Sommaire
Présidence de M. Roger Karoutchi
Secrétaires :
Mme Françoise Férat, M. Joël Guerriau.
2. Mise au point au sujet de votes
3. Quelles solutions pour développer l’hydrogène au sein de notre mix énergétique ? – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains
M. Guillaume Chevrollier ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
M. Franck Menonville ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
M. Daniel Salmon ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; M. Daniel Salmon ; M. Roland Lescure, ministre délégué ; M. Daniel Salmon.
M. Frédéric Marchand ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
M. Jean-Claude Tissot ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
M. Fabien Gay ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
M. Patrick Chauvet ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; M. Patrick Chauvet.
M. Jean-Pierre Corbisez ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
M. Cyril Pellevat ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
M. Christian Redon-Sarrazy ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
M. Stéphane Demilly ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
4. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
5. Quelles solutions pour développer l’hydrogène au sein de notre mix énergétique ? – Suite d’un débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme Martine Berthet ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; Mme Martine Berthet.
M. Franck Montaugé ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
Mme Béatrice Gosselin ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
Mme Sabine Drexler ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
M. François Calvet ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie.
M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
6. Réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Patrick Chaize, auteur de la proposition de loi
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 16 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 29 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 12 rectifié quinquies de Mme Annick Jacquemet. – Adoption.
Amendement n° 26 du Gouvernement. – Devenu sans objet.
Amendement n° 7 rectifié ter de M. Patrick Chaize. – Adoption.
Amendement n° 8 rectifié ter de M. Patrick Chaize. – Adoption.
Amendement n° 17 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 18 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 11 rectifié quinquies de Mme Annick Jacquemet. – Adoption.
Amendement n° 25 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 14 rectifié de M. Vincent Delahaye. – Adoption.
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
Amendement n° 19 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 13 de M. Vincent Delahaye. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 27 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 30 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 9 rectifié ter de M. Patrick Chaize. – Adoption.
Amendement n° 20 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 21 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 28 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 22 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 31 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 23 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 24 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 32 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 15 de M. Jacques Fernique. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 6 rectifié bis de M. Fabien Genet. – Retrait.
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 10 rectifié ter de M. Patrick Chaize. – Adoption de l’amendement modifiant l’intitulé.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
7. Quelle réponse au phénomène mondialisé des fraudes fiscales aux dividendes ? – Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Paul Toussaint Parigi ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Didier Rambaud ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Vincent Éblé ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; M. Vincent Éblé.
M. Pascal Savoldelli ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; M. Pascal Savoldelli.
Mme Sylvie Vermeillet ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; Mme Sylvie Vermeillet.
M. Christian Bilhac ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Jean-François Husson ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Pierre-Jean Verzelen ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Rémi Féraud ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
Mme Nathalie Goulet ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; Mme Nathalie Goulet.
M. Jean-Baptiste Blanc ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste
compte rendu intégral
Présidence de M. Roger Karoutchi
vice-président
Secrétaires :
Mme Françoise Férat,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 13 avril 2023 a été publié sur le site internet du sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet.
M. Patrick Chauvet. Lors du scrutin n° 270, sur les amendements identiques nos 24, 25 rectifié bis, 44, 55 et 68 tendant à supprimer l’article 11 de la proposition de loi pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité, M. Moga souhaitait voter contre, tandis que M. Pierre-Antoine Levi et Mme Élisabeth Doineau souhaitaient s’abstenir.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.
3
Quelles solutions pour développer l’hydrogène au sein de notre mix énergétique ?
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Quelles solutions pour développer l’hydrogène au sein de notre mix énergétique ? »
Dans le débat, la parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Évelyne Perrot applaudit également.)
M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’inclusion de l’hydrogène nucléaire aux côtés de l’hydrogène renouvelable dans les textes européens en cours de négociation, qu’il s’agisse de la révision de la directive sur les énergies renouvelables ou du règlement pour une industrie à zéro émission nette, fait l’objet de vifs débats.
C’est regrettable pour notre transition énergétique, car l’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050 résultant de l’accord de Paris de 2015 et la loi relative à l’énergie et au climat de 2019, dite Énergie-climat, suppose de mobiliser toutes les sources et tous les vecteurs d’énergie décarbonée.
C’est aussi contraire à notre souveraineté énergétique, car l’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne consacre le droit des États membres de choisir entre ces différentes sources d’énergie.
C’est enfin mal avisé au regard de la compétition internationale : l’Europe ergote sur la définition de l’hydrogène, alors que les États-Unis, dans le cadre de la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act), accordent une remise fiscale allant jusqu’à 3 euros par kilogramme sur l’hydrogène décarboné, quelle que soit son origine.
Que de moyens gâchés, que de temps perdu, que d’opportunités manquées, ici, en Europe !
Or l’hydrogène est un vecteur de premier plan pour réussir notre transition énergétique. Il permet, d’une part, de décarboner certains secteurs, en particulier l’industrie et les transports, d’autre part, de stocker l’électricité.
Cette capacité de stockage est essentielle pour promouvoir la mobilité propre, en complément des batteries électriques, ainsi que les énergies renouvelables, qui pèchent toujours par leur intermittence.
Dans ce contexte, la commission des affaires économiques du Sénat s’est mobilisée en faveur de l’hydrogène bien avant le Gouvernement – et bien souvent contre lui.
Dans la loi Énergie-climat de 2019, nous avions fixé un objectif de 20 % à 40 % d’hydrogène décarboné d’ici à 2030 au travers du développement de ses usages dans l’industrie, l’énergie et la mobilité.
Dans notre plan de relance Énergie, publié en juin 2020, en pleine crise de la covid-19, nous avons appelé à « révéler le potentiel de l’hydrogène », en consolidant la gouvernance et les moyens de la filière.
Cet engagement a été affirmé dans la loi de 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, dans laquelle nous avons introduit un paquet hydrogène : tout d’abord, nous avons inscrit l’hydrogène dans la future loi quinquennale de programmation sur l’énergie et le climat de 2023 ; nous l’avons aussi intégré aux appels d’offres de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) portant sur le stockage ; en complément, nous avons facilité l’octroi de garanties d’origine aux groupements de collectivités ; enfin, nous avons dispensé de mise en concurrence l’utilisation du domaine public de l’État.
Plus récemment, dans notre rapport sur l’énergie nucléaire et l’hydrogène bas-carbone, publié en juillet 2022, nous avons plaidé pour « saisir l’occasion de la relance du nucléaire pour favoriser une production massive d’hydrogène bas-carbone ».
Cela nous a conduits à consolider la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables de mars dernier : d’une part, nous avons imposé un bilan carbone à tous les projets d’hydrogène soutenus par appels d’offres, afin de favoriser les projets les moins émissifs et les plus circulaires ; d’autre part, nous avons intégré l’hydrogène à la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), ainsi qu’aux débats des comités régionaux de l’énergie.
Nous avons aussi prévu que ces projets soient promus par la CRE et par les autorités organisatrices de la distribution d’énergie.
Nous avons enfin adopté plusieurs mesures de simplification en instituant un guichet unique et en consolidant les opérations d’autoconsommation et les plateformes industrielles.
La commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, dit Nouveau nucléaire, se réunira après-demain. Nous proposons dans ce texte l’application des mesures d’accélération aux projets d’électrolyseurs d’hydrogène couplés à des réacteurs nucléaires de nouvelle génération, plus performants en termes de rendement.
S’il faut se réjouir de l’attention portée aujourd’hui à l’hydrogène, notre commission considère qu’il faut faire davantage.
Sur le plan programmatique, la loi quinquennale de programmation sur l’énergie et le climat doit fixer un cadre législatif pérenne, au-delà de la PPE et de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) de 2020.
Monsieur le ministre, nous espérons que ce projet de loi quinquennale, qui doit normalement être examiné avant le 1er juillet prochain, conformément à l’article L. 100-1 A du code de l’énergie, ne sera ni reporté ni annulé. Ce texte est le fruit du compromis issu de la commission mixte paritaire sur le projet de loi Énergie-climat de 2019. Convaincus de la nécessité d’inverser la hiérarchie des normes en matière énergétique, nous avions souhaité établir la primauté de cette loi quinquennale sur les documents de planification réglementaires.
Face aux changements climatiques qui posent aussi un défi démocratique, nous avions voulu affirmer la préséance du législateur sur le pouvoir réglementaire, celle de la politique sur la technique.
Sur le plan de la gouvernance, le Conseil national de l’hydrogène devrait se réunir plus souvent et mieux associer les collectivités territoriales.
Sur celui des moyens, les montants annoncés en faveur de l’hydrogène dans le cadre du plan de relance – 7 milliards d’euros – et du plan d’investissement – 1,9 milliard d’euros – doivent être engagés. À l’échelle nationale, les appels d’offres de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) sur la mobilité et les écosystèmes ont besoin d’être pérennisés. À l’échelle communautaire, le budget des projets importants d’intérêt européen commun (Piiec), doté de 1,6 milliard d’euros, attend d’être bouclé.
Enfin, l’avenir de l’hydrogène se joue dans les négociations européennes en cours. Dans notre résolution sur l’inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables de décembre 2021, nous avons appelé au maintien d’une neutralité technologique entre l’hydrogène nucléaire et l’hydrogène renouvelable.
Dans notre résolution sur le paquet Ajustement à l’objectif 55 d’avril 2022, nous avons plaidé en faveur de la même vigilance.
L’hydrogène bas-carbone ne doit pas être pénalisé par la directive sur la taxation de l’énergie ni être exclu de la directive sur les énergies renouvelables ou du règlement sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs. Il doit profiter de dispositions plus simples, dans le cadre du règlement sur le paquet gazier, ou plus incitatives, dans le cadre du règlement sur les infrastructures de recharge.
L’hydrogène doit être activement soutenu, tant dans les processus de l’industrie que dans les modes de transport. Pour y parvenir, une stratégie claire, une gouvernance solide, des financements pérennes et une réglementation idoine sont nécessaires.
Le Gouvernement doit faire de la prochaine loi quinquennale de programmation sur l’énergie et le climat celle de l’amorçage de la filière française de l’hydrogène.
Quant à la Commission européenne, elle doit garantir à l’hydrogène une complète neutralité technologique dans le paquet Ajustement à l’objectif 55.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer quelles dispositions sur l’hydrogène nucléaire ou renouvelable comportera la prochaine loi quinquennale de programmation sur l’énergie et le climat ?
Pouvez-vous également nous préciser comment la France entend défendre l’hydrogène nucléaire dans le cadre du paquet Ajustement à l’objectif 55 ?
Monsieur le ministre, un compromis a-t-il été trouvé sur la directive relative aux énergies renouvelables ? Qu’en est-il des autres textes ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier le groupe Les Républicains et M. le sénateur Daniel Gremillet d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de la reprise de vos travaux.
L’hydrogène n’est pas la pierre philosophale de la décarbonation ; il ne remplacera pas l’ensemble des énergies fossiles. Pour autant, il est un vecteur énergétique essentiel. Il est notamment l’unique moyen de décarboner certaines industries comme la production d’acier, dépendante depuis 150 à 200 ans du charbon.
De même – j’étais au Havre vendredi dernier –, inventer et mettre en place des procédés décarbonés de production d’engrais et renforcer ainsi la souveraineté industrielle de notre beau pays et de notre continent nécessitera de l’hydrogène, tout comme pour produire du méthanol et de l’ammoniac.
L’hydrogène est également essentiel à la mobilité lourde : il apportera aux poids lourds, autobus ou autres véhicules une autonomie aujourd’hui hors de portée des batteries traditionnelles.
Pour autant, l’hydrogène ne remplacera pas le gaz naturel dans tous ses usages. Il s’agit d’un vecteur énergétique à même de transformer, de transporter de l’énergie, mais il n’est pas une source d’énergie.
L’hydrogène est essentiellement créé à partir d’électricité. Les gisements sont sans doute insuffisants pour assurer notre souveraineté, même s’il est possible, nous y reviendrons peut-être dans le débat, d’en trouver ici ou là.
L’hydrogène est coûteux à produire et difficile à transporter. Il n’y en aura pas sur l’ensemble du territoire et il ne sera pas disponible pour l’ensemble des usages actuels du gaz naturel. Ainsi, nous n’utiliserons pas nos casseroles – bien aimées ces temps-ci (Sourires.) – sur des cuisinières à hydrogène !
Pour autant, le mix énergétique de demain sera plus diversifié que celui d’aujourd’hui.
L’électricité, nous le souhaitons, deviendra majoritaire juste devant la biomasse, laquelle servira pour la chaleur haute température, les carburants et la chimie. L’hydrogène sera utilisé pour les usages à haute valeur ajoutée, auxquels il est indispensable.
Ces usages sont stratégiques, car ils concernent les industries de base. Garantir l’accès à de l’hydrogène bas-carbone – ce dernier terme est important – est un choix de souveraineté industrielle qui permettra de maintenir sur notre territoire des industries lourdes, qui ne peuvent se décarboner sans hydrogène.
Le Président de la République m’a chargé d’élaborer une feuille de route pour les cinquante sites les plus émetteurs de gaz à effet de serre en France, qui représentent à eux seuls plus de 60 % des émissions de l’industrie française. Dix-huit d’entre eux sont des actifs stratégiques, qui auront besoin d’hydrogène pour être décarbonés. C’est notamment le cas des aciéries et des usines d’engrais.
Par conséquent, nous devrons répondre dans les prochaines années à des besoins croissants en hydrogène, qui vous seront présentés dans le cadre du projet de loi de programmation sur l’énergie et le climat. Monsieur le sénateur Gremillet, nous aurons bien une loi : j’étais le président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi Énergie-climat et nous avions demandé une loi.
Nous sommes en pleine phase de programmation de la transition écologique. Le Conseil de planification écologique doit se réunir dans les prochaines semaines afin de passer en revue l’ensemble des plans de décarbonation des différents secteurs, dont le secteur industriel.
La loi sera disponible à l’automne, comme la Première ministre s’y est engagée, selon un calendrier un peu décalé par rapport à celui qui avait été retenu dans la loi Énergie-climat.
Pour ma part, je préfère une bonne loi, complète, adoptée selon un calendrier décalé, plutôt qu’une loi qui risquerait d’être incomplète.
La production d’hydrogène devra augmenter de plus de 50 % d’ici à 2030 : un tiers pour remplacer des usages fossiles et deux tiers pour de nouveaux usages. Enfin, la production d’hydrogène bas-carbone doublera d’ici à 2035.
Ce choix est impératif pour la réindustrialisation et la décarbonation. Nous devons désormais accélérer tout en répondant à deux questions essentielles : quel sera notre modèle de production ? Comment réussirons-nous ce défi ?
Il est nécessaire de produire en France pour être souverain sur cette technologie et pour accélérer la décarbonation.
Comme vous l’avez souligné, nous avons un débat de fond avec un certain nombre de nos voisins, notamment allemands, qui privilégient des importations massives d’hydrogène vert ou renouvelable à la production d’un hydrogène bas-carbone sur leur territoire essentiellement via des centrales nucléaires.
Pour répondre à votre question, nous ne sommes pas encore tout à fait parvenus à un compromis sur la directive relative aux énergies renouvelables qui nous permettrait d’avancer, mais nous sommes sur la bonne voie.
Un certain nombre de discussions sont assez avancées, notamment sur le pourcentage d’hydrogène vert nécessaire afin de valider les modèles de production. J’ai toute confiance en ma collègue Agnès Pannier-Runacher, actuellement en déplacement à l’étranger, pour obtenir un compromis.
Notre vision de la stratégie allemande d’importation est que les conditions de transport de l’hydrogène ne sont pas garanties : infrastructures insuffisantes, prix de transport incertain, risques géopolitiques… Tout cela fait peser des risques sur l’accélération de la décarbonation.
Ainsi, remplacer une dépendance au gaz fourni par la Russie par d’autres dépendances pourrait entraîner un risque géopolitique à l’horizon des vingt, trente ou quarante prochaines années, soit précisément celui sur lequel nous travaillons.
Produire de l’hydrogène sur le territoire est certes un défi, mais cela présente des avantages importants : devenir souverain en maîtrisant cette technologie et en faire un véritable facteur d’attractivité pour les investisseurs internationaux.
La maîtrise des coûts est un élément essentiel de cette stratégie. Nous devons être compétitifs à la fois face à l’hydrogène existant, à savoir l’hydrogène fossile, qui coûte aujourd’hui 2 euros le kilogramme, et face aux États-Unis, dont l’Inflation Reduction Act fixe actuellement le prix de l’hydrogène à 0,8 euro le kilogramme avant transport – transport inclus, l’hydrogène made in America nous coûterait sans doute 2,5 euros le kilogramme –, alors que le prix de l’hydrogène made in France, sans subventions, serait compris entre 3 et 4 euros le kilogramme.
Nous devons donc aider cette filière et nous allons continuer de le faire en lui offrant une électricité à un prix compétitif, ce qui est essentiel, et en améliorant l’efficacité de la production, notamment en développant des hubs, des noyaux de production d’hydrogène, non loin des centrales nucléaires. Cela nous permettra à la fois de mettre en commun les facilités, y compris avec des industries extrêmement gourmandes en hydrogène, et de profiter des synergies avec la production d’électricité.
Je ne doute pas que nous aurons l’occasion, au cours du débat, de revenir sur tous ces sujets. Encore une fois, je vous remercie d’avoir mis sur la table cette question essentielle.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre, à l’heure des défis climatiques et de la nécessaire décarbonation, la technologie de l’hydrogène vert a connu ces dernières années un développement fulgurant. Nous pouvons nous réjouir qu’une stratégie française de l’hydrogène vert se dessine enfin, stimulée notamment par le paquet européen Ajustement à l’objectif 55.
Les objectifs fixés sont clairs et ambitieux : remplacer progressivement l’hydrogène gris, qui représente actuellement plus de 90 % de la production, et parvenir à l’installation de 6,5 gigawatts d’électrolyse en 2030, soit la production de 600 kilotonnes par an d’hydrogène décarboné.
Plusieurs sites de production commencent à se déployer sur le territoire. À cet effet, de nombreuses aides sont mises en place : soutien des investissements déterminants pour la construction d’une véritable filière d’hydrogène vert à hauteur de 7 milliards d’euros dans le cadre de France 2030, aides du fonds européen de développement régional, dispositifs de soutien aux démonstrateurs ainsi qu’aux écosystèmes territoriaux via l’Ademe et les programmes d’investissements d’avenir, mécanismes de soutien réservés aux grands projets d’intérêt européen commun…
Tout cela nourrit une dynamique plutôt enthousiasmante pour la transition énergétique de notre économie et de nos territoires, comme je le constate dans ma région.
Néanmoins, un défi majeur demeure : celui du développement des usages, que ce soit dans l’industrie ou dans la mobilité.
En effet, l’acquisition d’un bus ou d’un camion à hydrogène reste extrêmement coûteuse pour les entreprises et les collectivités locales. Le plan rétrofit et le plan de soutien à la décarbonation des cinquante sites les plus polluants ne contiennent que quelques mesures timides en matière d’usage d’hydrogène vert. Il faut donc proposer de véritables incitations, notamment financières, comme nous l’avons fait pour l’électricité ou les biocarburants. Seule une augmentation de la demande permettra de faire baisser le prix de production.
Monsieur le ministre, quelle politique d’incitation le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre pour le développement de la production d’hydrogène vert, qui s’accompagne d’une massification de son usage dans tous les secteurs de l’économie ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question extrêmement pertinente, même si l’essentiel est de disposer d’hydrogène français décarboné à un coût compétitif afin d’en développer les usages. Il s’agit d’un enjeu majeur.
Pour autant, vous avez raison, nous devons soutenir le développement des usages de l’hydrogène, notamment en matière de mobilité lourde – autobus, les poids lourds, les bennes à ordures… C’est notre conviction à notre stade.
À cet égard, je peux d’ores et déjà annoncer une bonne nouvelle : voilà quelques semaines a été publié en ligne, dans le cadre de France 2030, un appel à projets, qui est toujours ouvert, doté de 125 millions d’euros et intitulé Écosystèmes territoriaux hydrogène, qui vise à aider à l’acquisition de poids lourds, d’autocars ou de véhicules d’un poids important qui fonctionneront à l’hydrogène.
Nous n’aurions pas d’intérêt à subventionner le développement des usages en favorisant les importations en provenance du bout du monde. Il se trouve que nous disposons de fabricants français capables de produire ces véhicules. Il est donc possible de « fermer le cercle » et de répondre à des usages en utilisant de l’hydrogène français produit grâce à des fabricants français.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (M. Alain Marc applaudit.)
M. Franck Menonville. Monsieur le ministre, développer l’hydrogène au sein de notre mix énergétique, c’est allier la transition énergétique avec une politique industrielle efficace et ambitieuse.
Alors que la France a fait le choix de la relance de sa filière électronucléaire, elle ambitionne également de développer une filière hydrogène décarbonée s’appuyant tant sur le développement des énergies renouvelables que sur notre filière nucléaire.
C’est la garantie de notre souveraineté et de notre indépendance énergétiques, alors même que d’autres pays européens s’orientent plutôt vers de l’hydrogène issu d’énergies exclusivement renouvelables et vers des importations.
La situation géopolitique actuelle nous appelle à plus d’autonomie aux niveaux français et européen. Développer l’hydrogène, c’est faire en sorte qu’il soit encouragé, voire promu, à l’échelle européenne.
Actuellement, l’hydrogène est majoritairement produit à partir d’énergies fossiles. La dernière synthèse du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) est claire : nous devons utiliser les énergies bas-carbone pour réduire nos émissions.
En France, notre mix énergétique est principalement fondé sur le nucléaire, énergie décarbonée. Nous faisons donc preuve de cohérence en nous battant pour que l’hydrogène qui en est issu soit intégré aux outils de transition et aux objectifs verts de l’Union européenne.
Monsieur le ministre, je vous sais très engagé, notamment sur la taxonomie, sur la révision de la directive relative aux énergies renouvelables (Renewable Energy Directive, dite RED III) et sur l’enjeu de la neutralité technologique. Cela sera-t-il suffisant pour faciliter la production d’hydrogène bas-carbone ?
À quelques semaines de l’examen du projet de loi de programmation sur l’énergie et le climat, pouvez-vous nous préciser quelle place y tiendra l’hydrogène ? Quelle articulation comptez-vous bâtir entre les énergies renouvelables, la filière électronucléaire et l’hydrogène ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, nous sommes en pleines négociations, je ne peux donc préjuger leur point d’atterrissage.
Pour autant, sachez que la proposition de la Commission européenne va dans le bon sens, avec un abaissement de la cible de 20 % pour les pays qui auront été capables de réduire la part de l’hydrogène fossile dans le mix total à moins de 23 % d’ici à 2030.
La France est sans doute capable d’atteindre cet objectif grâce à des investissements ambitieux. Si tel est le cas, nos cibles seront réduites dans le cadre de la directive RED III.
Selon les chiffres actuels, qui sont loin d’être définitifs puisque nous ambitionnons de renégocier encore ce compromis, l’actuelle cible de 42 % d’hydrogène vert d’ici à 2030 serait abaissée à 33 % grâce à ce compromis.
Comme vous l’avez souligné, nous sommes extrêmement actifs pour faire en sorte que les objectifs de la directive sur les énergies renouvelables soient cohérents avec le développement des énergies renouvelables, tel que nous le souhaitons tous et tel que vous l’avez d’ailleurs voté ici même lors de l’examen du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, tout en préservant la part importante de l’hydrogène décarboné produit par nos centrales nucléaires passées, présentes et à venir.
Ce mix énergétique reposant à la fois sur du renouvelable et du nucléaire nous permettra de développer l’hydrogène non seulement en France, mais sans doute aussi en Europe. Si nous abordons tous la stratégie hydrogène comme le font nos voisins d’outre-Rhin, nous manquerons d’hydrogène dans le monde.
Nous avons sans doute besoin d’importer de l’hydrogène – les Allemands le feront –, mais aussi et surtout d’en produire chez nous, ce que nous envisageons de faire avec ambition.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, à la différence de l’électricité, l’hydrogène est une énergie de stock et non une énergie de flux. C’est là tout son intérêt : il peut être associé à des énergies intermittentes ou variables, comme le solaire et l’éolien. Il a donc toute sa place dans notre mix énergétique.
S’il nous semble intéressant de développer cette production, il convient en parallèle de s’assurer qu’elle se fera à partir d’énergies renouvelables. Aujourd’hui, plus de 95 % de l’hydrogène produit est gris, c’est-à-dire provenant d’énergies fossiles.
Alors que le projet de pipeline H2Med entre la péninsule ibérique et la France a été lancé, la politique française s’appuiera-t-elle majoritairement sur ces importations ? Envisagez-vous le développement de l’hydrogène via une production locale avec des énergies renouvelables ?
Vous avez donné quelques éléments de réponse, j’attends des développements complémentaires.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, votre question est essentielle : si nous voulons décarboner l’industrie traditionnelle en développant l’industrie de la décarbonation dans nos territoires, en créant de l’emploi et de la prospérité, en réconciliant économie et écologie, il faut produire l’hydrogène chez nous.
Nous pourrions nous appuyer sur les importations, comme souhaitent le faire un certain nombre de nos voisins. Pour notre part, nous sommes convaincus que nous devons développer l’hydrogène chez nous.
Celui-ci sera issu à la fois d’énergies renouvelables et d’énergies décarbonées. On peut et l’on doit faire l’un et l’autre.
Vous avez examiné deux projets de loi : l’un, relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, l’autre, visant à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires. Comme M. le sénateur Gremillet l’a souligné dans son intervention, vous attendez et vous aurez une loi de programmation pluriannuelle qui permettra de mettre tout cela en perspective. Nous croyons en l’un et en l’autre, nous aurons l’un et l’autre et vous aurez l’occasion d’en discuter très bientôt.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.
M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, votre mix énergétique s’appuie essentiellement sur le nucléaire et le renouvelable. Pour ma part, vous le savez, je ne suis pas favorable au nucléaire.
Il faut regarder les choses en face : pour une énergie primaire issue d’une centrale thermique, qu’elle soit fossile ou nucléaire, le rendement de la production électrique est de 35 %. Ensuite, à partir de cette électricité, le rendement de la production d’hydrogène est de 30 %. Résultat des courses : 90 % de l’énergie primaire est partie dans la nature. C’est un immense gâchis ! Surtout à partir de centrales thermiques.
Il en va tout autrement quand on emploie une électricité issue du renouvelable, car l’on ne subit pas, d’emblée, 35 % de pertes.
Il me semble donc indispensable de développer la production d’hydrogène à partir d’énergies renouvelables : ces dernières offrent un rendement nettement supérieur et l’on sait qu’à l’avenir elles seront bien plus compétitives que l’énergie nucléaire.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué. Monsieur le sénateur, les chiffres de rendements que vous mentionnez ne tiennent pas compte de l’intermittence, facteur clé de l’énergie renouvelable.
J’ai rappelé les prix auxquels l’hydrogène était compétitif. Aujourd’hui, les industriels indiquent avoir besoin d’un hydrogène entre 2 et 2,5 euros le kilogramme. Or, à ce stade du développement des énergies renouvelables, le prix de l’électricité que fourniraient les projets d’électrolyse est quasiment du double, entre 4 et 6 euros le kilogramme. (M. Daniel Salmon acquiesce.)
À ce jour, les énergies renouvelables ne permettent donc pas de produire de l’hydrogène compétitif. Nous y arriverons sans doute à mesure de l’augmentation des volumes. D’ici là – peut-être serons-nous d’accord pour reconnaître ce désaccord entre nous –, le nucléaire est un élément essentiel du développement de l’hydrogène.
M. Julien Bargeton. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, j’entends bien votre réponse, mais vous ne m’avez pas franchement convaincu.
Certes, le nucléaire n’est pas une énergie intermittente ; mais si l’on tient compte de tous ses coûts induits, il affiche un rendement assez détestable. Dans les années à venir, le mégawattheure produit par le nouveau nucléaire atteindra 100 à 120 euros. Bien entendu, vous misez sur une baisse de ces coûts, mais ce n’est guère ce qui se passe à Flamanville. On observe même plutôt le mouvement inverse, l’électricité produite devenant de plus en plus chère.
On assiste aujourd’hui au développement massif de l’éolien offshore, surtout par les pays nordiques ; dans son ensemble, le renouvelable présente de très grandes potentialités.
Nous sommes effectivement face à un certain nombre de défis technologiques. Peut-être pourrez-vous nous apporter quelques réponses au sujet des électrolyseurs, dont le rendement serait meilleur. Où en est la recherche actuellement ?
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. S’appuyer sur nos laboratoires de recherche et sur nos industriels à la pointe de l’innovation, créer une filière compétitive d’hydrogène renouvelable et bas-carbone et devenir l’un des leaders mondiaux de l’hydrogène décarboné par électrolyse : telle est la feuille de route de notre pays en la matière.
Néanmoins, pour offrir à l’hydrogène un futur prometteur dans notre mix énergétique, il est indispensable de lever certains freins, en améliorant le rendement des procédés de production, en optimisant le stockage à haute pression ou encore en favorisant les investissements, ce qui suppose de réduire autant que possible le risque industriel.
Il semble donc incontournable de mettre en place des politiques publiques visant à encourager le déploiement et la baisse de coûts de certaines technologies.
L’Union européenne et ses États membres ont récemment réaffirmé leur intention de mettre en œuvre des contrats pour la différence, plus connus sous le sigle anglais de CFD, visant à soutenir la production d’hydrogène. Or une note récente de l’Institut pour le développement durable et les relations internationales (Iddri) met en exergue quelques antagonismes dans le système retenu.
Jusqu’à présent, l’attribution des contrats repose souvent sur un système d’enchères, remportées par les projets les moins coûteux par volume d’hydrogène produit ou par tonne de CO2 évitée. L’objectif est d’encourager la concurrence entre acteurs industriels et de réduire au maximum le coût pour la puissance publique ; mais les enchères défavorisent les technologies plus chères et plus innovantes ainsi que les nouveaux entrants, alors que ces acteurs peuvent jouer un rôle important dans la décarbonation.
On pourrait envisager d’octroyer les CFD par paniers de technologies, en isolant les technologies de production que l’on estime incontournables tout en conservant une forme de concurrence.
Chaque panier pourrait disposer d’une enveloppe budgétaire garantie. Ce faisant, la concurrence entre paniers serait contenue dans des limites précises – c’est le cas dans le nouveau système mis en place aux Pays-Bas et en Angleterre pour l’électricité renouvelable.
En outre, les contrats pourraient faire l’objet d’un guichet ouvert au lieu d’être mis aux enchères. Dès lors, tous les projets éligibles pourraient recevoir une aide.
Monsieur le ministre, à l’instar de ce qui a été réalisé pour les énergies renouvelables, envisage-t-on de conclure des CFD entre la puissance publique et des acteurs privés afin d’accélérer la production d’hydrogène ? Je pense notamment à l’électrolyse : ces contrats permettraient de soutenir de premiers projets de nature commerciale grâce à la garantie de revenus aux producteurs et, ainsi, d’inciter les développeurs à la commercialisation directe.
M. Julien Bargeton. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, votre question est pertinente : comme vous le soulignez, les contrats pour la différence peuvent avoir quelques effets pervers. Parfois, seuls les producteurs les plus compétitifs y ont accès et profitent, ainsi, de l’écart avec le prix du marché.
