compte rendu intégral
Présidence de M. Roger Karoutchi
vice-président
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa,
M. Daniel Gremillet.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
examen à l’assemblée nationale d’une proposition de loi abrogeant la réforme des retraites
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. Guillaume Gontard. Madame la Première ministre, j’avais prévu de vous interpeller avec véhémence pour dénoncer les manœuvres auxquelles se livrent votre gouvernement et vos alliés pour empêcher un vote en séance plénière de l’Assemblée nationale, quand bien même serait-il symbolique, sur le report de l’âge légal de la retraite.
Cependant, au regard des événements consternants survenus ce matin à l’Assemblée nationale, c’est avec une profonde gravité que je m’adresse à vous. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Madame la Première ministre, les droits des oppositions politiques sont le fondement même de la démocratie. C’est à l’aune de ces droits que l’on juge de la qualité d’une démocratie. Notre pays, à tous les échelons, national ou locaux, fait déjà pâle figure, avec une hypertrophie des pouvoirs exécutifs et des assemblées réduites à leur seule fonction tribunitienne.
M. Marc-Philippe Daubresse. Vous avez passé votre temps à faire de l’obstruction… Pyromane !
M. Guillaume Gontard. Pour tous nos partenaires européens, régimes parlementaires rompus à la négociation et à une certaine culture du compromis, notre régime politique est une incongruité, pour ne pas dire une aberration.
Dernière manifestation en date d’une culture politique très différente, le président du Gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, remet son mandat en jeu après avoir perdu une élection municipale.
Rien de tel chez nous, où le Gouvernement avance en écrasant toute contestation devant lui.
Ce matin, c’est bien plus que la bataille des retraites qui s’est jouée à l’Assemblée nationale. En torpillant une initiative parlementaire de l’opposition, en bafouant le droit d’amendement,…
M. Marc-Philippe Daubresse. Vous passez votre temps à faire de l’obstruction !
M. Guillaume Gontard. … en transformant le corset de l’article 40 de la Constitution en véritable étau, vous créez un précédent délétère qui menace de réduire à néant le droit d’expression déjà famélique des parlementaires.
Madame la Première ministre, vous qui êtes une démocrate – vous l’avez clamé ici même en juillet 2022 –, comment pouvez-vous tolérer la dérive autoritaire dans laquelle le Président de la République vous enferme ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Gontard, je suis souvent surprise d’entendre ceux qui se disent défenseurs du Parlement être les premiers à en refuser les règles. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Monsieur le président Gontard, revenons-en aux faits. L’examen de la réforme des retraites a eu lieu, avec 175 heures de débat parlementaire. Elle a été votée par deux fois par le Sénat, et le Conseil constitutionnel s’est prononcé très clairement sur la conformité de l’essentiel du texte à notre Constitution et sur le rejet de deux demandes de référendum d’initiative partagée qui visaient à l’abroger.
La proposition de loi dont vous parlez, et qui fait actuellement l’objet d’un examen par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, aggraverait considérablement les charges publiques et réduirait les recettes. Cela contrevient de façon évidente à l’article 40 de la Constitution, et vous le savez, monsieur Gontard.
Personne n’est dupe de la manœuvre qui se joue. Comme vous en appelez au respect du Parlement et au débat, je vous renvoie à ces principes. Ce matin, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a voté pour supprimer l’article de la proposition de loi qui visait à abroger la réforme des retraites. C’est un vote clair et démocratique, mais, immédiatement après, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) a répondu par l’obstruction, avec le dépôt de 3 000 sous-amendements, pour empêcher un vote final en commission. (Eh oui ! sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Rémi Cardon et Mme Michelle Gréaume protestent.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Pompiers pyromanes !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. La réalité, c’est que lorsque le résultat d’un vote déplaît à la Nupes, elle n’a qu’une réponse : l’obstruction.
De mon côté, je crois en notre Constitution et je respecte le travail du Parlement. Aussi, je souhaite que l’examen de la proposition de loi puisse aller à son terme dans de bonnes conditions et que le contrôle de la recevabilité des amendements puisse s’exercer normalement, dans la sérénité. En somme, je ne souhaite qu’une chose : le respect de nos règles et du débat parlementaire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. Madame la Première ministre, l’obstruction, c’est vous : tordre les règles, ce n’est pas appliquer les règles ! (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.) Vous auriez pu entrer dans l’Histoire en ouvrant une page nouvelle de notre république parlementaire, mais vous y entrerez, hélas ! comme une fossoyeuse de la démocratie française. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE. – Protestations sur des travées des groupes UC, RDPI, INDEP et Les Républicains.)
