Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce jour est le premier d’une série de trois lois visant à établir un cadre pour des restitutions qui n’exigeront plus le vote par le Parlement de dispositifs législatifs ad hoc.
Un débat préalable aurait sans doute été utile pour préciser les principes de ce dessaisissement du Parlement par lui-même : rappelons que le domaine public mobilier est doublement protégé par le code général de la propriété des personnes publiques et par le code du patrimoine.
Lors du dépôt du projet de loi relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, en juillet 2020, le Gouvernement n’avait ainsi pas souhaité mettre en œuvre une loi de principe. Selon lui, un tel texte aurait pu être censuré pour incompétence négative du législateur, au risque de faire obstacle aux restitutions pourtant souhaitables.
Finalement, le Gouvernement a considéré que ce risque juridique dirimant pouvait être contourné par le dépôt de trois projets de loi. Il serait de bonne politique que ceux-ci obéissent à des objectifs similaires. Le premier serait celui de la collégialité et de la publicité de l’instruction des restitutions. En effet, celles-ci sont assurées par la collaboration d’une mission de recherche chargée du récolement des œuvres et de la constitution des dossiers scientifiques, ainsi que d’une commission administrative indépendante.
Ensuite, il resterait à définir les modalités d’information du Parlement, qui ne peut être totalement exclu de procédures touchant à la domanialité publique. Le décret d’organisation de la commission placée auprès du Premier ministre répondra sans doute à cette attente.
Sur ces deux points, je vous le dis sans détour, madame la ministre, le rapport rendu par M. Martinez et intitulé Patrimoine partagé : universalité, restitutions et circulation des œuvres d’art est décevant. La constitution au cas par cas de groupes de travail formés d’experts bilatéraux nommés par leur gouvernement ne saurait apporter les mêmes garanties d’impartialité qu’une commission indépendante et pérenne.
En outre, je doute que le Parlement se satisfasse d’une information annuelle délivrée par le Gouvernement à la seule commission de la culture. Lors des débats futurs, il conviendra donc de nous demander si les attributions de la commission instaurée par le présent projet de loi ne pourraient pas être étendues à d’autres domaines.
Les conditions de restitution doivent être d’autant plus irréprochables qu’elles concernent des biens collectés durant les périodes les plus sombres de notre histoire nationale ; ceux-ci, au-delà de leur qualité artistique, constituent des témoignages bouleversants du destin dramatique de ceux à qui ils ont été arrachés par la violence, la spoliation institutionnelle et le dol.
Le texte dont nous débattons aujourd’hui n’est pas seulement technique : il marque, pour la première fois depuis 1945, une reconnaissance législative des spoliations antisémites perpétrées par l’Allemagne nazie et l’État français. La voie a été ouverte par les mots du président Jacques Chirac le 16 juillet 1995, lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv : « La France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. »
Près de trente ans après cette déclaration, nous allons, mes chers collègues, poursuivre cet effort en identifiant clairement dans la loi la responsabilité spécifique de l’État français.
Sauf à s’engager dans une coupable opération de négationnisme, il est acquis que l’État français a, de son propre chef et avec l’aide de l’occupant nazi, mené une entreprise de persécution et de spoliation des Juifs de France, citoyens français ou immigrés, dont les objectifs ultimes étaient leur déportation et leur extermination.
Cette politique antisémite est au cœur de la Révolution nationale voulue par Pétain. Elle fonde le programme de l’extrême droite française depuis Maurras et l’Action française, dont 2 000 nostalgiques ont défilé le week-end dernier, poussant les mêmes cris de haine que les ligues factieuses de 1934.
Ces crimes antisémites sont des crimes contre l’humanité et sont imprescriptibles. En votant cette loi, nous affirmons solennellement la volonté de la Nation d’œuvrer perpétuellement pour les identifier, les dénoncer et aussi tenter de les compenser matériellement par la restitution. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi.
M. Pierre-Antoine Levi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de saluer à mon tour le présent texte au nom du groupe Union Centriste et de féliciter notre rapporteure, Béatrice Gosselin, pour son travail remarquable sur le sujet.
