M. Olivier Jacquin. Avant de poursuivre le processus d’ouverture à la concurrence en l’étendant au réseau de bus francilien de la RATP, nous estimons nécessaire de dresser un bilan d’étape de la mise en concurrence du réseau Optile, constitué d’environ 1 400 lignes de bus régulières et desservant 90 % des communes de moyenne et de grande couronne.
En premier lieu, les organisations syndicales représentatives du secteur ont dénoncé la dégradation sensible des conditions de travail. Les chauffeurs de bus passés sous statut privé ont souligné que celles-ci se sont détériorées et que les conditions de rémunération se sont dégradées, phénomène qui s’accentue dans le contexte actuel d’inflation. L’ouverture à la concurrence s’est donc traduite par un moins-disant social.
Cette situation particulièrement anxiogène et source de malaise social a pour conséquences la montée de l’absentéisme, l’augmentation des démissions et un turnover accru. Elle n’est évidemment pas sans conséquence sur la qualité du service rendu aux usagers.
En deuxième lieu, comme cela a été indiqué au cours de la discussion générale, certains nouveaux entrants du réseau Optile ont alerté sur les graves difficultés financières qu’ils rencontraient dans cette première phase d’ouverture à la concurrence. De plus, des interrogations existent sur la soutenabilité financière sur le moyen et sur le long terme du modèle contractuel proposé par Île-de-France Mobilités.
En troisième lieu, force est de constater que le coût financier pour Île-de-France Mobilités de cette ouverture à la concurrence est loin d’être neutre : il ne fait qu’alourdir la facture, alors même que la situation financière est dégradée. L’établissement public devra faire face à un mur d’investissements de plusieurs dizaines de milliards d’euros pour acquérir dépôts et matériel.
En quatrième lieu, ce dernier point n’étant pas des moindres, force est de souligner que, depuis cette mise en concurrence, de nombreux dysfonctionnements sont apparus, lesquels ont fortement dégradé la qualité du service de transports collectifs par bus dans de nombreux territoires de la grande couronne. Les usagers en ont été les premières victimes. Les conséquences et effets collatéraux de cette dégradation sont préjudiciables à l’ensemble de la société.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Olivier Jacquin. Le coût sociétal en matière d’externalités négatives n’est donc pas négligeable.
Pour toutes ces raisons, nous souhaitons un bilan d’étape de ce début d’ouverture à la concurrence.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Franck Dhersin, rapporteur. Avis favorable.
M. Roger Karoutchi. Il est scotché ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Clément Beaune, ministre délégué. Non que je refuse de dresser un bilan, mais c’est à l’autorité organisatrice d’indiquer comment elle gère le processus. Si le Parlement le souhaite, il peut organiser des auditions, voire réaliser lui-même des rapports.
Demander au Gouvernement de dresser un bilan de l’ouverture à la concurrence telle qu’elle a été mise en œuvre par une autorité organisatrice, qu’elle soit francilienne ou non, revient à confondre les compétences sur l’organisation même de nos transports publics, au-delà de la question qui nous préoccupe. Je pense qu’il ne faut surtout pas emprunter cette voie.
Le Gouvernement émet donc un avis extrêmement défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 20.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 4
I. – Au 1° du II de l’article L. 1241-6 du code des transports, les mots : « le 31 décembre 2024 » sont remplacés par les mots : « à une date comprise entre le 31 décembre 2024 et le 31 décembre 2026, fixée par décision de l’autorité organisatrice ».
II. – Le début du sixième alinéa du II de l’article 1er de l’ordonnance n° 59-151 du 7 janvier 1959 relative à l’organisation des transports de voyageurs en Île-de-France est ainsi rédigé : « – à une date comprise entre le 31 décembre 2024 et le 31 décembre 2026 pour les services réguliers de transport routier, fixée par décision de l’autorité organisatrice, sauf… (le reste sans changement) ; ».
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, sur l’article.
M. Ian Brossat. Au fond, cet article représente une forme d’aveu.
Monsieur le ministre, si vous étiez réellement convaincu des vertus de la mise en concurrence des bus, vous ne feriez pas le choix de repousser l’échéance initialement prévue, comme cela a été très justement indiqué précédemment.
