M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. Emmanuel Capus. Sur les crédits de la mission « Travail et emploi », dont je suis rapporteur avec Ghislaine Senée, nous vous proposerons en effet de faire 1 milliard d’euros d’économies sur les 5 milliards d’euros que propose la commission des finances. Ce n’est certes pas suffisant au regard des 144 milliards d’euros de déficit public, mais c’est un début.
Notre groupe vous proposera d’autres mesures d’économie dès la première partie de ce PLF.
Il est toutefois des dépenses qui peuvent rapporter gros, monsieur le ministre, mes chers collègues. Pour répondre à la menace de déclassement économique, l’État doit se faire stratège. Il doit indiquer par des orientations claires les secteurs stratégiques dans lesquels nous devons investir massivement pour préparer notre avenir.
À cet égard, notre groupe a soutenu toutes les initiatives prises par le Gouvernement pour accélérer la réindustrialisation du pays. Nous continuerons de le faire et nous serons force de propositions en la matière.
Fidèles à la position que nous avons défendue dans le passé, nous nous interrogeons cette année encore sur le report de la suppression de la CVAE.
Monsieur le ministre, le plus difficile avait été fait, à savoir garantir aux collectivités locales une ressource pérenne et dynamique. Nous craignons que, en revenant sur le calendrier, vous ne brouilliez une stratégie qui avait le mérite de la clarté.
Au même titre que le crédit d’impôt en faveur des investissements dans l’industrie verte ou le plan d’épargne avenir climat, toutes les dépenses qui accélèrent la réindustrialisation de notre pays permettront un retour sur investissement rapide et massif. Nous améliorerons notre bilan carbone global, nous rétablirons notre balance commerciale et nous continuerons à créer de l’emploi et à innover.
Surtout, nos territoires en profiteront pleinement. Miser sur la réindustrialisation, c’est leur offrir, notamment aux plus ruraux d’entre eux, des perspectives nouvelles.
M. Bruno Belin. Elles en ont besoin !
M. Emmanuel Capus. C’est leur faire une promesse d’attractivité et de compétitivité. Là se trouve la réponse à la menace de désagrégation sociale.
Miser sur les territoires, c’est renforcer la cohésion sociale de notre pays. Pour cela, vous avez, monsieur le ministre, des alliés que vous auriez tort de négliger, car ils seront toujours au rendez-vous lorsque les solutions fonctionnent sur le terrain : il s’agit des collectivités locales.
Leur message est clair. Elles veulent des politiques frappées au coin du bon sens, ainsi qu’une relation de confiance avec l’État. Le Congrès des maires leur offre, comme chaque année, une caisse de résonance en pleine séquence budgétaire.
Aussi, l’augmentation de la dotation globale de fonctionnement, à hauteur de 220 millions d’euros, est une excellente nouvelle pour les élus locaux. Après la crise sanitaire et le pic inflationniste, une stagnation de leurs moyens aurait été malvenue.
Plusieurs autres mesures devront renforcer leur relation de confiance avec l’État. Je pense notamment à la redéfinition des zones de revitalisation rurale (ZRR), dont nous aurons l’occasion de débattre longuement, ainsi qu’à la rétrocession aux collectivités territoriales des amendes prélevées dans les zones à faibles émissions (ZFE), ou encore au renforcement du pacte de stabilité au profit des communes nouvelles.
Sur tous ces sujets, mes chers collègues, je ne doute pas que le Sénat sera force de propositions. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires aborde sereinement ce projet de loi de finances pour 2024. Il le fait muni d’une boussole dont l’orientation est très claire : un État fort sur ses missions régaliennes, qui agit en confiance avec les collectivités locales. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste souhaite aider le Gouvernement à équilibrer ce budget et lui propose pour cela de renflouer les caisses grâce à la lutte contre la fraude fiscale.
Les chiffres sont astronomiques, puisqu’il manque entre 80 milliards et 120 milliards d’euros dans les caisses de l’État. Le groupe Union Centriste a fait de ce sujet un axe fort de sa réflexion.