Comme cela a été souligné à plusieurs reprises en commission, le Sénat peut s’enorgueillir d’avoir a été moteur en la matière ; je tiens à vous faire part, en particulier, de la satisfaction de notre groupe Union Centriste : Nicolas About a porté le premier texte de loi sur la restitution des restes humains, à savoir la loi du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud, concernant la fameuse Vénus hottentote.
Dans la même veine, Catherine Morin-Desailly a été à l’origine de la loi du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections.
J’en viens plus spécifiquement des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations antisémites dans le contexte du nazisme. Corinne Bouchoux a ouvert le débat en 2013. Nous sommes désormais en 2023, et il a fallu dix ans pour qu’un gouvernement se saisisse pleinement de la question. Les esprits les plus critiques se demanderont pourquoi nous avons tant attendu, tandis que d’autres souligneront qu’il vaut mieux tard que jamais.
Certes, la loi du 21 février 2022 a permis à la France de restituer quatorze œuvres des collections nationales, et une œuvre d’une collection municipale, spoliées ou acquises dans des conditions troubles, aux ayants droit de leurs propriétaires, victimes de persécutions antisémites.
Cependant, pour réaliser un inventaire global et mener une véritable politique de restitution et de réparation, les lois d’espèce ne suffisent plus. Il est établi depuis longtemps que la mise en place d’un cadre global s’impose. Tel est l’objet du présent texte. Nous ne pouvons que nous en féliciter, d’autant plus que le mécanisme qu’il instaure est pertinent.
Sans trop entrer dans le détail, relevons qu’il permet aux détenteurs des biens restituables de prendre l’initiative de la restitution – auparavant, une telle démarche ne pouvait être engagée que sur l’initiative des ayants droit – et soumet alors leur sortie des collections à l’avis préalable de la CIVS.
Nous approuvons l’analyse de notre rapporteure selon laquelle le caractère simple de cet avis ne vide pas ipso facto le dispositif de sa substance. Il est probable que, la plupart du temps, l’avis de la CIVS sera suivi. Pour autant, dans la suite de nos travaux, il nous faudra trancher la question de ce qui se passera lorsqu’il ne le sera pas.
Nous apprécions la flexibilité de ce texte, qui permet que les différentes options de compensation de la spoliation, autre que la restitution pure et simple, soient discutées entre la collectivité et la personne spoliée ou ses héritiers.
Si ce cadre apparaît comme général au regard des lois d’espèce, il demeure néanmoins spécifiquement établi pour les spoliations antisémites. Une question se pose donc. Fallait-il un cadre plus global concernant toutes les restitutions ? Notre première inclination allait dans ce sens et la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques, que le Sénat a adoptée le 10 janvier 2022, ne portait pas sur les spoliations antisémites, mais regroupait les restitutions coloniales et celles de restes humains.
Un autre choix a finalement été fait par le Gouvernement : ce projet de loi est le premier d’un train de trois textes qui nous seront successivement présentés. Il concerne les spoliations antisémites, une nouvelle proposition de loi de Catherine Morin-Desailly s’attachera aux restes humains, et un troisième texte sera dédié aux restitutions coloniales.
Pourquoi pas ? Nous comprenons l’intérêt mémoriel et politique de ce choix : il s’agit d’éviter tout amalgame et de respecter l’importance et la singularité de chaque situation.
Néanmoins, il serait préférable que les excellents principes qui irriguent le texte qui nous est soumis aujourd’hui imprègnent également les deux autres ; le groupe Union Centriste y veillera.
Pour autant, vous l’aurez sans doute compris, nous voterons en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est toujours avec une émotion certaine que nous nous retournons vers cette sombre période de notre histoire durant laquelle l’idéologie nazie a orchestré l’extermination du peuple juif et organisé sa spoliation.
La complicité de l’État français de l’époque nous oblige encore davantage envers les victimes et leurs descendants. De ce fait, ce projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 est attendu et mérite notre soutien.
