M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Il est vingt-trois heures lundi soir quand, à la sortie de la conférence internationale de soutien à l’Ukraine, le chef de l’État a déclaré que l’envoi de troupes occidentales au sol en Ukraine ne devait pas être exclu.
Les Français découvrent alors, en direct, un changement fondamental de notre stratégie, au travers du soutien que nous apportons à l’Ukraine face à l’invasion d’une partie de son territoire par la Russie.
Cette déclaration est d’autant plus incompréhensible qu’elle remet en cause toute la cohérence défendue jusqu’ici par la France. Mais que signifie cette initiative dont nos propres alliés au sein de l’Otan se sont aussitôt désolidarisés ?
Monsieur le Premier ministre, cette orientation n’a pas été préparée et n’a pas non plus fait l’objet d’une concertation avec le Parlement, qui n’en a jamais été saisi ni de près ni de loin.
En vertu de notre Constitution, la France ne peut déclarer la guerre que sur autorisation de son Parlement. Bien sûr, nous aurons l’occasion d’évoquer ce sujet lors du débat qui sera organisé prochainement, mais ce ne sera que de manière incidente, puisque le débat en question ne portera que sur l’accord bilatéral de sécurité entre la France et l’Ukraine et qu’il aura lieu après coup.
M. Emmanuel Capus. Quel coup ?
M. Loïc Hervé. Il est impossible de connaître précisément la portée d’une telle annonce ; en outre, les enjeux sont trop vastes pour laisser le champ libre à ce type d’improvisation, surtout quand Donald Trump, désormais donné vainqueur de la course à la Maison-Blanche, proclame haut et fort que, s’il est élu, non seulement il arrêtera de soutenir l’Ukraine, mais il retirera les États-Unis de l’Otan.
Avec cette déclaration sur l’envoi de troupes au sol, nous prenons surtout le risque de fragiliser notre propre camp.
Alors, monsieur le Premier ministre, quels engagements votre gouvernement prend-il ici pour respecter l’ordre constitutionnel et continuer de défendre notre intérêt le plus fondamental, à savoir la paix ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’Europe.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le président Loïc Hervé, le combat des Ukrainiens est aussi le nôtre, parce que, en se battant depuis deux ans pour l’intégrité de leur territoire, ils se battent aussi pour la sécurité de l’Union européenne et de la France. En effet, chacun sait que les dictateurs ne prennent pas de vacances et que, si l’Ukraine devait tomber – mais nous ferons tout pour l’éviter –, la ligne de front se déplacerait inévitablement vers l’ouest. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)
Quand la maison du voisin brûle et que l’incendie menace de se propager, on ne reste pas les bras ballants ; on se lève et on agit ! (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Arlette Carlotti s’exclame également.)
Comme le disait Raymond Aron en 1939, nous croyons à la victoire finale des démocraties, mais à une condition, c’est qu’elles le veuillent. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a convoqué, lundi 26 février, un sommet international auquel vingt-sept chefs d’État et de gouvernement, ou leurs représentants directs, se sont rendus et au cours duquel ils se sont entendus pour poursuivre notre soutien à l’Ukraine, pour faire plus, mieux et différemment.
À cette occasion, le Président de la République a déclaré que nous ne pouvions rien exclure, que nous devions explorer tout le champ des possibles, tout en accroissant notre soutien à l’Ukraine. (Mme Marie-Arlette Carlotti s’exclame.)
Ce serait une faute grave et une menace pour notre sécurité que de refuser de débattre de toutes les options qui se présentent à nous, aujourd’hui et demain !
Vous avez raison, monsieur le sénateur Loïc Hervé, il faut que les Français soient pleinement associés à ces décisions et éclairés à leur sujet. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est la raison pour laquelle le Président de la République a également annoncé qu’un débat au titre de l’article 50-1 de la Constitution aurait lieu au sein du Parlement. Ce sera l’occasion pour les deux chambres de se saisir pleinement de ces sujets. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
réduction des dépenses publiques
M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Ghislaine Senée. Monsieur le ministre délégué chargé des comptes publics, vous avez décidé par décret d’une nouvelle cure d’austérité de 10 milliards d’euros pour notre pays, reconnaissant par là même le caractère insincère du projet de loi de finances pour 2024.
