réintroduire les articles supprimés en commission, car il considère que leur suppression met en péril l’esprit initial de la proposition de loi. Il nous faut pouvoir fournir aux acteurs publics des outils reconnus, afin de faire évoluer les comportements et de lutter efficacement contre les discriminations.
Il est vrai que cette proposition de loi privilégie le testing individuel, concentré sur des cas de discrimination vécus et s’appuyant sur les témoignages directs des victimes.
Cette approche vise à valider l’existence de discriminations et à soutenir les démarches juridiques des personnes qui en sont victimes.
Le testing statistique et le testing individuel sont envisagés comme des outils complémentaires et également nécessaires dans la lutte contre les discriminations. Le Gouvernement a la conviction que ces nouvelles mesures porteront leurs fruits ; j’en ai la conviction personnelle.
Le plan global bénéficiera du soutien de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), qui sera chargée d’orchestrer la réalisation de ces tests statistiques à grande échelle.
J’y insiste : cette initiative ne vise absolument pas à concurrencer le Défenseur des droits :…
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Si !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. … elle a vocation à offrir une démarche supplémentaire pour combattre efficacement les inégalités, car, en la matière, on n’est jamais trop nombreux.
La proposition de loi prévoit également la création d’un comité des parties prenantes, qui réunirait des parlementaires, des experts et, évidemment, le représentant du Défenseur des droits. Cette structure aura pour mission de choisir la méthodologie qui s’appliquera au testing et de définir les actions correctives appropriées. Il s’agit de faire en sorte que chacun ait confiance dans la méthodologie qui sera retenue, gage de notre capacité à provoquer les transformations et les changements.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, notre objectif est de nous doter de l’ensemble des moyens que nécessite une lutte efficace contre les discriminations ; ce texte est donc une étape décisive dans notre combat en ce domaine. Nous avons la responsabilité collective de tout mettre en œuvre pour mettre fin à ces discriminations qui, je le répète, peuvent toucher tout un chacun.
Ces orientations ont été en particulier défendues par ma collègue Aurore Bergé, aujourd’hui retenue par un déplacement à l’étranger ; j’espère et suis convaincue que les débats de cet après-midi nous permettront d’atteindre un consensus. La lutte contre les discriminations requiert une ardente mobilisation et les Français attendent que nous remplissions notre promesse républicaine d’égalité. C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est aujourd’hui soumis à votre examen.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Olivia Richard applaudit également.)
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi du député Marc Ferracci que nous examinons aujourd’hui visait, dans sa rédaction initiale, à lutter contre les discriminations, et ce de deux manières.
Il s’agissait, en premier lieu, de confier à la Dilcrah la réalisation de tests de discrimination – tel est l’objet de l’article 1er. Ces tests auraient pour objet, selon les cas, de confirmer une discrimination subie par une personne réelle ou de détecter de potentielles pratiques discriminatoires au sein d’une organisation déterminée. On parle, dans le premier cas, de test individuel et, dans le second cas, de test statistique.
La méthode employée est relativement simple : elle consiste à soumettre, en réponse à une même offre, plusieurs candidatures similaires ne différant que par le seul critère testé – l’origine ou le sexe, par exemple – afin d’évaluer si elles ont toutes les mêmes chances de prospérer. Si tel n’est pas le cas, on est en présence d’une situation de discrimination potentielle. La méthodologie des tests serait élaborée en concertation avec un comité des parties prenantes, rassemblant pêle-mêle des parlementaires, des experts ainsi que des représentants des organismes susceptibles d’être testés, des employeurs, des salariés et des associations – tel était l’objet de l’article 2.
Il s’agissait, en second lieu, de prévoir une procédure de suivi spécifique aux tests statistiques. Celle-ci s’appuierait sur un dialogue entre l’État, la Dilcrah, le comité des parties prenantes, ainsi que l’administration du travail. De manière générale, l’organisme épinglé serait soumis à une obligation de négociation en vue de conclure un accord portant sur des mesures correctives ou, à défaut, d’établir unilatéralement un plan d’action. En l’absence d’accord ou de plan d’action, ou lorsque le contenu de l’accord ou du plan est insuffisant, des sanctions seraient possibles : amende administrative d’un montant non négligeable, pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale, name and shame. Tel était l’objet de l’article 3.
Si la commission des lois a largement remanié la proposition de loi, ce n’est pas en raison d’un quelconque désaccord sur le constat. Ne nous voilons pas la face, les discriminations existent partout et, en ce domaine, le combat est loin d’être gagné. Je rappelle que la Défenseure des droits a reçu plus de 6 700 réclamations en matière de discrimination en 2023, contre 5 215 en 2021. Les trois principaux critères sont le handicap, pour 21 %, l’origine, pour 13 %, et l’état de santé, pour 9 %. Ces chiffres sont plus que préoccupants et nous partageons tous pleinement la volonté de lutter contre les discriminations.
Hélas ! la qualité d’une loi ne se mesure pas à ses bonnes intentions…
Mme Nadine Bellurot. C’est vrai !
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. … et nous avons considéré qu’en l’espèce le dispositif proposé n’était pas la voie la plus adéquate pour lutter efficacement contre les discriminations.
Je ne m’attarde pas sur la question de la nécessité d’une intervention du législateur pour parvenir aux objectifs visés – chacun se fera son idée. Sur le fond, l’examen de la proposition de loi en commission a démontré que plusieurs de ses dispositions étaient imprécises, incomprises, voire franchement contre-productives.
Je pense tout d’abord aux tests individuels de discrimination. La proposition d’en confier la réalisation à la Dilcrah a, je dois le dire, fait l’unanimité contre elle. Fait rare, la Défenseure des droits s’y est opposée dans un avis public. Elle n’est pas la seule : la quasi-totalité des personnes auditionnées, y compris celles qui représentent le champ associatif, m’ont fait part de leurs profondes réserves.
Nous avons fait droit à leurs arguments : la Défenseure des droits nous est bel et bien apparue comme l’institution la plus pertinente pour assurer cette mission. Elle dispose d’une expertise de longue date en la matière et est la mieux placée pour accompagner les victimes dans la suite de la procédure, y compris en cas de contentieux. Concrètement, elle dispose de pouvoirs d’enquête et peut recourir à la voie de la médiation, émettre une décision portant recommandation ou, en cas de contentieux, produire des observations devant le juge. Enfin, son indépendance est une plus-value indéniable dans les cas où une personne publique est en cause.
Afin de ne pas créer de concurrence entre les acteurs de la lutte contre les discriminations – une telle concurrence ne profiterait à personne, surtout pas aux victimes –, nous avons donc entendu préserver la compétence de la Défenseure des droits sur ce point. En conséquence, nous avons limité la compétence de la Dilcrah à la seule réalisation de tests statistiques.
J’en viens à l’article 2 et au comité des parties prenantes. Celui-ci a été présenté par l’auteur de la proposition de loi comme le moyen de prévenir toute critique quant à la robustesse de la méthodologie des tests. Je rappelle qu’une grande campagne de tests statistiques a été conduite par l’État en 2019-2020, mais que cette initiative n’a pas pu prospérer du fait de critiques particulièrement vivaces émises par les entreprises épinglées à l’encontre de la méthodologie employée. Il serait illusoire de penser que la création d’un énième comité permettrait de couper court aux contestations. Il serait également naïf d’imaginer que toutes les entreprises se rallieraient à la cause du testing simplement parce que la loi le leur prescrit. Au fond, on cède ici à la tentation bien française de vouloir tout régler par la création d’une nouvelle norme…
Le comité des parties prenantes nous est apparu d’autant plus inadapté que les modalités concrètes de son fonctionnement, notamment sur la majorité requise, n’étaient pas précisées. Autant l’unanimité semble hors de portée compte tenu de sa composition, autant une mise en minorité des entreprises ouvrirait d’entrée de jeu la voie à des contestations.
Ce format est en outre excessivement rigide. Afin de favoriser l’émergence d’un consensus, il apparaît plus pertinent de laisser aux pouvoirs publics la liberté d’établir au cas par cas le format d’échange le plus adapté, étant entendu que les partenaires sociaux devront systématiquement y être associés.
Enfin, les missions dévolues à ce comité feraient de lui bien plus qu’un conseil scientifique, puisqu’il interviendrait à de nombreuses reprises dans la procédure de correction des pratiques faisant suite à un test statistique. Si les résultats d’un test statistique laissent présager de pratiques discriminatoires, il revient pourtant en priorité à l’administration du travail d’accompagner l’entreprise pour qu’elle mette en place, en concertation avec les représentants du personnel, des mesures correctives. Quelle serait la légitimité d’un comité comprenant par exemple des experts de la statistique pour donner un avis sur un accord conclu de manière régulière au sein d’une entreprise ?
Pour l’ensemble de ces raisons, nous avons supprimé l’article 2.
J’en viens maintenant au cœur du réacteur, à savoir l’article 3, qui a trait aux suites apportées aux tests statistiques.
Je voudrais être très claire sur ce point : nous ne sommes pas opposés à la mise en place de campagnes de tests statistiques par l’État. Ces tests sont des outils utiles à la politique de lutte contre les discriminations, car ils permettent d’objectiver ces dernières. À ce propos, j’appelle d’ailleurs l’attention du Gouvernement sur les demandes de tous bords qui m’ont été adressées en vue que soit créé un observatoire des discriminations spécifiquement consacré à cette tâche.
Correctement utilisés, les tests s’inscrivent donc dans une démarche vertueuse. En revanche, ils ne doivent pas être pris pour ce qu’ils ne sont pas et il serait imprudent de faire d’un instrument avant tout statistique l’alpha et l’oméga de la lutte contre les discriminations. Je rappelle qu’un test ne permet de détecter que certaines catégories de discrimination dans un laps de temps déterminé. Comme toutes les études sur le sujet le rappellent, ces tests ne révèlent qu’un fragment des pratiques des organisations et ne permettent pas de tirer des conclusions définitives quant à d’éventuelles discriminations.
Ces rappels méthodologiques étant faits, j’en viens à l’épineuse question des suites apportées aux tests de discrimination. L’article 3 prévoyait une procédure ad hoc particulièrement insatisfaisante, et ce pour trois raisons.
La première raison porte sur sa complexité, voire son illisibilité. La procédure pouvait se découper en une dizaine d’étapes, pas toujours clairement articulées, et durer jusqu’à deux ans. En des temps de sobriété normative, il y avait de quoi s’interroger… Sur le fond, elle comportait également deux vices majeurs : d’une part, l’absence de phase contradictoire préalable permettant de purger les situations où une entreprise apporte des réponses convaincantes aux anomalies détectées ; d’autre part, le risque d’interférence, que j’ai déjà évoqué, entre le comité des parties prenantes et le dialogue social interne à l’entreprise.
La deuxième raison a trait à la philosophie de la procédure qui, comme trop souvent en la matière, n’a d’autre finalité que la sanction : cette approche ignore les initiatives déjà prises par les entreprises, par exemple dans le cadre des négociations obligatoires – un accord national interprofessionnel a été conclu en 2006 et l’on observe un foisonnement d’accords au niveau des branches. Je pense aussi aux outils de droit souple, par exemple le label diversité, ou à l’auto-testing auquel ont recours certaines entreprises, comme le groupe Casino. Les sanctions prévues me laissent d’ailleurs dubitative : l’efficacité du name and shame fait l’objet de nombreux débats sans qu’aucun consensus émerge, tandis que l’amende administrative risque fort de ne pas être appliquée.
La troisième raison est aussi la plus importante : le droit du travail nous offre déjà tous les instruments nécessaires. Rien n’empêche un dialogue informel entre l’administration du travail et une entreprise visée par un test. Si l’accompagnement bienveillant a parfois ses limites, l’État est toutefois loin d’être désarmé quand il s’agit de répondre aux entreprises les plus récalcitrantes. L’inspection du travail dispose d’une compétence générale pour contrôler l’application des dispositions du code du travail et, le cas échéant, engager une action en recherche des discriminations, voire saisir le parquet. À cet égard, au moment où le Parlement a à se prononcer sur l’extension des compétences de la Dilcrah, il paraît légitime de se demander si l’inspection du travail n’aurait pas fait meilleur usage des crédits qui ont été alloués à la délégation interministérielle dans la loi de finances pour 2024.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous avons supprimé l’article 3.
Mes chers collègues, gardons-nous de confondre une juste cause avec une bonne loi. La commission des lois a trouvé un équilibre satisfaisant autour d’un triptyque simple : préserver la compétence du Défenseur des droits pour ce qui est des tests individuels ; approuver le principe des tests statistiques ; utiliser le droit existant pour en assurer les suites. Aller au-delà ne nous semble pas nécessaire, sauf à desservir la cause que nous partageons tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Olivia Richard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons fait de l’égalité des droits l’une de nos valeurs fondamentales, inscrite à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Nous considérons que seul le mérite doit fonder les distinctions entre les individus.
Cet idéal politique étant au cœur de notre pacte républicain, nous nous félicitons qu’il soit toujours objet de consensus. Main dans la main avec le droit, dans le cadre d’une concurrence loyale et non faussée, l’économie de marché contribue à réduire les discriminations.
« Le développement du capitalisme s’est accompagné d’une réduction majeure des discriminations économiques infligées à des groupes religieux, raciaux ou sociaux particuliers. » Ainsi Milton Friedman nous rappelle-t-il que la « main invisible » d’Adam Smith ne distingue pas selon l’origine ou l’appartenance réelle ou supposée des individus. (M. Guy Benarroche s’exclame.)
Elle ne distingue pas et elle ne doit pas distinguer ; il y va d’un principe d’efficacité économique, qui profite tant aux individus qu’à la société dans son ensemble. Non seulement les discriminations gâchent la vie de ceux de nos concitoyens qui y sont confrontés, mais elles freinent également le développement de notre économie. Un récent rapport de France Stratégie indique que nous perdons chaque année plusieurs points de croissance en raison des discriminations qui perdurent dans notre pays.
Nous n’avons donc aucune excuse, mais nous avons de solides raisons politiques et économiques pour lutter activement contre les discriminations.
Il ne suffit pas, hélas ! de décréter l’égalité en droit pour qu’elle devienne réalité. Il nous faut lutter constamment contre les discriminations qui portent atteinte à cet idéal.
Dans notre droit, du reste, la discrimination est un délit puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Ces peines sont bien entendu renforcées en cas de circonstances aggravantes. En dépit de cette sévérité, force est de constater que de telles pratiques perdurent. Le sentiment de discrimination progresse même parmi nos concitoyens, singulièrement parmi nos concitoyennes.
Le texte que nous examinons aujourd’hui a vocation à améliorer notre droit via la création d’un service destiné à détecter les pratiques discriminatoires par la réalisation de tests. Il prévoit également une procédure permettant de sanctionner les manquements constatés.
Ces objectifs sont louables ; le dispositif envisagé se heurte malheureusement aux efforts déjà déployés pour lutter contre les discriminations.
Le Défenseur des droits est en la matière un acteur majeur et il réalise déjà des tests individuels dont l’objet est de mettre en évidence les discriminations.
Pour ne pas faire doublon et ne pas nuire à la lisibilité du dispositif existant, la commission des lois – Mme le rapporteur l’a souligné – a fait le choix de restreindre la compétence du service visé à l’article 1er à la réalisation de tests statistiques aux fins d’améliorer l’information disponible quant à l’évolution des discriminations dans notre pays.
La procédure de sanction prévue à l’article 3 a également été supprimée en commission, eu égard aux outils déjà présents dans notre arsenal juridique.
Nous soutenions bien entendu le caractère plus pédagogique d’une démarche qui visait à compléter l’approche répressive. Force est cependant de constater que des espaces de dialogue existent déjà et qu’il s’agit plutôt de mieux s’en emparer.
Nous étions plus réservés quant aux procédures du name and shame et de l’amende administrative. C’est à tort, nous semble-t-il, qu’elles se généralisent. Nous ferions mieux de continuer à renforcer les moyens de la justice, pour lui permettre de traiter efficacement ces affaires : seuls nos tribunaux garantissent efficacement le droit à un procès équitable.
La mise en œuvre de cette proposition de loi nous permettra de mieux comprendre le phénomène discriminatoire et, par conséquent, de mieux lutter contre celui-ci. Nous devons continuer de veiller à faire reculer les différences de traitement, les inégalités et les discriminations dans notre pays.
Le groupe Les Indépendants soutiendra donc ce texte, qui a été largement modifié par la commission et le votera.
M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard.
Mme Olivia Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, toutes les données et études disponibles convergent pour alerter sur la persistance des discriminations en France. Ce constat continue tristement de se vérifier dans tous les domaines, même si l’accès à l’emploi, l’accès au logement et l’accès aux soins sont particulièrement concernés.
Selon la Défenseure des droits, auditionnée par notre rapporteure, plus de 6 700 réclamations ont été formées en 2023, contre 5 200 deux ans plus tôt – encore cette augmentation alarmante ne traduit-elle pas toute l’ampleur réelle du phénomène.
