Mme la présidente. Sur le texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, c’est un texte largement amputé des modifications que lui avait apportées le Sénat qui nous est présenté aujourd’hui. C’est une situation que je trouve fort regrettable, car je reste persuadé que nombre de ces ajouts avaient toute leur pertinence.
En premier lieu, il est à mon sens dommageable d’avoir supprimé, à l’article 1er, l’ensemble des objectifs quantitatifs fixés par le Sénat, notamment pour nos ambitions quant à la part de matières recyclées dans la production de l’énergie nucléaire. Les intentions engagent, les objectifs obligent. Nous aurions même pu aller plus loin en matière de réutilisation du combustible au regard du contexte de tensions que nous connaissons aujourd’hui dans l’acheminement de ce type de matériaux, en raison tant de la raréfaction de la ressource que du contexte géopolitique.
Certes, le rapport dont l’article 1er D prévoit la remise à l’horizon des cinq prochaines années est de bon ton et doit aborder ces questions, mais toute cette évaluation n’aurait-elle pas dû être faite en amont ? Cela aurait notamment permis d’éviter que ce débat ne soit mené dans la précipitation, comme c’est malheureusement souvent le cas avec le Gouvernement, qui a pris la mauvaise habitude de tordre le bras au Parlement en imposant des procédures d’urgence et des délais contraints.
Mon propos pourrait être le même s’agissant du rapport prévu à l’article 1er F. Ces études et ces analyses auraient dû être réalisées en amont et soumises aux parlementaires, afin de leur permettre de se prononcer en étant parfaitement éclairés.
À titre individuel, je regrette le retrait, à l’article 1er, de la mention des installations de production d’hydrogène bas-carbone parmi celles qui sont susceptibles de bénéficier des dispositions du présent texte. Nous passons à côté d’une possible accélération des procédures en la matière, en contradiction, selon moi, avec les potentialités de cette énergie.
Par ailleurs, sur le fond, nous sommes tous d’accord pour déclarer qu’en matière d’énergie, il nous faut conquérir notre autonomie, qu’il nous faut travailler mieux et plus vite. Mais nous savons aussi que le mieux est parfois l’ennemi du bien. Or la simplification et l’accélération de nos procédures ne peuvent se faire ni au détriment du débat parlementaire, ni en enjambant la consultation des citoyens, ni surtout en réduisant notre niveau de vigilance et d’exigence quant à la préservation de notre environnement et de la biodiversité.
De ce point de vue, la suppression des dispositions nouvelles qui étaient réunies sous le titre « Renforcer la transparence démocratique sur le nucléaire » doit nous interroger.
En outre, la multiplication, dans le texte adopté par la commission mixte paritaire, des demandes de rapports au Gouvernement, ne saurait remplacer les investigations que les parlementaires peuvent mener eux-mêmes via une délégation partagée. Voilà une occasion ratée de redonner plus de place aux députés et sénateurs ! Si j’étais taquin, j’oserais dire que nous en sommes encore étonnés…
Saluons malgré tout le maintien de l’information préalable du département et de la région sur les projets de création de nouvelles installations. C’était une attente forte de nos collectivités, en raison notamment des responsabilités du département en matière de routes et de sécurité incendie, ou encore des implications sensibles pour les régions en termes d’équilibre territorial.
Notons également une mise en cohérence du texte à la suite des débats à l’Assemblée nationale : l’article 9 A a été réécrit pour tirer la conséquence de la décision de nos confrères députés de retirer du texte l’intégration de l’IRSN à l’ASN. Au-delà des inquiétudes légitimes des personnels, cette fusion n’était pas opportune au regard des missions spécifiques de chacune de ces autorités et en raison de la sensibilité très particulière du domaine de l’énergie nucléaire, qui justifie, selon moi, de maintenir séparées les missions de contrôle et celles d’expertise et de recherche.