Depuis sept ans, vous voulez faire croire aux Français que l’on peut réduire, à la fois, les recettes fiscales de l’État et les dépenses publiques. Or, dans le domaine des finances publiques, moins plus moins ne fera jamais plus !
Alors qu’un gouvernement devrait protéger et anticiper l’avenir, vous participez aveuglément au creusement des inégalités dans notre pays et vous précarisez, encore et toujours, les plus fragiles.
Éducation : –1,7 milliard d’euros, et autant de professeurs, de chercheurs, d’assistants d’éducation, d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), d’infirmières et d’infirmiers scolaires que l’on ne pourra pas recruter.
Écologie : –2,1 milliards d’euros, et autant de passoires énergétiques que l’on ne rénovera toujours pas en 2024.
Emploi et formation : – 1,1 milliard d’euros, et autant de demandeurs et demandeuses d’emploi sans solution de formation et de retour vers l’emploi.
Pourtant, l’argent est là. Il existe.
Niches fiscales et sociales, réductions d’impôts, baisses des cotisations patronales, aides directes : pour les grandes entreprises, pour les actionnaires, pour les 1 % les plus riches de notre pays, l’argent pleut chaque année un peu plus, mais sans aucun effet manifeste sur les indicateurs économiques qui vous sont si chers.
Monsieur le ministre, quand allez-vous abandonner ce dogme absurde et inefficace du « toujours moins de fiscalité pour les plus aisés », au détriment des services publics et des réponses urgentes et pérennes à la crise sociale et climatique ? Quand allez-vous cesser de mentir aux Français en prétextant une conjoncture défavorable que vous étiez le seul à ne pas voir venir ? Quand allez-vous enfin anticiper et investir pour l’avenir ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, je le redis, il ne s’agit pas d’une cure d’austérité ! (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
Savez-vous ce qu’était l’austérité dans les pays qui l’ont connue ? La baisse des salaires et des rémunérations, l’augmentation des impôts, la fermeture des services publics et la diminution des pensions de retraite, voilà ce qu’est l’austérité ! (Exclamations sur les mêmes travées.)
Je ne vous dis pas que nous ne demandons pas de faire un effort collectif… D’ailleurs, cet effort est ciblé sur l’État, et non pas sur les collectivités territoriales ou sur la sécurité (Mêmes mouvements.), dans un souci d’exemplarité.
Vous dites, madame la sénatrice, que nous avons renoncé à toutes nos ambitions écologiques. Or nous avons débattu ici même du budget vert de l’État ; vous savez donc quel effort est fait dans le domaine de la transition écologique, un sujet auquel, je le sais, vous êtes attachée. Nous y consacrons 40 milliards d’euros dans la loi de finances – je vous invite à consulter les documents, nous en avons débattu ensemble –, ce qui représente une hausse de plus de 8 milliards d’euros. C’est le budget le plus vert de notre histoire ! (Marques d’ironie sur les travées des groupes SER et CRCE-K.) Nous continuons à investir dans la transition écologique comme jamais !
Au travers de MaPrimeRénov’, 800 millions d’euros supplémentaires sont consacrés à la rénovation énergétique des logements, soit davantage que l’année dernière.
Pour le ferroviaire, nous dépenserons plus que l’année dernière, et nous ferons de même pour les énergies renouvelables et pour la décarbonation de l’industrie.
M. Jean-François Husson. Et encore des dépenses, allons-y !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Nous continuons à investir comme jamais pour la transition écologique ! Nous produisons cet effort alors que nous faisons face à une situation exceptionnelle de baisse de nos recettes ; il nous faut donc ajuster nos dépenses.
Je le redis, cet effort représente 1,5 % au maximum de l’ensemble des crédits de l’État. C’est loin d’être une cure d’austérité !
