M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en matière d’urgence, tout est question de perception et de référentiel. Or il semblerait que la gestion des déchets outre-mer passe sous les radars de l’État. Pourtant, c’est une urgence qui existe depuis de nombreuses années et qui semble être appelée à durer encore longtemps.
L’excellent rapport de nos collègues Gisèle Jourda et Viviane Malet dresse un tableau édifiant. Peut-être permettra-t-il de réveiller les consciences ? Je tiens à les remercier et à les féliciter pour leur travail précis et exhaustif.
Comme le rappelle ce rapport, la gestion des déchets est tout autant un enjeu de santé publique que de protection de l’environnement ou de développement économique, de la même importance que l’assainissement ou l’adduction en eau potable.
L’urgence n’est donc pas seulement dans le respect d’une réglementation européenne ou dans l’application d’une loi. L’urgence se situe bien dans la protection de la santé des habitants de nos territoires « et de la préservation du cadre de vie, avant même d’évoquer l’économie circulaire », comme le précise le rapport.
Or les défaillances apparaissent à tous les niveaux du parcours d’un déchet, de sa production à son élimination. Nous en sommes encore à éviter qu’une majorité des déchets finissent dans la nature. C’est pourquoi les investissements doivent avant tout aller vers les équipements de base comme les centres d’enfouissement des déchets, les incinérateurs, les déchetteries ou les outils de collecte.
Les taux de collecte sont insuffisants. Dans mon territoire, par exemple, la Guyane, certaines communes, complètement isolées, ne sont accessibles qu’en pirogue ou en avion. La collecte et l’acheminement des déchets vers un centre de tri ou de traitement y restent une gageure.
Si la collecte est problématique, le tri, le traitement et la valorisation le sont tout autant. Avec deux déchetteries et deux installations de stockage de déchets non dangereux, la Guyane affiche un taux de valorisation, extrêmement faible, de 18 %. La grande majorité de ce qui est collecté finit enfouie. Et c’est le cas pour tous les outre-mer, avec un taux moyen de 67 %, contre 15 % au niveau national.
La collecte est la mère des batailles. Plus nous collectons, plus nous protégeons la population, et mieux nous pouvons gérer, trier et valoriser avec des filières aval rentables. Mais qui pour financer cette collecte ?
Le rapport cite le cas extrême de la commune de Camopi, en Guyane, qui ne touche aucune taxe d’enlèvement des ordures ménagères (Teom). C’est le cas, particulier, de certaines communes de Guyane, dont le foncier appartient intégralement à l’État, ce qui le rend non imposable ! Mais en moyenne, outre-mer, la Teom ne couvre que 80 % du coût du service public – et parfois 15 % seulement dans certaines communes.
Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de Guyane et de Mayotte sont les plus en difficulté, avec des taux de couverture de respectivement 25 % et 50 %. C’est intenable !
C’est pourquoi il faut faire appel à la solidarité nationale et mettre en place une taxe, à l’image de ce qui existe pour l’électricité avec la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), également appelée contribution au service public de l’électricité.
Cette taxe aidera à financer le service public des déchets dans les régions d’outre-mer, qui sont les régions les plus défavorisées, mais aussi celles dans lesquelles les coûts de ce service sont les plus élevés.
Comment, en Guyane et à Mayotte, par exemple, où le PIB par habitant représente respectivement 42 % et 26 % de la moyenne nationale, la population peut-elle financer un système qui coûte 1,7 fois plus que dans l’Hexagone ? Il y a là une terrible injustice.
Par ailleurs, je ne peux que souscrire à la recommandation des rapporteurs concernant une exonération de la TGAP. Cette taxe, transposition séduisante sur le papier du principe pollueur-payeur, souffre dans les outre-mer d’un défaut majeur : il n’y a pas d’alternative au stockage, faute de rentabilité. La trajectoire à la hausse du coût de la tonne fait gonfler le montant de la taxe sans possibilité pour les collectivités de faire supporter son coût par les particuliers ou de réorienter les déchets vers d’autres filières.
Au final, cette taxe se révèle contre-productive, car, en aggravant les coûts de fonctionnement, elle oblitère sérieusement les capacités d’investissement des collectivités, et donc de transition. Ainsi, il est nécessaire de suspendre l’application de la TGAP en outre-mer tant que n’existeront pas des alternatives au seul enfouissement. Il serait même bon d’envisager de flécher le produit de cette taxe vers le soutien au développement des filières alternatives dans les régions où leur rentabilité n’est pas possible.
