Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, sur l’article.
Mme Audrey Linkenheld. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons continuer à débattre de la langue française, puisque l’article 1er conditionne l’obtention de la carte de séjour pluriannuelle, non plus au suivi d’une formation linguistique, mais, selon le souhait du Gouvernement, à un niveau de langue attesté par un examen, auquel les rapporteurs ont ajouté un niveau de connaissance de l’histoire et de la culture françaises.
En actant le passage de l’obligation de moyens à laquelle sont actuellement soumis les demandeurs d’un titre de séjour à une obligation de résultat, nous craignons que cet article ne contribue à supprimer un facteur d’intégration au bénéfice d’un facteur d’exclusion et d’éloignement.
Nous sommes nous aussi très attachés à la langue française et aux valeurs de la République, et nous souhaitons évidemment que les demandeurs d’un titre de séjour le soient également. Mais nous craignons que cet article ne fasse peser sur le demandeur des obligations sans avoir la certitude que nous lui donnons bien les moyens d’y satisfaire.
Telle est la raison pour laquelle mon collègue Mickaël Vallet défendait à l’instant la demande d’un rapport évaluant la politique française en matière d’aide linguistique.
La réponse ne peut être exclusivement financière et, partant, renvoyée au projet de loi de finances. Il nous faut évaluer les dispositifs, pour savoir lesquels fonctionnent et lesquels ne fonctionnent pas, mais aussi identifier les structures d’enseignement linguistique qui sont réellement utiles et qui sont à la disposition des demandeurs d’un titre de séjour.
En l’absence de ces éléments, nous craignons, je le répète, que l’article 1er ne devienne un facteur d’exclusion et d’éloignement supplémentaire.
J’ajoute que le fait que le niveau de langue demandé par le Gouvernement soit fixé par décret nous inquiète particulièrement, car ce qui est fixé par décret peut être aisément modifié.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Je tiens à souligner l’importance de l’article 1er, le premier article d’origine gouvernementale que nous examinons.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il était temps !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne suis pas membre de la commission des lois, madame de La Gontrie !
Cet article prévoit en effet de passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultat, de sorte que les personnes qui prétendent obtenir un titre de long séjour sur le territoire national devront non seulement prendre des cours de français, mais aussi passer un examen de français, dont la réussite conditionnera l’obtention d’un titre de séjour pluriannuel.
Vous avez exprimé vos craintes, madame la sénatrice Linkenheld, et, d’une certaine manière, je ne puis qu’abonder dans votre sens, puisque, depuis que le même dispositif a été instauré pour les naturalisations, celui-ci étant renforcé par un entretien dit d’assimilation, nous observons une baisse de l’ordre de 30 % du nombre des naturalisations.
Cet article emportera donc sans doute un effet de restriction d’accès au territoire national, ce qui est cohérent avec le souhait du Gouvernement de ne pas accorder de titre de long séjour à des personnes qui n’ont pas un niveau de français suffisant.
Par ailleurs, vous m’avez interrogé sur le niveau de français qui sera exigé, sur les dispositifs comparables dans d’autres pays européens et sur le nombre de personnes concernées par ce dispositif, madame la sénatrice.
Environ 70 000 personnes sont concernées aujourd’hui – il s’agit d’un flux –, auxquelles s’ajoute un « stock » de 300 000 personnes, qui devront demander le renouvellement de leur titre de long séjour. La représentation nationale doit donc se prononcer sur un dispositif dont la portée est bien supérieure à celle du regroupement familial, qui ne concerne que 13 000 à 14 000 personnes.
Pour ce qui concerne les autres pays européens, sachez, madame la sénatrice, que nous faisons plutôt figure d’exception en Europe, puisque l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, Chypre, l’Italie, la Lituanie, le Portugal, la Croatie et l’Estonie notamment, conditionnent depuis longtemps leur droit de séjour, dès deux, trois ou cinq années de résidence, à la réussite d’un examen de langue de niveau A2 à B1.
Nous pouvons bien sûr discuter de la fixation du niveau de langue demandé, madame la sénatrice, mais celle-ci ne me paraît pas relever du domaine de la loi. Je souhaite pour ma part que ce niveau soit le plus élevé possible, sachant que tout niveau de langue qui pourra être exigé d’un étranger sera nécessairement assez bas.
