M. le président. La parole est à M. Thierry Meignen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Thierry Meignen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec la fin de la guerre froide, le monde a connu durant une trentaine d’années une parenthèse géopolitique. Au cours de cette période, le relatif apaisement de l’ordre international, assis sur le primat américain, mais aussi sur une certaine prévalence du droit, du multilatéralisme et du commerce, a pu donner à certains l’illusion d’une marche continue vers la paix et la stabilité.
L’invasion de l’Ukraine fut une brutale prise de conscience pour l’Europe et la France, le révélateur d’une nouvelle ère placée sous le signe de l’incertitude, de la polarisation et de la confrontation. Dans celle-ci, les impérialismes se réveillent et les puissances régionales s’affirment. Les recours à la force se multiplient et accélèrent l’effacement, la marginalisation des enceintes internationales. En toile de fond, certains régimes autoritaires tentent de ressusciter à leur profit une logique de blocs destinée à saper l’influence occidentale.
Néanmoins, en cherchant à provoquer un divorce entre ce qu’elles appellent l’Occident collectif et le Sud global, c’est en fait une nouvelle fragmentation du monde que ces puissances font le choix d’attiser. Et c’est dans cet inquiétant climat global que, en Arménie, au Proche-Orient ou en République démocratique du Congo, des conflits naissent ou se réactivent ; que, au Sahel ou en Ukraine, certains s’enlisent ; que, en mer de Chine méridionale, dans le détroit de Taïwan ou dans le golfe de Guinée, d’autres semblent en gestation.
Cette nouvelle donne a incité les Européens à réinvestir d’urgence l’outil militaire qu’ils avaient délaissé. C’est bien sûr fondamental, mais ce n’est pas suffisant. Car s’il est indispensable de se préparer à l’éventualité de la guerre, il est tout aussi nécessaire de se donner les moyens d’en éloigner le spectre.
En d’autres termes, il est évident que, dans le monde tel qu’il se dessine, la diplomatie sera essentielle. Elle le sera d’autant plus pour un pays comme le nôtre, qui jouit d’un statut international particulier et qui entend jouer dans le monde un rôle singulier. Or, depuis plusieurs années, son influence décroît sur la scène internationale. À présent, c’est son image qui est battue en brèche, et pas seulement sur le continent africain.
Aussi, pour tenir son rang de puissance et continuer à peser sur le cours du monde, pour rester en mesure d’y défendre ses intérêts comme ses valeurs, la France aura besoin d’une diplomatie forte.
Soulignons aussi que nos diplomates – je veux ici leur rendre un hommage particulier – jouent un rôle crucial lorsque, dans des situations de crise, nos compatriotes établis à l’étranger sont menacés.
Que ce soit en Afghanistan, en Ukraine, au Soudan, au Niger ou au Proche-Orient, ils ont tenu ces dernières années, aux côtés de nos militaires, une place centrale dans les remarquables opérations d’évacuation qui ont permis la mise en sécurité de nos ressortissants. Ils méritent donc des moyens à la hauteur de la tâche qui leur incombe.
Or la somnolence stratégique qui a frappé les États européens ces dernières décennies s’est aussi accompagnée d’une certaine forme d’indolence diplomatique. Cette tendance a été particulièrement marquée dans notre pays. Car, s’il conserve l’un des réseaux diplomatiques les plus étoffés et les plus compétents au monde, n’oublions pas que, en trente ans, le budget du ministère des affaires étrangères a régressé de manière constante et que ses effectifs ont été réduits de moitié.
Après ces années de profonde érosion, la tendance semble désormais s’inverser. Ainsi, après avoir progressé de 160 millions d’euros en 2023, les crédits de la mission « Action extérieure de l’État » connaîtront une nouvelle hausse substantielle de 9 % en 2024. Quant aux effectifs du Quai d’Orsay, ils bénéficieront de 165 nouveaux ETP, après la création nette de 106 postes décidée l’année dernière.
Bien sûr, nous n’en sommes pas encore au réarmement de notre diplomatie annoncé par le Président de la République. Cela prendra du temps et dépendra aussi de notre action globale sur nos finances publiques, dont l’état déplorable ne permet pas de dégager des marges de manœuvre budgétaires au niveau que nous souhaiterions.
