Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous souhaitons remercier les rapporteurs, la commission de la culture et l’ensemble des parlementaires qui ont participé à l’élaboration de ce texte commun sur un sujet très sensible. Les restes humains ne sont pas des biens culturels comme les autres.
Je salue l’engagement de longue date de Catherine Morin-Desailly, accompagnée de Max Brisson et de Pierre Ouzoulias.
Après son passage au Sénat en juin dernier, cette proposition de loi a été adoptée à l’Assemblée nationale. Elle s’ajoute aux différents textes dédiés aux restitutions. Je pense, notamment, au projet de loi visant à faciliter les restitutions d’œuvres d’art spoliées par les nazis aux familles juives. Ce sont des textes importants, qui nous honorent en tant que parlementaires et nous touchent dans notre humanité.
En matière de restitution, le droit évolue progressivement ; il est l’écho des évolutions de la société, ainsi que de notre rapport à la mort et au passé.
Que faire des restes humains ? C’est une question aux enjeux diplomatiques, historiques et patrimoniaux majeurs. Cela représente aussi un enjeu en matière, d’éthique, de sacré et de respect de la dépouille de nos ancêtres.
Qu’il s’agisse de crânes de combattants hérités de notre passé colonial ou encore de squelettes intégrés à nos collections publiques, nous défendons le principe de la dignité humaine.
Avant ce texte, les demandes de restitution étaient traitées au cas par cas. Il était temps de prévoir une loi-cadre à la hauteur des nombreux défis auxquels nous faisons face, un texte permettant de faciliter les retours des restes humains, tout en clarifiant les conditions à remplir.
La commission mixte paritaire (CMP) est parvenue à un accord au sujet des dispositions votées dans les deux chambres. Nous nous en réjouissons. Il est important que les mesures prévues par cette proposition de loi entrent en vigueur.
Une question reste en suspens : celle du devenir de ces restes humains restitués. Les usages funéraires et culturels sont extrêmement divers en fonction des pays. De son côté, la France doit apporter un soutien accru à la recherche de provenance. Il s’agit d’être en mesure de proposer une solution digne et de réparer les éventuelles injustices.
Enfin, nous l’avions déjà souligné lors de l’examen de ce texte, une vaste réflexion doit être menée au sujet de l’avenir de nos collections muséales.
Comment les adapter aux évolutions des usages, aux nouvelles habitudes des visiteurs, aux évolutions technologiques ? Comment perpétuer la mémoire des restes humains et œuvres culturelles destinés à quitter nos musées ?
Voilà les grands sujets qui devront faire l’objet d’une réflexion collective dans les années à venir. Notre politique patrimoniale a vocation à évoluer. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires s’engagera pleinement dans les échanges sur ces questions essentielles.
Vous l’aurez compris, notre groupe soutient l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre-Antoine Levi. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission de la culture, madame la rapporteure et auteure de la proposition de loi, chère Catherine Morin-Desailly, mes chers collègues, je partirai naturellement des derniers apports de la commission mixte paritaire au texte.
Le plus notable est, selon nous, l’amélioration de l’information du Parlement à laquelle il procède, qu’il s’agisse de l’information des commissions de la culture des deux assemblées en cas de demande de restitutions de restes humains dont l’identification serait incertaine ou de l’information des mêmes commissions dans un délai d’un mois à compter de la réception des demandes de restitution des restes humains appartenant au domaine public. Ce sont des points clés.
Car ce dispositif de suivi vient répondre à la principale crainte exprimée depuis le début de nos travaux sur le sujet, à savoir qu’en créant une procédure ad hoc de sortie du domaine public pour les restes humains appartenant aux collections publiques, le Parlement se dessaisirait trop largement de sa compétence.
En renforçant de la sorte l’information de nos commissions de la culture, nous pouvons in fine dire que nous parvenons à un équilibre : d’un côté, le Parlement sera toujours impliqué dans l’évolution du périmètre des collections publiques ; de l’autre, il ne sera pas non plus mobilisé à tout bout de champ pour adopter telle ou telle loi d’espèce.
Tel était, depuis le départ, l’objectif recherché. Vous le savez mes chers collègues, les centristes sont naturellement friands de ce type d’équilibre. Mais j’exprimerai aujourd’hui une satisfaction d’autant plus grande que l’on doit cet aboutissement législatif à la famille politique que j’ai l’honneur de représenter.