Évoquons enfin la nouvelle disposition, intégrée à l’article 3, relative à l’objectif de « zéro artificialisation nette ». Nous le savons toutes et tous, c’est un sujet très sensible, sur lequel nous attendons d’ailleurs toujours les propositions du ministre chargé des collectivités. Mais je pense que nos collègues élus locaux seront rassurés en constatant que les projets d’installation de réacteurs électronucléaires ne seront pas comptabilisés dans les objectifs régionaux ou locaux de réduction de l’artificialisation des sols. Nous respectons ici la logique consistant à ne pas pénaliser le développement de nos collectivités territoriales pour des projets d’envergure ou d’intérêt national.
Vous l’aurez compris, notre groupe dresse un bilan mitigé de ce texte, dans le prolongement des avis que nous avions émis lors des débats précédents. Néanmoins, parce que le sujet est d’importance et parce qu’il nous faut collectivement prendre nos responsabilités pour faciliter l’autonomie énergétique de notre pays, notre groupe votera majoritairement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Moga applaudit également.)
Mme Sophie Primas. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi dit Nouveau nucléaire, dont nous examinons aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire, est important ; il est même très important.
Cela faisait bien longtemps que l’énergie nucléaire n’avait pas été placée au centre de l’attention publique. Rappelons que la dernière autorisation de création d’un réacteur remonte à 2007 ! L’énergie nucléaire dans notre pays était devenue un problème, alors que nous pensons depuis longtemps, au Sénat, que c’est une solution : une solution pour notre indépendance énergétique, afin de sortir des hydrocarbures, russes en particulier, avant 2030 et de faire face à l’électrification majeure de tous nos usages ; une solution pour notre transition énergétique, afin d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.
Mais, madame la ministre, que de temps perdu depuis 2007 ! Ce temps a été perdu pour servir des intérêts politiques plutôt que l’intérêt de notre pays. Citons la politique d’attrition des réacteurs existants, la programmation de l’arrêt de quatorze réacteurs sur vingt l’arrêt du programme Astrid ou encore la fermeture de Fessenheim en 2020 ; autant de fautes qui nous ont privés de vision, d’avance en matière de recherche, de souveraineté technologique, de compétences, de capacités énergétiques et de performances climatiques !
À elle seule, la fermeture de Fessenheim, c’est une production manquante de 11 térawattheures. Ce sont 10 millions de tonnes de CO2 supplémentaires dans l’atmosphère !
À cela s’ajoute une politique d’attentisme du Gouvernement en matière de nouveaux réacteurs. Depuis 2017, aucune décision cruciale n’a été prise : ni lors de la planification énergétique intégrée à la loi relative à l’énergie et au climat du 8 novembre 2019, dite loi Énergie-climat, ni dans la PPE de 2020…
M. Laurent Duplomb. Bravo !
Mme Sophie Primas. Résultat, notre système électrique est aujourd’hui en « vigilance particulière » en matière de sécurité, selon Réseau de transport d’électricité (RTE), et « sans marge » en matière de sûreté, selon l’ASN.
A contrario, notre commission des affaires économiques s’est mobilisée avec constance en faveur de l’énergie nucléaire. Dans la loi Énergie-climat de 2019, nous avons décalé de dix ans le calendrier de fermeture des réacteurs existants, sous réserve évidemment de sûreté. Dans la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, nous avons conditionné toute autre fermeture à la prise en compte de la sûreté nucléaire, de la sécurité d’approvisionnement et des émissions de gaz à effet de serre. Daniel Gremillet s’en souvient, ce fut une bataille ! Enfin, dans la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, cette année-ci, nous avons introduit des mesures de simplification pour l’hydrogène, quelle que soit sa source, renouvelable comme nucléaire.
Notre commission s’est aussi largement mobilisée dans ses travaux de contrôle. La mission d’information transpartisane conduite par notre rapporteur, Daniel Gremillet, a ainsi plaidé pour construire quatorze EPR 2 et pour 4 gigawatts de SMR, afin de maintenir un mix majoritairement nucléaire à l’horizon 2050. Quelle clairvoyance ! Mais quelle opiniâtreté !
Instruite par l’expérience, notre commission a reçu positivement le présent projet de loi et en a considérablement infléchi et enrichi le texte, qui portera clairement l’empreinte du Sénat.