En outre, notre capacité à renouveler et à renforcer notre politique étrangère ne sera pas seulement fonction de nouveaux moyens. Elle découlera aussi de la manière dont ceux-ci seront employés.
Or, la plupart des lignes budgétaires de la mission augmentant dans des proportions relativement homogènes, les priorités politiques qui se dégagent de ce projet de loi de finances restent difficiles à cerner. Quant à l’affectation des ressources additionnelles, financières ou humaines, elle reste parfois assez obscure.
Naturellement, je salue certains des axes mis en avant lors de la présentation du budget pour 2024. Je pense par exemple aux moyens supplémentaires destinés à notre réseau consulaire, qui a tant souffert au cours des dernières années. Je pense également au renforcement des capacités d’analyse et de communication, en particulier dans nos postes en Afrique et dans l’Indo-Pacifique.
À l’heure de la lutte informationnelle et de la montée du sentiment antifrançais en Afrique, il s’agit en effet d’un levier essentiel pour restaurer et renforcer l’influence de notre pays.
Toutefois, il faut bien avouer que, budgétairement parlant, peu d’éléments ressortent de manière particulièrement saillante. Or, face à ce que nos rapporteurs spéciaux ont identifié à juste titre comme un risque de saupoudrage des moyens supplémentaires octroyés à notre diplomatie, sans doute serait-il plus efficace de concentrer nos efforts sur un nombre restreint d’objectifs clairement identifiés.
M. Vincent Delahaye. Il n’y en a pas…
M. Thierry Meignen. À cet égard, permettez-moi de souligner que c’est au même effort de clarté et de lisibilité que le chef de l’État gagnerait à s’astreindre dans l’expression de la stratégie diplomatique française.
En effet, qu’il s’agisse de la conduite de notre politique africaine ou, plus récemment, des positions exprimées sur Taïwan ou le conflit au Proche-Orient, les décisions contradictoires, les revirements et les déclarations dictées par l’improvisation du moment se sont multipliés, mettant à l’épreuve la crédibilité diplomatique de la France.
M. Hugues Saury. Bravo !
M. Thierry Meignen. Il est vrai que le métier de diplomate est complexe et qu’il est le fruit d’un long apprentissage. Or, comme le rappelait Jérôme Bonnafont, rapporteur des États généraux de la diplomatie : « La disparition des corps diplomatiques a été vécue comme la négation d’un métier dans sa spécificité. »
Malgré la tenue de ces États généraux, malgré les annonces sur les crédits supplémentaires dégagés jusqu’en 2027, ce sentiment de malaise ne s’est pas dissipé, et les craintes nées de la réforme voulue par le Président de la République n’ont pas toutes été levées.
Le rapport issu de ce large exercice de consultation contient néanmoins un certain nombre de préconisations sur l’avenir des carrières diplomatiques. On ne peut que souhaiter que leur mise en œuvre permette d’aplanir certaines difficultés et qu’elle contribue à apaiser en partie le trouble ressenti par nombre de ces grands serviteurs de l’État que sont les diplomates.
Madame la ministre, mes chers collègues, au bénéfice de ces observations, le groupe Les Républicains votera les crédits de la mission « Action extérieure de l’État ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur pour avis de la commission de la culture applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault.
M. Vincent Louault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’agression russe n’est pas terminée et la guerre ravage toujours l’Ukraine. Les perspectives de paix sont difficiles à entrevoir. L’Europe n’est pas la seule région du monde à être le théâtre de conflits armés.
Une semaine avant l’attaque du Hamas, le conseiller à la sécurité de Joe Biden déclarait que le Moyen-Orient était plus apaisé qu’au cours des deux décennies précédentes. Les événements ne lui ont pas, hélas ! donné raison. Là aussi, la paix semble s’éloigner.
Le Sahel a connu une succession de coups d’État, appuyés par la Russie, qui font craindre le pire pour la sécurité de la région.
En Asie, les États-Unis restent déterminés à contenir les velléités d’expansion chinoises, notamment autour de Taïwan. À cela s’ajoutent les tirs de missiles et les lancements de satellites de la Corée du Nord, qui continuent de perturber la zone. Le risque d’embrasement de la région est élevé.