Je salue tout d’abord les dispositions des articles 19, 20 et 21 et ne manque pas d’éprouver une sorte de tendresse – si j’ose le dire ainsi – pour les dispositions de l’article 22 relatif aux prix de transfert.
Durant l’examen de ce PLF, nous aurons l’occasion de vous faire des propositions non seulement en première partie, mais aussi dans le cadre de l’examen des différentes missions.
Dans son rapport de novembre 2023 sur la détection de la fraude fiscale des particuliers, la Cour des comptes écrit que « de manière regrettable et persistante, la France ne dispose à ce jour d’aucune estimation statistique de la fraude fiscale ». J’ajouterai que cette absence d’outil d’évaluation est anormale.
Certes, sur l’excellente initiative de Gabriel Attal, vous avez réuni un groupe de travail sur le sujet, mais il n’existe toujours pas d’instance permanente pour cette évaluation. Et pendant ce temps, les voleurs courent toujours.
Monsieur le ministre, chacun sait pourtant qu’un fraudeur heureux est un fraudeur qui revient.
Le document de politique transversale (DPT) qui nous a été remis, autrement appelé « orange budgétaire », ne remplit pas intégralement son rôle. Par exemple, l’explication des crédits du programme 156 reste insuffisante.
De plus, le document ne mentionne pas les différents acteurs et services qui concourent à la lutte contre l’évasion fiscale en étant financés par d’autres programmes, alors que cela correspond précisément à la fonction technique qui lui revient.
Il omet, par exemple, de citer le service Tracfin, qui dépend du programme 218, « Conduite et pilotage des politiques économiques et financières », ou encore la brigade nationale de la répression de la délinquance fiscale (BNRDF) qui relève du programme 176, « Police nationale » de la mission « Sécurités ». Le budget du parquet national financier (PNF) qui est porté par le programme 166, « Justice judiciaire » de la mission « Justice » ne figure pas non plus dans le DPT.
Il est important de pouvoir disposer d’un document de politique transversale, mais s’il est incomplet, cela rend sa consultation peu opérante.
J’en viens à présent à deux sujets de fond. Premièrement, on estime que, entre 2000 et 2020, le montant de la fraude à l’arbitrage des dividendes représentait 150 milliards d’euros à l’échelle mondiale et 33 milliards d’euros à l’échelle nationale.
Le groupe Union Centriste vous proposera un amendement qui, même s’il a été rejeté à plusieurs reprises au cours des années précédentes, n’en reste pas moins nécessaire. J’espère que la vague de perquisitions lancée par le PNF au printemps dernier, dans le cadre du scandale dit « CumCum », vous motivera. Gabriel Attal, qui exerçait précédemment vos fonctions, monsieur le ministre, annonçait des redressements à hauteur de 2,5 milliards d’euros.
Deuxièmement, nous devons mener une lutte en bonne et due forme contre la délinquance financière et les paradis fiscaux, ainsi qu’un travail de fond sur les conventions fiscales internationales.
En la matière, tout scandale est suivi d’une annonce. Ainsi, Nicolas Sarkozy de lancer à Deauville : « Les paradis fiscaux, c’est fini ! ». Force est de constater qu’ils ne se sont jamais aussi bien portés.
Preuve en est, la Suisse, malgré ses promesses, mais aussi le Luxembourg et les ports francs aux portes de l’Europe et en Europe, le Liechtenstein, Jersey, ou bien encore nos amis de Dubaï, qui brassent des milliards en roubles ou en euros : aucun de ces États ne figure sur la liste noire des juridictions fiscales non coopératives établie par l’Union européenne.
Quant à la liste grise de celles qui font l’objet d’un suivi attentif par l’Union européenne, elle n’est guère plus satisfaisante : on y retrouve des pays amis comme l’Arménie et Israël, mais Dubaï n’apparaît nulle part, non plus que la Grande-Bretagne post-Brexit.