Par ailleurs, la TGAP génère des comportements d’évitement chez certains professionnels, qui se débarrassent de leurs déchets dans des dépôts sauvages. C’est un mal qui touche tout le territoire national, qui abîme les paysages et multiplie le nombre de sites pollués. Mais c’est une double peine pour les collectivités qui, en plus de payer la TGAP, doivent assumer les coûts d’enlèvement et de nettoyage. Il faut abaisser le seuil de 100 tonnes à partir duquel ce sont les filières REP qui prennent en charge ces coûts, comme le proposent les rapporteures.
Enfin, on peut s’interroger sur la pertinence du dogme de la valorisation par le recyclage comme unique solution. Le coût en sera-t-il supportable pour nos économies étroites ? Est-il envisageable de mutualiser ces coûts en regroupant la gestion d’une filière entre plusieurs territoires ultramarins ? Mais surtout, pourquoi exclure d’emblée la valorisation énergétique des déchets ?
Pour conclure, j’aimerais que le Gouvernement nous précise s’il entend profiter du prochain Ciom pour avancer sur ces sujets.
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je profite de ce deuxième temps d’intervention pour mettre l’accent sur l’urgence sanitaire liée à la gestion des déchets.
L’insécurité sanitaire, ce n’est pas qu’un sentiment. Quelques données objectives permettent de mieux appréhender et évaluer ce risque, qui n’est pas propre aux outre-mer, mais qui y est exacerbé du fait du climat, de la densité de population et de la pauvreté. Je tiens à insister sur les risques sanitaires associés à ces pollutions diffuses, souvent à proximité immédiate des populations.
La commission d’enquête sur les pollutions industrielles et minières des sols, dont j’avais été rapporteure en 2020, avait mis en lumière les risques majeurs de pollutions souvent invisibles et dont la mémoire se perd rapidement. La crise des déchets fait peser, à court et à long terme, des risques importants sur des populations déjà en situation de précarité.
Nos auditions et nos déplacements ont mis en évidence, sur des territoires de la République, une dure réalité qui ne peut être occultée ou édulcorée.
Le cas paroxystique de Mayotte doit devenir une cause nationale : les décharges sauvages, au milieu desquelles des enfants jouent, à ciel ouvert au cœur de bidonvilles ; des batteries de voiture y servent de pierre de gué pour franchir des ruisseaux ; des femmes lavent leur linge dans des bassins alimentés par cette eau ; des tas de déchets y brûlent continuellement…
En Guyane, la situation est assez similaire, à la seule différence que l’espace disponible permet de diluer cette sensation de débordement.
Quelles sont les conséquences de cette pollution ?
Lors de son audition, la direction générale de la santé a souligné que l’abandon des déchets sur l’espace public ou privé, notamment les batteries, les produits électroménagers ou les véhicules hors d’usage, favorise la prolifération d’espèces nuisibles et de rongeurs, qui sont vecteurs de maladies transmissibles aux populations, comme la dengue, le paludisme ou la leptospirose. À La Réunion, des regroupements de cas de plombémie et de saturnisme infantile ont été observés autour de zones de précarité dans lesquelles des batteries avaient été abandonnées ; des pollutions diffuses restent à craindre pour l’avenir.
La tendance à une hausse quasi exponentielle est très inquiétante, pour ne pas dire alarmante. Les déchets abandonnés sont autant de gîtes larvaires propices à la prolifération des moustiques, ce qui favorise des épidémies régulières de dengue, mais aussi de Zika ou de chikungunya, qui touchent régulièrement une grande partie de la population dans les Antilles, en Guyane, dans l’océan Indien et dans le Pacifique. Elles entraînent des arrêts de travail, de nombreuses hospitalisations et des décès.
Les rongeurs, les rats en particulier, favorisent la transmission de la leptospirose, une maladie bactérienne grave pouvant conduire à l’insuffisance rénale, voire à la mort dans 5 % à 20 % des cas. En Guyane, une centaine de cas sont comptabilisés chaque année. Ce taux est soixante-dix fois supérieur à celui de la France hexagonale. D’autres maladies encore peuvent être favorisées par une mauvaise gestion des déchets, comme la typhoïde ou l’hépatite A.
