M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste-Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Le Bourget serait-il le salon de l’illusion, le salon de l’avion magique ? On y voit depuis lundi l’ensemble de la filière aéronautique et le Président de la République nous annoncer un avion propre, un avion vert pour demain ou après-demain.
Bien entendu, la recherche d’alternatives au kérosène est indispensable, et il faut y mettre des moyens. Là où le bât blesse, c’est dans le message qui est véhiculé : « Ne changeons pas les habitudes, la technologie va tout régler. » La sobriété d’usage est complètement inexistante dans le discours ; bien pire, on parle de doublement du trafic d’ici à 2040 !
On nous présente l’avion électrique, l’avion à hydrogène, l’avion au biocarburant… Le problème est que l’électrique pour les moyens et longs courriers n’est pas pour demain, que l’avion à hydrogène est très loin d’être mature et pose encore d’énormes défis technologiques et que la biomasse nécessaire aux biocarburants n’est pas illimitée, car il faudra demain choisir entre les avions, les porte-containers, les camions, le chauffage des logements et se nourrir.
Encore un bon greenwashing qui n’a d’autre objectif que de remettre à demain ce que nous devons faire dès aujourd’hui, c’est-à-dire réguler le secteur aérien, stopper sa croissance et lui faire payer le prix de sa pollution. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Monsieur le ministre, à quand des solutions politiques dès maintenant, afin que la trajectoire du transport aérien soit conforme à nos engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Salmon, je ne peux pas croire à l’instant que vous désapprouviez une recherche orientée vers des avions moins polluants.
Je ne peux pas croire qu’il y ait, derrière vos propos, l’arrière-pensée selon laquelle pour rendre l’écologie populaire, il conviendrait de la présenter sous son jour le plus punitif !
Je ne peux pas croire que vous regrettiez que notre pays accueille le plus grand salon aéronautique du monde…
M. Daniel Salmon. Si !
M. Christophe Béchu, ministre. … et que ce salon soit précisément consacré aux moyens de décarboner l’aviation.
M. Emmanuel Capus. Très bien !
M. Christophe Béchu, ministre. La trajectoire de décarbonation s’appuie toujours, quel que soit le domaine, sur un triptyque. Vouloir ne retenir que l’un des trois piliers, c’est manquer à l’équilibre dont nous avons besoin. Il faut de la sobriété,…
Plusieurs sénateurs du groupe GEST. Elle est où ?
M. Christophe Béchu, ministre. … il faut de l’efficacité et il faut de l’innovation.
D’aucuns condamnent l’innovation et disent que l’on ne s’en sortira que par la sobriété quand d’autres préfèrent que nous ne changions rien à nos usages, considérant que seule l’innovation nous permettra de réussir. Ces deux chemins nous mènent droit dans le mur.
Premier pilier, la sobriété. Très concrètement, la France est le premier pays à avoir interdit les vols de moins de deux heures et demie lorsqu’il existe une autre solution en train.
M. Thomas Dossus. Seulement sur deux lignes !
M. Christophe Béchu, ministre. La sobriété consiste aussi à faire en sorte que le train soit privilégié, à relever la fiscalité sur le kérosène, comme nous l’avons fait l’année dernière, en supprimant l’avantage fiscal dont il bénéficiait par rapport à l’essence, et à consacrer 100 milliards d’euros aux investissements dans le ferroviaire pour qu’il y ait des alternatives crédibles et à l’heure.
Deuxième pilier, l’efficacité. Elle est atteinte grâce à la baisse du poids et à l’évolution des moteurs. L’enjeu n’est pas seulement national, car 50 % des émissions mondiales proviennent d’avions fabriqués en Europe. L’innovation aura donc un impact partout.
Ce ne sont pas les gouvernements qui décident du doublement du trafic. Celui-ci fait l’objet de prévisions, sur la base des décisions des habitants de la planète.