Monsieur le ministre, les règles qui permettent de sortir de la liste des territoires non coopératifs n’ont rien de sérieux. Il suffit de signer une convention et peu importe qu’elle soit suivie d’actes ou pas. Dans un autre domaine, chacun s’accorde à dire : « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. » Il faudrait appliquer le même raisonnement en matière de coopération fiscale.
Laissez-moi vous donner un exemple. L’oligarque, que nous appellerons M. T., s’est acheté un Falcon 2000 pour 28 millions de dollars – une paille ! Il l’a revendu pour acheter un Falcon 900 LX à 38 millions de dollars – une paille ! Puis, il a fini par acheter un Falcon 7X pour 48 millions de dollars – toujours une paille ! Ces appareils, produits par Dassault, ont été livrés à l’aéroport du Bourget sans que M. T. paie la moindre TVA, ces achats ayant été effectués par des sociétés-écrans enregistrées dans l’île de Man.
M. Éric Bocquet. Bravo !
Mme Nathalie Goulet. En achetant ces avions, M. T. a fraudé la TVA à hauteur de 18,5 millions d’euros, ce qui représente beaucoup d’argent.
M. Michel Canévet. C’est énormément d’argent !
Mme Nathalie Goulet. La prolifération des jets privés est synonyme de fraude fiscale. Il en est de même pour les yachts, grâce au fameux procédé dit « leasing maltais », et tout cela a lieu au nez à la barbe des contribuables européens.
Saisissons-nous régulièrement de ces sujets pour en débattre au lieu de nous contenter d’avaliser sans pouvoir les amender les conventions fiscales dont l’entrée en vigueur est soumise à notre autorisation.
Par exemple, en octobre dernier, nous avons examiné le projet de loi autorisant l’approbation de conventions fiscales avec le Danemark et la Grèce. Or, Éric Bocquet a fort bien démontré que, en dépit de leur apparence anodine, ces conventions ouvraient, en réalité, des avantages nombreux pour les plus gros acteurs du trafic maritime.
Monsieur le ministre, j’aurais encore beaucoup à vous dire, notamment sur les conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP), qui constituent un dispositif insupportable.
J’aurais aussi mille questions à vous poser sur les enquêteurs européens, sur la formation de l’Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux, sur la création d’une mission budgétaire sur la fraude et l’évasion fiscales, ainsi que sur l’installation d’un ministre – ou plutôt d’une ministre – chargé de la lutte contre les fraudes aux finances publiques. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, GEST, SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, je dirai quelques mots sur le contexte politique, encore une fois très particulier, dans lequel nous examinons ce projet de loi de finances pour 2024.
C’est après un énième recours du Gouvernement au 49.3, intervenu très tôt dans le cours des débats à l’Assemblée nationale, que le projet de loi de finances pour 2024 nous parvient. Le texte fera donc ici l’objet de son premier véritable examen démocratique dans une chambre parlementaire.
Nous nous apprêtons à travailler pendant trois semaines sur ce texte, à faire des propositions et à confronter nos visions de l’avenir non seulement de nos finances publiques, mais aussi de notre pays.
Toutefois, personne n’est dupe. Le Gouvernement, incapable de construire un compromis autour de sa vision budgétaire, fera une nouvelle fois usage du 49.3 à l’Assemblée nationale, balayant au passage les fruits de notre travail. L’esprit Shadok n’est pas mort et ainsi va le débat parlementaire dans notre pays.
Une formule suffit à résumer le mot d’ordre du Gouvernement : « À l’Assemblée nationale, taisez-vous ; au Sénat, cause toujours ! »
Pourtant, les débats qui commencent aujourd’hui sont cruciaux. Les crises auxquelles notre pays doit faire face se nourrissent les unes des autres, qu’elles soient de nature écologique, sociale ou institutionnelle. Monsieur le ministre, vos œillères et votre dogmatisme budgétaire les renforcent et fragilisent notre contrat social, faisant le lit des profiteurs de haines et entretenant l’anxiété face à l’avenir.