Je reprends l’exemple de Mayotte, qui cumule tristement les maladies vectorielles, les maladies zoonotiques et les maladies hydriques comme la typhoïde. Il y a eu 23 cas de paludisme sur les huit premiers mois de 2022, 3 suspicions de dengue et 152 cas de leptospirose sur les huit premiers mois de 2022. À ce jour, 100 cas de typhoïde ont déjà été documentés en 2022.
Il est naturellement impossible d’isoler précisément les facteurs concourant à la transmission de ces maladies ou d’imputer celles-ci aux seuls déchets. Mais il est certain que les déchets créent à tout le moins des conditions plus favorables de contamination.
Et que dire de la qualité de l’air ? Pour sûr, elle est également affectée, notamment par l’incinération des déchets verts, fréquente sous les climats tropicaux. Plus graves, les incendies des décharges dégagent des fumées toxiques. De tels incendies sont réguliers, par exemple dans la décharge de Céron, en Martinique, en 2021. Et je ne parle pas des déchets radioactifs en Polynésie française – notre collègue Lana Tetuanui le fera mieux que moi.
Bien que la question des algues sargasses soit en dehors du champ de ce rapport, il faut aussi citer les émanations de gaz toxique à proximité des zones habitées en raison de leur décomposition. Les conséquences à long terme sont encore mal connues.
Enfin, les déchets industriels et miniers existent aussi outre-mer. En Guyane française, les activités d’orpaillage illégales sont à l’origine d’une double pollution mercurielle liée aux expositions professionnelles et à la contamination des poissons carnivores et piscivores. La Nouvelle-Calédonie est l’autre territoire marqué par une activité minière conséquente. Plusieurs initiatives ont été lancées pour évaluer l’impact sanitaire de ces déchets sur les populations locales.
La priorité est de poser les bases réelles d’une politique des déchets, madame la ministre. Des infrastructures essentielles manquent, comme des déchetteries, des centres de tri, voire tout simplement de camions de collecte, des centres de stockage ou des comités de valorisation énergétique. Il faut aller à l’essentiel dans les territoires les plus atteints, comme Mayotte et la Guyane. Sans ces bases, le virage vers l’économie circulaire ne pourra être pris.
Madame la ministre, vous connaissez ma mobilisation sur ce sujet. Notre territoire audois a été impacté par ces pollutions minières historiques. Nos enfants ont été exposés. Nous ne pouvons abandonner nos territoires ultramarins. Des mesures doivent être prises en urgence, et celles-ci doivent être à la hauteur des enjeux !
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat actuel témoigne de l’importance de chaque politique publique au quotidien, et particulièrement de celle de la gestion des déchets, notamment en outre-mer.
Les conclusions du rapport d’information de la délégation sénatoriale aux outre-mer, présenté en fin d’année dernière, sont alarmantes. Il est urgent d’agir : des territoires et des populations en dépendent. Je remercie d’ailleurs toutes les personnes qui ont contribué à enrichir la réflexion, afin que nous puissions débattre aujourd’hui.
Les outre-mer souffrent d’un retard majeur concernant la politique de gestion des déchets. La sonnette d’alarme est tirée dans ces territoires eu égard à l’urgence sanitaire et environnementale que ce problème représente.
Les chiffres évoquent cette réalité. Le taux d’enfouissement moyen des déchets ménagers est de 67 % dans les outre-mer, contre 15 % sur le territoire métropolitain. Le coût de gestion moyen des déchets ménagers est 1,7 fois plus élevé que dans l’Hexagone et la quantité moyenne d’emballages ménagers collectés par habitant et par an est de 14 kilogrammes dans les territoires d’outre-mer, contre plus de 51 kilogrammes pour la France entière.
Les outre-mer souffrent d’un retard en matière d’équipements pour assurer pleinement les missions de service public auprès de leurs habitants. Le nombre de déchetteries par personne est deux à neuf fois plus faible dans les territoires d’outre-mer qu’en métropole. Dans un contexte de crise sociale à Mayotte comme en Guyane, ces « non-actions » concernant la santé et l’environnement ne permettent pas au climat de s’apaiser ; elles sont, au contraire, une nouvelle source de profond mécontentement.
Les plans de rattrapage exceptionnels pour la Guyane et Mayotte évoqués dans le rapport nous semblent pertinents, je dirais même indispensables, pour rattraper ce retard.