Par ailleurs, pour vous répondre, cher Roger Karoutchi,…
M. Roger Karoutchi. Mais fichez-moi la paix !
M. Ian Brossat. … si cette idée traîne depuis quinze ans sans avoir été mise en œuvre, c’est peut-être que cette perspective n’enthousiasme strictement personne, y compris vous. (Mme Marie-Claire Carrère-Gée s’exclame.)
Par conséquent, j’ai bien compris que ce débat revenait à jouer collectivement à ce jeu de société qui s’appelle Taboo : nous n’avons le droit de parler ni de privatisation ni du fond du sujet, à savoir le choix de la mise en concurrence.
Nous l’affirmons très clairement : nous ne sommes pas favorables à la mise en concurrence, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres. En effet, le constat que font régulièrement les Français est qu’elle conduit à une dégradation du service et des conditions de travail des agents.
Contrairement à ce que j’ai entendu, cette position relève non pas de l’idéologie, mais bien de l’expérience. Pour le coup, le pragmatisme est plutôt de notre côté et non de celui des défenseurs de la mise en concurrence généralisée, sur tous les sujets, en permanence et contre le bon sens. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
D’ailleurs, monsieur le ministre, concernant Paris, une ville chère à votre cœur et au mien, je note que la mise en concurrence des bus est prévue après les élections municipales, et non avant. Mon petit doigt me dit que, si vous étiez convaincu de ses vertus, vous auriez fait le choix contraire…
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, sur l’article.
M. Jacques Fernique. L’article 4 constitue le cœur de cette proposition de loi, puisqu’il y est question de l’échéance de l’ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP.
Reconnaissons que la situation est quelque peu déconcertante. Alors que cette proposition de loi remplace la date de début 2025 par celle de fin 2026, soit deux ans après, il nous est interdit d’amender cette disposition centrale : tous nos amendements proposant d’autres délais ont été déclarés irrecevables en vertu de l’article 40 de la Constitution.
C’est donc cette proposition de loi ou le chaos, puisque tout le monde admet que l’échéance de 2025 est intenable ! C’est particulièrement absurde alors que l’Assemblée nationale a pu, quant à elle, débattre d’une proposition qui tendait à fixer l’échéance à fin de 2028. L’article 40 n’a pas empêché d’examiner ce scénario !
L’article 4 étant de fait inamendable sur sa disposition essentielle, vous comprendrez donc que nous voterons contre.
M. le président. L’amendement n° 19, présenté par MM. Temal, Uzenat et Jacquin, Mmes Bélim et Bonnefoy, MM. Devinaz, Fagnen, Gillé, Ouizille, M. Weber et Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad et Bourgi, Mmes Briquet et Canalès, M. Cardon, Mme Carlotti, MM. Chaillou et Chantrel, Mmes Conconne et Conway-Mouret, M. Cozic, Mme Daniel, M. Darras, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Linkenheld, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Marie, Mérillou et Michau, Mme Monier, M. Montaugé, Mme Narassiguin, M. Pla, Mme Poumirol, MM. Raynal et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, MM. Roiron et Ros, Mme Rossignol et MM. Stanzione, Tissot, M. Vallet, Vayssouze-Faure et Ziane, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le signe :
-
insérer les mots :
sous réserve pour le Gouvernement d’avoir, dans un délai de six mois préalable à toute ouverture de procédure, remis au Parlement une étude d’impact sur les conséquences de l’ouverture à la concurrence notamment en termes de garanties sociales et salariales, de qualité et de continuité de service public ainsi qu’en termes de soutenabilité financière et de capacités futures d’investissement de l’autorité organisatrice, Île-de-France Mobilités mentionnée à l’article L. 1241-1 du code des transports,
La parole est à M. Simon Uzenat.
M. Simon Uzenat. Nous avons eu l’occasion d’indiquer à plusieurs reprises, en particulier au cours de la défense de la motion tendant à opposer la question préalable et pendant la discussion générale, ce que nous pensions de la méthode, qu’il s’agisse de l’élaboration du texte ou du choix du véhicule législatif. De fait, cette proposition de loi relève formellement de l’initiative parlementaire, mais, entre la commande gouvernementale et les attentes du côté de la région Île-de-France et d’Île-de-France Mobilités, tout cela semble assez flou.