Oui, ce projet de budget traduit une insouciance, notamment sur la question climatique, alors même que notre pays est durement frappé par le chaos des phénomènes climatiques. Dans le Pas-de-Calais, la décrue des cours d’eau est à peine amorcée, laissant tout juste entrevoir un retour à la normale lointain, après plus de deux semaines de crues historiques, et nous peinons encore à mesurer les conséquences financières de la catastrophe. Certaines familles ont tout perdu et ne savent pas si elles seront indemnisées. Certains agriculteurs voient leur exploitation et leurs récoltes menacées ou détruites. Certaines entreprises ont dû fermer, leur outil productif ayant été réduit à néant.
Cette catastrophe s’inscrit dans un contexte d’accélération des phénomènes climatiques extrêmes. Or ce sont les populations les plus précaires et ceux qui, parmi les Français, sont les moins responsables des émissions de gaz à effet de serre, qui sont le plus durement frappés par ces catastrophes, qui n’ont rien de naturelles. Ce qui se passe en ce moment concrétise parfaitement ce que les économistes et les experts du climat disent depuis plus de vingt ans : « Plus nous tardons à engager des changements, plus les coûts exploseront. »
Par conséquent, nous devons, en responsabilité, inscrire l’avenir de notre pays, donc son budget, dans une double obligation. D’une part, il faut engager notre économie dans le virage de la décarbonation et de la sobriété, conformément aux engagements de la France en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. D’autre part, nous devons adapter la France, son outil productif, son modèle agricole, ses villes et ses villages pour faire face à l’accélération des catastrophes et au nouveau régime climatique dans lequel nous entrons.
Le mur d’investissement qui découle de cette double obligation, non seulement pour l’État, mais aussi pour les collectivités territoriales, est colossal.
Le rapport que Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz ont rendu à la Première ministre a le mérite de poser les ordres de grandeur. Pour amorcer la transition de notre pays dans le respect de nos engagements, « l’ensemble des investissements supplémentaires, tous secteurs confondus, s’élèverait à environ 66 milliards d’euros par an à l’horizon 2030, soit 2,3 points de PIB ».
Pour ce qui est de la part publique de ces investissements, les auteurs du rapport préconisent de « recourir pour partie à l’emprunt et à une taxation provisoire des plus hauts patrimoines financiers ».
Le ministre Le Maire a balayé ces deux propositions et l’ensemble de ce rapport dans un geste d’insouciance climatique qui frise le déni. Concentré sur un retour à la normale de la rigueur budgétaire, il est resté sourd à ces suggestions, fragilisant une nouvelle fois la parole de la France sur la scène de la diplomatie climatique, mais aussi notre contrat social, qui fait peser l’effort sur les plus fragiles, quand les plus gros pollueurs sont préservés.
Le besoin de recettes nouvelles et celui de repenser la répartition de l’effort entre les plus gros pollueurs et ceux qui n’en ont pas les moyens reste l’impensé majeur de ce projet de budget.
La crise sociale à laquelle doit faire face notre pays reste forte. L’inflation se maintient à un niveau élevé, avec un taux proche de 5 %. Le Gouvernement table sur une baisse de ce taux à 2,6 %, l’année prochaine, tout en reconnaissant que ce scénario est incertain et que les aléas sont élevés. Dans le même temps, l’évolution des salaires reste en moyenne inférieure à l’inflation, ce qui signifie que les Français s’appauvrissent.
Mais, là encore, la tendance n’est pas homogène et votre dogmatisme budgétaire accélère la dynamique qui oppose les grands gagnants aux grands perdants.
En effet, durant les dernières années, le Gouvernement s’est attaqué avec constance à nos amortisseurs sociaux. Les minima sociaux sont stables ou augmentent trop peu, vos mauvais coups contre l’assurance chômage ou les retraites se poursuivent, l’État a abandonné la lutte contre l’extrême pauvreté et le résultat est dramatique.
De nombreux étudiants ne mangent pas à leur faim. Des milliers de personnes, dont des enfants, dorment toujours dans la rue, malgré les promesses qu’on leur avait faites. Même les foyers des classes moyennes sont fragilisés par votre refus de lutter de manière affirmée contre l’inflation, notamment des prix alimentaires.