Tout cela nous conduit à nous interroger : le regain de tensions et la course aux armements sont-ils les corollaires d’un monde multipolaire ? Si nous voulons éviter le « piège de Thucydide », le piège des postures agressives, de l’escalade et des catastrophes, il est indispensable de renforcer nos capacités de dialogue et de négociation.
Nous nous félicitons donc que le Gouvernement ait consenti cette année une hausse significative du budget consacré à l’action extérieure de l’État.
Cette hausse sera notamment employée à sécuriser nos emprises dans un monde plus instable. Nous le devons aux femmes et aux hommes qui portent la voix de la France dans les régions les plus reculées et les plus dangereuses du monde.
Depuis la réforme de la fonction publique, notre diplomatie était plongée dans l’incertitude. Les États généraux de la diplomatie qui se sont achevés au début de cette année ont permis de tracer des lignes claires.
La diplomatie est une force dans laquelle nous devons investir. Elle nous permet bien entendu de peser sur les conflits en cours, mais également d’empêcher leur déclenchement.
Au-delà de la gestion des crises, nous souhaitons que la diplomatie mette davantage en valeur l’action de la France.
Les opinions publiques de plusieurs pays du Sahel ont été la cible de campagnes de désinformation, savamment menées par la Russie, qui ont dégradé l’image de la France. La réalité de ces attaques ne doit pas nous faire oublier la nécessité de faire évoluer nos méthodes de communication. Nous devons entrer pleinement dans la modernité si nous ne voulons pas nous laisser distancer.
Mieux communiquer nous permettra aussi de mieux coopérer. La France se veut une puissance d’équilibre. Elle a pour cela besoin d’être intégrée au sein de réseaux d’alliances qui lui permettent de peser. Nos contributions à cet égard sont de véritables investissements.
Le développement de coopérations dans les domaines culturel et scientifique doit nous permettre non seulement d’entretenir nos compétences et notre attractivité en ces matières, mais aussi, plus largement, de faire rayonner la France, ses idées et ses valeurs.
L’enseignement du français est à cet égard fondamental. Il ne nous donne pas simplement une langue en partage. Il s’agit aussi d’un formidable vecteur de diffusion de notre mode de vie et de nos valeurs : la liberté, bien sûr, mais également l’égalité entre les femmes et les hommes ou encore le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Dans un monde multipolaire, la France doit pouvoir parler à tous et être capable de faire entendre sa voix.
Nous nous félicitons de la hausse du budget consacré à la diplomatie cette année, a fortiori parce que le Président de la République nous a assuré qu’elle se poursuivrait dans les années à venir.
Avec des effectifs renforcés et des moyens modernisés, notre diplomatie retrouve la place qui lui revient. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc en faveur de l’adoption de ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Laugier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Laugier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre commission a récemment conduit une mission d’information sur l’expertise patrimoniale française à l’étranger, dont nos collègues Else Joseph et Catherine Morin-Desailly étaient les rapporteures.
Son rapport d’information montre que la France non seulement dispose de formidables atouts, mais aussi jouit d’une image d’excellence à l’étranger. Elle est attendue, par ailleurs, sur toute une série de sujets.
L’action extérieure de l’État est donc loin, dans toutes ses dimensions, d’être un enjeu subalterne, en particulier lorsqu’elle promeut les valeurs de nos démocraties dans un monde toujours plus menaçant, hélas !
Pour renforcer notre diplomatie d’influence, le rapport plaide notamment pour une meilleure coordination des deux ministères concernés, la culture et les affaires étrangères.
À présent que la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts est ouverte, il faut rappeler que la francophonie, vecteur important de promotion de la diversité culturelle et linguistique et porteuse des valeurs démocratiques, reste un enjeu essentiel. Soutenons donc ses artisans.
À ce titre, comme l’a fait notre rapporteur pour avis, Claude Kern, je tiens à saluer le travail de nos réseaux de diplomatie culturelle et d’enseignement du français à l’étranger : ils s’adaptent continuellement au contexte géopolitique. Il est remarquable que, malgré les conflits, les missions se poursuivent du mieux possible en Ukraine ou au Proche-Orient, à Ramallah, à Jérusalem-Est, à Jérusalem-Ouest ou encore à Bethléem. On notera que, en Israël, l’ensemble du dispositif de l’Institut français est resté ouvert.