Reste que ce texte, parce qu’il s’agit d’une proposition de loi, ne permet de disposer ni de l’avis du Conseil d’État ni d’une étude d’impact. Nous avons déposé cet amendement pour obtenir cette étude d’impact.
Sans doute le ministre nous expliquera-t-il que cela ne se passe pas ainsi. Cette étude d’impact nous semble toutefois absolument indispensable, d’abord pour rassurer les agents, ces salariés dont nous avons parlé à de nombreuses reprises, ensuite pour rassurer les usagers, enfin pour préciser, du point de vue financier, les conditions de réalisation du processus pour Île-de-France Mobilités. En effet, nous n’avons obtenu aucune garantie en la matière, que ce soit lors du travail en commission, lors de l’audition de Mme Pécresse ou lors du débat de ce soir. Nous espérons donc que cet amendement recevra un avis positif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Franck Dhersin, rapporteur. Les auteurs de cet amendement déplorent l’absence d’étude d’impact préalable à cette proposition de loi.
L’étude d’impact est le propre des projets de loi : les initiatives parlementaires ne sont pas éclairées par ce document, lequel, en l’occurrence, aurait pu être précieux. Reste que le calendrier est tel que la proposition de loi de notre collègue Vincent Capo-Canellas est apparue comme le véhicule législatif le plus approprié. Je le répète, nous en avons débattu.
J’ajoute que l’on ne saurait demander une étude d’impact après la promulgation de ce texte : ce serait contraire à la fonction première d’un tel travail, qui est d’expliquer les hypothèses techniques, juridiques et d’opportunité, ainsi que les choix législatifs retenus avant l’examen parlementaire.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Clément Beaune, ministre délégué. Le Gouvernement émet lui aussi un avis défavorable, pour des raisons cohérentes avec celles que j’ai exposées précédemment. En outre, je fais miens une partie des arguments développés par M. le rapporteur.
Monsieur Fernique, vous nous rappelez qu’avant le débat en séance vous avez proposé différentes durées d’application. Le Gouvernement a beaucoup de pouvoirs sous la Ve République, mais il n’a pas celui de se substituer aux autorités organisatrices dans le calendrier de définition des lots, dont je n’en ai d’ailleurs pas connaissance personnellement. Il a encore moins le pouvoir d’appliquer l’article 40 de la Constitution au Sénat, et c’est sans doute heureux. Vous pouvez m’accuser de bien de maux, mais pas de ceux-là ! (Sourires.)
Cher Ian Brossat, vous évoquez une ville chère à notre cœur. Comme vous, je suis élu de Paris et j’ai examiné ce dossier attentivement. Je m’efforce d’être rigoureux et j’en ai retracé l’historique.
L’accord relatif au calendrier a été défini en 2013 par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, pour lequel j’ai travaillé ; vous voyez que j’assume une certaine cohérence sur ce sujet.
En parallèle, j’ai bien relu ce qui a été dit des deux côtés lors de la campagne municipale de 2014, de la campagne régionale de 2015 et de la campagne municipale de 2020. À vous entendre, nous ferions preuve de dogmatisme en la matière, mais, à ces époques, il était encore temps de remettre en cause ce « dogme » ; or je ne crois pas que l’actuelle maire de Paris ou l’adversaire de Mme Pécresse aux élections régionales aient remis en cause l’ouverture à la concurrence des bus : je n’ai pas lu la moindre ligne en ce sens. (M. Ian Brossat proteste.)
Si vous pouvez m’éclairer sur ce point, j’en serai ravi. Peut-être votre parti s’est-il prononcé contre cette mesure ; j’ai parfaitement noté que vous n’étiez pas tout à fait sur la ligne politique de la maire actuelle. Quoi qu’il en soit et en toute rigueur, je ne crois pas qu’elle en ait fait un combat politique à l’époque.