Pour faire face aux conséquences sociales de votre politique économique, nos collectivités locales, notamment les communes et les départements, sont au front pour tenir tous les bouts d’une société qui se tend et se fracture.
Certes, la dotation globale de fonctionnement augmente de 0,8 %, mais alors que le taux d’inflation est de 5 % et que les missions des collectivités sont toujours plus variées et complexes, le compte n’y est pas.
Nous sommes à un moment charnière de notre histoire et ce projet de loi de finances pour 2024 devrait pouvoir enfin mettre en œuvre un changement de paradigme. Disons-le clairement, nous en sommes très loin. Avec ce Gouvernement, année après année, le processus reste le même : un discours volontariste, des annonces chocs, une bonne dose d’autosatisfaction – nous avons encore pu le constater aujourd’hui – et, pour finir, une traduction budgétaire décevante et des résultats en dessous de nos obligations.
Pourtant, au-delà d’une obligation de moyens, la situation exige une obligation de résultat. Or ils ne sont pas là. La faute en revient à un dogme, une loi d’airain pour ce Gouvernement : toujours moins d’impôts pour les plus aisés, quel que soit le résultat, et pas de dette supplémentaire.
Cette idéologie est profondément incompatible avec le respect de nos engagements climatiques, la préservation de notre modèle social et la mobilisation des leviers institutionnels pour y parvenir.
Monsieur le ministre, vous vous refusez obstinément à trouver de nouvelles recettes. Pourtant, les sources de financement ou d’économies sont là. Ainsi, les entreprises reçoivent plus de 150 milliards d’euros d’aides directes ou indirectes, souvent de manière non conditionnelle. En outre, le patrimoine des Français ultrariches ne cesse de s’accumuler et de se concentrer, année après année, entretenu par vos réformes.
Que reste-t-il donc à un Gouvernement qui refuse de se donner les moyens d’agir, sinon de l’austérité, du saupoudrage et beaucoup de communication ?
Vous l’aurez compris, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires regrette votre manque d’ambition et vous proposera un ensemble cohérent d’amendements pour un projet de loi de finances réaliste au regard des enjeux de notre époque. Il le fera sur les trois volets que j’ai mentionnés, écologique, social et institutionnel.
Tout d’abord, sur le volet écologique, nous vous proposerons de supprimer un certain nombre de niches fiscales anti-écologiques ou de procéder à un rééquilibrage fiscal entre les comportements ultra-polluants et ceux qui sont plus vertueux.
Ainsi, nous vous proposerons de renforcer les capacités d’investir des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) dans l’ensemble de nos territoires et pas uniquement en Île-de-France.
Nous souhaitons muscler considérablement le crédit d’impôt en faveur de l’industrie verte pour qu’il remplisse ses objectifs.
En matière de rénovation énergétique, nous adapterons les moyens à l’ampleur des enjeux, non seulement pour le patrimoine immobilier de l’État et des collectivités territoriales, mais aussi pour le dispositif MaPrimeRenov’.
Ensuite, sur le volet social, nous favoriserons l’égalité et la solidarité, en privilégiant la redistribution. Les mesures ne manquent pas, qu’il s’agisse de l’ISF climatique, de la contribution sur les hauts revenus et sur le patrimoine ou de l’élargissement de la taxe sur les transactions financières, pour rééquilibrer les inégalités et développer des politiques transversales ambitieuses ayant pour objectif un changement de modèle.
Nous proposerons un panel de mesures en faveur du logement, principale source de préoccupation financière pour des millions de Français. Il s’agira de lutter contre l’habitat indigne, de prévoir la taxation des compléments de loyer et de mettre en œuvre des mesures structurantes en faveur de la construction de logements sociaux.
Enfin, sur le volet institutionnel, nous renforcerons la République des territoires, c’est-à-dire que nous donnerons aux collectivités territoriales les moyens et la possibilité d’agir. Pour cela, il faudra préserver leurs finances et les doter d’une fiscalité orientée vers la transition écologique.
