M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 15.
Mme Éliane Assassi. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Aux termes de la proposition de loi initiale, la décision d’autorisation devait être délivrée par le préfet et exécutée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle du tribunal administratif.
Le texte de la commission prévoit une décision du Premier ministre après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, sous le contrôle du Conseil d’État. Les garanties sont donc maximales !
Par ailleurs, il s’agit uniquement de la lutte contre le terrorisme. Seuls les services chargés de la sécurité intérieure pourront mobiliser l’instrument de la reconnaissance faciale.
C’est la raison pour laquelle la commission a considéré que ces amendements n’étaient plus justifiés, compte tenu de l’importance des garanties offertes, lesquelles reposent sur l’expérience acquise dans l’application de la loi de 2015 relative au renseignement.
J’émets donc un avis défavorable sur ces amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. L’examen de ces amendements de suppression me donne l’occasion de dire que j’ai non pas, comme vous, une opposition de principe sur cet article, mais de lourdes réserves sur le dispositif envisagé.
La technique de renseignement créée par cet article ne répond, à mon avis, à aucun besoin clairement défini. Soit l’objectif est de sécuriser un grand événement en empêchant l’accès aux individus suivis par les services de renseignement, et dans ce cas le recours à une technique de renseignement semble en pratique très compliqué. Soit l’objectif est de localiser en urgence un individu présentant une menace imminente pour l’ordre public, et, là encore, le dispositif ne paraît pas adapté.
Il serait plus opportun d’autoriser l’exploitation des caméras de vidéoprotection, plutôt que de s’appuyer sur des caméras dédiées, dont le déploiement serait complexe dans une situation d’urgence et la couverture géographique probablement peu pertinente.
Par ailleurs, pour être réellement efficace, il paraît plus intéressant de permettre aux forces de sécurité intérieure, et non pas aux seuls services de renseignement, d’y avoir accès.
Je suis donc défavorable à ces amendements identiques, tout en rappelant mon avis de sagesse sur cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Je l’ai rappelé dans la discussion générale, il existe actuellement un conflit entre Beauvau et Matignon sur la notion de terrorisme.
Matignon, pour l’instant, bloque les demandes d’écoutes d’un certain nombre de militants écologistes, qui sont visiblement considérés comme terroristes par le ministre de l’intérieur. Cette notion fait donc parfois l’objet d’une conception extensive, ce qui pose problème.
Selon nous, les garde-fous prévus par cet article ne sont pas suffisants.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. Nous sommes là au cœur des difficultés, dans un contexte d’inquiétude de la société eu égard aux techniques de renseignement.
L’actualité récente nous l’a montré, une autorisation a été accordée il y a quelques semaines par Matignon sans aucun contrôle, alors que ces techniques de renseignement sont censées être particulièrement contrôlées. Malgré des garde-fous très puissants, il est donc toujours possible de passer outre.
Il me semble donc que le recours à ces techniques d’identification en temps réel, malgré les précautions qui ont été proposées, est prématuré au vu de ce que j’indiquais tout à l’heure dans mon propos liminaire, dans le droit fil des remarques formulées par Mme la ministre.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 10 et 15.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 est adopté.)