M. Philippe Tabarot. Bien envoyé ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.
M. Vincent Capo-Canellas. Je suis défavorable à cet amendement.
Je tiens à formuler ce rappel : cette proposition de loi est issue des travaux menés par Jean-Paul Bailly et Jean Grosset pour évaluer concrètement les conséquences d’une application de la loi d’orientation des mobilités et les difficultés qu’elle pourrait entraîner.
C’est sur cette base que le présent texte a été rédigé. J’y insiste, il doit nous permettre de surmonter l’ensemble des conséquences d’une telle évolution législative, en apportant de meilleures garanties aux personnels et en veillant aux différents aspects opérationnels, notamment pour que la continuité du service public soit bien préservée.
Il y a un instant, nous avons évoqué les recrutements au sein d’IDFM. M. le ministre l’a dit avec raison, c’est bien de cette autorité organisatrice et non de la RATP que ces questions relèvent, et pour cause : la RATP, qui jusqu’à présent exploite seule son réseau, doit céder un certain nombre de fonctions. La supervision d’ensemble des différents lots va ainsi remonter à Île-de-France Mobilités.
C’est typiquement le genre d’informations qu’une étude d’impact aurait mises en lumière. Sans doute celle dont la LOM a fait l’objet n’était pas suffisante. Mais, en l’occurrence, on a regardé concrètement les problèmes tels qu’ils étaient afin de les surmonter un à un. Il n’est donc pas nécessaire de mener une étude d’impact : en un sens, elle a déjà eu lieu et c’est ce travail qui nous a permis de construire cette proposition de loi.
Enfin, monsieur Brossat, je relève un paradoxe dans votre propos. Le décalage de l’ouverture à la concurrence, quand vous le proposez, serait nécessairement vertueux et utile. En revanche, venant de nous, il s’apparenterait à un « aveu » – je vous cite –, il serait presque machiavélique : vous visez M. le ministre en avançant que ces dispositions n’ont finalement vocation qu’à traiter des problèmes parisiens.
Il ne saurait y avoir deux poids, deux mesures : une même disposition ne peut pas être foncièrement positive dans un cas et forcément critiquable dans l’autre.
Nous avons conçu un système nous permettant d’entrer dans le réel et de résoudre un problème qui ne peut pas durer plus longtemps, en créant les conditions pour que tout se passe au mieux.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. On nous demande tout simplement de voter un calendrier de privatisation et de casse de la RATP !
On l’a rappelé tout à l’heure, mais je le répète pour que personne ne l’oublie : en 2021, la RATP a créé sa propre filiale, RATP Cap Île-de-France, non pas par agilité, monsieur le ministre, mais pour amorcer son processus de privatisation.
M. Capo-Canellas a commencé par déposer cette proposition de loi tout seul, ce qui est rare – surtout quand on ne siège pas parmi les non-inscrits –, qui plus est au lendemain d’élections sénatoriales…
Cela étant, mon cher collègue, vous avez rapidement été rejoint par votre groupe parlementaire, puis par le Gouvernement et le groupe Les Républicains.
Je l’affirme avec tout le respect que je vous dois : nos débats de ce soir font bel et bien penser qu’il s’agit d’un texte de loi électoraliste écrit à plusieurs mains, par Valérie Pécresse, par Jean Castex et par vous-même, avec la bienveillance d’un ministre parisien omniprésent dans cette discussion, ce qui n’est pas non plus le fruit du hasard. (M. le ministre délégué s’exclame.)
J’ajoute que nous sommes à l’évidence face à un problème démocratique.
Disons les choses telles qu’elles sont : on trouve, dans les documents internes d’Île-de-France Mobilités, le calendrier précis de la privatisation diffusé à la RATP. Nous n’avons pas été destinataires de ce calendrier, tous autant que nous sommes, mais il a été communiqué à d’autres avant même le vote de cette proposition de loi !
On comprend mieux le choix de la procédure accélérée : tout était déjà ficelé.
Vous nous dites que nous ne parlons pas de manière concrète : regardons ce programme en détail. En 2025, on privatisera les lignes de bus de l’est francilien, du secteur Massy-Essonne, des secteurs Pleyel et Boucles de Seine. De décembre 2025 à avril 2026, ce sera le tour de tout le secteur Seine-Saint-Denis – Val-d’Oise doit suivre. En 2026, ce sera celui de Nanterre et des deux dépôts de mon département du Val-de-Marne, Thiais-Créteil et Ivry-Vitry-Villeneuve-le-Roi.