Nous proposerons ainsi de revaloriser la DGF, de compenser réellement la hausse du point d’indice des fonctionnaires ou encore d’adapter la dotation aux départements pour qu’ils puissent revaloriser le revenu de solidarité active (RSA) et faire face au ralentissement des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).
La situation est urgente. Nous le savons, les collectivités territoriales sont souvent l’échelon charnière pour agir face aux catastrophes climatiques dues à l’activité humaine. Les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) doivent, dès à présent, voir leurs ressources fortement augmenter, puisque la sécurité civile sera en première ligne face aux conséquences de notre inaction collective.
Pour conclure, vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous abordons l’examen de ce projet de loi de finances de manière extrêmement critique. Nous restons toutefois convaincus que cet exercice budgétaire peut et doit être l’occasion de tracer les contours d’un avenir souhaitable et atteignable.
L’époque ne demande rien de moins que des mesures exceptionnelles. À quelques jours de l’ouverture de la COP28, le secrétaire général de l’ONU a été clair : « Les dirigeants doivent redoubler d’efforts de façon spectaculaire, avec des ambitions records, des actions records, et des réductions des émissions records. » Faisons de ce PLF celui de l’ambition climatique record. Il est encore temps ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ou plutôt devrais-je m’adresser au seul ministre Cazenave en le félicitant d’avoir respecté son périmètre de responsabilités lors de son intervention, à savoir celui d’un ministre délégué chargé des comptes publics. En revanche, l’intervention de votre collègue Le Maire était insupportable – et ce n’est pas la première fois – car c’est un candidat permanent. Voilà qui est dit. (M. Éric Bocquet s’en amuse.)
Nous avions proposé de rejeter le budget d’un bloc. Vous décidez qu’il nous faut en débattre, dont acte. Nous y sommes prêts. Nous présentons devant le Sénat un budget d’initiative citoyenne, constitué de 200 propositions.
Mais comment appréhender la discussion d’un projet de budget non financé ? Alors que le déficit s’élève à 145 milliards d’euros et l’endettement à 280 milliards d’euros, nous atteignons des niveaux records. Il faut donc parler de dépendance aux marchés financiers.
De fait, la bulle créée par les intérêts de cette dette entraîne une fragilité de l’État. Il n’est pas seulement question de l’appréciation des agences de notation ou des injonctions de l’Union européenne, pour qui le niveau de nos dépenses ne sera jamais trop bas. Cette dernière a fixé à 2,3 % la limite pour la croissance des dépenses primaires nettes quand vous prévoyez que celle-ci atteindra 2,6 %. Dans les deux cas, l’inflation sera supérieure. Les dépenses publiques diminueront donc en volume. C’est factuel.
La Commission européenne menace d’engager contre la France une procédure pour déficit excessif. Que répondrez-vous ? Le Gouvernement continuera-t-il de discréditer l’impôt et les cotisations ? L’imperceptible croissance pourra-t-elle réduire mécaniquement les déficits ?
La crédibilité économique et financière de la France, ses principes républicains aussi, comme l’égalité, sont menacés par ces décisions budgétaires.
Pour rester un bon élève de l’Europe, la France met fin au bouclier énergétique. Celui-ci coûtant trop cher à l’État, on voudrait nous faire croire que l’énergie serait devenue bon marché. En réalité, ce n’est pas le constat que font les Français.
Dans sa déclinaison française, le bouclier énergétique a représenté un coût net de 32 milliards d’euros. Monsieur le ministre, vous avez limité la hausse des prix de l’énergie, mais vous savez bien qu’un rattrapage est en cours. Cette année, les prix ont augmenté de 15 % en février et de 10 % en août et ils devraient encore augmenter de 10 % au mois de février prochain, et ce alors que les usagers sont censés être protégés par le bouclier énergétique.
Selon votre collègue Agnès Pannier-Runacher, un tiers de la facture serait pris en charge par l’État. Toutefois, à ma connaissance, les salaires et les pensions n’augmentent pas d’autant !