Néanmoins, tel n’est pas le cas pour l’hydrogène : les projets les plus innovants sont même souvent ceux qui présentent les rendements les plus élevés. En finançant les Capex (Capital Expenditures), comme nous nous y engageons dans le cadre des Piiec, on peut obtenir des Opex (Operating Expenses) plus faibles pour les projets les plus innovants. Les CFD deviennent ainsi un mécanisme vertueux : in fine, ils bénéficient aux acteurs les plus innovants, lesquels proposent aussi le meilleur rendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. Un débat relatif à l’hydrogène a tout son intérêt pour le législateur, car il le conduit à poser deux questions essentielles : cette énergie est-elle réellement utile et positive pour notre transition énergétique ? Si oui, comment pouvons-nous assurer sa démocratisation au-delà des aspects uniquement économiques ?
Monsieur le ministre, au sujet de la première interrogation, il me semble nécessaire de formuler ce rappel à la suite de notre collègue Daniel Salmon : la majeure partie de l’hydrogène est aujourd’hui produite à partir de combustibles fossiles – elle est dérivée du méthane pour les trois quarts, et du charbon pour le dernier quart. En parallèle, l’hydrogène vert ne représente que 1 % de la production mondiale totale, notamment en raison de son coût.
Comment la France, qui entend devenir, pour citer le Président de la République, le « leader de l’hydrogène vert en 2030 », compte-t-elle réussir cette transition vers un hydrogène vert ? Malgré les millions d’euros investis par l’Union européenne, l’on peut nourrir quelques doutes quant à la crédibilité des annonces présidentielles, voire des craintes pour la réussite de la transition de notre mix énergétique.
J’en viens à la démocratisation de cette énergie. En 2020, lors de son audition devant la commission des affaires économiques du Sénat, le président-directeur général (PDG) d’Air Liquide reconnaissait que le développement de l’hydrogène se concentrait essentiellement sur l’industrie et les transports lourds. Il admettait surtout que la voiture individuelle à l’hydrogène restait un mythe, faute d’attrait économique.
Après avoir tranché les questions de production, comment le Gouvernement prévoit-il d’accompagner la démocratisation de l’hydrogène, non seulement auprès des particuliers, mais aussi auprès des collectivités territoriales ? Certaines d’entre elles perçoivent l’intérêt économique et énergétique d’un développement local de l’hydrogène – il en est de même pour la méthanisation –, mais manquent souvent d’information quant à ces projets industriels d’ampleur.
Au sein de votre ministère, mène-t-on une réflexion pour bâtir une communication dédiée aux collectivités territoriales, en traitant à la fois des aspects positifs et négatifs de telles solutions ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, l’hydrogène fait bel et bien partie des piliers énergétiques du futur. Il relève essentiellement des relations de commerce à commerce, ou B to B, plutôt que de commerce à consommateur, ou B to C.
La démocratisation de l’hydrogène, que vous appelez de vos vœux, n’est sans doute pas pour demain : elle supposerait de déployer partout en France des réseaux très coûteux pour que les véhicules individuels puissent « faire le plein », si je puis m’exprimer ainsi. De plus, pour les petits véhicules, le rendement de l’hydrogène est insuffisant pour concurrencer les batteries.
J’y insiste : la meilleure manière de démocratiser l’hydrogène, c’est de cibler les transports en commun. Les trains et les bus à hydrogène existent déjà et ils seront rentables – je pense aussi aux poids lourds. Pour les autres moyens de transport, nous privilégions le développement de l’industrie bas-carbone de demain.
C’est, j’en suis convaincu, une belle histoire que nous avons à écrire. Nous sommes en train d’assister à une nouvelle révolution industrielle. Des territoires depuis trop longtemps déclassés, à la suite de la désindustrialisation, reprennent espoir grâce à l’industrie de la décarbonation : on va produire de l’acier à partir d’hydrogène ; on va capturer du carbone dans des cimenteries ; on va fabriquer des engrais à partir d’hydrogène.
Si l’hydrogène restera bien cantonné aux usages professionnels, nous aurons ensemble l’occasion d’écrire cette belle histoire pour les Françaises et les Français en créant de l’emploi partout, y compris dans des territoires qui en ont bien besoin.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. L’hydrogène est une énergie d’avenir, porteuse de nombreux espoirs en vue de la décarbonation de notre industrie.
Aujourd’hui, la stratégie nationale hydrogène se décline en trois objectifs issus du plan d’investissement France 2030 : installer suffisamment d’électrolyseurs pour décarboner l’économie, développer les mobilités propres et construire une filière industrielle en créant 50 000 à 150 000 emplois.
Monsieur le ministre, se tourner vers le futur ne doit pas empêcher d’apprendre des erreurs du passé, en particulier lorsque l’ambition est de garantir à la France une souveraineté et une maîtrise technologiques.
Au total, 7 milliards d’euros sont mis sur la table : très bien. En finançant des entreprises, notamment des start-up, ces crédits sont censés développer la filière française de l’hydrogène. Le modèle choisi, c’est donc une nouvelle fois celui de la subvention publique, essentiellement réservée au secteur privé.
J’aimerais comprendre ce qui permettra concrètement de maîtriser l’emploi, les savoir-faire et les moyens de production – je pense en particulier aux électrolyseurs – si, demain, les investisseurs trouvent que l’herbe est plus verte ailleurs.
En l’état, l’Europe essaie tant bien que mal d’apporter une réponse à l’Inflation Reduction Act américain, mais il ne faut pas se voiler la face : les États-Unis, qui subventionnent massivement l’hydrogène décarboné, sont pour l’instant bien plus attractifs que nous.
Si, demain, tel ou tel industriel privé décide de fermer des sites français au motif qu’il serait plus rentable de s’installer outre-Atlantique, de quelle maîtrise la France disposera-t-elle ? Concrètement, nous devrons réinvestir des milliards et des milliards d’euros sous peine de voir s’effondrer la filière et prendre une nouvelle fois du retard.
Ma question est simple. En misant sur le secteur privé pour développer une énergie d’avenir, comment comptez-vous garantir à la France la maîtrise de sa filière hydrogène à long terme ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, nous sommes convaincus que l’Europe possède des atouts face aux États-Unis, n’en déplaise à votre américanophilie apparente… (Sourires sur les travées du groupe RDPI.)
M. Fabien Gay. Ce n’est pas sérieux !
M. Fabien Gay. Allez !
M. Roland Lescure, ministre délégué. Vous mentionnez l’Inflation Reduction Act. Mais, comme vous le savez, l’Europe bénéficie d’un énorme avantage compétitif : ses brevets, sa technologie, sa recherche et son développement.
Nous avons en Europe plus de brevets dédiés à l’hydrogène qu’il n’en existe partout ailleurs dans le monde. La France est particulièrement forte de sa capacité à innover : en la matière, elle est au deuxième rang mondial et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) dispose du plus gros portefeuille de brevets au monde. Profitons-en en tirant parti de cet avantage technologique, que nous ne possédons pas dans d’autres industries traditionnelles, pour investir.
Investir signifie effectivement aujourd’hui subventionner. Vous l’avez rappelé : les États-Unis, chantres du libéralisme, sont eux aussi entrés dans la course aux subventions. Leur stratégie est extrêmement ambitieuse, au risque, d’ailleurs, d’avoir des effets délétères.
Oui, nous allons continuer de subventionner cette technologie. Oui, nous allons continuer de subventionner les investissements pour que la France et l’Europe développent une industrie souveraine, à même de s’inscrire dans la durée.
Devrions-nous agir dans un cadre public ? J’en doute. Nous le faisons dans un certain nombre de domaines. Vous le savez : l’entreprise Électricité de France, qui va construire l’essentiel des futurs réacteurs nucléaires, est sur le point d’être nationalisée à 100 %. Si je ne m’abuse, cette mesure prend effet aujourd’hui même, la justice ayant donné son blanc-seing au Gouvernement. C’est tout au plus une question de jours.
Pour ce qui concerne l’électricité d’origine nucléaire, nous croyons à la souveraineté publique. Mais les enjeux auxquels nous sommes confrontés au sujet de l’hydrogène, tant en matière d’innovation que de financement, sont bien trop grands et les solutions bien trop diverses pour que l’État puisse, à la place d’autres, choisir ce qui est bon.
Nous croyons à l’innovation. Nous croyons à l’entrepreneuriat. Évidemment, les subventions seront extrêmement encadrées, notamment par les règles européennes. Toutefois, selon nous, ce modèle est le meilleur, car il est le mieux à même de nous fournir de l’hydrogène…
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet.
M. Patrick Chauvet. L’Union européenne s’est récemment fixé pour objectif, à l’horizon 2030, d’atteindre un niveau de production de 10 millions de tonnes d’hydrogène vert.
Ambitieux pour certains, utopique pour d’autres, cet objectif passera nécessairement par la multiplication de nos capacités d’importation d’énergie d’origine renouvelable.
Dans cette perspective, l’Union européenne a d’ores et déjà signé des protocoles d’accord avec nombre de pays, notamment africains, afin de bénéficier de leurs capacités de production d’énergies renouvelables.
Toutefois, un certain nombre d’observateurs alertent dès à présent quant aux limites d’un fort recours à l’importation. En effet, les pays exportateurs d’énergies renouvelables devront puiser dans leurs réseaux nationaux pour fournir l’énergie nécessaire à l’Union européenne, au détriment des populations locales.
L’exemple de la Namibie est particulièrement éloquent. En 2022, seuls 56 % des Namibiens avaient accès à l’électricité. Pourtant, leur pays se dit prêt à exporter en masse sa production d’énergies renouvelables vers les États européens. L’accord trouvé avec l’Union européenne est symbolique de cette dynamique dramatique.
Afin de développer l’hydrogène vert, nous cannibaliserons les ressources en énergies renouvelables de ces pays. Nous renforcerons, en conséquence, leur dépendance aux énergies fossiles. Or la lutte contre le changement climatique ne saurait être menée en vase clos. Notre transition énergétique sera mondiale ou ne sera pas. Il est de notre responsabilité de la concevoir à l’échelle mondiale.
Monsieur le ministre, ferons-nous le pari de l’hydrogène vert s’il implique une dépendance toujours plus grande d’autres pays aux énergies fossiles ?
De plus, l’immense majorité de l’hydrogène produit est aujourd’hui de l’hydrogène bleu. Le vert ringardisera-t-il le bleu en dépit des qualités manifestes de ce dernier et de sa plus forte disponibilité immédiate ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler : pour la France comme pour l’Europe, produire son hydrogène décarboné ou renouvelable est une bonne manière d’assurer sa souveraineté et de créer de l’emploi. À l’inverse, importer cette énergie, c’est remplacer notre dépendance aux hydrocarbures venus du Moyen-Orient ou de Russie par une autre, à l’égard de pays producteurs d’énergies renouvelables.
Notre liste d’arguments est déjà longue et vous l’étoffez encore : en important l’hydrogène, l’on risquerait de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Les pays exportateurs n’en produisant pas suffisamment pour couvrir leurs propres besoins, ils seraient conduits à accroître leur consommation d’énergies carbonées et leur exposition à ces dernières.
Il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour trouver un exemple de ce type. Actuellement, l’Allemagne connaît à la fois une forte augmentation de la part de ses énergies renouvelables et, du fait de la fermeture de ses centrales nucléaires, une forte hausse de sa consommation d’énergie carbonée.
Ce risque-là existe : raison de plus pour assurer la souveraineté française et européenne dans ce cadre. Nous continuons de penser que nous sommes capables, via les centrales nucléaires et les énergies renouvelables, de produire l’hydrogène dont nous avons besoin en assurant notre souveraineté. (M. Daniel Salmon manifeste son désaccord.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet, pour la réplique.
M. Patrick Chauvet. Monsieur le ministre, vous insistez sur la nécessité de produire nous-mêmes l’hydrogène vert en France. C’est effectivement une bonne stratégie, mais serons-nous compétitifs face à ces pays ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Poursuivant ses efforts de neutralité climatique, notre pays a l’ambition de faire décoller la filière hydrogène bas-carbone. Il prévoit ainsi le déploiement de 6,5 gigawatts d’électrolyseurs installés à l’horizon 2030, permettant d’éviter l’émission de 6 millions de tonnes de CO2 par an. On ne peut qu’approuver un tel objectif.
L’hydrogène dit vert ou décarboné obtenu par électrolyse est non seulement une manne pour le développement des énergies renouvelables, mais aussi un vecteur incontournable pour la décarbonation de secteurs comme l’industrie lourde, les mobilités routières intensives ou les transports maritimes et aériens. Toutefois, je tiens à soulever quelques questions concernant l’amont de sa production.
L’hydrogène par électrolyse mobilise la ressource en eau. Ainsi, la production d’un million de tonnes d’hydrogène renouvelable et bas-carbone nécessiterait entre 10 millions et 20 millions de mètres cubes d’eau.
Certes, ce volume représenterait à peine 0,2 % de la consommation d’eau annuelle de notre pays : c’est bien peu comparé aux besoins du secteur de l’énergie dans son ensemble, lequel représente à lui seul le tiers de la consommation nationale. Cependant, dans le contexte actuel, marqué par les sécheresses à répétition, quelle stratégie adopter pour une meilleure utilisation de la ressource ?
Ne faudrait-il pas créer de nouvelles synergies pour la réutilisation des eaux usées industrielles, le développement des technologies de désalinisation partielle ou encore l’utilisation d’eau marine dans l’industrie ? Je souhaiterais connaître votre avis sur ces différentes pistes.
L’autonomie minière est également un enjeu majeur. En effet, la filière hydrogène n’échappe pas aux besoins en métaux critiques, tels que l’iridium et le platine. Alors que la production de platinoïdes est concentrée dans quelques pays, dont certains sont fragiles sur le plan géopolitique, et que la dynamique autour de l’hydrogène est très importante, en Europe comme dans d’autres régions du monde, comment sécuriser l’approvisionnement de la filière hydrogène pour les prochaines décennies ?
Enfin, sur les 10 milliards d’euros dédiés à l’hydrogène, qu’en est-il des 4,2 milliards d’euros réservés au mécanisme de soutien à la production ? Il semble que ces crédits peinent à être déployés. Si vous ne me donnez pas la réponse aujourd’hui, vous me l’apporterez sans doute demain, puisque nous avons rendez-vous pour traiter de l’industrie verte.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, vous posez là trois questions en une.
Tout d’abord, vous m’interrogez au sujet de la consommation d’eau. La production d’hydrogène, comme toutes les industries, n’échappe évidemment pas aux enjeux de sobriété : sa consommation doit devenir encore plus raisonnable.
Néanmoins, en la matière comme dans de nombreux autres domaines, l’industrie a été plutôt en avance. Depuis déjà une dizaine d’années, elle réduit ses besoins en eau.
Nous avons eu l’occasion de l’indiquer au Sénat lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement : nous travaillons à un plan de sobriété, annoncé par le Président de la République, dans le cadre duquel l’industrie joue elle aussi son rôle.
L’hydrogène, comme les autres industries, est capable de réutiliser son eau. Le décret relatif aux usages et aux conditions de réutilisation des eaux usées traitées, dit décret Reut, va permettre aux industriels de réutiliser leurs eaux usées dans leur processus de production, ce qui est aujourd’hui largement interdit. Il permettra, ce faisant, de limiter fortement la consommation d’eau, y compris pour produire l’hydrogène.
Ensuite, vous évoquez la dépendance aux métaux critiques. Vous avez raison : notre logique stratégique nous commande de réduire notre dépendance à cet égard. C’est précisément pourquoi nous créons un fonds d’investissement destiné à sécuriser nos approvisionnements, dans le monde comme en France. Sachez tout de même que les nouvelles technologies d’hydrogène, notamment les technologies dites solides, ne font plus appel aux métaux rares que vous mentionnez : leur intérêt n’en est que plus grand.
Enfin, l’enveloppe de 4,2 milliards d’euros que vous citez est encore en négociation, au titre des aides d’État, avec la Commission européenne. Nous avons bon espoir de converger très vite.
Je vous dis donc à demain pour notre réunion relative à l’industrie verte ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Assurément, l’hydrogène occupera une place de choix dans l’avenir énergétique de notre pays ; notre débat d’aujourd’hui le confirme une fois de plus.
Offrant des capacités de stockage de l’électricité inenvisageables par le passé, l’hydrogène vert ouvre également la voie à la décarbonation de certaines industries qui n’avaient, jusqu’à présent, aucune solution pour faire baisser leurs émissions de gaz à effet de serre. En outre, il ouvre de nouvelles perspectives pour la mobilité, notamment lourde, en complément des batteries.
Monsieur le ministre, l’industrie du décolletage, très présente dans la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie, que vous connaissez, est menacée par la fin des moteurs thermiques d’ici à 2035 : elle voit dans ces nouvelles technologies une importante piste de développement.
Toutefois, vous l’avez rappelé vous-même : considérer l’hydrogène comme une solution miracle appelée à remplacer les autres formes d’énergie reviendrait à se méprendre.
Son usage ne peut s’inscrire qu’en complémentarité avec les énergies renouvelables telles que le photovoltaïque, l’hydroélectricité et l’éolien, lesquelles devront nécessairement monter en puissance pour que la France puisse produire suffisamment d’hydrogène. Toutefois, même en accélérant notre production d’énergie renouvelable, la France et plus largement l’Union européenne ont nettement moins de potentiel de production renouvelable que des pays situés sur d’autres continents.
Il est donc essentiel que l’hydrogène produit grâce à l’énergie nucléaire, également appelé hydrogène rose, puisse être considéré comme renouvelable. Autrement, il serait illusoire de penser répondre à notre demande intérieure et a fortiori exporter.
Bruxelles a ouvert une porte en février dernier, par le biais d’un acte délégué, mais sept États membres, dont l’Allemagne et l’Espagne, s’y opposent et les négociations sont loin d’être terminées : à ce stade, la révision de la directive RED III, que vous avez mentionnée, n’inclut toujours pas l’hydrogène bas-carbone dans les objectifs d’énergies renouvelables.
Monsieur le ministre, où en sont les négociations européennes relatives à l’inclusion de l’hydrogène rose ? Quels moyens la France compte-t-elle mettre en œuvre pour infléchir la position des sept États qui s’y opposent ? (Mme Martine Berthet et M. Stéphane Piednoir applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, comme vous le savez sans doute, des projets de moteur thermique à hydrogène sont également à l’étude : eux aussi rendent espoir aux industries de la vallée de l’Arve, aujourd’hui focalisées sur les moteurs thermiques. Nous subventionnons les acteurs concernés au titre de nos différentes stratégies : je pense notamment à Symbio et à Feve. C’est important pour les industries de votre département de Haute-Savoie.
L’hydrogène rose est, en quelque sorte, un tabou de part et d’autre du Rhin : nous n’en parlons pas explicitement lors de nos discussions, qui concernent aujourd’hui essentiellement la part d’hydrogène vert qui sera présente dans le mix énergétique, mais la question est implicite…
Revoir à la baisse les objectifs d’hydrogène vert pour les États qui, en la matière, dépasseront 23 % dès 2030, revient de fait à donner un avantage à ceux qui, comme nous, souhaitent développer l’hydrogène dit rose, ou hydrogène à bas-carbone. Néanmoins, je le répète, la question est un peu taboue…
Nous n’avons pas encore atteint un compromis qui nous satisfasse. De plus, au sein du Gouvernement, les discussions ne sont pas encore tout à fait terminées pour fixer notre position finale sur le compromis de la Commission.
Ce que je peux vous dire, c’est que cette avancée, bien qu’indéniable, ne nous satisfait pas entièrement. Cela étant, nous allons dans le bon sens. Nous aurons à la fois du vert et du rose, mais nous n’avons pas encore complètement convergé : nous allons continuer d’y travailler.
M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le ministre, nous dressons un même constat quant à l’utilité de l’hydrogène pour accélérer la transition énergétique.
L’hydrogène peut effectivement contribuer au basculement progressif vers les énergies renouvelables, mais encore faut-il s’entendre sur son mode de production. Aujourd’hui – les précédents orateurs l’ont rappelé –, force est de constater que l’Europe utilise majoritairement un hydrogène gris, obtenu grâce aux énergies fossiles.
Pour rappel, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’hydrogène produit actuellement à l’échelle mondiale provient à 69 % du gaz naturel et à 27 % du charbon, le reste étant fourni par l’électrolyse de l’eau et d’autres solutions plus vertueuses. Sa production n’a donc entraîné aucune décarbonation des économies.
L’hydrogène doit évoluer vers un mode de production décarboné, idéalement en passant par une source d’électricité renouvelable.
La voie offerte par l’électrolyse est intéressante à plusieurs égards. Elle utilise l’énergie électrique pour récupérer l’hydrogène présent dans l’eau. De plus, en couplant un électrolyseur à une source décarbonée d’électricité, l’on obtient de l’hydrogène vert, qui n’émet pas de CO2.
Si l’on choisit l’éolien ou le photovoltaïque comme source d’électricité, l’électrolyse permet de répondre aux difficultés posées par la variabilité : on stocke les excédents d’électricité en les transformant en hydrogène. Néanmoins, leur déploiement à grande échelle posera d’autres problèmes, dont l’artificialisation des sols.
Par ailleurs, l’hydrogène électrolytique suppose des infrastructures complexes, non seulement de production, mais aussi de transport et de distribution, et des capacités de stockage. On estime que le déploiement de telles infrastructures ne pourrait se faire avant le milieu de la décennie. Dans l’attente, on persistera à produire de l’hydrogène carboné, à moins que l’État n’engage une stratégie clairement définie en la matière.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous détailler le calendrier que l’État entend suivre pour développer une filière de production d’hydrogène vert ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, je vais vous répondre de manière très concrète.
Nos objectifs sont les suivants : accroître de 50 % notre production d’hydrogène, vert ou décarboné, c’est-à-dire produit à partir d’énergies renouvelables ou d’énergie nucléaire, et assurer son doublement d’ici à 2035.
Nous nous donnons les moyens d’atteindre ces objectifs ambitieux en mettant sur la table des subventions dignes de ce nom et en assurant, dès maintenant, un accompagnement des porteurs de projet.
Il s’agit de répondre aux objectifs européens vers lesquels nous souhaitons converger, en vertu du compromis que nous sommes en train de négocier à Bruxelles. Il s’agit de surcroît de couvrir nos besoins. L’essentiel, c’est que les aciéries ou encore les fabriques d’engrais puissent utiliser de l’hydrogène décarboné. Dès lors, la production française d’acier et d’engrais sera elle-même décarbonée.
J’espère avoir répondu à votre question. Si tel n’est pas le cas, n’hésitez pas à nous solliciter par écrit : nous vous apporterons des informations plus précises.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly.
M. Stéphane Demilly. Ma collègue Denise Saint-Pé, que j’associe à ma question, et moi-même sommes persuadés que l’hydrogène est appelé à prendre une importance capitale dans la transition énergétique.
Monsieur le ministre, la France dispose d’atouts technologiques et d’une politique offensive d’accompagnement financier des projets, au travers du plan hydrogène 2030, et c’est réellement une très bonne chose.
Pour peu qu’il soit vert, c’est-à-dire produit à partir d’énergies renouvelables, l’hydrogène peut décarboner trois grands secteurs d’activité : les mobilités, l’industrie et le chauffage des bâtiments.
Les transports, lourds et en commun, bénéficieront de cette technologie à moyen terme, tout comme l’industrie de fabrication d’acier et de ciment, actuellement très polluante. Quant aux bâtiments, ils pourraient profiter de la mise sur le marché des premières chaudières faisant appel à la technologie de la condensation de gaz.
Toutefois, la fabrication de l’hydrogène vert reste à ce jour excessivement onéreuse – vous l’avez dit vous-même –, au point que, malgré les financements publics, la possibilité de produire une molécule de ce type à moins de 10 euros le kilogramme n’est pas encore envisageable d’un point de vue économique.
Dans un tel contexte, le Gouvernement entend-il recourir à l’extraction de l’hydrogène présent dans le sous-sol, dit hydrogène natif ou hydrogène blanc ?
Ce concept est très récent, car l’hydrogène a longtemps été considéré comme un gaz n’existant pas naturellement sous sa forme moléculaire dans le sous-sol. Or ce postulat vient d’être contredit par de récentes expérimentations menées au Mali, aux États-Unis, en Australie ainsi qu’en Chine.
Les réserves mondiales étant considérables et le prix d’extraction très inférieur à celui de la fabrication, des demandes d’autorisation de recherche provenant de sociétés françaises ont été formulées. L’État français envisage-t-il d’y répondre favorablement ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, notre palette s’enrichit encore ! (Sourires.) Après l’hydrogène bleu, l’hydrogène gris, l’hydrogène vert et l’hydrogène rose, vous m’interrogez au sujet de l’hydrogène dit blanc, qui existerait à l’état natif.
La mise à jour de notre ambitieuse stratégie hydrogène nous conduit à étudier toutes les méthodes existantes : il convient bel et bien d’accroître nos capacités de production.
Au-delà de l’électrolyse, à laquelle j’ai fait référence, nous envisageons la production par voie de biomasse. L’enjeu d’usage dont il s’agit est absolument considérable : nous aurons largement besoin de la biomasse, notamment pour voler propre demain.
De même, nous étudions la possibilité d’employer l’hydrogène natif, issu de l’extraction minière. L’hydrogène a d’ailleurs été inclus dans le code minier dès 2021 et nous avons identifié quelques projets. On ne saurait évidemment préjuger de leur instruction : l’État doit déterminer, selon le code minier, l’ampleur du potentiel de gisement, les fondamentaux économiques et les bénéfices environnementaux réels. Nous nous attacherons bien sûr à remplir ces trois conditions.
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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans la tribune d’honneur, une délégation de sénateurs polonais, conduite par M. Aleksander Pociej, président du groupe d’amitié Pologne-France. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le ministre délégué se lèvent.) Elle est accompagnée par notre collègue Mme Valérie Boyer, présidente du groupe d’amitié France-Pologne.
Cette visite d’étude permettra de renforcer la coopération franco-polonaise dans le contexte particulier du conflit en Ukraine. Ses travaux concerneront le domaine de la défense, mais aussi le secteur agricole et la coopération en matière scientifique.
La richesse de la culture partagée entre la France et la Pologne sera mise à l’honneur avec la visite du château et du village de Montrésor, en Indre-et-Loire, qui sont intimement liés à l’histoire polonaise.
Mes chers collègues, à la veille du 3 mai, qui est une fête nationale en Pologne, célébrant la Constitution du 3 mai 1791, je souhaite, en votre nom à tous, à nos homologues du Sénat polonais, la plus cordiale bienvenue ainsi qu’un excellent et fructueux séjour. (Applaudissements prolongés.)
5
Quelles solutions pour développer l’hydrogène au sein de notre mix énergétique ?
Suite d’un débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Martine Berthet.
Mme Martine Berthet. Monsieur le ministre, la révision de la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné, annoncée en février dernier, devrait être présentée d’ici à l’été prochain.
Que pouvez-vous nous en dire ? Je pense tout particulièrement à la construction de gigafactories et à la fabrication d’équipements clés pour la production et les usages de l’hydrogène que sont les électrolyseurs, les piles à combustible et les réservoirs, accompagnées financièrement par l’État, qui devraient entraîner le développement de tout un tissu manufacturier de PME-PMI dans les territoires, de savoir-faire et la création de nombreux emplois.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire concrètement comment le Gouvernement va s’assurer que ces entreprises, issues de la filière française de l’électrolyse pour l’hydrogène renouvelable et bas-carbone, trouveront des débouchés suffisants d’ici à 2030 qui leur permettront de se consolider, de devenir des fleurons industriels durables pour notre pays et ainsi de bénéficier sur le long terme de notre position de nation pionnière dans ce domaine ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, qui me permet de mettre en avant trois projets de gigafactories déjà en cours de construction.
Elogen, start-up située aux Ulis, envisage de construire sa gigafactory à Vendôme d’ici quelques mois, pour une ouverture prévue dans deux ans.
Genvia, autre entreprise française de qualité, qui met au point une technologie importante, construit sa gigafactory à Béziers. Elle a beaucoup d’avenir.
Enfin, John Cockerill, entreprise franco-belge, envisage de construire sa gigafactory en Alsace.
Il existe donc trois projets, qui devraient produire, en régime permanent, environ 2 gigawattheures, alors que les besoins sont estimés aux alentours de 6 gigawattheures. Aussi, nous aurons largement les moyens de répondre à la production de ces trois gigafactories.
Il reste, bien évidemment, à les construire – nous aidons les entreprises en ce sens – et à produire de l’hydrogène à un coût compétitif. Se pose alors la question essentielle de l’électricité décarbonée, sur laquelle nous devons travailler ensemble.
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, pour la réplique.
Mme Martine Berthet. Monsieur le ministre, il y a le sujet des gigafactories et celui de la décarbonation des sites identifiés comme gros émetteurs de gaz à effet de serre – ils sont importants –, mais également celui du soutien au développement de la mobilité professionnelle – des véhicules utilitaires légers aux camions, des bennes à ordures aux autobus – et de la mise en place d’infrastructures de recharge hydrogène maillant l’ensemble du territoire national.
Ces points ne doivent être ni retardés ni négligés dans la révision de la stratégie nationale. Alors que la France a la chance de compter deux constructeurs automobiles ayant mis au point des véhicules utilitaires légers à hydrogène, il serait véritablement regrettable de ne pas potentialiser cette avance technologique au moment où les zones à faibles émissions (ZFE) vont être mises en œuvre.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé. Dans la politique énergétique nationale, l’hydrogène est avant tout considéré comme un moyen de décarbonation de l’énergie de filières industrielles particulières, que vous avez d’ailleurs évoquées, monsieur le ministre.
Pour autant, on parle peu des solutions que l’hydrogène devra apporter pour permettre le bon fonctionnement de l’ensemble du parc national de production d’électricité.
Plus précisément, dans la perspective de scenarii à forte proportion d’énergies renouvelables (EnR) intermittentes, la production et le stockage d’hydrogène contribueront à la flexibilité du réseau et à l’équilibre entre production et demande du système électrique.
Dit autrement, plus la part d’énergies renouvelables dans le mix énergétique sera importante, plus nous aurons besoin de faire appel à la fonction particulière de stockage de l’hydrogène.
La compétitivité des énergies renouvelables sera aussi fonction de la contribution de l’hydrogène à la flexibilité et à l’équilibre du réseau en situation de moindre disponibilité des énergies renouvelables. Toutefois, cette contribution à la flexibilité du réseau nécessite des infrastructures de stockage et de transport d’hydrogène importantes.
Pour y parvenir, il est indispensable d’intégrer au mix énergétique et au réseau d’énergie électrique national un système hydrogène composé d’électrolyseurs, de stockages d’hydrogène, de points d’avitaillement, de centrales thermiques à hydrogène, de réseaux de transport, voire d’interconnexions avec les pays limitrophes.
En définitive, la nature et l’ampleur du système hydrogène qui serait intégré à la régulation du réseau électrique national conduiraient à plus ou moins de flexibilité. Un tel choix politique – c’en est un ! – aura des conséquences sur les niveaux d’énergies renouvelables dans le mix et donc sur la PPE.
Monsieur le ministre, quelle est la doctrine du Gouvernement en matière de gestion de la flexibilité du futur réseau électrique national ? Quel type de système hydrogène entendez-vous développer en matière de flexibilité ? Où en êtes-vous de la planification des investissements nécessaires ? Comment et sur quels acteurs les coûts de ces investissements seront-ils répercutés ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, c’est une bonne question, car l’hydrogène, vous l’avez dit, peut être stocké en grande quantité dans des cavités salines.