Article 6
I. – À titre expérimental et aux seules fins de faciliter le rassemblement des preuves des infractions et l’identification de leurs auteurs ou la recherche d’une personne mineure disparue, les officiers de police judiciaire peuvent mettre en œuvre un traitement algorithmique répondant aux conditions définies à l’article 1er ter de la loi n° … du … relative à la reconnaissance biométrique dans l’espace public destiné à identifier, sur la base de leurs caractéristiques biométriques, des personnes limitativement et préalablement énumérées sur les images collectées au moyen de caméras dédiées et distinctes de celles des systèmes de vidéoprotection si cette opération est exigée par les nécessités :
1° D’une enquête ou d’une instruction portant sur :
a) Un acte de terrorisme mentionné aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal ;
b) Une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation au sens de l’article 410-1 du code pénal ;
c) Un crime ou un délit mentionné au quatrième alinéa de l’article 706-75 du code de procédure pénale ;
d et e) (Supprimés)
2° D’une procédure d’enquête ou d’instruction de recherche des causes de la disparition prévue aux premier et deuxième alinéas de l’article 74-1 et à l’article 80-4 du code de procédure pénale ou portant sur les faits d’enlèvement et de séquestration d’une personne mineure mentionnés aux articles 224-1 à 224-5-2 du code pénal, de soustraction d’une personne mineure par ascendant mentionnés à l’article 227-7 du même code ou de soustraction d’une personne mineure sans fraude ni violence mentionnés à l’article 227-8 dudit code ;
3° (Supprimé)
II. – (Supprimé)
III. – Le recours à ces traitements est autorisé :
1° Dans le cadre d’une enquête de flagrance, d’une enquête préliminaire ou de la procédure prévue aux premier et deuxième alinéas de l’article 74-1 du code de procédure pénale, par le procureur de la République, pour une durée maximale de vingt-quatre heures sur décision expresse et motivée. L’autorisation peut être renouvelée par le juge des libertés et de la détention dans les mêmes conditions ;
2° Dans le cadre d’une instruction ou d’une information pour recherche des causes de la disparition mentionnée aux premier et deuxième alinéas de l’article 74-1 et à l’article 80-4 du même code, par le juge d’instruction, pour une durée maximale de quarante-huit heures sur décision expresse et motivée. L’autorisation peut être renouvelée par le juge des libertés et de la détention dans les mêmes conditions.
IV. – L’autorisation de recourir à ces traitements ne peut être accordée par le procureur de la République ou le juge d’instruction que s’il n’est pas possible d’employer d’autres moyens moins intrusifs ou que l’utilisation de ces autres moyens serait susceptible d’entraîner des menaces graves pour l’intégrité physique des agents chargés de l’enquête ou de l’instruction. La décision autorisant le recours à ces traitements comporte tous les éléments permettant d’identifier les lieux et les personnes concernées et précise sa durée.
L’autorisation écrite du procureur de la République ou du juge d’instruction est mentionnée ou versée au dossier de la procédure. Elle n’a pas de caractère juridictionnel et n’est susceptible d’aucun recours.
V. – Les opérations prévues au présent article se déroulent sous l’autorité et le contrôle du magistrat qui les a autorisées. Ce magistrat peut ordonner à tout moment leur interruption.
Les opérations ne peuvent, à peine de nullité, avoir un autre objet que celui pour lequel elles ont été autorisées. Le fait que ces opérations révèlent d’autres infractions ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.
VI. – Le procureur de la République, le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire commis par lui ou requis par le procureur de la République dresse procès-verbal des traitements mis en œuvre, des signalements générés et des suites qui y sont apportées. Ce procès-verbal mentionne la date et l’heure du début et de la fin des opérations.
Les enregistrements sont placés sous scellés fermés.
L’officier de police judiciaire, ou l’agent de police judiciaire agissant sous sa responsabilité, décrit, dans un procès-verbal versé au dossier, les données enregistrées qui sont utiles à la manifestation de la vérité. Aucune séquence relative à la vie privée étrangère à l’objet pour lequel les opérations ont été autorisées ne peut être conservée dans le dossier de la procédure.
VII. – Les données à caractère personnel révélées par l’exploitation des enquêtes et des investigations mentionnées aux 1° et 3° du I sont effacées à la clôture de l’enquête et, en tout état de cause, à l’expiration d’un délai de trois ans à compter de leur révélation.
Les données à caractère personnel révélées par l’exploitation des enquêtes mentionnées au 2° du même I sont effacées dès que l’enquête a permis de retrouver la personne disparue ou, en tout état de cause, à l’expiration d’un délai de vingt ans à compter de leur révélation.
Il est dressé procès-verbal de l’opération de destruction.
VIII et IX. – (Supprimés)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 11 est présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
L’amendement n° 16 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Thomas Dossus, pour présenter l’amendement n° 11.
M. Thomas Dossus. Il n’y a pas de retour en arrière possible si nous commençons à autoriser l’utilisation en temps réel de technologies de reconnaissance faciale. Il ne peut y avoir qu’un glissement continu vers la surveillance globale. Nous ne voyons pas ce qui pourrait l’arrêter.