Il n’y a ni recyclage ni filières dédiées permettant l’instauration d’une économie circulaire réaliste et adaptée aux réalités locales. D’importants gisements de déchets, dont ceux des quartiers informels, des dépôts sauvages et des décharges illégales échappent à la collecte. Ainsi, 41 % des habitants de Mamoudzou, chef-lieu de Mayotte, ne bénéficient pas de ce service.
L’urgence sanitaire et environnementale est déclarée ; il est donc urgent d’agir. Ces dépôts ont des conséquences sur ces territoires fragilisés, nombre de populations n’ayant pas accès à l’eau potable. Certaines maladies sont favorisées par cette non-politique, surtout à Mayotte et en Guyane – je pense notamment à la dengue, à l’hépatite A ou à la typhoïde, comme d’autres de nos collègues l’ont souligné avant moi.
Évidemment, les coûts environnementaux de cette situation sont énormes : les sols, pollués, ne permettent plus à la faune et à la flore des outre-mer de s’épanouir dans un milieu sain et propice, alors même que les outre-mer abritent 80 % de la biodiversité française.
Madame la ministre, vous l’aurez compris, les financements sont insuffisants, à tout le moins pas à la hauteur de ce qu’exige la situation. Les propositions formulées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023 étaient encore trop faibles face aux enjeux que je viens d’essayer de rappeler. Les taxes ne peuvent être la solution à tous les maux : il faut du concret pour accompagner les élus, la santé des habitants en dépend.
La prévention et la pédagogie autour de ces sujets sont inexistantes. Il faut donner à ces territoires les moyens d’agir, humainement et financièrement, pour montrer l’importance au quotidien des petites actions, pour un meilleur cadre de vie.
Tout le monde doit prendre ses responsabilités. Une réelle gouvernance sur le sujet semble indispensable, des moyens à la hauteur des besoins sont nécessaires et des pénalités pour celles et ceux qui ne respectent pas les règles – je pense surtout aux éco-organismes – sont primordiales.
Dans un contexte de réchauffement climatique et de crise environnementale, nos priorités sont claires. Nos actions doivent répondre aux enjeux du développement durable non seulement pour nous-mêmes, mais surtout pour les générations futures.
Les outre-mer accusent un retard majeur en matière de gestion des déchets. La cote d’alerte est souvent dépassée dans certains territoires. Il y a donc un effort particulier à accomplir pour que l’égalité républicaine devienne une réalité là où nous en avons le plus besoin. (M. Joël Bigot applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Lana Tetuanui. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après plus de six mois de travaux, le constat général dressé par la délégation sénatoriale aux outre-mer est, hélas ! alarmant, plus particulièrement dans deux départements qu’il convient de placer en situation d’urgence sanitaire et environnementale.
D’une manière générale, les outre-mer accusent des lacunes et des retards majeurs en matière de gestion des déchets dont plus de 67 % sont enfouis et seulement 15 % valorisés. Ces indicateurs sont différents selon les territoires, mais ces ratios doivent nous pousser à nous interroger, surtout par comparaison avec les données de l’Hexagone, où seulement 15 % des déchets sont enfouis.
Certaines collectivités ultramarines sont certes bien plus avancées du fait de la dynamique des politiques environnementales adoptées localement, qui impliquent le déploiement d’importants moyens en matière de sensibilisation au tri ainsi que des investissements structurants dans la filière de gestion des déchets.
Ultramarins, nous connaissons parfaitement nos défis liés à l’insularité, à l’absence de foncier, à l’éloignement, au coût du transport et à la nécessité de préserver notre biodiversité, qui représente la richesse de nos îles et sur laquelle reposent nos principales activités économiques de développement.
Toutefois, ces défis nécessitent chaque jour de nouveaux moyens budgétaires, car la vague de déchets ne cesse d’augmenter. Les ambitions, les incitations à la valorisation de nos déchets restent à déployer. L’économie circulaire doit s’y développer, plus encore qu’ailleurs, pour la préservation de notre environnement.
Une véritable politique de changement de nos comportements est à insuffler dans nos îles. Il nous faut produire autrement, car le danger sanitaire et environnemental est omniprésent dans les outre-mer et s’incarne dans les nombreuses décharges illégales et les dépôts sauvages qui échappent à la collecte.
Le rapport de nos deux collègues sénatrices, Mmes Gisèle Jourda et Viviane Malet, que le groupe Union Centriste tient à saluer pour cet énorme travail, nous met face à une réalité inquiétante en matière de collecte et de traitement des déchets dans les territoires ultramarins, ce qui contribue aux crises sanitaires et environnementales que ces derniers connaissent.