On ne peut pas laisser nos finances publiques dériver… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. C’est un aveu !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Avec le Premier ministre et Bruno Le Maire, c’est ce que nous défendons : garantir, pour les générations suivantes, que nous savons aujourd’hui gérer correctement notre budget. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour la réplique.
Mme Ghislaine Senée. Monsieur le ministre, à force de toujours passer en force et de ne pas vouloir débattre, vous ne parvenez plus à convaincre, ni à gauche ni à droite de cet hémicycle ! Nous étions là lorsque le projet de loi de finances a été présenté ; nous savons donc pertinemment que ce budget n’est pas vert et que vous dites des mensonges. Cessez de mentir aux Français et agissez !
Nous nous retrouverons au mois de juillet pour l’examen du projet de loi de finances rectificative (PLFR) ; nous verrons alors qui a raison ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
guerre en ukraine
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Perrin. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, le chef de l’État a tenu lundi dernier des propos qui ont surpris, voire inquiété, les Français et nos alliés.
En juin 2022, il recommandait de ne pas humilier la Russie, alors que les Ukrainiens subissaient depuis cent jours les assauts de l’armée russe. Aujourd’hui, il affirme que l’envoi de troupes au sol ne devrait pas être exclu. Il a compris que la méthode douce ne fonctionnait pas avec Vladimir Poutine. Son entourage tente d’expliquer, d’ailleurs, qu’il aurait souhaité envoyer un signal à la Russie. Mais on ne peut pas improviser sur un tel sujet sans se concerter avec nos alliés !
Ces effets de manche nous isolent et ils obligent nos alliés à se désolidariser. Le sujet est trop sérieux et trop grave : c’est de la sécurité des Français et de l’Europe qu’il s’agit.
Monsieur le Premier ministre, comment le chef de l’État peut-il sérieusement envisager l’envoi de militaires sur le terrain alors que nous ne sommes qu’au début de la relance de notre effort de défense ?
Comment imaginer envoyer des troupes au sol, alors que nous ne sommes pas capables de fournir à l’Ukraine les armes et les munitions dont elle a besoin ?
Je terminerai mon propos par ces mots du Premier ministre polonais, Donald Tusk : « Si tous les pays de l’Union européenne étaient autant impliqués dans l’aide à l’Ukraine que la Pologne, il ne serait sans doute pas nécessaire de discuter d’autres formes de soutien. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Cazabonne applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Monsieur le président Perrin, je suis absolument convaincu que personne ici ne pourrait accepter l’idée ou la perspective que la Russie gagne cette guerre. D’abord parce que, derrière l’Ukraine, il y a nous !
Si un certain nombre de pays historiquement neutres – je pense à la Suède, à la Finlande – font le choix de rejoindre l’Otan, c’est bien parce qu’ils perçoivent une menace directe à leur encontre.
Je vous renvoie également aux déclarations de ministres de la défense de certains de nos voisins, notamment allemand et britannique, relatives à la perspective de conflits en Europe qu’ils prévoient pour les cinq ou dix prochaines années.
Il y a une autre raison pour laquelle on ne peut accepter l’idée que la Russie l’emporte : la guerre que mène ce pays contre l’Ukraine est aussi une guerre contre un modèle et des valeurs qui sont les nôtres.
La Russie cherche à démontrer que la démocratie serait un état de faiblesse et que l’État de droit serait un état d’indécision. Notre responsabilité, que nous assumons depuis deux ans, est précisément de montrer l’inverse.
La France, dès le début de ce conflit, a toujours recherché la paix, en premier lieu par la voie de la diplomatie. Je veux rappeler la mobilisation du Président de la République qui est allé à Moscou rencontrer Vladimir Poutine pour chercher, par la voie diplomatique, à le faire renoncer à son projet d’agression.
Nous avons constaté que les paroles de Vladimir Poutine ne valaient rien et qu’il ne tenait aucun de ses engagements. Depuis lors, nous avons assumé avec nos partenaires européens, pour les raisons que je viens d’évoquer, la position consistant à soutenir les Ukrainiens dans ce combat.