Ce n’est pas notre modèle de société. Nos libertés publiques sont menacées par la dissémination et la prolifération de technologies de surveillance. Leur interdiction doit être un principe absolu.
La reconnaissance biométrique, imparfaite, peut entraîner des erreurs de raisonnement aux conséquences multiples et potentiellement graves, telles que des arrestations erronées par les forces de l’ordre.
En s’intéressant aux profils des personnes victimes de ces erreurs, la Défenseure des droits a bien insisté sur ces risques : il s’agissait majoritairement de personnes issues de groupes discriminés ou vulnérables, en raison des biais discriminatoires des algorithmes sur lesquels reposent ces technologies.
J’insiste sur ce point : les enquêteurs ont suffisamment de moyens de surveillance à leur disposition pour ne pas avoir recours à un énième outil qui n’a pas fait ses preuves et qui comporte une grande marge d’erreur d’appréciation.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 16.
Mme Éliane Assassi. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Les auteurs de ces amendements ont raison sur un point : nous arrivons ici à la pointe extrême de ce que nous pouvons envisager.
Il s’agit non plus d’utiliser des images préexistantes dans le cadre d’une enquête judiciaire, c’est-à-dire sous l’autorité de magistrats, mais de créer l’image par une surveillance qui doit permettre d’identifier les auteurs d’un crime particulièrement grave.
Je veux préciser que si cette possibilité d’emploi de la technologie de la reconnaissance faciale ne doit en aucun cas se généraliser, il nous paraît possible de l’expérimenter, à condition de le faire de manière extrêmement restrictive.
C’est la raison pour laquelle les finalités de l’expérimentation ne pourront être que des enquêtes portant sur des actes de terrorisme, des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, des infractions relatives à la grande criminalité organisée et la disparition d’enfants qui auraient été enlevés.
Bien sûr, si l’on veut prolonger au-delà de quarante-huit heures cette surveillance exercée sous le contrôle d’un juge, il faudra le demander à un juge des libertés et de la détention (JLD). Ce dernier vérifiera évidemment que l’enjeu est tel que se priver du recours à la reconnaissance faciale serait une perte de chance pour la justice dans la lutte contre la grande criminalité.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Faire de la reconnaissance faciale pour des finalités judiciaires répond en réalité à un vrai besoin.
Pour autant, le dispositif envisagé ne nous paraît pas suffisamment opérationnel. La commission des lois a notamment supprimé la possibilité d’avoir recours à cette technologie afin d’identifier une personne en fuite, alors qu’il s’agit là de l’un des intérêts majeurs et suffisamment légitimes de ce dispositif.
De plus, les conditions de mise en œuvre du dispositif ne semblent pas compatibles avec la nature et la gravité des infractions contre lesquelles il vise à lutter.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement est défavorable à l’article en l’état, mais il n’est pas pour autant favorable à la suppression de cet article 6, pour les raisons que je viens d’évoquer.
J’émets donc un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 11 et 16.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 19, présenté par M. Bas, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 20
Remplacer les mots :
enquêtes et des investigations mentionnées aux 1° et 3° du I
par les mots :
images mentionnées au premier alinéa du I sont, pour les enquêtes et les investigations mentionnées au 1° du même I,
II. – Alinéa 21
1° Après le mot :
des
insérer les mots :
images mentionnées au premier alinéa du I sont, pour les
2° Remplacer le mot :
sont
par le signe :
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Je mets aux voix l’article 6, modifié.
(L’article 6 est adopté.)
Articles 7 et 8
(Supprimés)
Chapitre V
Dispositions relatives à l’outre-mer
(Division nouvelle)
Article 9
I. – L’article 125 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est ainsi rédigé :
« Art. 125. – La présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative à la reconnaissance biométrique dans l’espace public. »
II. – Au premier alinéa des articles L. 895-1, L. 896-1, L. 897-1 et L. 898-1 du code de la sécurité intérieure, la référence : « n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement » est remplacée par la référence : « n° … du … relative à la reconnaissance biométrique dans l’espace public ».
III. – Le premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative à la reconnaissance biométrique dans l’espace public, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».
