M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’année 2024 est synonyme d’application de la nouvelle loi de programmation militaire, entrée en vigueur le 1er août 2023.
Son adoption résulte du bouleversement géostratégique induit par la guerre en Ukraine, qui a amené le Parlement, sur l’initiative du Président de la République, à décider d’interrompre la précédente loi de programmation, initialement prévue pour les années 2019 à 2025.
La nouvelle LPM prévoit une enveloppe de 400 milliards d’euros en crédits de paiement pour la période 2024-2030, soit une hausse de plus de 100 milliards d’euros par rapport à la précédente. Je profite de cette occasion pour saluer l’important travail et l’implication personnelle de notre collègue Christian Cambon, ancien président de la commission des affaires étrangères, qui a été le rapporteur de cette loi de programmation.
Ce projet de budget pour l’année 2024 contient indéniablement des motifs de satisfaction. Je me réjouis tout d’abord qu’il respecte la loi de programmation militaire.
Pour la troisième année consécutive, les crédits consacrés aux études amont dépasseront 1 milliard d’euros. Comme l’ont rappelé Gisèle Jourda et Pascal Allizard dans leur rapport consacré au programme 144, ces études jouent un rôle clé dans la détermination des capacités futures de nos armées, et donc dans le maintien de notre supériorité opérationnelle.
Ces crédits en hausse permettront de lancer, voire de poursuivre, des études, conformément à la loi de programmation, sur les armes à énergie dirigée, l’hypervélocité ou encore l’intelligence artificielle.
Je suis satisfait également de l’inscription de 190 millions d’euros au titre du financement de démonstrateurs, en particulier de projets d’envergure. Les crédits consacrés à l’analyse stratégique et à la diplomatie de défense sont également en progression.
Cette évolution était évidemment plus que nécessaire au regard de la dégradation du contexte stratégique que nous connaissons.
Je suis satisfait aussi du montant des crédits du programme 146, qui permettent de mettre en œuvre les engagements de la LPM, comme l’a rappelé Hugues Saury. Ils s’établiront en crédits de paiement à 16,5 milliards d’euros en 2024, soit une augmentation de 7,9 % ; les autorisations d’engagement s’élèveront à 24,3 milliards d’euros.
Le PLF pour 2024 prévoit un effort accru de 35 % sur les munitions, soit 1,5 milliard d’euros en crédits de paiement.
Comme l’a démontré Hugues Saury, ces moyens demeurent néanmoins très insuffisants au regard des exigences des combats de haute intensité. Il s’agit non pas de remplir nos stocks de munitions au-delà de nos besoins, mais de respecter réellement nos promesses envers l’Ukraine, ce qui, hélas ! n’est pas le cas à ce jour.
Nous sommes capables de produire environ 20 000 obus par an, quand l’Ukraine en consomme 5 000 par jour et la Russie, peut-être, 25 000 à 30 000. Du reste, cette dernière produirait entre 1 million et 1,2 million d’obus par an !
Aussi, la France doit renforcer son rôle sur ce point, au regard du leadership qu’elle souhaite incarner.
Par comparaison, l’Allemagne a augmenté de 1,3 milliard d’euros le montant de son aide à l’Ukraine, après l’avoir doublé de 4 milliards à 8 milliards d’euros. La somme totale de cette aide s’élèverait donc à 9,3 milliards d’euros !
De fait, si nous ne parvenons pas à fournir à l’Ukraine les munitions dont elle a besoin pour se défendre, elle ne sera pas en mesure de gagner face à la Russie. Nous n’aurions donc pas respecté nos promesses et notre leadership sur la scène internationale en serait terni.
L’expression d’« économie de guerre » est revenue à plusieurs reprises lors des auditions que nous avons menées. Toutefois, je partage le sentiment qu’à ce stade nous ne sommes pas du tout dans une telle économie de guerre.