Nous sommes donc face à une appropriation budgétaire par les marchés financiers et par l’Union européenne, qui reste assise sur une logique de comptabilité. Cela pèse en plus de la pratique gouvernementale d’un 49.3 solitaire sur ce budget.
Quand l’Assemblée nationale perd sa voix, c’est la démocratie qui est aphone. L’intervention citoyenne est ignorée, voire réprimée.
Monsieur le ministre, la menace d’un shutdown à l’américaine en cas de rejet du budget est un argument qui n’est ni sérieux sur le fond ni respectueux sur la forme.
L’article 47 de la Constitution est clair, qui prévoit dans son troisième alinéa : « Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance. » Permettez-moi donc de vous rappeler, si besoin en était, que la Constitution ne commence pas à l’article 49, alinéa 3.
Une partie de nos concitoyens ne mange plus à sa faim. Pour subvenir à leurs besoins primaires, ils doivent piocher dans leurs petites économies. Ils veulent se nourrir, se loger et se chauffer. La dernière étude de l’Insee montre ainsi que 500 000 personnes ont basculé dans la pauvreté, alors que celle-ci se fait plus intense et incisive.
Témoignant de cette réalité, les associations d’aide alimentaire menacent et s’indignent « de devoir trier les pauvres ».
Dans un autre registre, on a constaté, le mois dernier, une décollecte record depuis 2009 sur les livrets d’épargne réglementés, à hauteur de 4,4 milliards d’euros.
Quant aux prix de l’alimentation, ils poursuivent leur ascension vertigineuse, en augmentation de 21,3 % entre août 2021 et août 2023. Pourtant, le ministre et candidat permanent Le Maire affirme que « la crise inflationniste est derrière nous ». C’est absolument indigne !
En effet, nous savons désormais, grâce à des analyses étayées, que plus d’un tiers de la hausse des prix alimentaires provient de la dynamique des coûts salariaux, le reste s’expliquant entre autres par les marges des entreprises agroalimentaires.
Toutefois, M. Le Maire, dont chacun a pu remarquer l’absence au banc des ministres, persiste à expliquer « qu’il n’y a pas eu de profiteurs de l’inflation dans l’alimentaire ». Je vous laisse juges…
Le chômage augmente. L’illusion du plein emploi à coups de boutoir sur la démocratie sociale, sur les travailleuses et les travailleurs, porte un bilan sombre. La croissance, dont le taux augmentera de 1 % en 2023 à 1,4 % en 2024, ne permettra pas de résorber le chômage. Elle créera de l’intérim, faute de mieux, du RSA – les présidents des conseils départementaux apprécieront – et de la misère, y compris pour les retraités, car l’augmentation du montant des pensions ne suffira pas face à l’inflation.
En voulant poursuivre le démantèlement de notre modèle social, à travers notamment le dispositif de l’assurance chômage, le Gouvernement met en danger la cohésion nationale. La boussole perd donc le nord, quel que soit le cap fixé, financier, économique ou social.
Une politique de l’offre soutient non pas l’économie, mais l’accumulation primitive de capital. Nous risquons une paralysie de l’économie sous la double conjonction de l’inflation et de l’augmentation du coût de l’accès au capital. Si nous ne relançons pas la demande, donc la satisfaction des besoins, en prélevant sur la spéculation, toute politique est vaine dans un tel contexte.
Il faut reconnaître toutefois que le Gouvernement, qui subit la pression de la démocratie sociale et qui est bien forcé de constater l’impasse de ses choix politiques, a concédé quelques prélèvements sur certaines richesses. Des organismes sérieux préconisaient depuis longtemps ce type de mesures, qui correspond – vous le savez, monsieur le ministre – à une aspiration forte de nos concitoyens. Je rappelle toutefois que c’est grâce à la gauche du Parlement que vous avez pu procéder à de telles ouvertures et certainement pas grâce à l’extrême droite.