J’en viens à l’accès aux cours de langues. Le Gouvernement s’est efforcé d’être cohérent, en prévoyant notamment à l’article 2, qui, hélas, a été supprimé par la commission des lois du Sénat, que les étrangers aient la possibilité de prendre des cours de français pendant leur temps de travail.
Je rappelle par ailleurs que les crédits alloués à l’intégration ont augmenté de 25 % et que nous avons prévu des moyens importants pour améliorer l’accès des associations et des préfectures à ces cours de français.
L’exigence de résultat qui conditionne l’obtention d’un titre de séjour pluriannuel est donc assortie des moyens nécessaires à la réussite de l’examen par les personnes concernées.
Je tiens à souligner que 60 % des personnes concernées sont des femmes, car, contrairement à une idée répandue, elles constituent le contingent d’immigration de travail le plus important.
L’une des difficultés majeures d’intégration que nous connaissons est précisément la situation de ces femmes qui, n’accédant pas à notre langue et à notre culture, subissent un enfermement d’autant moins acceptable qu’elles aspirent à jouir en France de la liberté dont elles étaient privées dans leur pays et qu’elles sont contraintes à une forme de communautarisation.
Je le rappelle, si la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, dite loi Sarkozy, conditionnait l’octroi d’un titre de séjour de dix ans à une connaissance suffisante du français, elle ne prévoyait pas d’examen permettant de sanctionner le niveau de langue des demandeurs. Il est de plus pertinent d’élargir le critère du niveau de langue aux titres de séjour d’une durée de validité plus courte que dix ans. Le Gouvernement propose donc d’appliquer ce critère à tous les titres de séjour pluriannuels.
Je le rappelle aussi, l’article 1er de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, dite loi Cazeneuve, prévoyait également des contraintes relatives au niveau de langue des étrangers en situation régulière. Ces derniers devaient ainsi justifier du niveau A1 au bout d’un an, et du niveau A2 au bout de cinq années de résidence en France.
Je rappelle enfin au groupe Les Républicains que, dans son programme présidentiel, Mme Pécresse conditionnait l’obtention d’un titre de séjour à la maîtrise du français, comme Bernard Cazeneuve l’avait lui-même imaginé lorsqu’il était Premier ministre.
J’en terminerai en précisant que la condition du niveau de langue ne s’applique ni aux étudiants, qui relèvent d’une autre disposition, dont nous débattrons ultérieurement, ni aux titulaires d’un passeport talent admis au séjour pour des raisons artistiques, sportives ou professionnelles, ni aux travailleurs saisonniers, qui ne séjournent que quelques mois sur le territoire national.
Pour s’intégrer durablement dans la République française, il faut au minimum en connaître la langue et – nous en débattrons – sans doute la culture. La quasi-intégralité de nos voisins européens en font autant ; cela me paraît de bon sens et je m’étonne que personne n’y ait pensé avant le gouvernement d’Emmanuel Macron.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 232 est présenté par Mmes de La Gontrie et Narassiguin, MM. Bourgi, Durain et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron, Mme Brossel, M. Chantrel, Mmes Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Kanner et Marie, Mmes S. Robert et Rossignol, MM. Stanzione, Temal, Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 284 rectifié est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Éric Kerrouche, pour présenter l’amendement n° 232.
M. Éric Kerrouche. « Mieux intégrer par la langue » : tel est l’intitulé du chapitre Ier, qui, avant les ajouts sénatoriaux, ouvrait ce projet de loi.
L’objectif est consensuel – vous l’avez indiqué, monsieur le ministre –, tant la langue est un outil d’intégration puissant. Il suffit de séjourner à l’étranger plus ou moins durablement pour s’en convaincre.
Cependant, ce projet de loi ne vise pas l’intégration par la langue : il utilise la langue pour opérer un tri entre les étrangers. Il s’agit du reste d’un procédé assez commun, la langue pouvant par exemple être utilisée, à l’intérieur d’un pays, pour opérer un tri électoral entre les citoyens.