Le groupe Union Centriste a été moteur pour bousculer les lignes sur cette question et faire avancer notre pays.
Ainsi, les deux premières lois de restitution de restes humains votées en France l’ont été sur l’initiative de Nicolas About – cité par Catherine Morin-Desailly – à l’origine de la loi du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, la fameuse « Vénus Hottentote », à l’Afrique du Sud.
En 2010, Catherine Morin-Desailly parvint à faire adopter la loi visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections.
Ces lois d’espèce ont eu une importance historique. Face à l’augmentation des demandes, elles ont pavé la voie vers l’élaboration d’une procédure générale permettant de restituer les restes humains sans mobiliser à chaque fois le Parlement.
C’est bien ce que réclame notre commission de la culture depuis des années. Avec le présent texte, elle sera enfin entendue. Je ne peux que saluer sa détermination, d’autant que la proposition de loi que nous allons voter a bénéficié de l’ensemble des travaux menés sur le sujet depuis plus de dix ans pour parvenir à circonscrire la dérogation.
Je pense aux travaux de la Commission scientifique nationale des collections menés à la suite de la loi de restitution des têtes maories, relayés par un groupe de travail pluridisciplinaire mis en place par le ministère de la culture et le ministère de l’enseignement supérieur. Ces derniers ont permis de définir les critères de restitution que nous nous apprêtons à faire entrer dans la loi.
Le champ du texte est restreint aux seuls restes humains identifiés d’origine étrangère. La restitution ne pourra être accordée qu’à des fins funéraires. C’est une question de dignité. La procédure est claire et les critères sont précis. C’est ce qu’il fallait faire !
Je remercie donc très chaleureusement Catherine Morin-Desailly d’avoir gardé le cap jusqu’au bout. Je félicite également Max Brisson et Pierre Ouzoulias.
Vous l’aurez compris, c’est avec une très grande satisfaction que le groupe Union Centriste votera les conclusions de cette commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans un contexte géopolitique international très sombre, il est peu de dire que l’aboutissement aujourd’hui de cette proposition de loi est un message bienvenu d’apaisement international et de consensus parlementaire.
Je félicite donc ses auteurs, Pierre Ouzoulias et Max Brisson, mais surtout évidemment Catherine Morin-Desailly, car ce texte est aussi pour elle l’aboutissement d’un travail au long cours.
Sur les restitutions culturelles en général, nous sommes en train de changer d’ère. Je tiens donc aussi à remercier Mme la ministre de la culture du travail engagé autour de cette question. Ce texte n’est qu’une première étape, mais c’est une première étape essentielle. Nous avons suffisamment dénoncé, ici, le fait du prince en matière de restitutions ; ce premier cadre est donc le bienvenu.
Pour le traitement spécifique des demandes de restitution de restes humains adressées par des États étrangers, nous avions besoin d’un cadre clair et transparent. Le travail engagé il y a des années par Catherine Morin-Desailly a permis d’avancer plus facilement sur des critères précis et objectifs pour justifier la dérogation au principe d’inaliénabilité, tout en répondant à l’exigence de dignité et en préservant l’expertise scientifique.
Ce texte s’adresse en effet à tous les États qui demandent à la France la restitution d’ossements et autres éléments confectionnés à partir de restes humains, amassés dans nos collections publiques.
Par là, nous montrons que nous avons entendu leurs demandes et que nous considérons que les lois funéraires de chaque société ou communauté humaine s’imposent à nos méthodes ou à nos visions du monde passées. Par là, nous disons notre détermination à respecter l’intégrité et la dignité due à chaque corps humain après la mort. C’est après tout un des fondements de notre humanité.
Pourquoi exposer ce que d’autres ont volontairement enfoui ? Respecter les morts, c’est réconcilier les vivants. Nous disons ici notre volonté que les pratiques mémorielles et le respect des ancêtres s’imposent aux pratiques historiques ou scientifiques, même lorsqu’elles visent l’objectif universel d’un approfondissement des connaissances humaines.
Comme Pierre Ouzoulias l’a exprimé, ce texte va permettre d’accompagner les conservateurs vers la sortie d’une forme de déni. Sans empêcher le progrès des sciences humaines, il vise à renouveler nos pratiques et à nous préserver de l’écueil de l’exotisme, cet exotisme qui nourrissait la fascination malsaine pour le zoo humain de l’exposition universelle de 1889 et que l’ethnologue Tzvetan Todorov, dans son ouvrage Nous et les autres, dénonçait comme le revers du racisme, un « éloge dans la méconnaissance » – donc réducteur – de l’autre. Nous devons achever d’abolir l’exotisme de notre politique muséale.