Les chiffres relatifs aux catégories les plus discriminées ne sont que les révélateurs de la mobilisation des associations qui accompagnent les réclamants. Saluons leur rôle essentiel, tant il est vrai qu’il est difficile de convaincre les personnes victimes de discrimination d’aller devant le juge. Reste que la photographie statistique n’est pas réaliste.
Je veux me faire l’écho, à cet égard, d’une étude éclairante de l’Organisation internationale du travail (OIT), selon laquelle, en 2018, 38 % des jeunes avocats s’estimaient victimes de discrimination. Ce taux s’élevait à 52 % pour les jeunes avocates. Seuls 5 % d’entre eux ont présenté des réclamations, signe de la crainte de représailles, mais aussi de la difficulté pour les personnes discriminées à prouver la réalité des faits.
La couleur de peau, le genre, l’orientation sexuelle, l’âge, la religion, l’engagement politique ou encore le handicap : l’énumération des motifs qui poussent un être humain à en écarter un autre est aussi longue que douloureuse.
Les discriminations à l’embauche relèvent quant à elles, selon les chercheurs, d’une anomalie de marché. Elles sont en tout état de cause un affront au principe d’égalité qui est au cœur de notre République, une insulte insupportable aux idéaux d’humanisme et d’universalisme auxquels nous aspirons pour tâcher de faire nation.
Devant ce constat indéniable qui, je le crois – en tout cas je l’espère –, est ici partagé par tous, il est de notre devoir de construire des outils permettant de renforcer le droit existant en matière de lutte contre les discriminations, de dissuader et, le cas échéant, de punir les auteurs de tels actes.
Ainsi devons-nous pallier les carences de notre arsenal juridique. À ce titre, je salue l’initiative de Marc Ferracci, député représentant les Français établis hors de France, à l’origine de ce texte.
Les tests individuels sont d’ores et déjà une réalité et je souhaite rendre hommage à l’engagement en la matière tant des associations œuvrant en ce domaine que des services de la Défenseure des Droits. Je regrette néanmoins que les moyens de cette dernière ne soient pas accrus, ce qui empêche son action d’être renforcée.
Les tests statistiques, quant à eux, sont d’une réelle utilité pour mesurer les pratiques discriminatoires, ce qui nous a conduits à considérer avec intérêt la création d’un observatoire. Une telle mesure n’est toutefois pas de notre compétence.
Mes chers collègues, nous nous accordons tous sur l’impérieuse nécessité qu’il y a à lutter contre les discriminations. Cependant, nous devons veiller à ne pas nous doter d’outils redondants ou d’organismes concurrents. Gardons-nous de l’affichage comme du déni !
Aussi, je veux saluer le travail précieux réalisé par la commission des lois, en particulier par notre rapporteure, Catherine Di Folco, qui, forte des auditions qu’elle a menées, a identifié les faiblesses de cette proposition de loi.
Ce travail nous a conduits à nous interroger sur la pertinence des réponses apportées à de vraies questions.
En effet, ce texte, issu de l’expérience incontestable de son auteur, a pour objet de renforcer les moyens d’appréhender un phénomène bien réel et de lutter contre.
Néanmoins, aux termes de cette proposition de loi, un tel renforcement se ferait au détriment de la Défenseure des droits, qui dispose pourtant – cela a été dit – d’une expertise ancienne et reconnue dans la conduite de tests individuels et qui est, du fait de son indépendance, la plus à même de gérer les cas où l’administration serait responsable d’une discrimination. Soulignons en outre que, contrairement à la Dilcrah, elle compte en son sein des juristes et peut faire des observations auprès des tribunaux. Ses pouvoirs d’enquête sont également un atout précieux en matière de lutte contre les discriminations. Redisons, en écho à ces préoccupations, combien il est important de pouvoir continuer à accompagner les réclamants.
La mise en œuvre d’une politique de testing à grande échelle, à visée statistique, qui serait quant à elle confiée à la Dilcrah, serait la bienvenue. La présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) s’est d’ailleurs montrée intéressée par les résultats d’une telle action pour ce qui concerne les discriminations que subissent les femmes.
Si certains points du texte sont favorablement accueillis, d’autres dispositifs, comme la création d’un comité des parties prenantes, dont la composition et les missions apparaissent mal calibrées, ont soulevé diverses réserves.
Ainsi la procédure de suivi des résultats des tests a-t-elle été jugée trop complexe, sa durée pouvant aller jusqu’à deux ans. Son déclenchement n’est par ailleurs précédé d’aucune phase contradictoire.
L’acceptabilité des campagnes de testing est également un critère essentiel, qui doit faire l’objet de toute notre attention, a fortiori lorsqu’il s’agit de publier les noms des entreprises concernées. L’acceptabilité de la démarche par les entreprises est, du reste, l’un des objectifs qui ont motivé l’auteur de cette proposition de loi. Néanmoins, la confiance ne se décrète pas : elle se construit, à force de constance et d’engagement. C’est pourquoi je partage les réserves de Mme Di Folco.
Parce que l’on ne peut que se ranger aux côtés de ceux qui œuvrent pour lutter contre l’intolérance et la haine, le groupe Union Centriste votera, vous l’aurez compris, en faveur de ce texte, dans la version modifiée par la commission des lois, et ce d’autant plus que la position de notre rapporteure semblait partagée par l’ensemble de la commission lors de la réunion d’examen du rapport. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du GEST.)
M. Guy Benarroche. « Nous ne construirons rien de durable si nous laissons monter, d’où qu’ils viennent, le racisme, l’intolérance, l’injure, l’outrage. Nous ne construirons rien de durable sans combattre ce poison pour la société que sont les discriminations. »
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si je rappelle cette alerte que donna en son temps le président Jacques Chirac, c’est que la situation est aujourd’hui dramatique, en dépit du capitalisme libéral et de la « main invisible du marché », chers à mon collègue Pierre Jean Rochette. Si la main est invisible, elle n’est pas aveugle et l’expansion de ce système économique n’a pas fait tomber les discriminations.
En cinq ans, le nombre de crimes et de délits à caractère raciste a augmenté de 29 % ; 5 % de nos concitoyens pensent qu’il existe une race qui serait supérieure à d’autres. En parallèle, nous assistons à une recrudescence des actes antireligieux, en particulier des actes antisémites. Le racisme, l’intolérance et les discours de haine n’ont jamais leur place au sein de notre République et nous les condamnons évidemment avec la plus grande fermeté.
Au-delà de ces violences, qui constituent la partie visible de l’iceberg, des milliers de citoyennes et de citoyens deviennent victimes de discriminations multiples. Alimenté par les haines, ce poison progresse au point qu’aujourd’hui une personne sur cinq déclare avoir été victime de discrimination.
Ainsi, une personne dont le prénom a une consonance maghrébine a 50 % de moins de chances d’être rappelée lorsqu’elle demande à visiter un logement. Encore ne s’agit-il là que de l’un des exemples les plus connus : en réalité, les discriminations se retrouvent dans une myriade de domaines, comme l’attribution des places à l’université, l’octroi d’un prêt bancaire, l’accès aux bâtiments publics, l’accès à l’emploi, le niveau de rémunération et même la surveillance de l’espace public.
Puisque les discriminations sont protéiformes, il nous faut actionner tous les leviers qui sont à notre disposition pour les combattre. Nous ne pouvons y réussir que si la lutte contre les discriminations devient une priorité.
À cet égard, madame la ministre, comment expliquer que le plan de la Dilcrah pour les années 2020 à 2023 n’ait été que partiellement mis en œuvre ?
Comment expliquer que le budget de la Défenseure des droits, alors même que le nombre de saisines ne fait que croître, n’ait pas été augmenté à due proportion ?
Comment expliquer que le Gouvernement s’oppose à toute traçabilité des contrôles d’identité, alors même que le Conseil d’État a reconnu qu’en la matière les pratiques discriminatoires existent bel et bien ?
C’est malheureusement une évidence : à l’heure actuelle, le Gouvernement ne fait pas de la lutte contre les discriminations une priorité. Nous pensons que ce rappel est utile, car c’est dans ce contexte que nous examinons aujourd’hui la proposition de loi du député du groupe Renaissance Marc Ferracci. En proposant de développer la réalisation de tests permettant d’identifier les pratiques discriminatoires, il propose d’actionner l’un des leviers disponibles.
Dans la mesure où ce texte a pour ambition de protéger les citoyennes et les citoyens contre les discriminations, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires salue évidemment cette initiative.
Ces tests permettraient de collecter des preuves là où les victimes ont systématiquement du mal à demander une indemnisation.
Pour autant, ce texte souffre de deux défauts majeurs.
Le premier défaut est institutionnel, car il est prévu que ces tests soient organisés sous l’autorité du Gouvernement.
D’une part, le Gouvernement participerait ainsi à l’élaboration des tests, y compris des tests qui visent à identifier des discriminations au sein de la fonction publique. L’Observatoire des inégalités montre d’ailleurs que les discriminations à l’embauche sont même plus importantes dans la fonction publique que dans le secteur privé. Il importe donc de veiller à ce que ces tests soient organisés en toute indépendance : la conception des tests et les orientations qui la régissent ne sauraient dépendre du Gouvernement.
D’autre part, ce rattachement des tests à l’exécutif nous laisse perplexes, car c’est justement le Gouvernement qui néglige aujourd’hui la lutte contre les discriminations. Aussi craignons-nous que ledit gouvernement se serve de tels tests comme d’une caution. En tout état de cause, la seule existence de l’organisme ainsi créé ne constituerait en rien une avancée.
Dans une certaine mesure, le Gouvernement a même déjà utilisé par avance la présente proposition de loi comme caution, car celui qui était alors ministre du travail avait promis ce texte lors de la réforme des retraites. Or cette réforme imposée restera profondément injuste et les dispositions qui nous sont soumises aujourd’hui ne changeront pas la donne.
Le second défaut est apparu lors de l’examen du texte en commission, Mme le rapporteur et la droite sénatoriale ayant supprimé les sanctions prévues. Celles-ci auraient pu être prononcées lorsqu’un test révèle des pratiques discriminatoires. En l’absence de sanction et même si leur nom est divulgué, les entités testées ne subiront guère de pression les incitant à mettre fin à leurs pratiques discriminatoires.
Mes chers collègues, en l’état, ce texte est au mieux une coquille vide, au pire un leurre. C’est pourquoi nous demanderons, par nos amendements, qu’à tout le moins les sanctions soient rétablies. À défaut, nous ne pourrons pas voter en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST.)
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si nous étions très enthousiastes à l’idée de voter une proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques, quelle n’a pas été notre déception à la lecture de ce texte aux ambitions si faibles !
Pourtant, cela a été dit, la lutte contre les discriminations est loin d’être achevée.
Selon une étude de l’Insee publiée en 2020, 18 % des personnes âgées de 18 à 49 ans déclarent avoir subi « des traitements inégalitaires ou des discriminations », alors qu’elles n’étaient que 14 % quelques années auparavant.
Au regard de la fréquence, de l’ampleur et de la violence des discriminations, la discussion que nous avons cet après-midi doit nous inviter à prendre la mesure de leurs conséquences. Il y a, au fond, une banalité de l’expérience discriminatoire pour les minorités dans notre pays. Or les discriminations sont un mal lancinant, qui fracture la société française.
Malgré ce constat, trop peu d’énergie et de moyens sont déployés pour lutter contre ces discriminations.
Si des politiques publiques ont émergé à partir du début des années 2000, si la création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), puis du Défenseur des droits ont constitué des avancées substantielles incontestables, les moyens à disposition restent indigents et sont le plus souvent consacrés à réaliser des diagnostics et des formations – évidemment nécessaires – plutôt qu’à mettre à mal les pratiques discriminatoires elles-mêmes.
Alors que les discriminations balafrent notre République, si peu est fait pour s’y attaquer !
Ce peu de moyens se traduit, en outre, par un non-recours au droit et aux dispositifs publics de médiation par les victimes, qui, à l’instar des délégués locaux du Défenseur des droits, demeurent peu connus.
Si faciliter l’accès au droit est indispensable – ne serait-ce qu’en faisant mieux connaître les possibilités de recours –, les dispositifs ne sont saisis qu’à la condition que les victimes aient le sentiment qu’ils peuvent aboutir et que les discriminations seront davantage punies si elles sont avérées.
S’il n’existe pas de remède miracle, des sanctions plus lourdes en cas d’infractions pourraient toutefois être envisagées.
Pourquoi, par ailleurs, attendre que les victimes se manifestent ? L’inspection du travail, l’inspection générale de l’éducation nationale ou l’inspection générale de la police nationale peuvent jouer un rôle actif pour prévenir les discriminations.
Plus largement, c’est une transformation des pratiques institutionnelles qui apparaît indispensable face à des discriminations largement systémiques.
À ce titre, la pratique du testing employée et défendue par la Défenseure des droits, mise en avant par ce texte est efficace, mais elle connaît des limites.
Tout d’abord, ces testings ne permettent pas d’identifier les causes profondes des comportements discriminatoires. Comment concevoir des dispositifs appropriés pour lutter contre les discriminations si l’on en ignore les fondements ?
En outre, le name and shame peut se révéler efficace à court terme, mais il ne l’est pas pour obtenir des changements structurels ni pour lutter contre le non-recours au droit.
Enfin, les études par testing ne sont pas pertinentes pour évaluer les discriminations dans tous les domaines. Par exemple, cette méthode n’est pas opportune pour les discriminations qui s’étalent dans le temps – je pense notamment au déroulement de carrière.
Les testings demandent donc à être complétés par d’autres approches, mais aussi et surtout par des moyens importants.
C’est de ce point de vue que ce texte nous semble manquer cruellement d’ambition, malgré les besoins importants en la matière.
Sur cette proposition de loi, nous partageons l’avis de la Défenseure des droits : les objectifs sont louables, mais le manque d’ambition est patent.
C’est la raison pour laquelle le groupe CRCE-K s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Philippe Grosvalet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, elle s’appelle Talia. Elle est enceinte. Elle se rendra vendredi à son dix-septième entretien d’embauche.
Il s’appelle Sofiane. Il est étudiant ingénieur. Il se fait contrôler par la police en moyenne deux fois par semaine.
Ils s’appellent Ugo et Maxime. Ils sont homosexuels. Ils se sont fait refuser l’entrée d’un restaurant.
Le terrible paradoxe de ces situations, c’est qu’elles sont à la fois révoltantes, bien sûr – je crois que nous le pensons tous –, et beaucoup trop quotidiennes pour nombre de nos concitoyens.
L’Observatoire des inégalités publiait, à la fin du mois de novembre 2023, son rapport sur les discriminations en France. S’il y est fait état d’une tolérance plus répandue de nos concitoyens les uns envers les autres, la situation actuelle a pourtant de quoi nous inquiéter.
Le nombre de réclamations liées aux discriminations auprès de la Défenseure des droits est en hausse constante. Je ne reviens pas sur les chiffres ; du reste, ils ne disent pas tout ! C’est aussi la nature même de ces discriminations qu’il nous faudrait prendre en compte pour mieux en mesurer le poids sur nos concitoyens, le handicap, l’origine et l’état de santé restant les principales caractéristiques où elles viennent se nicher.
Du côté des pouvoirs publics, la discrimination n’est évidemment pas un sujet nouveau, mais, par manque de volonté réelle, les politiques de lutte contre celle-ci n’ont jamais donné de résultats satisfaisants.
Par exemple, en 2016, des tests de discrimination ont été réalisés, à la demande des pouvoirs publics, sur de grandes entreprises, mais sont restés sans suite. En 2017 a été établie une charte sur les discriminations à l’embauche entre le ministère du travail et les entreprises, qui ne débouche sur aucune initiative. En 2018-2019, sur l’initiative de chercheurs, des testings sont réalisés et transmis au ministère du travail, sans que, là encore, ils aient été suivis par aucune mobilisation réelle des pouvoirs publics.
Le groupe RDSE souhaite donc que le sujet de la lutte contre les discriminations soit traité avec beaucoup plus de détermination de la part du Gouvernement.
Tel qu’il ressort des travaux de la commission des lois, le texte nous semble très affaibli.
Cependant, la suppression de la mention des tests individuels à l’article 1er nous paraît plutôt bienvenue. Mettons-nous à la place des victimes ! Ne multiplions pas les interlocuteurs et gardons une voie de recours identifiée par tous. Je pense évidemment au rôle de la Défenseure des droits, à condition, madame la ministre, qu’elle en ait réellement les moyens et que nous puissions amplifier ces derniers, notamment sur les testings.
Pour ce qui concerne le versant méthodologique du texte, la suppression de l’article 2 visant à l’instauration d’un comité des parties prenantes ne permet plus l’intégration d’acteurs en lien direct avec les problématiques de discrimination, et fragilise la construction d’une action publique pertinente et efficace.
L’article 3 manque également à la version actuelle du texte. Il nous semble essentiel qu’un test qui révèle de potentielles pratiques discriminatoires soit suivi d’effets – mesures correctives, établissement d’un plan d’action au sein de l’entreprise, voire possibilité d’une amende, comme le prévoyait le texte transmis par l’Assemblée nationale.