suicide de lindsay dans le pas-de-calais et harcèlement scolaire
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Colette Mélot. « Je ne serai pas là demain ! » Ce sont les derniers mots de Lindsay, 13 ans, adressés par message à l’une de ses camarades de classe. Le 12 mai dernier, Lindsay a décidé de mettre fin à ses jours, parce que la vie lui était devenue insupportable. Treize ans, c’est normalement l’âge de l’insouciance et de la joie de vivre. Mais, pour elle, c’était l’enfer, parce qu’un groupe d’élèves la harcelait au collège et sur les réseaux sociaux avec une violence inouïe.
Lindsay vient ainsi compléter une liste déjà beaucoup trop longue : chaque année, près d’un million d’élèves sont victimes de harcèlement scolaire et une vingtaine d’entre eux commettent l’irréparable. Madame la ministre, il faut que cela cesse !
Avec ma collègue Sabine Van Heghe, qui vit ce drame dans son département, j’ai remis un rapport sur le sujet à M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale. Ce rapport comprend trente-cinq préconisations autour de trois priorités : prévenir, détecter les cas et les traiter systématiquement et sans délai.
Madame la ministre, ce type de situation se traite dans l’urgence. Dès qu’un cas de harcèlement apparaît, tous les acteurs concernés doivent immédiatement agir, sans minimiser les faits. Le cyberharcèlement fait son œuvre très rapidement en démultipliant les conséquences graves, l’enfant n’ayant plus de répit, même dans la sphère privée.
Le programme de lutte contre le harcèlement à l’école (pHARe) a le mérite d’exister, mais il est malheureusement encore loin d’être appliqué dans tous les établissements.
Malgré tous les efforts déployés, force est de constater que tout n’est pas mis en œuvre pour sauver les enfants victimes de harcèlement. Dans le cas de Lindsay, la situation était parfaitement connue dans l’établissement.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Colette Mélot. Mais quelle aide cette jeune fille a-t-elle reçue ? A-t-on vraiment tiré les leçons des drames précédents ?
Madame la ministre, quelles mesures concrètes comptez-vous mettre en œuvre immédiatement ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – Mmes Sabine Van Heghe et Cathy Apourceau-Poly, ainsi que M. Xavier Iacovelli, applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Colette Mélot, permettez-moi tout d’abord d’adresser mon entier soutien et toutes mes pensées à la famille de Lindsay. Nous avons fait, vous le savez, de la lutte contre le harcèlement une priorité, et je sais, madame la sénatrice, que nous partageons ce combat et que vous êtes impliquée sur ce sujet depuis longtemps.
Nous concentrons tous nos efforts pour lutter contre ce fléau : délictualisation du harcèlement ; généralisation du plan pHARe dans toutes les écoles primaires, les collèges et les lycées dès la rentrée 2023 ; formation de très grande ampleur pour tous les personnels à la prévention, à la détection et à la prise en charge du harcèlement ; diffusion large des numéros verts 3018 et 3020.
Le ministre de l’éducation nationale a par ailleurs annoncé très récemment une procédure spécifique – le décret sera publié en juillet –, pour déplacer l’élève harceleur, comme l’avait proposé Mme la sénatrice Marie Mercier.
Et pourtant, malheureusement, nous sommes de nouveau face à un drame depuis le suicide de Lindsay. À l’automne dernier, sa mère avait interpellé la direction de l’établissement, parce que la jeune fille était victime de violences et de moqueries de la part d’une autre élève de son collège. Cette dernière avait fait l’objet d’une exclusion de trois jours, puis, en raison d’une récidive, elle avait été exclue définitivement du collège à la fin du mois de février.
Ensuite, il semblait que la situation s’était apaisée, mais le cyberharcèlement que vous évoquez a continué, à l’abri des regards et du contrôle des adultes et des personnels enseignants. C’est un point fondamental sur lequel nous devons continuer à travailler, comme vous l’avez souligné dans votre rapport sur le harcèlement. En effet, ce n’est que trois jours avant ce geste fatal que l’équipe du collège a de nouveau été alertée sur la situation de Lindsay, mais cela n’a pas suffi. Aujourd’hui, des poursuites pénales sont engagées, et quatre adolescents, ainsi qu’un adulte, ont été mis en examen.