Enfin, cette proposition de loi répond aux aspirations de la société française, à son attachement à un plus grand respect du principe de dignité humaine, appliqué à toutes les personnes.
Les collections publiques rassemblées dans nos musées sont le reflet de notre société. Le maintien de restes humains contre la volonté des peuples y est désormais impensable.
L’équilibre trouvé dans ce texte va permettre de faciliter les restitutions de restes humains et, surtout, il va permettre à notre pays d’examiner rapidement les demandes.
Nous espérons que nos établissements s’engageront dans un travail en profondeur d’identification des restes potentiellement sensibles qu’ils conservent dans leurs collections.
Enfin, la présente proposition de loi va permettre l’enrichissement des coopérations culturelles et scientifiques avec les États demandeurs, via le comité scientifique mixte.
Cette initiative parlementaire va donc nous faire réellement changer de cadre, en nous faisant entrer dans une nouvelle étape de notre coopération culturelle, et nous permettra d’alléger définitivement nos collections de vestiges de pratiques ethnologiques et archéologiques colonialistes dépassées, alors que les pratiques sont désormais encadrées par les conventions internationales de Londres et de La Valette.
C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
M. Pierre Ouzoulias. « Tous ceux qui à ce jour ont obtenu la victoire, participent à ce cortège triomphal où les maîtres d’aujourd’hui marchent sur les corps de ceux qui aujourd’hui gisent à terre. Le butin, selon l’usage de toujours, est porté dans le cortège. C’est ce qu’on appelle les biens culturels. […]
De tels biens doivent leur existence non seulement à l’effort des grands génies qui les ont créés, mais aussi au servage anonyme de leurs contemporains. Car il n’est pas de témoignage de culture qui ne soit en même temps un témoignage de barbarie. Cette barbarie inhérente aux biens culturels affecte également le processus par lequel ils ont été transmis de main en main. » Ainsi parlait Walter Benjamin dans son ouvrage posthume Sur le concept d’histoire.
C’est dans la prise de conscience humaniste du caractère barbare de l’exhibition morbide de vestiges humains spoliés à leurs populations d’origine que la présente proposition de loi trouve sa justification quasi philosophique.
Je veux rappeler qu’il a fallu près de vingt ans pour que les têtes maories conservées au muséum de Rouen soient enfin restituées au musée national néo-zélandais, grâce à la loi du 18 mai 2010.
Citer cette loi me permet de louanger la fortitude et la ténacité de notre collègue sénatrice Catherine Morin-Desailly et de rappeler que ce texte législatif était déjà, en quelque sorte, de portée générale, puisqu’il concernait toutes les têtes maories conservées dans des musées de France, y compris celles qui n’étaient pas encore connues au moment de sa rédaction.
Déjà en 2012, le Parlement considérait que ses compétences en matière de domanialité publique l’autorisaient à instituer un régime dérogatoire pour satisfaire le respect d’un principe qu’il considérait comme supérieur au caractère inamovible des collections publiques.
En droit, la présente proposition de loi n’est donc que l’extension à l’ensemble des restes humains des dispositions conçues en 2012 pour les seules têtes maories.
Par une curieuse alliance, les groupes La France insoumise et Les Républicains de l’Assemblée nationale nous ont reproché de déposséder le Parlement de ses prérogatives au profit de l’exécutif. Je regrette qu’ils n’aient pas pris la peine de prendre connaissance plus avant des nombreux travaux que la chambre haute a consacrés au dossier de la restitution des restes humains.
Par la présente proposition de loi, le Sénat a souhaité trancher un conflit juridique entre, d’une part, la nécessaire protection des collections publiques, assurée à la fois par le code général de la propriété des personnes publiques et le code du patrimoine, et, d’autre part, l’article 16-1 du code civil, qui dispose que « le corps humain est inviolable », et que « le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial », et l’article 16-1-1 du même code, qui précise que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ».
À l’occasion de l’affaire des têtes maories, le juge administratif avait considéré que le régime de protection que leur conférait le code du patrimoine l’emportait sur le statut que leur attribuait le code civil.