C’est un avantage énorme, que n’ont pas les énergies renouvelables, et qui a été démontré par la réutilisation d’anciennes cavités stockant du gaz naturel aux États-Unis et en Angleterre. Or de telles cavités existent en France, notamment autour de Manosque ; la possibilité d’en construire de nouvelles, dans plusieurs géologies favorables, est également à l’étude. Les installations de Manosque pourraient stocker jusqu’à 30 kilotonnes d’hydrogène à court terme, c’est-à-dire des quantités importantes.
Le stockage de l’hydrogène permet d’en abaisser le coût, d’arbitrer sur le choix des horaires de production de l’hydrogène électrolytique et d’optimiser le prix de l’électricité, qui représente 70 % du coût de l’hydrogène.
Cela pourrait aussi aider, à plus long terme, c’est-à-dire à l’horizon 2040, voire au-delà, à équilibrer le système électrique en produisant de l’électricité au moyen d’une pile à combustible à partir de l’hydrogène stocké. Concrètement, cela revient à stocker l’hydrogène qui est fabriqué à partir d’énergies renouvelables, puis à le transformer en électricité. La start-up française Hydrogène de France (HDF Energy) mène un projet en ce sens ; une expérimentation est même prévue en Guyane dans les mois qui viennent.
Il serait également possible de réutiliser les centrales à gaz naturel à cycle combiné. Pour ce faire, il faudrait plutôt regarder la stratégie allemande de réemploi des centrales à gaz. Mais, comme vous le savez, notre système dépend moins du gaz que celui de nos voisins…
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Mes chers collègues, à condition qu’il soit produit par des moyens ne conduisant pas à des émissions significatives de carbone, l’hydrogène présente l’intérêt d’être, d’une part, un vecteur énergétique de choix pour certaines industries ou pour la mobilité lourde et, d’autre part, un outil de flexibilité du mix électrique qui aide à décarboner des secteurs difficiles à électrifier.
Comme énergie, l’hydrogène bas-carbone est applicable au secteur de la mobilité – transport collectif de personnes et transport de marchandises –, là où les solutions à base de batterie sont plus difficiles à mettre en œuvre ou soulèvent des enjeux majeurs.
Utilisé dans une pile à combustible, il présente l’avantage de ne rejeter que de l’eau, ce qui permet d’éliminer les émissions de particules, de soufre, d’oxyde d’azote et de contribuer à l’amélioration de la qualité de l’air.
En période de surproduction électrique, l’électricité peut être stockée, mais aussi utilisée pour produire de l’hydrogène facilement stockable.
L’hydrogène renouvelable, produit par l’électrolyse de l’eau, certes n’est pas polluant, mais coûte beaucoup plus cher à produire. Son déploiement passera par la baisse du coût de production de l’électricité renouvelable – solaire et éolien –, et par celle du coût des électrolyseurs ou des piles à combustible.
Pour autant, c’est bien l’électrolyse de l’eau qui représente l’avenir du développement de la filière hydrogène. Le projet Sealhyfe en Vendée, plateforme en mer raccordée à une éolienne flottante, s’avère être une perspective intéressante pour la production d’hydrogène renouvelable. En effet, après désalinisation de l’eau de mer, l’hydrogène sera produit par électrolyse et acheminé sur terre via un réseau de pipelines.
Mais le défi immédiat, pour accompagner la production par électrolyse d’hydrogène propre, consiste à assurer un approvisionnement suffisant en électricité décarbonée.
Aussi, monsieur le ministre, pour atteindre les objectifs de décarbonation fixés par la Commission européenne en 2030, l’hydrogène bas-carbone produit à partir d’électricité nucléaire sera-t-il reconnu comme indispensable, à l’instar de l’hydrogène renouvelable ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Madame la sénatrice, vous l’avez dit, l’hydrogène a des avantages indéniables.
Je voudrais comparer quelques chiffres pour illustrer votre propos relatif à l’autonomie des véhicules. Par exemple, avec 5 kilogrammes d’hydrogène, stockés dans un réservoir de 125 litres, qui pèse environ 130 kilogrammes, auxquels il faut ajouter les quelque 100 kilogrammes de la pile à combustible, soit environ 235 kilogrammes de matériel embarqué, l’autonomie du véhicule à hydrogène est équivalente à celle d’une batterie de 500 kilogrammes. Ainsi, pour les gros véhicules, pour les trains et pour les véhicules de transport collectif, il est clair que l’hydrogène présente un avantage comparatif indéniable.
Madame la sénatrice, vous avez également rappelé quels sont ses petits défauts : le coût élevé des composants liés à la production de l’hydrogène et le rendement total de la chaîne hydrogène, qui s’élève à environ un tiers de celui de la batterie. Ainsi, pour les véhicules individuels, le compte n’y est pas !
Pour les véhicules utilitaires légers – je réponds ainsi à la question qui m’a été posée précédemment –, oui, cela existe ; il y a des projets très avancés en matière de logistique urbaine, développés notamment par Stellantis.
Par ailleurs, la production d’hydrogène offshore est au stade de la recherche et développement, que nous finançons, afin de profiter, si c’est possible, d’hydrogène moins cher à l’avenir. Nous n’y sommes pas encore, mais nous investissons dans ce sens.
M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sabine Drexler. Monsieur le ministre, dans le Haut-Rhin, le complexe chimique Alsachimie regroupe trois entreprises sur une plateforme fabriquant entre autres du nylon, de l’ammoniac et des engrais. Ce complexe utilise près de 75 000 tonnes d’hydrogène par an produit, pour l’instant, à partir de gaz, ce qui est très émetteur de CO2.
Pour passer à l’hydrogène vert, il faudrait un électrolyseur d’une capacité de 500 mégawatts, sachant que la plateforme chimique pourrait utiliser la chaleur fatale de ce dernier.
Cet avantage en matière d’optimisation énergétique pourrait conduire à une augmentation de 100 mégawatts de capacité pour fournir de l’hydrogène décarboné pour le transport, par exemple. Mais avec la forte variation du coût du gaz en Europe, nettement plus cher que le gaz américain ou russe, ces entreprises ont dû réduire leur production, faute de pouvoir exporter.
Butachimie, par exemple, ne tourne plus qu’à 30 % de sa capacité. Dans ce modèle économique intégré, si l’une de ces entreprises venait à cesser son activité, cela entraînerait de sérieuses difficultés pour les deux autres.
Le Gouvernement veut passer à l’hydrogène vert, produit par électrolyse. Toutefois, avec l’explosion des prix de l’énergie, cela semble très mal engagé. Les aides plafonnées à 4 millions d’euros ne sont pas suffisantes pour des entreprises de cette taille, car une différence de 1 euro sur le prix du kilogramme d’hydrogène représente in fine une perte de 75 millions d’euros.
Il faut absolument revoir notre modèle de soutien à cette industrie, afin de pérenniser les installations actuelles et leur donner de la visibilité. À défaut, sur ce seul site, plus de 2 000 emplois directs et autant d’emplois indirects risqueraient de disparaître, qui s’ajouteraient ainsi aux 2 000 emplois récemment perdus à la suite de la fermeture de la centrale de Fessenheim.
Monsieur le ministre, que compte faire le Gouvernement pour soutenir cette industrie et les investissements qu’elle va devoir engager pour passer à l’hydrogène vert ? Quelles actions vont être mises en œuvre pour soutenir ce complexe chimique, afin d’empêcher un nouveau désastre économique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Madame la sénatrice, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec les dirigeants de ces deux sociétés sœurs, si je puis dire, en ce qu’elles sont toutes deux membres d’un grand groupe allemand.
Voilà quelques mois, les prix de l’énergie étaient bien plus élevés qu’ils ne le sont actuellement, ce qui a conduit ces entreprises à réduire leur production de façon marginale, mais non négligeable, et à modifier légèrement leurs sources d’approvisionnement.
Aujourd’hui, ces entreprises vont mieux, en tout cas moins mal, et la baisse des prix de l’énergie n’y est pas pour rien.
La façon dont les prix de l’intrant et de l’extrant sont fixés rend difficile l’accès de ces entreprises aux aides européennes, car elles vendent essentiellement leurs produits à leur maison mère. Malheureusement, les règles européennes sont telles que nous ne sommes pas en mesure de verser davantage que les 4 millions d’euros que vous avez mentionnés.
Pour autant, je pense que ces entreprises vont mieux – j’espère qu’elles vous le confirmeront, madame la sénatrice –, du fait de la baisse des prix de l’énergie.
Faut-il pour autant les abandonner ? Non, au contraire ! Elles ont évidemment des projets extrêmement ambitieux, vous l’avez rappelé, pour passer à l’hydrogène. L’entreprise de Borealis mène à Ottmarsheim – ce n’est pas loin de chez vous, me semble-t-il, madame la sénatrice – un projet similaire, qui prévoit la création de quelque 200 emplois, et pour lequel nous sommes à la manœuvre.
Nous avons déjà notifié à la Commission européenne une aide de 100 millions d’euros, qui permettrait d’installer un électrolyseur de 50 mégawatts pour décarboner le site chimique avec un procédé d’ammoniac.
Le projet auquel vous faites référence est d’une plus grande ampleur. Il aura, vous l’avez dit également, un impact économique et social plus important pour la région. Nous sommes prêts à l’aider, de la même manière que nous aidons celui de son voisin.
Nous travaillons avec les entreprises en question pour nous assurer qu’elles seront bien accompagnées dans leurs efforts de décarbonation. (Mme Sabine Drexler marque son approbation.)
M. le président. La parole est à M. François Calvet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Calvet. Monsieur le ministre, dans le cadre du plan d’investissement France 2030, le Gouvernement a annoncé une accélération de la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné, lancée en 2020.
Je m’étonne qu’il n’y soit question que de l’hydrogène issu de l’électrolyse de l’eau et que l’on ne trouve rien sur l’hydrogène naturel. On sait pourtant, depuis la découverte fortuite, voilà presque dix ans, d’un puits d’hydrogène presque pur au Mali, qu’il existe de nombreuses sources d’hydrogène naturel un peu partout dans le monde.
Aussi, l’hydrogène constitue une source d’énergie primaire à extraire du sous-sol. Le mouvement est maintenant lancé : en Australie du Sud, quelque trente-cinq permis d’exploration ont été déposés.
La France possède sur son territoire, notamment dans les Pyrénées, des poches d’hydrogène qui intéressent beaucoup les sociétés de prospection. L’une d’entre elles a déposé une demande de prospection exclusive sur un périmètre de 226 kilomètres carrés dans les Pyrénées-Atlantiques. Si le projet aboutit, un chantier de production d’hydrogène comme source d’énergie primaire décarbonée et disponible en permanence sera lancé avec un coût de production de moins de 1 euro le kilogramme. La France ne peut ignorer cet énorme potentiel !
Je souhaite donc savoir si le Gouvernement compte accompagner le mouvement en encourageant et en encadrant les opérations de prospection et d’exploitation, qui vont se multiplier, notamment dans les Pyrénées-Orientales, puisque la présence d’hydrogène et de failles en profondeur a été confirmée dans l’ensemble du massif pyrénéen.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui me permet de compléter ma réponse à la précédente. Celle-ci portait sur notre capacité collective à chercher l’hydrogène là où il pourrait se trouver, plutôt que de le produire, ce qui soulève les enjeux du coût des technologies et de la rentabilité, qui ont déjà été évoqués.
Je pense que vous faites référence au projet dit Sauve Terre H2, situé dans les Pyrénées-Atlantiques, c’est-à-dire de l’autre côté des Pyrénées-Orientales. Le dossier est en cours d’instruction par les services miniers.
Il s’agit d’une surface – importante – de 226 kilomètres carrés. Il serait nécessaire de creuser profondément, jusqu’à 6 000 mètres, pour extraire l’hydrogène, mais pour un coût, selon les premières estimations, de 1 euro le kilogramme, ce qui serait extrêmement compétitif par rapport aux autres sources d’hydrogène que nous avons évoquées aujourd’hui.
L’État doit déterminer, selon le code minier, à l’occasion de cette instruction, l’ampleur potentielle du gisement, les fondamentaux économiques, notamment la solidité financière du porteur de projet, les bénéfices énergétiques réels et les éventuels impacts environnementaux de cette extraction.
De telles perspectives nous intéressent fortement, car elles nous permettraient de disposer d’hydrogène peu cher et clairement souverain. Quelques obstacles doivent encore être levés dans le cadre de l’instruction du dossier, monsieur le sénateur, ce que vous comprendrez aisément.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Stéphane Piednoir, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’adresse mes remerciements au groupe Les Républicains – on n’est jamais mieux servi que par soi-même (Sourires.) – pour l’organisation de ce débat. Il nous a permis de nous poser les bonnes questions, si je puis dire, à propos de notre mix énergétique, en dehors de la pression législative qui parfois nuit à la sérénité des débats et à l’objectivité des prises de position.
Au travers des interventions de mes collègues, nous avons clairement perçu une orientation assez pragmatique. En effet, compte tenu de la faiblesse de nos ressources naturelles propres, nous devons diversifier nos modes de production d’énergie tout en convergeant vers la sortie de notre dépendance aux énergies fossiles, condition indispensable à l’atteinte des objectifs de décarbonation, notamment dans les secteurs de l’industrie, du bâtiment et de la mobilité.
À ce titre, l’hydrogène est incontestablement un levier d’action. Toutefois, la singularité de ses caractéristiques se traduit par nombre de défis auxquels il nous faut répondre, sans perdre de vue qu’il n’y aura pas de « magie » hydrogène.
Le premier défi, c’est l’abondance de cet élément chimique, qui n’est toutefois pas accessible facilement. Les modes d’isolement de la molécule de dihydrogène ne sont en effet pas tous des plus vertueux.
Ainsi, la production de 1 million de tonnes d’hydrogène sur notre territoire, essentiellement par vaporeformage du méthane, engendre plus de 11 millions de tonnes de dioxyde de carbone. L’enjeu, bien identifié, est donc de parvenir à des modes de production neutres en CO2.
Tel est le deuxième défi auquel nous sommes confrontés : comment concilier les promesses intrinsèques de ce vecteur énergétique avec des réalités économiques et écologiques qui lui sont aujourd’hui encore assez défavorables ? Comme pour toute filière novatrice, les coûts de production de l’hydrogène bas-carbone, essentiellement par électrolyse de l’eau, sont encore élevés – jusqu’à 8 euros le kilogramme contre environ 2 euros pour l’hydrogène gris.
La marche est haute et l’équilibre ne pourra être atteint sans aides publiques importantes à l’investissement, surtout si l’on veut doubler le volume produit d’ici à 2028 à hauteur de 20 % de la production globale.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a bien identifié le sujet lors du précédent quinquennat. Néanmoins, plusieurs biais ont été soulignés au cours de ce débat.
D’abord, l’ambition : quand la France consacrait 100 millions d’euros pour sa stratégie hydrogène en 2018, notre voisin allemand mettait déjà 7 milliards d’euros sur la table, en affichant son ambition de devenir le leader dans ce domaine. Certes, je vous l’accorde, conscient d’être à la traîne, le Gouvernement a rectifié le tir en 2020 en proposant un nouveau plan doté de financements plus importants, mais sans couvrir entièrement les enjeux de la filière.
Je rappelle que le coût d’un électrolyseur a été divisé par quatre en l’espace de dix ans. Ce simple constat permet de prendre conscience de l’évolution très rapide du secteur, qui va de pair avec l’amélioration des performances en matière de rendement, point crucial pour la rentabilité de la filière hydrogène.
Les technologies évoluent aussi, en particulier l’électrolyse à haute température, avec des rendements deux à trois fois supérieurs aux autres technologies. Cela mérite, me semble-t-il, un soutien fort à la recherche pour accélérer les brevets et les innovations dans ce domaine.
Ensuite, le stockage, point faible de l’électricité, est évidemment un axe important du développement de l’hydrogène. Les batteries issues de l’industrie automobile seront bientôt associées en série et nous disposerons également de gigafactories produisant des batteries XXL, capables de stocker les surplus de production avant leur transformation par électrolyse.
Il reste à identifier les sources de production. Nous en avons beaucoup parlé ; il devrait y avoir un consensus assez large en la matière.
Le surplus de production des énergies renouvelables intermittentes peut devenir intéressant s’il est associé à la production d’hydrogène, se trouvant ainsi à disposition lors des pics de consommation – tout le monde en convient.
En revanche, et c’est très surprenant, le couplage au nucléaire est à ce jour absent des intentions gouvernementales. On ne trouve aucun mot à ce sujet dans les différents plans hydrogène (M. le ministre délégué s’étonne.), certes élaborés avant la conversion au nucléaire du président Macron, révélatrice d’un sacrifice industriel et commercial pour de basses œuvres politiciennes. (M. le ministre délégué marque sa désapprobation.)
Il est temps d’en finir avec cette schizophrénie et de profiter d’un coût marginal très faible de l’électricité d’origine nucléaire pour approvisionner des électrolyseurs ad hoc.
Les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, ainsi que la future programmation pluriannuelle de l’énergie, prévue pour cet été, vous en donneront l’occasion, monsieur le ministre.
Je terminerai par deux points de vigilance, qui n’ont pas été évoqués dans ce débat.
D’une part, la combinaison de l’hydrogène avec le dioxyde de carbone émis par certaines industries permettrait de produire du méthane de synthèse. Cette économie circulaire mériterait davantage d’attention et d’intentions, pour contribuer, au passage, au verdissement de la filière gaz.
D’autre part, les futurs réseaux de distribution doivent être construits en cohérence avec des schémas nationaux robustes et des emprises foncières intégrées dans une enveloppe nationale de l’objectif de « zéro artificialisation nette », par exemple. Mailler le territoire ne sera pas la plus anodine des politiques à mener, avant de structurer des partenariats puissants avec nos voisins européens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelles solutions pour développer l’hydrogène au sein de notre mix énergétique ? »
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, présentée par M. Patrick Chaize et plusieurs de ses collègues (proposition n° 795, texte de la commission n° 518, rapport n° 517).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Chaize, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Chaize, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis très heureux de vous retrouver aujourd’hui dans cet hémicycle pour examiner la proposition de loi visant à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, dont j’ai été à l’initiative, avec plus d’une centaine de mes collègues – 139 pour être exact –, de différents horizons politiques.
L’objet de ce texte est clair : répondre aux alertes, répétées depuis des années, relatives aux malfaçons et dégradations récurrentes, qui surviennent lors du raccordement de l’utilisateur final à la fibre optique.
Ces difficultés sont généralement attribuées à une mauvaise gestion du mode « sous-traitance opérateurs commerciaux » (Stoc), par lequel l’opérateur d’infrastructures, responsable du réseau, confie l’étape finale du déploiement aux opérateurs commerciaux. Or ces derniers ont eux-mêmes souvent recours à leurs propres sous-traitants.
Cette pratique, dérogatoire au mode principal de déploiement de la fibre, par lequel l’opérateur d’infrastructures assure le déploiement dans son intégralité, présente deux singularités. D’une part, elle est dépourvue de fondement législatif, puisqu’elle s’est développée sur la base de décisions de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). D’autre part, elle semble entraver la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre, dès lors que la mise en œuvre du mode Stoc est considérée comme de droit par l’Arcep.
Le régulateur avait pourtant prévu un garde-fou en précisant que le recours automatique au mode Stoc ne serait valable qu’à la condition que les opérateurs commerciaux respectent strictement les règles de l’art.
Malheureusement, les désordres persistants sur l’ensemble du territoire démontrent à quel point ce principe demeure théorique.
Bien entendu, le tableau n’est pas entièrement noir. Le mode Stoc a été un élément clé du déploiement massif et rapide de la fibre sur notre territoire. Alors que nous figurions parmi les plus mauvais élèves de l’Union européenne avant 2013, plus de 18 millions de Français sont désormais raccordés à cette technologie.
Toutefois, ce succès ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. La situation actuelle n’est pas acceptable au regard des sommes engagées par l’État et les collectivités territoriales pour le déploiement de la fibre depuis 2013 dans le cadre du plan France Très Haut Débit ; elle l’est encore moins au regard des attentes des usagers quant à la qualité de la connexion, alors que les jours du réseau cuivre sont désormais comptés.
Le Gouvernement, l’Arcep et les opérateurs ont pris conscience du problème : dès 2019, un groupe de travail a été mis en place entre les opérateurs d’infrastructure (OI) et les opérateurs commerciaux (OC), aboutissant en 2020 à l’élaboration d’une feuille de route multilatérale pour l’amélioration de l’exploitation et de la qualité des réseaux fibre jusqu’à l’abonné (FttH, pour Fiber to the Home).
Cette feuille de route envisageait l’évolution des contrats Stoc selon quatre axes : un volet sous-traitance prévoyant une meilleure information de l’OC envers l’OI sur le recours à la sous-traitance et une limitation à deux du nombre de rangs de sous-traitants ; un volet qualité du réseau, incluant l’obligation de communiquer un compte rendu d’intervention (CRI) pour chaque raccordement ; un volet qualité de prestation, imposant aux opérateurs commerciaux de faire appel à des intervenants formés ; enfin, un volet sécurité, selon lequel l’OI doit s’assurer que chaque intervenant dispose des agréments nécessaires.
Alors que ces nouveaux contrats auraient dû être mis en œuvre avant la fin de 2020, ils n’étaient toujours pas appliqués sur une grande partie du territoire à l’été 2022. Face à cette inertie et à l’exaspération légitime des usagers et des élus locaux, j’ai déposé en juillet 2022 la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui.
Monsieur le ministre, dès votre nomination, en juillet dernier, vous avez exprimé votre volonté de vous saisir de ce sujet ; je salue votre engagement. Les opérateurs ont d’ailleurs promis de nouvelles mesures en septembre 2022. Si cette proposition de loi a contribué à les sensibiliser à la nécessité d’accélérer leurs efforts, nous pouvons nous en réjouir.
Néanmoins, nous avons le droit de nous interroger sur la crédibilité de ces annonces comme sur la capacité de la filière à mettre rapidement en place les mesures promises depuis trois ans. La fermeture du réseau cuivre étant désormais engagée, nous ne pouvons plus nous permettre de repousser les échéances.
C’est la raison pour laquelle ce texte a été inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée. Il propose un ensemble de mesures concrètes pour assurer la qualité des raccordements à la fibre par le biais de plusieurs leviers.
Le premier, qui est peut-être le plus important, concerne l’encadrement des modalités de recours au mode Stoc. L’article 1er de la proposition de loi vise principalement à clarifier la répartition des responsabilités entre opérateurs et à rappeler le rôle de garant de la qualité des raccordements confié aux opérateurs d’infrastructure.
Cet article souligne que le recours au mode Stoc relève d’un choix de l’OI pour rétablir un véritable principe de sous-traitance et met en place des outils pour assurer la bonne réalisation des travaux et la réparation des malfaçons.
D’une part, il crée un guichet unique auprès de l’OI, chargé de traiter les difficultés de raccordement rencontrées par les usagers. D’autre part, il prévoit la remise systématique à l’utilisateur final, par l’intervenant chargé du raccordement, d’un certificat attestant de la conformité des opérations aux règles de l’art.
L’utilisateur pourra également se prévaloir face aux opérateurs des stipulations des contrats de sous-traitance, lesquels devront intégrer des garanties en matière de qualité de raccordement et de contrôle.
En outre, l’article 3, dans sa rédaction initiale, vise à interdire le recours au mode Stoc dans les zones ayant le statut de zone fibrée, soit 430 communes environ. Dans ces secteurs, déjà entièrement raccordables à la fibre et dans lesquels la transition de l’ADSL vers cette technologie va s’accélérer, il m’a semblé indispensable que la qualité des raccordements fasse l’objet d’une attention particulière.
Le deuxième axe concerne plus spécifiquement les leviers à disposition des collectivités pour contrôler la bonne réalisation des raccordements dans les réseaux d’initiative publique (RIP). La qualité des raccordements revêt en effet une importance supplémentaire dans ces zones, car les réseaux y sont déployés grâce aux deniers publics.
L’article 2 prévoit notamment la remise à la collectivité porteuse du RIP des certificats attestant de la qualité des raccordements afin que celle-ci puisse vérifier la bonne réalisation des travaux. En l’absence de remise de ces certificats, la collectivité ne sera pas tenue de rémunérer l’opérateur pour les travaux de raccordement.
M. François Bonhomme. C’est normal !
M. Patrick Chaize. Le troisième levier concerne les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’Arcep.
L’article 4 octroie au régulateur des télécommunications des pouvoirs spécifiques pour garantir la qualité des raccordements à la fibre à plusieurs égards.
Il confère ainsi une base législative au pouvoir de police spéciale des communications électroniques que détiennent conjointement l’Arcep, le ministre en charge du numérique et l’Agence nationale des fréquences (ANFR). Il prévoit également la publication trimestrielle par l’Arcep d’indicateurs portant sur le niveau de qualité de service des réseaux fibre transmis par les opérateurs.
La réalisation d’audits sur la qualité de l’accès au réseau de fibre optique et l’instauration d’un pouvoir d’astreinte au profit de l’Arcep sur ce sujet sont également prévues. Le texte intègre à ce titre l’ensemble des normes relatives à la qualité du raccordement à la fibre dans le corpus des règles dont l’Arcep sanctionne le respect.
Enfin, le dernier levier concerne la protection des droits des consommateurs en cas d’interruption prolongée de l’accès à internet.
L’article 5 vise ainsi à renforcer cette protection par la création de trois nouvelles pénalités à l’encontre du fournisseur d’accès à internet, selon la durée de la panne : suspension du paiement de l’abonnement d’abord ; versement d’une indemnité à l’abonné par l’opérateur ensuite ; enfin, résiliation sans frais de l’abonnement par l’usager.
Mes chers collègues, tels sont les grands axes du texte qui vous est soumis. Celui-ci a suscité une opposition de principe des opérateurs commerciaux, qui ont fait valoir que des engagements pris par la filière étaient préférables à une proposition de loi. Je pense, pour ma part, que les uns n’excluent pas l’autre.
Nous vous proposons donc de voter ce texte afin d’obtenir les engagements tant attendus et de leur conférer une assise solide. J’entends les inquiétudes concernant les risques qu’engendrerait une remise en cause du mode Stoc pour la continuité du déploiement de la fibre. Je tiens à rassurer sur ce point : notre objectif n’est en aucun cas de remettre en cause le modèle actuel, mais bien de guider et d’accompagner les démarches de qualité en cours afin de mieux les traduire sur le terrain. À cet égard, j’invite les opérateurs à lire le texte.
J’ai travaillé dans un état d’esprit d’équilibre avec la rapporteure de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Patricia Demas, que je tiens à remercier pour son écoute, son implication et les compléments utiles qu’elle a apportés au texte initial.
La qualité des réseaux fibre est un sujet d’intérêt national qui ne saurait dépendre exclusivement du bon vouloir des acteurs économiques. Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour prendre conscience de notre responsabilité collective sur ce sujet et pour nous aider à enrichir et à perfectionner cette initiative sénatoriale dans le cadre de la navette parlementaire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SER. – MM. Ronan Dantec, Frédéric Marchand et Pierre-Jean Verzelen applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Demas, rapporteure de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si elle peut sembler technique au premier abord, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui répond à une préoccupation quotidienne de nos concitoyens.
Je tiens à remercier mon collègue Patrick Chaize d’avoir déposé ce texte, qui apporte des solutions pragmatiques pour remédier aux désordres occasionnés dans le raccordement d’utilisateurs finaux à la fibre, en raison du recours à une chaîne de sous-traitance, souvent mal maîtrisée, dans le cadre du mode Stoc. Cette expression désigne un mode de réalisation des raccordements à la fibre par lequel l’opérateur d’infrastructure, responsable du réseau, confie la dernière partie du raccordement aux opérateurs commerciaux, qui font généralement eux-mêmes appel à d’autres prestataires.
Alors que cette pratique était l’exception avant 2015, ce mode opératoire est devenu la règle.
Nous avons tous constaté dans nos territoires l’exaspération des usagers et des élus locaux en raison des dysfonctionnements issus du recours au mode Stoc : débranchements injustifiés, branchements réalisés de façon anarchique, armoires vandalisées et, surtout, absence de recours effectif.
À l’aube de la fermeture du réseau cuivre, le raccordement final à la fibre optique est sans conteste le talon d’Achille du plan France Très Haut Débit. Il est dès lors de notre responsabilité de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la réussite de ce projet ambitieux, alors même que nous entrons dans sa dernière ligne droite.
Face aux problèmes liés à la qualité des raccordements à la fibre, trois options s’offrent à nous.
La première, privilégiée par le Gouvernement jusqu’à maintenant, consiste à négocier avec les opérateurs une solution contractuelle non prescriptive. Si ce mode d’action apparaît comme le plus souple, force est de constater qu’il est pour le moment insuffisant et qu’il n’a pas produit les résultats escomptés.
La révision des contrats Stoc, engagée en 2020 grâce aux contrats dits Stoc II puis Stoc III, a permis des progrès, qui restent toutefois trop timides. Le constat est clair : trois ans après le début des négociations, les engagements pris par les opérateurs peinent encore à être mis en œuvre.
La négociation avec la filière est indispensable, mais elle gagnerait à être encadrée et accompagnée par le législateur si nous souhaitons accélérer la montée en qualité des réseaux fibre et venir à bout des réticences de certains opérateurs.
La deuxième option, la plus radicale, consisterait à mettre fin au mode Stoc et à charger l’opérateur d’infrastructure de la réalisation du raccordement, passant donc en mode OI. À première vue, il peut s’agir de la solution la plus évidente et je comprends que nombre d’acteurs, certains élus locaux notamment, aient pu l’avoir à l’esprit.
Elle conduirait cependant à changer de plan au milieu de la bataille, alors que, depuis 2018, 20 000 locaux en moyenne sont raccordés chaque jour à la fibre. Changer de mode opératoire à ce stade risquerait de mettre un coup d’arrêt à ce déploiement, ce qui ne serait pas conforme à nos objectifs.
La troisième option, à laquelle je souscris pleinement, consiste à mieux encadrer le mode Stoc. Cette solution pragmatique permet de répondre aux préoccupations des usagers et des collectivités sans pour autant renverser la table ni déstabiliser les dynamiques à l’œuvre.
Le présent texte s’inscrit pleinement dans cette troisième voie d’équilibre. Je remercie Patrick Chaize et la commission de m’avoir accordé leur confiance à ce sujet.
Dans des délais restreints, j’ai entendu toutes les parties prenantes – opérateurs, régulateur, administrations centrales, élus locaux et usagers – et proposé à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable de reprendre plusieurs de leurs suggestions.
J’en viens à présent aux axes qui ont guidé le travail de la commission et aux principales modifications apportées à la proposition de loi.
Le premier axe a été la clarification des modalités de mise en œuvre du mode Stoc et de la répartition des responsabilités entre les opérateurs.
Conformément aux objectifs de Patrick Chaize, nous avons prévu, à l’article 1er, que l’opérateur d’infrastructure confie la réalisation du raccordement à la fibre à l’opérateur commercial selon un mécanisme de priorité et sous réserve du strict respect des règles de l’art.
Cette proposition pragmatique permet de conserver la volonté de l’auteur de garantir un principe de sous-traitance, en rappelant que la mise en œuvre du mode Stoc relève d’un choix de l’opérateur d’infrastructure, tout en préservant l’équilibre des contrats de sous-traitance en cours.
Avec le même objectif, la commission a souhaité renforcer le caractère opérationnel du guichet unique pour prendre en charge les difficultés de raccordement à la fibre rencontrées par les utilisateurs. Nous avons renforcé la place de ces derniers dans le dispositif, en leur permettant de suivre la résolution des difficultés rencontrées et en garantissant que celle-ci intervienne dans un délai raisonnable, qui ne pourra excéder dix jours.