L’instauration d’une obligation de résultat s’apparente à un couperet, quand l’apprentissage de la langue s’inscrit habituellement dans un parcours. Si la langue est, par exemple, un capital qui favorise l’insertion professionnelle, les immigrés l’apprennent le plus souvent en travaillant.
Le niveau exigé n’est pas neutre, puisque l’obtention d’une carte de séjour pluriannuelle, à laquelle un immigré peut prétendre au bout de douze mois de présence en France, sera conditionnée au niveau de langue qui est aujourd’hui exigé pour l’obtention d’une carte de résident, soit après quatre ans d’année de présence en France.
Le pas est tel que, selon l’étude d’impact, 15 000 à 20 000 étrangers pourraient se voir refuser une carte de séjour pluriannuelle pour ce motif.
Si d’autres pays posent le même type de conditions, ils consacrent aussi beaucoup plus de moyens budgétaires à l’apprentissage de leur langue. Or nous peinons à trouver des moyens supplémentaires alloués à cette fin dans le texte.
Enfin, monsieur le ministre, avez-vous songé au biais de sélection qu’emportera cette disposition ? Les immigrés issus des anciennes colonies françaises seront favorisés, quand une forme de diversification aurait été possible. Il me semble que cela va à l’encontre de vos objectifs.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 284 rectifié.
M. Guy Benarroche. Prenons le problème à l’envers : je me demandais à l’instant ce qui se serait passé si l’État français avait demandé à mes arrière-grands-parents de passer un examen pour s’assurer qu’ils parlaient bien notre langue, alors qu’ils ne la maîtrisaient pas correctement au moment où la France a colonisé l’Algérie.
Cela aurait été dommage, car ils ont donné naissance à des enfants qui, eux-mêmes, ont eu des enfants – entre autres, mes parents –, dont une bonne vingtaine sont devenus des instituteurs ou des institutrices ayant enseigné le français aux enfants habitant en Algérie, en particulier à ceux qui n’étaient pas de nationalité française. Cela permet d’ailleurs aujourd’hui à ces derniers de maîtriser notre langue et de pouvoir passer l’examen que vous souhaitez mettre en place sans risque d’échouer…
Plus sérieusement, pourquoi conditionner la délivrance d’une première carte de séjour à la réussite d’un examen, alors que, comme M. Kerrouche l’a souligné, ce n’est pas ce devoir de réussite qui permettra à un étranger de mieux apprendre notre langue ? À mon sens, c’est avant tout grâce à un accompagnement et une formation linguistiques de qualité que les étrangers allophones s’approprieront pleinement le français. En se soumettant à cet apprentissage, ils prouvent qu’ils souhaitent vraiment parler notre langue.
Moi-même, quand je me rends en Espagne, je souhaite parler l’espagnol ; plus généralement, quand je vais dans un pays étranger, j’espère en parler la langue. C’est la raison pour laquelle je pense que tous les étrangers qui viennent en France ont envie de parler notre langue : ce n’est pas un examen qui les incitera à la pratiquer.
En outre, ceux qui échouent à l’examen sont bien souvent ceux qui ont eu les parcours de vie les plus précaires.
M. Guy Benarroche. Dans leur pays d’origine, ils n’ont pas eu la chance de suivre de longues études. Il me semble donc injuste et discriminatoire de les sanctionner pour cette raison.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. La commission est évidemment défavorable à ces amendements de suppression, puisqu’elle a souhaité conserver, après l’avoir amendé, cet article 1er.
Permettez-moi de reprendre un propos que j’ai tenu au cours de la discussion générale : une politique migratoire consiste à déterminer qui vient, qui reste et à quelles conditions. Il est parfaitement légitime qu’un État puisse fixer les conditions dans lesquelles il accueille des étrangers sur ton territoire.
M. Max Brisson. Très bien !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Dans ce cadre, nous avons totalement souscrit à la position du Gouvernement, qui consistait à demander aux étrangers d’atteindre un certain niveau de langue pour s’intégrer.
Une telle ambition risque-t-elle d’exclure certains étrangers ? Il est probable que seront exclus ceux d’entre eux qui ne parviendront pas à atteindre ce niveau de langue, mais c’est ainsi !