Ce texte remet en question le principe d’inaliénabilité des biens culturels du domaine public, pour les restituer, au même titre que les biens MNR. Madame la ministre, profitons de cette occasion pour nous interroger sur une possible évolution des principes d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité des biens culturels. L’inaliénabilité pourrait ainsi être fondée sur la seule dimension culturelle plutôt que sur la patrimonialité.
Inscrire les biens culturels dans un patrimoine mondial de l’humanité serait un remarquable message de concorde universelle, permettant à l’art et à la culture de jouer pleinement leur rôle d’éveil de conscience.
Le débat se porterait alors sur l’usufruit et la nue-propriété, ainsi que sur la localisation des œuvres d’art : dans les musées pour un dialogue interculturel et intergénérationnel, ou sur leur lieu d’origine, si celles-ci sont nécessaires à l’identité d’un territoire ou d’un peuple.
Si notre émotion est forte en évoquant les spoliations antisémites, cette reconnaissance et ces réparations doivent s’intégrer au sein d’un devoir de reconnaissance et de réparation plus vaste, englobant les spoliations réalisées à d’autres moments et en d’autres lieux, notamment durant l’époque coloniale.
Au cours des auditions, nous avons été alertés sur le risque de ressentiment qu’une loi spécifique aux spoliations antisémites pourrait alimenter si nous négligions concomitamment d’autres spoliations, remontant en particulier à la période coloniale. L’enfer est pavé de bonnes intentions, et nous devons aux victimes des persécutions antisémites et à leurs descendants de ne pas risquer d’en entrevoir la porte.
Agir en faveur d’une loi-cadre qui engloberait toutes les spoliations, sans stigmatiser aucune catégorie spécifique de victimes, élèverait la France au-dessus de contraintes administratives suspectes au regard de notre devoir de reconnaissance et de réparation des préjudices subis.
Nous accueillons positivement les avancées de ce projet de loi, pour ce qu’il apporte aux démarches légales de reconnaissance et de restitution.
Si l’octroi automatique du certificat d’exportation pour les œuvres spoliées importées sur notre territoire constitue une réparation juste, nous pourrions néanmoins nous interroger sur cette automaticité s’agissant des œuvres qui ne l’ont jamais quitté. Celles-ci pourraient en effet en sortir si les négociations n’aboutissaient pas, puisque l’autorisation de sortie s’imposerait alors.
Plutôt que la présence symbolique de parlementaires dans une CIVS reconfigurée, un véritable rapport annuel d’information des commissions de la culture du Parlement nous semble en outre indispensable, dès lors que le Parlement sera dessaisi de l’avis par l’adoption de cette loi.
Pour finir, madame la ministre, nous souhaitons que les moyens dédiés à la recherche de provenance soient véritablement garantis. Notre devoir de réparation nous y oblige. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, qui sommes-nous ? Juste des parlementaires : pas plus, pas moins.
Je voterai en faveur de ce texte, mais j’entends dans cet hémicycle des propos que je préférerais ne pas entendre : un texte pourrait être une « réparation » ou une « réconciliation ». Non ! La Shoah ne se répare pas, ne se réconcilie pas : elle ne relève pas du même domaine que le reste.
Ce texte va permettre de ne plus avoir besoin de loi d’espèce chaque fois que l’on veut procéder à une restitution. On estime que, en France, sans même parler du reste de l’Europe, entre 100 000 et 150 000 biens ont été spoliés.
Oui, il y avait les trains de Goering, le projet de musée de Linz d’Hitler, et ces œuvres d’art magnifiques qui se trouvaient chez des collectionneurs ou des galeristes. Cependant, beaucoup des œuvres concernées n’étaient pas nécessairement de renommée mondiale. Où sont-elles maintenant ? Certaines sont dans nos musées, mais beaucoup d’entre elles ont fini entre les mains de collaborateurs, de profiteurs de guerre, de personnes sans scrupules qui ont utilisé le régime nazi, la collaboration et le régime de Vichy pour s’approprier ces biens. Où en sommes-nous à cet égard ? C’est difficile à dire.