Ce guichet unique a suscité des réactions différentes chez les usagers, les opérateurs et le Gouvernement. Si tout le monde s’accorde sur son utilité, la définition de ses modalités opérationnelles fait débat. Notre proposition est une première pierre à l’édifice, mais nous sommes ouverts à la perspective qu’un travail plus approfondi soit mené sur cette question dans le cadre de la navette parlementaire.
Enfin, la commission a modifié l’article 3, qui interdit le recours au mode Stoc dans certaines zones du territoire, pour en affiner le périmètre d’application afin de prendre en compte la fermeture du réseau cuivre et restreindre l’interdiction aux raccordements longs et complexes, de manière à limiter les atteintes à la liberté d’entreprendre.
Le deuxième axe des travaux de la commission a été de consolider les exigences de qualité et de contrôle applicables aux raccordements.
Nous avons prévu, à l’article 1er, l’élaboration d’un socle d’exigences minimales de qualité, que les contrats et les cahiers des charges liant les opérateurs commerciaux et leurs sous-traitants devront respecter.
Nous avons également introduit une obligation de labellisation de tout intervenant chargé de réaliser un raccordement à la fibre, selon un référentiel national. De plus, nous avons consacré dans la loi la réalisation systématique d’un compte rendu d’intervention pour permettre à l’opérateur d’infrastructure et à l’utilisateur de vérifier la bonne réalisation du raccordement.
Enfin, à l’article 2, qui concerne les réseaux d’initiative publique, c’est-à-dire les zones dites RIP, nous avons garanti un délai maximal de quarante-huit heures pour la transmission à la collectivité du calendrier hebdomadaire des interventions de raccordement lorsque cette dernière en fait la demande, de manière à renforcer les moyens de contrôle des élus locaux, souvent démunis face aux malfaçons dans le raccordement final.
Le troisième et dernier axe des travaux de la commission a été d’assurer le caractère opérant des dispositifs.
Nous avons ainsi proposé une nouvelle rédaction de l’article 4, qui étend les pouvoirs en matière de qualité des raccordements à la fibre de l’Arcep, dont nous entendons ainsi clarifier les moyens de contrôle et de sanction.
À l’article 5, qui ouvre de nouveaux droits aux consommateurs en cas d’interruption prolongée du service d’accès à internet, nous avons, d’une part, amélioré l’articulation dans le temps des sanctions susceptibles d’être prononcées à l’encontre de l’opérateur commercial et, d’autre part, veillé à protéger ce dernier d’éventuels abus de la part des consommateurs.
En somme, tous ces ajustements de bon sens, qui résultent d’un travail approfondi de concertation avec tous les acteurs, s’inscrivent pleinement dans l’esprit du texte présenté par Patrick Chaize tout en consolidant sa portée et son caractère opérationnel.
Vous l’aurez compris, face aux dysfonctionnements dans le raccordement des utilisateurs finaux à la fibre optique, il n’existe pas de solution miracle donnant satisfaction à l’ensemble des intervenants. Il y a pourtant urgence à agir pour assurer la pérennité et la qualité des raccordements. Le texte de la commission est une proposition ambitieuse et équilibrée, mais nous avons conscience qu’elle est aussi perfectible.
Monsieur le ministre, la balle est dans votre camp pour poursuivre, dans le cadre de la navette parlementaire, le travail sur cette initiative sénatoriale. Celle-ci répond, vous l’aurez compris, à de très fortes attentes de la part des usagers et des élus locaux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier Patrick Chaize pour le dépôt de cette proposition de loi, qui a le mérite de nous permettre de débattre d’une politique publique remarquable : le plan France Très Haut Débit, dont nous célébrons cette année le dixième anniversaire.
Cela m’offre l’occasion de rappeler à quel point ce plan est un très grand succès français : nous sommes passés de 1 million de foyers éligibles à la fibre en 2013 à 8 millions en 2017 et à 34 millions en 2022, faisant de la France le pays d’Europe le plus avancé en matière de déploiement de cette technologie.
Il s’agit sans doute du programme d’investissement le plus ambitieux et le plus important depuis le début du siècle : 34 milliards d’euros lui ont été consacrés, dont 65 % ont été pris en charge par le secteur privé, 25 % par les collectivités territoriales et 10 % par l’État.
C’est également l’un des chantiers industriels les plus ambitieux et les plus importants depuis le début du siècle, qui a mobilisé plus de 40 000 agents sur l’ensemble du territoire pour déployer des millions de prises de fibre optique. Ce succès est vraisemblablement le fruit d’un accord intelligent trouvé voilà dix ans entre l’État, les collectivités et les opérateurs.
Pour autant, ce que je viens de dire ne correspond pas au ressenti de certains de nos concitoyens. Comme le souligne la proposition de loi de Patrick Chaize, des problèmes de qualité très significatifs empoisonnent leur quotidien, en les empêchant d’être raccordés à la fibre ou en leur infligeant des coupures.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 20 000 notifications ont été inscrites sur le site de l’Arcep l’année dernière et des témoignages de problèmes de qualité liés à la fibre sont relayés dans les journaux chaque semaine. Il suffit d’aller à la rencontre de nos concitoyens pour prendre la mesure de leur exaspération quant à ces aléas. Où se situe la responsabilité de ces difficultés ?
Il convient d’abord d’examiner les acteurs en cause : d’un côté, les opérateurs d’infrastructure, qui déploient les réseaux, notamment jusqu’au point de mutualisation ; de l’autre, les opérateurs commerciaux, qui assurent le branchement au dernier kilomètre, en vertu du mode Stoc. Chacun rejette la faute sur l’autre.
Cependant, dans plus de 90 % des cas, les problèmes sont dus aux opérateurs d’infrastructure, en particulier à des réseaux très accidentogènes, souvent conçus à une époque antérieure au plan France Très Haut Débit, rendant le raccordement des foyers difficile et les exposant à des risques de coupures ou de défaillances. Cela permet de rendre compte de l’immense majorité des problèmes liés à la fibre.
Voilà pourquoi j’ai demandé voilà six mois aux opérateurs d’infrastructure dans les territoires où les réseaux sont les plus accidentogènes de me présenter ainsi qu’à l’Arcep un plan de reprise complète de ces réseaux.
Ces plans ont été présentés pour 450 000 locaux et commencent à être déployés ; les opérateurs d’infrastructures sont en train de reconstruire les réseaux. Sur les 450 000 prises concernées, 23 000 ont été révisées à ce stade. C’est encore peu, mais une fois ces plans achevés dans des territoires comme le Calvados, la Seine-Maritime ou l’Essonne, nous aurons résolu une partie importante du problème.
Dans leur minorité, les problèmes sont liés aux opérateurs commerciaux. C’est là le sujet de la proposition de loi que nous allons discuter. En raison de la rapidité des déploiements et de problèmes de responsabilité en cas de défaillance, qui ont bien été identifiés par l’auteur de la proposition de loi, il existe des situations de débranchements ou de coupures sauvages : les sous-traitants des opérateurs commerciaux se présentent devant une armoire pour opérer le raccordement d’un client dans des temps très contraints et le font parfois de manière non appropriée ou au détriment d’usagers déjà raccordés.
Pour résoudre cette minorité de problèmes de qualité de la fibre, on serait tenté de remettre en question l’organisation du déploiement entre opérateurs d’infrastructure et opérateurs commerciaux, que l’on appelle le mode Stoc. Depuis une décision de l’Arcep de 2015, l’opérateur d’infrastructure a certes la responsabilité de la qualité du réseau de bout en bout jusqu’au domicile, mais il ne peut s’opposer à ce que l’opérateur commercial installe le dernier kilomètre, en lien avec son client, sauf s’il le fait dans des conditions de qualité dégradées.
Le mode Stoc présente des inconvénients et des avantages. Son inconvénient majeur est que, lorsque survient une défaillance ou une coupure, l’opérateur commercial, en charge du dernier kilomètre, et l’opérateur d’infrastructure se renvoient la balle, ce qui retarde l’attribution des responsabilités et la réparation du dommage causé à l’usager. Il s’agit donc de résoudre cette difficulté relative à l’attribution des responsabilités.
Pour autant, les avantages du mode Stoc ont sans doute contribué à la rapidité du déploiement des réseaux de fibre optique sur l’ensemble du territoire. Cette technique offre de la simplicité pour l’usager, qui n’a qu’un seul interlocuteur pour son abonnement et son raccordement : son opérateur commercial.
De surcroît, la concurrence entre les opérateurs commerciaux pour raccorder au plus vite leurs clients a également contribué à la rapidité de déploiement du plan France Très Haut Débit.
Le Gouvernement, qui accueille les débats sur ces sujets, n’entend pas supprimer le mode Stoc, mais plutôt le corriger. Supprimer cet équilibre entraînerait en effet la réécriture d’un certain nombre de contrats, ce qui retarderait d’autant le déploiement du plan France Très Haut Débit, alors que l’objectif est plutôt de l’accélérer.
De plus, cela pourrait soulever des questions d’équité concurrentielle, car les opérateurs d’infrastructure pourraient être tentés de privilégier les clients de certains opérateurs commerciaux plutôt que d’autres, en raison de liens capitalistiques existants.
Cependant, il est nécessaire de le corriger. Si le Gouvernement propose des amendements sur les trois premiers articles de cette proposition de loi, sur lesquels son avis est réservé, il accueille très favorablement les articles 4 et 5. Ceux-ci renforcent les pouvoirs de l’Arcep pour sanctionner les opérateurs commerciaux qui ne respectent pas leurs responsabilités et améliorent la protection des usagers lorsque leur accès à la fibre est interrompu pendant une trop longue période.
Les amendements de Mme la rapporteure qui concernent en particulier les certificats de conformité ou de non-raccordement visent également à améliorer le mode Stoc pour le rendre plus opérant. Il s’agit d’arriver à la fin du plan France Très Haut Débit, qui n’est plus si lointaine. Il est essentiel d’y parvenir.
L’étape suivante consistera à décommissionner le réseau cuivre, qui coûte cher à entretenir et qui présente des coûts environnementaux et énergétiques significatifs. Pour ce faire, il est essentiel que chacun puisse accéder au très haut débit, en particulier à la fibre, dans les meilleures conditions. Aujourd’hui, 80 % des Français y sont éligibles ; l’objectif est d’atteindre 100 % à l’horizon 2025.
Les corrections qui seront apportées au mode Stoc aujourd’hui et durant la navette parlementaire sont donc bienvenues pour atteindre cet objectif d’aménagement numérique des territoires et d’égal accès pour tous les citoyens aux possibilités ouvertes par l’économie numérique.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme les crèches, comme la poste et comme les commerces de proximité, internet est devenu un service structurant des villes et des villages. Aujourd’hui, il est indispensable d’avoir une connexion internet.
Le déploiement de la fibre progresse plus ou moins vite selon les territoires, mais, globalement – cela a été dit –, sa dynamique est plutôt bonne depuis quelques années. Dans les zones d’appel à manifestation d’intention d’investissement (Amii), les opérateurs ont pris des engagements pour permettre ce développement. Dans les autres, les collectivités locales se sont emparées du sujet à bras-le-corps afin d’apporter les mêmes services dans les territoires ruraux.
Sur le papier, la répartition était équilibrée et a bien fonctionné, comme on peut le constater dans un territoire que je connais bien, l’Aisne, qui est l’un des départements ruraux les mieux fibrés de France.
Cependant, certains élus locaux ont fait remonter à plusieurs reprises des difficultés de raccordement. Ici, une personne est mécontente de constater que son voisin est bien raccordé tandis qu’elle ne l’est pas ; là, une autre qui a toujours eu la fibre s’en trouve soudainement privée. Enfin, on ne peut pas négliger l’impact qu’a eu la crise du covid sur le déploiement de la fibre.
En effet, l’Arcep, dans son dernier rapport, a constaté des ralentissements de déploiement, des problèmes techniques et des malfaçons. On peut en conclure que l’objectif initial d’une France où tous les foyers seraient fibrés en 2023 ne sera malheureusement pas atteint.
Au 31 décembre 2022, 79 % des foyers étaient raccordables à la fibre optique, mais « raccordables » ne signifie pas « raccordés ». Si plus de 15 millions de foyers sont bien reliés à la fibre, il ne faut pas oublier ceux qui attendent toujours un raccordement, ceux qui ont été raccordés, mais sont confrontés à des coupures, qu’elles soient prolongées ou non, ou encore ceux à qui l’on dit qu’ils ne sont pas prioritaires, qu’ils soient des particuliers ou des entreprises.
À l’heure du tout-numérique, cette situation, lorsqu’elle perdure, peut être très pénalisante tous secteurs confondus.
Aussi, au regard de cette situation, nous saluons le travail de notre collègue Patrick Chaize, auteur de cette proposition de loi, ainsi que celui de la rapporteure. Ce texte prévoit des mesures concrètes pour encadrer la sous-traitance et protéger les usagers.
Généralement, le problème, c’est le raccordement de la fibre jusqu’au domicile de l’abonné, dans la mesure où ce raccordement s’effectue dans une armoire dite spaghettis. Cette expression parle d’elle-même : cette armoire contient tellement de branchements et de fils qu’il peut être très compliqué de s’y retrouver. On a même vu des sous-traitants arracher un branchement pour le remplacer par un autre.
Le mode Stoc, régulièrement utilisé par les opérateurs d’infrastructure, implique l’intervention de sous-traitants, de sorte que l’on s’éloigne de la chaîne initiale ayant déployé le réseau. Il est donc nécessaire de poser clairement le principe de responsabilité des opérateurs d’infrastructure tout en apportant des garanties aux abonnés. Cela passe par la mise en place d’un socle d’exigences minimales, lequel est donc bienvenu dans ce texte.
Les techniciens qui interviennent doivent en effet disposer d’une formation adéquate pour effectuer « dans les règles de l’art » la réparation ou le raccordement requis.
Pour rendre effectif ce socle d’exigences, il est important de prévoir un suivi et un partage des données entre l’opérateur qui a déployé la fibre et celui qui effectuera le raccordement depuis la rue jusqu’au domicile. Le compte rendu d’intervention est la première étape pour garantir ce suivi.
Il faudra également veiller à ce que les contrôles soient effectifs et suivis d’effet. Nous espérons ainsi que l’Arcep disposera des moyens financiers suffisants pour mener à bien cette mission.
Le cas échéant, il nous faudra nous poser la question du préraccordement, c’est-à-dire de la possibilité d’aller jusqu’au domaine privé pour installer préalablement les équipements qui permettront le raccordement, comme une prise terminale optique. Cela facilitera le travail effectué ensuite par l’opérateur.
Enfin, le texte prévoit des mesures qui s’appliqueront aux collectivités par le biais des réseaux d’initiative publique. Pour notre part, nous soutenons la mesure de bon sens qui consiste à assurer la transmission à la collectivité territoriale du calendrier hebdomadaire des interventions dans un délai de quarante-huit heures, lorsqu’elle en a fait la demande.
Aussi l’ensemble des élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires votera-t-il cette proposition de loi. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fibre optique est devenue le principal réseau d’accès à internet pour les Français : le taux de locaux raccordables approche aujourd’hui les 80 %. Mais si le déploiement de la fibre progresse bien à l’échelle nationale – cela a été dit –, de fortes disparités régionales demeurent. Selon le rapport de France Stratégie de 2023, certains départements à dominante rurale dépendent toujours à plus de 25 % du réseau cuivre.
Je le souligne ici, et je sais que nous partageons cette analyse, le non-accès à la fibre porte gravement atteinte à un aménagement équilibré du territoire et constitue une rupture d’égalité qui ne peut être tolérée.
Le cap de 2025 a été fixé pour la généralisation de la fibre afin de garantir son accès à tous les usagers. Il est de notre responsabilité, ici, au Sénat, de nous assurer du respect de cet objectif. Nous avons tous en tête la situation intolérable des zones blanches pour le réseau sans fil : il s’agit de ne pas la reproduire. Cette proposition de loi prend en compte cette préoccupation et je remercie son auteur, ainsi que la rapporteure, pour leur travail et leur engagement.
Avec le plan France Très Haut Débit, les opérateurs commerciaux sont arrivés massivement sur le marché des réseaux de fibre optique. Cette accélération s’explique par une spécificité française : dans la pratique, l’opération de raccordement final du client est confiée à l’opérateur commercial. En d’autres termes, la partie la plus importante et délicate pour le consommateur est sous-traitée par l’opérateur d’infrastructure.
Cette sous-traitance – le mode Stoc – est non seulement une exception française, mais également une dérogation à notre mode de fonctionnement traditionnel sur les autres réseaux, qu’il s’agisse des réseaux de gaz, d’électricité ou d’eau.
Depuis sa mise en place en 2015, cette méthode est source de nombreuses difficultés – coupures inopinées, techniciens peu scrupuleux, raccordements impossibles ou malfaçons –, qui mettent à mal le déploiement de la fibre. Du fait des nombreux litiges entre opérateurs et usagers – nous en connaissons tous des exemples dans nos territoires –, certaines collectivités ont tiré le signal d’alarme.
Face à l’accroissement du nombre des signalements, l’Arcep a réuni les opérateurs d’infrastructure et les opérateurs commerciaux dès 2019 en vue d’améliorer l’exploitation des réseaux et de résoudre les difficultés. Manifestement, les démarches entreprises par les opérateurs en concertation avec le Gouvernement sont insuffisantes, comme l’a souligné l’auteur de ce texte, Patrick Chaize, que je remercie encore. Nous serons donc attentifs à l’avenir du plan d’action pour améliorer la qualité des réseaux fibre, que les acteurs de la filière ont remis au Gouvernement en septembre 2022.
Dans ce contexte particulier, qui requiert des mesures fortes et efficaces, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires accueille positivement cette proposition de loi. Elle doit permettre d’améliorer le déploiement du plan France Très Haut Débit et de limiter les difficultés et les dysfonctionnements liés à ces raccordements.
Ce texte apportera des outils législatifs pour réguler et contrôler les opérateurs et leurs sous-traitants, pour renforcer les pouvoirs de l’Arcep et mieux protéger les consommateurs, et ainsi rassurer les collectivités particulièrement affectées par ces désordres.
Nous saluons le travail effectué en commission sous l’impulsion de Mme la rapporteure, qui a consolidé le dispositif d’encadrement des raccordements à la fibre tout en veillant à ne pas ralentir le déploiement de cette technologie, à deux ans de l’achèvement du plan et alors que la fermeture du réseau cuivre est imminente.
Pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, il est essentiel de renforcer la garantie de la qualité du raccordement grâce à des pouvoirs accrus de l’Arcep et d’améliorer la formation des intervenants chargés de l’installation de la fibre. J’insiste sur ce point.
Par ailleurs, les collectivités, en particulier dans les zones rurales, ont été affectées par la mauvaise gestion du déploiement de la fibre, car c’est vers elles que se sont souvent tournés ceux qui ont rencontré des difficultés de connexion. Il est donc essentiel de consulter davantage les élus locaux et, après un constat de carence dans les zones d’initiative privée, de prévoir de nouveaux appels à manifestation d’intérêt.
Pour la protection des consommateurs, notre groupe proposera un amendement travaillé avec l’UFC-Que Choisir visant à modifier les seuils de sanction en cas d’interruption du service d’accès à internet. Une protection efficace des consommateurs paraît nécessaire, car la perte d’une connexion à internet a des conséquences autres que le seul fait de devoir payer un abonnement pour un service qui ne fonctionne pas, notamment pour les petites entreprises et pour les artisans.
L’absence d’accès à internet affectant la vie quotidienne des personnes, il faut insister encore davantage sur la mise en œuvre du raccordement de tous les foyers.
Nous aurions pu, dans le cadre de notre débat, aborder d’autres sujets, notamment le choix du mode Stoc ou encore la hausse de la consommation d’énergie liée au passage au numérique, même si la fibre consomme quatre fois moins d’énergie que le réseau cuivre, mais nous n’avons pas le temps pour tout cela, monsieur le président.
En conclusion, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte, qui va dans le bon sens.
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Frédéric Marchand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2013, l’État s’était engagé à couvrir intégralement notre territoire en très haut débit à moyenne échéance grâce au plan France Très Haut Débit. Les objectifs fixés étaient les suivants : le raccordement de 100 % des 35 millions de logements et locaux à usage professionnel, dont 80 % en fibre optique jusqu’à l’abonné en 2022, et la généralisation de la fibre optique en 2025.
En somme, il s’agissait de faire en sorte que, d’ici à deux ans, tous les Français, notamment ceux qui habitent en zone rurale, puissent bénéficier d’une connectivité numérique performante, chez eux comme sur leur lieu de travail.
Pour rappel, il y a dix ans, le plan prévoyait initialement 20 milliards d’euros d’investissements publics et privés, dont 3,3 milliards de subventions de l’État à destination des collectivités locales dans les zones dites non conventionnées.
Dans un rapport publié en janvier 2017, la Cour des comptes avait toutefois substantiellement réévalué le coût du plan à 35 milliards d’euros, et estimé que si l’objectif intermédiaire d’une couverture de 50 % du territoire était atteint, l’objectif en matière de très haut débit fixé pour 2022 semblait compromis par l’insuffisance du co-investissement privé.
Dans le cadre du plan de relance présenté en septembre 2020, le Gouvernement a amplifié son effort et mobilisé 420 millions d’euros pour soutenir les collectivités locales qui en avaient le plus besoin, n’ayant pu encore viser la généralisation de la fibre. Je pense à la Bretagne, à Mayotte et à l’Auvergne à titre d’exemples.
Quel constat faisons-nous aujourd’hui ? L’objectif d’une couverture de 80 % du territoire en fibre optique était quasi atteint au 31 décembre 2022, ce qui place la France à la tête des pays les plus fibrés en Europe.
Néanmoins, « raccordable » ne veut pas dire « raccordé » et l’on observe encore des disparités territoriales fortes entre, d’une part, les zones très denses et les zones moins denses d’initiative privée, où les taux de couverture des locaux sont respectivement de 91 % et 87 %, d’autre part, les zones moins denses d’initiative publique, où le taux de couverture est de 68 %. Il faut toutefois noter que ces dernières connaissent le taux de déploiement le plus dynamique, qui était de 73 % en 2022.
L’objectif d’une couverture de 100 % du territoire par la fibre en 2025 est quasi atteignable, en dépit des 670 000 locaux identifiés comme difficilement raccordables, lesquels devraient faire l’objet de mesures spécifiques et être couverts à l’horizon 2026.
S’il est incontestable que la France a mis en œuvre une dynamique puissante de déploiement de la fibre, force est aussi de constater – c’est l’objet de cette proposition de loi – que des difficultés opérationnelles sont apparues, parfois de manière intolérable, notamment pour les collectivités territoriales qui s’en sont fait l’écho.
En effet, le modèle de déploiement de la fibre repose principalement sur la sous-traitance – ce qu’on appelle le mode Stoc –, laquelle subit une forte pression sur les prix de la part des donneurs d’ordre.
Or la sous-traitance ne permet pas un contrôle optimal de la formation des techniciens chargés d’effectuer les raccordements, ce qui entraîne des malfaçons non seulement sur le réseau, mais aussi parfois sur les infrastructures situées à proximité, à l’instar des tableaux électriques ou des réseaux de gaz.
Si l’Arcep recommande un plafond de deux rangs de sous-traitance, l’Autorité indique avoir observé des opérations portant à cinq, voire à six, le nombre de rangs de sous-traitance.
Les points de mutualisation situés en pleine rue concentrent les branchements des câbles de fibre optique et les difficultés opérationnelles : entre les dégradations des armoires techniques et les débranchements sauvages, les particuliers comme les élus locaux sont nombreux à faire part de leur mécontentement. Les témoignages concernant des dégradations, des incivilités ou des malfaçons sont fréquents, autant d’actes dont les techniciens des sous-traitants sont très souvent à l’origine.
La proposition de loi que nous examinons sur l’initiative de notre collègue Patrick Chaize intervient à la suite de ces différents constats.
Notre collègue, également président de l’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (Avicca), est un fin connaisseur des questions liées à la fibre. Son expertise sur les problèmes de raccordement aux réseaux de fibre optique et d’exploitation de ces derniers, ainsi que son exigence sur la qualité de service, a constitué un éclairage qui porte déjà ses fruits.
En effet, grâce à la description alarmante de la situation en matière de raccordement des abonnés à la fibre optique effectuée dans l’exposé des motifs de la proposition de loi de juillet 2022, les acteurs de la filière ont pris pleinement conscience des difficultés rencontrées par certains usagers, de leur insatisfaction et des légitimes préoccupations des élus locaux, de même que de la vigilance des parlementaires sur ce sujet.
Face au tableau parfois sombre qui est fait du déploiement de la fibre, les opérateurs se devaient de réagir. En septembre dernier, un plan d’action a donc été décidé par les acteurs de la filière, qui repose notamment sur la prise de photos avant et après l’opération, lesquelles sont jointes au compte rendu d’intervention, et sur la remise en état des points de mutualisation.
La Fédération française des télécoms vient aussi de publier des grilles de compétences à destination des donneurs d’ordre, qu’il s’agisse des opérateurs commerciaux ou des opérateurs d’infrastructure, et de leurs prestataires. Le référentiel concernant les sous-traitants porte notamment sur la formation de leurs techniciens, sur les règles de sécurité et d’ingénierie pour les travaux optiques ou sur les bonnes pratiques lors de travaux chez le client. Ce référentiel sera en application à la fin du mois.
De la même manière, le renforcement du pouvoir de contrôle et de sanction de l’Arcep va indéniablement dans le bon sens.
À l’heure où nous examinons cette proposition de loi, ces dispositions sont mises en œuvre, mais il faudra bien évidemment un certain temps pour les évaluer correctement et pour que l’on puisse mesurer si la prise de conscience de la filière et les mesures engagées permettent de mettre fin aux dysfonctionnements dénoncés.
On pourrait nous opposer que les dispositions que nous examinons aujourd’hui risquent de ralentir le déploiement de la fibre en raison d’effets de bord préjudiciables. Les opérateurs d’infrastructure, s’ils souscrivent à l’ambition du texte, ont en effet manifesté leur crainte que certains mécanismes prévus dans cette proposition de loi ne finissent par complexifier leur tâche.
Mais nous savons bien, et cela vaut aussi pour les opérateurs, que là où il y a une volonté, il y a un chemin.
En définitive, le constat effectué dans la proposition de loi de juillet 2022 était le bon : il était clairement nécessaire. Celle-ci a d’ores et déjà produit des effets, manifestement dans le bon sens, puisque le Gouvernement a obtenu un certain nombre d’engagements et de concessions de la part des opérateurs.
Il nous appartient donc de donner des signes de notre volonté d’agir. À cet égard, et même si certains peuvent juger raisonnable de laisser du temps à la filière pour poursuivre la résolution des dysfonctionnements constatés en juillet 2022, ce texte est un bel accélérateur pour faire et bien faire.
C’est pourquoi le groupe RDPI votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Michel Houllegatte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le numérique, qu’on appelait il y a encore une décennie les nouvelles technologies de l’information et de la communication, connaît un essor considérable et conditionne désormais notre développement économique et notre vie sociale. Le numérique prend appui sur le triptyque que constituent les infrastructures, les services et les usages.
Le déploiement des infrastructures permettant le haut débit est un préalable et une nécessité pour permettre aux opérateurs et aux sociétés dédiés de proposer des services et aux utilisateurs de s’approprier des usages dont on n’imaginait pas l’étendue il y a encore quelques années.
Ce déploiement vital des infrastructures s’effectue en un temps record si on le compare au déploiement d’autres infrastructures tout aussi déterminantes. Ainsi, sans parler du réseau ferroviaire, qui a quadrillé la France en quatre-vingts ans, le réseau électrique s’est déployé sur un bon demi-siècle, de même que le réseau d’adduction d’eau potable.
Il faut remonter à 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, et au volontarisme de l’époque dans le cadre de la modernisation du réseau téléphonique commuté, qui a permis en six ans de passer de 6 millions à 20 millions de lignes, pour connaître une telle rapidité.
Le lancement du plan France Très Haut Débit en 2013, sous François Hollande, s’inscrivait dans la continuité de la volonté d’un État stratège, qui visait à couvrir l’intégralité du territoire en très haut débit en moins d’une décennie.
Ce plan, il faut le reconnaître, est un succès et le rythme des déploiements s’est accéléré. Ainsi, en 2022, ce sont 4,7 millions de foyers supplémentaires qui ont été raccordés à la fibre optique. Désormais, près de 80 % des locaux sont raccordés et ce taux devrait approcher les 95 % à 98 % en 2025.
Malheureusement, et c’est l’objet de cette proposition de loi, la qualité des raccordements finaux n’est pas toujours au rendez-vous, ce qui entache le succès du plan France Très Haut Débit et génère la colère et la frustration de bon nombre de nos concitoyens.
Il semble en effet que nous ayons confondu vitesse et précipitation, et que l’atteinte d’objectifs chiffrés l’ait emporté sur la qualité du raccordement final proposé à l’usager.
Les faits sont désormais objectivés et le mode de sous-traitance à l’opérateur commercial, censé éviter au domicile de l’usager la double intervention de celui qui livre l’infrastructure de raccordement final et de celui qui propose l’ouverture du service à un opérateur, a démontré ses limites. Les vents de l’ubérisation de la sous-traitance et du partage non équitable de la valeur ont également soufflé sur le secteur des télécommunications, comme sur bien d’autres, hélas !
Dès lors, face aux dysfonctionnements constatés, fallait-il légiférer ou se contenter de contester, d’interpeller les acteurs, dont les opérateurs, de faire les gros yeux et d’en appeler au régulateur ?
Certains pensent qu’une loi n’est peut-être pas nécessaire et que désormais, les choses ayant été dites et les acteurs du secteur ayant pris conscience de la gravité du problème, le système devrait s’autoréguler : des mesures correctives, telles que des chartes de bonnes pratiques et des engagements à agir devraient permettre de résorber les dysfonctionnements constatés. Ces engagements sont les bienvenus, mais sont-ils suffisants ?
Permettez-moi d’établir un parallèle avec un sujet qui nous a mobilisés il y a deux ans : la réduction de l’empreinte environnementale du numérique. Le Sénat – souvenez-vous-en –, dans le cadre d’une mission d’information, avait mis en évidence cet angle mort de nos politiques publiques, à savoir que si le numérique contribuait à réduire notre empreinte carbone par les services qu’il offrait, il n’en constituait pas moins, à lui seul, un contributeur dont l’empreinte allait s’accentuant avec la multiplication des terminaux consommateurs de matières premières. La mission d’information avait largement contribué à sensibiliser l’ensemble des acteurs de la filière, qui s’étaient empressés de se doter de plans d’action ambitieux, et l’on doit s’en féliciter.
Mais le rôle du Parlement n’est pas celui d’un lanceur d’alerte qui se contenterait de sensibiliser les acteurs pour les conduire à s’autoréguler. Les travaux de la mission d’information ont donc abouti à l’adoption de la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France.
Il est donc nécessaire de légiférer. À cet égard, nous pouvons nous féliciter du dépôt de la présente proposition de loi. En votant une loi, nous ne dévoyons pas notre action, nous ne faisons pas non plus preuve de naïveté. La loi permet d’encadrer, de responsabiliser et de protéger dans un souci d’équilibre. Tel est bien ce que prévoient les différents articles de ce texte.
C’est pourquoi les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain abordent de façon positive la discussion de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec ses aspects techniques et l’imaginaire futuriste auquel il renvoie, le tout-numérique fait l’objet de critiques parfois légitimes, en particulier les installations et la couverture réseau.