Constater sans décider, prendre conscience sans réagir, ce n’est pas la conception que nous devons avoir de notre rôle, mes chers collègues !
Vous avez rappelé, madame la ministre, qu’aucune décision de justice n’a été rendue.
Les discriminations nourrissent le repli, le ressentiment et les sentiments d’injustice et d’inégalité.
Elles engendrent un coût économique, qui pèse souvent lourd pour des populations souvent déjà vulnérables. Elles entravent l’accès à l’ensemble des biens et services, y compris les services publics.
Elles ont également des conséquences sociales et psychologiques importantes, prolongent des situations de détresse et amènent au renfermement social.
Légiférer sur la lutte contre les discriminations est essentiel, mais ne portera des résultats probants que si la volonté du législateur est accompagnée de celle du Gouvernement pour tracer une politique publique claire et affirmée.
C’est pourquoi ce texte doit être une étape, un outil supplémentaire, qui doit s’inscrire dans une ambition plus globale, « une stratégie nationale cohérente […] de lutte contre les discriminations », que la Défenseure des droits appelle de ses vœux.
Un patchwork d’études statistiques apportera sans aucun doute des éclairages, mais ne constituera ni une réponse satisfaisante pour les victimes ni un outil complet pour prévenir et sensibiliser.
Les violences discriminantes que vivent nombre de nos concitoyens ne sont pas acceptables dans notre République.
Le groupe RDSE soutient évidemment toutes les mesures visant à lutter efficacement contre les discriminations. Cependant, en l’état, le texte, tel qu’il nous est présenté, ne nous semble pas apporter de solutions suffisantes.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Philippe Grosvalet. Je conclurai par ces mots de Martin Luther King : « La moindre injustice, où qu’elle soit commise, menace l’édifice tout entier. » (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au cœur de l’adhésion à la République et aux valeurs qu’elle porte réside une promesse : celle de faire en sorte que chacun, quels que soient sa couleur de peau, son origine, sa religion, son genre, puisse trouver sa place.
Le principe d’égalité, selon lequel « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », auquel nous sommes attachés, participe au respect de cette promesse.
Le Président de la République ne dit d’ailleurs rien d’autre lorsqu’il affirme que « faire aimer la République, c’est tenir la promesse d’émancipation qui lui est intrinsèque ».
Trahir cet engagement serait se résoudre à un régime d’inégalités sociales, qui, de fait, maintiendrait les individus à leur place et nierait les aspirations légitimes de chacun.
Trahir cet engagement serait se résigner à ce que certains tournent le dos à la République, qui n’aurait de République que le nom.
Trahir cet engagement serait aussi, en quelque sorte, faire le lit des communautarismes et des séparatismes, contre lesquels nous combattons.
En se fixant pour objectif de renforcer la lutte contre les discriminations, qui sont justement la négation du principe même d’égalité, la proposition de loi que nous examinons s’inscrit dans le prolongement de cette promesse républicaine d’émancipation.
Discriminer, c’est traiter une personne de manière moins favorable qu’une autre dans une situation comparable, selon un critère qui ne justifie pas cette différence de traitement.
Bien que la France dispose d’un important arsenal juridique pour lutter contre les discriminations, l’ensemble des données convergent pour confirmer leur persistance dans notre pays. La Défenseure des droits indiquait ainsi avoir reçu 6 703 réclamations liées à des discriminations en 2023, contre 5 215 en 2021.
Ces données démontrent l’efficacité limitée du cadre juridique en vigueur, qui ne suffit pas, à lui seul, à dissuader et à lutter efficacement contre les discriminations.
Les recours contentieux constituent, en effet, des démarches lourdes à mettre en œuvre pour les victimes.
Si, depuis le début des années 2000, le principe des tests est reconnu comme un outil de preuve dans le cadre d’une action en justice, force est de constater que cela ne fonctionne pas. Ainsi, en 2020, il n’y a eu aucune condamnation pénale liée à une discrimination – aucune !
Il y a pourtant urgence à combattre les discriminations.
Comme je le soulignais en introduction, ces pratiques minent les fondements mêmes de notre pacte républicain. Elles relèguent une partie de nos concitoyens en marge de la société, en les privant de leurs droits et de leur dignité.
Lorsqu’elles reviennent à priver une partie de nos concitoyens de l’accès à des biens ou à des services, elles contribuent à fragiliser encore plus des populations souvent déjà vulnérables.
Bien plus, ces pratiques représentent également un coût économique colossal pour notre pays. Selon une étude de France Stratégie réalisée en 2016, le coût économique des discriminations pourrait représenter jusqu’à 14 % de notre PIB.
Dans ce contexte, la proposition de loi présentée par le député Marc Ferracci, dont je tiens à saluer l’engagement sur ce sujet important, s’inscrit dans le prolongement du Plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine 2023-2026.
L’ambition du texte était principalement de développer la pratique des tests individuels et statistiques, afin de mieux détecter, prévenir et corriger les discriminations dans notre pays.
Si son examen par la commission a bien révélé un relatif consensus quant à l’objectif, celle-ci n’a pas jugé les mesures proposées de nature à lutter efficacement contre les discriminations.
Ainsi, l’article 1er a été complètement réécrit. Il prévoyait de confier à la Dilcrah une compétence élargie en matière de prévention et de correction des situations de discrimination.
Craignant que la compétence de la Dilcrah ne vienne concurrencer celle de la Défenseure des droits, la commission a supprimé toute mention des tests individuels et limité ses missions principalement à la production de tests statistiques.
Le groupe RDPI regrette que la commission ait retenu une telle approche, plutôt que de voir dans la pratique des tests individuels développés par les deux institutions une potentielle complémentarité.
La suppression de cette possibilité obère également toute éventuelle montée en puissance de ces tests, qui constituent pourtant un outil efficace de lutte contre les discriminations.
La commission a également supprimé l’article 2, visant à créer un comité des parties prenantes, dont l’objectif aurait été de diffuser la culture des tests à l’ensemble des acteurs et, ainsi, de renforcer l’acceptabilité de cette pratique.
Dénonçant son caractère correctif, elle a supprimé l’article 3, qui fournissait une base législative au name and shame, à savoir la publication des résultats des tests statistiques. Cette publication n’intervenait pourtant qu’en dernier recours, si le contrevenant manquait à définir, par le dialogue social, un plan de lutte contre les discriminations.
En commission, Mme la rapporteure, dont je salue le travail, a pourtant souligné fort justement que « la lutte contre les discriminations ne [pouvait] être efficace que lorsqu’elle suscit[ait] l’adhésion des employeurs ». La proposition de loi visait précisément là à emporter cette adhésion, en invitant les employeurs, en amont des tests, à prendre part à la définition d’une méthodologie et, in fine, à les encourager à modifier leurs comportements, plutôt qu’à contester les résultats de ces tests.
Aussi les membres du groupe RDPI déplorent-ils que le texte ait été en grande partie vidé de son contenu. Ils craignent que, en l’état, il ne puisse atteindre son objectif de lutte contre les discriminations. Ils redoutent surtout que, si la proposition de loi venait à être adoptée en l’état, le Sénat ne témoigne qu’une faible ambition dans la lutte contre les discriminations et, ainsi, un intérêt moindre pour la République lorsque celle-ci est synonyme de promesse d’émancipation. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le cadre d’un testing, SOS Racisme a publié ce jour même une étude dévoilant que 61 % des agences d’intérim acceptaient de faire une présélection des candidats en fonction de la couleur de leur peau.
Aujourd’hui, en France, les candidats ayant un nom d’origine française ont près de 50 % de chances de plus d’être rappelés par un recruteur que ceux qui ont un nom d’origine maghrébine. C’est le résultat d’une vaste campagne de testing lancée par le ministère du travail entre 2019 et 2021, qui a consisté à envoyer 9 600 candidatures avec des noms aux origines différentes. Résultat : les candidats dont le nom était d’origine française ont été rappelés dans 33,3 % des cas par les employeurs, contre 22,8 % pour ceux ayant un nom d’origine maghrébine.
En 2022, en France, selon l’Insee, seules 44 % des personnes en situation de handicap étaient actives, contre 75 % de l’ensemble de la population.
Aujourd’hui, en France, le fait de porter un nom de famille d’origine maghrébine ou d’Afrique de l’Ouest réduit fortement la probabilité d’obtenir une visite pour louer un appartement. Dans le cadre d’une opération de testing réalisée en 2016 sur 5 000 annonces immobilières dans cinquante grandes agglomérations par une équipe du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le candidat au nom à consonance française a reçu 13,9 % de réponses positives pour visiter un appartement en location ; avec une candidature tout à fait semblable – en termes d’emploi, d’âge et de nationalité –, le candidat d’origine maghrébine n’a reçu que 10,1 % de réponses positives et le candidat d’Afrique subsaharienne seulement 9,4 %. Le candidat au nom français avait donc 1,5 fois plus de chances que le candidat originaire d’Afrique subsaharienne de visiter ce logement.
Aujourd’hui, en France, les jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes ont une probabilité vingt fois plus élevée que les autres d’être contrôlés par les forces de l’ordre, selon une étude du Défenseur des droits publiée en 2017.
La Défenseure des droits a indiqué avoir reçu 6 703 réclamations liées à des discriminations en 2023, contre 5 215 en 2021. Les trois principales causes de discrimination sont le handicap – 21 % –, l’origine – 13 % – et l’état de santé – 9 %.
Aujourd’hui, en France, nous devons donc nous résoudre à reconnaître que de nombreux concitoyens sont confrontés à la violence des discriminations chaque jour, dans leur vie quotidienne.
Cette situation n’est pas acceptable. Elle remet en cause le principe d’égalité, qui est le fondement de notre pacte républicain. Elle alimente un ressentiment légitime chez de nombreux Français et met à mal notre vivre ensemble.
Bien évidemment, il faudra bien plus qu’une simple proposition de loi visant à développer les tests individuels et statistiques afin de mettre fin aux discriminations structurelles qui rongent notre République ! Il nous faudra un sursaut collectif, une prise de conscience et, surtout, une volonté de mettre fin à ces pratiques discriminatoires.
Aujourd’hui, cette proposition de loi prévoit de confier à un service placé sous l’autorité du Premier ministre la réalisation de tests de discrimination individuels et statistiques. Ce service serait a priori la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT.
Bien sûr, nous souscrivons à l’objectif du texte. En revanche, ses modalités soulèvent de nombreuses interrogations.
Premièrement, l’article 1er prévoit de confier à la Dilcrah une compétence élargie en matière de prévention et de correction des situations de discrimination, avec la réalisation de tests individuels et statistiques.
Cet article pose deux problèmes fondamentaux.
Le premier problème est qu’il confie ces missions à un service placé sous l’autorité du Premier ministre, donc à une autorité qui n’est pas indépendante. Inutile de vous rappeler, mes chers collègues, que les services de l’État eux-mêmes discriminent !
Dans son avis, la Défenseure des droits, qui salue le sens du texte, se dit néanmoins clairement défavorable à l’idée de confier de telles compétences à un service de l’État qui ne présente aucune garantie d’indépendance.
Le second problème posé par l’article 1er est la réalisation de tests individuels par ce service.
Nous avons été alertés par de nombreuses associations, vivement opposées à la réalisation de tests individuels par la Dilcrah. Encore une fois, la Défenseure des droits a une expertise ancienne et reconnue dans la réalisation de ces tests. Elle est la plus compétente pour accompagner les victimes de discriminations sur la voie judiciaire, en particulier si l’auteur des discriminations est une administration.
Nous saluons les modifications apportées en commission sur l’initiative de Mme la rapporteure : elles vont dans le bon sens.
Nous souhaitons, en revanche, rétablir l’objectif d’œuvrer « à la correction des situations de discrimination, notamment en matière d’accès à l’emploi, au logement et aux biens et services publics ou privés ».
J’en viens à l’article 2, qui créait un comité des parties prenantes. L’effectif de cet organe n’était pas clairement défini et les modalités de nomination de ses membres étaient renvoyées à un décret en Conseil d’État, laissant le flou sur leur nomination, donc leur indépendance. Nous saluons également la suppression de cet article en commission.
L’article 3 prévoyait, quant à lui, la procédure applicable lorsqu’un test statistique révèle des pratiques discriminatoires. Madame la rapporteure, vous avez choisi de supprimer purement et simplement cet article. Nous considérons que c’est un problème.
Évidemment, cet article n’était pas parfait, mais que vaut un texte visant à lutter contre les discriminations dénué de toute sanction ? Rien.
La sanction prévue était déjà très légère pour la personne morale concernée. Vous semblez considérer que les entreprises sont toutes de bonne volonté et prêtes à cesser leurs discriminations via un dialogue informel… C’est malheureusement bien trop idéaliste et éloigné de la réalité et de la pratique !
Bien sûr, un nombre croissant d’entreprises prennent volontairement des mesures pour corriger les biais discriminatoires dans leurs pratiques, parce qu’elles prennent à cœur leur responsabilité sociale ou, plus pragmatiquement, parce qu’elles prennent au sérieux les nombreuses études démontrant que la diversité des ressources humaines est un facteur de réussite économique.
Malheureusement, beaucoup d’autres entités – personnes morales privées ou publiques – n’agissent que si elles y sont contraintes ! Si le droit existant suffisait, les discriminations relèveraient aujourd’hui de l’exception aberrante. Nous savons bien que la réalité est tout autre.
Force est de constater que la pratique du name and shame fonctionne. Elle permet de mettre la pression en amont sur les entreprises, qui développeront leurs bonnes pratiques par peur d’une atteinte à leur réputation. Elle est efficace dans plusieurs domaines.
Aussi proposerons-nous de rétablir l’article 3, en prévoyant, en plus, que le procureur de la République soit informé des infractions constatées et que le montant de l’amende administrative passe de 1 % à 5 % des rémunérations et gains. Nous proposerons également une interdiction complémentaire de candidater aux marchés publics pour les entreprises épinglées qui n’ont pas pris de mesures suffisantes.
Madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, vous l’aurez compris, l’objectif de ce texte est louable : il s’agit de mieux lutter contre les discriminations. Ces discriminations étant structurelles dans notre pays, il faudra également mieux lutter contre les stéréotypes et les préjugés, ce qui nécessite des mesures bien plus ambitieuses.
Je me joins à Mme la rapporteure pour appeler l’attention du Gouvernement sur l’importance de créer un observatoire indépendant des discriminations.
De notre côté, nous ne voterons cette proposition de loi que si nos amendements visant à améliorer les dispositifs et à assurer une meilleure indépendance des acteurs chargés de lutter contre les discriminations sont adoptés. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie Mercier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, venue de l’Assemblée nationale, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’ajoute à une liste assez longue d’initiatives de nos collègues députés.
Initialement, cette proposition de loi visait à généraliser la pratique du testing pour lutter contre les discriminations, notamment dans l’accès à l’emploi, au logement, aux prêts bancaires ou aux services publics. Pour ce faire, elle entendait créer un service au sein de la Dilcrah.
Oui, mes chers collègues, les discriminations perdurent dans notre pays et nul ne doute que nous partageons tous cette volonté de les combattre plus efficacement, quelle que soit la nature de celles-ci.
Comme les auditions l’ont montré, confier à la Dilcrah la réalisation de tests individuels ne convainc pas les acteurs du secteur.
Le Défenseur des droits dispose déjà d’une expertise en la matière et nous ne voyons pas la nécessité de multiplier les interlocuteurs des potentielles victimes, alors que celui-ci a désormais acquis une certaine notoriété auprès de nos concitoyens. Nous saluons donc la suppression de la référence aux tests individuels par notre rapporteur.
En outre, la création d’un énième comité à l’article 2, le comité des parties prenantes, n’est pas satisfaisante. Sur ce point, rien ne remplace le rôle des pouvoirs publics et le dialogue social conduit par les partenaires sociaux !
Par ailleurs, nous ne mesurons pas non plus la pertinence de la procédure prévue à l’article 3, lorsque le résultat d’un test statistique révèle de potentielles pratiques discriminatoires. Faire intervenir successivement la Dilcrah, le comité des parties prenantes, les partenaires sociaux et l’administration du travail prendrait des mois, pour des résultats pour le moins incertains, sans mentionner que le déclenchement de ce processus serait particulièrement fastidieux, singulièrement pour les très petites entreprises (TPE) et les petites moyennes entreprises (PME).
De surcroît, le texte prévoit des sanctions très lourdes. Par hypothèse, il est probable que ces dernières soient peu appliquées…
Au-delà de la technicité de ces diverses mesures, je souhaite élargir mon propos en y ajoutant quelques éléments de contexte.
En France, aujourd’hui, les entreprises peinent à embaucher. Je vous rappelle, mes chers collègues, que, si les entreprises rencontraient déjà des problèmes de recrutement en 2022 et en 2023, ceux-ci continuent de s’accroître en 2024, quelle que soit la taille de l’établissement !