IV. – La présente loi est applicable sur l’ensemble du territoire national. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi tendant à la reconnaissance biométrique dans l’espace public.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 299 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 226 |
Contre | 117 |
Le Sénat a adopté.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Bravo !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
4
Réforme de l’audiovisuel public
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, de la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, présentée par M. Laurent Lafon et plusieurs de ses collègues (proposition n° 545, texte de la commission n° 694, rapport n° 693).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Laurent Lafon, auteur de la proposition de loi.
M. Laurent Lafon, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous commençons cet après-midi l’examen de la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle.
Permettez-moi tout d’abord de revenir sur le titre de cette proposition de loi. Oui, nous pensons que la réforme de l’audiovisuel public est une condition de la préservation de notre souveraineté audiovisuelle, dont chacun perçoit bien qu’elle est menacée, ou tout au moins questionnée.
La réaffirmation de notre souveraineté audiovisuelle est également une condition de la préservation de notre audiovisuel public, qui réclame une profonde révision de la loi de 1986, pour que les nombreux verrous qui le pénalisent par rapport aux plateformes soient supprimés.
Nous pensons qu’il est urgent d’agir, non pas pour renforcer les contraintes sur les acteurs français, comme cela a souvent été le cas au cours des dernières années, mais, au contraire, pour libérer leur capacité à transformer leur modèle et à proposer des offres de programmes sur tous les supports.
Le paysage a beaucoup changé depuis l’arrivée de Netflix en 2014. Les services de vidéo à la demande et les services proposant un accès illimité à la musique ont profondément modifié les usages de chacun d’entre nous.
Il ne faut pas oublier certaines applications de partage de vidéos, comme YouTube et TikTok, qui sont devenues les univers préférentiels de la jeunesse. Selon des données qui nous ont été transmises au cours des auditions, il apparaît déjà que, en soirée, l’audience de ces sites de partage de vidéos est supérieure à l’audience de la télévision pour les jeunes.
La télévision et la radio sont-elles condamnées à s’adresser aux générations les plus anciennes, donc, à terme, à disparaître ? C’est l’analyse de certains acteurs du secteur, qui se gardent bien pour autant de l’affirmer en public. Pour notre part, nous ne le pensons pas, pour autant que nous soyons capables de prendre les bonnes décisions. Mais le voulons-nous vraiment ? À quand remonte la dernière grande réforme audiovisuelle ?
Alors même que les révolutions technologiques et d’usage s’enchaînent à un rythme inédit, nous sommes encore en train de nous interroger sur la réponse à apporter aux premières évolutions que, déjà, les suivantes arrivent.
Ainsi, l’apparition des nouveaux acteurs et la numérisation de l’audiovisuel sont encore en train de produire leurs effets, en percutant notre modèle, que l’intelligence artificielle apparaît, suscitant de nouvelles questions et fragilisant encore nos organisations. Combien de temps faudra-t-il avant que les pouvoirs publics ne donnent un cap et n’apportent enfin les réponses aux attentes des acteurs du secteur, eux qui subissent de plein fouet ces évolutions ?
Depuis une quinzaine d’années, plusieurs gouvernements ont annoncé la mise en chantier d’une grande réforme de la loi du 30 septembre 1986, mais tous ont renoncé devant l’obstacle, face aux pressions des groupes d’intérêts et aux corporatismes, mais aussi, il faut bien en convenir, faute d’avoir une vision claire du chemin à suivre.
Réformer la loi de 1986, ce n’est pas remettre en cause les principes fondamentaux de cette loi, auxquels nous sommes tous attachés. Il s’agit de permettre aux acteurs, publics comme privés, de faire face à de nouveaux concurrents, à la puissance financière incomparable et qui, pour de nombreux aspects, ne sont pas soumis à la législation française ou européenne. C’est tout le sens des propositions que je formule dans le chapitre II de ce texte, afin de lutter contre les asymétries de concurrence.
Cette vision sur l’avenir de l’audiovisuel, en particulier public, nous y travaillons ici, au Sénat, depuis de nombreuses années.