Alors que la presse grand public évoque désormais régulièrement les avancées de l’intelligence artificielle et les potentialités positives comme négatives qui s’ouvrent à nous, le haut débit se fait encore attendre pour une partie de nos concitoyens.
L’objectif de nous voir toutes et tous connectés se heurte à celui de la rentabilité et à la politique du chiffre, qui provoque de nombreux désagréments sur le terrain.
Malfaçons, raccordements ratés, débranchements intempestifs : les collectivités et les usagers font face à de lourdes difficultés lorsqu’il s’agit de désigner un responsable à ces manquements. Selon l’Avicca, qui regroupe les collectivités engagées dans le numérique, près de 75 % des raccordements réalisés en mode Stoc présentent des défauts. Le phénomène n’est pas nouveau et les appels à la vigilance des opérateurs sont récurrents, mais les contrats Stoc V1, V2 et V3 n’y ont rien changé.
La proposition de loi que nous examinons a le mérite, dans un contexte où les usagers, les installateurs ou les installations font l’objet d’un mauvais traitement, de mieux encadrer le déploiement par les opérateurs privés jusqu’alors guidés par la rentabilité, la quantité des foyers raccordés primant la qualité du réseau.
Je salue le travail de nos collègues Patrick Chaize et Patricia Demas, qui posent des limites à une forme de désordre que nous avons constatée dans nos départements. Ainsi, dans les zones rurales, dites zones peu denses, on a parfois dû déployer un réseau d’initiative publique, faute de manifestations d’intérêt de la part des opérateurs privés, par défaut de rentabilité, et consacrer en conséquence un budget important au déploiement du haut débit.
Dans mon département, le coût d’un tel programme s’est élevé à 500 millions d’euros. Même si nous avons bénéficié d’un soutien de la part de l’État, 74 millions d’euros restent à la charge de la collectivité départementale.
La forte hausse du nombre des alertes constatées par l’Arcep en 2022 est révélatrice des difficultés rencontrées par les utilisateurs. La médiatrice des communications électroniques évoquait « les naufragés de la fibre » dans un rapport de 2021, en soulignant les dysfonctionnements occasionnés par des installations bâclées.
Alors que le réseau cuivre, dit réseau historique d’Orange, devrait être démantelé d’ici à 2030, il est légitime d’exiger des opérateurs des garanties afin de permettre le basculement vers la fibre dans les meilleures conditions pour les usagers.
La sous-traitance, qui devait être dérogatoire pour le raccordement final de la fibre au domicile, est devenue la règle, nous l’avons constaté. Or c’est précisément cette sous-traitance en cascade qui provoque des désordres sur le terrain. Les cadences imposées nuisent non seulement aux installations, mais aussi parfois à la sécurité des installateurs, souvent mal formés.
Je pense aux sous-traitants des sous-traitants, à celles et à ceux qui subissent une forme d’ubérisation qui les pousse à réaliser toujours plus de raccordements, sans en avoir véritablement les moyens, et qui sont surtout mal rémunérés.
La mise en place d’un guichet unique pour assurer la prise en charge des difficultés sur le terrain, d’un certificat de conformité sur le modèle des raccordements au gaz et d’un contrat de sous-traitance élaboré par l’opérateur d’infrastructure et soumis à l’Arcep participe des améliorations nécessaires et susceptibles de corriger la situation existante.
Les droits des consommateurs sont par ailleurs renforcés – c’est important – et des sanctions sont prévues en cas d’interruption du service.
Cette proposition de loi pourrait aller plus loin en remettant en cause le modèle même du déploiement de la fibre. Je pense notamment à ce que nous avons su faire pour nos réseaux de télécommunications historiques ou pour celui du gaz et de l’électricité – permettez-moi d’y penser ! ERDF, GRDF ou France Télécom : ces noms résonnent comme des vestiges après tant d’années de déstructuration et de privatisation !
Les opérateurs publics sont pourtant des gages de réussite, de durabilité et d’efficacité pour un déploiement qui est avant tout un enjeu d’intérêt général, avant d’être une source de profit.
À l’heure où nous donnons au numérique une place de plus en plus importante dans nos vies, où la dématérialisation poursuit son chemin, y compris en matière de services publics, cette proposition de loi, grâce aux objectifs qu’elle affiche, participe de la réduction de la fracture numérique, alors que l’on sait que 13 millions de nos concitoyens sont en situation d’illectronisme.
Parce que ce texte permettra une amélioration concrète, visible et attendue sur le terrain, le groupe CRCE le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Stéphane Demilly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons a pour objectif de garantir la qualité des raccordements à la fibre optique réalisés jusqu’à l’abonné tout en évitant la dégradation des équipements des réseaux optiques.
En effet, de nombreux dysfonctionnements sont observés au quotidien par les administrés, qu’il s’agisse de coupures répétées ou de la fragilisation du réseau.
Ces problèmes sont a priori liés au recours à la sous-traitance dite Stoc, c’est-à-dire à la sous-traitance à l’opérateur commercial du raccordement des abonnés à la fibre.
L’Arcep reconnaît ce mode de sous-traitance depuis 2015, à condition que les raccordements soient effectués dans le respect « des règles de l’art ».
Mais force est de constater que de nombreux problèmes sont relevés depuis l’accélération du déploiement de la fibre sur notre territoire. C’est un sujet dont je discute souvent avec mes collègues du groupe Union Centriste, notamment avec Évelyne Perrot, que j’associe à mes propos.
Cette technologie doit pourtant répondre à un besoin grandissant de communication et de numérisation du quotidien des Français. Je pense particulièrement à l’accès aux démarches administratives, qui sont désormais quasiment toutes dématérialisées, que ce soit en matière d’état civil, de sécurité sociale, de scolarité, d’impôts ou encore d’accès au logement. C’est dire combien l’accès aux services publics est devenu un parcours du combattant pour de nombreuses personnes !
Je n’évoquerai pas la fracture numérique et les zones blanches, bien connues de notre assemblée et de nos élus locaux. Ce n’est pas le sujet aujourd’hui, mais cela reste malheureusement un réel problème pour nos concitoyens, comme l’a mentionné précédemment notre collègue Ronan Dantec.
Un accès stable à internet est désormais une nécessité et la fibre optique présente bien des avantages grâce à sa grande capacité de transport d’informations, à ses interférences réduites et à sa meilleure durée de vie. À ce jour, c’est la technologie qui permet d’atteindre les meilleurs débits internet.
La France avait très bien commencé son pari numérique, puisque 34 millions de foyers, d’entreprises et d’administrations ont été rendus raccordables à la fibre optique en 2022. Mais pour que la fibre soit une réalité pour tous, de très importants travaux ont été et sont encore nécessaires.
Les maires, toujours en première ligne lorsque les problèmes apparaissent, nous font part régulièrement des désagréments que rencontrent les utilisateurs. En effet, la fibre, quand on y a goûté, on ne peut plus s’en passer !
Chaque opérateur renvoie à d’autres la responsabilité des dysfonctionnements : tantôt c’est la faute de celui qui a déployé le réseau, de ses éventuels sous-traitants, tantôt c’est celle de celui qui commercialise le service, voire d’un tiers qui serait intervenu pour tout débrancher ! Bref, on ne sait plus vers qui se tourner…
Comme c’est souvent le cas, la mairie devient naturellement le bureau des pleurs, le réceptacle des reproches et l’endroit privilégié où des consommateurs excédés espèrent trouver une réponse à leurs difficultés.
Les différentes initiatives des opérateurs pour répondre aux attentes des élus et des administrés, qu’il s’agisse de la création du mode Stoc V2 en 2020 ou du plan qualité en 2022, n’ont pas permis de rétablir complètement la situation.
Après une longue période de patience, cette situation n’est plus supportable : de nouveaux engagements doivent être pris par les différentes parties, et ce d’autant plus que l’objectif du Gouvernement est de généraliser la fibre optique sur l’ensemble du territoire d’ici à 2025.
La sous-traitance, notamment, doit être mieux encadrée, afin d’éviter une dégradation des réseaux, des déconnexions impromptues ou encore une fragilisation et un vieillissement prématuré des réseaux.
Tel est l’objectif de cette proposition de loi, qui réaffirme que l’opérateur d’infrastructure est responsable des raccordements à son réseau et le garant global de la qualité des travaux.
Le texte prévoit que les contrats de sous-traitance devront être conformes à un modèle élaboré par l’opérateur d’infrastructure, soumis à l’avis préalable de l’Arcep et opposable par les usagers.
Chaque intervenant chargé d’effectuer un raccordement à la fibre remettra à l’abonné un certificat attestant de la conformité des travaux réalisés au cahier des charges.
Ces mesures viennent utilement clarifier le mode de sous-traitance choisi et contribuent à garantir la transparence nécessaire au bon déroulement des travaux de raccordement.
Le présent texte vise également à renforcer les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’Arcep, ainsi que les droits des consommateurs en cas d’interruption prolongée du service d’accès à internet.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a, suivant en cela les orientations de sa rapporteure – que je salue –, modifié la proposition de loi initiale et enrichi l’arsenal des solutions proposées.
À titre d’exemples, le texte prévoit l’élaboration à l’échelon national d’un socle d’exigences minimales de qualité pour la réalisation des raccordements à la fibre, la fixation d’un délai de résolution des dysfonctionnements n’excédant pas dix jours ou encore la traçabilité de la gestion des incidents.
La transparence sur le bon déroulement des travaux est renforcée, la réalisation systématique d’un compte rendu d’intervention étant prévue. L’utilisateur final sera en droit de le consulter, ainsi que le contrat de sous-traitance, ce qui lui permettra de vérifier lui-même la bonne réalisation du raccordement.
Ces mesures sont aujourd’hui nécessaires pour garantir la qualité du réseau et de son déploiement à l’échelon national, le quantitatif ne devant pas, bien sûr, se faire au détriment du qualitatif. Les attentes des élus locaux et des usagers sont fortes à cet égard, vous le savez, mes chers collègues.
Il reste à peine deux ans avant la date butoir fixée pour atteindre le très haut débit pour tous : des mesures concrètes, plus que nécessaires, doivent donc être prises. C’est la raison pour laquelle le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la fin de l’année 2022, les trois quarts du territoire étaient couverts par la fibre optique et 18 millions de Français avaient souscrit un abonnement.
Notre pays est le champion d’Europe de la fibre optique. Et pourtant, à la fin de 2022, l’Arcep avait reçu près de 45 000 alertes – ce nombre a augmenté de 17 % en un an –, imputables pour une large part à des problèmes liés à l’internet fixe et, notamment, aux raccordements. Entre 15 % et 20 % des abonnés seraient touchés par un dysfonctionnement.
Il suffit d’en parler autour de nous pour constater le ras-le-bol général : la fibre est devenue un sujet de crispation du quotidien.
Alors qu’internet est aujourd’hui un outil indispensable, y compris pour accéder aux services publics les plus essentiels, les coupures à répétition, les erreurs de raccordement et les malfaçons du réseau fibré sont particulièrement mal vécues. Elles sont aussi une source d’inquiétude, alors que le réseau cuivre est progressivement abandonné et qu’il n’existera bientôt plus aucune solution de remplacement à un réseau en fibre sûr et performant.
Aujourd’hui, la réussite est quantitative, quand la qualité est déceptive.
La proposition de loi de notre collègue Patrick Chaize, que nous sommes plusieurs à avoir cosignée au sein du groupe du RDSE, prévoit des solutions pour pallier les dysfonctionnements qui surviennent dans le raccordement final de l’usager.
Cette responsabilité a été sous-traitée par l’Arcep aux opérateurs commerciaux et aux fournisseurs d’accès à internet. Les contrats de sous-traitance dits Stoc sont une exception, une dérogation devenue la règle. Ils ont sans aucun doute permis le déploiement rapide de la fibre et son succès commercial, mais ils sont directement mis en cause pour leur implication dans les problèmes de raccordement, la qualification des intervenants étant souvent insuffisante et le manque de contrôle évident.
Les opérateurs ont pris des engagements en 2020, puis en 2022, sans effets visibles pour les usagers et les collectivités.
Sans remettre en cause l’équilibre actuel et la dynamique du déploiement de la fibre, le texte issu des travaux de la commission comporte des pistes d’amélioration auxquelles nous souscrivons.
Tout d’abord, la proposition de loi précise que, si le raccordement est confié en priorité à l’opérateur commercial, c’est à condition qu’il respecte strictement les règles de l’art. Tout en rappelant que l’opérateur d’infrastructure est responsable de son réseau, nous garantissons ainsi la stabilité des contrats de sous-traitance en cours.
Ensuite, tout en restant la norme, la sous-traitance aux opérateurs commerciaux serait interdite pour les raccordements longs et complexes dans les zones déjà fibrées, dans les communes où la fermeture du réseau cuivré est engagée et en cas de simple changement de fournisseur d’accès à internet par un abonné déjà raccordé.
Ces précisions devraient permettre de concentrer le mode Stoc sur le déploiement massif et rapide de la fibre, tout en garantissant un niveau de qualité optimal dans les zones les plus tendues et dans les cas les plus complexes.
Enfin, les exigences minimales envers les sous-traitants et les sanctions en cas d’interruption prolongée de l’accès à internet seraient relevées, tandis que les pouvoirs de police de l’Arcep seraient étendus.
Le travail effectué par notre rapporteure, dans des délais très contraints, a permis d’aboutir à ce que nous considérons comme une position d’équilibre.
Les opérateurs commerciaux, tout comme l’Arcep et le Gouvernement, sont opposés à ce texte, notamment à certains de ses aspects : ils considèrent que cette proposition de loi pourrait conduire à la déstabilisation d’un modèle qui a fait ses preuves.
Confier le raccordement final à l’opérateur d’infrastructure entraînerait en effet une réorganisation de la filière et, peut-être, un ralentissement du déploiement de la fibre. Mais 80 % des locaux sont aujourd’hui raccordables. L’objectif d’une couverture intégrale du territoire en fibre optique en 2025 est à portée de main. Alors que le réseau cuivre sera bientôt éteint, peut-être devrions-nous dès à présent nous concentrer sur la qualité du réseau fibré plutôt que sur sa vitesse de déploiement, quitte à ralentir un peu la cadence.
L’organisation actuelle a donné lieu à des situations ubuesques : on observe des habitations et des équipements dégradés, des clients débranchés sans raison, des câbles installés de façon anarchique.
Dans le cadre d’une analyse de terrain effectuée l’an dernier, l’Arcep a constaté que, dans 840 points de mutualisation, seule la moitié des câblages respectaient les règles de l’art. En outre, les opérateurs d’infrastructure et les opérateurs commerciaux se renvoyant la balle, il est difficile pour les utilisateurs et les élus locaux d’identifier un responsable.
Ce texte a le mérite d’apporter des solutions : il renverse la hiérarchie de la filière pour faire du plan France Très Haut Débit une réelle réussite. Attentif aux difficultés et aux inquiétudes des usagers et des élus, le groupe du RDSE s’associera à cette démarche.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Didier Mandelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique de notre éminent collègue Patrick Chaize, dont je tiens évidemment à saluer l’excellent travail et la constance de l’engagement sur les sujets liés au numérique.
La qualité des raccordements et la pérennité des réseaux de fibre optique sont essentielles pour le développement du numérique sur le territoire national.
L’auteur de ce texte présente, comme à son habitude, une étude sérieuse et propose une vision globale sur cette question d’avenir qui concerne tous les citoyens, dans tous les territoires.
Actuellement, plus de 15 000 Français sont raccordés à la fibre chaque jour, soit près d’un million de souscriptions à la fibre tous les trimestres. Nous pouvons collectivement saluer les efforts de tous les acteurs de la filière qui contribuent à ce déploiement soutenu. Mais à un tel rythme, des défaillances peuvent survenir.
Aussi cette proposition de loi prévoit-elle d’apporter des réponses aux dysfonctionnements qui surviennent lors du raccordement à la fibre de l’utilisateur final, lesquels sont liés à un recours parfois mal maîtrisé à la sous-traitance dans le cadre du mode de sous-traitance aux opérateurs commerciaux, dit mode Stoc.
Le déploiement de la fibre optique en France est un enjeu majeur pour l’aménagement du territoire, le développement économique et social du pays, ainsi que pour la compétitivité de nos entreprises. C’est également un enjeu de développement durable, puisque la fibre optique est une technologie plus économe en énergie que les technologies existantes et qu’elle favorise la réduction de la consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre.
Je tiens également à souligner avec insistance et force le travail de grande qualité de notre rapporteure Patricia Demas, qui a présenté et fait adopter dix-neuf amendements au nom de notre commission, afin de compléter et de préciser le dispositif de ce texte.
Réparties en trois axes, ces dispositions ont pour objectif de clarifier le cadre de mise en œuvre du mode Stoc et la chaîne des responsabilités, de renforcer les exigences en matière de qualité et de contrôle applicables aux raccordements et, enfin, d’assurer le caractère opérant des dispositifs.
D’un point de vue européen, le déploiement de la fibre optique en France se fait à un très bon rythme, puisque la part de la fibre a doublé en deux ans, passant d’environ 24 % en 2019 à 46 % en 2021. Aujourd’hui, les opérateurs, cela a été dit, ont fibré plus de 70 % du territoire. Notre taux de couverture est ainsi l’un des plus élevés d’Europe, nettement supérieur désormais à celui de la moyenne des pays de l’OCDE. Le travail des différents opérateurs est de nouveau à saluer.
Mais, à l’échelon national, nous constatons de nombreuses disparités dans les raccordements, lesquels font craindre une fracture numérique. C’est parfois le cas entre la ville et la campagne, mais pas toujours, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer. Ainsi, en Vendée, par exemple, ce sont dans deux villes, situées en zone d’appel à manifestation d’intention d’investissement, La Roche-sur-Yon et Les Sables-d’Olonne, que l’opérateur a pris du retard dans le déploiement de la fibre. Il invoque d’ailleurs des prétextes sur lesquels je ne souhaite pas revenir ici, un certain nombre de procédures étant en cours.
Je tiens ici à soutenir le travail des maires et des élus locaux du département de la Vendée, ainsi que celui de l’Arcep, qui ont porté la voix des usagers auprès des opérateurs, afin qu’ils respectent leurs obligations et que leurs investissements soient à la hauteur.
Il convient en effet de n’oublier personne dans le cadre de ce déploiement : ni les territoires urbains, ni les territoires ruraux, ni les particuliers, ni les entreprises, ni les collectivités, en un mot aucun de nos concitoyens, quelles que soient leurs activités. De cette couverture globale et qualitative dépendra la réussite finale du plan France Très Haut Débit.
Dès lors, la présente proposition de loi, examinée et amendée par notre Haute Assemblée, sous la férule de notre rapporteure Patricia Demas, permet de fixer un cadre de mise en œuvre du mode Stoc, de clarifier la répartition des responsabilités, de renforcer les contrôles de la qualité des raccordements et de protéger les droits des usagers en cas d’interruption des services internet.
Dans le détail, il s’agit notamment de rappeler la responsabilité de l’opérateur d’infrastructure dans le choix du mode de réalisation des raccordements et son rôle de garant de la qualité des travaux et d’instaurer un guichet unique assurant la prise en charge des difficultés de raccordement.
Il s’agit également d’interdire le mode Stoc dans les zones fibrées et dans les communes dans lesquelles la fermeture du réseau cuivre est engagée.
Il s’agit aussi d’accroître les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’Arcep sur tous les opérateurs intervenant sur le réseau.
Il s’agit enfin de renforcer les droits des consommateurs face aux effets des coupures prolongées d’accès à internet et aux débranchements sauvages, tout en protégeant les opérateurs commerciaux contre d’éventuels abus des consommateurs.
Le temps est désormais aux actes concrets pour garantir la qualité des raccordements à la fibre.
Pour toutes ces raisons, et pour couper court à tout suspense (Sourires.), le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Martine Filleul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous partageons tous le même constat : la France est à la pointe en matière de déploiement de la fibre d’un point de vue quantitatif mais, dans le détail, le raccordement des abonnés pose problème.
Bon nombre de Français, naufragés du numérique, connaissent ainsi des galères. Chaque semaine, lorsque je rencontre les élus de mon département, la question du raccordement à la fibre est très régulièrement abordée, comme celle du zéro artificialisation nette (ZAN) ou des finances. Comme toujours, ceux qui sont en première ligne face aux difficultés des administrés – les maires – se sont largement mobilisés, en particulier en interpellant directement l’Arcep.
C’est pourquoi la proposition de loi de notre collègue Patrick Chaize va dans la bonne direction.
Je pense en particulier à l’article 5 relatif au renforcement des droits des consommateurs en cas d’interruption d’un service d’accès à internet, qui permettra de mieux protéger les Français, notamment les plus vulnérables, trop souvent démunis face aux clauses des contrats de leur opérateur. Je pense également à l’article 4, qui prévoit de renforcer le rôle de l’Arcep en tant que police spéciale des opérateurs et qui contribuera à accroître à terme la qualité de notre réseau.
Outre ces deux articles, l’ensemble du dispositif permettra d’améliorer l’effectivité de l’accès à internet et, en conséquence, celle de l’accès aux savoirs et aux droits.
En effet, même s’il s’agit d’un lieu commun, il convient de rappeler que le numérique, et internet en particulier, s’est introduit au cœur de la vie des Français depuis une vingtaine d’années. Il permet non seulement le télétravail, la consommation de biens et de services sur des sites marchands, mais également le maintien du lien avec nos proches, le développement et le partage de nos passions, l’accès à l’information, l’apprentissage ou encore l’accès aux droits sur les plateformes de l’administration publique.
Le numérique permet l’émancipation des individus, mais cet effet émancipateur est à double tranchant : plus la digitalisation de la société avance, plus ceux qui restent sur le bord de la route du numérique se retrouvent progressivement en situation d’exclusion.
Ainsi, notre vigilance doit être toute particulière s’agissant de la fracture numérique, aussi bien celle du premier degré, qui concerne l’accès matériel, physique au numérique, que celle du second degré, qui concerne les usages, ceux des 16 millions de personnes en situation d’illectronisme, un nombre qui ne cesse d’augmenter.
L’éloignement du numérique concerne davantage nos concitoyens les plus précaires, les moins diplômés, ceux pour qui l’accès à l’information et le recours à leurs droits sont un impératif, notamment à l’heure de l’administration 100 % dématérialisée.
Le ministre Jean-Noël Barrot a récemment réitéré les engagements du Gouvernement, notamment la garantie d’un raccordement de tous à la fibre d’ici à 2025. Mais encore faut-il que ce raccordement soit opérationnel !
Si la bataille pour l’inclusion numérique s’annonce encore bien longue, cette proposition de loi constitue une avancée bienvenue pour l’émancipation par le numérique. C’est pourquoi, sans aucun suspense, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain la soutiendra et la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule, permettez-moi de vous indiquer, pour ne pas entretenir inutilement le suspense, que je voterai moi aussi cette proposition de loi de Patrick Chaize.
La France a très tôt fait le choix de miser sur le réseau de fibre optique pour en faire demain la norme en matière d’accès aux services à très haut débit, que ce soit pour les particuliers ou les entreprises.
Alors que la fin du réseau téléphonique est engagée dans nos territoires, nous nous trouvons aujourd’hui à un moment charnière pour la mise en œuvre de cette vision stratégique, dans le cadre du plan France Très Haut Débit, prévue initialement pour 2022, puis pour 2025, et même jusqu’à 2030 dans certaines régions.
Le niveau d’exigence et de qualité lors des interventions sur ce réseau doit être à la hauteur de l’enjeu que constitue le très haut débit et doit permettre d’assurer sa pérennité à long terme.
Or nous le constatons aujourd’hui en tant qu’élus locaux, mais également en tant que consommateurs : la dégradation de la situation est telle qu’elle nécessite, outre une prise de conscience, un engagement fort, dût-il passer par la loi.
Pour permettre un rythme rapide de déploiement, lequel constitue un véritable succès qu’il nous faut encourager, le choix tout à fait singulier qu’a fait la France du mode Stoc a pu sembler judicieux : ce sont les opérateurs commerciaux qui raccordent les clients au réseau de fibre optique construit par d’autres, les opérateurs d’infrastructure. Or ce mode est également susceptible de favoriser les manquements, voire de provoquer la dégradation du réseau dans des proportions non négligeables, comme on l’observe depuis 2018.
Les exemples se multiplient : dégradations, vandalisme, déconnexions physiques d’abonnés, raccordements expéditifs relevant de la malfaçon et engendrant, au passage, des nœuds de fibres pouvant provoquer des coupures, fragilisation et vieillissement prématuré des réseaux. J’en passe et des meilleures…
Cette situation, qui perdure malgré la signature en 2021 du contrat Stoc V 2, lequel est destiné à mieux encadrer les pratiques et à régler les nombreux dysfonctionnements, est aujourd’hui inacceptable.
Force est d’ailleurs de constater que les signalements liés à l’internet fixe, et plus particulièrement aux problèmes de raccordement à la fibre, sur la plateforme du régulateur « J’alerte l’Arcep » se multiplient. Ils ont tout simplement doublé en un an et figurent en tête des signalements : ils représentent 37 % du total.
Le choix de ce mode de gestion, que nous n’allons pas remettre en cause aujourd’hui, ne saurait cependant en aucune manière justifier une quelconque dégradation de la qualité du réseau.
Alors que, à terme, la fibre optique jusqu’à l’abonné sera l’unique moyen d’accès aux services numériques en très haut débit, l’exigence de qualité, que ce soit en termes de raccordement ou d’exploitation, appelle un véritable effort de long terme pour que soit assurée une maintenance des infrastructures.
À cet égard, nous sommes aujourd’hui le relais de l’exaspération de nos territoires, qui multiplient les motions contre le plan d’extinction du cuivre prévu tant que les difficultés de raccordement à la fibre ne seront pas résorbées et qui plaident pour un entretien sérieux des infrastructures en place, lesquelles se dégradent dangereusement. Dans la Sarthe, département dont je suis élu, ces motions datent de la semaine dernière !
Aussi, et sans renier les efforts d’ores et déjà fournis par l’Arcep en synergie avec les opérateurs à travers son plan qualité, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui contribue à mettre en place des dispositions légales plus fines, afin de réguler la cacophonie actuelle.
Je salue le travail de son auteur Patrick Chaize, ainsi que celui de la rapporteure qui, loin de déstabiliser le système, a véritablement tenu à ciseler le texte pour apporter des solutions pragmatiques et garantir des raccordements de qualité.
Tout d’abord, face à la sous-traitance en cascade et sur le fondement d’un socle d’exigences minimales, notre rapporteure lutte contre la dilution des responsabilités en renforçant le principe du guichet unique à la charge du responsable du réseau, ce qui permettra d’assurer un service après-vente rapide.
Elle instaure des obligations pour l’intervenant, qui devra fournir un compte rendu d’intervention, ainsi qu’un certificat de conformité au cahier des charges qui lui est imposé.
Elle fait par ailleurs en sorte que l’Arcep puisse jouer efficacement son rôle.
Enfin, elle sécurise les droits du consommateur final, qui ne doit pas pâtir de la situation actuelle et rester démuni lorsqu’il est privé de services, alors même qu’il paie un abonnement.
Le texte que nous examinons aujourd’hui, en apportant des précisions bienvenues et en préservant l’ensemble des acteurs concernés, tend à garantir un environnement propice, qui permettra d’atteindre cet objectif de qualité et de pérennité.
Vous l’aurez compris, je joindrai ma voix à celle de ceux qui approuvent cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est le lot du dernier intervenant de redire un certain nombre des choses qui ont déjà été dites – et bien dites !
La France s’est fixé des objectifs ambitieux pour développer la fibre optique dans le cadre du plan France Très Haut Débit. D’ici à 2026, l’intégralité de la population et des entreprises devra être raccordée.
Alors que près de 80 % de la population est d’ores et déjà raccordée, nous sommes assurément l’un des pays d’Europe les plus performants en matière de déploiement même si, ces derniers temps, une ombre au tableau atténue cette réussite : les raccordements FttH (Fiber to the Home – fibre jusqu’à l’abonné) effectués sur les derniers mètres par les opérateurs commerciaux et leurs sous-traitants sont devenus une véritable jungle du fait de la souplesse du mode Stoc.
Détérioration des équipements, brassages inextricables, non-respect des routes optiques, locaux abîmés et laissés ouverts, dépôts sauvages de matériel dans les shelters, abonnés débranchés au profit d’autres usagers : la liste des malfaçons ne cesse de s’allonger. Leur impact financier est important, puisque les collectivités doivent engager des frais pour réparer les dommages.
Dans mon département, près de quatre dégradations sont constatées chaque semaine par le Syndicat des énergies et de l’aménagement numérique (Syane), l’opérateur d’infrastructure. En dix mois, ce sont 145 incidents qui ont été relevés et 12,5 millions d’euros qui ont dû être engagés pour pallier ces difficultés.
Cette situation est inadmissible au regard des montants colossaux engagés pour déployer la fibre et entraîne un véritable gâchis d’argent public.
Monsieur le ministre, je vous ai interpellé le mois dernier à ce sujet. Vous m’aviez alors répondu que le problème était probablement dû à l’accidentologie du réseau en lui-même. Or les dégradations existent partout, y compris sur des réseaux considérés comme peu accidentogènes. Il est évident qu’elles résultent des mauvaises pratiques des opérateurs commerciaux et de leurs sous-traitants permises par le mode Stoc.
Cette exception à la française, qui devait initialement être dérogatoire, mais qui est devenue la norme, a clairement montré ses limites.
Les opérateurs ont certes pris des engagements pour que cessent ces détériorations. Des formations labellisées ont également été mises en place et un plan de reprise des points de mutualisation dégradés a été lancé, mais force est de constater qu’aucune amélioration ne se fait ressentir. La présidente de l’Arcep a elle-même reconnu publiquement qu’il n’y avait aucune véritable avancée malgré les mesures mises en œuvre.
Il faut donc regarder la réalité en face et conclure à l’échec du mode Stoc dans sa version actuelle. L’adoption de mesures coercitives est nécessaire pour corriger le tir, la méthode contractuelle n’ayant pas suffisamment porté ses fruits depuis sa mise en œuvre en 2018.
Il est donc temps de mettre les opérateurs commerciaux face à leurs responsabilités. Tel est précisément l’objet de la proposition de loi de notre collègue Patrick Chaize, que je ne peux que remercier pour son initiative.
J’y souscris en tout point et je partage le constat établi : ce n’est qu’en encadrant le recours à la sous-traitance, en clarifiant la responsabilité de chacune des parties prenantes, en renforçant les contrôles de la qualité des raccordements et en protégeant les droits des usagers que nous parviendrons à mettre fin à ces mauvaises pratiques.
Les modifications apportées par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable – j’en profite pour remercier ma collègue Patricia Demas de son travail – sont bienvenues, en ce qu’elles permettent de renforcer la portée du texte, tout en garantissant la poursuite du déploiement de la fibre optique. C’est pourquoi je voterai évidemment cette proposition de loi.
Enfin, je tiens à rappeler que, même si un objectif est rempli à 100 % sur le papier, lorsque le taux d’incidents s’élève à 75 %, on ne peut pas considérer dans les faits que cet objectif est réellement atteint. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Permettez-moi d’apporter un éclairage sur la situation de la Haute-Savoie, que vous venez d’évoquer, monsieur le sénateur Pellevat, département où les problèmes sont très nombreux – vous avez avancé le chiffre de 145 incidents dus à l’accidentologie du réseau.
Je rappellerai deux éléments.