Si l’article 1er est adopté et si ce projet de loi va au terme de son parcours législatif, la France décidera que les étrangers qui viennent s’installer durablement – c’est en effet une carte de séjour pluriannuelle qui sera délivrée au bout du compte s’ils réussissent l’examen –, devront maîtriser un certain niveau de langue.
Je rappelle à cet égard que, avant d’obtenir une carte de séjour pluriannuelle, un étranger bénéficie d’un titre de séjour plus court, qui lui permet effectivement de commencer à acquérir notre langue.
À l’opposé de tout ce qui se faisait jusqu’alors, l’article 1er, tel que la commission l’a amendé, prévoit que l’on exigera désormais d’un étranger la maîtrise d’un certain niveau de langue pour obtenir un titre de séjour – cette maîtrise devra être au moins égale au niveau A2. Il y a une obligation de résultat en la matière, tout comme en matière de formation civique, d’histoire et de culture, car l’enjeu pour ces étrangers est de parvenir à s’intégrer en France.
Nous avons souhaité que, comme dans bien d’autres États membres de l’Union européenne, cette maîtrise de la langue soit la plus parfaite possible, de sorte que les étrangers puissent bénéficier de la meilleure intégration possible.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Nous avions bien compris le sens de cette mesure, madame la rapporteur, mais je vous remercie tout de même de nous l’avoir réexpliquée.
Pour autant, je ne sais pas si vous mesurez bien les difficultés qui se posent. Pour avoir accompagné des étudiants dans leur apprentissage du français langue étrangère, je puis vous assurer qu’il est très compliqué d’apprendre une nouvelle langue.
M. Éric Kerrouche. En l’occurrence, le problème est moins la nécessité d’apprendre la langue – cet impératif est une évidence pour l’ensemble des parlementaires présents dans cet hémicycle –, que le niveau de français que vous avez fixé et qui paraît irréaliste.
Je vous pose de nouveau la question, madame la rapporteur : avez-vous pensé au biais de sélection que cette mesure suscitera ? Un tel dispositif favorisera structurellement une certaine immigration, celle qui est issue de nos anciennes colonies, et pourrait, à l’inverse, dissuader d’autres immigrés, pourtant qualifiés, de nous rejoindre.
D’une part, la mesure n’est pas opérante en raison du niveau de langue qu’elle définit. D’autre part, elle institue un biais de sélection qui est difficilement compréhensible. En somme, cette mesure rate sa cible !
Mme la présidente. La parole est à M. Mickaël Vallet, pour explication de vote.
M. Mickaël Vallet. Je cherche à me persuader, par cette explication de vote, dans un élan d’optimisme, que nous sommes malgré tout capables de semer des graines pour la suite des débats que nous pourrons mener dans le cadre de l’examen de textes à venir.
L’histoire des immigrés à travers le monde, quels que soient les continents et quelles que soient les époques, est toujours un peu la même. Les romans et les films sont emplis de cette histoire, notamment les romans écrits en langue française par des personnes ayant immigré en France.
Il s’agit souvent d’individus qui, parce qu’ils n’ont pu apprendre la langue et parce qu’ils n’ont pas été aidés à leur arrivée, sont marqués du sceau d’un parler hésitant jusqu’à la fin de leur vie.
Il s’agit d’une histoire partagée, quels que soient les types d’immigration : celle d’immigrés qui ont souffert toute leur enfance, toute leur jeunesse, de devoir passer leur temps à traduire les propos de leurs parents. Ils en ont eu parfois honte, ce qu’ils regrettent plus tard. De cela aussi les romans et les films sont emplis.
Tout cela pour dire que je partage totalement l’exposé que vous venez de faire, monsieur le ministre, même si, encore une fois, je pense que Mme la ministre de la culture aurait dû être parmi nous ce soir.
Je partage votre logique, parce que la connaissance de la langue du pays dans lequel on vit est ce qui délivre et ce qui permet de s’émanciper d’un milieu familial parfois un peu étroit, ainsi que – il ne faut pas l’oublier ! – de sa culture d’origine. C’est aussi ce qui permet à ces enfants-là, à ces citoyens-là, de devenir des Français particulièrement bien outillés, parce que le fait d’être bilingue ou plurilingue, dans le monde tel qu’il va, constitue vraiment un avantage exceptionnel.