Bien que ses missions fussent reconnues, l’Institut français a subi une baisse drastique de ses crédits – jusqu’à 50 % ! – sous le quinquennat de François Hollande, avant de voir son budget stagner à partir de 2017. Il suffit de se déplacer à l’étranger, en Europe particulièrement, pour constater combien ce réseau est fragilisé.
La hausse des crédits pour l’année 2024 était donc plus que nécessaire pour inverser la tendance, même si, selon une analyse que je partage avec M. le rapporteur, nous sommes encore loin du compte.
Les besoins demeurent importants également pour nos lycées français, qui font face à la concurrence internationale. En la matière, on soulignera que les objectifs fixés par le Président de la République sont loin d’être atteints. Aussi conviendra-t-il d’accentuer la hausse des crédits dans les années à venir.
Telles sont les quelques remarques que je souhaitais formuler, dans le temps trop court qui m’est imparti. Tout en soulignant le chemin qui reste à parcourir, notre groupe, comme l’a déjà dit Olivier Cadic, votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Duffourg applaudit également.)
Mme Marta de Cidrac. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’état du monde est préoccupant. C’était vrai en 2023, ce le sera encore en 2024. Instabilités, crises, pénuries, extrémismes, les maux qui affectent la géopolitique actuelle sont nombreux et nous imposent, en tant que législateurs, de prendre des décisions.
L’une d’entre elles est bien sûr de renforcer les moyens de nos armées. L’emploi de la force n’est jamais souhaitable en soi, mais il peut se révéler, malheureusement, parfois nécessaire. Il s’agit surtout d’un extrême recours, lorsque toutes les autres solutions ont été épuisées.
Ces solutions, notre diplomatie les met en œuvre au quotidien. Elle défend les intérêts et la place de la France dans le monde, mais également la paix, la liberté et la sécurité des nations.
Par son histoire, sa langue et sa tradition, notre pays a développé, au fil des siècles, une véritable culture diplomatique. Nos différentes représentations, ambassades et consulats forment aujourd’hui le troisième réseau diplomatique du monde, après ceux des États-Unis et de la Chine. Au vu des équilibres géopolitiques instables que nous connaissons, c’est un atout, un élément majeur de notre souveraineté.
La mission que nous examinons semble soutenir budgétairement notre diplomatie. En effet, le PLF 2024 prévoit un budget en augmentation de 6 % pour la mission « Action extérieure de l’État », dont les crédits progressent en valeur de 290 millions d’euros par rapport à 2023, une fois l’inflation déduite. C’est un effort significatif que je salue, au regard des enjeux et du contexte que j’ai évoqués.
Cependant, cette augmentation doit être utilisée de façon stratégique, en fléchant les nouveaux moyens vers des zones géographiques précises et selon des priorités politiques claires et bien définies.
De même, la politique extérieure de la France n’est pas toujours d’une grande lisibilité, la récente crise au Proche-Orient nous le rappelle.
Ces moyens supplémentaires interviennent à la suite des annonces faites par le Président de la République lors des États généraux de la diplomatie, en mars dernier : il s’agit d’une augmentation du budget du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, qui est porté à 7,9 milliards d’euros d’ici à 2027, ainsi que de la création de 700 équivalents temps plein. Cet effort est certes important, mais soyons vigilants et n’oublions pas le contexte dans lequel ces promesses ont été formulées.
En effet, en juin 2022, un mouvement social d’ampleur – fait inédit – a touché le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Sans revenir en détail sur le décret qui a mis le feu aux poudres, nous devrons nous assurer que les annonces présidentielles se concrétisent et qu’elles n’ont pas été prononcées pour faire du bien à qui veut l’entendre.
Malheureusement, cela commence mal : les rapporteurs spéciaux de la commission des finances relèvent que le fléchage des crédits et des nouveaux emplois est imprécis. L’exécution de cette mission budgétaire est donc à surveiller, car elle risque de n’avoir servi qu’à apaiser temporairement les tensions sociales. Avec une pointe d’ironie, je dirai qu’un tel scénario messianique a déjà été vu par ailleurs…
Je retiens néanmoins l’intention d’un réarmement diplomatique à long terme, qui serait salutaire. Depuis trente ans, les moyens accordés à notre diplomatie ont été grandement diminués, de même que les emplois publics dans ce domaine, qui ont été réduits de moitié.