En premier lieu, le plan de reprise du Syane ne fait pas partie des plans de reprise des réseaux défectueux dont j’ai parlé précédemment. Je souhaiterais que ce soit le cas à l’avenir et j’espère que nous parviendrons, avec l’Arcep, à mettre en œuvre un plan de reprise en bonne et due forme pour le réseau de ce département.
En second lieu, les problèmes constatés en Haute-Savoie sont représentatifs de l’essentiel des difficultés d’accès au réseau de fibre optique observés dans notre pays, lesquelles sont dues, je le souligne, aux opérateurs d’infrastructure.
M. Patrick Chaize. Non !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. En partie, si, lorsqu’il s’agit de réseaux accidentogènes.
Pour résoudre ces problèmes, il nous faut obtenir des plans de reprise de la part des opérateurs d’infrastructure. Or ces problèmes ne sont pas traités dans la présente proposition de loi, qui ne concerne que les coupures liées à l’activité des opérateurs commerciaux.
Je vous remercie d’avoir cité l’exemple de votre département, monsieur le sénateur, car vous m’avez permis de rappeler ce que j’avais précisé dans mon propos liminaire.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique
TITRE Ier
NORMALISER LES CONDITIONS DE RACCORDEMENT DES UTILISATEURS FINALS AUX RÉSEAUX DE COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES À TRÈS HAUT DÉBIT EN FIBRE OPTIQUE
Article 1er
Après l’article L. 34-8-3-1 du code des postes et des communications électroniques, sont insérés des articles L. 34-8-3-2 et L. 34-8-3-3 ainsi rédigés :
« Art. L. 34-8-3-2. – I. – Quelles que soient les modalités de réalisation du raccordement, et sauf lorsque le raccordement est réalisé au titre de l’article L. 113-10 du code de la construction et de l’habitation ou du II de l’article 118 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, la personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3 du présent code est responsable à l’égard de l’utilisateur final de la bonne réalisation du raccordement à un réseau de communications électroniques à très haut débit en fibre optique au sens du présent code. Elle confie en priorité la réalisation du raccordement permettant de desservir l’utilisateur final à un opérateur qui demande l’accès aux lignes, sous réserve que celui-ci respecte les dispositions de l’article L. 34-8-3-3 et des exigences de qualité minimales fixées par un décret, pris après avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.
« II. – La personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3 met en place un guichet unique assurant la prise en charge des difficultés de raccordement d’utilisateurs finals à un réseau de communications électroniques à très haut débit en fibre optique.
« Le guichet peut être saisi par l’utilisateur final, l’opérateur mentionné au I du présent article, les collectivités territoriales concernées et toute personne y ayant intérêt. Dans un délai d’un jour ouvré à compter de la saisine, la personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3 transmet à l’auteur de la saisine, l’utilisateur final et l’opérateur mentionné au I du présent article et à toute personne y ayant intérêt qui en fait la demande, dans le respect du titre II de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, les informations permettant de suivre la résolution des difficultés mentionnées au premier alinéa du présent II.
« La personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3 garantit la résolution des difficultés mentionnées au premier alinéa du présent II, dans un délai raisonnable qui ne peut excéder dix jours à compter de la saisine du guichet unique, sauf exceptions précisées par voie réglementaire.
« La personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3 transmet à l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse les informations relatives aux difficultés mentionnées au premier alinéa du présent II dont est saisi le guichet unique.
« Les modalités de transmission des informations à l’autorité et les modalités de fonctionnement et de saisine du guichet unique sont fixées par voie réglementaire.
« Art. L. 34-8-3-3. – I. – Lorsque la personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3 confie à un opérateur qui demande l’accès aux lignes la réalisation du raccordement permettant de desservir un utilisateur final, ledit opérateur peut faire exécuter sous sa responsabilité les travaux de raccordement par des entreprises répondant aux exigences prévues au I bis du présent article.
« La personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3 détermine, dans des conditions non-discriminatoires, le champ des raccordements concernés par la faculté mentionnée au premier alinéa du présent I ainsi que les exigences de qualité, de contrôle et de délais de prévenance des interventions permettant d’assurer la qualité des raccordements en domaine public et en domaine privé, la sécurité des interventions ainsi que la pérennité du réseau.
« À cet effet, l’exécution des travaux de raccordement fait l’objet d’un contrat conforme à un modèle établi par la personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3, comprenant un cahier des charges respectant les exigences minimales prévues au I de l’article L. 34-8-3-2. Ce modèle de contrat est transmis à l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse et publié sur le site internet de la personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3.
« Les informations minimales que comporte le contrat mentionné au troisième alinéa du présent I, en particulier s’agissant des conditions de réalisation techniques du raccordement, des procédures à mettre en œuvre, des modalités de contrôle, de sanction et d’assurance pour garantir le respect de la qualité des raccordements et de gestion des interventions, sont fixées par voie règlementaire.
« I bis (nouveau). – Le raccordement de l’utilisateur final est réalisé par un intervenant labellisé selon un référentiel défini par voie réglementaire comprenant des exigences de compétences et de respect des règles de sécurité applicables à l’exécution de travaux temporaires en hauteur et aux travaux au voisinage de lignes, canalisations et installations électriques.
« I ter (nouveau). – La réalisation du raccordement donne lieu de la part de l’intervenant qui en a la charge à :
« 1° La réalisation d’un compte rendu d’intervention, selon des modalités définies par voie réglementaire, remis à la personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3 et à l’opérateur mentionné au premier alinéa du I du présent article ;
« 2° La remise à l’utilisateur final d’un certificat de conformité dans des conditions fixées par voie réglementaire, comprenant des informations relatives aux modalités de saisine du guichet unique mentionné au II de l’article L. 34-8-3-2 et permettant la consultation du contrat mentionné au troisième alinéa du I du présent article et du compte rendu d’intervention mentionné au 1° du présent I ter.
« II. – La personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3 garantit à l’utilisateur final la bonne réalisation du raccordement. L’utilisateur final peut se prévaloir à son égard du non-respect du contrat mentionné au troisième alinéa du I du présent article. »
M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 16, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 34-8-3-2. – I. – Quelles que soient les modalités de réalisation du raccordement, la personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3 du présent code est responsable de la ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique au sens du présent code, du point de mutualisation jusqu’au dispositif de terminaison intérieur optique.
« Le raccordement permettant de desservir l’utilisateur final doit être réalisé dans le respect des exigences de qualité minimales fixées par un décret, pris après avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse et des dispositions des articles L. 34-8-3 et L. 34-8-3-3 du présent code.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Cet amendement vise à maintenir le lien entre l’opérateur commercial et l’utilisateur final, tout en confirmant que la responsabilité de la qualité du réseau revient bien à l’opérateur d’infrastructure.
Cette relation entre utilisateur final et opérateur commercial est en effet plus simple qu’une relation à plusieurs entrées avec, d’un côté, un opérateur commercial pour l’abonnement et, de l’autre, l’opérateur d’infrastructure pour le raccordement.
M. le président. L’amendement n° 29, présenté par Mme Demas, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
1° Première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
, dans le respect des dispositions de l’article L. 34-8-3-3 et d’exigences de qualité minimales fixées par un décret pris après avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse
2° Deuxième phrase
Remplacer les mots :
de l’article L. 34-8-3-3
par les mots :
du même article L. 34-8-3-3
et les mots :
des exigences de qualité minimales fixées par un décret, pris après avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse
par les mots :
les exigences de qualité minimales précitées
II. – Alinéa 8
Remplacer le mot :
ledit
par les mots :
un contrat est conclu comprenant un cahier des charges qui respecte les exigences de qualité minimales prévues au I de l’article L. 34-8-3-2. Ce contrat est transmis à l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse. Ledit
III. – Alinéa 11
Remplacer les mots :
comporte le contrat mentionné au troisième alinéa du présent I
par les mots :
comportent les contrats mentionnés aux premier et troisième alinéas du présent I
IV. – Alinéa 14
Supprimer les mots :
, selon des modalités définies par voie réglementaire,
V. – Alinéa 15
Supprimer les mots :
dans des conditions fixées par voie réglementaire,
VI. – Après l’alinéa 15
Insérer sept alinéas ainsi rédigés :
« 3° En cas d’échec de raccordement, la remise à l’utilisateur final d’un certificat attestant de l’impossibilité technique de procéder au raccordement. Ce certificat précise les informations suivantes :
« – les coordonnées de la personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3 et les modalités de saisine du guichet unique mentionné au II de l’article L. 34-8-3-2 ;
« – les coordonnées de la personne pour le compte de laquelle il intervient ;
« – le cas échéant, les coordonnées de l’opérateur demandant un accès à une ligne de communications électroniques ;
« – les coordonnées de l’utilisateur final ;
« – le motif de l’échec de raccordement.
« Les modalités de réalisation et de transmission du compte rendu d’intervention, du certificat de conformité et du certificat d’échec de raccordement sont fixées par voie réglementaire.
VII. – Alinéa 16, seconde phrase
Au début, insérer les mots :
Sans préjudice de l’article 5 de la loi n° … du … vient à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit à fibre optique,
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Patricia Demas, rapporteure. Cet amendement vise à clarifier les modalités de réalisation des raccordements à la fibre et les obligations respectives des opérateurs d’infrastructure et des opérateurs commerciaux.
D’abord, il tend à préciser que les exigences de qualité et les obligations de labellisation des intervenants, de réalisation d’un compte rendu d’intervention et de remise d’un certificat de conformité s’appliquent aux travaux de raccordement, peu importe le mode opératoire retenu. Cette précision a pour objet de garantir l’application de ces dispositions aux cas où l’opérateur d’infrastructure effectue lui-même des opérations de raccordement.
Ensuite, il vise à compléter utilement le dispositif en instituant un certificat qui sera remis à l’utilisateur final en cas d’échec de raccordement.
Enfin, il a pour objet de clarifier l’articulation entre les dispositions de l’article 1er, qui prévoient l’opposabilité du contrat de sous-traitance par l’utilisateur final, et les sanctions qui peuvent être prononcées en cas d’interruption du service d’accès à internet en application de l’article 5.
M. le président. L’amendement n° 12 rectifié quinquies, présenté par Mmes Jacquemet, Herzog, Saint-Pé et de La Provôté, MM. Folliot et Henno, Mmes Loisier et Devésa, M. Détraigne, Mmes Perrot et Guidez et MM. Le Nay, P. Martin et Levi, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
L’opérateur qui, après en avoir fait la demande, renonce à accéder aux lignes informe la personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3 des raisons motivant l’abandon de sa demande.
La parole est à Mme Annick Jacquemet.
Mme Annick Jacquemet. Cet amendement vise à obliger l’opérateur commercial, lorsqu’il annule une commande de raccordement, à communiquer à l’opérateur d’infrastructure la raison à l’origine de ce revirement.
Actuellement, dans un tel cas de figure, l’opérateur commercial ne documente pas systématiquement la raison de l’annulation auprès de l’opérateur d’infrastructure, ce qui empêche ce dernier de résoudre un problème relevant potentiellement de sa responsabilité.
Dans un souci d’efficacité, nous souhaitons améliorer la transmission entre l’opérateur commercial et l’opérateur d’infrastructure des informations relatives à l’état du réseau de fibre optique, aux travaux à réaliser au préalable ou à d’autres difficultés techniques.
M. le président. L’amendement n° 26, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 8 à 11
Remplacer ces alinéas par trois alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 34-8-3-3. – I. – Lorsque la personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3 dans des conditions non discriminatoires, confie la réalisation du raccordement à un opérateur demandant un accès à sa ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, un contrat est conclu avec la personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3, comprenant un cahier des charges détaillant les exigences de qualité minimales prévues au deuxième alinéa du I de l’article L. 34-8-3-2 du présent code.
« Les informations minimales que comporte le modèle de contrat mentionné au premier alinéa du présent I sont fixées par voie réglementaire.
« Il est communiqué pour information à l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Cet amendement a pour objet d’appliquer, cette fois à l’alinéa 3, le principe directeur sur lequel repose l’amendement n° 16, et ce afin de préserver le lien entre l’opérateur commercial et l’usager. Il s’agit de garantir la simplicité des raccordements.
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié ter, présenté par MM. Chaize et Bascher, Mmes Schalck, Belrhiti, Puissat, Muller-Bronn, Micouleau et M. Mercier, MM. J.P. Vogel et Le Gleut, Mme Jacques, M. Reichardt, Mme Gosselin, MM. B. Fournier, Hugonet et Bazin, Mme Di Folco, M. Sol, Mme de Cidrac, MM. de Nicolaÿ et Sautarel, Mme Lassarade, MM. Burgoa et C. Vial, Mmes Richer et Imbert, M. Lefèvre, Mmes Bellurot et Dumont, MM. Mandelli, Sido, Charon, Chevrollier, Favreau et Bouchet, Mme Estrosi Sassone, MM. Savary, Anglars, D. Laurent, Brisson et Perrin, Mme Deroche, MM. Laménie et Milon, Mmes Lopez, F. Gerbaud et Ventalon, M. Pointereau, Mme Canayer et M. Chatillon, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Après le mot :
privé,
insérer les mots :
en y intégrant le réseau numérique du logement, et d’assurer
La parole est à M. Patrick Chaize.
M. Patrick Chaize. L’amendement n° 7 rectifié ter vise à apporter une précision dans un souci de cohérence.
La loi de 2015 a imposé dans les nouveaux logements un réseau numérique installé, avec un boîtier sur lequel la fibre optique peut être raccordée. Dans les faits, les raccordeurs de fibre optique n’interviennent pas forcément sur ce boîtier, parce qu’ils n’ont aucune obligation de le faire.
Il s’agit donc de faire en sorte que ce boîtier installé à la construction soit bien utilisé au moment du raccordement à la fibre optique.
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié ter, présenté par MM. Chaize et Bascher, Mmes Schalck, Belrhiti, Puissat, Muller-Bronn, Micouleau et M. Mercier, MM. J.P. Vogel et Le Gleut, Mme Jacques, M. Reichardt, Mme Gosselin, MM. B. Fournier, Hugonet et Bazin, Mme Di Folco, M. Sol, Mme de Cidrac, MM. de Nicolaÿ et Sautarel, Mme Lassarade, MM. Burgoa et C. Vial, Mmes Richer et Imbert, M. Lefèvre, Mmes Bellurot et Dumont, MM. Mandelli, Sido, Charon, Chevrollier, Favreau et Bouchet, Mme Estrosi Sassone, MM. Savary, Anglars, D. Laurent, Brisson et Perrin, Mme Deroche, MM. Laménie et Milon, Mmes Lopez, F. Gerbaud et Ventalon, M. Pointereau, Mme Canayer et M. Chatillon, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Compléter cet alinéa par les mots :
et des infrastructures d’accueil, au sens de l’article L. 32, nécessaires à la réalisation du raccordement
La parole est à M. Patrick Chaize.
M. Patrick Chaize. L’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques définit une infrastructure d’accueil comme « tout élément d’un réseau destiné à accueillir des éléments d’un réseau sans devenir lui-même un élément actif du réseau ». Il s’agit par exemple des pylônes, des gaines, des chambres de tirage, des regards, des trous de visite, des boîtiers, etc.
Depuis 2016, le gestionnaire d’infrastructures d’accueil doit faire droit aux demandes raisonnables d’accès à ses infrastructures émanant d’un exploitant de réseau ouvert au public à très haut débit, comme le réseau de fibre optique. Cet accès doit être fourni selon des modalités et dans des conditions équitables et raisonnables, et fait généralement l’objet d’une convention passée entre l’opérateur de communications électroniques et le gestionnaire de l’infrastructure d’accueil.
Les infrastructures d’accueil peuvent être nécessaires à la réalisation du raccordement à la fibre d’un utilisateur final. Or il arrive qu’elles fassent l’objet de malfaçons ou de dégradations de la part des intervenants chargés d’effectuer un raccordement à la fibre.
Par cet amendement, il s’agit donc de préciser que les exigences tendant à assurer la qualité de la réalisation des raccordements à la fibre s’appliquent également à l’utilisation des infrastructures d’accueil nécessaires à cette opération.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. La commission est défavorable à l’amendement n° 16 présenté par le Gouvernement.
Sur la méthode, d’abord, il faut savoir que le Gouvernement a déposé treize amendements de manière particulièrement tardive, ce qui n’a pas permis à la commission de les examiner lors de sa réunion en début d’après-midi. C’est donc à titre personnel que je m’exprime.
Sur le fond, ensuite, cet amendement est incompatible avec la rédaction adoptée en commission et avec les compléments que tend à prévoir l’amendement n° 29.
L’amendement n° 12 rectifié quinquies me semble apporter une précision utile. Il vise à améliorer le partage d’informations entre les opérateurs d’infrastructure et les opérateurs commerciaux dans le cadre de la mise en œuvre du mode Stoc. La commission y est favorable.
L’amendement n° 26 tend à revenir sur la rédaction adoptée en commission. Il est de surcroît satisfait par l’amendement n° 29. La commission y est défavorable.
S’il était adopté, l’amendement n° 7 rectifié ter compléterait judicieusement le dispositif en garantissant mieux la qualité des raccordements en partie privative dans les logements récents, qui sont déjà équipés d’un réseau numérique. La commission y est favorable.
Enfin, l’amendement n° 8 rectifié ter vise à préciser que les exigences de qualité portant sur la réalisation des raccordements d’utilisateur final concernent également les infrastructures d’accueil, par exemple les pylônes électriques qui sont nécessaires aux travaux. Cette précision lui semblant judicieuse, la commission y est favorable.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le ministre délégué, à la suite de Mme la rapporteure, je tiens à vous faire part, au nom de la commission, de l’étonnement que suscite la méthode de travail que vous nous proposez. En effet, nous avons reçu pas moins de treize amendements du Gouvernement après la réunion de la commission, qui avait lieu à quatorze heures aujourd’hui.
Nous avons pourtant effectué un travail important durant le week-end avec vos services, qui ont notamment dialogué avec la rapporteure. Or je suppose que ces amendements n’ont pas été rédigés entre quatorze heures quinze et quatorze heures vingt-cinq aujourd’hui. Monsieur le ministre délégué, ce dépôt tardif est regrettable à plusieurs titres.
La commission aurait apprécié de pouvoir examiner ces amendements avant la séance publique et de s’exprimer formellement sur vos propositions. Même Mme la rapporteure n’a pas pu procéder à cet examen dans des conditions sereines. M. Mandelli se réjouissait précédemment que nous ayons adopté dix-neuf amendements, mais peut-être aurions-nous pu en adopter plus si nous avions pu examiner les vôtres.
Enfin, et c’est peut-être pour moi le point le plus important et le plus regrettable, ces manières de faire ne favorisent pas le dialogue nécessaire à tout bon travail parlementaire. (M. Didier Mandelli applaudit.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir accepter les excuses du Gouvernement pour le dépôt tardif de ces amendements. En revanche, je ne peux pas laisser dire que le dialogue n’a pas eu lieu.
Nous dialoguons en effet depuis bien longtemps avec Patrick Chaize sur cette proposition de loi. Par ailleurs, la teneur des amendements était connue de Mme la rapporteure et des services de la commission bien avant leur dépôt.
Le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement n° 29 présenté par Mme la rapporteure. Aussi, nous sollicitons le retrait de l’amendement n° 12 rectifié quinquies à son profit.
Enfin, nous demandons le retrait des amendements nos 7 rectifié ter et 8 rectifié ter.
M. le président. En conséquence, l’amendement n° 26 n’a plus d’objet.
Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié ter.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. L’amendement n° 17, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 4 et 5
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
« Sur demande d’un opérateur souhaitant accéder à sa ligne de communications électroniques, adressée par l’intermédiaire du guichet unique, à la suite de difficultés de raccordement identifiées par celui-ci ou portées à sa connaissance par l’utilisateur final ou une collectivité territoriale, la personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3 garantit la résolution des difficultés de raccordement, dans un délai raisonnable qui ne peut excéder un délai fixé par voie réglementaire, en tenant compte de la complexité de la difficulté. Le délai commence à courir à compter de la saisine du guichet unique.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. C’est le troisième amendement que je présente, mais il a à peu près le même objet que les deux précédents. C’est dire à quel point la position du Gouvernement sur cet article 1er est assez prévisible et lisible. Il vise cette fois-ci les alinéas 4 et 5, qui concernent le guichet unique, et tend à préserver la relation entre l’usager, l’utilisateur et l’opérateur commercial.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. Avis défavorable. Cet amendement, s’il était adopté, priverait l’utilisateur final et la collectivité d’une possibilité de saisir le guichet unique.
M. le président. L’amendement n° 18, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Remplacer les mots :
labellisé selon un
par les mots :
respectant les exigences d’un
La parole est à M. le ministre délégué.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. Avis défavorable.
Il y a un hiatus entre le dispositif de l’amendement, qui vise à supprimer l’obligation de labellisation des intervenants chargés d’effectuer le raccordement introduite en commission, et l’objet, qui indique que la modification n’est que rédactionnelle.
La labellisation des intervenants est un prérequis nécessaire à la montée en qualité de la filière et de la sous-traitance.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Nous entendions clarifier le texte.
Le référentiel est bien établi dans l’article, mais s’il est fait référence à une labellisation, la difficulté est de définir la tierce partie qui en a la charge, ainsi que son mode d’intervention. En indiquant tout simplement que les exigences du référentiel doivent être respectées, on parvient au même objectif sans qu’il y ait de flou sur la manière de procéder.
M. le président. L’amendement n° 11 rectifié quinquies, présenté par Mmes Jacquemet, Herzog, Saint-Pé et de La Provôté, MM. Folliot et Henno, Mmes Loisier et Devésa, M. Détraigne, Mmes Perrot et Guidez et MM. Le Nay, P. Martin et Levi, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 15
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les obligations prévues au présent I ter s’appliquent également si une nouvelle intervention est nécessaire pour remédier à une difficulté de raccordement.
La parole est à Mme Annick Jacquemet.
Mme Annick Jacquemet. L’article 1er prévoit des obligations pour l’intervenant réalisant un raccordement, comme la rédaction d’un compte rendu d’intervention ou la remise d’un certificat de conformité. Cet amendement vise à étendre ces obligations à l’hypothèse où ce dernier est amené à intervenir de nouveau pour réparer un raccordement défectueux, c’est-à-dire dans le cadre d’une opération dite de service après-vente.
L’objectif est de permettre à l’opérateur d’être informé de toute intervention, quelle qu’elle soit, et du bilan de cette intervention, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui. L’idée selon laquelle l’opérateur d’infrastructure doit avoir connaissance de ce qui se passe sur le réseau afin d’être en mesure de régler dans les meilleurs délais d’éventuelles défaillances me semble être un principe de bon sens.
J’ajoute que, lorsque les raccordements à la fibre optique seront terminés sur l’ensemble du territoire, l’intervenant réalisera principalement des opérations de service après-vente. Il convient donc d’anticiper dès à présent cette future étape. C’est la raison pour laquelle je vous appelle à voter cet amendement.
Je précise que mes amendements ont été travaillés avec le Syndicat mixte Doubs très haut débit, qui assure la construction et l’exploitation du réseau de fibre optique sur l’ensemble du département du Doubs. Ils s’appuient donc sur des retours du terrain.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. Cet amendement vise à clarifier le champ d’application des dispositions prévoyant la réalisation d’un compte rendu d’intervention et la remise d’un certificat de conformité pour les opérations de raccordement. Il tend à préciser que ces obligations s’appliquent également lorsqu’une nouvelle intervention est nécessaire, par exemple après un échec de raccordement.
La commission y est favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 25, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 16, seconde phrase
Compléter cette phrase par les mots :
selon les conditions de droit commun
La parole est à M. le ministre délégué.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. L’avis est défavorable. La précision proposée semble superfétatoire.
M. le président. L’amendement n° 14 rectifié, présenté par M. Delahaye, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
« III. – L’opérateur mentionné au I du présent article met en place un registre unique incluant les coordonnées, l’horaire et la géolocalisation de toute intervention de raccordement d’utilisateurs finals aux réseaux à très haut débit en fibre optique.
« Le registre est consultable par la personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3 et, dans le cadre d’audits et d’enquêtes, par les autorités compétentes. Le fait d’effectuer une fausse déclaration dans ce registre est puni d’une amende de 500 €. »
La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Cet amendement vise à compléter l’excellente proposition de loi de notre collègue Patrick Chaize et tend à créer un registre des interventions de raccordement d’utilisateurs finals au réseau à très haut débit en fibre optique. Celui-ci permettra de responsabiliser les opérateurs commerciaux, ainsi que leurs sous-traitants, et favorisera une meilleure traçabilité des interventions au bénéfice des opérateurs d’infrastructure et des autorités compétentes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. L’avis est favorable.
Cet amendement tend à prévoir la création par l’opérateur commercial d’un registre unique des interventions de raccordement à la fibre. Il est prévu que celui-ci soit accessible, d’une part, à l’opérateur d’infrastructure, et ce afin de faciliter le contrôle des interventions de raccordement survenant sur son réseau, et, d’autre part, aux autorités compétentes, c’est-à-dire aux autorités détentrices du pouvoir de police des communications électroniques.
S’il était adopté, cet amendement compléterait utilement l’article 1er et permettrait de mieux asseoir les dispositions de l’article 4, qui renforcent les pouvoirs de contrôle de l’Arcep en matière de qualité des raccordements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement, qui est satisfait dans la mesure où ce registre découlera naturellement de la mise en œuvre des obligations liées au guichet unique et à l’instauration des comptes rendus d’intervention.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 14 rectifié.
(L’amendement est adopté.)
(Mme Pascale Gruny remplace M. Roger Karoutchi au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. L’amendement n° 19, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« III. – Les dispositions du I du présent article s’appliquent aux contrats conclus ou pour lesquels une consultation est engagée à compter de la publication de la loi n° … du … visant à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique. »
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Il s’agit de restreindre l’application de l’article 1er aux nouveaux contrats pour éviter le risque de contentieux indemnitaire qu’une modification d’un contrat existant pourrait soulever.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. L’avis est défavorable. Cet amendement revient à vider de leur portée des dispositions importantes de l’article 1er, qui vise à mieux encadrer le mode Stoc.
Mme le président. L’amendement n° 13, présenté par M. Delahaye, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – L’article L. 34-8-4 du code des postes et des communications électroniques est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« Pour les nouveaux bâtis (logement individuel et collectif), l’opérateur devra indiquer le point de raccordement le plus viable économiquement pour le propriétaire du bâtiment.
« Les travaux de raccordement et de mise en éligibilité commerciale des lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique de l’immeuble bâti (logement individuel ou collectif) doivent être achevés dans un délai de six mois à compter de la mise à la disposition par le propriétaire de l’adduction au réseau physique très haut débit.
« Les potentiels travaux de raccordement d’adduction nécessaire aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique sont proposés et gérés par l’opérateur d’infrastructure. »
La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Cet amendement a pour objet d’ajouter trois alinéas à l’article L. 34-8-4 du code des postes et des communications électroniques.
Le premier alinéa prévoit que l’opérateur devra indiquer, à la fois pour les logements individuels et les logements collectifs, le point de raccordement le plus viable économiquement pour le propriétaire du bâtiment.
Le deuxième alinéa indique que les travaux de raccordement et de mise en éligibilité commerciale doivent être achevés dans un délai de six mois à compter de la mise à disposition par le propriétaire de l’adduction au réseau physique très haut débit.
Enfin, le troisième alinéa concerne les potentiels travaux de raccordement d’adduction nécessaires aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, qui doivent être proposés et gérés par l’opérateur d’infrastructure.
Ces trois précisions nous semblent nécessaires.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. Cet amendement vise à renforcer les obligations pesant sur les opérateurs d’infrastructure lors des raccordements à la fibre dans les logements neufs. Depuis la fin du service universel, Orange n’a plus l’obligation de raccorder au cuivre les logements neufs. Des usagers se retrouvent donc parfois sans solution d’accès au réseau en attendant d’être raccordés à la fibre.
Je suis attentive au problème soulevé et je partage l’objectif d’assurer le raccordement à la fibre de ces locaux dans des délais raisonnables.
Cependant, il me semble que, tel qu’il est rédigé, cet amendement est susceptible d’avoir d’importantes incidences financières pour les opérateurs d’infrastructure et de désorganiser les déploiements en cours.
Faute de pouvoir précisément en évaluer les conséquences et le caractère opérationnel, je m’en remets à l’avis du Gouvernement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. J’ajoute aux arguments de Mme la rapporteure que l’article L. 113-10 du code de la construction et de l’habitation prévoit déjà que « les bâtiments neufs à usage d’habitation ou à usage professionnel doivent être pourvus d’infrastructures fixes de communications électroniques permettant l’accès au très haut débit et à potentiel de débit d’une fibre optique ».
L’amendement étant satisfait, j’en demande le retrait ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme le président. Monsieur Delahaye, l’amendement n° 13 est-il maintenu ?
M. Vincent Delahaye. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme le président. L’amendement n° 13 est retiré.
Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
TITRE II
GARANTIR LA BONNE UTILISATION DES DENIERS PUBLICS
Article 2
I. – Après l’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 1425-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1425-1-1. – I. – Lorsqu’un contrat de la commande publique, au sens de l’article L. 2 du code de la commande publique, a pour objet de confier, en tout ou partie, la maîtrise d’ouvrage ou la réalisation de raccordements d’utilisateurs finals à un réseau de communications électroniques à très haut débit en fibre optique au sens de l’article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, son titulaire s’assure de la qualité des travaux et des prestations réalisés et de l’absence de dégradation affectant le service ou le réseau et les biens de tiers, y compris lorsqu’il confie la réalisation du raccordement à une autre personne.
« Aucun paiement relatif à la réalisation de raccordements d’utilisateurs finals, ni aucune subvention pour compensation d’obligation de service public relative à de tels raccordements ne peut être versé au titulaire en l’absence de remise à l’acheteur ou à l’autorité concédante du certificat de conformité mentionné au 2° du I ter de l’article L. 34-8-3-3 du même code.
« Les clauses du contrat mentionnent les obligations prévues au présent I et précisent les modalités de contrôle et de sanction du cocontractant lorsque le raccordement d’un utilisateur final ne respecte pas les exigences prévues aux articles L. 34-8-3-2 et L. 34-8-3-3 du code des postes et des communications électroniques ou lorsque, à l’occasion de la réalisation du raccordement d’un utilisateur final, le service est interrompu ou que le réseau ou le bien d’un tiers est dégradé.
« II. – Sur demande de l’acheteur ou de l’autorité concédante, le cocontractant lui fournit le calendrier hebdomadaire de réalisation des raccordements d’utilisateurs finals à un réseau de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, dans un délai qui ne peut excéder quarante-huit heures et, le cas échéant, dans le respect du titre II de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. L’acheteur ou l’autorité concédante dispose du pouvoir de contrôler sur pièces et sur place la qualité des travaux et des prestations réalisés et l’absence de dégradation affectant le service ou le réseau et les biens de tiers. »
II. – Le dernier alinéa du I de l’article L. 1425-1-1 du code général des collectivités territoriales, tel qu’il résulte du I du présent article, s’applique aux contrats de la commande publique pour lesquels une consultation est engagée ou un avis de publicité est envoyé à la publication à compter de la publication de la présente loi.
Les contrats pour lesquels une consultation ou un avis de publicité est en cours à la date de publication de la présente loi et les contrats en cours à la même date sont modifiés, en tant que de besoin, pour se conformer aux obligations mentionnées au dernier alinéa du I de l’article L. 1425-1-1 du code général des collectivités territoriales, tel qu’il résulte du I du présent article, dans un délai d’un an à compter de ladite date ; toutefois, cette obligation de mise en conformité ne s’applique pas à ceux de ces contrats dont le terme intervient au cours des dix-huit mois suivant la publication de la présente loi.