Il nous semble que le rôle du législateur n’est pas de leur imposer encore davantage de contraintes, à l’instar de la directive européenne en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD). Il est à tout le moins de les soulager dans les innombrables normes qu’on leur impose.
Quid des entreprises qui pratiquent de plus en plus l’auto-testing ? Notre rôle, comme celui des pouvoirs publics, n’est-il pas d’encourager ces initiatives, d’accompagner les comportements vertueux, plutôt que de menacer de faillite les entreprises concernées ?
Aussi le groupe Les Républicains est-il pleinement satisfait des modifications apportées au texte par notre rapporteur, dont je veux saluer le discernement rigoureux et la qualité du travail mené.
Pour l’ensemble de ces raisons, je ne doute pas que la majorité de notre groupe votera en faveur de la proposition de loi, dans la version issue des travaux de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ferai une réponse générale à vos interventions avant que nous n’abordions l’examen des amendements. Il ressort des discussions que nous souhaitons tous lutter contre les discriminations ; celles-ci sont de différents ordres.
C’est parce que nous aimons profondément notre pays qu’il faut le regarder tel qu’il est ! Ainsi, les discriminations perdurent et touchent tout le monde. Cependant, elles frappent plus durement une partie des Français.
Pourquoi avoir voulu confier la réalisation de tests individuels à la Dilcrah, ainsi que le prévoyait l’article 1er, sinon parce que cette faculté n’entravait en rien la compétence de la Défenseure des droits en la matière ? D’ailleurs, la Défenseure des droits propose elle-même un certain nombre de fiches pour aider d’autres acteurs – personnes discriminées, mais aussi avocats ou associations – à pratiquer de tels tests.
Il s’agissait donc d’un soutien supplémentaire, permettant d’aller un peu plus loin, parce que nous avons besoin d’apporter des preuves de ces discriminations, qui sont reconnues par le code pénal, afin d’offrir réparation aux personnes discriminées. Tel était l’esprit de l’article 1er.
J’en viens au comité des parties prenantes, prévu par l’article 2, qu’un certain nombre d’entre vous ont évoqué. Pourquoi l’avoir voulu ? Parce que nous avons besoin de consensus, nous avons besoin d’interroger la méthode, de pouvoir débattre. Faute de consensus sur la méthode, les publications feront l’objet de contestations.
Dans ce souci d’éviter de tels écueils et de construire un édifice plus solide, le comité des parties prenantes aurait avant tout permis de provoquer une prise de conscience et de conduire une discussion avec les entreprises, mais pas seulement. J’entends le focus qui est fait sur les entreprises, mais ce ne sont pas les seules entités qui ont vocation à être testées, puisque la proposition de loi vise tout aussi bien l’accès aux administrations, aux droits bancaires et au logement.
Si les réponses n’avaient pas été satisfaisantes alors que les tests étaient positifs, le name and shame, c’est-à-dire la publication des noms, pour faire prendre conscience du manque de mobilisation de certains, devenait un outil utile.
J’ai entendu un certain nombre de remarques sur la Dilcrah selon lesquelles elle serait juge et partie. Mais ce ne serait pas du tout le cas ! La Dilcrah permettrait d’apporter un soutien supplémentaire, mais elle ne s’occuperait pas du volet judiciaire a posteriori. Dans le fond, nous nous mobilisons simplement pour donner davantage de moyens à la lutte contre les discriminations, qui sont aujourd’hui plurielles et minent notre cohésion nationale.
Les administrations et les opérateurs de l’État ont, bien sûr, vocation à être testés. C’est uniquement en regardant notre pays tel qu’il est, alors que nous l’aimons profondément, que nous réussirons à faire évoluer les choses.
La question de la sanction est nécessaire. Une sanction administrative est indispensable, car, même si je crois à la bonne volonté des uns et des autres, dans la réalité, les discriminations perdurent. Il s’agit donc d’apporter une réponse, certes administrative, face aux entreprises et aux administrations qui ne mettraient pas en place des mesures correctrices, selon la gradation prévue dans le texte initial.
L’avantage du texte était aussi de sécuriser le name and shame pour éviter les recours contre la publication des résultats. Un certain nombre de dérogations ont déjà été prévues. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a ainsi permis la mise en place de l’index de l’égalité femmes-hommes.
Enfin, s’agissant du comité des parties prenantes, dont la commission a largement débattu, la présence des parlementaires permettait de lui conférer une légitimité plus forte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne sais pas si mon ardente défense de l’esprit initial du texte fera évoluer les positions de certains d’entre vous, mais je tiens à vous dire que le Gouvernement sera toujours aux côtés de l’ensemble des mouvements, partis et associations qui luttent contre les discriminations, lesquelles sont un véritable fléau. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques
Article 1er
I. – Un service, placé sous l’autorité du Premier ministre, est chargé d’œuvrer à la connaissance et à la prévention des situations de discrimination.
Ce service :
1° et 2° (Supprimés)
3° Réalise ou finance la mise en œuvre de tests de discrimination de nature statistique, selon des orientations établies par le Gouvernement après consultation du Défenseur des droits ;
4° et 5° (Supprimés)
6° Élabore chaque année un rapport d’activité, rendu public, qui présente notamment les données quantitatives et qualitatives sur l’état des discriminations en France obtenues par l’intermédiaire de tests mentionnés au 3° ainsi que les bonnes pratiques en matière de non-discrimination.
II. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités de consultation des organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel pour l’élaboration de la méthodologie des tests mentionnés au 3°.
III. – (Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 16, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Remplacer les mots :
et à la prévention des situations de discrimination
par les mots :
, à la prévention et à la correction des situations de discrimination, notamment en matière d’accès à l’emploi, au logement et aux biens et services publics ou privés
II. – Alinéa 3
Rétablir les 1° et 2° dans la rédaction suivante :
1° Informe, conseille et oriente les personnes souhaitant réaliser des tests individuels de discrimination ;
2° Peut réaliser, dans des conditions déterminées par décret, à la demande de toute personne s’estimant victime d’une discrimination mentionnée aux articles 225-1, 225-2 ou 432-7 du code pénal ou aux articles L. 1146-1 ou L. 2146-2 du code du travail, des tests individuels de discrimination selon les modalités définies à l’article 225-3-1 du code pénal ;
III. – Alinéa 5
Rétablir les 4° et 5° dans la rédaction suivante :
4° Assiste, à leur demande, les personnes morales faisant l’objet des tests mentionnés au 3° du présent article pour corriger les situations de discrimination mises en évidence par ces tests ;
5° Rend publics les résultats des tests statistiques de discrimination dans les cas prévus à l’article 3 ;
IV. – Alinéa 8
Rétablir cet alinéa dans la rédaction suivante :
III. – Les 1° et 2° du I sont applicables à titre expérimental pendant une durée de trois ans à compter de la publication du décret prévu au II.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Cet amendement vise à rétablir l’article 1er dans sa rédaction initiale, dont j’ai défendu le fond et l’esprit dans mon intervention lors de la discussion générale.
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par Mmes Narassiguin et de La Gontrie, MM. Kanner, Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
et à la prévention des situations de discrimination
par les mots :
, à la prévention et à la correction des situations de discrimination, notamment en matière d’accès à l’emploi, au logement et aux biens et services publics ou privés
Mme Corinne Narassiguin. Nous proposons par cet amendement de rétablir la version initiale du seul alinéa 1 de l’article 1er. Contrairement au Gouvernement, nous ne souhaitons pas donner à la Dilcrah la possibilité de faire des tests individuels. En revanche, nous voulons que cet article réintègre la « correction » des situations de discrimination. Nous sommes attachés à ce terme : sa présence est loin d’être anodine ; elle est même cruciale.
En effet, l’esprit de la proposition de loi est de faire changer les comportements et cesser toutes les discriminations qui découlent de ces derniers. Il est donc impératif que les tests statistiques permettent d’engager des mesures de correction.
Par ailleurs, nous souhaitons rétablir la mention spécifique de l’accès à l’emploi et au logement dans l’alinéa 1, deux domaines prioritaires en matière de lutte contre les discriminations. Cette précision, qui peut paraître superfétatoire, est d’une grande importance symbolique. Je rappelle que le rapport de l’Observatoire des inégalités de la fin de 2023 démontrait que l’origine était une forte cause de discrimination et un handicap dans l’accès à l’emploi et au logement. Il est donc important que ces termes figurent dans l’article 1er.
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Compléter cet alinéa par les mots :
, notamment en matière d’accès à l’emploi public ou privé, au logement et aux biens et services publics ou privés
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement ressemble beaucoup à celui que vient de défendre brillamment Mme Narassiguin.
Si les orientations des tests sont définies de manière unilatérale par le Gouvernement, nous craignons que l’adoption du texte en l’état – ce que nous ne souhaitons pas – n’entraîne une incompétence négative du législateur.
En effet, le texte prévoit de renvoyer au Gouvernement la fixation des orientations – une question essentielle –, qui échapperaient alors à tout contrôle du pouvoir législatif. Pour réduire la marge de manœuvre du Gouvernement, nous prévoyons de spécifier dans la loi, comme l’a expliqué ma collègue, que ces tests devraient notamment porter sur les discriminations en matière d’accès à l’emploi ou au logement, auxquels j’ajoute les biens et services publics ou privés.
Il faut que les tests portent toujours sur l’accès à l’éducation, un aspect clé. Certains domaines doivent toujours faire l’objet de tests afin de lutter contre les pratiques discriminatoires particulièrement importantes.
À cette fin, l’amendement prévoit donc de rétablir une disposition qui a été adoptée en séance publique à l’Assemblée nationale, mais supprimée par la suite.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Je détaillerai précisément l’avis de la commission, notamment sur l’amendement du Gouvernement visant à rétablir l’article 1er dans son intégralité.
En ce qui concerne les tests individuels, comme nous l’avons tous relevé, l’ensemble des personnes auditionnées étaient opposées à ce que la compétence soit confiée à la fois à la Dilcrah et au Défenseur des droits. La Dilcrah pourrait peut-être mener des tests individuels, mais elle n’aura pas les moyens d’aller au bout de la démarche. Le Défenseur des droits héritera donc forcément, à un moment ou à un autre, du dossier. Est-il alors pertinent de faire cet aller-retour ? La Défenseure des droits l’a dit, elle a la compétence et les moyens d’agir – peut-être faudrait-il simplement lui apporter un soutien financier – et d’aller jusqu’au bout.
J’y insiste, il a été unanimement considéré qu’il n’était pas opportun de prévoir le rétablissement des tests individuels à l’article 1er.
S’agissant des tests statistiques, nous sommes, je le répète, favorables à leur généralisation ; sinon, nous aurions supprimé l’article 1er. Ces tests ont le mérite d’objectiver les situations.
En revanche, je voudrais m’inscrire en faux contre ceux qui pensent que la commission ne souhaitait pas aller jusqu’au bout de la démarche, c’est-à-dire jusqu’à la sanction. Simplement, nous estimons qu’il revient à l’administration du travail de corriger et de sanctionner les pratiques discriminatoires.
Certains collègues ont dit, notamment à propos de l’article 3, qu’il ne servait à rien de faire des tests s’il n’y avait pas de sanction. Je suis tout à fait d’accord, mais les sanctions existent déjà dans le code pénal : trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Il suffit de donner davantage de moyens à l’inspection du travail pour les appliquer. (M. Akli Mellouli s’exclame.)
C’est la raison pour laquelle nous estimons inutile de prévoir une disposition législative en ce sens : il suffit d’appliquer le droit existant en donnant aux administrations les moyens de le faire.
En ce qui concerne l’amendement n° 1 du groupe socialiste, comme je viens de le dire, la commission a estimé que la compétence de la Dilcrah devait se limiter à la réalisation des tests et qu’il revenait à l’administration du travail d’accompagner l’organisation dans la transformation de ses pratiques.
J’en viens à l’énumération des situations de discrimination, qui figure également dans l’amendement n° 7 du groupe écologiste. Nous poursuivons le même objectif, mais la rédaction de la commission nous semble plus sûre. En ne prévoyant aucune énumération, elle n’oublie rien ! Insister sur les discriminations à l’embauche et au logement est une intention louable, car celles-ci représentent une grande partie du contingent des discriminations, mais il en existe d’autres.
Vous savez, mes chers collègues, qu’au Sénat nous n’aimons pas les rédactions qui comprennent le terme « notamment ». La formulation générique retenue par la commission présente l’avantage de n’exclure a priori du champ d’application aucune catégorie de discriminations, y compris celles auxquelles nous ne penserions pas forcément aujourd’hui.
J’insiste également sur le fait que les discriminations à l’emploi et à l’embauche sont bien évidemment couvertes par le terme générique retenu pour notre rédaction. De même, tous les services sont couverts, privés comme publics.
L’avis est donc défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 1 et 7 ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. L’avis est très favorable sur les amendements nos 1 et 7, car leur champ couvre tous les aspects de la vie quotidienne.
Pour compléter les propos de Mme la rapporteure, les discriminations ne portent pas aujourd’hui seulement sur l’accès à l’emploi : elles touchent aussi l’accès au logement et aux droits. C’est là tout l’intérêt de cet article tel qu’il était initialement rédigé, ce qui explique pourquoi notre amendement de rétablissement est pertinent.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 16.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 151 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l’adoption | 22 |
Contre | 302 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Dommage !…
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 152 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 136 |
Contre | 204 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 7.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par M. Rietmann, Mme Estrosi Sassone, MM. Perrin, Mouiller, Rapin, Gremillet et Pointereau, Mmes Gruny et Demas, MM. Lefèvre, Pellevat et de Legge, Mme Micouleau, M. Reynaud, Mmes Ventalon et Belrhiti, MM. Michallet, Somon, Burgoa, Belin et Saury, Mme Puissat, M. E. Blanc, Mmes Richer et Muller-Bronn, M. Tabarot, Mmes Dumont, Lopez et P. Martin, M. Sautarel et Mme Joseph, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après le mot :
statistique
insérer les mots :
auprès de personnes morales de droit privé ou de droit public d’au moins 1 000 salariés ou agents publics
La parole est à M. Olivier Rietmann.
M. Olivier Rietmann. Il va de soi que, pour être considéré comme fiable et efficace, un test statistique doit s’appuyer sur un échantillon suffisamment large. C’est pourquoi cet amendement restreint l’usage des tests aux seules organisations de droit privé ou de droit public de plus de 1 000 personnes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Je suis favorable à cet amendement de bon sens de M. Rietmann.
En effet, les tests de discrimination sont avant des outils statistiques, ni plus ni moins. Les réaliser sur de trop petites organisations serait donc probablement inutile. Les résultats obtenus seraient trop précaires pour tirer des conclusions définitives sur la conformité des pratiques de l’organisation en matière de discrimination. Il est donc logique d’imposer une limite.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Sans surprise, monsieur le sénateur, l’avis est défavorable. Une telle mesure limiterait énormément la portée de cette proposition de loi et dénaturerait son esprit. On sait très bien que les entreprises de plus de 250 salariés ont des services de ressources humaines qui mettent en œuvre des politiques de lutte contre les discriminations. Le spectre doit rester le plus large possible.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.
Mme Corinne Narassiguin. Nous sommes évidemment opposés à cet amendement, qui est tout le contraire d’un amendement de bon sens. Même s’il s’en donne l’apparence, il ne repose en réalité sur aucune logique scientifique.
Nous sommes arrivés à un consensus sur le chiffre de 1 000 personnes pour les sondages d’opinion, mais cela n’a rien à voir avec le sujet des tests de discrimination ! Comme vient de le souligner Mme la ministre, avec un tel chiffre, on réduirait le champ d’application à environ 1 500 entreprises sur les quelque 4 millions que compte la France. De plus, toutes les collectivités locales et l’ensemble des services de la fonction publique territoriale en seraient exclus, ce qui limite considérablement la portée du texte.
C’est ne pas comprendre la diversité de ces tests, qui ne s’appliquent pas uniquement à la population des employés de la personne morale, publique ou privée. Cela peut aussi bien concerner les candidats. On peut par exemple montrer que les candidats à un logement font l’objet de discriminations de la part d’une agence immobilière qui comprend dix salariés. On peut également montrer, en construisant correctement un test avec une bonne méthodologie, qu’une entreprise de seulement 200 salariés pratique un tri discriminatoire des curriculum vitae à l’embauche.
Cet amendement n’a donc aucun sens. S’il était adopté, il viderait totalement de sa substance la proposition de loi, en contradiction totale avec son esprit. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Cet amendement témoigne d’une incompréhension profonde de la logique d’échantillonnage et de population. Mon cher collègue, vous affirmez qu’il faut une taille suffisante…
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. C’est cela !
M. Éric Kerrouche. … pour obtenir un échantillon pouvant faire l’objet d’un test statistique, et vous fixez ce seuil à 1 000 personnes. Or ce n’est absolument pas ainsi que fonctionne un calcul statistique.
La question de l’échantillonnage repose uniquement sur la notion de population. Les choses sont très simples : un échantillon doit être représentatif de la population dont il est issu. Pourtant, vous semblez affirmer que seules les organisations de plus de 1 000 personnes permettent de constituer un échantillon représentatif. Pas du tout !