Troisième pilier, l’innovation. Les deux axes annoncés par le Président de la République sont simples : travailler sur les moteurs et étudier des alternatives en termes de carburant. J’y insiste, ne caricaturons pas ! Il s’agit non pas d’accaparer des terres agricoles pour cultiver les biocarburants, mais de produire des carburants durables à partir des résidus de bois, d’algues ou d’huiles usagées. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.
M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, il est dommage que vous n’ayez pas écouté l’introduction de mon propos. J’ai pourtant clairement dit que la recherche était indispensable. Il est très facile de caricaturer !
En revanche, il est irresponsable de faire mine de croire que la technologie va nous sauver. La sobriété dans les usages est indispensable, et c’est par cela que l’on doit commencer !
Le monde que vous nous préparez est un monde à +4 degrés (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), un monde dont personne ne sait à quoi il ressemblera.
Il faut vraiment aller de l’avant : c’est ce que l’on attend de vous. Les politiques servent à cela, et pas à reporter à demain ce qui peut être fait aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
assises des finances publiques
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendant – République et Territoires.
M. Emmanuel Capus. Lundi se tenaient les Assises de Bercy. Le Gouvernement y a tenu un langage de fermeté pour réduire les dépenses publiques (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.), avec un objectif clair : 10 milliards d’euros d’économies d’ici à la fin du quinquennat.
Je salue cette annonce, qui a le mérite de clore pour de bon l’ère du « quoi qu’il en coûte » ! L’inflation et la croissance devraient se tasser en 2023 ; la politique des chèques ne se justifie donc plus.
M. Rachid Temal. Où est M. Béchu ?
M. Emmanuel Capus. Notre groupe soutient cette démarche. Les dépenses et la dette publiques n’ont jamais été aussi élevées. Il devient urgent de remettre de l’ordre dans nos comptes. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
Mais, dans cette période anxiogène, la tâche s’annonce ardue. Sans anticiper aujourd’hui sur les débats budgétaires de l’automne, je veux revenir sur une annonce faite lundi par la Première ministre : le retour au mois de septembre de la loi de programmation des finances publiques.
Celle-ci avait été adoptée par le Sénat, dans un esprit de responsabilité, et par solidarité avec nos partenaires européens. Le texte devra préciser le cadre global de réduction des dépenses publiques. Il devra aussi indiquer la contribution des collectivités à cet effort partagé.
Monsieur le ministre, les collectivités font déjà des efforts importants ; vous le savez. Et pour cause : la règle d’or les contraint à équilibrer leur budget. Les collectivités ne représentent que 20 % des dépenses publiques, et moins de 10 % de la dette.
Autrement dit, pour remettre de l’ordre dans les comptes, il ne serait ni juste ni efficace de demander des efforts supplémentaires aux collectivités territoriales.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous garantir…
M. François Bonhomme. Oui, il le peut ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Emmanuel Capus. … que la loi de programmation ne mettra pas les collectivités à contribution ?
Plusieurs sénateurs du groupe SER. M. Béchu !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Emmanuel Capus, nous avons effectivement annoncé dans le cadre du nouveau programme de stabilité que nous avions décidé de revoir la charge de l’effort. Nous l’avons notamment fait à la suite des échanges que nous avons eus au Sénat. Vous avez vous-même, monsieur Capus, été une vigie sur la question de la contribution des collectivités locales (Marques d’ironie sur les travées des groupes Les Républicains et SER.) en nous invitant à faire porter l’effort davantage sur l’État que sur ces dernières.
Je rappelle que, lors de la présentation de la loi de programmation des finances publiques, nous avions prévu une baisse de 0,4 % des dépenses de l’État en volume et de 0,5 % pour les collectivités locales. Nous introduirons des évolutions dans la loi de programmation que nous vous présenterons au mois de septembre. Désormais, l’effort de l’État sera bien plus important, avec une baisse de 0,8 %.