D’ailleurs, une accélération en la matière serait profondément utile, notamment pour clarifier notre position à l’égard des industriels. Nous leur demandons de produire davantage et plus rapidement sans leur donner de visibilité sur les commandes à venir. On ne peut pas leur demander de produire toujours plus sans fixer un cap, au risque d’entraîner la constitution de stocks importants qu’ils n’écouleraient pas !
Je me suis quelque peu appesanti sur cette question, mais, à l’évidence, elle soulève un débat incontournable, qu’il fallait ouvrir dans le cadre de ce PLF.
Je ne reviendrai pas sur le programme 178 à propos duquel je me suis déjà exprimé.
En ce qui concerne le programme 212, nous constatons que sur le plan des effectifs, les dispositions de la LPM ne sont pas respectées pour l’exercice 2024. En effet, cette dernière fixe la création de 700 ETP en 2024, puis une progression chaque année jusqu’en 2030 pour atteindre 6 300 ETP en sept ans.
Or voilà que, dès cette année, le PLF prévoit la création de 456 ETP seulement, au lieu des 700 ETP initialement prévus. Je m’inscris à la suite des propos de mes collègues Marie-Arlette Carlotti et Jean-Pierre Grand à ce sujet. Cette réduction est révélatrice d’une crise d’attractivité !
Monsieur le ministre, depuis trois ans, les effectifs de votre ministère diminuent. Il existe plusieurs explications à cela : les contrecoups de la pandémie, le marché de l’emploi, mais aussi la concurrence du secteur privé, plus rémunérateur, ou encore le manque d’intensité opérationnelle.
Sur ce dernier point, on entend souvent nos jeunes expliquer leur manque d’envie de s’engager par crainte de passer trop de temps sur l’opération Sentinelle.
À ces difficultés de recrutements, il faut ajouter l’augmentation des départs. La fidélisation n’est, hélas ! pas plus rassurante.
Comme l’a rappelé le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM) dans son dernier rapport annuel, le pic de départs est important entre douze et seize ans de services.
À ce sujet, l’objet de la loi de programmation est de doubler les effectifs de la réserve opérationnelle d’ici à 2030 pour atteindre 80 000 réservistes. Avec environ 39 500 réservistes opérationnels à la fin de 2023, nous n’avons pas encore retrouvé le niveau de 2019. Je rappelle que la loi de programmation prévoit 3 800 nouveaux engagements à servir dans la réserve en 2024. L’atteinte des objectifs ne sera donc pas facile, même si les mesures votées figurant dans la LPM devraient y contribuer.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous saluons la hausse des crédits de cette mission, conforme, comme je l’ai dit, à la loi de programmation militaire. Par conséquent, le groupe Union Centriste votera les crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – Mmes Marie-Arlette Carlotti et Nicole Duranton applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. Akli Mellouli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ce projet de loi de finances pour 2024, les crédits de la mission « Défense », portant le budget du ministère des armées pour assurer la politique de défense de la France, s’élèvent à 67,8 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à 56,8 milliards d’euros en crédits de paiement.
Cet effort budgétaire, correspondant à 1,9 % du PIB, est conforme à la trajectoire prévue par la nouvelle loi de programmation militaire.
Il s’inscrit dans un contexte de retour de la guerre entre États en Europe à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022.
Au-delà de ce cas spécifique de guerre conventionnelle, nous constatons une multiplication de tensions internationales de plus en plus aiguës, ainsi qu’un émiettement, une fragmentation et une diversification de la conflictualité.
Cette diversification des menaces s’accompagne de discours incitant de plus en plus à la confrontation avec le monde occidental, où parfois la France est directement citée, comme nous avons pu le constater récemment au Proche-Orient ou en Afrique, aussi bien au Sahel qu’en Afrique de l’Ouest.
Par ailleurs, nous observons que de moins en moins de différends se règlent par la voie de la médiation internationale et que les grandes puissances refusent, malheureusement, de s’inscrire dans une démarche de maîtrise des armements.