Le nombre de cas de leptospirose transmise par les rats en outre-mer, soixante-dix fois supérieur au taux national en Guyane et à Mayotte, montre l’urgence de mener un rattrapage massif. Des politiques volontaristes et durables doivent être mises en œuvre dans ces territoires. Les enjeux de santé publique associés à cette question sont considérables.
Outre cet aspect sanitaire, le flux croissant des déchets défigure les paysages et détruit la biodiversité. Que dire en outre de l’état de nos océans, véritables poubelles de la pollution plastique ? Alors que se tient à Paris le sommet des Nations unies sur la pollution plastique, il est urgent de travailler tous ensemble pour générer une économie moins polluante.
Nous devons d’autant moins négliger la préservation de notre environnement que nos outre-mer constituent 80 % de la biodiversité française.
Sans reprendre les constats dressés par mes collègues sur la gestion des déchets dans les différents territoires, je souscris entièrement aux préconisations du rapport sénatorial et à la proposition de résolution européenne déposée par mes deux collègues.
Un appel à la solidarité nationale pour le financement d’investissements structurants et durables est nécessaire pour faire face à cette situation d’urgence. Il convient également de mobiliser les aides européennes, d’adapter la politique européenne en matière de gestion des déchets aux spécificités des régions ultrapériphériques (RUP) et des pays et territoires d’outre-mer (PTOM) et de simplifier les procédures européennes, notamment en matière d’export des déchets. Il faut, en outre, permettre et encourager la conclusion d’accords régionaux dans la zone relevant de chaque territoire d’outre-mer.
Permettez-moi, en dernier lieu, de parler de ma collectivité. La charge de la collecte et du traitement des ordures ménagères et des déchets végétaux y revient aux communes depuis 2004. Un éminent sénateur, dont je ne citerai pas le nom, avait déposé un amendement à cette époque. Or les communes ne sont et ne seront pas en mesure, faute de moyens financiers et d’ingénierie, de respecter le délai imparti pour assumer complètement cette charge au 31 décembre 2024.
Les demandes récurrentes d’évaluation des charges liées à la mise en œuvre de ces nouvelles compétences environnementales n’ont pas abouti à ce jour. L’appui de l’État à la réalisation d’une étude globale en la matière est primordial et fortement attendu.
Pour conclure, plaidons pour une économie moins polluante à l’échelle internationale et espérons que toutes nos décharges à ciel ouvert seront définitivement condamnées dans l’ensemble des outre-mer pour la préservation de notre biodiversité et de notre santé publique, avec l’aide de l’État et de l’Europe. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et RDSE. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Stéphane Artano. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me félicite que le Sénat organise ce débat sur la gestion des déchets en outre-mer. Il fait suite au rapport de nos collègues Gisèle Jourda et Viviane Malet, que je tiens sincèrement à saluer pour leur engagement dans ce dossier, que j’ai pu mesurer lors de leur déplacement à Saint-Pierre-et-Miquelon.
La gestion des déchets, tout comme celle de l’eau et de l’assainissement, est un marqueur fort pour nos concitoyens de la réussite ou de l’échec de nos politiques publiques. Ce dossier nous oblige tous, collectivement.
Il serait évidemment aisé, voire caricatural, de s’en tenir au constat rappelé par les précédents orateurs. Comme cela a été dit, selon les territoires, la situation connaît des stades d’avancement différents.
C’est de Saint-Pierre-et-Miquelon que je vous parlerai ce soir, car l’enjeu de notre débat est aussi, avant tout, d’ouvrir des perspectives de progrès.
Les deux communes gèrent la collecte et le traitement des déchets ménagers, mais également de tous les autres déchets compte tenu de la faible implantation des éco-organismes sur mon territoire et de l’absence d’opérateurs privés susceptibles de traiter les déchets des entreprises de tous les secteurs, y compris ceux des bâtiments et travaux publics (BTP).
Cette situation n’est pas nouvelle, mais elle n’est pas durablement tenable, d’autant qu’une grande partie des déchets non valorisés est brûlée à ciel ouvert, comme l’a souligné Gisèle Jourda.
Nos rapporteures ont mesuré le désarroi des maires des communes de Saint-Pierre et de Miquelon-Langlade. C’est comme si les sites des décharges étaient arrivés au bout de leur capacité à tout absorber.