Mme le président. La parole est à M. le président de la commission, sur l’article.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. J’associe à cette prise de parole ma collègue Annick Jacquemet.
En préambule, je tiens à mon tour à faire part de mon soutien à cette proposition de loi, dont je remercie notre excellent collègue Patrick Chaize d’avoir pris l’initiative.
Ce texte prévoit des mesures concrètes pour assurer la pérennité du réseau à très haut débit en fibre optique, qui est vital pour les citoyens et les acteurs socio-économiques, en particulier dans les zones rurales, où l’accès au réseau numérique a vocation à compenser l’éloignement des services publics.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, que j’ai l’honneur de présider, a adopté ce texte à l’unanimité, le 12 avril dernier, tout en l’enrichissant de nombreux apports, sur la proposition de notre rapporteure, Patricia Demas, qui a effectué un travail de qualité. Je l’en remercie.
Les engagements pris par la filière depuis 2020 pour améliorer la qualité des raccordements à la fibre n’ont pas porté leurs fruits. J’ai moi-même été alerté sur ce sujet la semaine dernière par le syndicat mixte en charge du déploiement de la fibre dans mon département, le Doubs. La qualité et la sécurité des raccordements à la fibre sont loin de s’être améliorées dans la période récente. Il semble même qu’elles se soient dégradées.
Cette situation est inacceptable, car elle menace le bon déroulement de la bascule de l’ADSL vers la fibre, qui est désormais bien engagée. Je soutiens donc pleinement cette proposition de loi, en particulier son article 2, qui prévoit de doter les collectivités territoriales de leviers pour contrôler la qualité des raccordements dans les RIP. Cette question me semble essentielle.
Alors que la fibre est déployée à partir de fonds publics dans les zones RIP, les collectivités sont souvent démunies face aux dégradations infligées à leur réseau par une sous-traitance peu scrupuleuse. En subordonnant à la qualité effective des travaux le paiement de l’opérateur par la collectivité, cet article permettra de clarifier les responsabilités de chacun et d’induire les dynamiques vertueuses dont nous avons besoin.
Mme le président. L’amendement n° 27, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Cet amendement vise à supprimer l’article 2, ce qui est un peu sec, j’en suis désolé.
Les leviers invoqués dans cet article sont les dispositions relatives à la commande publique, qui figurent déjà dans le code des marchés publics. Il convient donc de s’y référer plutôt que de faire enfler inutilement le code des postes et des communications électroniques.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. Cet amendement vise à supprimer un apport important de cette proposition de loi, qui vise à renforcer les leviers à disposition des collectivités territoriales pour contrôler la bonne réalisation des raccordements dans les zones RIP.
La commission émet un avis défavorable.
Mme le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
TITRE III
UNIFICATION DE LA MAÎTRISE D’OUVRAGE DES RACCORDEMENTS FINALS À UN RÉSEAU DE COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES À TRÈS HAUT DÉBIT EN FIBRE OPTIQUE EN « ZONE FIBRÉE »
Article 3
Le chapitre II du titre Ier du livre II du code des postes et des communications électroniques est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 33-11, il est inséré un article L. 33-11-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 33-11-1. – Dans les zones ayant obtenu le statut de “zone fibrée” au sens de l’article L. 33-11 et dans les communes dans lesquelles la fin de la fourniture de nouveaux accès à la boucle locale “cuivre” est prévue à une échéance de trente-six mois, l’opérateur attributaire chargé du réseau assure la maîtrise d’ouvrage des raccordements d’utilisateurs finals au réseau de communications électroniques à très haut débit en fibre optique qui constituent des raccordements longs ou complexes. Les critères de définition des raccordements longs ou complexes sont précisés par voie réglementaire. » ;
2° La section 8 est complétée par un article L. 34-15-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 34-15-1. – En cas de changement de fournisseur de services d’accès à internet par un utilisateur final raccordé à un réseau de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, la maîtrise d’ouvrage du raccordement au réseau de communications électroniques à très haut en débit fibre optique est assurée par la personne mentionnée au premier alinéa du I de l’article L. 34-8-3. »
Mme le président. L’amendement n° 30, présenté par Mme Demas, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 3, première phrase
Remplacer le mot :
et
par le mot :
ou
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Patricia Demas, rapporteure. Cet amendement vise à clarifier le champ d’application du dispositif.
Il s’agit de préciser que l’interdiction du recours au mode Stoc pour la réalisation des raccordements longs et complexes s’applique à la fois aux zones ayant obtenu le statut de zone fibrée et aux communes dans lesquelles la fermeture du réseau cuivre est engagée, ces deux critères étant alternatifs.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 9 rectifié ter, présenté par MM. Chaize et Bascher, Mmes Schalck, Belrhiti, Puissat, Muller-Bronn, Micouleau et M. Mercier, MM. J.P. Vogel et Le Gleut, Mme Jacques, M. Reichardt, Mme Gosselin, MM. B. Fournier, Hugonet et Bazin, Mme Di Folco, M. Sol, Mme de Cidrac, MM. de Nicolaÿ et Sautarel, Mme Lassarade, MM. Burgoa et C. Vial, Mmes Richer et Imbert, M. Lefèvre, Mmes Bellurot et Dumont, MM. Mandelli, Sido, Charon, Chevrollier, Favreau et Bouchet, Mme Estrosi Sassone, MM. Savary, Anglars, D. Laurent, Brisson et Perrin, Mme Deroche, MM. Laménie et Milon, Mmes F. Gerbaud et Ventalon, M. Pointereau, Mme Canayer et M. Chatillon, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
fin de la fourniture de nouveaux accès à la boucle locale « cuivre » est prévue à une échéance de trente-six mois
par les mots :
fermeture technique de la boucle locale « cuivre » est prévue à une échéance de dix-huit mois
La parole est à M. Patrick Chaize.
M. Patrick Chaize. Il s’agit d’un amendement de précision concernant la fermeture du réseau cuivre. Celle-ci est censée être effectuée en deux phases : une phase de transition, de 2020 à 2025, destinée à préparer la fermeture technique, notamment à travers la limitation des nouveaux accès au réseau – c’est la fermeture commerciale –, et une phase de fermeture technique pour fermer matériellement le réseau.
L’article 3, dans sa rédaction adoptée par la commission, étend l’interdiction du recours au mode Stoc pour la réalisation des raccordements complexes à la fibre aux communes dans lesquelles la fermeture commerciale du réseau cuivre a été engagée. Or, selon l’Arcep, environ 20 millions de lignes étaient déjà fermées commercialement en février 2023. Il apparaît donc plus opportun d’appliquer cette interdiction aux communes dans lesquelles la fermeture technique du réseau cuivre est proche.
Je propose donc d’interdire le recours au mode Stoc dans les communes dans lesquelles la fermeture technique du réseau cuivre est prévue à une échéance de dix-huit mois.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. Cet amendement vise à interdire le recours au mode Stoc dans les communes où la fermeture technique du réseau cuivre est prévue à une échéance de dix-huit mois, plutôt que de viser les communes dans lesquelles la fermeture commerciale du réseau cuivre est proche.
Dans la mesure où la fermeture commerciale du réseau cuivre est déjà effective dans de nombreux territoires, cet ajustement me semble pertinent.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 20, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
voie réglementaire
par les mots :
le ministre chargé des communications électroniques sur proposition de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse
La parole est à M. le ministre délégué.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. L’avis est défavorable. La rédaction adoptée en commission nous semble satisfaisante sur ce point.
Mme le président. L’amendement n° 21, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 4 et 5
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Par cet amendement, je souhaite réaffirmer, comme je l’ai dit lors de la discussion générale, que nous voulons non pas supprimer le mode Stoc, mais le corriger.
Nous considérons en effet que ses avantages sont supérieurs à ses inconvénients, que j’ai évoqués précédemment : le fait que les opérateurs d’infrastructure aillent jusqu’au point de mutualisation et que les opérateurs commerciaux aillent jusqu’aux logements crée un partage des responsabilités qui rend parfois difficile l’identification des responsabilités et l’attribution de la charge des réparations du dommage.
Les avantages du mode Stoc sont, d’une part, la concurrence entre les opérateurs commerciaux, et, d’autre part, la simplicité que confère à l’usager le fait de n’avoir qu’un seul interlocuteur.
L’amendement n° 21 vise à réaffirmer le même principe, en écartant la possibilité d’interdire le mode Stoc dans le cadre du taux d’attrition, ou churn rate, qui est l’un des cas de figure prévus dans cette proposition de loi.
Je répète ce que j’ai dit précédemment à la tribune : sur les articles 1er, 2 et 3 de la proposition de loi, le Gouvernement émet des réserves et propose des amendements ; en revanche, il accueille beaucoup plus favorablement les articles 4 et 5, qui renforcent les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’Arcep, ainsi que les garanties accordées aux usagers, et qui corrigent donc le mode Stoc au lieu de le supprimer.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. Cet amendement vise à supprimer un apport adopté en commission : l’interdiction du mode Stoc pour les opérations de raccordement nécessaires en cas de changement de fournisseur d’accès à internet par un abonné à la fibre.
L’avis est donc défavorable.
Mme le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
TITRE IV
RENFORCER LES POUVOIRS DE CONTRÔLE ET DE SANCTION DE L’ARCEP RELATIFS AUX RÉSEAUX DE COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES À TRÈS HAUT DÉBIT EN FIBRE OPTIQUE JUSQU’À L’USAGER FINAL
Article 4
Le code des postes et des communications électroniques est ainsi modifié :
1° L’article L. 32-1 est ainsi modifié :
a) Le I est complété par un 4° ainsi rédigé :
« 4° La police spéciale des communications électroniques est exercée par le ministre chargé des communications électroniques, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse et l’Agence nationale des fréquences. » ;
b) Le II est complété par un 12° ainsi rédigé :
« 12° La qualité, la pérennité, l’intégrité et la sécurité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique mentionnés à l’article L. 34-8-3. » ;
2° Le III de l’article L. 34-8-3 est ainsi modifié :
a) Le dernier alinéa est ainsi modifié :
– le mot : « informations » est remplacé par les mots : « indicateurs permettant d’évaluer les niveaux de qualité de service mentionnés au quatrième alinéa du présent III ou des informations techniques et » ;
– est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse publie de manière trimestrielle le résultat des indicateurs de qualité de service transmis par les personnes mentionnées au même I. » ;
b) Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« L’autorité précise le contenu des indicateurs de qualité de service mentionnés au quatrième alinéa du présent III.
« Afin de contrôler le respect des modalités de l’accès prévu au présent article, y compris les niveaux de qualité de service associés à cet accès, l’autorité peut désigner un organisme indépendant pour effectuer des expertises et des études, dont les frais sont financés, dans une mesure proportionnée à leur taille, et versés directement par les personnes concernées. » ;
3° Le 2° de l’article L. 36-6 est complété par un e ainsi rédigé :
« e) De réalisation des raccordements des utilisateurs finals aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique mentionnés à l’article L. 34-8-3 ; »
4° L’article L. 36-11 est ainsi modifié :
a) Après le quatrième alinéa du I, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – aux dispositions législatives et réglementaires, aux décisions et aux cahiers des charges relatifs à la réalisation des raccordements des utilisateurs finals aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique mentionnés à l’article L. 34-8-3 du présent code, y compris lorsque le manquement est commis par le fournisseur de service de communications électroniques auquel l’exploitant a confié la réalisation du raccordement ; »
b) Après le IV, il est inséré un IV bis ainsi rédigé :
« IV bis. – Lorsqu’une personne ne fait pas droit aux demandes raisonnables d’accès à une ligne et aux moyens qui y sont associés émanant d’opérateurs conformément au I de l’article L. 34-8-3 ou ne respecte pas les modalités d’accès prévues au même article l’article L. 34-8-3 et précisées par l’autorité, y compris les niveaux de qualité de service associés à cet accès, l’autorité peut lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte dont le montant ne peut excéder 100 000 € par jour de retard à compter de la date fixée par la formation restreinte, de faire droit aux demandes d’accès, de corriger toute discrimination ou de mettre en conformité les modalités d’accès avec celles précisées par l’autorité, y compris les niveaux de qualité de service associés à cet accès. »
Mme le président. L’amendement n° 28, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après le mot :
exercée
insérer le mot :
notamment
La parole est à M. le ministre délégué.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. La rédaction adoptée en commission est conforme à la jurisprudence du Conseil d’État, qui a consacré l’existence du pouvoir de police spéciale des communications électroniques au profit uniquement du ministre chargé du numérique, de l’Arcep et de l’Agence nationale des fréquences (ANFR).
L’avis est donc défavorable.
Mme le président. L’amendement n° 22, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 12° La qualité, la pérennité, et l’intégrité des réseaux de communications électroniques, et notamment ceux à très haut débit en fibre optique mentionnés à l’article L. 34-8-3. » ;
La parole est à M. le ministre délégué.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. Cet amendement vise à revenir sur la rédaction adoptée en commission et à supprimer la mention des raccordements et des exigences de sécurité du réseau du champ des objectifs devant être pris en compte par le ministre chargé du numérique et par l’Arcep dans leurs attributions respectives.
Avis défavorable.
Mme le président. L’amendement n° 31, présenté par Mme Demas, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Remplacer le mot :
quatrième
par le mot :
cinquième
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Patricia Demas, rapporteure. Il s’agit d’un amendement légistique visant à corriger une erreur matérielle.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 23, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 16 à 20
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. L’article L. 36-11 du code des postes et communications électroniques prévoit déjà la possibilité d’une astreinte. En effet, le président de l’Arcep peut demander au président de la section du contentieux d’ordonner à un opérateur de se conformer à ses obligations en cas de manquement susceptible d’entraîner un préjudice grave pour un opérateur ou pour le marché.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. Cet amendement vise à supprimer les dispositions de l’article 4 qui renforcent les pouvoirs de sanction de l’Arcep relatifs à la qualité des raccordements à la fibre.
Avis défavorable.
Mme le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.
(L’article 4 est adopté.)
TITRE V
GARANTIR LES DROITS DES CONSOMMATEURS EN CAS D’INTERRUPTION PROLONGÉE D’UN SERVICE D’ACCÈS À INTERNET
Article 5
Le code de la consommation est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l’article L. 224-34 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Pour un service d’accès à internet, il peut résilier le contrat, sans aucun frais, en cas d’interruption dudit accès au-delà de vingt jours consécutifs, sauf si le fournisseur démontre que l’interruption est directement imputable au consommateur. » ;
2° L’article L. 224-42-1 est ainsi modifié :
a) Après le 3°, il est inséré un 4° ainsi rédigé :
« 4° En cas d’interruption d’un service d’accès à internet au-delà de dix jours consécutifs, l’indemnité offerte au consommateur ne peut être inférieure, par jour de retard, au cinquième du prix mensuel toutes taxes comprises de l’abonnement au service souscrit par le consommateur, sans préjudice de la suspension de toute demande de paiement prévue à l’avant-dernier alinéa. Le nombre de jours de retard est calculé jusqu’au rétablissement du service d’accès à internet ou jusqu’à la résiliation dudit service par le consommateur. » ;
b) Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« En cas d’interruption d’un service d’accès à internet au-delà de cinq jours consécutifs, le fournisseur suspend automatiquement toute demande de paiement au consommateur jusqu’au rétablissement du service d’accès à internet ou jusqu’à la résiliation dudit service par le consommateur. Aucun paiement n’est dû par le consommateur au titre d’une période pendant laquelle le service d’accès à internet est interrompu. Tout paiement effectué par le consommateur au titre d’une période pendant laquelle le service d’accès à internet est interrompu lui est remboursé par le fournisseur. Ce remboursement ne peut pas prendre la forme d’un avoir sur une période de délivrance ultérieure du même service.
« Le 4° et l’avant-dernier alinéa du présent article ne sont pas applicables lorsque le fournisseur démontre que l’interruption du service d’accès à internet est directement imputable au consommateur. »
Mme le président. L’amendement n° 24, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
consécutifs
insérer les mots :
à compter du signalement du consommateur à son fournisseur de service dans le respect des modalités prévues au contrat
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. L’article 5 renforce les garanties dont bénéficient les consommateurs, ce qui est évidemment une excellente chose.
Cet amendement tend à prévoir que ces droits nouveaux sont ouverts à compter du signalement par le consommateur à son fournisseur de service, dans le respect des modalités prévues au contrat.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. La rédaction adoptée en commission paraît plus sécurisante pour le consommateur. En outre, s’il était adopté, cet amendement introduirait une incohérence avec les autres sanctions prévues au même article s’agissant du calcul du délai à prendre en compte.
Avis défavorable.
Mme le président. L’amendement n° 32, présenté par Mme Demas, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le nombre de jours d’interruption est calculé jusqu’au rétablissement continu du service d’accès à internet sur au moins sept jours.
II. – Alinéa 5, seconde phrase
Après le mot :
rétablissement
insérer le mot :
continu
et après le mot :
internet
insérer les mots :
sur au moins sept jours
III. – Alinéa 7
1° Première phrase
Après le mot :
rétablissement
insérer le mot :
continu
et après la seconde occurrence du mot :
internet
insérer les mots :
sur au moins sept jours
2° Troisième phrase
Compléter cette phrase par les mots :
dans un délai de dix jours suivant le début de l’interruption
3° Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le consommateur est informé sans délai, par tout moyen, des modalités selon lesquelles est effectué le remboursement.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Patricia Demas, rapporteure. Cet amendement a deux objets.
Tout d’abord, il vise à préciser que le nombre de jours d’interruption du service d’accès à internet est calculé jusqu’au rétablissement de l’accès à internet pendant au moins sept jours, afin de prendre en compte les cas de figure dans lesquels la connexion de l’utilisateur n’est rétablie que momentanément.
Ensuite, il tend à clarifier les modalités de remboursement du consommateur lorsque celui-ci a versé des sommes au titre d’une période durant laquelle son service d’accès à internet a été interrompu.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 15, présenté par MM. Fernique, Dantec, Benarroche et Breuiller, Mme de Marco, MM. Dossus, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5, première phrase
Remplacer le mot :
dix
par le mot :
sept
II. – Alinéa 7, première phrase
Remplacer le mot :
cinq
par le mot :
trois
La parole est à M. Paul Toussaint Parigi.
M. Paul Toussaint Parigi. Cet amendement vise tout d’abord, lors d’une perte de connexion, à permettre une indemnisation plus rapide et plus importante des consommateurs lésés et à abaisser de dix à sept le nombre de jours d’interruption du service ouvrant droit à indemnisation. Ce nombre serait un juste équilibre entre celui qui était prévu dans le texte initial et celui qui a été retenu dans la rédaction issue de la commission.
Il vise ensuite à obliger le fournisseur d’accès à internet à intervenir dans les délais les plus brefs en cas de dysfonctionnement. Pour ce faire, l’amendement vise à abaisser à trois jours, contre cinq dans la rédaction issue de la commission, le délai au terme duquel le paiement de l’abonnement est suspendu par l’opérateur.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. Cet amendement vise à abaisser les délais d’interruption de service d’accès à internet déclenchant la mise en œuvre des sanctions prévues à l’article 5. Il est proposé de réduire le délai ouvrant droit à la suspension du paiement de l’abonnement de cinq à trois jours et le délai ouvrant droit à indemnisation de dix à sept jours.
La commission partage pleinement l’objectif de mieux garantir le droit des consommateurs. Cependant, les délais prévus par le dispositif adopté en commission ont recueilli l’approbation de l’ensemble des parties prenantes entendues lors de ses travaux préparatoires. Il me semble donc qu’ils permettent d’assurer un équilibre adéquat entre la protection des consommateurs et la préservation des intérêts économiques des fournisseurs d’accès à internet.
Dans la mesure où l’adoption de cet amendement conduirait à remettre en cause cet équilibre, je demande son retrait ; à défaut, l’avis de la commission sera défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Je mets aux voix l’article 5, modifié.
(L’article 5 est adopté.)
Après l’article 5
Mme le président. L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par MM. Genet, Rojouan, Sautarel, Brisson, Somon, Joyandet, Sol, Bacchi, Bascher et Courtial, Mmes Belrhiti et Deroche, M. Bouchet, Mme Ventalon, M. Darnaud, Mmes M. Mercier et Borchio Fontimp, MM. Favreau, Mandelli, Le Gleut et Allizard, Mme Bellurot, M. Lefèvre, Mmes Joseph et Micouleau, M. D. Laurent, Mmes Imbert, Schalck et F. Gerbaud, M. Charon et Mme Lopez, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement portant sur l’opportunité de la fermeture commerciale et technique du réseau de communication historique cuivre et la pertinence du plan d’action retenu pour sa mise en œuvre. Ce rapport décrit également les impacts pour les usagers, de la transition du cuivre vers la fibre, notamment en termes de disponibilité, de qualité, de sécurité et d’abordabilité des services, ainsi que les modalités d’information et d’association des élus locaux à cette démarche.
La parole est à M. Bruno Rojouan.
M. Bruno Rojouan. Cet amendement, déposé sur l’initiative de M. Fabien Genet, concerne le réseau cuivre.
Dans le cadre de son plan stratégique à l’horizon 2025, la société Orange a annoncé la fermeture progressive de son réseau cuivre au cours de la période 2023-2030. Si cet arrêt est souhaité par les acteurs de la filière, la transition du cuivre vers la fibre doit être assortie des garanties nécessaires pour les usagers, qui se posent un grand nombre de questions.
Par ailleurs, le rôle et l’appui des élus locaux dans cette transition vers un nouveau réseau fibre semblent incontournables pour mener à bien cette campagne. Il est essentiel que ceux-ci y soient associés.
Aussi, le présent amendement tend à prévoir la remise au Parlement par le Gouvernement d’un rapport, dans les six mois suivant la promulgation de la loi, sur l’opportunité de la fermeture commerciale et technique du réseau de communication historique cuivre et sur la pertinence du plan d’action retenu pour sa mise en œuvre.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. Cet amendement tend à demander la remise d’un rapport sur l’opportunité et les modalités de la fermeture du réseau cuivre d’Orange.
S’il ne me semble pas opportun de remettre en cause la fermeture du réseau cuivre à ce stade, dans la mesure où le chantier est déjà engagé, je souscris pleinement aux interrogations des auteurs de l’amendement sur les risques que comporterait un calendrier de fermeture trop rapide et sur la gouvernance choisie pour mettre en œuvre ce chantier, qui ne permet pas à l’heure actuelle une association suffisante des élus locaux.
Cependant, ce texte ne me semble pas être le véhicule approprié pour discuter des modalités de la fermeture du réseau cuivre.
Je demande donc le retrait de cet amendement, mais je souhaite, monsieur le ministre, que vous répondiez aux inquiétudes légitimes de M. Genet, que je partage.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Rojouan. Je retire l’amendement !
Mme le président. L’amendement n° 10 rectifié ter, présenté par MM. Chaize et Bascher, Mmes Schalck, Belrhiti, Puissat, Muller-Bronn, Micouleau et M. Mercier, MM. J.P. Vogel et Le Gleut, Mme Jacques, M. Reichardt, Mme Gosselin, MM. B. Fournier, Hugonet et Bazin, Mme Di Folco, M. Sol, Mme de Cidrac, MM. de Nicolaÿ et Sautarel, Mme Lassarade, MM. Burgoa et C. Vial, Mmes Richer et Imbert, M. Lefèvre, Mmes Bellurot et Dumont, MM. Mandelli, Sido, Charon, Chevrollier, Favreau et Bouchet, Mme Estrosi Sassone, MM. Savary, Anglars, D. Laurent, Brisson et Perrin, Mme Deroche, MM. Laménie et Milon, Mmes F. Gerbaud et Ventalon, M. Pointereau, Mme Canayer et M. Chatillon, est ainsi libellé :
Après le mot :
des
insérer les mots :
raccordements aux
La parole est à M. Patrick Chaize.
M. Patrick Chaize. Je souhaite tout d’abord remercier l’ensemble de mes collègues de la confiance qu’ils m’ont accordée sur ce texte qui, je le crois, est important pour la qualité de nos réseaux, et qui, je l’espère, permettra à la filière d’avancer dans la bonne direction.
Le présent amendement vise à modifier l’intitulé de proposition de la loi afin de le rendre cohérent avec les travaux réalisés par la commission. Il s’agit de préciser que le texte vise à assurer la qualité et la pérennité « des raccordements aux » réseaux.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Demas, rapporteure. Cet amendement vise à rendre l’intitulé de la proposition de loi cohérent avec le champ des dispositifs, qui concernent spécifiquement la qualité des raccordements à la fibre optique et non les enjeux de qualité s’attachant à l’ensemble du réseau.
La commission y est donc favorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Il est favorable également, d’abord parce que l’auteur de la proposition de loi dispose d’une forme de souveraineté sur l’intitulé du texte qu’il propose. Ensuite, le fait d’inscrire la référence au raccordement au cœur et dans l’intitulé de cette proposition de loi me paraît tout à fait bienvenu.
Je profite de cette occasion pour remercier, une nouvelle fois, l’auteur de la proposition de loi, la rapporteure et les membres de la commission pour le travail qu’ils ont réalisé.
Mme le président. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.
Vote sur l’ensemble
Mme le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi dont le Sénat a ainsi rédigé l’intitulé : proposition de loi visant à assurer la qualité et la pérennité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
Mme le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)
Mme le président. La séance est reprise.
7
Quelle réponse au phénomène mondialisé des fraudes fiscales aux dividendes ?
Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « Quelle réponse au phénomène mondialisé des fraudes fiscales aux dividendes ? »
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur, pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé sa place dans l’hémicycle.
Dans le débat, la parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe auteur de la demande. (Mme Nathalie Goulet applaudit.)
M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes ici, sur l’initiative de mon groupe, pour débattre de la fraude aux dividendes, un phénomène mondialisé et tentaculaire, aux complicités multiples.
Il s’agit d’un braquage des finances publiques. Ce braquage annuel aurait débuté dans les années 2000 pour un montant inconnu, mais sans cesse réévalué. Aussi, même si le parquet national financier (PNF) évoque prudemment le chiffre de 1 milliard d’euros annuel, le préjudice s’établirait à au moins 33 milliards au cours des vingt dernières années pour les contribuables de notre pays et à au moins 140 milliards d’euros à l’échelon international.
Les montages sont complexes, mais il m’incombe de les présenter : « Les transactions CumEx/CumCum reposent sur la notion cardinale d’“arbitrage de dividendes”, qui consiste à transférer rapidement et entre plusieurs intervenants la propriété d’actions, de droits ou de titres avec et sans droits à dividendes dans l’objectif d’échapper aux retenues à la source applicables. »
Lorsque des droits sont attachés à l’action, on parle de Cum ; quand il n’y en a aucun, on parle d’Ex. Il en résulte un double bénéfice frauduleux : non-acquittement de l’impôt et retenue à la source reversée sous forme de crédit d’impôt indûment perçu.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous garantir que, depuis 2005, aucune pratique de CumEx n’a été relevée par vos services ? Votre réponse nous intéresse grandement. Mais en tout état de cause, deux phénomènes auraient toujours cours : un phénomène interne et un phénomène externe.
Dans le premier, le propriétaire de l’action la prête autour de la date du versement des dividendes à un résident français, le plus souvent un établissement financier. Ce résident français n’est soumis à aucune retenue à la source et rétrocède le dividende à son véritable bénéficiaire, en échange d’une commission.
Dans le second cas, l’action est prêtée à un résident dont la convention fiscale avec la France ne prévoit pas de retenue à la source. Ces destinations fiscales sont bien connues, et il faut les nommer : l’Arabie saoudite, le Bahreïn, l’Égypte, les Émirats arabes unis, la Finlande – partenaire européen –, le Koweït, le Liban, Oman et le Qatar.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Éric Bocquet. Je me souviens à cet instant que Jérôme Kerviel avait évoqué ce phénomène lors d’une audition à huis clos, le 8 octobre 2013, dans le cadre de la commission d’enquête sur la fraude fiscale que nous avions conduite, dont Nathalie Goulet faisait partie. Il en décrivait le mécanisme, la pratique connue et reconnue, le gain facile et frauduleux…
Comment croire, dès lors, que l’administration fiscale, avec la compétence qui est la sienne, n’aurait engagé qu’en 2017 des contrôles sur les CumCum dits internes, comme l’affirmait M. Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques, devant le Sénat le 1er décembre 2021 ?
Cette administration fiscale, je souhaite la remercier, la féliciter pour sa pugnacité et l’encourager à poursuivre ses investigations sans relâche, à exploiter les documents et les données recueillis dans le cadre des perquisitions engagées, simultanément, dans cinq établissements bancaires : BNP Paribas et sa filiale Exane, Société Générale, Natixis et HSBC. Ce coup de filet, conduit par seize magistrats du PNF et plus de cent cinquante enquêteurs, accompagnés de six procureurs du parquet de Cologne, en Allemagne, au titre de la coopération judiciaire européenne, atteste de l’action résolue de l’administration.
Ce scandale est d’autant plus choquant qu’il concerne trois des principaux spécialistes en valeurs du trésor (SVT), qui achètent puis traitent la dette française sur les marchés financiers internationaux et qui « dealent » aussi des actions et les dividendes associés, au mépris de la loi.
La présomption d’innocence est de rigueur, mais M. Iannucci affirmait dès 2021 lors de son audition : « S’agissant des sept procédures en cours, je veux préciser que l’une des banques a accepté les redressements, reconnaissant que les pratiques en cause ne relevaient pas du fonctionnement normal des marchés. En revanche, d’autres banques sont dans la dénégation complète ; même face à des cas caricaturaux, avec des prêts de titres la veille de versement d’acomptes, que l’on parvient à démontrer facilement, elles nient le mobile fiscal. »
Il y a là de quoi, vous le reconnaîtrez, être optimiste sur l’issue de ces investigations, n’en déplaise au lobby bancaire, qui use et abuse des recours d’obstruction jusqu’à ce que justice soit rendue !
En effet, la Fédération bancaire française (FBF) a déposé un recours devant le Conseil d’État deux jours après les perquisitions massives. Mais doit-on croire à ce recours ? Il est en effet sans lien avec les perquisitions, mais vise simplement à « mettre un terme à l’incertitude qui existe depuis des années sur le sujet […]. Cela permettra, nous dit le lobby bancaire, à la place de Paris de bénéficier d’un cadre juridique clair, défini par le Conseil d’État et applicable à l’ensemble des acteurs du marché. »
Nous arrivons au cœur du sujet : le système bancaire tente d’inventer un nouveau concept, aussi innovant que le contournement de l’impôt : la fraude légale !
Le débat pourrait être bref si une quelconque éthique s’immisçait dans les considérations des acteurs de la banque et de la finance internationale.
Sur le terrain du droit, comment qualifier une pratique qui a pour seul objectif et pour seule finalité d’échapper à l’impôt ? Quel autre qualificatif que celui de « fraude » doit-on employer ? Le Sénat, le Parlement dans son ensemble et le Gouvernement ne peuvent laisser croire qu’il existerait une forme de fraude légale.
Sans attendre l’effort de clarification, feignant d’espérer, la Fédération française bancaire et le Sénat lui-même, par un amendement porté à l’identique par cinq de nos groupes lors de la séance du 26 novembre 2018 dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, marquaient la volonté d’affermir le caractère illégal de ces pratiques frauduleuses.