Il est vrai qu’il y a eu beaucoup de restitutions juste après la guerre. Après la Libération, l’occupation de l’Allemagne a permis la restitution de nombreux biens connus, reconnus, enregistrés par l’administration allemande.
Cependant, où sont les très nombreux biens moins connus ? Nous n’en savons rien, pour la plupart d’entre eux. Il faut naturellement, madame la ministre, trouver un texte qui permette au moins la restitution de ceux qui sont dans les musées ou dans les collections publiques.
J’évoquerai l’exemple de ce collectionneur viennois qui, sans en informer les autorités, détenait chez lui des centaines de tableaux spoliés, volés. On les a retrouvés non pas par hasard, certes, mais certainement pas parce qu’il les aurait lui-même déclarés.
Il me semble nécessaire d’avancer. Je vous remercie, madame la ministre, et je tiens également à remercier Mme Bouchoux pour son rapport, ainsi que mes collègues centristes pour leur travail ; pour autant, nous devons être extrêmement modestes. La Shoah ne peut pas être « réparée ». Il ne peut pas y avoir de « réconciliation ».
À mon sens, la restitution des biens ne constitue en rien une réconciliation des Français, car il n’y a pas de réconciliation possible s’agissant de ces événements. Je n’accepterais pas l’idée même qu’il puisse y en avoir une ; ce serait la négation de la République !
Rendre un tableau, ce n’est pas de la réparation ; c’est de la justice, et seulement de la justice. Un tableau qui a été spolié appartient à la famille à laquelle il a été spolié. La justice exige qu’on lui restitue le tableau.
En revanche, on ne peut pas réparer la déportation et le massacre d’une famille. Comment le pourrait-on ?
La restitution est un acte, non pas de réparation ou de réconciliation, mais de justice. J’estime qu’il faut être très clair sur ce point.
Je remercie la commission des travaux qui ont été menés sur l’analyse, le suivi et la possibilité d’accélérer un peu le système de restitution. Mais le véritable travail qu’il conviendrait d’accomplir est-il humainement faisable, madame la ministre ? Comment encourager – j’utilise un terme poli – les musées, privés ou publics, et les collectionneurs, privés ou publics, qui ont un doute sur l’origine d’un bien à se tourner vers les commissions compétentes pour en déterminer l’origine ?
Le conservateur d’un musée privé peut ne pas avoir très envie de restituer un bien. De fait, seule une enquête publique permettrait de retrouver les biens spoliés, et ce travail serait d’autant plus long que ces biens sont nombreux, sans compter que les héritiers étant parfois tous morts, certains biens ne seront jamais restitués aux familles.
Oui, il faut des textes. Il en faudra même sûrement d’autres. Oui, nous pouvons avancer. Mais ne parlons ni de réparation ni de réconciliation. La Shoah est irréductible à une réparation. Restituons, rendons la justice, mais n’oublions pas, mes chers collègues. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il n’est pas facile de prendre la parole après Roger Karoutchi. Tout a été dit, ou presque, sur ce projet de loi, qui comporte à mes yeux une erreur historique majeure.
Le texte reprend en effet l’expression connotée, datant de deux ordonnances de 1944 et 1945, désignant le régime de Vichy comme une autorité de fait « se disant “gouvernement de l’État français” ».
Madame la ministre, ce n’est pas le « se disant gouvernement » qui a expulsé mon père du lycée Charlemagne.
Ce ne sont pas des « se disant gendarmes » qui ont raflé mon père et ses parents, le 16 juillet 1942.
Ce n’est pas le « se disant commissaire-priseur », sur ordre du préfet du Nord, monsieur le sénateur Kanner, qui a spolié ma grand-mère et son mari de quelques biens qu’ils possédaient dans un petit magasin de chapeaux à Douai.
Madame la ministre, la liste des spoliations ne s’arrête pas aux œuvres d’art. On a pris à mes grands-parents des pieds, un rayonnage d’un montant de 350 francs, une caisse et quelques autres éléments, pour un total de 11 160 francs de l’époque.