La transposition de l’accord sur l’imposition mondiale sur les multinationales est intéressante. Toutefois, monsieur le ministre, est-il bien sérieux de fixer le seuil à 15 % ? Et combien y aura-t-il d’exemptions ou de motifs de non-imposition ? Il faudra vraiment être un gros poisson pour être pris dans vos filets. Cette « révolution fiscale », comme certains la qualifiaient, s’apparente à une adaptation du moins-disant fiscal.
Nous défendrons plusieurs amendements sur l’article 4 qui viseront à donner toute sa force à cet accord historique, car si nous en restons là, c’est notre modèle de société qui risque d’être menacé.
Après de multiples tergiversations, le Gouvernement consent à taxer les concessionnaires d’autoroutes et les grands aéroports. Depuis 2004, les parlementaires communistes demandent la nationalisation de ces équipements déjà payés par le contribuable, afin d’aller chercher les bénéfices des concessionnaires, qui représentent entre 30 milliards et 35 milliards d’euros.
En réalité, votre mesure ne permettra d’en récupérer qu’une petite partie, car vous fixez un seuil de rentabilité supérieur à 10 % avant de pouvoir prélever le moindre euro. Certes, l’entreprise Vinci menace d’attaquer l’État, mais affirmons-le haut et fort : les lois qui doivent primer sont celles de la République et pas celles des grands actionnaires. À travers la représentation nationale, le peuple fait la loi sans céder au chantage.
Ce budget sera marqué par la suppression de la CVAE, certes échelonnée, mais bel et bien réelle. Toutefois, si les entreprises peuvent continuer de payer cette contribution pendant quatre ans de plus, c’est qu’il ne devait pas être si urgent de la supprimer.
Monsieur le ministre, vous nous parlez de stabilité fiscale, mais je regrette que vous n’en appliquiez pas les principes. Renoncez à cette césure entre l’activité économique et les territoires, qui sont liés par l’impôt.
En somme, il n’y a que quelques éclaircies dans un ciel bien sombre. Vous tenez le cap envers et contre tout, envers et contre tous.
Nous irons plus loin que le Gouvernement dans la lutte contre la fraude fiscale. En effet, nous proposerons d’interdire toute forme de justice négociée qui permet aux fraudeurs de s’en tirer avec une amende en lieu et place d’une condamnation pénale.
Ainsi, lorsque nous avons rencontré les représentants de l’entreprise Google pour leur présenter notre proposition, ils nous ont confirmé que l’entreprise avait pu, en toute légalité, négocier de payer 1 milliard d’euros au lieu de 8 milliards d’euros. Personne d’autre n’a droit à ce genre de faveur.
Monsieur le ministre, où sont passées les entreprises dans vos mesures contre la fraude fiscale ? Les avez-vous oubliées ? Nous défendrons la sanction d’indignité fiscale pour celles qui commettent des délits fiscaux.
Nous proposerons donc un contre-budget d’initiative citoyenne, dont le déficit sera significativement réduit. Si l’on veut faire preuve de responsabilité, il faut aller chercher les profits indus, les rachats d’actions et les versements de dividendes par milliards d’euros.
Face à la concentration des richesses, nous proposons de supprimer les niches fiscales. Le simulacre de discussion que vous avez lancé sur le sujet, pour aboutir à une économie de 1 milliard d’euros, n’aura trompé personne.
Face à la pauvreté, nous proposons de bloquer les prix. Chacun prendra ses responsabilités.
Face à la crise du logement, nous proposons la relance de la construction dans le parc social grâce au rétablissement du taux de TVA à 5,5 %. Là encore, chacun prendra ses responsabilités.
Face à la crise des services publics locaux, nous proposons de consacrer le principe de la liberté des communes dans la fixation de leur imposition. De nouveau, chacun prendra ses responsabilités.
Notre budget d’initiative citoyenne est juste socialement et réalisable. Les 200 propositions qui le composent sont le réceptacle du travail que les députés ont réalisé, même s’ils ont été empêchés par le 49.3. Elles font aussi écho aux alertes qu’a lancées l’opinion publique au cours des derniers mois.
Donner la parole à la Nation tout entière, voilà ce que nous proposerons dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)