Elle a complété les procédures techniques par une vision politique, en actualisant nos objectifs énergétiques nationaux et en préparant la future loi de programmation quinquennale de l’énergie. Nous serons attentifs à ce que ce texte à venir comporte des objectifs ambitieux, ainsi que des moyens suffisants, et, au-delà, à ce que le Gouvernement clarifie sa stratégie, acte la construction des prochaines installations, instruise les autorisations et précise leurs financements.
Notre commission a aussi promu une vision moderne de l’énergie nucléaire, intégrant de nouveaux risques, climatiques et numériques, et de nouvelles technologies, les SMR et les électrolyseurs d’hydrogène. Elle a aussi encouragé une vision décentralisée de l’énergie nucléaire, attentive aux compétences des collectivités, en particulier d’urbanisme, et aux finances locales.
Je me félicite que le Sénat ait obtenu l’exemption des réacteurs des objectifs locaux et régionaux du ZAN. Ce fut une longue et difficile bataille ; vous le savez, madame la ministre. Nous serons très vigilants à ce que le Gouvernement ne réintroduise pas par voie législative, voire réglementaire, d’objectif national pour ce type de projets.
Notre commission a enfin soutenu une vision exigeante de l’énergie nucléaire, soucieuse de la sûreté des réacteurs et de la gestion des déchets.
Bien entendu, je suis satisfaite que le Sénat ait obtenu le retrait total de la réorganisation de l’ASN et de l’IRSN, introduite à l’Assemblée nationale par le biais d’amendements gouvernementaux improvisés, sans étude d’opportunité ou d’impact, sans concertation. Nous avons d’ailleurs saisi l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) pour comprendre les objectifs sous-jacents de cette réorganisation et évaluer la réponse idoine. Nous serons très attentifs à ce qu’une éventuelle réforme ne vienne pas confondre les responsabilités ou déstabiliser les compétences.
C’est cette vision d’une énergie nucléaire fondée sur la science et la raison, inscrite dans le monde actuel et ouverte sur les technologies futures que notre commission a voulu exprimer.
C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera les conclusions de la commission mixte paritaire sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Bernard Buis et Henri Cabanel applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme j’ai pu le dire lors de l’examen de ce projet de loi en première lecture par notre assemblée, le nucléaire, c’est l’histoire d’une ambition française qui s’est transformée en véritable stratégie ; c’est une aventure industrielle, qui a connu un sérieux ralentissement au cours des deux dernières décennies et à laquelle nous avons décidé de donner un souffle nouveau.
Nous avons bâti notre stratégie nucléaire sur l’idée d’une sécurité d’approvisionnement, dans un esprit de recherche de notre indépendance énergétique.
Après les chocs pétroliers des années 1970, la guerre en Ukraine nous a rappelé notre dépendance aux énergies fossiles et les risques d’un abandon de la filière nucléaire.
Pour atteindre notre souveraineté énergétique, il faudra coupler le nucléaire au déploiement massif d’énergies renouvelables. L’engagement devra être franc et massif ; il faudra conserver un cap constant. Madame la ministre, nous devrons absolument nous donner les moyens économiques et politiques de tenir cet engagement. Le programme paraît ambitieux, les investissements lourds, mais tel est le prix de notre indépendance.
Par ailleurs, notre planète est confrontée à un dérèglement climatique que personne ne peut ignorer. Vous connaissez l’engagement de mon groupe pour une écologie pragmatique.
Il est de plus en plus urgent d’abandonner les centrales à charbon et autres sources d’émissions de gaz à effet de serre. L’avenir sera obligatoirement à un mix énergétique bas-carbone. Produire de manière indépendante, oui ! Produire proprement et de manière indépendante, mille fois oui !
Il est donc essentiel d’investir massivement dans la maintenance, la rénovation et le renouvellement de notre parc nucléaire, qui a été si malmené, depuis trop longtemps, par des politiques contradictoires et totalement inadaptées.
Je me félicite que le texte issu de la commission mixte paritaire entérine la suppression de l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans notre bouquet énergétique à l’horizon 2035.
Poursuivons nos investissements dans la recherche, l’innovation et la formation dans ce secteur majeur pour l’avenir de la France. À ce titre, le nucléaire de nouvelle génération – SMR et EPR – est une belle perspective.