Mon grand-père maternel ne s’est pas laissé faire. L’histoire est un peu longue pour aujourd’hui, mais, dans une lettre du 25 juin 1942 que ma mère a gardée précieusement, il écrivait ceci au préfet du Nord : « Vous voudrez bien me faire parvenir toute communication ou instruction nouvelle adressée par le commissariat général à Paris relative à cette affaire. »
C’est bien l’État français qui était en cause, comme l’a reconnu le président Chirac dans un discours historique responsable. J’ai déposé des amendements visant à préciser la rédaction dans ce sens.
Dans cette période troublée, madame la ministre, il faut appeler les choses par leur nom de façon à éviter les amalgames et le négationnisme.
Il faut aussi éviter que certains candidats aux élections présidentielles puissent affirmer que Vichy a protégé les Juifs.
Les spoliations sont des vols, des injustices commises par l’État français et ses ilotes.
Les spoliations sont une blessure due à ces injustices que le temps n’efface pas et qui se transmet de génération en génération.
Je veux rappeler ici la mémoire des milliers de familles spoliées de quelques biens meubles, de leur linge de maison, de quelques instruments de cuisine, spoliées de tout et de leur vie.
Hier – hasard du calendrier –, France 5 diffusait un documentaire remarquable sur l’opération « meubles », lors de laquelle 44 000 foyers juifs ont été vidés du sol au plafond, tandis que de la lingerie, des jouets et des petites cuillères étaient spoliés.
Madame la ministre, il faudrait lancer un appel à tous ceux et à toutes celles qui pourraient être en possession de documents tels que ceux que j’ai entre les mains pour poursuivre le travail déjà accompli.
Le texte que nous allons voter aujourd’hui est un texte mémoriel, qu’il s’appelle ainsi ou non. C’est un texte pour la mémoire ; Roger Karoutchi l’a très bien dit. Comme je l’ai dit à votre prédécesseur, madame la ministre, vous n’êtes pas aujourd’hui seulement le ministre de la culture : vous êtes aussi celui de la justice. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Else Joseph. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Else Joseph. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le dispositif introduit par ce texte ne vise pas seulement à faciliter la restitution de biens à leurs propriétaires ; il ne serait qu’un de plus, dans un long débat relatif à l’origine de certaines collections des musées européens.
Au-delà de la restitution patrimoniale, ce texte s’inscrit dans la démarche de condamnation, constante depuis le général de Gaulle, dès 1940, des persécutions antisémites perpétrées durant la Deuxième Guerre mondiale, de cette injustice profonde qui a déshonoré la France et la République au plus profond d’elles-mêmes et de cette barbarie sans nom qui a commis des crimes sur des individus dont le seul tort était celui d’être nés, comme le disait si justement André Frossard quand il parlait du crime contre l’humanité.
Ce projet de loi vise à restituer les biens culturels ayant fait l’objet de spoliation dans un contexte de persécutions antisémites entre 1933 et 1945 sur le sol français. Ces biens appartiennent à des collections publiques dans lesquelles ils n’auraient jamais dû se trouver.
On peut même s’étonner qu’au regard de cette injustice si profonde, cette restitution n’ait pas été facilitée dès l’origine et que la demande de restitution ait été laissée à l’initiative des propriétaires spoliés ou de leurs ayants droit.
Comme toute démarche, une telle demande peut s’enliser dans les méandres de procédures longues que les familles n’ont pas la force de supporter. Pourtant, la spoliation est une négation honteuse du droit de propriété, qui est profondément ancré dans notre droit et qui ne peut être mis en cause que pour des raisons d’intérêt général. La haine n’en est pas une !
Cette spoliation est pour les familles la négation de leur humanité, de leur mémoire et de leurs souvenirs.
Ce texte doit être donc salué pour ses apports.
Ce texte est attendu par ces familles.
Ce projet de loi institue tout d’abord une procédure de restitution simplifiée des biens culturels spoliés sur l’initiative des personnes publiques. Cela facilitera les restitutions en rappelant que l’État et les administrations ont aussi des devoirs.