En résumé, les plus pauvres et les premiers de cordée passeront d’abord ; ils serviront de crash test et de variable d’ajustement. C’est cela, le raisonnement de cette proposition de loi. À la fin, on pourra éventuellement corriger les erreurs commises, et je regrette à ce propos que M. Karoutchi soit parti, car les villes de l’ouest parisien, notamment celles des Hauts-de-Seine, ne viennent que dans un second temps – après les élections municipales, au cas où…
Enfin, il y a Paris, ville sur laquelle – M. le ministre vient de le confirmer – la droite et les macronistes ont des vues : nous sommes décidément bien face à un texte électoraliste, et ce n’est pas la première fois !
Valérie Pécresse n’a pas mentionné ce calendrier lors de son audition au Sénat.
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Pascal Savoldelli. Cher collègue Capo-Canellas, franchement, vous l’avez, ce calendrier ? Nous, nous ne l’avons pas.
M. le président. Il faut conclure !
M. Pascal Savoldelli. Nous allons droit vers une Île-de-France fracturée, déséquilibrée et inégalitaire. Nous ne voterons pas cet article.
M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat, pour explication de vote.
M. Simon Uzenat. J’ai bien entendu les propos de M. Capo-Canellas.
Toutefois – nous avons déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises –, la mission Bailly-Grosset est restée relativement, pour ne pas dire tout à fait, confidentielle. Quelques privilégiés mis à part, les parlementaires n’ont pas eu accès au rapport qu’elle a remis.
Pour ce qui me concerne, je suis tombé par hasard sur une synthèse des recommandations formulées. Visiblement, la partie sociale a bien donné lieu à un travail ; on peut parler à ce propos de progrès minime par rapport à la copie initiale. Pour autant, dans les faits, de nombreux angles morts demeurent, parmi lesquels les sujets évoqués au travers de l’amendement n° 19, qu’il s’agisse de la continuité du service public ou du mur d’investissements. Ces éléments ne figurent clairement pas dans le rapport.
La mission Bailly-Grosset a donc accompli, sur commande, un travail a minima pour que la demande politique de Valérie Pécresse comme présidente de la région d’Île-de-France et d’Île-de-France Mobilités soit mise en œuvre de la manière la moins conflictuelle possible. Ce rapport ne va pas au-delà.
Les différents éléments de calendrier rappelés par nos collègues le démontrent bien. D’ailleurs, en lui-même, ce calendrier prouve que l’ouverture à la concurrence est loin d’être une évidence : elle est loin d’offrir toutes les garanties de continuité et de qualité de service au public.
C’est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement. C’est également la raison pour laquelle nous voterons contre l’article 4 – nous avons d’ailleurs demandé un scrutin public.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, vous affirmiez tout à l’heure que l’ouverture à la concurrence ne réglerait pas tous les problèmes, mais qu’elle aiderait à en résoudre certains.
M. Savoldelli a eu raison de le dire : les classes populaires d’Île-de-France seront les premières touchées. On va commencer par la Seine-Saint-Denis et le Val-d’Oise, c’est-à-dire par les premiers de cordée, pour reprendre son expression, par ceux qui se lèvent tôt pour prendre un bus, puis, souvent, un RER afin de nous livrer, de nettoyer nos bureaux ou de travailler dans les restaurants ; bref, par celles et ceux qui tiennent le pays à bout de bras, par ceux qui commencent tôt et finissent tard.
La situation des transports est déjà dégradée en Seine-Saint-Denis. À Montreuil, entre deux bus 322, il faut compter soixante minutes d’attente. À Noisy, pour le bus 545, c’est quatre-vingts minutes.
Cher collègue Capo-Canellas, je cite aussi la ligne 148 : elle passe au Blanc-Mesnil, c’est-à-dire non loin de chez vous : entre deux bus, on attend une heure. Pouvez-vous dire aujourd’hui aux usagers, qui se lèvent tôt ou rentrent tard, qu’ils tireront parti de l’ouverture à la concurrence alors qu’ils seront les premiers à morfler ?