On peut réaliser des échantillons représentatifs à partir de 50, 100 ou 500 personnes, sans aucune difficulté. C’est de la statistique ! La seule véritable question est, je le redis, de savoir si l’échantillon est représentatif ou non par rapport à la population dont il est issu.
En effectuant ce raccourci méthodologiquement infondé, vous videz la proposition de loi de tout son sens et commettez, d’un point de vue statistique, une erreur que je qualifierai de magistrale. (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Corinne Narassiguin applaudissent.)
M. Jacques Fernique. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Il n’est pas nécessaire que j’ajoute quoi que ce soit à ce qui vient d’être brillamment démontré par Mme Narassiguin et M. Kerrouche.
Nous voterons nous aussi contre cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour explication de vote.
M. Ian Brossat. Je ne reviendrai pas sur les arguments développés par mes collègues Corinne Narassiguin et Éric Kerrouche.
De fait, adopter cet amendement revient à vider totalement la proposition de loi de sa substance. Mais alors il faut l’assumer ! On ne peut pas, d’un côté, affirmer que nous sommes tous attachés à la lutte contre les discriminations, qui sont un phénomène massif, et, de l’autre, donc, vider totalement la proposition de loi de sa substance. Il faut être un minimum sérieux et avoir le courage d’assumer ses positions.
Voter un tel amendement tout en prétendant vouloir lutter contre les discriminations révèle une forme d’hypocrisie. C’est tout simplement impossible !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Absolument !
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Mes chers collègues, pourquoi l’État a-t-il lancé des campagnes massives de testing en 2019 et 2020 sur de très grandes entreprises ? Parce que cela était plus éclairant, tout simplement ! (Exclamations sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Éric Kerrouche. Du point de vue de la méthode, c’est faux !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. À la suite du propos de Mme la rapporteure, je veux indiquer que cela n’a strictement rien à voir.
La question qui est soulevée aujourd’hui concerne les tests sur des comportements de la vie quotidienne. Je reprendrai l’exemple de l’agence immobilière : des comportements discriminants peuvent être relevés dans une entreprise de trois ou dix salariés, et il s’agit précisément de l’alerter sur ce point.
La grande campagne qui a été lancée s’inscrit dans le cadre du plan de lutte contre les discriminations, dont le champ d’application est plus large que celui des seules entreprises.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains. (Protestations sur des travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. La demande est arrivée un peu tard, monsieur le président ; c’est même tiré par les cheveux !
M. le président. Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 153 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l’adoption | 188 |
Contre | 136 |
Le Sénat a adopté.
L’amendement n° 10, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer les mots :
Gouvernement après consultation du
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. On verra où nous en serons au moment des explications de vote sur l’article 1er, mais on peut se demander si cela vaut la peine de continuer à discuter d’une proposition de loi qui n’existe plus. En effet, elle ne contient plus rien : ni sanctions ni catégories d’entreprises visées…
Néanmoins, par respect pour le travail que nous avons fait pour préparer nos amendements, je défendrai l’amendement n° 10, qui vise à confier au Défenseur des droits, et non au Gouvernement, le souhait de déterminer les orientations guidant la réalisation et le financement des tests de discrimination.
Confier au Gouvernement l’organisation de ces tests pose en effet un problème d’indépendance. Celui-ci ne doit pas se retrouver dans une situation délicate qui pourrait avoir un impact sur le choix des organismes à tester, la méthodologie ou les conséquences à donner aux tests.
Ces situations délicates pourraient malheureusement survenir assez fréquemment. On peut penser à la fonction publique, mais aussi aux entreprises détenues ou contrôlées par l’État, qui emploient 3,1 % des salariés en France. Quand un test de discrimination vise l’une de ces entreprises, l’État n’est pas neutre.
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons confier la définition des orientations au Défenseur des droits, et non au Gouvernement. Non seulement l’indépendance du Défenseur des droits est garantie par une loi organique, mais celui-ci connaît bien les grands enjeux en matière de lutte contre les discriminations. L’institution fait l’objet de 5 000 à 7 000 saisines annuelles : le Défenseur des droits a développé une expertise, dont il faut profiter, en la matière, comme le montre d’ailleurs son rapport.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Monsieur Benarroche, vous souhaitez que le Défenseur des droits définisse les orientations suivies par la Dilcrah en matière de tests statistiques.
Je dois reconnaître que, comme vous, j’ai pensé au début qu’il était plus pertinent de lui confier l’ensemble de la compétence. Malheureusement, nous aurions besoin pour ce faire d’un véhicule organique puisque, comme vous l’avez dit, c’est une loi organique qui définit les missions du Défenseur des droits.
Par ailleurs, il faudrait trouver un moyen de franchir l’obstacle de l’article 40 de la Constitution. Personnellement, j’y ai renoncé !
Enfin, la solution que vous proposez présente à mon sens un défaut important. Elle fait de la Dilcrah un sous-traitant du Défenseur des droits. Or il ne revient pas à une autorité indépendante de dicter le programme de travail d’une administration de l’État, et réciproquement.
Il ne nous restait donc plus que la voie de la consultation, et c’est la raison pour laquelle nous l’avons adoptée.
Je serai donc défavorable à votre amendement, même si je pense que vous avez plutôt raison sur le fond.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, l’avis est défavorable. L’esprit même de ce texte était de se fonder sur l’expertise de la Dilcrah. Les discriminations traduisent du racisme, de l’antisémitisme, de la haine anti-LGBT : l’expertise de la Dilcrah sur ces sujets permet de mettre en œuvre de grandes campagnes de testing statistique, qui sont l’une des actions prioritaires du plan de lutte contre les discriminations.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Nous voterons cet amendement du groupe GEST. Cela étant, ce vote n’a plus aucun sens.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, nous avons essayé de vous démontrer précédemment que l’amendement n° 4 rectifié bis, qui vient d’être voté, était inepte méthodologiquement. Je rejoins mon collègue Brossat : nul besoin de se cacher derrière des artifices statistiques quand on veut voter contre un texte, il faut assumer !
Vous n’assumez pas que vous ne voulez pas d’un texte visant à lutter contre les discriminations,…
M. Olivier Rietmann. Oh !
M. Éric Kerrouche. … alors même que chacun déclare, la main sur le cœur, être favorable à cet objectif. Vous l’avez donc vidé de sa substance, reconnaissez-le ! On peut faire semblant de continuer à débattre, mais tout cela n’a plus aucun intérêt puisque vous êtes incapables d’assumer une position politique ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDPI. – M. Ian Brossat applaudit également.)
M. le président. L’amendement n° 9 rectifié, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
I.- Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
, d’une ou plusieurs associations intervenant dans la lutte contre les discriminations et des organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel
II.- Alinéa 7
Après le mot :
modalités
insérer les mots :
d’application du présent article, notamment
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Sans le Gouvernement, la commission et la majorité sénatoriale, cette proposition de loi aurait pu être un outil pour lutter contre les discriminations… Elle ne l’est plus.
Nous souhaitons ajouter à son article 1er la possibilité pour les associations et les organisations syndicales d’être consultées sur la détermination des orientations guidant les tests.
Nous avons noté depuis quelque temps des attaques contre le syndicalisme en France. Je ne parlerai pas des différentes propositions de loi qui visent à limiter le droit de grève, par exemple dans les transports ; j’évoquerai plutôt l’absence de prise en compte des organisations syndicales dans la conduite des tests de discrimination.
L’auteur du texte n’avait pas jugé opportun d’inclure les organisations syndicales dans la définition des orientations des tests et des suites qu’il convient de leur donner. Avait été ainsi créé un comité des parties prenantes, dont il n’était pas prévu qu’il soit ouvert aux syndicats.
Or les organisations syndicales nous semblent disposer d’une expertise en la matière et être capables de conseiller les travailleuses et les travailleurs qui s’estiment victimes de discrimination. Comme le monde du travail est malheureusement l’un des secteurs dans lesquels se manifestent majoritairement les discriminations, il est plus que pertinent de les associer à l’organisation des tests.
C’est pourquoi nous nous félicitions que l’examen du texte à l’Assemblée nationale ait permis d’ajouter les organisations syndicales à la liste des parties prenantes, tout comme des associations de lutte contre les discriminations. Néanmoins, la disposition a été supprimée par la commission au Sénat : si le texte est adopté en l’état, ni les associations de lutte contre les discriminations ni les syndicats n’auraient leur mot à dire dans la conception des tests.
Différents syndicats sont pourtant particulièrement impliqués dans la lutte contre les discriminations, en défendant individuellement des victimes ou en militant pour des actions de groupe.
C’est pourquoi notre amendement prévoit que les syndicats et les associations de lutte contre les discriminations puissent participer à l’élaboration des orientations guidant les tests.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Mon cher collègue, vous proposez que les orientations gouvernementales en matière de tests statistiques soient établies après consultation des associations compétentes ainsi que des représentants des organisations syndicales.
Si l’objectif est de favoriser l’adhésion au testing, il semble en effet logique de consulter en amont les associations compétentes ainsi que les organisations syndicales. Je vous remercie d’y avoir pensé : ces associations et organisations peuvent être les mieux placées pour identifier les secteurs à tester de manière prioritaire, et leur avis complétera utilement celui du Défenseur des droits.
Je suis donc favorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement, car l’article 2, qui instaurait le comité des parties prenantes chargé de cette tâche, a été supprimé lors de l’examen du texte en commission. Nous considérions que le Défenseur des droits était l’interlocuteur le plus à même de guider efficacement l’orientation de ces tests.
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – Lorsque le test de discrimination de nature statistique mentionné au 3° du I porte sur des conséquences d’un traitement algorithmique, ses résultats peuvent être vérifiés grâce à une analyse du code source et, le cas échéant, des données utilisées pour l’entraînement de l’algorithme qui sont mis à disposition à cet effet.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Comment est-il possible qu’un texte sur les discriminations n’aborde pas les spécificités des discriminations provoquées par les algorithmes ? Je me suis posé cette question à la lecture de cette proposition de loi.
Les algorithmes prennent une place toujours plus importante dans la prise de décision, leur utilisation étant encore renforcée depuis l’arrivée de l’intelligence artificielle.
Un grand nombre de domaines y ont recours. Selon Pôle emploi – devenu France Travail –, 35 % des entreprises utilisent l’intelligence artificielle pour mener à bien leurs procédures de recrutement.
En outre, des algorithmes sont massivement utilisés pour la surveillance de l’espace public en France, notamment dans le cadre de l’expérimentation de la reconnaissance biométrique à l’occasion des jeux Olympiques et Paralympiques, dont nous avons longuement débattu.
Cela est d’autant plus grave que ces algorithmes font des fautes, parfois énormes. L’algorithme de classement de l’application Google Photos a pendant un temps confondu des photos de personnes racisées avec des photos de gorilles.
Un système de reconnaissance vocale permettant le pilotage d’hélicoptères est difficilement utilisable par des femmes, car son algorithme est programmé pour la seule reconnaissance des voix masculines – apparemment, une femme ne peut pas piloter un hélicoptère.
La marge d’erreur d’un système de surveillance de l’espace public est beaucoup plus importante pour les femmes racisées que pour les hommes non racisés.
Je pourrais multiplier les exemples inadmissibles qui illustrent que les algorithmes peuvent être discriminatoires. C’est d’autant plus grave que ces derniers sont des boîtes noires : nous ne connaissons que peu – voire pas du tout – leur fonctionnement.
C’est pourquoi il est parfois difficile de prouver le caractère discriminatoire d’un algorithme. Pour améliorer les vérifications, nous proposons que le code source des algorithmes et le matériel utilisé pour leur entraînement soient communiqués.
Les algorithmes discriminatoires pourront ainsi être plus facilement identifiés, et, surtout, être plus facilement éliminés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Monsieur Benarroche, vous avez raison : il est vrai que les pratiques discriminatoires révélées par un test peuvent résulter de l’utilisation d’un algorithme dysfonctionnel.
Néanmoins, il ne semble pas que la voie que vous proposez permette en pratique de répondre efficacement à ce cas de figure.
Premièrement, la Dilcrah ne dispose pas des compétences techniques pour procéder à l’analyse du code source ou au traitement des données. Lui attribuer cette faculté n’apporterait donc pas grand-chose. Il faudrait éventuellement que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) puisse assister la Dilcrah en cette matière, mais cette mesure serait déclarée irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.
Deuxièmement, les données d’entraînement des algorithmes ne sont pas systématiquement conservées. Le dispositif proposé semble donc très difficile à appliquer.
Par ailleurs, ce sujet sera évidemment abordé lors des discussions entre l’inspection du travail et l’entreprise, à la suite du test. Il reviendra à cette dernière de prendre les mesures correctives nécessaires pour faire cesser les résultats discriminatoires. L’usage d’un algorithme n’efface pas toute responsabilité.
Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Ainsi que Mme la rapporteure l’a rappelé, il ne faut pas déresponsabiliser les entreprises.
L’intelligence artificielle prend de plus en plus de place dans les prises de décision : parfois, elle ne joue qu’un rôle d’accompagnement, mais parfois la décision est entièrement fondée sur elle.
Tout ce qui permet de lutter contre les process discriminants est le bienvenu : le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement du sénateur Benarroche.
M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, pour explication de vote sur l’article.
M. Akli Mellouli. J’ai bien entendu l’ardente défense de Mme la ministre. Sans revenir sur ce qu’Éric Kerrouche et d’autres sénateurs ont indiqué, je vous invite à lire les travaux du statisticien Patrick Simon, qui est l’un des grands experts des questions relatives à la discrimination. L’entendre lors d’une audition permettrait de comprendre en quoi l’adoption de l’amendement n° 4 rectifié bis rend inopérant tout le dispositif de cette loi.
La CFDT a commencé à travailler avec Michel Wieviorka et Philippe Bataille au sujet des discriminations en 1995. Cela fait trente ans que nous savons que ces dernières existent ! Nous nous battons au sujet de chiffres pour savoir s’il y en a un peu plus ou un peu moins, mais cette proposition de loi n’est qu’un texte de bons sentiments, de supplément d’âme.
Les gens attendent de l’État qu’il garantisse l’égalité, ce qui implique des sanctions et des actions. Ils n’attendent pas de bons sentiments ou un supplément d’âme. Cette proposition de loi a été vidée de son sens. Elle ne permet pas de garantir l’égalité, et nous voterons contre.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote sur l’article.
M. Guy Benarroche. Un problème revient de plus en plus fréquemment dans nos débats : celui des limites que nous impose l’article 40 de la Constitution.
Nous avons relevé ces limites lors de l’examen de la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local, la semaine dernière. Aujourd’hui, la rapporteure rappelle judicieusement que la commission s’est autocensurée au sujet de quelques mesures qui auraient pu permettre d’aller de l’avant, au motif qu’elles ne passeraient pas les règles de recevabilité financière.
Laissez-moi vous donner un exemple. Nous avions déposé un amendement sur l’article 1er. Je le rappelle, ce dernier vise à conférer à un service placé sous l’autorité du Premier ministre la prérogative de réaliser et de financer des tests statistiques, et prévoit bien que le service en question finance la réalisation de tests effectués par des tiers.
L’amendement que nous avions déposé a été déclaré irrecevable financièrement, alors qu’il avait pour unique objet de préciser que des organismes indépendants de recherche réalisant des tests sur les employeurs publics pourraient bénéficier d’une partie de ces financements. Cette mesure n’aggravait en rien la charge publique, car elle revenait seulement à distribuer d’une manière plus précise les fonds alloués pour les tests réalisés par des organismes extérieurs et ceux qui seraient conduits par les organismes gouvernementaux.
Il est totalement incompréhensible que cet amendement ait été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Lors de la discussion de la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local, tous les groupes ont fait l’expérience de voir plusieurs de leurs amendements déclarés irrecevables financièrement, pour des raisons parfois très alambiquées.
Sincèrement, nous glissons sur une mauvaise pente. Je profite de cette occasion pour l’indiquer de nouveau.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote sur l’article.
Mme Corinne Narassiguin. L’article 1er, dans sa rédaction issue des travaux de la commission, nous semblait aller dans le bon sens, même si nous avions déposé un amendement pour l’améliorer. Toutefois, l’adoption de l’amendement n° 4 rectifié bis, qui semble écrit par le lobby des entreprises – disons les choses comme elles sont –, rend cet article nocif.
Au lieu d’établir l’importance de réaliser davantage de tests statistiques pour objectiver la réalité des discriminations, le champ d’application de ces tests est réduit au point qu’on ne se donne plus véritablement les moyens de lutter contre les discriminations.
De plus, en adoptant cet article ainsi rédigé, le législateur démontrerait qu’il ne comprend strictement rien à ce que devraient être ces tests statistiques pour mesurer objectivement ces discriminations.
En l’état, nous voterons contre l’article 1er.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
(Supprimé)
M. le président. L’amendement n° 13, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le service mentionné à l’article 1er de la présente loi comprend un comité des parties prenantes, chargé de mener des concertations et des débats ainsi que de formuler des propositions en matière de lutte contre les discriminations.