Je suis également préoccupé par la nécessité de créer des liens, afin d’harmoniser notre politique énergétique nationale avec les orientations politiques européennes. En ce 9 mai, fête de l’Europe, cela a tout son sens.
Je connais votre engagement sur ce sujet, madame la ministre : soyez assurée de notre soutien ! Il en va de même, d’ailleurs, sur le dossier de l’hydrogène bas-carbone, qui est intrinsèquement lié à celui de la taxonomie. Ne passons pas à côté de la possibilité de décarboner notre économie en voulant laver plus vert que vert !
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) nous exhorte à nous servir de nos énergies bas-carbone pour réduire nos émissions. L’hydrogène produit à partir d’énergie nucléaire est une chance pour notre pays et pour l’Europe entière, même si l’Allemagne ne partage pas du tout cette analyse. On a du mal à trouver une cohérence dans la politique actuelle de ce pays, qui vient de fermer ses trois derniers réacteurs nucléaires tout en annonçant la fermeture totale des centrales à charbon en 2038 ; comprenne qui pourra ! Dans le même temps, l’Allemagne est en train de négocier en solo son approvisionnement en gaz au Moyen-Orient. Tout cela n’est pas très solidaire !
Trouver une synergie européenne totale paraît compliqué, mais il faudra tout de même trouver des consensus nous permettant d’aller dans le sens de notre souveraineté et de notre indépendance européenne.
Je parlais à l’instant d’innover et de décarboner nos modes de vie. Le nucléaire et l’hydrogène bas-carbone constituent un espoir bien réel pour réduire drastiquement les émissions des secteurs et industries très émetteurs de carbone, comme les aciéries ou les transports.
Sur ce dernier point, je suis de près le développement de l’avion à hydrogène et les programmes d’incorporation de biocarburants dans le kérosène pour les gros-porteurs. Dans le cadre de l’Opecst, mon collègue Jean-François Portarrieu, député de Haute-Garonne, et moi-même préparons un rapport sur le sujet.
Dans cette optique, le groupe Les Indépendants – République et Territoires sera très attentif au projet de loi relatif à l’industrie verte, ainsi qu’au projet de loi de programmation quinquennale sur l’énergie et le climat.
Madame la ministre, le texte que nous discutons est extrêmement encourageant. Mais restons vigilants.
Je pense notamment aux enjeux de sûreté et de sécurité, sur lesquels nous avons besoin de transparence et de la plus grande fermeté. Le travail sera important sur la formation professionnelle. Nous avons besoin, certes, d’ingénieurs en nombre, mais aussi de techniciens. Notre filière professionnelle doit être renforcée pour que la relance soit efficace. Nous devons agir vite.
Parce que ce texte est le début d’un renouveau énergétique, comme vous l’avez dit, madame la ministre, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Sylvie Vermeillet et M. Henri Cabanel applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous continuons à contester fortement l’opportunité, les modalités et les objectifs de ce projet de loi.
Les propositions et modifications qui figurent dans ce texte constituent une régression du droit de l’environnement et une atteinte au droit de participation du public, au mépris des textes en vigueur.
Il va bien au-delà de son objet initial et devient un texte programmatique. Nous déplorons vivement la suppression de deux jalons majeurs de la politique énergétique française, l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans le mix électrique et la limitation de la puissance installée à 63,2 gigawatts, introduits en 2015 dans un souci de diversification du mix électrique et de maîtrise des coûts de production. Ces suppressions constituent des cavaliers législatifs.
En inscrivant votre volonté de construire quatorze réacteurs de type EPR 2, dont l’ingénierie n’est toujours pas aboutie, et de SMR qui sont encore à l’état de prototype, vous bafouez vos engagements de respecter le débat sur la programmation énergétique à venir et ne respectez pas non plus les conclusions des débats publics qui viennent de s’achever.
Si nous sommes bien lucides sur la nécessité de devoir faire encore un moment avec les centrales existantes, notre opposition à la construction de nouveaux réacteurs reste entière.