Chacun ici se souvient que, à l’époque, voilà deux ans, nombreux étaient ceux qui excluaient des modalités de soutien qui se sont, ensuite, révélées effectives. Je me rappelle ainsi que, au début de ce conflit, de nombreux responsables politiques, y compris chez un certain nombre de nos alliés, excluaient absolument la possibilité de soutenir les Ukrainiens en leur envoyant des missiles ou des chars. À l’époque, on parlait plutôt de sacs de couchage et de jumelles… La réalité est qu’aujourd’hui les Européens sont unis pour soutenir militairement les Ukrainiens et leur permettre de résister.
Au tout début du conflit, la perspective d’une Europe unie qui prononce des sanctions extrêmement fermes contre la Russie et ceux qui financent cette guerre n’était ni atteinte ni en passe de l’être !
Nous l’avons vu, la Russie a changé de posture : elle s’est durcie dans le cadre de ce conflit, de cette agression armée, mais aussi vis-à-vis de la France et de ses alliés. Vous en êtes conscient en tant que président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, et chacun l’aura également constaté.
Multiplication de fausses informations pour nous intoxiquer, tentatives de déstabilisation pour nous diviser, déstabilisation de pays dans lesquels nos forces étaient déployées – je pense au Sahel –, multiplication des cyberattaques, militarisation de l’espace : en réalité, la Russie est une menace directe et immédiate pour la France sur tous les plans.
Au vu de ces conditions, le Président de la République a réuni une coalition internationale de chefs d’État, qui a dégagé plusieurs consensus : le constat du durcissement de la posture russe ; la nécessité d’aller plus loin tant dans la fourniture d’équipements militaires aux Ukrainiens, pour qu’ils puissent se défendre, que sur un certain nombre d’autres chantiers.
Le Président de la République a été interrogé : pouvait-il exclure des perspectives par principe ?
Monsieur le président Perrin, au regard de ce que je viens de vous dire, de l’historique de ce conflit et du changement de posture de la Russie, le Président de la République pouvait-il dire, en responsabilité, qu’il exclut par principe certaines perspectives ? Je ne le crois pas !
Je le dis de manière très claire, les soldats français dont on parle pourraient tout à fait accomplir des missions de formation, des actions de défense sol-air ou de défense de frontières. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Certaines interventions donnent le sentiment que le Président de la République avait annoncé un certain nombre de choses… Non ! Je le répète, il a, en responsabilité – et je considère qu’il a fait preuve d’une grande responsabilité –, refusé d’exclure des perspectives.
Si nous avions écouté ceux qui excluaient certaines perspectives il y a deux ans, nous ne soutiendrions pas militairement les Ukrainiens aujourd’hui, et ceux-ci n’auraient probablement pas survécu à l’agression russe et combattu comme ils le font héroïquement depuis deux ans ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour la réplique.
M. Cédric Perrin. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie d’avoir répondu personnellement à cette question importante.
Le Président de la République souhaitait maintenir l’ambiguïté stratégique. Or il a obtenu l’effet inverse, puisqu’il a obligé nos alliés à sortir de cette ambiguïté en annonçant clairement qu’ils étaient, quasiment tous, contre l’intervention au sol. Je pense qu’il faut être responsable sur ces questions et qu’il serait bon de consulter le Parlement sur ce sujet.
Par ailleurs, plutôt que de formuler toutes ces petites phrases, qui me paraissent dangereuses, il me semble important – je vous rejoins sur ce point – d’apporter un soutien efficace à l’Ukraine.
La seule chose que comprend Vladimir Poutine, ce sont les rapports de force. Le mieux que nous ayons à faire, car c’est le meilleur rapport de force que nous puissions lui opposer, c’est de nous comporter comme un allié exemplaire et de fournir aux Ukrainiens les munitions et les matériels dont ils ont besoin. C’est le plus important aujourd’hui ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
économies budgétaires (i)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Monsieur le Premier ministre, le 19 février dernier, vous avez choisi d’envoyer le ministre de l’économie et des finances, M. Bruno Le Maire, sur un plateau de télévision pour annoncer un plan d’économie de 10 milliards d’euros. Ce faisant, il contredisait la réponse qu’il m’avait faite, le 25 janvier, à une question d’actualité que je posais au Gouvernement. Pouvez-vous me donner les raisons de cette volte-face ?
Quelle méthode et quel plan d’action allez-vous mettre en œuvre pour réaliser ces économies budgétaires ? Comment allez-vous y associer le Parlement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Après avoir répondu au président Perrin, je vais répondre au rapporteur général Husson en souvenir des soirs, et même des nuits, que nous avons passés ici, avec le président Raynal et bien d’autres (Rires.), bien évidemment lors de l’examen du projet de loi de finances, lorsque j’étais ministre chargé des comptes publics…
Monsieur le rapporteur général, nous avons eu l’occasion de dire – Bruno Le Maire, notamment, l’a indiqué – que nous constations, partout en Europe, un ralentissement de l’activité économique. Je vous invite à regarder la réactualisation de la prévision de croissance de l’Allemagne qui a été faite voilà quelques semaines : elle est passée de 1,3 % à 0,2 % – et je le déplore. Ce ralentissement économique touche toute l’Europe, et notamment la France, mais – nous pouvons nous en réjouir – moins la France que ses voisins. Nous avons donc, en responsabilité, réactualisé notre prévision de croissance de 1,4 % à 1 % pour 2024.
M. Jean-François Husson. Ça ne suffira pas !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Le ralentissement économique a probablement démarré à la fin de l’année 2023, avec un impact sur les recettes en 2023 et donc probablement – nous le saurons à la fin du mois de mars – un impact sur le solde public de l’année 2023.
Dans ces conditions – et vous savez que telle a été la ligne que j’ai suivie lorsque j’étais ministre chargé des comptes publics, j’ai décidé en tant que Premier ministre d’ajuster nos dépenses, pour tenir compte de la diminution de nos recettes liée au ralentissement de l’activité économique. Comme je l’ai dit aux membres du Gouvernement, cela ne fait plaisir à personne de prendre de telles mesures d’économies en cours d’année. Nous l’avons fait en responsabilité, en visant des politiques publiques identifiées : l’aide publique au développement (APD) ; MaPrimeRénov’, comme l’a rappelé Thomas Cazenave, mais dans un contexte où le budget qui lui est consacré a massivement augmenté.
Je serais plus disposé à accepter que l’on me donne des leçons sur le budget de la rénovation énergétique si celles et ceux qui le font avaient consacré les crédits nécessaires à la rénovation énergétique lorsqu’ils étaient aux responsabilités, ce qui n’a pas été le cas. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.) Nous sommes plus responsables qu’eux aujourd’hui !
M. Jean-François Husson. Vous les souteniez à l’époque !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Mais je n’avais pas les mêmes fonctions…
Cela étant dit, monsieur le rapporteur général, il nous faut poursuivre ce travail, notamment en prévision du projet de loi de finances pour 2025. Nous devrons dégager des économies structurelles qui sont nécessaires, non pas seulement parce que les recettes ont diminué cette année, mais parce que nous voulons financer un certain nombre de transitions absolument majeures – le réarmement de nos services publics, et en premier lieu de nos services publics régaliens ; la transition écologique ; la transition démographique –, et nous devons avoir les marges de manœuvre pour le faire, en assumant des économies.
J’ai indiqué il y a quelques jours que je souhaitais lancer une nouvelle réforme de l’assurance chômage. Je l’assume ! Notre modèle social doit être davantage tourné vers l’incitation à l’activité. Plus les Français qui travaillent seront nombreux, plus les recettes permettant de financer nos politiques publiques seront importantes. Si notre taux d’emploi était le même que celui que l’on observe chez nos amis allemands, nous n’aurions pas de problème pour équilibrer nos politiques publiques.
Donc oui, il faut continuer à inciter au travail et assumer la recherche d’un modèle social moins coûteux et plus efficace ; cela fait partie de nos pistes de travail. Je sais, monsieur le rapporteur général, que vous y travaillerez avec nous lors des prochains mois. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. Monsieur le Premier ministre, en soixante jours, tout n’a pas changé : pas davantage la situation en Ukraine que la crise des énergies, les échanges commerciaux, les difficultés de nos relations avec la Chine ou la question des composants électroniques…
Oui, vous avez choisi de doper la croissance dans vos prévisions macroéconomiques, à hauteur de deux fois ce qu’avait prévu le consensus des économistes. Vous êtes donc, finalement, rattrapé par la patrouille et par une forme de mise en danger ou d’amateurisme.
Non, contrairement à ce que dit le ministre de l’économie et des finances, le Gouvernement ne se serre pas la ceinture ! Dois-je rappeler qu’avant 2020 le déficit de l’État était inférieur à 90 milliards d’euros par an, et qu’il est de manière continue depuis 2020 supérieur à 150 milliards d’euros par an ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Vous m’avez reproché en novembre dernier, lors de l’examen du projet de loi de finances, la brutalité des mesures d’économies que nous proposions et dont le montant, adopté par la majorité sénatoriale, était de 7 milliards d’euros.
Or les mesures d’économies que vous proposez aujourd’hui sont extrêmement brutales, puisqu’elles atteignent 10 milliards d’euros ; et dans le même temps que vous faites cette annonce, vous lâchez 5 milliards de dépenses supplémentaires. On n’y comprend plus rien ! Comme l’ont dit les agriculteurs, le Gouvernement marche sur la tête…
Vous dites que vous augmentez le fonds vert, que vous avez beaucoup peint et dépeint l’an dernier lors de la discussion budgétaire. Mais, en fait, vous en réduisez la portée. Et c’est la même chose pour MaPrimeRénov’.
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-François Husson. Ne perdons pas la mémoire ! Vous avez reproché à la gauche, à juste titre, d’avoir oublié qu’elle n’avait pas pris les mesures nécessaires lorsqu’elle était aux affaires. Mais, à l’époque, vous souteniez ce gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
crise agricole (iii)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. Madame la ministre, mes chers collègues, après des semaines de tension dans le monde agricole et des années de frustration à la suite des échecs successifs des lois Égalim, le Président de la République semble, à la surprise générale, avoir enfin entendu la principale revendication portée par les paysans : la juste rémunération de leur travail.
Pourtant, comme nous le constatons avec le flou gouvernemental qui perdure depuis samedi, cette mesure du prix plancher, qui pourrait être une bonne idée, risque de malheureusement rester au stade de la grande promesse. La véritable question que nous devons nous poser est la suivante : comment remettre du revenu dans nos fermes, et tout particulièrement dans les filières et les régions les plus impactées ?
Le plan de trésorerie d’urgence, avec de simples demandes de moratoire aux banques, ne supprimera pas cette pression financière. L’annonce d’une nouvelle loi Égalim – la cinquième du nom ! –, dont une entrée en vigueur ne saurait être envisagée avant la fin de 2024, semble une réponse bien incertaine et lointaine face à l’urgence actuelle.
Comme avait pu le faire Jean Glavany, avec les contrats territoriaux d’exploitation (CTE), qui ont sauvé de nombreuses fermes, il est nécessaire de penser à un dispositif plus adapté aux enjeux d’aujourd’hui et aux réalités des territoires. Les inégalités entre les filières et les régions, voire entre deux exploitations situées à quelques kilomètres, poussent à une contractualisation territorialisée et individualisée.
Pour permettre cela, madame la ministre, le groupe socialiste du Sénat vous demande d’engager solennellement une révision du plan stratégique national (PSN) de la politique agricole commune (PAC).
Ces révisions nationales sont rendues possibles par la dernière PAC, et peuvent nous donner des moyens d’agir pour assurer : une meilleure régulation du prix ; une plus juste répartition des aides publiques, notamment en renforçant les paiements distributifs aux premiers hectares et en accompagnant davantage la transition agroécologique ; et enfin, un soutien aux filières en difficulté, qui façonnent et font vivre nos territoires.
En cette période de crise, madame la ministre, comptez-vous réellement engager une révision du PSN français ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Barros applaudit également.)