Vous êtes en incapacité de le dire : tout démontre que, dans les bus, dans les trains, dans les transports en général, l’ouverture à la concurrence et la privatisation sont toujours une catastrophe, et pas seulement en France.
Dans la petite couronne, un certain nombre de lignes sont déjà gérées par le privé. Je pense par exemple au tramway T11, qui nous est commun, puisqu’il part du Bourget. Pouvez-vous affirmer dans cet hémicycle que tout va bien sur cette ligne ? Non ! D’ailleurs, ses salariés souffrent de ne pas avoir le même statut que les autres.
Votre proposition de loi n’est pas un texte pour les salariés ou pour les usagers. En réalité, le calendrier que vous suivez est avant tout électoral. Plus encore, vous prenez soin d’attendre la fin des jeux Olympiques et Paralympiques. Que les salariés, les usagers et en premier lieu les classes populaires, après cette échéance, souffrent et continuent de souffrir du sous-investissement et de la privatisation, ce ne sera pas votre problème.
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 7 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 243 |
Contre | 100 |
Le Sénat a adopté.
Article 5
Le VI de l’article 158 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au premier alinéa du présent VI, les dispositions particulières mentionnées au II de l’article L. 3316-1 du code des transports ne s’appliquent qu’à compter de la date à laquelle survient le changement d’exploitant mentionné à l’article L. 3111-16-1 du même code. Toutefois, le décret mentionné au II de l’article L. 3316-1 dudit code peut prévoir une entrée en vigueur de certaines de ses dispositions à l’issue d’une période transitoire, qui ne peut être supérieure à quinze mois à compter de la date à laquelle intervient le changement d’exploitant mentionné à l’article L. 3111-16-1 du même code. »
M. le président. L’amendement n° 27, présenté par M. Dhersin, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
1° Seconde phrase
Remplacer les mots :
Toutefois, le
par le mot :
Le
2° Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Toutefois, une convention, un accord collectif, un accord d’entreprise ou un accord d’établissement peut déterminer les modalités selon lesquelles il peut être dérogé aux dispositions relatives à l’amplitude quotidienne de travail des conducteurs d’autobus et d’autocars, sans pouvoir excéder treize heures.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Franck Dhersin, rapporteur. Avec cet amendement, nous ouvrons la possibilité de déroger à l’amplitude journalière maximale des conducteurs de bus.
Quand le décret relatif aux comités sociaux territoriaux des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, ou décret CST, entrera en vigueur, cette amplitude sera de onze heures ; elle pourra être portée à treize heures si un accord d’entreprise le prévoit, en conformité avec l’amplitude horaire maximale en vigueur à la RATP.
Il s’agit d’assurer l’équité concurrentielle entre les entreprises tout en restant dans un cadre social protecteur pour les salariés. Je le répète, cette mesure ne trouvera à s’appliquer que si un accord d’entreprise le prévoit expressément.
M. Pascal Savoldelli. Voilà !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Clément Beaune, ministre délégué. J’hésite à répondre : M. Savoldelli va encore dire que je suis omniprésent. (Sourires.) Toutefois, il ne me semble pas absolument choquant que le ministre des transports soit là, même tard le soir, pour débattre d’un tel texte…
M. Pascal Savoldelli. J’ai précisé « ministre parisien » !
M. Clément Beaune, ministre délégué. Monsieur le sénateur, vous noterez que je suis présent pour chaque proposition de loi relative aux transports, ce qui me paraît normal, et que j’essaie de répondre le plus précisément possible. Vous me reprocheriez le contraire à juste titre. Je vous rassure, je ne viens pas seulement pour répondre aux questions parisiennes ; les prochains textes vous permettront de le vérifier.
Monsieur le rapporteur, je suis défavorable à cet amendement. Je défends le cadre social territorialisé et je m’efforce d’être cohérent avec ce que je vous dis depuis le début de la soirée : à mon sens, il faut conserver ce cadre tel qu’il est, car il offre un certain nombre de garanties sociales.