Je répète ce que j’ai indiqué précédemment en réponse à Mme Apourceau-Poly : nous avons besoin les uns des autres. Nous n’arriverons pas à relever le défi de la transition écologique si l’État et les collectivités n’agissent pas de concert. Et pour cela, il nous faut garder le contrôle de nos finances publiques et désendetter le pays. Je n’oppose pas les 3 % et les 3 degrés !
Je considère que si l’on veut être capable de relever le défi de la transition écologique, il faut garder le contrôle des finances publiques et remettre vraiment de l’ordre dans nos comptes de manière à disposer des marges de manœuvre budgétaires qui nous permettront d’investir partout où c’est nécessaire pour relever le défi. C’est donc ensemble que nous avancerons.
Bruno Le Maire a fait un certain nombre de propositions à l’occasion des Assises. Il a notamment suggéré un mécanisme d’autoassurance des collectivités locales pour que, en cas de surcroît exceptionnel de recettes, ces moyens permettent de soutenir les collectivités locales qui en ont besoin lorsque survient une crise. La proposition est soumise au débat. Nous allons continuer à travailler.
L’année dernière, nous avons tenu les dialogues de Bercy pour construire le budget. Nous rééditerons l’opération cette année en essayant de l’améliorer avec davantage de réunions et d’échanges pour construire, à la fois, le budget pour 2024, mais aussi pour définir la trajectoire et les moyens de l’État, des collectivités locales, de la sécurité sociale, qui nous permettront…
M. le président. Il faut conclure.
M. Gabriel Attal, ministre délégué. … de relever ces défis pour notre pays. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour la réplique.
M. Emmanuel Capus. Je vous remercie, monsieur le ministre.
Vous l’avez dit précédemment, vous êtes élu local. Vous connaissez l’exaspération des élus locaux : ils sont prêts à faire des efforts, mais à condition que l’on diminue le nombre de normes et de contraintes et, surtout, qu’on leur laisse l’autonomie financière dans leur collectivité. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
Salutations à un sénateur
M. le président. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, avant de lui donner la parole, je veux saluer Gérard Longuet, qui a pris la décision de ne pas renouveler son mandat.
Notre collègue a siégé durant vingt-deux ans dans notre hémicycle. Il a été président du groupe UMP. À la commission des finances, ses interventions ont toujours permis d’élever les débats. Je voudrais enfin saluer le travail qu’il a effectué comme président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. (Mmes et MM. les sénateurs des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP se lèvent et applaudissent longuement. – Plusieurs sénateurs des groupes SER et GEST applaudissent également.)
loi de programmation des finances publiques
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour le groupe Les Républicains.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, je vous remercie de votre propos, auquel je ne m’attendais pas.
Je souhaite rester d’une sérénité à toute épreuve après quarante-cinq ans de mandat parlementaire : le jeune Gabriel Attal, qui me répondra dans un instant, n’était pas né alors que j’étais déjà député ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Avant-hier, Bruno Le Maire a installé les premières Assises des finances publiques. Comme écrivain, je l’accepte, mais, très honnêtement, comme metteur en scène, il est nul ! (Mêmes mouvements.)
D’abord, il s’est trompé de lieu. En effet, il y a un lieu pour les finances publiques : le Parlement, c’est-à-dire l’Assemblée nationale et le Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
Ensuite, il ne faut pas simplement prévoir de premières assises et se dire : « On verra plus tard ». Le redressement des finances de notre pays est une urgence absolue !
Ma question est d’une grande simplicité. Même si mon excellent collègue Capus semble avoir lancé le sujet, je vais enfoncer le clou. Pourquoi diable n’avez-vous pas répondu à la commande passée au mois d’avril dernier par Mme la Première ministre, Élisabeth Borne : présenter en juillet le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Gérard Longuet, je réponds toujours aux commandes de la Première ministre, qui a demandé lundi dernier de présenter la loi de programmation des finances publiques au mois de septembre prochain. Nous nous mettons donc évidemment en ordre de marche avec Bruno Le Maire pour le faire.