Doit-on rappeler une nouvelle fois les déboires technologiques et les débordements financiers invraisemblables de cette filière ? Des défaillances graves s’enchaînent ces dernières semaines, marquées par la découverte de nouvelles fissures d’une ampleur inégalée sur les sites de Penly et Cattenom. Vous persistez dans le mensonge de l’indépendance énergétique en maintenant la France sous perfusion des pays fournisseurs d’uranium naturel et enrichi, russe en particulier.
Vous avez également souhaité introduire dans le texte, sans étude préalable, un nouvel article disposant le regroupement de la fonction d’autorisation et de contrôle des activités nucléaires de l’ASN avec les activités d’expertise et de recherche de l’IRSN.
Fort heureusement, grâce à la mobilisation et aux nombreuses alertes émises par des parlementaires de tous bords politiques, et à la mobilisation des acteurs de la filière elle-même, le texte définitif a écarté cette fusion. Il est essentiel de maintenir notre système dual !
Face au changement climatique, le renforcement de l’expertise constitue une urgence absolue. Il faut augmenter significativement les budgets tant de l’IRSN que de l’ASN. Ne bradez pas la sûreté.
Le texte ouvre en revanche la possibilité pour l’ASN de recruter des agents contractuels. Nous serons vigilants sur ce point, qui pourrait mettre à mal l’indépendance de cette autorité.
Autre point essentiel, cette loi ne répond pas suffisamment aux enjeux que représente la nécessaire adaptation des centrales aux impacts du dérèglement climatique des prochaines décennies.
Sur la question essentielle de l’eau, dans un contexte de plus en plus difficile, comment pouvons-nous continuer à prélever plus de 26 milliards de mètres cubes d’eau par an ? Quant à la part de l’eau consommée, le service des données et études statistiques (Sdes) l’a fait passer du jour au lendemain de 31 % à 12 %. La part d’eau évaporée est passée de 72 % à 22 %. Nous pouvons nous interroger sur le sérieux de ces chiffres.
Par ailleurs, qu’en sera-t-il demain dans le cas d’une augmentation des températures de quatre degrés Celsius ? Quid des centrales situées dans des zones vulnérables aux inondations ? Le risque de submersion marine est un sujet central en matière de sûreté, que vous refusez de prendre réellement en compte.
Les autres points du texte – contournement des procédures environnementales et de participation du public, « détricotage » du code de l’urbanisme – constituent autant de mesures dérogatoires que nous contestons. Vous en attendez un gain de temps que le Conseil d’État lui-même ne peut pas estimer.
Enfin, nous déplorons la réintroduction de la suspension des aides publiques à une organisation dont un membre s’introduit dans une centrale. Plutôt que de renforcer la sécurité des centrales, on préfère s’en prendre aux lanceurs d’alerte !
Madame la ministre, présenter la relance du nucléaire comme une solution contre la crise climatique est un non-sens et va à rebours du consensus scientifique, qui exige de réduire de moitié nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Nous n’avons plus que sept ans pour agir, alors que les éventuels nouveaux réacteurs ne verront pas le jour avant 2037 au plus tôt.
Nous refusons de donner un blanc-seing à cette relance sans nuance, car elle sera lourde de conséquences et engage les générations futures, qui n’ont pas signé pour ce cadeau empoisonné.
Planifions démocratiquement une sortie raisonnée et maîtrisée du nucléaire, pensée avec les salariés et nos concitoyens.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons contre le texte issu de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Bernard Buis. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si l’énergie nucléaire inquiète autant qu’elle fascine, elle est aujourd’hui la première source de production d’électricité en France. Pourtant, au cours des dernières décennies, le développement du nucléaire a été délaissé. Il faut remonter dix-sept ans en arrière, le 5 janvier 2006, pour retrouver les dernières décisions importantes en la matière, date de l’annonce par le président Jacques Chirac du lancement d’un prototype de réacteur nucléaire de quatrième génération qui devait entrer en service en 2020, le fameux EPR de Flamanville, ainsi que la création d’une autorité chargée de veiller à la sécurité nucléaire, l’ASN.