Du côté de l’éducation nationale, le ministre a missionné l’inspection générale pour mener une enquête administrative. Sachez, madame la sénatrice, que l’éducation nationale et ses personnels mettent tout en œuvre pour éviter ces drames. Restons tous solidaires et mobilisés contre ce fléau. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Guylène Pantel applaudit également.)
situation dans le haut-karabagh
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Madame la Première ministre, c’est à vous que je veux m’adresser, et, à travers vous, au Président de la République, pour soutenir dans cet hémicycle une cause juste, celle d’un petit peuple oublié qui a été victime d’un génocide voilà plus d’un siècle. Ce peuple est de nouveau aux prises avec une tentative d’épuration ethnique, culturelle et religieuse.
Comme vous le savez, depuis près de six mois, l’Azerbaïdjan bloque le corridor de Latchine, qui relie le Haut-Karabagh à l’Arménie, transformant ainsi ce petit territoire en prison à ciel ouvert.
Le 22 février, la Cour internationale de justice a sommé l’Azerbaïdjan de lever ce blocus qui met en danger la vie de 120 000 Arméniens, dont 30 000 enfants. C’est dans ce contexte que l’Arménie, défaite par la guerre des 44 jours, le sabre sous la gorge, sa souveraineté désormais mise en jeu, son intégrité territoriale menacée, pourrait envisager d’abandonner le Haut-Karabagh.
Dans ces conditions, madame la Première ministre, je voudrais vous poser deux questions, auxquelles, dans un geste transpartisan, j’associe mon collègue Gilbert-Luc Devinaz, qui préside le groupe d’amitié France-Arménie.
La France a toujours fait du principe d’autodétermination des peuples un principe cardinal de toute sa politique étrangère, notamment s’agissant du Haut-Karabagh. Est toujours le cas ?
L’épuration ethnique n’a jamais été aussi imminente. Qu’allez-vous faire pour l’empêcher ? (Applaudissements prolongés.)
M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le sénateur Bruno Retailleau, la France, avec ses partenaires, est pleinement engagée en faveur d’un règlement durable du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Nous suivons la situation avec la plus grande attention, et je sais votre mobilisation sur ce sujet.
La ministre de l’Europe et des affaires étrangères s’est rendue dans la région à la fin du mois d’avril pour appeler les parties à reprendre les discussions, qui étaient alors bloquées. Aujourd’hui, sous l’égide de l’Union européenne, les négociations de paix reprennent. C’est un signal encourageant, et nous saluons à cet égard le rôle actif des États-Unis, avec lesquels nous nous coordonnons étroitement.
Monsieur le président Retailleau, notre pays est engagé au plus haut niveau pour la paix dans la région. Demain, en marge du sommet de la Communauté politique européenne de Chisinau, le Président de la République sera aux côtés du chancelier Scholz et de Charles Michel pour une réunion avec le premier ministre arménien et le président azerbaïdjanais.
Il existe aujourd’hui une voie pour la paix. Elle passe par la reconnaissance mutuelle de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des deux pays, ainsi que par la délimitation de la frontière commune. Nous saluons à cet égard les déclarations du premier ministre arménien Nikol Pachinian.
Dans ce conflit, la France n’oublie pas les enjeux humanitaires et les conséquences du blocage persistant du corridor de Latchine. Aussi, nous n’avons eu de cesse de rappeler la nécessité de mettre en œuvre la décision de la Cour internationale de justice du 22 février.
Plus particulièrement, monsieur Retailleau, vous avez raison d’évoquer les droits et garanties des populations du Haut-Karabagh, qui doivent pouvoir vivre en paix et en sécurité. Vous pouvez compter sur le plein engagement de la France pour continuer à chercher des solutions durables pour la paix dans la région. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour la réplique.
M. Bruno Retailleau. Madame la Première ministre, je sais l’engagement de la France et je reconnais la mobilisation du Président de la République, mais, aujourd’hui, nous devons faire plus, car nous sommes à la veille d’une tragédie. Nous le devons aux Arméniens, ce peuple frère, avec lequel nous partageons tant de notre Histoire, des liens d’affection comme de civilisation : les mélodies de Charles Aznavour ; les compositions de Michel Legrand ; les films d’Henri Verneuil, dont le prénom de naissance était Achod ; l’héroïsme de Manouchian, qui, bientôt, sans doute, entrera par la grande porte au Panthéon.
M. le président. Il faut conclure !
M. Bruno Retailleau. C’est la raison pour laquelle, je le répète, nous devons faire beaucoup plus. Nous avons des devoirs qui nous obligent, madame la Première ministre. (Applaudissements.)
M. le président. Il y a des questions plus importantes que d’autres, et peut-être plus difficiles.
plan de lutte contre les fraudes sociales
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste.