Par ce texte, nous renversons cette jurisprudence, en considérant que le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité du corps humain justifie une dérogation au caractère inaliénable des collections publiques. Ainsi, le Parlement, sans se dépourvoir de ses prérogatives en matière de domanialité publique, considère que les restes humains, par essence, ne peuvent pas constituer des objets patrimoniaux.
Ce faisant, nous transposons en quelque sorte dans le droit français les dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée par l’Assemblée générale le 13 septembre 2007, qui reconnaissait « un droit au rapatriement de leurs restes humains » et qui invitait les États à organiser leurs restitutions « par le biais de mécanismes justes, transparents et efficaces mis au point en concertation avec les peuples autochtones concernés. »
Contrairement aux assertions des représentants de certains groupes politiques de l’Assemblée nationale, la présente proposition fixe des conditions draconiennes à ces restitutions, qui seront garanties par le Conseil d’État, et organise l’information du Parlement annuellement et durant tout leur déroulement.
Il restera aux gestionnaires des collections publiques, ainsi qu’à leurs tutelles de se mobiliser pour assurer, dans l’année à venir, le récolement complet des restes humains susceptibles de restitution et d’en informer leurs ayants droit. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (M. Michel Masset applaudit.)
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la CMP a été conclusive. Je me réjouis de cette issue consensuelle, à l’instant même où nous avons bien besoin de CMP conclusives ! (Sourires.)
Cette proposition de loi est une nouvelle étape de l’engagement de Catherine Morin-Desailly, treize ans après le retour des têtes maories. Je salue sa persévérance, ainsi que le soutien de la commission de la culture, en attendant le troisième volet de la législation sur la migration des biens culturels.
Après les biens juifs spoliés et les restes humains, ce dernier sera le fruit du travail réalisé par Max Brisson, Pierre Ouzoulias et l’incontournable Catherine Morin-Desailly à la suite de la mission d’information sur le retour des biens culturels appartenant aux collections publiques.
Pour en revenir à la restitution des restes humains, le contexte actuel, avec, par exemple, le conflit en Palestine, impose une lecture particulière, alors que nous sommes dans l’attente de libération d’otages et de rapatriements de corps.
Nous ne pouvons considérer des restes humains, aussi sophistiqués fussent-ils, comme des biens culturels banals.
Quelle que soit la date du décès, la dignité humaine impose de respecter la dimension charnelle de la relation qui unit un corps à ses proches, par liens familiaux, par descendance ou par liens historiques, nationaux ou culturels.
L’attente et les drames que vivent actuellement les familles des otages du Hamas nous permettent de mesurer la légitimité que les êtres vivants ou – hélas ! – décédés soient récupérés au plus vite par leurs proches, leur pays, avec le soutien de la communauté internationale.
Cette comparaison n’est pas inopportune et n’exploite pas une émotion immédiate pour argumenter sur un problème d’une autre échelle et d’une autre temporalité.
La restitution de restes humains ne doit souffrir aucune condition juridique d’inaliénabilité de biens culturels. Les seules précautions relèvent de doutes sur l’identification, qu’un comité scientifique doit lever, ainsi que Pierre Ouzoulias l’a bien rappelé.
Bien que ce texte associe le Parlement au travail de restitution, il ne donne que très peu satisfaction aux demandes ultramarines.
En janvier 2022, notre assemblée avait pourtant adopté un texte ambitieux qui se préoccupait de la restitution des restes humains d’origine française. De telles dispositions auraient pu être intégrées au texte final de la présente proposition de loi, afin d’envoyer un signal fort aux collectivités d’outre-mer.
Cependant, je vous ai bien entendue, madame la ministre, et je me réjouis de votre engagement pour qu’un texte puisse aboutir d’ici à la fin de l’année qui va débuter.
Comment pouvons-nous associer des restes humains à des œuvres d’art inaliénables ?
D’ailleurs, l’inaliénabilité des biens doit, à mon sens, porter sur la dimension culturelle du bien, et non sur sa patrimonialité. C’est sa dimension culturelle qui lui donne un caractère universel ! Je me battrai toujours pour le faire reconnaître.
Cette conception conforte la perception particulière des restes humains et de l’inaliénabilité de leur statut, que le temps ne saurait transformer en simples biens culturels.
Au-delà des conditions de restitution des restes humains, c’est la réflexion que nous menons sur les biens culturels que cette proposition de loi nous engage à prolonger, comme nous aurons à le faire rapidement – je l’espère – avec le troisième volet des retours des biens culturels appartenant aux collections publiques.
Si je vous ai livré mes réflexions personnelles, j’indique que le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen votera, bien entendu, les conclusions de la CMP. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au mois de janvier 2023, la ministre de la culture, Rima Abdul-Malak, avait annoncé l’arrivée imminente de trois lois-cadres sur les restitutions, prévues dans le calendrier législatif.
Deux de ces lois sont sur le point d’être adoptées avant la fin de l’année.
La première, portant sur les œuvres issues de spoliations antisémites intervenues entre 1933 et 1945, est parue au Journal officiel n° 169 du 23 juillet 2023
La seconde, concernant la restitution de restes humains appartenant aux collections publiques, devrait, je l’espère, être définitivement adoptée par le Sénat aujourd’hui.
La commission mixte paritaire, consciente des enjeux et de l’impératif de progresser collectivement sur le chemin des restitutions des restes humains appartenant aux collections publiques, a joué un rôle primordial dans l’élaboration d’une proposition de loi-cadre. Cette démarche s’inscrit dans une perspective transpartisane, rassemblant des membres de différentes sensibilités politiques pour construire un consensus nécessaire face à une problématique complexe.
L’essence de cette proposition de loi découle du constat partagé, au sein de la commission, de la nécessité d’apporter des solutions claires et éthiques à la problématique des restes humains dans nos collections publiques. Compte tenu de la complexité de la conservation de ces éléments, la commission a reconnu le besoin d’un cadre législatif général qui facilite le processus de restitution, tout en respectant les principes fondamentaux comme celui de l’inaliénabilité du domaine public.
Le processus de création de cette proposition de loi a été marqué par un engagement transpartisan, témoignant d’une volonté commune de surmonter les obstacles actuels entravant les restitutions.
Les sénateurs Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias ont joué un rôle essentiel dans cette initiative, mettant à profit leurs compétences et leur expérience et, surtout, démontrant une détermination à traiter cette question de manière sérieuse et responsable.
Je tiens tout particulièrement à saluer la sénatrice Catherine Morin-Desailly pour son engagement sans faille depuis dix ans sur le sujet.
L’approche de la commission s’est inscrite dans une recherche d’équilibre entre le respect du principe protecteur de l’inaliénabilité des collections et la réponse adéquate aux demandes légitimes de populations dont la sensibilité et la mémoire sont heurtées par la conservation des restes humains de leurs ancêtres.
La proposition de loi-cadre qui en a résulté incarne une approche méthodique, rigoureuse et raisonnée, s’appuyant sur la rigueur scientifique pour guider le processus de restitution. En intégrant un comité scientifique mixte pour vérifier l’identification des restes en cas de doute, le texte se dote d’un mécanisme de contrôle supplémentaire, renforçant la crédibilité du processus.
L’accent mis sur la nécessité de transparence, à travers la transmission annuelle d’un rapport au Parlement, témoigne de la volonté de la commission de garantir un suivi démocratique et un contrôle continu sur l’application de la procédure. Cette transparence renforce la légitimité du processus, tout en permettant au Parlement de jouer pleinement son rôle dans la gestion éthique des collections publiques.
En résumé, la commission mixte paritaire a agi de manière déterminée et consensuelle, pour aboutir à une proposition de loi-cadre qui représente une avancée significative dans le traitement des demandes de restitution de restes humains. Cette initiative collective témoigne de la capacité du législateur à répondre de manière responsable aux défis sociétaux, combinant méthode, rigueur scientifique et respect des principes fondamentaux qui guident notre action.
La dernière loi de restitution, qui, comme l’a annoncé la ministre Rima Abdul-Malak, portera sur les biens culturels pillés durant la période coloniale, pourrait nous être soumise dans les premiers mois de 2024. Espérons que nous parvenions une nouvelle fois à un travail consensuel sur ce texte encore plus complexe.
En adoptant ces propositions, nous affirmons notre engagement en faveur d’une gestion éthique de notre patrimoine culturel, respectant la dignité humaine et favorisant la coopération internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et au banc des commissions. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Adel Ziane, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Adel Ziane. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre d’une proposition de loi essentielle qui, à notre sens, transcende les clivages politiques et nous invite à faire preuve d’une profonde réflexion sur notre passé et à agir avec justice et respect.