J’imagine que ce que vous voulez en réalité savoir, c’est pourquoi nous allons présenter cette loi en septembre. Réponse : parce que cela a davantage de sens de le faire en même temps que le projet de loi de finances, étant donné les choix budgétaires majeurs que nous devrons opérer dans le cadre de ce texte ; ces derniers pourront ainsi être intégrés dans la loi de programmation. Il est préférable de procéder de cette manière plutôt que de présenter une loi de programmation des finances publiques en juillet et de devoir revenir en septembre, après la présentation du projet de loi de finances, pour adapter le texte.
Je le rappelle, la loi de programmation avait été adoptée au Sénat, qui avait décidé un quantum d’économies supplémentaires très important.
M. Jean-François Husson. Tout à fait !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je pense qu’il sera intéressant d’avoir désormais le débat sur les budgets dont vous estimez qu’ils devront faire l’objet d’économies supplémentaires. Nous partagerons nos propositions et échangerons sur le sujet. Car, après avoir arbitré en faveur d’un quantum d’économies, il est important de dire où faire des économies dans chaque périmètre ministériel.
Mme Frédérique Puissat. Nous l’avons déjà fait !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Enfin, monsieur le ministre Longuet, au nom du Gouvernement, je veux profiter de cette réponse à la dernière question que vous posez ici pour vous rendre hommage et saluer votre parcours.
Vous avez souligné mon jeune âge ; je dois dire que j’avais 12 ans quand vous êtes entré au Sénat. (Sourires.) Je me suis intéressé très jeune à la vie politique, et j’ai l’impression de vous connaître depuis longtemps et d’avoir suivi votre voix singulière, importante, dans le débat politique, en tant que ministre, parlementaire et président de conseil régional.
Je suis absolument convaincu que vous continuerez à porter cette voix dans notre débat d’idées, y compris en dehors de cette assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour la réplique.
M. Gérard Longuet. J’ai gardé un peu de temps pour vous répondre et pour vous dire que votre problème est un problème de majorité politique. Soyez rassurés : aucun président de la République française, depuis l’élection au suffrage universel, n’a été élu à la majorité absolue au premier tour ; tous ont eu à gérer des majorités compliquées.
Sur les quatorze élections législatives qui ont eu lieu depuis 1967, le président de la République n’a obtenu une majorité grâce à son seul parti qu’à sept occasions. Cela signifie, madame la Première ministre, qu’au cœur des institutions de la Ve République, il y a une réalité parlementaire qui oblige le président de la République à prendre en considération ceux qui l’ont rallié au deuxième tour ; ces derniers méritent d’exister. Or c’est exactement ce qui manque aujourd’hui.
M. le président. Il faut conclure.
M. Gérard Longuet. Pour conclure, madame la Première ministre, vous avez trois choix : d’abord, la coalition gouvernementale, ce qui n’est pas prévu et ne correspond pas au caractère de l’actuel Président de la République ; ensuite, la cohabitation au sein de votre propre camp, en choisissant un Premier ministre…
M. Rachid Temal. Darmanin !
M. Gérard Longuet. … dont vous pensez qu’il sera plus fédérateur ; enfin, la dissolution. Je regrette de ne bientôt plus être parlementaire pour vivre ces événements ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
corps électoral en nouvelle-calédonie
M. le président. La parole est à M. Pierre Frogier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Frogier. Madame la Première ministre, la Nouvelle-Calédonie est dans l’attente, toujours dans l’attente, mais, désormais, sa longue histoire se poursuivra dans la France.
Lors de son dernier voyage à Nouméa, le ministre de l’intérieur et des outre-mer a engagé avec les différentes forces politiques des échanges qui devraient aboutir – nous l’espérons ! – à la coconstruction d’une solution d’avenir. Je tiens à lui donner acte de sa détermination et à l’en remercier. Pour ma part, comme j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire, je me tiens à votre disposition pour vous accompagner sur ce chemin.
Pour parvenir à cette solution d’avenir, nous devons franchir un premier obstacle : le renouvellement des assemblées de provinces l’année prochaine. Et seule une réforme du corps électoral pour ces élections les rendra possibles. Il vous appartient donc, au plus vite, de nous proposer les voies et moyens pour y parvenir.