Cependant, dans un contexte où la guerre en Ukraine et ses conséquences se mêlent au dérèglement climatique, à l’heure où la décarbonation, la transition et la souveraineté énergétiques s’imposent à tous, la relance du nucléaire en France doit redevenir une priorité.
Je me réjouis donc que nous votions aujourd’hui le texte issu de la commission mixte paritaire conclusive. Il s’agit d’un projet de loi essentiel pour accélérer, actualiser et dépoussiérer des procédures, qui, pour certaines d’entre elles, datent de cinquante ans.
Mes chers collègues, le texte sur lequel nous sommes parvenus à trouver un accord est une première pierre essentielle pour la relance du nucléaire civil et pour l’avenir de notre pays. Je crois même qu’il s’agit d’un texte majeur, et ce pour deux raisons.
Sur le fond d’abord, il s’inscrit dans l’esprit du discours prononcé par le président Emmanuel Macron à Belfort en février 2022, qui traduit une ambition forte : « Faire en trente ans de la France le premier grand pays du monde à sortir de la dépendance aux énergies fossiles et renforcer notre indépendance énergétique industrielle dans l’exemplarité climatique. En quelque sorte, reprendre en main notre destin énergétique et donc industriel. »
Ce projet de loi est également important pour notre assemblée, puisqu’il s’agit d’un des premiers textes de la législature déposés en première lecture au Sénat.
Mes chers collègues, voter les conclusions de la commission mixte paritaire, c’est voter les mesures principales du projet de loi : simplifier et accélérer la mise en service des projets de construction de quatorze nouveaux réacteurs électronucléaires en France d’ici à 2050 et la clarification des dispositions de sécurité des centrales nucléaires vieillissantes.
Cependant, le texte que nous votons aujourd’hui est surtout le fruit d’un travail de compromis auquel j’ai participé et dont je me réjouis. Les grands équilibres trouvés lors de la navette parlementaire n’ont pas été modifiés. Mieux encore, le texte a été enrichi par de nombreux apports du Sénat.
Je pense aux mesures liées à l’actualisation de la planification écologique, ainsi qu’aux objectifs ambitieux fixés en matière d’hydrogène et de recherche et développement nucléaires. Je pense également au renforcement de la sécurité juridique des procédures : consolidation des garanties en cas d’expropriation, procédure de régularisation des contentieux et introduction d’une clause de revoyure pour favoriser l’enfouissement des infrastructures du réseau de transport d’électricité.
Par ailleurs, je tiens également à insister sur le renforcement de la sûreté et de la sécurité nucléaires, par exemple par l’intégration de la résilience au dérèglement climatique dans la démonstration de sûreté des réacteurs, au stade de l’autorisation comme du réexamen, sans oublier la consolidation des attributions et des moyens de l’Autorité de sûreté nucléaire. À ce propos, je tiens à souligner que l’amendement portant sur la parité au sein du collège de l’ASN, que j’ai défendu au nom du groupe RDPI, a été adopté et maintenu dans la version définitive du texte sur lequel nous allons voter.
De plus, je tiens bien évidemment à saluer le compromis trouvé en commission mixte paritaire s’agissant de l’objectif de zéro artificialisation nette des sols. Sur un tel sujet, ô combien sensible pour les élus locaux et, par conséquent, pour notre assemblée, il me semble que l’exemption des réacteurs du décompte de l’objectif ZAN pour les collectivités territoriales constitue une chose positive, dans la mesure où ces surfaces ne seront pas comptabilisées dans le crédit des communes et des régions d’appartenance, mais feront bel et bien l’objet d’un « compté à part », dont une loi devra déterminer les modalités dérogatoires avant le 1er janvier 2024.
Voilà donc autant de raisons pour lesquelles le groupe RDPI votera ce texte, fruit d’un compromis remarquable qui symbolise le fait que l’on peut trouver des consensus et bâtir des solutions dans l’intérêt général du pays.
Nous attendons désormais avec impatience la future loi de programmation quinquennale sur l’énergie et le climat, qui fixera la trajectoire énergétique de la France par source d’énergie sur la période 2028-2033 et qui promet, à n’en pas douter, d’intenses débats et constituera une étape décisive pour assurer la souveraineté de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)