En revanche, la collecte des déchets ménagers est parfaitement assumée. Elle obtient même des résultats remarquables en matière de prévention et de tri. Ainsi, l’archipel a franchi le pas dès 2018 pour ce qui est du tri des biodéchets des particuliers, alors que l’obligation nationale entrera en vigueur en 2024. Il est important de le saluer.
Il existe des substituts à la situation actuelle, mais leur mise en place suppose l’engagement de tous les acteurs.
Je salue l’approche pragmatique du ministre Jean-François Carenco, qui a pu mesurer l’ampleur des défis lors de sa visite, début mai. Je souhaite mettre en évidence quelques pistes qui méritent, me semble-t-il, d’être creusées.
En premier lieu, il existe un plan national de résorption des décharges littorales présentant des risques de relargage de déchets en mer. Si certaines communes ultramarines ont été retenues dans ce cadre, ce dont je me félicite, j’avoue ne pas comprendre pourquoi les décharges de Saint-Pierre-et-Miquelon n’ont pas été intégrées à ce dispositif.
En effet, c’est justement parce que la décharge de Saint-Pierre déborde sur le domaine public maritime avec des rejets en mer par forte tempête, comme l’a rappelé Gisèle Jourda, que le maire de cette commune se retrouve sous le coup d’une enquête judiciaire après un signalement de l’Office français de la biodiversité (OFB).
Au-delà des obstacles juridiques éventuels à lever dans ce dossier, je demande à l’État de faire établir un diagnostic des décharges littorales de l’archipel par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) pour qu’un accompagnement des mairies puisse être mis en place au titre du plan national.
En deuxième lieu, nos décharges ayant dû, par la force des choses, tout accepter, elles se retrouvent saturées de véhicules hors d’usage, d’accumulateurs ou encore de pneus. Je me fais ici le relais des mairies et de la volonté affichée par le ministre délégué : nous souhaitons qu’une opération d’enlèvement de ce stock historique puisse être coordonnée avec le soutien de l’État. Il est urgent d’accompagner nos élus dans cette opération.
En troisième lieu, comme cela a été dit précédemment, l’intervention des éco-organismes doit être plus active. Depuis leur création, force est de constater que les filières REP ont beaucoup délaissé les outre-mer, où la loi s’applique aussi !
Loin de stigmatiser qui que ce soit, le Gouvernement a réuni les éco-organismes pour les mettre face à leurs responsabilités et leur a demandé une feuille de route territorialisée. Madame la ministre, vous aurez peut-être des éléments à nous communiquer.
À Saint-Pierre-et-Miquelon, un consensus existe sur la nécessité de mettre en place progressivement une plateforme inter-REP, avec un représentant local dédié à ces opérations.
Le déplacement des éco-organismes sur place en septembre prochain et la structuration de nouvelles filières REP permettront d’accélérer les réponses.
Il faudra sans doute mettre en place un cahier des charges propre à Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi que des mécanismes de pénalités en cas de non-atteinte de leurs objectifs par les éco-organismes.
Il est nécessaire que l’État accompagne la mairie de Saint-Pierre, sous une forme encore à déterminer, pour qu’elle se dote d’un incinérateur de petite capacité, afin que cesse le brûlage à ciel ouvert tout en mutualisant le flux des deux îles, la mairie ne pouvant porter seule cette ambition.
Je tiens à rappeler que, en 2014, emmenée par Karine Claireaux, la commune de Saint-Pierre a obtenu le label « Zéro déchet, Zéro gaspillage ». Entre 2015 et 2020, la quantité de déchets ménagers non valorisables mis en décharge a été divisée par cinq. Saint-Pierre-et-Miquelon est sans doute l’un des territoires ultramarins où les efforts de prévention, de communication et de réduction des déchets ont été les plus importants au cœur de la stratégie de gestion des déchets.
Le maire actuel, Yannick Cambray, poursuit ce travail avec ses équipes et s’investit pour tendre vers une gestion conforme de nos déchets ménagers en lien avec la municipalité de Miquelon-Langlade, qui dispose de capacités réduites.
Les autres acteurs, je le dis solennellement, devront également prendre leurs responsabilités à l’égard de leurs propres déchets. Cela nécessitera sans doute un accompagnement.
Madame la ministre, comme les élus de l’archipel, j’en appelle à l’accompagnement et au suivi étroit par l’État de la mise en œuvre d’une gestion des déchets vertueuse, assumée par tous les acteurs responsables au regard de la loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)