Je veux rappeler encore et encore qu’à la signature de l’accord de Nouméa, le droit de vote était acquis au terme d’une durée de résidence de dix années en Nouvelle-Calédonie. La réforme constitutionnelle de 2007, qui nous a été imposée, y a mis un terme, en fermant à compter de 1998 l’accès à ce corps électoral.
Mais, surtout, madame la Première ministre, ces référendums successifs ont laissé derrière eux une population profondément divisée. Pour tenter d’y remédier, il nous faudra porter une vision politique susceptible de fédérer et de nourrir cette communauté de destin à laquelle nous aspirons ; une vision qui permette aux Calédoniens de se projeter sur le long terme, d’avoir l’ambition d’un avenir partagé et ne pas se laisser enfermer dans le seul débat institutionnel.
Le contenu de cette communauté de destin, c’est ce que l’on dénomme la citoyenneté, faite de droits et de devoirs, qui situera la place propre de la Nouvelle-Calédonie dans la France, son identité particulière dans la solidarité nationale.
Ma question est double. Pouvez-vous vous engager sur un agenda permettant la tenue des élections provinciales avec un corps électoral ouvert dès l’année prochaine ? Êtes-vous prête à nous accompagner pour donner à la Nouvelle-Calédonie un ensemble de règles qui définiront les exigences de notre savoir-vivre ensemble ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le sénateur Pierre Frogier, le processus politique défini dans l’accord de Nouméa est arrivé à son terme au mois de décembre 2021, après trois consultations référendaires successives organisées sous l’autorité du Président de la République.
Il appartient désormais aux partenaires politiques d’examiner la situation ainsi créée selon les termes mêmes de l’accord. Vous le savez, mon gouvernement est pleinement mobilisé pour accompagner les discussions sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. En moins d’un an, le ministre de l’intérieur et des outre-mer et le ministre chargé des outre-mer se sont rendus sur place à quatre reprises pour échanger avec l’ensemble des acteurs calédoniens. J’ai également réuni une convention des partenaires à Paris au mois d’octobre 2022 et rencontré la délégation du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), et les représentants non indépendantistes le 11 avril dernier.
Comme vous le savez également, les discussions portent actuellement pour l’essentiel sur les compétences, sur l’exercice du droit à l’autodétermination et sur l’évolution du corps électoral provincial.
Je l’affirme devant vous, comme je l’ai indiqué à la délégation du FLNKS, je crois qu’un gel indéfini du corps électoral provincial questionnerait nos principes démocratiques comme nos engagements internationaux. Aujourd’hui, les discussions avancent, et je mesure la sensibilité de cette question. Le ministre de l’intérieur et des outre-mer a fait des propositions sur une durée de résidence minimale. Des échanges techniques sont actuellement organisés par le Haut-commissaire à Nouméa, et je suis persuadé qu’une solution consensuelle peut être trouvée sur ce point comme sur les autres. Je suis prête à inviter l’ensemble des partenaires à partir de la fin du mois d’août pour conclure l’accord que les Calédoniens attendent. Quant aux élections provinciales, elles auront lieu en tout état de cause en 2024 : c’est un enjeu démocratique.
Monsieur le sénateur, l’esprit de l’accord de Nouméa, qui doit nous inspirer et que vous incarnez en tant que signataire en 1998, n’est pas seulement un mécanisme institutionnel et juridique. C’est avant tout l’ambition profondément humaine du destin commun. Je crois que cette ambition répond à l’attente de nombreux jeunes Calédoniens. Alors, soyons collectivement à la hauteur des signataires des accords de 1988 et 1998.
Enfin, si vous le permettez, monsieur le président, je voudrais terminer mon propos en rendant hommage à mon tour à M. le sénateur Gérard Longuet, ancien ministre et président de groupe, mais aussi à M. le sénateur Jean-Pierre Sueur, ancien ministre, ancien président de la commission des lois et questeur de votre assemblée, et à Mme la sénatrice Michèle Meunier, qui siège sur ces travées depuis douze ans.