Je tiens tout d’abord, bien sûr, à saluer le travail remarquable et la pugnacité de nos collègues Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias, dont l’engagement a été crucial dans l’élaboration de cette proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques.
Il est temps de reconnaître que ces restes humains, bien loin d’être de simples objets d’exposition, sont les témoins silencieux de vies passées et de cultures riches et qu’ils portent souvent en eux le poids d’une histoire coloniale complexe.
Ces restes ont trop fréquemment été acquis dans des conditions non compatibles avec les valeurs de notre République, et leur qualification en tant que « biens », dépourvus souvent de tout intérêt scientifique, perpétue une vision dépassée du patrimoine matériel.
Comme cela a été rappelé, le code civil dispose pourtant que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort », et que « les restes des personnes décédées […] doivent être traités avec respect, dignité et décence. » Nous devons cet ajout important à notre ancien collègue Jean-Pierre Sueur, qui a particulièrement contribué à faire avancer notre législation funéraire. Je tiens à le saluer.
Jusqu’à ce jour, les rares restitutions ont été entravées par le caractère inaliénable des biens du domaine public, une barrière qui a limité la reconnaissance de la dignité inhérente à chaque individu, même après sa mort.
C’est pourquoi, par le passé, deux lois d’initiative sénatoriale ont été adoptées successivement : la première pour la restitution à l’Afrique du Sud de la dépouille de Saartjie Baartman, surnommée la « Vénus hottentote », en 2002 ; la seconde pour la restitution à la Nouvelle-Zélande de vingt têtes maories, en 2010, sur l’initiative, encore une fois, de Mme Catherine Morin-Desailly, ardente défenseure de ces causes justes.
Plus récemment, vingt-quatre crânes algériens ont été restitués en urgence à l’Algérie, mais cette décision, en 2020, a fait fi de tout cadre scientifique et législatif.
Face à la lourdeur et à la complexité du recours à la procédure législative, il était impératif de construire une loi-cadre. C’est ce que nous faisons aujourd’hui.
Cette nécessité est soulignée par les établissements concernés, au premier rang desquels les musées de notre pays, qui sont touchés par les débats de société, ne sont pas hermétiques aux exigences de la société civile et doivent répondre à la multiplication des demandes de restitution, en provenance du monde entier. Il nous fallait répondre à l’augmentation forte de ces demandes, qui a frappé les musées en particulier lors des dix dernières années.
De nombreux pays européens ont déjà répondu à cette nécessité, en adaptant ou en travaillant à leur législation.
Il nous fallait être à l’heure et au rendez-vous.
La présente proposition de loi y répond, en créant un cadre clair et cohérent pour les restitutions futures, loin des décisions fragmentées et arbitraires du passé.
Cette initiative va au-delà de simples gestes symboliques. Elle incarne notre volonté collective de reconnaître un passé douloureux et de construire ensemble un avenir fondé sur un respect mutuel entre les peuples et les nations, notamment entre la France et ses anciennes colonies.
Vous l’avez dit, madame la ministre, il est également primordial d’apporter une réponse à nos compatriotes d’outre-mer, pour lesquels le texte dont nous débattons aujourd’hui constitue un impensé. Je me réjouis des mesures que vous avez annoncées en ce sens s’agissant de la restitution de restes humains ultramarins.
Il était difficile de faire bénéficier les territoires ultramarins de la procédure mise en place par la présente loi-cadre en faveur des États étrangers. De fait, cette transposition nécessite, à elle seule, une mission et un second texte législatif, permettant d’accomplir notre devoir de mémoire sur cette période de l’histoire où la France accueillait des zoos humains.
Enfin, la démarche que nous officialisions aujourd’hui ne pourra pas réussir – j’insiste sur ce point – sans y adjoindre les moyens humains et financiers à la hauteur du travail colossal qui demeure pour identifier précisément les restes humains présents dans nos collections.
Mes chers collègues, en soutenant cette proposition de loi, nous faisons bien plus que réparer les erreurs du passé : nous faisons honneur à notre pays, nous affirmons notre engagement envers une réconciliation des mémoires et nous construisons un avenir où le respect de la dignité humaine est au cœur de nos actions.
Le groupe socialiste votera donc pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, GEST et RDPI.)