Partout dans le monde, les nations se réarment. Les dépenses militaires ont atteint en 2022, tous continents confondus, un nouveau sommet de 2 040 milliards d’euros environ, soit 2,2 % du PIB mondial. L’équilibre de la terreur semble redevenir la norme. Ainsi, le nouveau monde qui se dessine sous nos yeux ressemble de plus en plus au monde du siècle dernier. Nous devons malheureusement composer avec cette triste réalité.
Néanmoins, l’horreur qui se déroule sous nos yeux au Proche-Orient nous rappelle la réalité qui découle des logiques de réarmement, des conséquences des discours belliqueux et de l’effroi qui résulte des positions des grandes puissances. Les sociétés occidentales, trop longtemps aveugles à la souffrance des peuples, redécouvrent, avec Gaza, l’épouvante.
Malheureusement, elles se retrouvent, par les choix de leurs leaders, à assumer la vengeance aveugle, qui ôte la vie à des hommes, à des femmes et à des enfants innocents.
Malgré l’horreur à laquelle nous assistons depuis plus de deux mois, il est de notre devoir de proposer une voie humaniste et de travailler à remplacer l’équilibre de la terreur par l’équilibre de la paix. Monsieur le ministre, je suis profondément convaincu que nous ne pouvons ni examiner ni voter des crédits en les dissociant de la réalité qu’ils recouvrent.
Par ailleurs, alors que la COP28 s’achève demain à Dubaï, plus personne ne peut nier que la question environnementale est désormais un élément central du débat stratégique. L’articulation étroite entre les enjeux climatiques et les enjeux sécuritaires n’est plus à prouver. De plus, il est grand temps d’engager dès maintenant un processus d’adaptation à la réalité du changement climatique. Nous faisons face à un péril qui transcende les frontières, frappe à l’aveugle nos terres, nos océans et contre lequel il n’existe ni murs ni barrières.
Enfin, monsieur le ministre, notre groupe souhaite rappeler que la défense, c’est avant tout l’ensemble des femmes et des hommes qui s’engagent et risquent leur vie pour notre nation.
Ces hommes et ces femmes doivent pouvoir intégrer et gravir les échelons sans discrimination aucune. Travaillons collectivement, de façon transpartisane, à l’édification d’un modèle d’armée s’inscrivant parfaitement dans les valeurs d’égalité et de fraternité de la République, modèle de bienveillance des uns à l’égard des autres.
Plus globalement, monsieur le ministre, travaillons à l’amélioration des conditions de vie de nos militaires et de leurs familles. Cela passe aussi par la décarbonation de nos armées et la rénovation thermique de notre patrimoine, même si nous avons pu mesurer, lors des auditions, que certaines de ces préoccupations étaient prises en compte ; nous les encourageons à poursuivre ces efforts nécessaires !
Mes chers collègues, pour conclure, la mission « Défense » du projet de loi de finances tient les engagements de la loi de programmation militaire. En cohérence avec nos positionnements écologistes, nous nous abstiendrons sur le vote de ces crédits. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce budget 2024 marque la première année de mise en œuvre de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 contre laquelle notre groupe a voté.
Ce budget augmente ainsi de 3,3 milliards d’euros, pour s’établir à 47,2 milliards d’euros, sans compter les pensions civiles et militaires, soit une hausse de plus de 7,5 %.
À l’évidence, le ministère des armées ne connaît pas la crise. (M. le ministre proteste.)
Comme vous toutes et tous ici, chers collègues, je suis profondément attachée à la sécurité de notre nation et, avec elle, de nos concitoyens ; celle-ci est pour moi non négociable.
Manquer d’ambition dans la sécurité et la protection d’un seul de nos concitoyens constituerait une erreur lourde. Que celui-ci se trouve dans l’Hexagone, aux Antilles, en Guyane, en Polynésie ou dans l’océan Indien, notre exigence en matière de sécurité doit être la même.