Madame, messieurs les sénateurs, vous êtes ici des voix qui portent, vous êtes respectés pour votre connaissance fine des dossiers et votre volonté d’œuvrer pour les Français. Nous avons pu nous opposer, mais nous avons toujours su travailler ensemble au service de la République et de l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC, Les Républicains, GEST et SER.)
Salutations à un sénateur
M. le président. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, avant de lui donner la parole, je veux à mon tour saluer Jean-Pierre Sueur, qui a siégé durant vingt-deux années au Sénat – il détient sans doute le record du nombre d’heures passées dans les fauteuils de l’hémicycle, et nous pourrons bientôt publier ses œuvres complètes ! (Sourires.) – et a notamment été président de la commission des lois et questeur du Sénat. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement.)
naufrage d’un navire de migrants au large de la grèce
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la Première ministre, je souhaite vous interroger sur ce qui s’est passé dans la nuit du 13 mai dernier au large de la Grèce et qui est une honte pour notre civilisation. En effet, 750 hommes, femmes et enfants, entassés comme des bêtes dans un bateau qui a coulé, ont péri ou ont fait naufrage. Nous savons aujourd’hui que Frontex, un certain nombre d’États et des garde-côtes étaient au courant de l’imminent péril. Les images de la BBC ont montré que, pendant sept heures, les passagers du bateau sont restés entre la vie et la mort, et plus près de la mort.
Alors, nous ne pouvons pas nous résigner à ce qu’il y ait 500, 600 ou 700 morts, qui viennent s’ajouter aux 10 000 des quatre ou cinq dernières années, et aux 20 000 ou 30 000 personnes – nous ne connaissons pas le chiffre exact – qui sont mortes en traversant la Manche.
Je demande simplement, madame la Première ministre, que la France pèse de tout son poids pour qu’une véritable politique soit menée pour mettre fin au naufrage de ces êtres humains. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, RDSE et UC. – Mme Esther Benbassa, Alain Houpert et Gérard Longuet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux.
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux. Monsieur le questeur Jean-Pierre Sueur, ce naufrage survenu le 14 juin dernier au large de la Grèce est avant tout – vous l’avez dit – un drame humain, un de plus, survenu en Méditerranée. Vous avez totalement raison, nous ne pouvons pas nous résigner.
Cette tragédie nous bouleverse tous, et je voudrais renouveler nos condoléances aux familles des victimes. Bien entendu, elle nous oblige, car nous devons tout mettre en œuvre, notamment à l’échelon européen, pour éviter de nouveaux drames de ce type.
L’accord trouvé le 8 juin par les ministres européens de l’intérieur permettra d’apporter une réponse européenne sur ces sujets. À la question du traitement des demandes d’asile, il faut apporter une réponse qui doit allier responsabilité, efficacité et solidarité. La France et l’Italie sont pleinement mobilisées en ce sens,…
M. Pierre Laurent. Pas l’Italie !
Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État. … comme le soulignaient hier le Président de la République et la première ministre Giorgia Meloni.
Mais ce drame rappelle aussi l’importance de la coopération avec les pays tiers en matière de sauvetage en mer et de lutte contre les réseaux de passeurs. Là encore, les travaux sont en cours à l’échelon européen, en particulier avec la Tunisie. Notre objectif est de renforcer les capacités des États d’origine et de transit pour mieux lutter contre ceux qui exploitent la détresse des migrants et contre les causes profondes de leur exil.
Enfin, monsieur le questeur, je souhaite profiter de votre dernière question au Gouvernement pour vous saluer. En tant que député, ministre, sénateur, président de la commission des lois et maire d’Orléans, vous nous avez marqués pendant quarante ans par vos convictions et votre engagement permanent. La République, le Sénat et votre cher Loiret vous en sont reconnaissants ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe SER.)