La mission que nous nous apprêtons à examiner défend notre place de puissance diplomatique mondiale, la première au sein de l’Union européenne. Cette précision est importante, car l’Union européenne ne souhaite pas rester à l’écart du sujet.
Le déclin des capacités diplomatiques de certains de nos partenaires européens a mécaniquement permis le renforcement d’une diplomatie européenne mutualisée, dotée cette année de près de 6 milliards d’euros de budget. C’est un atout sur lequel nous devons nous appuyer, sans feindre d’ignorer certaines réalités. En Européenne convaincue, je souhaite rappeler la nécessité de conserver une pleine et entière autonomie diplomatique française.
La voix de la France, qui fait valoir ses intérêts et sa vision du monde, est écoutée sur la scène internationale depuis des siècles. Cela doit continuer ainsi, en parallèle d’une diplomatie européenne qui est certes essentielle, mais qui agit dans un périmètre d’action différent.
La crise ukrainienne nous aura montré les limites d’une diplomatie à vingt-sept. Construire ensemble une Europe puissance, oui, mais sans abandonner nos spécificités nationales ! Ainsi, les Allemands n’ont pas hésité à protéger leur souveraineté et leurs intérêts vitaux, alors même que leur position allait à l’encontre de la position communautaire.
Pour conclure, la fin de la Guerre froide a pu nous faire vivre dans l’illusion d’une « fin de l’histoire », mais nous voyons bien qu’il n’en est rien. Le monde dans lequel nous vivons est multipolaire, parsemé de crises, où s’entrechoquent tous les extrémismes. Dans ce monde instable, nous devons pouvoir compter sur un réseau diplomatique efficace, ancré, expert, parlant à nos alliés, nos adversaires et nos ennemis.
C’est là le premier rempart de notre souveraineté. Tel est selon moi l’état d’esprit qui doit nous animer en examinant ces crédits de la mission « Action extérieure de l’État ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur pour avis de la commission de la culture applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)
Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de saluer la qualité de vos interventions, qui reflètent l’intérêt que porte la Haute Assemblée au ministère de l’Europe et des affaires étrangères.
L’adoption de ce budget en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ainsi qu’en commission des finances – je remercie l’une et l’autre de leur confiance –, confirme d’ailleurs cet intérêt.
Vous l’avez tous dit, et nous le savons tous : le contexte international n’a pas été aussi complexe et dangereux depuis des décennies. Nous vivons dans un monde en voie de fracturation, brutal, où les menaces globales se renforcent et où les crises s’additionnent.
Lors de la seule année écoulée, le Soudan, le Niger, Israël et Gaza nous ont ainsi rappelé combien le Quai d’Orsay était au centre de la gestion des crises à l’étranger.
En ce qui concerne l’Arménie, j’ai le plaisir de vous annoncer l’engagement de 15 millions d’euros supplémentaires en faveur de ce pays au titre de l’appui humanitaire. Cet engagement a été rendu possible par l’adoption au Sénat d’un amendement au projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023.
Mme Hélène Conway-Mouret. Très bien !
Mme Catherine Colonna, ministre. Dans ce monde, nos intérêts, politiques ou économiques, sont partout contestés. Des menaces visent nos ressortissants et nos emprises. Elles se déploient aussi dans le champ numérique ou informationnel, où nous sommes la cible d’opérations de propagande et de désinformation.
Dans cet environnement géopolitique durablement dégradé, la diplomatie est plus que jamais nécessaire. Pour faire face, nous devons la réarmer. Le budget qui vous est soumis permet précisément de poursuivre le réarmement de la mission « Action extérieure de l’État ».
En 2024, ses crédits devraient en effet atteindre 3 344 millions d’euros en crédits de paiement : une augmentation de 11 %, soit 293 millions d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2023. C’est du jamais vu, me semble-t-il, depuis 2005.