C’est donc du côté de la puissance publique que la démarche de restitution doit d’abord être engagée, alors même que les autorités françaises ont reconnu leur responsabilité dans les persécutions, comme l’avait fait Jacques Chirac en 1995 dans son discours du Vel d’Hiv, précédemment cité par notre collègue Pierre Ouzoulias.
La période est définie plus largement, ce qui permettra de viser toutes les spoliations de caractère antisémite et évitera de buter sur des problèmes de chronologie.
Les persécutions antisémites n’ont pas commencé avec Vichy, mais Vichy y a bien participé, et bien au-delà du territoire français.
Cela permettra de restituer les biens confisqués par l’autorité de fait « se disant “gouvernement de l’État français” », comme le prévoit le nouvel article L. 115-2 du code du patrimoine.
Ces biens sont considérables – tous les orateurs l’ont indiqué – au point que les estimations, bien que vraisemblablement trop basses, donnent le tournis : plus de 5 millions de livres et 100 000 œuvres auraient été spoliées en France pendant l’Occupation, dont seulement 45 000 ont été restituées après-guerre et dont 2 200 feraient aujourd’hui partie des collections des musées nationaux.
Le temps peut certes faire son œuvre.
Les propriétaires spoliés ou leurs ayants droit peuvent également demander autre chose qu’une restitution. Le texte prévoit que « d’un commun accord la personne publique et le propriétaire ou ses ayants droit peuvent convenir de modalités de réparation de la spoliation autres que la restitution du bien ».
S’il convient de saluer la possibilité de telles transactions, la souplesse ne doit pas être entendue comme un abandon des restitutions. Il faudra aider au maximum les propriétaires ou leurs ayants droit. Ce sujet sera suivi.
Cette restitution peut aussi être engagée par les personnes morales de droit privé qui détiennent des biens spoliés, notamment les musées de France appartenant à des personnes morales de droit privé.
C’est une autre avancée de ce texte, car la problématique des musées privés est ainsi posée.
Le mouvement de réparation de ces dernières années est en route. Il marque une avancée et un encouragement à poursuivre, notamment pour clarifier le cas des œuvres répertoriées MNR, toujours en attente de restitution.
Enfin, un texte si important ne saurait éluder la question de son application et des démarches qui vont être entreprises.
Madame la ministre, quelles initiatives seront prises dans les mois à venir ? Certaines personnes publiques sont sous la tutelle de votre ministère. Quels établissements ou musées pourraient être concernés ? Comment seront-ils aidés financièrement, car si des indemnisations étaient envisagées, cela soulèverait des problèmes de financement ?
Il faudra être vigilant sur le décret qui fixera les modalités d’application de la nouvelle section introduite dans le code du patrimoine pour cette procédure de restitution simplifiée.
Ce texte doit déterminer la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission administrative qui donnera un avis à la personne publique qui effectuera la restitution.
Le décret concernera également des modalités d’application relatives aux restitutions qui seront effectuées par des musées privés.
Je salue cette précision apportée en commission par l’adoption d’un amendement de ma collègue rapporteure Béatrice Gosselin.
Sans préjuger de la rédaction du décret, il convient d’avoir des garanties et un suivi de son élaboration. Pourrons-nous en être informés ? La commission de la culture y sera vigilante.
Enfin, il faudra préciser l’ampleur des restitutions pour avoir une vue globale de ce qui nous attend.
Madame la ministre, mes chers collègues, avec le groupe Les Républicains, je voterai ce texte, parce qu’il s’inscrit dans une démarche pour une France que nous voulons plus juste, qui ne s’abrite pas derrière la complexité du passé pour mieux fouler les droits les plus fondamentaux de l’homme.
Ce texte traduit une volonté politique au travers de l’émotion suscitée. Je forme le vœu qu’il puisse inspirer d’autres pays, d’autres États confrontés au problème des spoliations.
Un pays qui reconnaît ses fautes peut toujours rester un modèle dans le monde. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945
Avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 18, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La Nation reconnaît sa responsabilité à l’égard de la population juive vivant en France métropolitaine et dans les territoires administrés, dans les préjudices subis du fait des agissements de l’État français de 1940 à 1944.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.