Le comité des parties prenantes participe à l’élaboration de la méthodologie des tests de discrimination et émet des avis et des recommandations sur les suites devant leur être données.
Le comité des parties prenantes est composé :
1° De deux députés et deux sénateurs, désignés respectivement par le Président de l’Assemblée nationale et par le Président du Sénat ;
2° De personnalités indépendantes choisies en raison de leur compétence statistique, juridique, économique ou sociale en matière de tests de discrimination ;
3° De représentants des personnes morales publiques et privées susceptibles d’être testées ;
4° D’un représentant du Défenseur des droits ;
5° De représentants des organisations d’employeurs et des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel ;
6° De représentants d’associations choisies par le président du Conseil économique, social et environnemental parmi celles régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins intervenant dans la lutte contre les discriminations ou œuvrant dans le domaine du handicap.
II. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, notamment les procédures de délibération du comité et la répartition des voix délibératives et consultatives parmi ses membres.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Cet amendement vise à rétablir la création du comité des parties prenantes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Madame la ministre, vous l’avez compris, la commission des lois a considéré à l’unanimité qu’il n’était pas utile de créer ce comité des parties prenantes. Ce comité est d’autant plus inutile que nous avons prévu à l’article 1er, grâce à l’adoption de l’amendement n° 9 rectifié de M. Benarroche, d’associer toutes les parties devant être consultées pour définir les orientations de ces tests, réalisant ainsi une partie du travail initialement confié au comité des parties prenantes.
Nous avons également prévu qu’un décret en Conseil d’État fixe les modalités de consultation des organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives à l’échelon national et interprofessionnel, afin d’élaborer cette méthodologie qui était prévue par l’article 2.
En réalité, toutes les dispositions de l’article 2 sont déjà prévues, et cet article n’est pas nécessaire. La commission émet donc un avis défavorable sur l’amendement.
M. André Reichardt. Très bien !
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 5, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Lorsque le résultat d’un test organisé en application du 3° de l’article 1er de la présente loi laisse supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article 225-2 du code pénal ou à l’article L. 1132-1 du code du travail, le service mentionné à l’article 1er de la présente loi :
1° En informe la personne morale concernée par le test et lui transmet le résultat du test ;
2° En informe l’autorité administrative territorialement compétente et lui communique l’ensemble des éléments transmis en application du 1° du présent I ;
3° Publie les résultats du test, au terme d’une procédure contradictoire, par dérogation aux articles L. 311-6 et L. 312-1-2 du code des relations entre le public et l’administration.
II. – A. – Lorsque l’information prévue au 1° du I du présent article porte sur le résultat d’un test laissant supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article L. 1132-1 du code du travail, l’employeur engage une négociation sur des mesures visant à prévenir ou à corriger les discriminations, en vue de conclure un accord dans un délai de six mois à compter de la transmission du résultat du test mentionnée au 1° du I du présent article. À défaut d’accord, l’employeur établit, dans le même délai, un plan d’action ayant le même objet, après consultation du comité social et économique.
L’accord ou le plan d’action comporte des mesures précises et concrètes, détermine les objectifs de progression prévus et les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre, et évalue leur coût.
B. – Si, au terme du délai de six mois prévu au A du présent II, la négociation engagée par l’employeur est toujours en cours, l’autorité administrative chargée de la politique du travail territorialement compétente peut décider de prolonger le délai de trois mois afin de favoriser la conclusion d’un accord ou, à défaut d’accord, l’établissement d’un plan d’action, après consultation du comité social et économique.
C. – L’accord ou le plan d’action est transmis sans délai à l’autorité administrative chargée de la politique du travail territorialement compétente. Elle peut adresser à l’employeur des observations sur le contenu de l’accord ou du plan d’action, après avoir recueilli l’avis du service mentionné à l’article 1er.
III. – A. – Lorsque l’information prévue au 1° du I du présent article porte sur le résultat d’un test laissant supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article 225-2 du code pénal, l’autorité administrative territorialement compétente met en demeure la personne morale chargée de la fourniture du bien ou du service ou de l’accès à l’activité économique, mentionnés à l’article 225-2 du code pénal, d’établir, dans un délai de six mois, un plan d’action visant à prévenir ou à corriger les discriminations.
Le plan d’action comporte des mesures précises et concrètes, détermine les objectifs de progression prévus et les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre, et évalue leur coût.
B. – Le plan d’action est transmis sans délai à l’autorité administrative territorialement compétente et au service mentionné à l’article 1er. L’autorité administrative peut adresser à la personne morale des observations sur le contenu du plan d’action, après avoir recueilli l’avis dudit service.
IV. – Est passible d’une amende administrative, dont le montant ne peut excéder 2 % des rémunérations et gains, au sens du I de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et du premier alinéa de l’article L. 741-10 du code rural et de la pêche maritime, versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours de l’année civile précédant la date de publication du résultat du test mentionné au 1° du présent I le fait de méconnaître :
1° L’obligation de conclure l’accord ou d’établir le plan d’action prévus aux II et III ;
2° L’obligation de transmettre sans délai à l’autorité administrative compétente l’accord ou le plan d’action prévus auxdits II et III ;
3° L’obligation pour l’accord ou le plan d’action mentionné au II et le plan d’action mentionné au III de respecter les conditions fixées au second alinéa du A des II et III.
L’amende est prononcée par l’autorité administrative au terme d’une procédure contradictoire. Son montant tient compte des efforts constatés en matière de lutte contre les discriminations ainsi que des motifs de la méconnaissance des obligations prévues au présent article.
V. – Dans un délai de dix-huit mois à cinq ans à compter de son information en application du 1° du I, la personne morale concernée peut faire l’objet d’un nouveau test sur les mêmes critères, afin d’évaluer la mise en œuvre des mesures mentionnées au second alinéa du A des II et III.
Si le résultat de ce test met en évidence l’insuffisance des mesures mentionnées au second alinéa du A des II et III du présent article pour corriger les pratiques discriminatoires préalablement identifiées, la personne morale concernée est passible de l’amende prévue au IV. Le montant de celle-ci peut être porté à 5 % des rémunérations et gains mentionnés au premier alinéa du même IV.
L’amende est prononcée par l’autorité administrative au terme d’une procédure contradictoire. Son montant tient compte des efforts constatés en matière de lutte contre les discriminations ainsi que des motifs de la méconnaissance des obligations prévues au présent article.
VI. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, le nombre de domaines d’action que l’accord ou le plan d’action doivent couvrir, les éléments obligatoires que ceux-ci doivent comporter, les conditions de publication des tests par le service mentionné à l’article 1er ainsi que les conditions de fixation par l’autorité administrative de l’amende mentionnée au IV du présent article.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. L’article 3 concerne les sanctions, même si, compte tenu de l’amendement voté plus tôt, plus grand monde ne risque d’être sanctionné… (Sourires sur les travées des groupes GEST et SER.)
Imaginons que vous obteniez une bonne moyenne aux épreuves du baccalauréat, mais que vous ne receviez pas de diplôme ; que vous meniez une grande enquête au sujet de fraudes fiscales et que vous réunissiez de nombreuses preuves, mais que les auteurs de la fraude puissent continuer comme avant.
J’exagère un peu : Mme la rapporteure nous rappellera que des sanctions sont déjà prévues, et qu’elles peuvent être appliquées grâce aux inspecteurs du travail, à condition toutefois que l’on imagine que ces derniers soient suffisamment nombreux – ce qui va à l’encontre de tous les choix faits depuis des années. Et je n’arrive pas à concevoir que les inspecteurs du travail puissent faire leur boulot !
Ces exemples peuvent paraître étranges, voire kafkaïens, mais ils sont pourtant analogues à ce que prévoit actuellement cette proposition de loi : il n’y a plus grand monde à sanctionner, puisque de très nombreuses entreprises ont été exclues du dispositif, et de toute façon ces entreprises ne peuvent pas être sanctionnées, puisque les contrôles ne visent qu’à constater d’éventuelles pratiques discriminatoires, sans que l’on sache concrètement à quoi ils servent.
Les tests n’ont plus les conséquences concrètes prévues par l’auteur de la proposition de loi et adoptées par l’Assemblée nationale. L’entreprise ou l’organisme ne seront plus tenus d’établir un plan d’action pour lutter contre les discriminations si des tests révèlent qu’ils recourent à des pratiques discriminatoires. De plus, il n’y aurait plus de sanctions si les plans d’action élaborés n’étaient pas suivis.
La Défenseure des droits avait pourtant été très claire en indiquant dans son avis que « le testing n’est pas une fin en soi ; ce n’est pas la mesure qui compte, mais ce qui en sera fait ». Ce qui en sera fait, maintenant nous le savons.
Je remercie la rapporteure et le Gouvernement de leur travail, mais nous devrons malheureusement remettre l’ouvrage sur le métier, parce que cette proposition de loi ne changera pas grand-chose.
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par Mme Narassiguin, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Lorsque le résultat d’un test organisé en application du 3° de l’article 1er de la présente loi laisse supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article 225-2 du code pénal ou à l’article L. 1132-1 du code du travail, le service mentionné à l’article 1er de la présente loi :
1° En informe la personne morale concernée par le test et lui transmet le résultat du test ;
2° En informe l’autorité administrative territorialement compétente et lui communique l’ensemble des éléments transmis en application du 1° du présent I.
3° En donne avis sans délai au procureur de la République et transmet à ce magistrat tous les renseignements nécessaires à la poursuite des infractions mentionnées aux articles visés au I.
II. – A. – Lorsque l’information prévue au 1° du I du présent article porte sur le résultat d’un test laissant supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article L. 1132-1 du code du travail, l’employeur engage une négociation sur des mesures visant à prévenir ou à corriger les discriminations, en vue de conclure un accord dans un délai de six mois à compter de la transmission du résultat du test mentionnée au 1° du I du présent article. À défaut d’accord, l’employeur établit, dans le même délai, un plan d’action ayant le même objet.
L’accord ou le plan d’action comporte des mesures précises et concrètes, détermine les objectifs de progression prévus et les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre, qui portent sur un nombre de domaines d’action identifiés et évalue leur coût.
B. – Si, au terme du délai de six mois prévu au A du présent II, la négociation engagée par l’employeur est toujours en cours, l’autorité administrative chargée de la politique du travail territorialement compétente peut décider de prolonger le délai de trois mois afin de favoriser la conclusion d’un accord ou, à défaut d’accord, l’établissement d’un plan d’action.
C. – L’accord ou le plan d’action est transmis sans délai à l’autorité administrative chargée de la politique du travail territorialement compétente. Elle peut adresser à l’employeur des observations sur le contenu de l’accord ou du plan d’action, après avoir recueilli l’avis du service mentionné à l’article 1er.
Si l’accord ou le plan n’est pas transmis ou si ledit service considère que l’accord ou le plan transmis ne répond pas aux conditions fixées au second alinéa du A du présent II, le résultat du test est publié, au terme d’une procédure contradictoire, par dérogation aux articles L. 311-6 et L. 312-1-2 du code des relations entre le public et l’administration.
III. – A. – Lorsque l’information prévue au 1° du I du présent article porte sur le résultat d’un test laissant supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article 225-2 du code pénal, l’autorité administrative territorialement compétente met en demeure la personne morale chargée de la fourniture du bien ou du service ou de l’accès à l’activité économique, mentionnés à l’article 225-2 du code pénal, d’établir, dans un délai de six mois, un plan d’action visant à prévenir ou à corriger les discriminations.
Le plan d’action comporte des mesures précises et concrètes, détermine les objectifs de progression prévus et les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre, qui portent sur un nombre de domaines d’action identifiés et évalue leur coût.
B. – Le plan d’action est transmis sans délai à l’autorité administrative territorialement compétente et au service mentionné à l’article 1er. L’autorité administrative peut adresser à la personne morale des observations sur le contenu du plan d’action, après avoir recueilli l’avis dudit service.
Si le plan d’action n’est pas transmis ou si le service mentionné au même article 1er considère que le plan transmis ne répond pas aux conditions fixées au second alinéa du A du présent III, le résultat du test est publié, au terme d’une procédure contradictoire, par dérogation aux articles L. 311-6 et L. 312-1-2 du code des relations entre le public et l’administration.
IV. – Est passible d’une amende administrative, dont le montant ne peut excéder 5 % des rémunérations et gains, au sens du I de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et du premier alinéa de l’article L. 741-10 du code rural et de la pêche maritime, versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours de l’année civile précédant l’expiration du délai mentionné au A des II et III du présent article, le fait de méconnaître :
1° L’obligation de conclure l’accord ou d’établir le plan d’action prévus aux mêmes II et III ;
2° (Supprimé)
3° L’obligation de transmettre sans délai à l’autorité administrative compétente l’accord ou le plan d’action prévus auxdits II et III ;
4° L’obligation pour l’accord ou le plan d’action mentionné au II et le plan d’action mentionné au III de respecter les conditions fixées au second alinéa du A des II et III.
L’amende est prononcée par l’autorité administrative au terme d’une procédure contradictoire. Son montant tient compte des efforts constatés en matière de lutte contre les discriminations ainsi que des motifs de la méconnaissance des obligations prévues au présent article.
IV bis (nouveau). – Dans un délai de dix-huit mois à cinq ans à compter de son information en application du 1° du I, la personne morale concernée peut faire l’objet d’un nouveau test sur les mêmes critères, afin d’évaluer la mise en œuvre des mesures mentionnées au second alinéa du A des II et III.
Si le résultat de ce test met en évidence l’insuffisance des mesures mentionnées au second alinéa du A des II et III du présent article pour corriger les pratiques discriminatoires préalablement identifiées, la personne morale concernée est passible de l’amende prévue au IV. Le montant de celle-ci peut être porté à 5 % des rémunérations et gains mentionnés au premier alinéa du même IV. En complément, une interdiction de candidater aux marchés publics pour une durée de 3 ans peut être prononcée par l’autorité administrative.
L’amende est prononcée par l’autorité administrative au terme d’une procédure contradictoire. Son montant tient compte des efforts constatés en matière de lutte contre les discriminations ainsi que des motifs de la méconnaissance des obligations prévues au présent article.
V. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, le nombre de domaines d’action que l’accord ou le plan d’action doivent couvrir, les éléments obligatoires que ceux-ci doivent comporter, les conditions de publication des tests par le service mentionné à l’article 1er ainsi que les conditions de fixation par l’autorité administrative de l’amende mentionnée au IV du présent article.
La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Lors de la discussion générale, Mme Narassiguin avait à juste titre évoqué le travail réalisé par SOS Racisme auprès de 152 agences d’intérim, travail dont France Inter s’est fait l’écho il y a quelques heures.
SOS Racisme se faisait passer pour un employeur du secteur des bâtiments et travaux publics (BTP) cherchant à recruter des travailleurs « de préférence européens, idéalement caucasiens ». C’était un peu piégeux, je vous le concède…
Résultat : dans 61 % des cas, le comportement des agences d’intérim était problématique, et dans 14 % des cas la discrimination était évidente. Voici un exemple de réponse faite par l’une de ces agences : « Nous sommes prêts à faire pour vous une présélection. » Ce comportement est totalement condamnable.
Cette proposition de loi méritait de ne pas être dénaturée par la droite sénatoriale. Malheureusement, cela n’a pas été le cas…
L’amendement que je défends est simple : il vise à rétablir les sanctions financières prévues à l’article 3, supprimé par la commission. En outre, il a pour objet de prévoir que les sociétés dont le comportement serait répréhensible ne puissent plus, dans des conditions déterminées, être soumises à des marchés publics.
L’objectif est de continuer dans la logique selon laquelle, puisque l’on ne peut pas convaincre, il faut savoir sanctionner.
Si la suppression de l’article 3 était confirmée, cela reviendrait encore une fois à remettre en cause l’un des grands principes de cette proposition de loi.
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par Mmes Narassiguin et de La Gontrie, MM. Kanner, Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Lorsque le résultat d’un test organisé en application du 3° de l’article 1er de la présente loi laisse supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article 225-2 du code pénal ou à l’article L. 1132-1 du code du travail, le service mentionné à l’article 1er de la présente loi :
1° En informe la personne morale concernée par le test et lui transmet le résultat du test ;
2° En informe l’autorité administrative territorialement compétente et lui communique l’ensemble des éléments transmis en application du 1° du présent I.
3° En donne avis sans délai au procureur de la République et transmet à ce magistrat tous les renseignements nécessaires à la poursuite des infractions mentionnées aux articles visés au I.
II. – A. – Lorsque l’information prévue au 1° du I du présent article porte sur le résultat d’un test laissant supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article L. 1132-1 du code du travail, l’employeur engage une négociation sur des mesures visant à prévenir ou à corriger les discriminations, en vue de conclure un accord dans un délai de six mois à compter de la transmission du résultat du test mentionnée au 1° du I du présent article. À défaut d’accord, l’employeur établit, dans le même délai, un plan d’action ayant le même objet.