Alors que, à l’exception de cette année 2023, nos effectifs n’avaient cessé de baisser au cours des trois dernières décennies, je veux insister sur la hausse prévue dans ce projet de loi de finances. Celle-ci nous permettra de disposer de 165 ETP supplémentaires, qui s’ajouteraient aux 106 ETP déjà obtenus en 2023. La répartition de ces nouveaux effectifs concernera très majoritairement la mission « Action extérieure de l’État », prioritairement à l’étranger.
Cette croissance des effectifs, pour la seconde année consécutive et avec en outre des perspectives favorables pour les budgets 2025, 2026 et 2027, a entraîné un très net changement d’état d’esprit chez nos agents. Motivés par des perspectives de carrière plus claires, ils sont aussi plus confiants dans leur avenir. Ce n’est pas anodin, à l’heure où les crises s’accumulent, et alors que nous avons besoin de toutes nos ressources.
Une partie de ces nouveaux ETP sera consacrée à l’amélioration des méthodes et outils de travail, ainsi qu’au programme de transformation de mon ministère, que j’ai décidé en juin dernier, dans le prolongement des États généraux de la diplomatie et en application des orientations fixées par le Président de la République le 16 mars dernier.
Preuve que l’augmentation de nos effectifs n’est pas incompatible avec une gestion dynamique des ressources humaines, nous continuerons de redéployer des ambassades et services où la pression est moindre vers de nouvelles priorités géographiques ou sectorielles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, grâce aux moyens de la mission « Action extérieure de l’État », nous pourrons nous concentrer sur quatre grandes priorités.
Premièrement, nous porterons nos efforts sur les fonctions politiques.
Le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » verra ses crédits augmenter de 13 %, ce qui nous permettra de financer la nécessaire modernisation de nos outils numériques, mais aussi l’entretien et le verdissement de notre exceptionnel patrimoine immobilier. Cela va de pair avec l’universalité de notre réseau, que nous avons fait le choix, courageux, de conserver. En 2024, l’ambassade de Canberra sera ainsi la première ambassade à énergie positive de notre réseau.
Cette hausse des moyens du programme 105 permettra aussi le renforcement de services essentiels, mais parfois insuffisamment dotés – ainsi, souvent, de nos chancelleries politiques –, ou encore la consolidation de nos 25 postes de présence diplomatique (PPD).
Ces moyens nous permettront également de renforcer notre présence dans le Pacifique, avec l’ouverture d’une nouvelle ambassade aux Samoa, comme cela a été annoncé lors de la tournée du Président de la République à la fin du mois de juillet dernier.
Le programme 105 consacrera, en outre, 928 millions d’euros aux contributions internationales et aux opérations de maintien de la paix, soit une augmentation de 97 millions par rapport à 2023. C’est indispensable si nous voulons peser et agir.
Deuxièmement, nous attacherons une importance particulière à l’influence. Le programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence » verrait ses crédits croître de 8 %, pour s’établir à 721 millions d’euros.
Cette politique d’influence se structure autour de deux grands axes : d’une part, le développement d’un nouveau partenariat solidaire avec le continent africain, et, d’autre part, la consolidation de notre attractivité dans les autres zones prioritaires, particulièrement dans l’Indo-Pacifique.
Les établissements à autonomie financière, principalement les Instituts français et les instituts français de recherche à l’étranger, disposeront de 8,2 millions d’euros de plus qu’en 2023.
De même, les crédits alloués au réseau des alliances françaises, qui sont un instrument peu coûteux, mais très apprécié au service de notre rayonnement, augmenteront de 1,5 million d’euros, soit une hausse de 20 %.
Enfin, une hausse des crédits d’intervention de 24 millions d’euros permettra de renforcer notre réseau culturel et de coopération dans les zones géographiques prioritaires, le réseau ayant beaucoup souffert des coupes budgétaires répétées de ces dernières années.
Dans un contexte de compétition internationale accrue, la politique d’attractivité étudiante fera en outre l’objet d’un investissement important.