Mme Nathalie Goulet. C’est une question difficile, en effet.
Monsieur le ministre chargé des comptes publics, vous avez présenté hier votre plan de lutte contre la fraude sociale. Je souhaite d’abord vous remercier de reconnaître qu’il s’agit d’une fraude aux finances publiques, qu’il convient de traiter comme telle. Je fais ce rappel d’autant plus volontiers que j’ai été traitée dans cet hémicycle de menteuse (Exclamations amusées sur les travées des groupes UC et Les Républicains.) et de suppôt du Rassemblement national par un ministre de votre majorité lorsque j’avais osé évoquer ce sujet voilà quelques années.
Quatre ans plus tard, les graves dysfonctionnements demeurent, et les fraudes sont évaluées entre 6 milliards et 8 milliards d’euros, fourchette basse.
La Cour des comptes relève le taux important de fraude documentaire et demande la sécurisation de l’immatriculation des bénéficiaires, faute de quoi vous construirez sur du sable.
Vous présentez des mesures ponctuelles utiles, mais vous abandonnez la voie de la biométrie, votée deux fois ici, au Sénat, pour un système de fusion entre la carte nationale d’identité (CNI) et la carte Vitale. Il y aurait, entend-on, des voix discordantes au sein du Gouvernement au sujet de cet outil, dont la mise en chantier prendra des années.
Pouvez-vous nous indiquer le calendrier de mise en place de cette mesure et justifier ainsi votre choix, compte tenu du temps qu’il faut aujourd’hui en France pour avoir une CNI ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Nathalie Goulet, la lutte contre la fraude sociale, comme la lutte contre la fraude fiscale, est fondamentale. Quand on parle de lutter contre la fraude sociale, on parle tout simplement de garder le contrôle sur notre modèle social, en retrouvant la maîtrise de ce que l’on donne et de la qualité de bénéficiaire.
Madame la sénatrice, je voudrais commencer ma réponse en vous remerciant, vous qui travaillez depuis de nombreuses années sur ce sujet. Vous avez ainsi rédigé un rapport très important en 2019 avec ma collègue Carole Grandjean, qui était députée à l’époque. Vous avez également participé au groupe de travail que j’ai mis en place pour l’élaboration de ce plan, dont plusieurs mesures viennent directement de propositions que vous aviez faites. Je n’en citerai qu’une : à partir du 1er juillet prochain, nous ne verserons plus d’allocations sociales sur des comptes bancaires étrangers. C’est vous qui aviez fait cette proposition et nous l’avons reprise.
Vous m’interrogez sur la carte Vitale biométrique. En effet, c’est une proposition qui a été faite à plusieurs reprises ici même. Nous avons confié à l’inspection générale des affaires sociales (Igas) et à l’inspection générale des finances (IGF) une mission sur le sujet. Le rapport, qui a été remis voilà quelques jours, est à votre disposition. Que dit ce rapport ? D’abord, une telle mesure coûterait très cher, à savoir 250 millions d’euros par an. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Ensuite, il y a de vrais freins juridiques, tant et si bien que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) s’y oppose. (Mêmes mouvements.) Enfin, il y a des obstacles pratiques : les syndicats de médecins disent eux-mêmes dans le rapport qu’ils s’y opposent. Par ailleurs, si vous êtes cloué au lit, ce sera compliqué d’envoyer un proche chercher vos médicaments à la pharmacie, car il faudra donner vos empreintes. (Ce n’est pas le sujet ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
La mission Igas-IGF recommande une autre voie de sécurisation de la carte Vitale en faisant migrer celle-ci sur la carte nationale d’identité. C’est cette voie que nous avons décidé de suivre. Cela permettra de lutter davantage contre la fraude à l’identité pour l’accès aux soins dans notre pays, par exemple à travers du tourisme médical illégal.
M. Michel Savin. Très bien !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Gérald Darmanin, François Braun et moi-même venons de lancer une mission de préfiguration pour déterminer le calendrier et les modalités de cette réforme.
M. Jean-François Husson. Il serait temps !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. L’objectif, c’est d’aller vite sans qu’il y ait de rupture dans l’accès aux soins et aux droits pour les Français.
Nous savons qu’il y a des difficultés aujourd’hui pour renouveler ses titres d’identité et une telle bascule ne peut s’envisager tant que nous ne sommes pas revenus à la normale, même si la Première ministre a annoncé des moyens très importants pour mettre fin à cette situation.