Par conséquent, nous reconnaissons les avancées positives en matière d’apports de nouveaux matériels, de modernisation d’équipements, de formation et de revalorisation pour nos soldats.
Cela étant, nous sommes ici dans d’autres dimensions. Le quasi-doublement du budget de la défense entre 2017 et 2030, passant de 32,3 milliards à 69 milliards d’euros, s’inscrit dans une course aux armements manifeste. Employer autant de ressources pour le surarmement inscrit notre pays dans la grande dérive militariste mondiale. Il constitue un choix éminemment dangereux pour la sécurité collective.
À cette tribune, comme à celle de l’Assemblée nationale, les parlementaires communistes restent formels : une telle logique ne fait que nourrir la guerre, elle ne la désarme pas.
Examinons ensuite la répartition des crédits entre les différents programmes : la priorité est donnée à la dissuasion nucléaire, dont les crédits de paiement sont en hausse de 13,6 %.
Je défends le maintien d’une capacité de dissuasion nucléaire défensive et de stricte suffisance comme instrument de défense et d’indépendance de la Nation. Mais il s’agit ici de tout autre chose.
Cette priorité s’inscrit dans la stratégie militaire de l’Alliance atlantique, d’opérations et de guerres projetées hors de nos frontières. Les déclarations du Président de la République, tout comme le contenu de la revue nationale stratégique (RNS), ne sont malheureusement pas de nature à nous rassurer.
Elles vont par ailleurs à l’encontre de nos engagements internationaux en faveur de la non-prolifération de l’arme nucléaire. La France a d’ailleurs elle-même réaffirmé dans une déclaration commune, en mai 2023, lors du G7 organisé à Hiroshima, « qu’une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée ». Nous gagnerions à beaucoup plus de cohérence, monsieur le ministre.
Ajoutons que cette priorité conduit à vampiriser le reste des dépenses nécessaires à la stricte défense opérationnelle de notre nation.
Plus globalement, le déploiement des crédits souffre d’un déficit de réflexion stratégique majeur. Celui-ci nous amène à des saupoudrages qui n’auront aucune efficacité. À ce titre, le cas des crédits en faveur du cyber est éloquent. Nous investissons 300 millions d’euros notamment dans la formation et le recrutement d’experts, mais ces efforts resteront vains tant que nous ne maîtriserons pas la chaîne de valeur numérique de bout en bout.
Au-delà, les moyens du plan européen pour soutenir l’industrie de semi-conducteurs sont largement insuffisants, puisqu’ils ne correspondent qu’à des subventions pour inciter des industries étrangères, pour la plupart états-uniennes, à s’installer sur le sol européen.
De plus, l’ensemble des plateformes numériques – clouds, services en ligne, réseaux, serveurs – sont détenues soit par les Gafam américains (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) soit par les BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi).
Une véritable politique de cybersécurité profitant à nos industries, notamment de défense, à nos administrations, à nos concitoyens, s’agissant de protection des données, ne peut faire l’économie d’une véritable stratégie de réindustrialisation de la France et de l’Europe sur l’ensemble de la production numérique.
Bien sûr, il s’agit de cas précis et complexes, mais l’étude des crédits en faveur de la dissuasion nucléaire et de notre politique cyber montre bien à quel point, malgré les incantations du Président de la République et de votre ministère, malgré les hausses de moyens absolument faramineuses, ce budget ne conforte ni notre souveraineté militaire ni celle de nos industries, y compris celles qui concourent à la défense.
Mme Michelle Gréaume. Nous regrettons une répartition des crédits ne confortant ni notre souveraineté ni la stricte défense du territoire, mais préférant doter de manière substantielle nos capacités de projection, le tout dans un manque criant de réflexion stratégique.
Par conséquent, nous voterons contre ce budget. (M. Bruno Sido s’exclame.)
M. le président. La parole est à M. André Guiol. (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE, RDPI et UC. – Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Rachid Temal applaudissent également.)