L’accord ou le plan d’action comporte des mesures précises et concrètes, détermine les objectifs de progression prévus et les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre, qui portent sur un nombre de domaines d’action identifiés et évalue leur coût.
B. – Si, au terme du délai de six mois prévu au A du présent II, la négociation engagée par l’employeur est toujours en cours, l’autorité administrative chargée de la politique du travail territorialement compétente peut décider de prolonger le délai de trois mois afin de favoriser la conclusion d’un accord ou, à défaut d’accord, l’établissement d’un plan d’action.
C. – L’accord ou le plan d’action est transmis sans délai à l’autorité administrative chargée de la politique du travail territorialement compétente. Elle peut adresser à l’employeur des observations sur le contenu de l’accord ou du plan d’action, après avoir recueilli l’avis du service mentionné à l’article 1er.
Si l’accord ou le plan n’est pas transmis ou si ledit service considère que l’accord ou le plan transmis ne répond pas aux conditions fixées au second alinéa du A du présent II, le résultat du test est publié, au terme d’une procédure contradictoire, par dérogation aux articles L. 311-6 et L. 312-1-2 du code des relations entre le public et l’administration.
III. – A. – Lorsque l’information prévue au 1° du I du présent article porte sur le résultat d’un test laissant supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article 225-2 du code pénal, l’autorité administrative territorialement compétente met en demeure la personne morale chargée de la fourniture du bien ou du service ou de l’accès à l’activité économique, mentionnés à l’article 225-2 du code pénal, d’établir, dans un délai de six mois, un plan d’action visant à prévenir ou à corriger les discriminations.
Le plan d’action comporte des mesures précises et concrètes, détermine les objectifs de progression prévus et les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre, qui portent sur un nombre de domaines d’action identifiés et évalue leur coût.
B. – Le plan d’action est transmis sans délai à l’autorité administrative territorialement compétente et au service mentionné à l’article 1er. L’autorité administrative peut adresser à la personne morale des observations sur le contenu du plan d’action, après avoir recueilli l’avis dudit service.
Si le plan d’action n’est pas transmis ou si le service mentionné au même article 1er considère que le plan transmis ne répond pas aux conditions fixées au second alinéa du A du présent III, le résultat du test est publié, au terme d’une procédure contradictoire, par dérogation aux articles L. 311-6 et L. 312-1-2 du code des relations entre le public et l’administration.
IV. – Est passible d’une amende administrative, dont le montant ne peut excéder 5 % des rémunérations et gains, au sens du I de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et du premier alinéa de l’article L. 741-10 du code rural et de la pêche maritime, versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours de l’année civile précédant l’expiration du délai mentionné au A des II et III du présent article, le fait de méconnaître :
1° L’obligation de conclure l’accord ou d’établir le plan d’action prévus aux mêmes II et III ;
2° (Supprimé)
3° L’obligation de transmettre sans délai à l’autorité administrative compétente l’accord ou le plan d’action prévus auxdits II et III ;
4° L’obligation pour l’accord ou le plan d’action mentionné au II et le plan d’action mentionné au III de respecter les conditions fixées au second alinéa du A des II et III.
L’amende est prononcée par l’autorité administrative au terme d’une procédure contradictoire. Son montant tient compte des efforts constatés en matière de lutte contre les discriminations ainsi que des motifs de la méconnaissance des obligations prévues au présent article.
IV bis (nouveau). – Dans un délai de dix-huit mois à cinq ans à compter de son information en application du 1° du I, la personne morale concernée peut faire l’objet d’un nouveau test sur les mêmes critères, afin d’évaluer la mise en œuvre des mesures mentionnées au second alinéa du A des II et III.
Si le résultat de ce test met en évidence l’insuffisance des mesures mentionnées au second alinéa du A des II et III du présent article pour corriger les pratiques discriminatoires préalablement identifiées, la personne morale concernée est passible de l’amende prévue au IV. Le montant de celle-ci peut être porté à 5 % des rémunérations et gains mentionnés au premier alinéa du même IV.
L’amende est prononcée par l’autorité administrative au terme d’une procédure contradictoire. Son montant tient compte des efforts constatés en matière de lutte contre les discriminations ainsi que des motifs de la méconnaissance des obligations prévues au présent article.
V. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, le nombre de domaines d’action que l’accord ou le plan d’action doivent couvrir, les éléments obligatoires que ceux-ci doivent comporter, les conditions de publication des tests par le service mentionné à l’article 1er ainsi que les conditions de fixation par l’autorité administrative de l’amende mentionnée au IV du présent article.
La parole est à Mme Corinne Narassiguin.
Mme Corinne Narassiguin. Cet amendement de repli a pour objet de rétablir l’article 3, qui permet de donner suite aux tests statistiques démontrant l’existence de discriminations, et d’imposer des sanctions si les entreprises ou les organismes publics ne mettent pas en place un plan d’action et ne prennent pas de mesures particulières. Il faut absolument que des sanctions financières ou relevant du name and shame soient possibles.
Nous proposons d’ajouter à la rédaction initiale de l’article 3 une transmission systématique de ces éléments au procureur de la République, afin d’assurer un meilleur suivi judiciaire.
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Lorsque le résultat d’un test organisé en application du 3° de l’article 1er de la présente loi laisse supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article 225-2 du code pénal ou à l’article L. 1132-1 du code du travail, le service mentionné à l’article 1er de la présente loi :
1° En informe la personne morale concernée par le test et lui transmet le résultat du test ainsi que l’avis du comité ;
2° En informe l’autorité administrative territorialement compétente et lui communique l’ensemble des éléments transmis en application du 1° du présent I.
II. – A. – Lorsque l’information prévue au 1° du I du présent article porte sur le résultat d’un test laissant supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article L. 1132-1 du code du travail, l’employeur engage une négociation sur des mesures visant à prévenir ou à corriger les discriminations, en vue de conclure un accord dans un délai de six mois à compter de la transmission du résultat du test mentionnée au 1° du I du présent article. À défaut d’accord, l’employeur établit, dans le même délai, un plan d’action ayant le même objet, après consultation du comité social et économique.
L’accord ou le plan d’action comporte des mesures précises et concrètes, détermine les objectifs de progression prévus et les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre, et évalue leur coût.
B. – Si, au terme du délai de six mois prévu au A du présent II, la négociation engagée par l’employeur est toujours en cours, l’autorité administrative chargée de la politique du travail territorialement compétente peut décider de prolonger le délai de trois mois afin de favoriser la conclusion d’un accord ou, à défaut d’accord, l’établissement d’un plan d’action, après consultation du comité social et économique.
C. – L’accord ou le plan d’action est transmis sans délai à l’autorité administrative chargée de la politique du travail territorialement compétente. Elle peut adresser à l’employeur des observations sur le contenu de l’accord ou du plan d’action, après avoir recueilli l’avis du service mentionné à l’article 1er.
Si l’accord ou le plan n’est pas transmis ou si ledit service considère que l’accord ou le plan transmis ne répond pas aux conditions fixées au second alinéa du A du présent II, le résultat du test est publié, au terme d’une procédure contradictoire, par dérogation aux articles L. 311-6 et L. 312-1-2 du code des relations entre le public et l’administration.
III. – A. – Lorsque l’information prévue au 1° du I du présent article porte sur le résultat d’un test laissant supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article 225-2 du code pénal, l’autorité administrative territorialement compétente met en demeure la personne morale chargée de la fourniture du bien ou du service ou de l’accès à l’activité économique, mentionnés à l’article 225-2 du code pénal, d’établir, dans un délai de six mois, un plan d’action visant à prévenir ou à corriger les discriminations.
Le plan d’action comporte des mesures précises et concrètes, détermine les objectifs de progression prévus et les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre, et évalue leur coût.
B. – Le plan d’action est transmis sans délai à l’autorité administrative territorialement compétente et au service mentionné à l’article 1er. L’autorité administrative peut adresser à la personne morale des observations sur le contenu du plan d’action, après avoir recueilli l’avis dudit service.
Si le plan d’action n’est pas transmis ou si le service mentionné au même article 1er considère que le plan transmis ne répond pas aux conditions fixées au second alinéa du A du présent III, le résultat du test est publié, au terme d’une procédure contradictoire, par dérogation aux articles L. 311-6 et L. 312-1-2 du code des relations entre le public et l’administration.
IV. – Est passible d’une amende administrative, dont le montant ne peut excéder 1 % des rémunérations et gains, au sens du I de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et du premier alinéa de l’article L. 741-10 du code rural et de la pêche maritime, versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours de l’année civile précédant l’expiration du délai mentionné au A des II et III du présent article, le fait de méconnaître :
1° L’obligation de conclure l’accord ou d’établir le plan d’action prévus aux mêmes II et III ;
2° L’obligation de transmettre sans délai à l’autorité administrative compétente l’accord ou le plan d’action prévus auxdits II et III ;
3° L’obligation pour l’accord ou le plan d’action mentionné au II et le plan d’action mentionné au III de respecter les conditions fixées au second alinéa du A des II et III.
L’amende est prononcée par l’autorité administrative au terme d’une procédure contradictoire. Son montant tient compte des efforts constatés en matière de lutte contre les discriminations ainsi que des motifs de la méconnaissance des obligations prévues au présent article.
V. – Dans un délai de dix-huit mois à cinq ans à compter de son information en application du 1° du I, la personne morale concernée peut faire l’objet d’un nouveau test sur les mêmes critères, afin d’évaluer la mise en œuvre des mesures mentionnées au second alinéa du A des II et III.
Si le résultat de ce test met en évidence l’insuffisance des mesures mentionnées au second alinéa du A des II et III du présent article pour corriger les pratiques discriminatoires préalablement identifiées, la personne morale concernée est passible de l’amende prévue au IV. Le montant de celle-ci peut être porté à 5 % des rémunérations et gains mentionnés au premier alinéa du même IV.
L’amende est prononcée par l’autorité administrative au terme d’une procédure contradictoire. Son montant tient compte des efforts constatés en matière de lutte contre les discriminations ainsi que des motifs de la méconnaissance des obligations prévues au présent article.
VI. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, notamment le nombre de domaines d’action que l’accord ou le plan d’action doivent couvrir, les éléments obligatoires que ceux-ci doivent comporter, les conditions de publication des tests et des recommandations du comité des parties prenantes par le service mentionné à l’article 1er ainsi que les conditions de fixation par l’autorité administrative de l’amende mentionnée au IV du présent article.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement de repli par rapport à l’amendement n° 5 est défendu, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 14, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Lorsque le résultat d’un test organisé en application du 3° de l’article 1er de la présente loi laisse supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article 225-2 du code pénal ou à l’article L. 1132-1 du code du travail, le service mentionné à l’article 1er de la présente loi, après avis du comité mentionné à l’article 2 :
1° En informe la personne morale concernée par le test et lui transmet le résultat du test ainsi que l’avis du comité ;
2° En informe l’autorité administrative territorialement compétente et lui communique l’ensemble des éléments transmis en application du 1° du présent I.
II. – A. – Lorsque l’information prévue au 1° du I du présent article porte sur le résultat d’un test laissant supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article L. 1132-1 du code du travail, l’employeur engage une négociation sur des mesures visant à prévenir ou à corriger les discriminations, en vue de conclure un accord dans un délai de six mois à compter de la transmission du résultat du test mentionnée au 1° du I du présent article. À défaut d’accord, l’employeur établit, dans le même délai, un plan d’action ayant le même objet, après consultation du comité social et économique.
L’accord ou le plan d’action comporte des mesures précises et concrètes, détermine les objectifs de progression prévus et les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre, qui portent sur un nombre de domaines d’action identifiés par les recommandations du comité mentionné à l’article 2, et évalue leur coût.
B. – Si, au terme du délai de six mois prévu au A du présent II, la négociation engagée par l’employeur est toujours en cours, l’autorité administrative chargée de la politique du travail territorialement compétente peut décider de prolonger le délai de trois mois afin de favoriser la conclusion d’un accord ou, à défaut d’accord, l’établissement d’un plan d’action, après consultation du comité social et économique.
C. – L’accord ou le plan d’action est transmis sans délai à l’autorité administrative chargée de la politique du travail territorialement compétente. Elle peut adresser à l’employeur des observations sur le contenu de l’accord ou du plan d’action, après avoir recueilli l’avis du service mentionné à l’article 1er.
Si l’accord ou le plan n’est pas transmis ou si ledit service considère, après avis du comité mentionné à l’article 2, que l’accord ou le plan transmis ne répond pas aux conditions fixées au second alinéa du A du présent II, le résultat du test est publié, au terme d’une procédure contradictoire, par dérogation aux articles L. 311-6 et L. 312-1-2 du code des relations entre le public et l’administration.
III. – A. – Lorsque l’information prévue au 1° du I du présent article porte sur le résultat d’un test laissant supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article 225-2 du code pénal, l’autorité administrative territorialement compétente met en demeure la personne morale chargée de la fourniture du bien ou du service ou de l’accès à l’activité économique, mentionnés à l’article 225-2 du code pénal, d’établir, dans un délai de six mois, un plan d’action visant à prévenir ou à corriger les discriminations.
Le plan d’action comporte des mesures précises et concrètes, détermine les objectifs de progression prévus et les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre, qui portent sur un nombre de domaines d’action identifiés par les recommandations du comité des parties prenantes mentionnées à l’article 2 de la présente loi, et évalue leur coût.
B. – Le plan d’action est transmis sans délai à l’autorité administrative territorialement compétente et au service mentionné à l’article 1er de la présente loi. L’autorité administrative peut adresser à la personne morale des observations sur le contenu du plan d’action, après avoir recueilli l’avis dudit service.
Si le plan d’action n’est pas transmis ou si le service mentionné au même article 1er considère, après avis du comité mentionné à l’article 2, que le plan transmis ne répond pas aux conditions fixées au second alinéa du A du présent III, le résultat du test est publié, au terme d’une procédure contradictoire, par dérogation aux articles L. 311-6 et L. 312-1-2 du code des relations entre le public et l’administration.
IV. – Est passible d’une amende administrative, dont le montant ne peut excéder 1 % des rémunérations et gains, au sens du I de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et du premier alinéa de l’article L. 741-10 du code rural et de la pêche maritime, versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours de l’année civile précédant l’expiration du délai mentionné au A des II et III du présent article, le fait de méconnaître :
1° L’obligation de conclure l’accord ou d’établir le plan d’action prévus aux mêmes II et III ;
2° L’obligation de transmettre sans délai à l’autorité administrative compétente l’accord ou le plan d’action prévus auxdits II et III ;
3° L’obligation pour l’accord ou le plan d’action mentionné au II et le plan d’action mentionné au III de respecter les conditions fixées au second alinéa du A des II et III.
L’amende est prononcée par l’autorité administrative au terme d’une procédure contradictoire. Son montant tient compte des efforts constatés en matière de lutte contre les discriminations ainsi que des motifs de la méconnaissance des obligations prévues au présent article.
IV bis. – Dans un délai de dix-huit mois à cinq ans à compter de son information en application du 1° du I, la personne morale concernée peut faire l’objet d’un nouveau test sur les mêmes critères, afin d’évaluer la mise en œuvre des mesures mentionnées au second alinéa du A des II et III.
Si le résultat de ce test, après avis du comité mentionné à l’article 2 de la présente loi, met en évidence l’insuffisance des mesures mentionnées au second alinéa du A des II et III du présent article pour corriger les pratiques discriminatoires préalablement identifiées, la personne morale concernée est passible de l’amende prévue au IV. Le montant de celle-ci peut être porté à 5 % des rémunérations et gains mentionnés au premier alinéa du même IV.
L’amende est prononcée par l’autorité administrative au terme d’une procédure contradictoire. Son montant tient compte des efforts constatés en matière de lutte contre les discriminations ainsi que des motifs de la méconnaissance des obligations prévues au présent article.
V. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, notamment les domaines d’action que peuvent aborder les recommandations du comité mentionné à l’article 2, le nombre de domaines d’action que l’accord ou le plan d’action doivent couvrir, les éléments obligatoires que ceux-ci doivent comporter, les conditions de publication des tests et des recommandations du comité des parties prenantes par le service mentionné à l’article 1er ainsi que les conditions de fixation par l’autorité administrative de l’amende mentionnée au IV du présent article.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. L’ensemble des amendements déposés sur cet article ont pour objet de rétablir les sanctions prévues : le Gouvernement souhaite lui aussi le rétablissement de ces sanctions.
Lorsque les résultats du test établissent l’existence d’une situation de discrimination, la simple volonté ne suffit pas, et la sanction est nécessaire. C’est l’un des articles essentiels de cette proposition de loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Ces amendements visent à rétablir l’article 3 supprimé lors de l’examen du texte en commission. Permettez-moi de rappeler la position de la commission…
M. Patrick Kanner. De la droite sénatoriale !
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Monsieur le sénateur, je représente ici la commission des lois, qui a exprimé un avis défavorable sur ces amendements, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, l’illisibilité : la procédure proposée comprend une dizaine d’étapes, qui ne sont pas toujours bien articulées. Elle peut durer jusqu’à deux ans. Le dispositif va donc à contre-courant de la sobriété normative que nous appelons tous de nos vœux. (Mme Audrey Linkenheld s’exclame.) J’ai cru entendre le Premier ministre indiquer qu’il y avait assez de normes.