Les crédits alloués aux bourses pour les étudiants étrangers seront ainsi augmentés de 9 %, pour être portés à 70 millions d’euros, soit 6 millions d’euros de plus par rapport à 2023. Nous voulons notamment attirer les profils les plus performants et ajouter ainsi un objectif qualitatif à notre objectif chiffré d’accueillir 500 000 étudiants étrangers en 2027. Ce dernier me semble atteignable, puisque nous en avons accueilli 403 000 lors de la dernière rentrée.
Troisièmement, nous voulons renforcer notre action en matière de communication et de diplomatie publique.
L’augmentation des crédits consacrés à la communication et à la presse sera ainsi de 2,2 millions d’euros. Elle vise à accroître le rôle du ministère dans le pilotage de la communication de la France à l’étranger, ainsi que les capacités de nos ambassades dans les zones géographiques prioritaires, comme l’Afrique et l’Indo-Pacifique.
Nous souhaitons en effet doter le ministère d’une nouvelle culture de la communication stratégique, selon deux axes principaux : d’une part, la dynamisation et le renforcement de notre présence sur les réseaux sociaux et les médias pour toucher de nouveaux publics ; d’autre part, le renforcement de nos capacités de lutte contre les manipulations et le développement de nos capacités de veille sur les réseaux sociaux.
Enfin, une enveloppe de 600 000 euros est prévue au titre des jeux Olympiques et Paralympiques, afin d’activer un programme spécifique d’invitation de journalistes en vue de cet événement dont la réussite est un enjeu majeur pour notre pays.
Quatrièmement, nous continuerons d’agir en faveur des Français de l’étranger.
Le programme 151 « Français à l’étranger et affaires consulaires » bénéficiera d’une trentaine d’ETP supplémentaires en 2024 et verra ses crédits hors dépenses de personnel croître de 24 millions d’euros par rapport à 2023, soit une hausse de 17 %, pour atteindre un montant de 165 millions d’euros.
Les crédits consacrés à l’accès des élèves français au réseau scolaire de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) et à la langue française s’élèveront à un peu plus de 120 millions d’euros en 2024, soit une hausse de 14,8 millions d’euros par rapport à 2023.
Cette enveloppe permettra de financer à hauteur de 118 millions d’euros les bourses des enfants français dans le réseau de l’enseignement français à l’étranger et, ainsi, d’aider les familles à faire face à l’accroissement des frais de scolarité. De plus, 1,5 million d’euros seront alloués aux élèves en situation de handicap.
Je saisis cette occasion pour confirmer nos objectifs ambitieux pour le développement de l’enseignement français à l’étranger, au sein de l’AEFE, mais aussi au travers de partenariats. À cette fin, nous redoublerons d’efforts.
Par ailleurs, l’instauration du pass éducation langue française annoncée par le Président de la République sera financée à hauteur de 1 million d’euros. Il s’agit de permettre aux enfants de nos compatriotes scolarisés localement qui en ont besoin de se remettre à niveau.
Enfin, les crédits alloués au service public consulaire, ainsi qu’à la modernisation de l’administration consulaire, augmenteront de 2,8 millions d’euros, afin d’améliorer la qualité des services rendus aux Français de l’étranger. Je pense notamment à la poursuite du déploiement du service France Consulaire, à la mise en œuvre du vote électronique ou encore à la finalisation du registre d’état civil électronique.
Tous ces chantiers fonctionnent, me semble-t-il, à la satisfaction générale, et continuent de faire l’objet de notre attention dans le cadre des politiques prioritaires. D’ailleurs, je vous remercie de vos commentaires positifs sur France consulaire. Ce service est d’ores et déjà un succès. Il améliore l’accueil physique dans nos consulats, en libérant du temps disponible à cette fin pour nos agents.
C’est avec la même détermination que nous lutterons contre les officines que vous avez mentionnées, pour un meilleur service public accessible à tous.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les grands axes du budget qui sera consacré à la mission « Action extérieure de l’État », si votre Assemblée l’adopte. Ce budget nous permettra d’affirmer nos principes, nos intérêts et nos solidarités, dans un monde où cela est plus nécessaire que jamais.
Il contribuera à faire de la France un partenaire de confiance dans la résolution des crises internationales, mais aussi une puissance pionnière sur les enjeux globaux, tout en renforçant, évidemment, son rôle moteur de l’Europe, laquelle demeure notre meilleur levier de puissance. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)