M. André Guiol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme toutes les missions du projet de loi de finances, le budget de la défense, doit rester la traduction en argent, et ici en l’occurrence en euros, d’une volonté politique.
J’ajouterai que cette mission doit être la traduction d’une ambition forte, puisqu’elle s’inscrit à la suite de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 (LPM 2024-2030), que nous avons adoptée en juin dernier.
J’observe avec satisfaction que la mission respecte la trajectoire prévue par la LPM, compte tenu des 3,3 milliards d’euros supplémentaires prévus pour la défense en 2024.
Soyons toutefois attentifs aux problèmes récurrents, qui peuvent altérer la sincérité budgétaire : les surcoûts opérationnels, les reports de charges et le poids de l’inflation.
Malgré cela, notre modèle d’armée est conforté. La France pourra ainsi rester fidèle au format multicapacitaire de ses armées, articulé, bien sûr, autour de sa dissuasion nucléaire, indépendante, crédible, opérationnelle et reconnue.
Cependant, précisons au préalable que, à l’avenir, notre réflexion devra porter davantage sur cette dimension multicapacitaire, qu’il sera difficile de tenir financièrement dans un monde de plus en plus conflictuel.
Ce monde sera soumis à la rapidité des évolutions technologiques – les drones, l’espace, le cyber, l’intelligence artificielle – à la diversité des types de conflits, qu’ils soient de rues, hybrides, de haute intensité, asymétriques, informationnels, et d’influence, ainsi qu’au retour des États-puissances et du réarmement.
Parallèlement, le cadre budgétaire demeurera contraint et constamment déficitaire.
Dans ces conditions, sans renoncer à notre souveraineté et sans perdre les clés de notre indépendance une mutualisation encore accrue des moyens de défense est inévitable.
Une des réponses viendra notamment de notre engagement et de notre implication au sein de l’Otan. Cependant, un point me semble inquiétant. L’hypothèse d’un retour aux affaires de Donald Trump – notre collègue Rachid Temal l’a évoquée – en 2024 conditionnera les contours de notre présence au sein de l’Organisation.
N’oublions pas que ce dernier a souhaité que l’Europe assure elle-même sa sécurité, nous plaçant ainsi dans une situation d’urgence, afin d’acquérir du matériel militaire américain pour pallier ce désengagement.
Doit-on se contenter de regarder le pilier européen de défense s’américaniser, toujours un peu plus, tout en étant financé par l’Europe ?
Cette évolution, si elle venait à se poursuivre, pourrait entamer la souveraineté européenne.
Dans ce contexte, on peut partager la demande du Président de la République de mettre en place une « économie de guerre » en renforçant notre industrie de défense.
Il faudra convaincre nos voisins et amis européens de disposer d’une complémentarité capacitaire et les assurer du bien-fondé de ces orientations, ainsi que de la nécessité de mener ensemble cette réflexion, car c’est en Européens que nous assurerons aussi notre avenir.
Revenons au projet de loi de finances pour 2024.
Cet appel au renforcement du caractère multicapacitaire de nos forces armées est illustré, par exemple, par l’abondement à hauteur de 590 millions d’euros des programmes d’équipement à effet majeur.
Toutes nos forces voient leur capacité augmenter en 2024, avec des livraisons très attendues : 13 Rafale, 12 Caesar, 21 chars Leclerc rénovés, 282 véhicules blindés Scorpion ou encore un troisième sous-marin de type Barracuda.
Parallèlement, on note un effort sur le reconditionnement de nos stocks, à hauteur de 35 %, avec 1,5 milliard d’euros de crédit de paiement, même si ce chiffre reste très en deçà des besoins en cas de conflit majeur.
Rappelons, enfin, que le groupe du RDSE a souhaité la création d’un pôle de compétence dans le domaine des grands fonds sous-marins, avec le soutien de la commission, et l’a fait inscrire dans le rapport annexé de LPM 2024-2030.