Cette procédure comporte également d’importantes lacunes sur le fond. En particulier, elle ne prévoit pas de phase contradictoire préalable, et elle risque d’interférer avec le dialogue social interne à l’entreprise. Quelle serait la légitimité de la Dilcrah ou du comité des parties prenantes pour indiquer à une entreprise que l’accord prévu ne convient pas ? Quels seraient les critères retenus ?
Ensuite, cette procédure a un caractère essentiellement punitif : les sanctions proposées sont tellement lourdes que leur application devient à mon sens peu crédible. Certains amendements visent en outre à les accentuer, puisque les amendes passent de 1 % des rémunérations et des gains à 2 %, voire à 5 %. Il faut le dire et l’assumer, si vous voulez tuer les entreprises ! (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Éric Kerrouche. Oh !
M. Patrick Kanner. Les entreprises racistes, oui !
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Je vous prends à vos propres termes : j’assume politiquement ce que fait la majorité sénatoriale, assumez également ce que vous voulez pour les entreprises ! (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Philippe Mouiller. Très bien !
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Je le répète : dans les cas les plus problématiques, l’inspection du travail a toute latitude pour agir en recherche des discriminations et transmettre le dossier au procureur de la République, ainsi que vous le souhaitez, madame Narassiguin. L’inspection du travail peut le faire, il suffit de le lui demander !
La philosophie des auteurs de ces amendements est donc diamétralement opposée à celle de la commission. Certains souhaitent aggraver encore le caractère punitif du dispositif.
Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt,… (Mme Audrey Linkenheld proteste.)
M. Éric Kerrouche. C’est pourtant ce que vous faites !
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. … il n’y avait pas besoin d’examiner cette proposition de loi, parce que nous arrivons à droit constant à atteindre ses objectifs.
En réalité, le seul objet de la proposition de loi était de proposer l’amende administrative, mais cette disposition a été enrobée dans un dispositif très complexe. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les personnes auditionnées. Même l’auteur de la proposition de loi reconnaît que si l’on doit appliquer des sanctions, il faut une loi. Mais cette loi n’est faite que pour appliquer des sanctions. Cela ne correspond pas à votre philosophie : la commission pense que, par le dialogue, nous pouvons arriver à des résultats…
M. Éric Kerrouche. Les chiffres le montrent…
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. … si l’on donne des consignes précises aux services chargés d’accompagner les entreprises, quelles qu’elles soient.
Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Sans surprise, le Gouvernement demande le retrait de ces amendements, même s’ils ont des objets proches et vont dans le bon sens, au profit de son amendement n° 14.
Que nous reproche-t-on aujourd’hui, dans la société ? De faire des lois qui restent sans conséquence faute de sanctions. Cette proposition de loi établit des sanctions, qui n’ont pas vocation à toucher uniquement les entreprises, puisque dans l’esprit du texte les discriminations sont contrôlées chez les bailleurs, ainsi que pour l’accès aux prêts bancaires. Le testing doit concerner globalement notre société.
Je crois en la responsabilité de nos administrations et en la possibilité de mobiliser les inspecteurs du travail, mais ces derniers restent inefficients pour contrôler l’attribution des prêts bancaires. D’où l’esprit de cet article 3 : la sanction administrative est nécessaire pour donner de l’effectivité à la mesure.
Évidemment, la sanction arrive après une discussion : dans notre esprit, il appartenait au comité des parties prenantes, après un test des situations de discrimination, de décider un plan d’action, et, en l’absence de mobilisation, une sanction était énoncée.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Je relève un point délicat de l’argument de Mme la ministre : le texte s’adresse à l’ensemble des entreprises ou des services publics.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Comment un ministère épinglé par des tests serait-il sanctionné ? Recevrait-il une amende ? Je pose la question, car le dispositif me semble inopérant et incongru.
D’autre part, si une personne juge qu’elle a fait l’objet de discrimination dans la recherche d’un logement – vous avez utilisé cet exemple à plusieurs reprises, madame la ministre –, elle peut s’adresser au Défenseur des droits afin qu’un test individuel soit réalisé, et que toutes les démarches pour assurer la réparation du préjudice soient effectuées. Il n’y a pas de trou dans la raquette ! S’il est appliqué jusqu’au bout, le droit actuel permet des sanctions.
M. Olivier Rietmann. Exactement !
M. le président. En conséquence, l’article 3 demeure supprimé.
Article 3 bis
I. – L’article 225-1 du code pénal est ainsi modifié :
1° Aux premier et second alinéas, le mot : « patronyme » est remplacé par les mots : « nom de famille » ;
2° Au premier alinéa, après le mot : « résidence », sont insérés les mots : « ou de leur domiciliation bancaire » ;
3° Au second alinéa, après le mot : « résidence », sont insérés les mots : « ou de la domiciliation bancaire ».
II (nouveau). – À l’article L. 131-1 du code général de la fonction publique, le mot : « patronyme » est remplacé par les mots : « nom de famille ».
III (nouveau). – La loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations est ainsi modifiée :
1° Au premier alinéa de l’article 1er, le mot : « patronyme » est remplacé par les mots : « nom de famille » ;
2° Au septième alinéa de l’article 2, le mot : « patronyme » est remplacé par les mots : « nom de famille ».
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – L’article 225-2 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’emploi d’un traitement algorithmique dont le fonctionnement a des effets discriminatoires au sens des articles 225-1 à 225-1-2 est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende dès lors que ces effets discriminatoires ont été révélés par un test de discrimination rendu public. »
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Nous devons sanctionner toutes les discriminations de la même manière, peu importe le mécanisme qui les sous-tend.
Il en est de même pour les algorithmes – j’y reviens. De nombreuses études ont démontré que les algorithmes, par exemple ceux qui sont utilisés pour la reconnaissance faciale, reproduisent les discriminations issues des biais de leurs programmeurs.
Ces discriminations émanent par exemple du fait que les visages entraînés pour utiliser ces algorithmes ne sont pas très divers. Un algorithme qui n’a pas été entraîné à reconnaître une personne avec une poussette, des hommes aux cheveux roux ou une femme racisée vêtue d’un manteau, ne reconnaît tout simplement pas ces personnes, ou commet des erreurs.
En pratique, les systèmes de reconnaissance faciale ne reconnaissent que très peu les femmes racisées, ainsi que l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne l’a fait remarquer.
Ces discriminations ont des conséquences d’autant plus graves que les traitements algorithmiques sont de plus en plus fréquents. Par exemple, la ville de Nice expérimente la reconnaissance automatique pour l’identification des personnes responsables de dépôts sauvages. En outre, les réseaux sociaux emploient une multitude d’algorithmes potentiellement discriminatoires.
Parfois, il est vrai que les développeurs ne se rendent pas compte des biais de leurs algorithmes. Mais cela ne change rien aux résultats, et nous ne pouvons pas aborder cette question aujourd’hui.
Lorsqu’un test statistique public révèle le caractère discriminatoire d’un traitement algorithmique, nous devons éviter que ce dernier soit utilisé dans un autre contexte. Un tel emploi serait inacceptable aux yeux de tous, car il reviendrait alors, pour une entreprise ou un développeur, à accepter volontairement la discrimination.
Pour mettre un terme à ces pratiques, nous demandons de réprimer le recours à un algorithme dont le fonctionnement discriminatoire a été révélé par un test, dans le prolongement des infractions déjà prévues par le code pénal.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Monsieur Benarroche, vous proposez de sanctionner pénalement l’emploi d’un traitement algorithmique ayant des effets discriminatoires dès lors que ces effets sont rendus publics.
Je comprends votre intention, mais le dispositif ne me semble pas applicable en l’état. En effet, pourquoi lier la sanction à la publication des résultats d’un test de discrimination ? Dans certains cas, l’employeur pourrait avoir pris connaissance des biais de l’algorithme sans qu’un test de discrimination ait été réalisé, et continuer néanmoins à utiliser cet algorithme. Cela ne serait pourtant pas sanctionné par le dispositif prévu par cet amendement.
Nous pourrions explorer la voie de la création d’une nouvelle circonstance aggravante à l’infraction de discrimination, mais à ce stade le dispositif proposé n’est pas mûr. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Dans le même sens que ce que j’indiquais précédemment au sujet de l’intelligence artificielle, tout ce qui va dans le sens de la lutte contre les discriminations est bienvenu. Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3 bis.
(L’article 3 bis est adopté.)
Article 4
(Suppression maintenue)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.
Mme Corinne Narassiguin. À l’origine, pensant bien que nos amendements seraient probablement rejetés, nous avions prévu de nous abstenir sur ce texte. Nous nous disions qu’il resterait l’article 1er, même si ses dispositions, en dépit des bonnes intentions qui les sous-tendaient, relevaient non pas du domaine législatif, mais du domaine réglementaire.
Cependant, comme je l’ai dit tout à l’heure, le fait que le Sénat ait adopté un amendement tendant à restreindre les tests statistiques aux personnes morales publiques ou privées comptant plus de 1 000 employés rend cette proposition de loi vraiment mauvaise, donc totalement indéfendable.
En conséquence, nous voterons contre l’ensemble du texte.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Tant mieux !
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour explication de vote.
M. Ian Brossat. Dans le même esprit, nous estimions dès le départ que cette proposition de loi manquait d’ambition. Or, vu la façon dont elle a été retravaillée cet après-midi, c’est non plus d’ambition qu’elle manque, mais de contenu. Elle est en effet totalement vidée de sa substance ; pourtant, sur toutes les travées, on n’a cessé d’entendre que la lutte contre les discriminations devait être une priorité absolue.
Nous avions, nous aussi, souhaité nous abstenir, mais compte tenu de ce détricotage systématique de tous les outils concrets qui permettent de lutter contre les discriminations, nous voterons contre le texte.
M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet, pour explication de vote.
M. Philippe Grosvalet. Nous avions l’intention de voter en faveur de cette proposition de loi, mais nous devons aussi tenir compte du déroulé des débats cet après-midi. La proposition de loi était déjà partiellement vidée de sa substance : elle l’est désormais complètement !
Évidemment, la lutte contre les discriminations fait partie de l’ADN des humanistes. La semaine dernière, nous étions à Versailles ; nous avons constaté combien les Français nous regardaient et attendaient de nous des décisions importantes concernant des faits de société. Songez donc que les millions de personnes qui sont victimes chaque année de discriminations, quelles qu’elles soient, jugeront comme il se doit la position de la majorité de cette assemblée.
Pour ces raisons, nous nous abstiendrons.
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour explication de vote.
M. Pierre Jean Rochette. Notre groupe avait décidé de voter pour cette proposition de loi et, depuis lors, sa position n’a pas changé. (Rires.)
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Ah, bravo !
M. Pierre Jean Rochette. Je souhaitais simplement apporter une petite précision et terminer sur une note positive.
Nous avons parlé du monde économique en des termes pas toujours bienveillants. Or le sujet dont nous discutons est pris très au sérieux au sein des entreprises. Dès lors, gardons-nous de jeter l’opprobre sur le monde économique. Je connais beaucoup de métiers en tension pour lesquels le seul critère ou filtre discriminant est celui de la motivation. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Je vous mets au défi de trouver une seule entreprise de transport public urbain qui discrimine les candidats, d’autant plus que le secteur manque de conducteurs. La seule chose que recherchent les entreprises, ce sont des personnes motivées !
Je suis bien entendu favorable à ce que nous ayons des outils pour surveiller et contrôler tous ces agissements. Mais prenons un peu de hauteur, chers collègues : nous parlons d’une ultraminorité d’entreprises privées et publiques qui ont des comportements répréhensibles.
Mme Audrey Linkenheld. Quand bien même !
M. Pierre Jean Rochette. Bref, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ! (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Pas un seul parmi nous ne dira qu’il ne souhaite pas lutter contre les discriminations de tout type.
M. André Reichardt. Et c’est normal !
M. Guy Benarroche. Oui, c’est normal et logique – en tout cas, c’est ce que pensent la plupart d’entre nous.
M. André Reichardt. Tous !
M. Guy Benarroche. Cette proposition de loi est une preuve par l’absurde. Au vu des chiffres, on s’aperçoit que le nombre de discriminations ne diminue pas, en dépit du fait que la régulation et les négociations avancent toutes seules et alors même que les inspecteurs du travail font leur boulot.
À un moment donné, a jailli dans l’esprit du législateur l’idée qu’il faudrait peut-être agir pour faire disparaître les discriminations ; la ministre semble d’ailleurs approuver cette démarche. Encore une fois, ce n’est pas la main invisible de la régulation qui permettra de résoudre le problème.
Le dispositif idéal devrait toucher la totalité des entreprises, sans pour autant conduire à jeter l’opprobre sur elles. (M. Pierre Jean Rochette acquiesce.) C’est justement parce qu’il existe des entreprises vertueuses qu’il faut sanctionner celles qui ne le sont pas ! Sinon, quel serait l’intérêt pour une entreprise d’être vertueuse ?
J’ajouterai une chose : ce n’est pas une vertu pour une entreprise que d’embaucher des travailleurs dans des métiers en tension. Les entreprises elles-mêmes étaient favorables à ce qu’il soit procédé à la régularisation des travailleurs étrangers sans papiers afin de leur permettre de travailler. (M. Pierre Jean Rochette s’exclame.) Or c’est bien vous qui n’en avez pas voulu, ce n’est pas nous ! (L’orateur désigne la droite de l’hémicycle. – Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Je tenais à rappeler ce point, afin d’élaguer un certain nombre d’arguments que j’ai entendus ici.
Ce texte, qui, déjà dans sa version initiale, manquait d’ambition, a été vidé de tout contenu après son examen par notre assemblée. Dès lors, alors que nous pensions voter contre, eh bien nous allons confirmer notre vote !
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour explication de vote.
Mme Frédérique Puissat. Je m’inscris dans le sens des propos de notre collègue Rochette. Nous avions décidé de voter pour le texte, c’est-à-dire pour le travail effectué par Mme le rapporteur, et nous ne changerons pas notre position.
Je souhaitais, au nom de mon groupe, remercier Mme Di Folco pour son travail équilibré et pragmatique : comme tout existait déjà dans le texte, nous n’avons pas eu besoin d’y ajouter quoi que ce soit. Reste que nous l’avons complété par un certain nombre de dispositifs, toujours dans une démarche équilibrée.
Il faut parfois se mettre à la place des chefs d’entreprise et des directeurs des ressources humaines (DRH). (Mme Corinne Narassiguin s’exclame.) Notre collègue Olivier Rietmann nous parle souvent de simplification du monde économique. Or je pense que le travail qui a été accompli vise précisément à simplifier l’application du droit – et c’est bien ce qu’on nous demande !
Bref, je remercie encore une fois Mme le rapporteur et la commission des lois pour leur travail. Nous maintiendrons notre vote en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard, pour explication de vote.
Mme Olivia Richard. Il n’y a pas du suspense du côté du groupe Union Centriste : nous voterons le texte tel qu’il a été modifié par la commission. J’en profite pour saluer à mon tour le travail de Mme la rapporteure.
Il me semble inutile de tomber dans le raisonnement simpliste consistant à dire que voter favorablement sur le texte, tel qu’il a été présenté, revient à refuser de lutter contre les discriminations.
On peut soutenir le travail effectué par les acteurs de terrain, dont l’action est d’ailleurs reconnue, qui auraient été pénalisés ; on peut être favorable à l’amélioration du droit en vigueur, sans doute insuffisamment appliqué, plutôt que d’en rajouter une couche avec de nouveaux comités qui ne semblent pas tout à fait pertinents et des processus décourageants.
Voter ce texte tel qu’il a été modifié par la commission, ce n’est pas refuser de lutter contre les discriminations : merci de ne pas faire de simplisme ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 154 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l’adoption | 226 |
Contre | 98 |
Le Sénat a adopté. (M. André Reichardt applaudit.)
9
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant diverses mesures relatives au grand âge et à l’autonomie est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 13 mars 2024 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente :
Débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.
À dix-huit heures quinze :
Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote sur cette déclaration, en application de l’article 50-1 de la Constitution, relative au débat sur l’accord de sécurité franco-ukrainien et la situation en Ukraine.
Le soir :
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à soutenir l’engagement bénévole et à simplifier la vie associative (texte de la commission n° 387, 2023-2024).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures trente-cinq.)
nomination de membres d’une commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission des affaires sociales pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : Mmes Dominique Estrosi Sassone, Amel Gacquerre, Anne Chain-Larché, Françoise Dumont, Viviane Artigalas, Audrey Linkenheld et M. Stéphane Fouassin ;
Suppléants : Mme Martine Berthet, Sylviane Noël, MM. Yves Bleunven, Rémi Féraud, Mme Marianne Margaté, M. Pierre Jean Rochette, Mme Antoinette Guhl.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER