Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Harribey. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme cela a été indiqué précédemment, en France, près de 400 000 enfants vivent dans un foyer où des violences intrafamiliales sévissent. Dans 21 % des cas, les enfants sont directement victimes de ces violences qui leur laissent des séquelles psychologiques et physiques graves.
Cette proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, déposée par notre collègue députée Isabelle Santiago après un travail avec la Chancellerie, nous revient en deuxième lecture, après avoir été à nouveau adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale.
Ce texte constitue un pas de plus vers la protection des enfants. Il s’inscrit dans un continuum législatif qui, peu à peu, se consolide. Si nous sommes à chaque fois au rendez-vous, monsieur le garde des sceaux, nous continuons d’espérer une grande loi sur la protection des femmes et des enfants, ainsi que sur les violences intrafamiliales, comme le soulignait ma collègue Laurence Rossignol en première lecture.
La loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste a opéré un changement attendu dans l’appréhension pénale des violences sexuelles perpétrées sur des victimes mineures en insérant dans le code pénal de nouvelles infractions d’agressions sexuelles autonomes sur mineurs de moins de 18 ans dans le cas de l’inceste.
Rappelons que c’est le groupe socialiste qui avait, par amendement, proposé de relever l’âge du non-consentement de 15 à 18 ans dans le cadre du crime d’inceste.
Lors de l’examen de cette loi, de nombreuses associations avaient reproché au Parlement de ne pas être allé assez loin, notamment sur la question du retrait de l’autorité parentale, autorité trop souvent instrumentalisée par le parent auteur de crime ou d’inceste afin de garder une emprise sur la ou les victimes.
Lors de l’examen de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet, notre groupe, par la voix de Michelle Meunier – je salue au passage l’ensemble des travaux relatifs à la protection de l’enfance de la commission des affaires sociales –, avait proposé par amendement le retrait de l’autorité parentale, notamment dans le cadre de l’ordonnance de protection. Cette disposition avait alors été rejetée. C’est regrettable, car de nombreux mois ont été perdus.
Le cœur du dispositif de cette proposition de loi est bien l’article 1er – tous les orateurs qui m’ont précédée l’ont souligné – relatif à la suspension de l’autorité parentale, ainsi que des droits de visite et d’hébergement pendant toute la durée présentencielle, soit pour un crime commis sur la personne de l’autre parent, soit pour une agression sexuelle incestueuse ou pour un crime commis sur la personne de son enfant, soit enfin pour des violences volontaires sur l’autre parent ayant entraîné une ITT de plus de huit jours, lorsque l’enfant a assisté aux faits.
Alors que l’article 1er a été voté à l’unanimité par les députés dans sa rédaction issue de l’Assemblée nationale, la commission des lois du Sénat, sur l’initiative de notre rapporteure, a vidé cet article de l’essentiel de son contenu en première comme en deuxième lectures.
Les dispositions relatives aux violences conjugales sont ainsi supprimées, comme la suspension de l’autorité parentale de plein droit pendant toute la durée de la procédure.
Nous le regrettons, et nos regrets sont partagés par d’autres groupes au Sénat, comme nous avons pu l’entendre. Un vote conforme aurait par ailleurs permis d’appliquer le nouveau dispositif plus rapidement.
Je rappellerai qu’une procédure peut durer plusieurs années, et qu’il est indispensable de protéger l’enfant pendant l’intégralité de cette période. Cette protection doit du reste être étendue de manière à inclure la protection du parent victime et la protection contre l’emprise du parent violent sur la victime par l’instrumentalisation de l’enfant.
Protéger l’enfant est primordial, mais cela emporte aussi de protéger le parent victime, la plupart du temps la mère. Rappelons que le nombre de féminicides a augmenté de près de 20 % lors des trois dernières années, et que pour l’année en cours, quatorze victimes sont déjà à déplorer, alors que nous ne sommes qu’au début du mois de février.
Notre groupe a donc déposé un amendement visant à rétablir l’article 1er dans sa version issue de l’Assemblée nationale, et ce afin de recentrer le texte sur son objet initial. La démonstration faite par le garde des sceaux précédemment montre que cette version du texte est équilibrée.
Je ferai deux remarques pour conclure.
Nous attendons encore des évolutions en termes de droit de l’enfant, notamment le droit pour celui-ci d’être entendu ou d’être automatiquement assisté par un avocat lors de toute procédure judiciaire le concernant. (M. Xavier Iacovelli applaudit.)
Les annonces gouvernementales du mois de mai dernier, relatives notamment à la création de pôles spécialisés, vont certes dans la bonne direction, mais, au-delà des textes, la question des moyens se pose. Il ne faudrait pas, au prétexte que l’argent manque, limiter la portée de cette proposition de loi.
En tout état de cause, notre position est claire, mes chers collègues : nous voterons cette proposition de loi si l’article 1er est rétabli dans sa version issue de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Francis Szpiner. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Henno applaudit également.)
M. Francis Szpiner. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens à rendre hommage au travail de Marie Mercier et de la commission des lois du Sénat. Nous avons travaillé à l’élaboration de ce texte en nous efforçant d’établir la rédaction la plus consensuelle possible.
Le débat que suscite l’article 1er n’est pas un débat médiocre. Si nous sommes tous attachés à la cause de la défense des enfants, mes chers collègues, il n’en demeure pas moins que le dispositif voté par l’Assemblée nationale soulève tout de même quelques difficultés. La suspension provisoire ne peut pas s’exercer sans contrôle.
J’attire l’attention du Sénat sur le fait que la Convention européenne des droits de l’homme prévoit le droit à la vie familiale et le droit au juge.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il y a un recours !
M. Francis Szpiner. Un recours est certes en cours, ma chère collègue, mais, pour avoir fréquenté longuement les tribunaux, et souvent pour La Voix de l’enfant, je puis vous dire – et vous le savez bien - qu’en fonction des territoires, la saisine d’un juge aux affaires familiales peut prendre de huit à quatorze mois. Et je ne parle même pas de l’éventualité d’une contestation, qui constitue un autre droit, devant la cour d’appel !
L’article 1er permet de concilier la présomption d’innocence, à laquelle je vous sais particulièrement attaché, monsieur le garde des sceaux,…
M. Francis Szpiner. … et les droits de l’enfant et le droit au juge.
Nous demandons tout simplement que le juge aux affaires familiales puisse être saisi, sous le contrôle du procureur de la République.
Si une telle disposition ne porte en rien atteinte à la protection de l’enfant, elle constitue une protection pour des personnes qui sont a priori présumées innocentes, qu’elles fassent l’objet d’une procédure à caractère criminel dont le délai d’achèvement se compte en années ou qu’elles fassent l’objet d’une enquête préliminaire, ce qui, en l’absence de notification de mise en examen, interroge quant à leur qualité de personnes poursuivies.
Par cette rédaction, la commission des lois du Sénat s’est donc simplement efforcée de protéger les libertés individuelles, dont, même en matière d’atteintes aux droits de l’enfant, nous ne pouvons pas faire litière, mes chers collègues. Le texte qui vous est proposé est équilibré.
En quoi la disposition retenue par la commission des lois et Mme le rapporteur serait-elle de nature à porter atteinte aux droits et à la protection de l’enfant ? Elle ne leur porte atteinte en rien. En revanche, elle préserve des personnes poursuivies qui ne seraient pas coupables – cela peut arriver – et qui se retrouvent dans une sorte de no man’s land.
L’on me rétorquera qu’il est possible de saisir le juge. Je vous renvoie toutefois à la réalité de la pratique judiciaire, mes chers collègues. En la matière, et malgré l’augmentation considérable des budgets dont il faut rendre le mérite au garde des sceaux, force est de constater que la justice civile reste encore un parent pauvre de la justice, et que beaucoup reste à faire.
Telles sont les raisons pour lesquelles il me paraît préférable qu’à l’issue d’une période de suspension automatique, un débat contradictoire permette à chacune des parties de s’exprimer devant un magistrat indépendant. C’est le fondement même de nos libertés ! (L’orateur martèle son pupitre.)
En conséquence, mes chers collègues, je vous demande de soutenir cette proposition de loi et la rédaction nouvelle de l’article 1er. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. - MM. Pierre-Antoine Levi et Fabien Genet applaudissent également.)
M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les violences intrafamiliales représentent un véritable fléau pour notre société. Par définition, elles relèvent de la sphère privée, ce qui explique que l’on ait mis tant de temps à les prendre en compte dans le débat public.
Un enfant qui subit de telles violences, directement ou indirectement, en portera en lui la douleur tout au long de sa vie ; et l’adulte qui vit avec ce fardeau est un individu meurtri, torturé. Il aura toujours en lui une part d’ombre et, sans être responsable en quoi que ce soit des faits commis, éprouvera souvent une immense culpabilité.
On estime, en France, entre 10 % et 20 % la proportion d’adultes ayant subi de telles violences lorsqu’ils étaient mineurs : des millions de nos concitoyens sont donc directement concernés.
C’est pourquoi, au nom du groupe auquel j’appartiens, je me réjouis que l’exécutif se soit emparé de ce sujet avec tant de détermination. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture a d’ailleurs été inscrite à l’ordre du jour pendant une semaine réservée au Gouvernement ; je tenais à le rappeler.
La réunion de la Ciivise, il y a près de trois ans, a permis de mettre nos institutions à l’écoute des victimes. C’était un préalable indispensable pour que le législateur puisse mieux appréhender ce problème terriblement complexe.
Évidemment, pour lutter contre les violences intrafamiliales, il vaut mieux protéger la victime en la plaçant à l’abri de son agresseur.
Mes chers collègues, ce sujet est on ne peut plus sensible. En la matière, nous devons légiférer avec la plus grande prudence en nous en tenant à deux objectifs clairs : préserver l’intérêt supérieur de l’enfant et valoriser la parole des victimes. Ces deux enjeux doivent primer toute autre considération.
À ce stade de la navette parlementaire, plusieurs avancées ont été entérinées.
Je pense notamment à l’article 2, qui prévoit l’automaticité du retrait de l’autorité parentale et de son exercice, lorsque des violences ou un crime ont été commis contre l’autre parent ou lorsque l’enfant a subi un viol. Sur ce point, la navette a permis d’aboutir à un dispositif à la fois efficace et équilibré.
Ce n’est pas encore le cas pour l’article 1er.
Mme la rapporteure de la commission des lois, dont je tiens à saluer le travail consciencieux et rigoureux, a proposé de rétablir la version adoptée par le Sénat en première lecture, en conservant au juge aux affaires familiales la faculté de se prononcer sur la suspension provisoire de l’autorité parentale.
J’entends certains de nos collègues – et ils sont nombreux – insister pour que ce texte soit adopté et promulgué le plus rapidement possible, afin qu’il produise ses effets au plus vite et qu’un maximum d’enfants soient ainsi mis à l’abri.
Je comprends leur souci de diligence, que je fais mien ; mais je tiens à leur rappeler qu’il ne faut jamais confondre vitesse et précipitation, surtout lorsqu’il s’agit d’écrire la loi.
J’en suis convaincu : mieux vaut prendre le temps nécessaire pour concevoir la meilleure loi possible plutôt que de se hâter et d’adopter un texte probablement moins efficace ou moins équilibré.
Certes, l’Assemblée nationale a envoyé un message fort en votant sa version du texte à l’unanimité ; mais l’unanimité d’une chambre ne remet pas en cause le bicamérisme. Le Sénat doit poursuivre son travail de manière sereine et sérieuse.
Mme Marie Mercier, rapporteur. Exactement !
M. Alain Marc. Les élus de notre groupe soutiennent l’adoption de cette proposition de loi tout en jugeant le texte de la commission plus équilibré. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. - M. Louis Vogel applaudit également.)
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, au sujet des violences commises, en France, contre les enfants au sein de la famille, qu’ils en soient les victimes directes ou les covictimes, les chiffres sont vertigineux.
Au total, 400 000 enfants vivent dans un foyer où s’exercent des violences conjugales et plus de 160 000 sont victimes chaque année de violences sexuelles. En outre, un enfant meurt tous les cinq jours à la suite de violences intrafamiliales.
N’oublions pas non plus que, même si les enfants ne sont pas directement l’objet des violences, ces dernières ont aussi un effet destructeur.
Pour ces enfants témoins, les répercussions de telles violences sont très graves, qu’il s’agisse de leur développement, de leur santé, de leur construction, de leur scolarité ou de leur vie sociale.
De plus, il n’est pas rare que l’enfant victime soit contraint de maintenir des liens avec le parent violent : cela peut paraître absurde et révoltant, mais c’est pourtant le cas.
Trop longtemps, l’idée selon laquelle on peut être un mari violent, mais un bon père, a prévalu, jusque dans nos tribunaux. Le présent texte entend corriger cela.
Bien entendu, nous ne partons pas de rien. Je pense par exemple à la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, dont vous étiez déjà la rapporteure, chère Marie Mercier. Je pense aussi, bien sûr, à la loi Billon, du nom de notre collègue ici présente, du 21 avril 2021, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste.
Monsieur le garde des sceaux, l’action du Gouvernement mérite aussi d’être saluée ; je connais d’ailleurs votre volontarisme en la matière.
Mme Dominique Vérien. Cette proposition de loi, que nous examinons en deuxième lecture, entend renforcer notre arsenal juridique afin de répondre à un enjeu que nous faisons tous nôtre ici : mieux protéger les enfants.
Concrètement, le présent texte permettra de suspendre plus facilement et plus rapidement, non seulement l’autorité parentale, mais aussi les droits de visite et d’hébergement.
Les faits concernés sont des crimes, parmi les plus graves, qui visent directement l’enfant ou l’autre parent. Ce texte apporte toutefois des limites nécessaires – je pense par exemple à la possibilité, pour le parent concerné, de saisir le juge aux affaires familiales pour réexaminer la décision de retrait.
Non seulement ce texte prévoit une suspension provisoire en cas de poursuite et un retrait total en cas de condamnation, mais il instaure un cas de délégation forcée de l’exercice de l’autorité parentale à un tiers.
En outre, sur l’initiative de notre collègue Laurence Rossignol, il dispense le parent bénéficiaire d’une ordonnance de protection d’informer l’autre parent de son changement de résidence. Cette demande est formulée de longue date par toutes les associations de victimes : elle sera bientôt enfin satisfaite.
Enfin, je me félicite de l’adoption conforme de l’article 3 bis, issu d’un amendement que j’avais déposé en première lecture en commission.
Cet article pose le principe de la suspension du droit de visite et d’hébergement de l’enfant dans le cadre d’un contrôle judiciaire comprenant une interdiction d’entrer en contact ou d’une obligation de résider hors du domicile du couple. Le juge devra dorénavant justifier la décision de ne pas ordonner cette suspension – jusqu’à présent, c’était l’inverse.
Il s’agit d’une des mesures récentes prises en la matière par l’Espagne, qui a vu les féminicides augmenter lors des passages de bras. Nous avons appelé l’attention sur cette disposition dans le cadre du plan rouge VIF.
Mme Annick Billon. Très bien !
Mme Dominique Vérien. Mes chers collègues, quatre articles ayant été votés conformes, cinq articles restent en discussion, dont quatre ont déjà été adoptés sans modification en commission.
Je tiens ici à saluer le travail et la recherche de compromis de notre rapporteure, Marie Mercier, dont l’engagement sur ce sujet est connu de tous.
J’insiste sur l’article 1er, le seul qui nous occupera véritablement aujourd’hui. La commission estime avec raison que l’alinéa 3 est à la fois peu clair et déjà satisfait. Toutefois, je considère que les apports du premier alinéa méritent d’être conservés.
Dans la rédaction de l’Assemblée nationale, la saisine du juge aux affaires familiales pour réexamen de la mesure de suspension est en effet facultative et prise sur l’initiative du parent concerné ; mais est-ce vraiment une mauvaise chose ?
L’article 1er n’a vocation à s’appliquer que dans les affaires les plus graves : le parent poursuivi sera forcément assisté d’un avocat, qui saura lui rappeler la nécessité de saisir le juge aux affaires familiales. À ce titre, si j’entends bien M. Szpiner, des délais de six ou de huit mois ne sont pas si différents. Il me semble qu’une telle solution peut se révéler tout à fait satisfaisante.
Quant au parent qui, malgré tout, ne voudra pas effectuer cette saisine, peut-être aura-t-il de bonnes raisons de procéder ainsi ; nous aurons l’occasion d’en débattre.
Quoi qu’il en soit, dans un esprit de compromis, les élus du groupe Union Centriste voteront ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – Mme le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en France, un enfant meurt sous les coups de ses parents chaque semaine ; un enfant est victime de violences sexuelles toutes les trois minutes. Pas une minute de plus nous ne saurions tolérer ces violences.
Certes, au cours des dernières années, l’ampleur des violences intrafamiliales a fait l’objet d’une prise de conscience. Il n’empêche que ces violences continuent le plus souvent à l’abri des regards : ainsi, seulement 12 % des victimes d’inceste arrivent à porter plainte.
« On te croit » : c’est ce que chaque victime mérite de ressentir. Mais puisque les violences sont systémiques, croire les victimes n’est qu’une étape de la lutte contre ces violences.
Nul n’ignore que des mesures ont déjà été prises.
Je salue évidemment les annonces du plan de lutte contre les violences faites aux enfants pour les années 2024 à 2027, présenté en décembre dernier. Mais, si ce plan va dans le bon sens, beaucoup reste à faire, y compris pour faciliter le recueil des témoignages.
Il est tout aussi primordial que nous protégions les enfants victimes de violences intrafamiliales. D’une part, cette protection suppose une augmentation de moyens, y compris pour accélérer le traitement des affaires par notre système judiciaire, qui souffre toujours du sous-investissement chronique des dernières décennies. D’autre part, nous devons rendre notre législation plus protectrice pour les enfants victimes de violences.
La loi de 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes est malheureusement restée muette sur plusieurs aspects ; la proposition de loi de notre collègue députée Isabelle Santiago entend donc aller plus loin, dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
Grâce au travail constructif et transpartisan mené en première lecture, le présent texte contient des avancées que les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutiennent sans réserve. C’est le cas, par exemple, du retrait total de l’autorité parentale en cas de condamnation pour crime commis sur l’autre parent, agression sexuelle incestueuse ou crime commis sur l’enfant.
Madame la rapporteure, nous sommes ravis que quatre des cinq articles qui restent en discussion aient été adoptés conformes en commission,…
Mme Marie Mercier, rapporteur. Oui !
M. Jacques Fernique. … grâce à votre esprit de compromis. Nous espérons vivement que l’examen des articles permette de renforcer la protection des enfants dont le parent est poursuivi par le ministère public pour un crime commis sur la personne de l’autre parent ou pour des violences sexuelles incestueuses.
Pour autant, comme l’ensemble de mes collègues du groupe écologiste, à commencer par Mélanie Vogel, qui m’a chargé de la représenter à cette tribune, je regrette que l’examen de ce texte en deuxième lecture ne permette pas une traduction législative des préconisations de la Ciivise. Pourtant, ces dernières portent directement sur la problématique dont nous traitons.
Je pense notamment au principe consistant à interdire toute confrontation directe entre la victime des violences sexuelles incestueuses et l’agresseur mis en cause, confrontation qui se révèle traumatique pour la victime. Ce n’est là qu’un exemple des nombreuses failles que les travaux monumentaux de la Ciivise ont permis d’identifier et qui permettent aux violences de persister à l’abri des regards.
Sous la coprésidence de Nathalie Mathieu et d’Édouard Durand, cette commission a relevé un grand nombre d’obstacles persistants, s’opposant à une poursuite pénale efficace. Il apparaît ainsi que la vidéo des premières auditions des victimes reste très peu visionnée par les juges.
De ces préconisations, on n’entend quasiment pas parler dans le plan de lutte contre les violences faites aux enfants : on croirait presque que le Gouvernement a décidé d’effacer ces travaux précurseurs de l’Histoire au moment même où il imposait à la Ciivise un changement d’orientation radical, choix qui a contraint plusieurs de ses membres à démissionner.
Monsieur le garde des sceaux, je m’adresse donc à vous : qu’allez-vous faire pour mettre fin aux manquements identifiés par la Ciivise ?
En attendant, nous allons veiller à ce que le présent texte, que nous soutenons pleinement, soit le plus protecteur possible pour les victimes. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens avant tout à saluer le travail accompli sur ce texte important par notre rapporteure, Marie Mercier, ainsi que les apports de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences faites aux enfants, dont nous venons d’entendre les louanges, lesquels ont permis d’enrichir ce texte.
Chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles, le plus souvent dans le cercle familial, comme l’a rappelé l’ancien président de la Ciivise, le juge des enfants Édouard Durand. Parallèlement, le nombre de plaintes reste beaucoup trop faible pour lutter contre ce système d’impunité intrafamiliale, qui profite toujours aux agresseurs.
Monsieur le garde des sceaux, pourquoi avons-nous perdu tant de temps pour protéger ces enfants, pour les mettre à l’abri de parents destructeurs ? Pourquoi leur statut de victimes a-t-il été si longtemps ignoré, alors qu’il devait être au centre de nos préoccupations ?
Le temps est venu de prendre conscience de la gravité et des conséquences de ces violences sur le développement de l’enfant.
Le présent texte va enfin permettre de renforcer la procédure de retrait de l’autorité parentale : c’est une mesure de bon sens, qui doit devenir la règle pour les cas de crimes et d’agressions sexuelles.
Alors députée, notre collègue Valérie Boyer avait d’ailleurs proposé une mesure identique à l’Assemblée nationale dès 2019, préconisant de faire du retrait de l’autorité parentale le principe et de son maintien l’exception. Mais ladite disposition a, hélas ! toujours été rejetée par le Gouvernement.
Grâce à la mobilisation du président Retailleau en commission mixte paritaire, une version remaniée de cette mesure a pu être inscrite dans la loi visant à agir contre les violences au sein de la famille. C’était en 2019.
Nous pouvons remercier nos deux collègues du travail accompli, tout en déplorant une nouvelle fois le temps perdu depuis lors par le Gouvernement pour renforcer la protection des enfants.
Nous sommes en 2024 et l’accumulation des textes législatifs a entraîné une inertie insupportable pour les victimes.
Tous les jours ou presque, des conjoints violents se servent des enfants. Tous les jours ou presque, ces enfants sont réduits au rang d’objets de transaction, qui permettent aux parents violents de maintenir une tyrannie quotidienne.
Ces enfants, qui vivent dans un foyer violent, sont restés trop longtemps invisibles et inaudibles pour les pouvoirs publics et les institutions judiciaires. Pourtant – nous le savons tous –, ces violences créent un stress post-traumatique. Leurs victimes s’en trouvent marquées pendant des années, voire pour toute leur vie.
En maintenant ces enfants sous l’autorité de parents abusifs, incestueux et criminels, nous les condamnons à voir se multiplier non seulement les atteintes de leurs agresseurs, mais aussi les atteintes qu’ils s’infligent à eux-mêmes – dépression, addictions ou même suicide –, ainsi que les atteintes aux autres.
On ne le répétera jamais assez : un parent violent ne peut être considéré comme un bon parent. Une société qui ne sait pas protéger ses enfants est une société malade et la violence faite à ces enfants relève aussi de notre responsabilité en tant que législateur.
Je souhaite que ce texte provoque une prise de conscience telle que chacun se sente investi d’une responsabilité face à ces problèmes, bien trop longtemps passés sous silence.
Le combat pour la protection des enfants est l’affaire de tous. Je voterai donc cette proposition de loi, qui replace l’enfant au centre du système judiciaire. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales
Article 1er
L’article 378-2 du code civil est ainsi modifié :
1° Après le mot : « poursuivi », sont insérés les mots : « par le ministère public, mis en examen par le juge d’instruction » ;
2° Après la seconde occurrence du mot : « parent », sont insérés les mots : « ou pour un crime ou une agression sexuelle incestueuse commis sur la personne de son enfant ».