Est-il nécessaire de rappeler la nécessité d’une bonne maîtrise des grands fonds océaniques dans lesquels évoluent nos sous-marins, principaux vecteurs de notre dissuasion nucléaire, mais aussi nos drones et des robots téléopérés ? Celle-ci nous permettrait d’intervenir en toute indépendance en cas de besoin sensible.
Il est, de plus, nécessaire de mieux garantir la sécurité des câbles immergés de communication comme des lignes de transport d’énergie électrique et d’hydrocarbures, ainsi que de permettre l’exploitation ou la protection des richesses halieutiques et minérales de nos zones économiques exclusives (ZEE).
L’approche duale pratiquée au sein de ce futur pôle de compétence, dès lors qu’il sera structuré, rendra possible une meilleure synergie nationale et nous permettra de nous réapproprier toutes les compétences que l’arsenal de Toulon possédait jadis. Souvenons-nous, ainsi, de la construction des bathyscaphes et du sous-marin Nautile, capable de plonger à 6 000 mètres.
Nous pouvons regretter, cependant, que le projet de loi de finances ne traduise pas encore totalement cette volonté.
Enfin, nous saluons la création, prévue pour 2025, d’une école d’apprentis à Toulon, destinée à la formation d’électriciens ainsi que de spécialistes en cyberinformatique, qui fidélisera ainsi ses diplômés au sein de la marine.
Pour ces raisons, le groupe du RDSE votera les crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE, RDPI et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’événement que nous venons de vivre, l’attaque de la frégate française multimissions (Fremm) Languedoc par deux drones en provenance des côtes du Yémen, rappelle la nécessité de garantir notre autonomie stratégique, d’assurer nos engagements en tant que membres de l’Otan et de l’Union européenne et d’être une puissance d’équilibre, si la France veut encore compter parmi les puissances de demain.
Avec cette volonté, le Président de la République a engagé dès 2017 une politique de rupture avec ses prédécesseurs afin de mettre un terme à plusieurs décennies de diminutions de nos capacités militaires. Le Parlement, notamment le Sénat, sera particulièrement vigilant quant à l’atteinte de ces objectifs. Il y va de notre souveraineté nationale.
Après des années de budgets insuffisants, les lois de programmation militaire pour 2019-2025 et pour 2024-2030 affichent clairement leurs ambitions et représentent un effort budgétaire particulièrement important en matière de défense pour notre pays, afin que celui-ci dispose, à l’horizon de 2030, d’un modèle d’armée complet et équilibré, apte à répondre à l’ensemble des menaces protéiformes auxquelles il est confronté.
Cette nouvelle LPM marque la fin d’une ère de réparation et le début d’une ère de transformation de nos capacités de défense ; elle porte enfin les efforts de notre État dans les domaines capacitaires stratégiques comme l’innovation, la haute altitude, l’espace, les drones ou encore la défense surface-air.
La mission « Défense », dans le cadre de la LPM et sous la responsabilité du ministre des armées, regroupe quatre programmes budgétaires : le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », le programme 178 « Préparation et emploi des forces », le programme 212 « Soutien de la politique de la défense » et le programme 146 « Équipement des forces ».
Le programme 144 rassemble les crédits destinés à éclairer le ministère des armées sur l’environnement stratégique présent et futur, dans le but d’élaborer et de conduire la politique de défense de la France. Pour 2024, ses crédits s’élèvent à 1,967 milliard d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 61,4 millions d’euros par rapport à 2023.
Dans le contexte de l’élaboration de la nouvelle LPM 2024-2030, le PLF 2024 répond, lui aussi, aux problématiques d’un environnement stratégique instable et incertain, marqué par la poursuite du conflit en Ukraine, par l’intensification des combats dans la bande de Gaza, par la reconfiguration de notre dispositif en Afrique, par la compétition stratégique accrue en Indo-Pacifique et par les enjeux migratoires, environnementaux et énergétiques, en particulier la course aux terres rares.