Dois-je rappeler les travaux de notre commission de la culture menés en partenariat avec la commission des finances en 2015, qui ont donné lieu au fameux rapport d’information de nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin, puis au rapport d’information de nos collègues Jean-Raymond Hugonet et Roger Karoutchi, publié l’année dernière ? J’y insiste, ces rapports d’information portaient à chaque fois sur le financement des sociétés de l’audiovisuel public et concluaient qu’il était impossible de séparer le financement de l’organisation et de la gouvernance. Nous pensons toujours que ces trois aspects sont inséparables.
Je n’oublie pas la dimension européenne de notre réflexion, qui s’est appuyée sur un colloque organisé en 2018 au Sénat, sur l’initiative de Catherine Morin-Desailly, avec la participation des présidents de la BBC, de la RAI, de la RTBF et de la RTS.
Tous ces travaux nous ont convaincus qu’il était indispensable de donner plus de force à notre audiovisuel public, en regroupant ses talents dans une même structure, en confiant le soin de la piloter à une personnalité ayant une grande expérience des médias et en prévoyant des moyens suffisants dans la durée, afin de garantir son indépendance.
Le rapport de nos collègues députés Jean-Jacques Gaultier et Quentin Bataillon n’aboutit pas à d’autres conclusions. Ils ont indiqué qu’ils étaient d’accord à 95 % avec notre proposition de loi. J’ajouterai que les 5 % qui manquent ne nous semblent pas des obstacles insurmontables.
Comme la plupart de vos prédécesseurs, à l’exception de Franck Riester, vous avez choisi, madame la ministre, de compter sur la bonne volonté des dirigeants de l’audiovisuel public pour mener des coopérations « par le bas ».
M. Julien Bargeton. C’est bien !
M. Laurent Lafon. Notre vieille expérience des contrats d’objectifs et de moyens (COM) nous a malheureusement instruits quant à la sincérité des engagements qui peuvent être pris par les uns et par les autres.
Je me permets de partager avec vous, madame la ministre, le fruit de cette expérience : la volonté de travailler ensemble exprimée par les dirigeants de l’audiovisuel public n’est jamais aussi aiguë que lorsque se profile le renouvellement de leur mandat ou la définition de la trajectoire budgétaire…
Hélas, en cette matière également, « les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent », comme aurait dit un grand acteur et connaisseur de notre vie démocratique. Nous aurons l’occasion d’y revenir au cours des débats, mais les engagements pris dans les COM sont souvent peu suivis d’effets.
Nous partageons, pour notre part, le constat du président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), Roch-Olivier Maistre, pour qui, si les entreprises de l’audiovisuel public sont livrées à elles-mêmes, les convergences s’effectueront avec lenteur. C’est pourquoi, selon lui, on ne peut se reposer sur la volonté des parties.
Il est inhabituel qu’une initiative parlementaire propose de modifier significativement la loi du 30 septembre 1986. C’est, je le crois, une chance pour le Gouvernement, qui ne saurait être accusé de poursuivre quelques desseins politiques.
Sachez par ailleurs, madame la ministre, que nous sommes ouverts pour faire évoluer ce texte. Nous l’avons déjà fait concernant les modalités de nomination du président de France Médias. Nous pourrions le faire également concernant d’autres dispositions. Je pense, en particulier, à la vente des droits de retransmission audiovisuelle des compétitions sportives ou au soutien au développement du DAB+, c’est-à-dire du système de radiodiffusion numérique.
Ce texte n’aborde pas, si ce n’est subrepticement, la question du financement. Néanmoins, nous en débattrons durant les jours qui viennent, à la faveur de la discussion d’amendements déposés par différents groupes.
Vous constaterez à cette occasion, madame la ministre, que le prolongement par modification de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) du système actuel reposant sur l’attribution d’une partie de la TVA ne sera pas une évidence au Sénat. Et il le sera d’autant moins si le Gouvernement n’entend pas intégrer la question du financement dans une vision plus globale, qui porterait également sur l’organisation et la gouvernance.
Il y a aujourd’hui un chemin pour préserver notre souveraineté audiovisuelle, et nous souhaiterions l’emprunter ensemble, madame la ministre.
Au moment où Mme la Première ministre appelle de ses vœux la recherche de majorités de projets, nous répondons favorablement à cet appel en vous tendant la main à notre tour. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)