En revanche, là où je ne vous suis plus, monsieur le ministre, c’est lorsque vous dites que 15 000 à 20 000 personnes n’y arriveront pas. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Nous devrions plutôt nous interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour faire en sorte que tout le monde réussisse.
Dans les préfectures, dans les départements, dans les réseaux régionaux, comment comptez-vous vous organiser pour garantir l’accès à la langue, afin de renforcer la cohésion nationale et républicaine ? C’est cette question des moyens qui se pose aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. En fait, l’ambition d’une intégration réussie est partagée par tous. Et la langue est l’un des premiers outils nécessaires à cette intégration réussie. Peu sont ceux qui le contestent.
Il reste que la rédaction même de l’article et le manque d’exceptions prévues pour en garantir l’applicabilité font que celui-ci est, nous semble-t-il, inadapté à la diversité des situations.
La Défenseure des droits, l’amie de M. Bonhomme (M. François Bonhomme sourit.), l’a rappelé : la mesure proposée par le Gouvernement ne prévoit « aucune exception liée à l’âge, à l’état de santé, au handicap ou à la particulière vulnérabilité économique », des éléments qui pourraient pourtant empêcher les étrangers de « suivre les formations requises ou d’acquérir un niveau de français suffisant ».
De plus, dans son avis, le Conseil d’État a souligné que le Gouvernement n’avait pas souhaité indiquer à ce stade, même s’il l’a spécifié depuis lors, le niveau de langue retenu, et que le fait de laisser au pouvoir réglementaire le soin d’établir ce niveau de langue paraissait problématique : cela créerait une incertitude pour les demandeurs et laisserait trop peu de marges à l’exécutif pour relever le niveau, ce qui pourrait entraîner une baisse du nombre des cartes de séjour pluriannuelles délivrées.
Enfin, la CFDT a indiqué, à juste titre, que le doublement des formations et la création de parcours de 400 et de 600 heures de formation, qui s’adressent aux personnes ayant été peu ou pas scolarisées, ont déjà permis de faire passer le taux de réussite à l’examen de niveau A1 de 66 % à 75 % en deux ans.
La question qui se pose n’est donc pas celle d’une absence de volontarisme des étrangers, mais bien celle des moyens qui leur sont alloués dès leur arrivée sur le territoire et tout au long de leur vie, lesquels permettront à chacun d’entre eux de s’intégrer en France. C’est donc avec une réelle préoccupation quant à son opérationnalité que nous nous opposons à cet article.
Qui plus est, nous nous demandons si le nombre de postes offerts à cet examen, notamment en fonction des territoires, est vraiment adapté. Qu’est-ce qui est prévu pour une personne étrangère qui n’aurait techniquement pas pu passer l’examen dans l’année ?
Pour toutes ces raisons, notre groupe demande la suppression de l’article 1er.
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.
Mme Audrey Linkenheld. Au travers de cette explication de vote, je veux redire, dans le droit fil de ce qu’ont indiqué plus particulièrement mes collègues Éric Kerrouche et Mickaël Vallet, que nous cherchons non pas à nous opposer à la définition d’un niveau de langue qu’il faudrait atteindre pour l’obtention d’une carte de séjour pluriannuelle, mais à savoir comment il serait possible d’atteindre ce niveau de langue au bout d’un an.
Comment, en l’espace d’une année, un étranger pourrait-il atteindre le niveau de langue requis aujourd’hui pour l’obtention d’une carte de résident de cinq ans ? Comment pourrait-il atteindre, en un an seulement, le niveau A2, qui, si l’on pousse la comparaison, correspond à la maîtrise de leur deuxième langue vivante atteinte par nos bacheliers ?
Je parle de bacheliers qui ont commencé à apprendre cette deuxième langue vivante dès le collège et qui ont continué à le faire au lycée plusieurs heures par semaine.