La citation du général de Gaulle selon laquelle un grand pays « n’a pas d’amis, il n’a que des intérêts », n’a peut-être jamais été aussi exacte qu’elle l’est actuellement dans certains endroits du globe.
Ces crédits permettront notamment de poursuivre notre remontée en puissance capacitaire, notre adaptation en effectifs et en moyens et la mise en adéquation de nos services de renseignement, afin de faire face à une menace instable et inconstante.
Le programme 146 vise, quant à lui, à mettre à la disposition des armées les armements et matériels nécessaires à la réalisation de leurs missions. En 2024, il sera doté de 16,591 milliards d’euros, soit une hausse de 1,221 milliard d’euros.
Parce que passion n’est pas raison, nous devons rester vigilants quant aux propos tenus dans nos rapports au sujet de ce programme, lesquels semblent mettre en doute notre capacité à défendre le territoire national, faute de matériel lourd en quantité suffisante. Cela va quelque peu à l’encontre des débats que nous avons eus pendant l’examen de la LPM concernant les contrats opérationnels et cela revient, également, à ne pas tenir compte de notre capacité de dissuasion nucléaire et du modèle d’armée qui s’y attache.
Le programme 178 vise à satisfaire aux exigences de mise en condition et d’engagement des forces, définies par les contrats opérationnels. Ses crédits s’élèveront en 2024 à 13,577 milliards d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 525 millions d’euros par rapport à 2023.
Dans la perspective de la LPM, l’année budgétaire 2024 constitue donc une première marche vers un modèle rénové pour les armées françaises, au service d’une France souveraine qui défend son autonomie stratégique. Cette ambition conduit à une transformation nécessaire à la supériorité opérationnelle des armées, afin d’anticiper au mieux les sauts technologiques.
Le programme 212 finance, enfin, les politiques transverses du ministère : transformation numérique, politique immobilière et d’aménagement du territoire, politique environnementale et politique culturelle, reconversion des militaires, logement familial, action sociale. Il sera doté de 24,641 milliards d’euros en 2024, ce qui représente une progression de 865 millions d’euros par rapport à 2023.
La LPM 2024-2030 constitue donc une vraie réforme : elle prévoit une couverture de 413 milliards d’euros de besoins physico-financiers pour les sept prochaines années pour les armées, qui nous protègent, qui servent notre liberté et qui défendent notre place dans le monde.
Le budget de la défense augmentera de 3,3 milliards d’euros en 2024-2025, de 3,2 milliards d’euros en 2026-2027 et enfin de 3,5 milliards d’euros par an entre 2028 et 2030. Ces chiffres sont clairs et précis.
Le budget pour 2024 atteint donc la somme de 47,24 milliards d’euros. Il nous faut saluer ce progrès, fruit d’une volonté forte du Gouvernement, mais aussi de demandes répétées de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
Je salue son travail acharné et sa pugnacité, sous la conduite de son président ; ils permettront aux armées de s’adapter à un contexte international stratégique dégradé et incertain, avec pour priorité l’investissement dans l’équipement des forces, l’espace, le renseignement, le cyber, l’entretien des matériels, en particulier le maintien en conditions opérationnelles des aéronefs.
Cet effort débouchera aussi sur la mise en œuvre d’un régime d’apprentissage militaire qui permettra aux armées d’élargir et de sécuriser leurs dispositifs de recrutement, en particulier dans les secteurs fortement concurrencés par le domaine privé.
Ainsi, dans un contexte de rupture technologique, de réarmement et de contestation explicite des principes du droit international, la LPM 2024-2030 porte l’ambition d’un modèle rénové et agile pour nos armées. Véritable projet politique et militaire de transformation, cette loi est au service d’une France souveraine qui défend son autonomie stratégique. (Mme Nicole Duranton et M. André Guiol applaudissent.)