M. le président. Il faut conclure !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. La mission de préfiguration sera lancée d’ici à l’été et des propositions nous seront remises. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, il y a des mesures urgentes à prendre. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il n’y a absolument pas de lien, par exemple, entre le titre de séjour en France et les droits sociaux. Ainsi, une personne dont le titre de séjour est expiré voit sa carte Vitale continuer à fonctionner.
Dans son rapport du 24 mai dernier, la Cour des comptes indique qu’on recense 58 millions de cartes actives, soit un excédent de 2,6 millions, ce qui est tout de même un peu étonnant. Par ailleurs, l’administration a refusé de lui fournir le nombre de cartes Vitale actives par année de naissance, ce qui permettrait de contrôler l’exactitude de ces cartes.
Il y a également 44 000 numéros d’inscription au répertoire (NIR) frauduleux, et l’Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (Agdref) a été remplacée par Administration numérique des étrangers en France, qui ne fonctionne toujours pas, selon la Cour des comptes.
Vous le voyez, il y a un certain nombre de dysfonctionnements majeurs à régler, faute de quoi votre plan ne servira à rien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
parcoursup
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)
M. Pierre Ouzoulias. Comme tous les ans, presque 900 000 candidats ont soumis, non sans angoisse, leurs vœux à la procédure Parcoursup. Comme tous les ans depuis 2018, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les modalités, les critères et, finalement, l’intelligibilité des conditions d’examen des dossiers par certains établissements.
Il est admis, par exemple, que certaines filières réalisent une première sélection des dossiers par le seul usage d’un algorithme. En outre, comme l’a révélé la Cour des comptes, 20 % des commissions d’évaluation intègrent dans leurs critères celui du lycée d’origine. Certaines d’entre elles pourraient même pondérer les notes du contrôle continu par le rang de classement de celui-ci, ce qui pénalise les élèves issus des établissements des communes populaires.
Notre groupe s’était opposé à cette sélection imposée par le manque de places et le sous-investissement chronique dans l’université. Nous estimions, à l’inverse, que la France avait l’impérieux devoir de former plus d’ingénieurs, plus de techniciens supérieurs et plus de diplômés de l’université pour affronter les défis climatiques, technologiques et sociaux.
Dans l’immédiat, considérons avec la Commission européenne, le Conseil constitutionnel, la Cour des comptes, la Défenseure des droits, le comité d’éthique de Parcoursup et la commission de la culture du Sénat qu’il est impératif de présenter explicitement aux candidats les procédures d’examen de leurs dossiers.
Certains établissements ont usé et abusé d’une dérogation législative discutable pour s’affranchir de l’obligation faite à tous les agents publics de rendre compte de leur administration. Comment pouvons-nous reprocher aux Gafam et à TikTok de nous cacher leurs algorithmes et accepter l’opacité de ceux de Parcoursup ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Ouzoulias, je partage avec vous cette ardente obligation de la transparence, en particulier quand il s’agit de l’avenir de nos jeunes, non pas parce que nos enseignants profiteraient de l’opacité pour pouvoir faire de la sélection discriminante, mais parce que la transparence est un levier pour accompagner l’orientation de nos jeunes et rendre les résultats de Parcoursup plus prévisibles, donc moins stressants pour les étudiants, les élèves et leurs familles.
Depuis cinq ans, l’amélioration continue de Parcoursup accompagne cette meilleure compréhension des critères d’analyse de nos formations. Là où il n’y avait rien, nous avons expliqué les attendus et rendu obligatoire l’affichage des critères. Pour cette session 2023, nous avons été à l’écoute, puisque nous avons refondu complètement la manière dont sont présentés ces critères pour apporter une information plus précise et plus transparente aux candidats.
Toutes les formations de Parcoursup, y compris les classes préparatoires, devront aussi produire en fin d’année un rapport sur les critères utilisés et ce rapport sera rendu public sur la plateforme.
Approfondir la transparence, c’est une évidence pour nous, mais il s’agit aussi de préserver le secret des délibérations collégiales des enseignants. Il s’agit non pas d’un réflexe corporatiste ou d’une volonté de sauvegarde de l’opacité, mais de la conviction que la délibération des enseignants est la garantie d’un regard humain. D’ailleurs, le caractère humain a été reconnu par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2020. Derrière Parcoursup, il y a des commissions d’examen, des enseignants qui travaillent, et je profite de cette occasion pour insister sur la qualité de leur travail à tous les niveaux.
Pour conclure, comme demain s’ouvre la période de résultat des vœux, je voudrais dire aux étudiants et à leurs familles que nous pensons à eux,… (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)