Ce n’est qu’après toutes ces années qu’ils sont parvenus à atteindre le niveau A2, ce même niveau auquel on voudrait que des personnes étrangères parviennent au bout d’un an seulement, alors qu’elles ne bénéficient évidemment pas des mêmes conditions d’apprentissage que celles qu’offre l’éducation nationale, qu’elles travaillent bien souvent en parallèle, ce qui est tant mieux, et qu’elles connaissent les difficultés que l’on a rappelées à l’instant.
Comment peut-on exiger de ces personnes qu’elles attestent en une seule année d’un tel niveau de langue ?
Comme l’ont souligné nos collègues, notre préoccupation devrait être, non pas de les exclure, de les éloigner et de les maintenir dans la précarité en ne leur offrant qu’une carte de séjour temporaire, mais, au contraire, de les accompagner dans l’apprentissage de cette très belle langue qu’est le français.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Je l’avoue, je ne pensais pas que l’idée assez simple qu’il faut, quand on est étranger, avoir pour objectif de s’intégrer susciterait tant d’oppositions de principe. (M. Mickaël Vallet s’exclame.)
M. Éric Kerrouche. Ne caricaturez pas !
M. Gérald Darmanin, ministre. Quand on devient Français, il faut s’assimiler à la République ; un étranger, lui, doit s’intégrer à la République, et il le fait par la langue. Je rappelle à ce titre que la Constitution dispose que « la langue de la République est le français » – nous devrions tous ici partager cette conviction.
Demander qu’un étranger maîtrise la langue française, afin de bénéficier d’un titre de long séjour, me semble l’une des conditions d’une intégration réussie.
Cela étant, il ne faut pas faire dire à cet article ce qu’il ne dit pas : si un étranger rate l’examen, il ne se verra certes pas délivrer de titre de long séjour, mais il aura tout de même un autre titre de séjour d’un an.
Certes, ce titre ne lui ouvrira pas le bénéfice du regroupement familial, mais c’est un fait exprès ! Nous n’allons tout de même pas faire venir la famille d’un étranger qui ne maîtrise pas notre langue, sauf si l’on veut prendre le risque de favoriser de nouveau le communautarisme, l’exclusion, voire les discriminations !
Si l’on s’engage dans cette voie, vous pouvez être sûrs que, ensuite, on assistera à de grands débats publics au cours desquels les uns et les autres se demanderont pourquoi les étrangers ne s’intègrent pas à la République. Or, si les étrangers ne s’intègrent pas, c’est tout simplement parce que, au travers de la langue, c’est non seulement la compréhension du monde qui se joue, mais aussi une certaine idée de la liberté, de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la religion et de la laïcité.
Celui qui ne maîtrise pas notre langue ne maîtrise pas nos concepts : il me semblait que, depuis François Ier, ce constat était assez clairement établi.
Si jamais un certain nombre d’étrangers ne réussissaient pas leur examen, ils ne disposeraient donc que d’un titre de séjour d’un an, ne leur permettant pas d’accéder au regroupement familial, mais ils pourraient très bien retenter leur chance l’année suivante après avoir bénéficié d’une formation.
Vous faites semblant d’avoir oublié – surtout vous, mesdames, messieurs les sénateurs du groupe socialiste –, que vous avez voté la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, dans laquelle figuraient des articles prévoyant expressis verbis l’augmentation des moyens consacrés à l’intégration, notamment en contrepartie de l’engagement des étrangers de passer un examen de français.
Je suis certain que, dans quelques jours, vous voterez les crédits de mon ministère pour 2024, puisque j’ai fini par vous convaincre d’adopter ce budget : nous prévoyons d’augmenter de 9 millions d’euros les moyens consacrés par l’Ofii, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, aux cours de français destinés aux étrangers qui passeront l’examen de langue que nous proposons de mettre en place. Il s’agit du montant exact dont nous avons besoin pour former les 70 000 personnes qui vont arriver.
Vous avez voté ce texte il y a neuf mois à peine : des moyens sans précédent ont été prévus pour intégrer les étrangers dans notre pays, et cela pour répondre à des exigences qui sont elles aussi sans précédent.
C’est d’ailleurs la même chose partout en Europe. Ainsi, en Italie, le seuil exigé pour l’obtention d’un titre de séjour, après qu’un étranger a passé deux ans sur le territoire italien, est le niveau A2.