Le mécanisme était si bien ficelé que le Gouvernement émettait sur cet amendement, malgré quelques réserves, un avis de sagesse par la voix de Mme la ministre Pannier-Runacher, qui alla même jusqu’à reconnaître : « Nous n’avons pas de meilleure proposition à ce stade du débat. »
Il n’a pas fallu attendre très longtemps – quelques jours seulement, lors de l’examen du projet de loi de finances en nouvelle lecture – avant que le ministre du budget, bien aidé par la majorité de l’époque, démonte l’amendement du Sénat et vide de tout contenu notre proposition commune. Il en résulte un dispositif sans substance, sans intérêt et non dissuasif. Par exemple, il suffit que, dans le cadre d’un total return swap (TRS), la banque et l’actionnaire s’échangent des titres sans conclure, du moins formellement, de contrat de cession.
Ont été exclues également les opérations de cession, même celles d’apparence frauduleuse, éloignées de plus de quarante-cinq jours ; il suffit donc de nouer son opération de cession le quarante-sixième jour ! Il ne faut pas, monsieur le ministre, être ingénieur financier pour contrecarrer cette trouvaille législative.
M. Iannucci, que j’ai déjà cité, évoquait en ces termes, le 1er décembre 2021, « l’efficacité de l’article 119 bis A du code général des impôts » : « Je répète que nous ne disposons malheureusement pas d’éléments de bilan à ce stade. Je n’ai pas l’impression que les établissements financiers sont très gênés par la période de quarante-cinq jours, mais semblent s’organiser en fonction. »
Alors, le Sénat a réitéré, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2022, afin de donner de la vigueur à cet article, mais le Gouvernement n’en voulait toujours pas.
Pour que cessent ces fameuses opérations d’arbitrage de dividendes, il faut que le seul arbitre soit l’administration fiscale. Mais comme tout arbitre, elle doit se doter de règles ; c’était l’objet de nos amendements communs.
Le Gouvernement laisse son administration démunie à l’avenir contre ce phénomène. Il faut non plus prévoir une clause de revoyure, mais fixer une date pour légiférer une fois pour toutes en vue de mettre à terme à ce pillage fiscal, qui lèse les peuples de France et d’ailleurs. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Marie Mercier applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie le groupe CRCE d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour. Nous avions entamé cette discussion il y a quatre mois à l’occasion d’un débat consacré à la fraude fiscale, qui avait été proposé par la commission des finances à la suite du rapport y afférent qui lui avait été remis.
Ce sujet est d’importance et vous avez cité, monsieur Bocquet, plusieurs évaluations de montants.
Je veux rebondir sur un point que vous avez évoqué : il n’y a pas de fraude légale et il ne peut y en avoir, car la fraude est illégale. Notre responsabilité, c’est d’être capables d’identifier cette fraude et de la sanctionner, pour que les fonds dus à la solidarité nationale et à nos politiques publiques soient effectivement versés et recouvrés par l’administration fiscale.
Vous m’avez posé une question très précise, à laquelle je vais d’ores et déjà répondre : vous m’avez demandé si, aujourd’hui, l’administration fiscale avait identifié, ou pas, des schémas de CumEx qui concerneraient des dossiers français. La réponse est non.
À date, il n’y a pas dans les dossiers à l’étude de schémas CumEx, lesquels sont manifestement visibles surtout en Allemagne. En revanche, des schémas incluant des prêts de titres à des résidents en France ont été identifiés, ce qui a conduit la direction générale des finances publiques (DGFiP) à lancer des procédures.
À l’occasion d’une première série de contrôles, 2,5 milliards d’euros de droits ont été notifiés, ce qui est une somme importante. Puis une deuxième série de contrôles a été engagée, qui a donné lieu, pour un certain nombre de dossiers, à une saisine du PNF et à une perquisition d’ampleur menée il y a quelques semaines par le service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF), et largement médiatisée.
À mon tour, je tiens à saluer le travail des agents de ce service et de l’ensemble de l’administration fiscale sur ce sujet.
Mme le président. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi.
M. Paul Toussaint Parigi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous est ici proposé intervient dans le contexte d’un scandale de fraude fiscale aggravée, qui aurait coûté, selon les estimations, près de 33 milliards d’euros à l’État français ces dernières années : 33 milliards au moment où le Gouvernement fait passer en force et alors que l’urgence est avérée une réforme sociale injuste pour nos concitoyens, visant à combler un déficit de 13,5 milliards d’euros afin de financer d’ici à 2030 notre système de retraites, au moment où nous constatons qu’une proportion significative d’opérations échappe toujours à l’imposition, sans que l’administration fiscale dispose des moyens juridiques suffisants pour y faire échec…
Tragique ironie que celle qui consiste à faire peser sur l’ensemble de nos concitoyens le poids de la dette, alors que l’urgence commande des actions rapides et efficaces contre le détournement fiscal et que la justice fiscale, si précieuse pour le consentement à l’impôt, nécessaire à notre pacte social, nous intime, pour rester une société unie, de préserver notre modèle de solidarité.
Ces dernières années ont été marquées par la publication dans la presse d’enquêtes mettant en lumière des systèmes à grande échelle d’opacification de flux financiers – Pandora Papers, Panama Papers, CumEx Files –, illustrant parfaitement le caractère systémique et quasiment industriel de l’évasion fiscale. Ce constat confère aux responsables politiques, quels qu’ils soient, une responsabilité majeure.
Si nous ne pouvons nier les efforts réalisés ces dix dernières années et les progrès que représente la création du PNF, de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), force est de reconnaître que l’évasion fiscale reste un sujet d’ampleur sur lequel à ce jour beaucoup reste à faire en termes de dissuasion et de répression.
Plus de quatre ans après l’adoption de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, et à la suite de la conduite d’une première enquête sur les pratiques d’arbitrage de dividendes, connues sous le nom de CumEx Files, un consortium de journalistes a mis en lumière l’étendue des pertes fiscales colossales qu’entraînent ces pratiques abusives.
Le constat est sans appel : ces pertes s’élèvent à 140 milliards d’euros sur vingt ans pour les États concernés. Cela révèle, malgré les efforts faits ces dix dernières années, l’ampleur du travail qui reste à effectuer et l’urgence que constitue ce problème fondamental pour nos finances publiques, mais aussi pour notre pacte social et démocratique.
Je saluerai à ce titre le travail important et régulier que la commission des finances et le Sénat dans son ensemble mènent sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale ces dernières années, au gré de la mise en lumière de nouveaux schémas de dissimulation.
C’est d’ailleurs précisément à l’issue de ces travaux que notre assemblée avait à plusieurs reprises, et dans le cadre d’un consensus politique, adopté des amendements aux projets de loi de finances visant à faire échec aux opérations d’arbitrage de dividendes.
Hélas ! l’Assemblée nationale, en supprimant la partie du dispositif relatif aux montages externes, qui prévoyait un taux de retenue à la source nul pour le versement de dividendes à des résidents étrangers, a altéré l’efficacité de la mesure, qui n’a pu atteindre son plein potentiel, de sorte que ces montages abusifs perdurent.
Si nous sommes conscients de la difficulté de la tâche et de la complexité des montages, nous aimerions, car c’est notre devoir, nous assurer que la faiblesse des moyens dont dispose l’administration fiscale face à l’ampleur du problème ne constitue pas une forme de politique.
Aussi, monsieur le ministre, nous aimerions connaître les actions que vous entendez rapidement mettre en œuvre pour pallier les faiblesses juridiques et administratives persistantes, et savoir si c’est avec la même détermination dont le Gouvernement a fait preuve pour conduire la réforme des retraites qu’il mènera de front ce chantier essentiel.
Pour conclure, et au nom de mon groupe, je remercie nos collègues d’avoir permis une nouvelle fois d’engager ce débat. Il a le mérite de souligner les efforts colossaux qu’il reste à faire en cette matière : combattre les pratiques délétères destinées à lutter contre cette dimension importante, mais trop négligée, de la crise globale que subit le monde contemporain. (M. Éric Bocquet applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Je remercie le sénateur Parigi pour son intervention, à laquelle je répondrai en deux points.
D’abord, sur la question des moyens du contrôle fiscal. Vous le savez, je présenterai prochainement un plan de lutte contre les fraudes fiscales, sociales et douanières, auquel un certain nombre d’entre vous ont contribué en acceptant de faire partie du groupe de travail que j’ai proposé de constituer à l’ensemble des groupes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Je pense à M. Rambaud, qui est ici, mais également à M. Bocquet, qui a assisté à des réunions, ainsi qu’à Mmes Goulet et Vermeillet. Je ne peux pas citer tous les participants, mais un véritable travail a été mené.
À l’occasion de la présentation de ce plan, j’annoncerai un renforcement sensible des moyens du contrôle fiscal. J’ai déjà fait, de manière anticipée, une première annonce : celle du doublement du nombre des officiers judiciaires du SEJF,…
M. Jean-François Husson. Vous auriez pu le faire lorsque nous l’avons proposé !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. … une mesure qui avait effectivement été proposée par la commission des finances – et je salue le rapporteur général Husson, le président Raynal et Mme Vermeillet qui était, me semble-t-il, intervenue sur le sujet dans le débat sur la fraude fiscale. (Mme Nathalie Goulet le confirme.) Comme vous pouvez le constater, j’entends le Sénat et j’ai annoncé cette mesure par anticipation. D’autres annonces seront faites dans le cadre du plan sur le renforcement des moyens.
Second sujet sur lequel je veux revenir : le dispositif de 2019. Je n’occupais pas mes fonctions actuelles, mais, d’après ce qu’on m’a expliqué, mes prédécesseurs et la majorité parlementaire de l’époque à l’Assemblée nationale avaient revu le dispositif adopté afin qu’il soit conforme à la fois à la Constitution et à nos conventions fiscales. La grande crainte était celle, si ce dispositif n’était pas revu, d’une possible censure par le Conseil constitutionnel en raison – je le redis – d’une non-conformité à la Constitution et à nos conventions fiscales.
Il est trop tôt pour dire si le dispositif a un impact ou non. À la suite de l’adoption de celui-ci, une diminution du prêt-emprunt de titres autour des dates de versement des dividendes a été constatée. Faut-il voir dans cette corrélation un lien de causalité ? Il faut, me semble-t-il, être prudent et attendre quelque temps avant de le dire. Mais ce pourrait être un premier impact visible, même si – et nous y reviendrons dans ce débat – nous cherchons évidemment à parfaire notre doctrine et notre action sur ce sujet.
Mme le président. La parole est à M. Didier Rambaud. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Didier Rambaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le mardi 28 mars 2023 fera date dans l’histoire bancaire française. En effet, des perquisitions ont eu lieu dans pas moins de cinq grandes banques. Cette opération, la plus importante menée par le parquet national financier de toute son histoire, intervient dans le cadre d’enquêtes ouvertes pour fraude fiscale aggravée et blanchiment aggravé de fraude fiscale.
Bien que les investigations soient toujours en cours, ces mises en examen montrent l’importance présumée des fraudes fiscales aux dividendes sur le sol français. En effet, BNP Paribas et la Société Générale, sociétés visées par ces perquisitions, représentent à elles seules 61 millions de clients selon le site Statista.
Mes chers collègues, face à un tel séisme, revenons d’abord sur la définition de la fraude aux dividendes. Derrière cette appellation, aux origines diverses et protégées, la manipulation entraînant cette fraude fiscale aux dividendes se nomme le CumCum, une expression qui signifie « arbitrage de dividendes ».
Le principe est le suivant : un investisseur non-résident qui détient des actions d’une entreprise cotée en France transfère temporairement, vers la date de versement du dividende, la propriété de ses titres à un établissement bancaire français. Les banques étant domiciliées en France, elles ne sont pas soumises à cet impôt qui concerne les étrangers. L’actionnaire récupère ensuite son titre une fois le dividende versé, mais il faut préciser une chose importante : il est exonéré d’impôt.
Par d’ailleurs, nous pouvons mettre le doigt sur un autre phénomène qui constitue lui aussi une fraude fiscale aux dividendes : il se nomme le CumEx. Cette pratique a été mise en lumière en octobre 2018 grâce à une enquête menée par un groupe de médias internationaux, intitulée CumEx Files. Le principe de cette opération consiste à s’échanger, entre investisseurs, la même action autour de la date de paiement du dividende. Cette action entraîne une confusion dans l’administration fiscale qui ne parvient pas à déterminer le véritable bénéficiaire du dividende : chacun reçoit ainsi une attestation fiscale au titre de l’impôt sur les revenus du capital, pourtant payé une seule fois.
D’après la même enquête, la fraude aux dividendes aurait coûté au moins 33 milliards d’euros de recettes fiscales à la France entre 2000 et 2020.
Nous comprenons donc clairement que les acteurs concernés par cette fraude profitent d’un vide juridique.
Le problème étant maintenant identifié, plusieurs questions se posent à nous : quelle réponse législative et/ou réglementaire y apporter, à l’échelle de la France, à l’échelle européenne et internationale ? Avec quel calendrier et avec quels partenaires ?
Car, comme toujours dès qu’il s’agit de lutter contre les fraudes, la coopération est une des clés de l’efficacité ! Or, si nous voulons justement gagner en efficacité demain, nous devons bien évidemment trouver des partenaires, qui, jusqu’à présent, n’ont pas souhaité le devenir.
Et si nous ne pouvons pas convaincre tous les pays de nous rejoindre dans ce combat contre la fraude aux dividendes, peut-être pourrions-nous les y contraindre encore davantage que ce qui a été fait jusqu’à présent.
Mais une question demeure : comment, concrètement ?
Avec quels leviers pouvons-nous établir un rapport de force avec les pays qui, aujourd’hui, sont indéniablement silencieux, voire dans une certaine mesure complices de telles pratiques ?
Mes chers collègues, si nous reconnaissons que des réponses à l’échelle européenne ou internationale sont complexes et délicates à mettre en œuvre, il n’en demeure pas moins que nous pouvons d’ores et déjà apporter une réponse au vide juridique existant au sein de notre droit positif français.
Je me rappelle les débats que nous avions eus lors de l’examen des projets de loi de finances en 2019 et en 2022. Je me souviens notamment du dispositif initialement proposé par notre collègue Albéric de Montgolfier, repris par le rapporteur général Jean-François Husson.
Les schémas abusifs s’appuient sur des opérations de prêt ou de cession de titres, qui sont des opérations très courantes de couverture de position et font partie de l’activité normale des marchés, en France comme ailleurs. Il convient donc de ne cibler que les situations abusives dans lesquelles le non-résident évite délibérément la retenue à la source sur les dividendes.
Sur le plan international, l’instrument multilatéral Base Erosion and Profit Shifting (Beps), ou érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices, qui a été ratifié en 2018, vient progressivement modifier nos conventions.
Dans quelle mesure cet instrument permet-il précisément de remettre en cause les avantages des conventions en cas d’usage abusif, et notamment de treaty shopping ?
Le treaty shopping, appelé aussi « chalandage de traités », désigne la pratique des investisseurs qui cherchent délibérément à bénéficier de la protection plus avantageuse d’un traité bilatéral d’investissement (TBI) signé entre un État dont ils n’ont pas la nationalité et l’État hôte dans lequel ils ont investi.
Bien évidemment, je ne suis pas le seul à le penser : j’espère que le plan antifraude que vous présenterez bientôt, monsieur le ministre, permettra de gagner en efficacité pour endiguer ce phénomène mondial.
Car, au fond, lutter contre les fraudes, c’est agir sur bien d’autres aspects tout aussi importants pour notre démocratie. En luttant contre les fraudes sous toutes leurs formes, nous agissons pour restaurer la confiance de nos concitoyens dans l’action publique.
En ces temps où notre administration et nos institutions sont sans cesse remises en cause, tantôt à juste titre, tantôt injustement, je crois, mes chers collègues, qu’un tel combat est crucial. Tellement crucial qu’il doit être l’une de nos boussoles. C’est une priorité pour le Président de la République et, en tant que parlementaire, je poursuivrai mon engagement en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Je vous remercie, monsieur le sénateur Rambaud, pour votre intervention : elle montre que, pour nous, l’enjeu est d’être capable d’identifier les bénéficiaires effectifs des flux. Vous avez parlé de la nécessaire coopération avec un certain nombre de pays ; nous avons aussi décidé d’actionner le levier de la responsabilité des banques, qui doivent effectuer les diligences nécessaires pour identifier le bénéficiaire in fine des flux.
C’est, selon nous, l’esprit de la loi, que nous avons souhaité réaffirmer dans un Bulletin officiel des finances publiques (Bofip), c’est-à-dire un document de l’administration fiscale, publié au mois de février dernier. Il indique que la responsabilité d’identifier le bénéficiaire ultime du flux incombe aux établissements financiers. Il ne vous aura pas échappé que ce Bofip a été attaqué devant la justice administrative par des établissements bancaires et financiers.
Mais, je le redis, de notre point de vue et de celui de l’administration fiscale, l’esprit de la loi est que les établissements financiers et bancaires doivent réaliser les démarches permettant d’identifier le bénéficiaire effectif des flux qui sont engagés au titre du versement des dividendes, de la même manière qu’ils ont des responsabilités sur la question du blanchiment par exemple, avec des dispositifs et des clauses qui existent d’ores et déjà.
Mme le président. La parole est à M. Vincent Éblé.
M. Vincent Éblé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain de la mobilisation de près de deux millions de Français pour demander plus de justice sociale tout en exprimant une très grande hostilité à la réforme des retraites, je salue le choix de nos collègues du groupe communiste d’avoir proposé un débat sur le phénomène mondialisé des fraudes fiscales aux dividendes.
Il est de notoriété publique que nombre d’entreprises multinationales utilisent des stratégies de réduction de leur imposition. Ces pratiques représentent une perte de plusieurs milliards d’euros chaque année en recettes fiscales. Cela a des conséquences directes sur les services publics et les politiques sociales essentielles. Les experts évaluent la fraude fiscale globale entre 80 et 100 milliards d’euros par an. Ce volume nécessite de trouver des solutions, singulièrement en des temps budgétaires difficiles pour nos comptes publics. Nos concitoyens sont très sensibles à ces questions, car ils sont demandeurs d’équité fiscale entre tous.
Je veux ici concentrer mon propos sur les scandales financiers révélés par un consortium d’investigation – qui doit en être félicité –, tels les systèmes complexes des CumEx Files ou des CumCum, dont le circuit a très largement facilité la fuite de dividendes à l’étranger, échappant ainsi à toute imposition. Ce type de pratiques interroge sur la frontière entre l’optimisation fiscale et la fraude, qui est parfois difficile à cerner. Néanmoins, à partir du moment où la question de cette distinction est posée, il est évident que notre travail est d’adapter la législation et de réprimer les comportements d’évitement fiscal, qui sont moralement et politiquement inacceptables.
Notre commission des finances travaille depuis longtemps sur ces questions, ce qui lui a permis de réagir très vite lors de la révélation de l’affaire en 2018. En effet, président de ladite commission à cette date, nous avions déposé durant l’examen du projet de loi de finances pour 2019, avec Albéric de Montgolfier, alors rapporteur général, un amendement qui visait à apporter une solution aux comportements fiscaux douteux. Celui-ci avait été adopté à l’unanimité par le Sénat.
Le dispositif tenait en deux points.
Un premier visait à contrer les montages dits internes, lorsque des propriétaires d’actions non-résidents prêtent leurs titres au moment du versement des dividendes afin d’échapper à la retenue à la source. Nous avions proposé d’instaurer une retenue au taux forfaitaire de 30 % sur « tous les flux financiers qui correspondent indirectement à la rétrocession d’un dividende à un actionnaire non-résident ». Les banques ainsi taxées pouvaient obtenir le remboursement de cette retenue fiscale seulement si elles étaient en capacité de prouver que l’objet du prêt-emprunt de titres n’était pas fiscal.
Le second point visait à lutter contre les schémas d’évasion ou de fraude dits externes, qui voient des propriétaires d’actions les prêter, toujours autour de la date de versement des dividendes, au résident d’un État dont la convention fiscale signée avec la France ne prévoit aucune retenue à la source. C’est notamment le cas des conventions passées avec nombre de pays de la péninsule arabique. Pour contrer de tels dispositifs de contournement de l’impôt difficilement repérables par l’administration fiscale, la solution proposée consistait cette fois à obliger l’établissement payeur – la banque – à appliquer par défaut le taux interne de 30 %. Là encore, le bénéficiaire aurait pu réclamer le remboursement de l’impôt s’il présentait les justificatifs nécessaires.
En résumé, nous avions proposé d’inverser la charge de la preuve.
Malheureusement, ce bouclier antifraude a été vidé de sa substance par l’Assemblée nationale durant la navette parlementaire. Je le regrette fortement. En effet, en 2018, nos estimations de pertes pour le budget de l’État étaient évaluées à 3 milliards d’euros par an. Dans les délais écoulés, avec notre dispositif, nous aurions dû produire environ 12 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires. Ces moyens manquent cruellement dans nos caisses, notamment quand on rapproche cette somme du montant du déficit putatif de nos caisses de retraites, celui que le Gouvernement souhaite résorber par la réforme aujourd’hui contestée.
Monsieur le ministre, pourquoi, avec le gouvernement de l’époque, n’avez-vous pas soutenu notre amendement ou, à tout le moins, proposé une véritable amélioration du dispositif ?
Le Gouvernement s’était engagé en 2019 à nous présenter un bilan de situation pour légiférer de manière pertinente : où en est ce travail ?
Depuis cette date, aucun nouveau dispositif n’a été élaboré pour véritablement traiter la question que j’évoque ici. Qu’attendez-vous ? Le temps passe, mais le sujet demeure. Aujourd’hui, la prévision de distribution des dividendes des entreprises du CAC 40 est annoncée comme un record pour l’année 2022, celles-ci affichant plus de 140 milliards d’euros de résultat net. En cette période, les Français comprendraient mal s’il devait encore y avoir des dividendes échappant à toute taxation.
Concernant les procédures en cours, dont vous avez dit, monsieur le ministre, qu’elles étaient largement médiatisées, il faut distinguer les perquisitions, que j’imagine actionnées par la justice, et une perspective d’accord entre l’administration fiscale et le Crédit Agricole. Est-ce le retour du verrou de Bercy ?
Dans tous les cas, il n’est jamais trop tard pour agir.
À défaut de meilleurs dispositifs, notre bouclier antifraude reste à la disposition du Gouvernement et pourrait produire rapidement des effets utiles pour nos comptes publics.
Dans cette période de tension pour notre pays, appuyez-vous sur la sagesse du Sénat, qui n’est pas inutile en matière de fraude et d’évasion fiscale ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet et Mme Nathalie Goulet applaudissent.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Si je retiens un sujet, parmi les différents qui ont été abordés, sur lequel je n’ai pas encore apporté de réponse depuis le début du débat, c’est celui des conventions fiscales nous liant à un certain nombre de pays et qui prévoient des taux nuls de retenue à la source pour le versement des dividendes. Ce sujet avait d’ailleurs animé notre discussion lors de l’examen du projet de loi de finances.
La liste des pays concernés est assez réduite.
Mme Nathalie Goulet. Oui !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. La renégociation est un bon objectif, qui peut parfois être difficile à atteindre. Mais elle mérite d’être engagée. Je peux vous annoncer que nous venons de parvenir à un accord avec l’administration de la Finlande, qui fait partie des rares pays avec lesquels notre convention fiscale prévoit aujourd’hui un taux nul de retenue à la source, pour une révision de la convention fiscale afin de passer à un taux standard de 15 %.
Cet accord entre nos administrations a été long à trouver, et il faut en général un certain temps pour le traduire dans les faits. Vous serez saisis de la ratification de cette nouvelle convention fiscale au cours de l’année 2024. Mais c’est bien la preuve qu’il est possible de renégocier, y compris pour passer d’un taux nul à un taux de 15 %.
Je n’ai pas répondu précédemment à la question du sénateur Rambaud sur le standard Beps. Nous y sommes évidemment très favorables dans le cadre des discussions à l’OCDE, car cela permettrait d’avoir une forme de clause générale anti-abus qui s’appliquerait à l’ensemble des pays avec lesquels nous avons des liens.
Mme le président. La parole est à M. Vincent Éblé, pour la réplique.
M. Vincent Éblé. Je veux simplement indiquer à M. le ministre que notre proposition vise à agir avant la transmission de la détention des actions dans un pays tiers. Nous demandons que soit taxé l’établissement français qui détient les titres, lequel serait alors redevable de cette taxe à hauteur de 30 %. Il n’est pas nécessaire de toucher aux conventions fiscales.
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous ne serez pas étonnés que je me félicite de ce débat demandé par mon groupe, qui nous permet de prendre un peu de hauteur face à l’amalgame que ne cesse de faire le Gouvernement, en mettant sur un pied d’égalité la fraude fiscale et la fraude dite sociale.
Monsieur le ministre, je ne vous citerai pas, mais deux de vos collègues, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, stigmatisent les étrangers qui frauderaient les prestations sociales. Préférer gouverner par la peur de l’étranger, en créant un ennemi imaginaire alors même que le monde bancaire et financier est bien plus responsable de l’aggravation des inégalités, me paraît un jeu dangereux !
Cela a été dit par certains de mes collègues, il s’agit là d’une manipulation grossière, car nous savons tous ici que le montant estimé des fraudes fiscales se situe entre 80 milliards et 100 milliards d’euros, dont moins de 14 % ont été recouvrés en 2019, quand la fraude aux prestations sociales de la caisse d’allocations familiales (CAF) n’atteint, cette année-là, même pas le milliard d’euros. Il faut arrêter ces amalgames et ces manœuvres grossières – il serait bien que nous en prenions acte aujourd’hui. Cessons d’attiser les peurs et d’insuffler la haine pour justifier le durcissement des politiques et l’incapacité à faire des économies sur le résultat des entreprises !
Pour cette seule infraction des CumCum, pour seulement cinq banques, le montant indûment détourné des caisses de l’État pourrait s’élever à 3 milliards d’euros. Trois fois plus que la priorité politique gouvernementale du moment !
Je vous pose donc la question, monsieur le ministre : disposons-nous bien de tous les outils législatifs pour préserver nos recettes fiscales de la fraude aux dividendes ? Vous avez commencé à y répondre, mais j’aimerais que vous alliez plus loin.
Aucune disposition n’a pourtant été prévue dans le dernier budget, si ce n’est de rejeter les propositions quasi unanimes du Sénat pour lutter contre ce pillage fiscal qu’est la fraude aux dividendes.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui…
M. Pascal Savoldelli. L’administration s’appuie dans ses investigations sur la notion d’abus de droit et, plus récemment, sur une jurisprudence européenne datant de 2019 relative aux « bénéficiaires effectifs » des exonérations fiscales, ainsi que sur une décision du Conseil d’État allant dans le même sens. Ce changement permet de déterminer, en cas de cession de titres, l’entité qui a un réel intérêt économique dans l’opération. Question : le droit français doit-il s’adapter à ce revirement jurisprudentiel ou, en tout cas, l’accompagner ?
Les enquêtes en cours ouvertes et diligentées par le parquet national financier attestent d’un phénomène d’ampleur, qui n’est pas nouveau – il a même une certaine ancienneté. Je me souviens que notre ancien rapporteur général, Albéric de Montgolfier, avait montré que le volume d’opérations de prêt-emprunt de titres était, en 2018, multiplié par huit à la période de détachement de dividendes.
Monsieur le ministre, qu’en est-il pour la période récente ?
La résurgence, à la faveur des investigations du PNF, de la fraude aux dividendes s’inscrit dans un contexte qui donne – vous en conviendrez – une acuité toute particulière à cette problématique.
Premièrement, quand nous cherchons quelques milliards d’euros pour les retraites, mais que les prélèvements sociaux sur les dividendes échappent au financement de la protection sociale, il est difficile de ne pas y voir au moins une partie de la solution.
Deuxièmement, parce qu’il y a une véritable passion française pour les dividendes depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir – vous avez dit, lors de votre audition, qu’il fallait arrêter d’employer le terme « paradis » : je change donc de terme pour parler de « passion ». L’instauration du prélèvement forfaitaire unique, la fameuse flat tax, a produit dès la première année, en 2018, une explosion de 60 % des dividendes versés aux particuliers, qui se sont élevés cette année-là à 23,2 milliards d’euros.
La conséquence, comme l’indiquait France Stratégie, est que la fortune des 0,1 % de Français les plus aisés a augmenté de seulement 25 % depuis 2017. Autant vous dire qu’ils sont encore bien plus riches depuis… Au moins, ils peuvent vous remercier !
L’année dernière, la folie se poursuivait. La France est le pays qui a connu la croissance la plus importante du montant de dividendes versés en Europe : 59,8 milliards d’euros, soit une croissance de 4,6 %. Une tendance soutenue par 95 % des entreprises, qui ont maintenu ou augmenté leurs dividendes par rapport à 2021. Autant de valeur qui échappe aux travailleurs, aux investissements et aussi, disons-le, à l’administration fiscale.
Records de dividendes, records de rachats d’actions, et, pourtant, les dividendes que l’on ne peut pas frauder sont ceux que l’on n’a pas versés !
C’est pourquoi nous avions proposé, quasi unanimement, des amendements aux projets de loi de finances pour 2019 et 2022 pour instituer des dispositifs permettant de mieux lutter contre la fraude aux arbitrages de dividendes.
Mais il faut aller plus loin, on le sait, et d’autres collègues ici en sont convenus. Nous devons enrayer la fuite de 140 milliards d’euros, par l’entremise de la Commission européenne ou de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans l’attente de telles initiatives, nous devrions renégocier systématiquement les conventions fiscales bilatérales. Vous avez évoqué la Finlande, mais il faut élargir le champ à d’autres pays, comme le Luxembourg. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.) Et là, il faut faire bien plus qu’une renégociation sur la question de la retenue à la source sur les dividendes…
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Pascal Savoldelli. Nous pouvons aussi déterminer les cas pour lesquels les prêts-cessions de titres sont légitimes.
Monsieur le ministre, vous avez cent jours pour faire tout cela ! (Rires sur les travées des groupes CRCE et SER. – Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Vincent Éblé. Et tout le reste !
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez critiqué l’instauration de la flat tax en citant France Stratégie. Nous avons eu ce débat lors de la discussion du projet de loi de finances, mais je veux vous rappeler que France Stratégie elle-même a indiqué que la flat tax était autofinancée et que la mise en place du prélèvement forfaitaire unique, du fait du surcroît d’activité économique qu’il a engendré, avait permis des recettes supplémentaires conformes à celles que nous retirions auparavant de la taxation sur les dividendes. Je vous adresserai les documents qui me servent de sources.
Vous êtes revenu sur un deuxième sujet : l’évolution du dispositif adopté en 2019. Je le redis : si mes prédécesseurs et la majorité à l’Assemblée nationale ont à l’époque revu le dispositif adopté ici, c’est pour qu’il soit conforme aux normes supérieures, à savoir la Constitution et nos conventions fiscales. La réalité, c’est qu’il avait alors été estimé que le risque était trop grand d’une censure totale du dispositif. Celui qui a été adopté a le mérite de pouvoir s’appliquer et d’avoir été validé par le Conseil constitutionnel. Encore une fois, je pense qu’il est trop tôt pour en mesurer les effets ; j’ai indiqué précédemment ce qui pouvait être considéré comme de premiers effets.
Troisième sujet, vous me demandez s’il faut faire évoluer la loi du fait de ce que vous avez qualifié de revirement jurisprudentiel. Je le redis, mon ministère a publié une nouvelle doctrine fiscale avec le Bofip présenté en février dernier, qui s’appuie sur une jurisprudence du Conseil d’État. Si nous avons publié un Bofip et si nous n’avons pas proposé une évolution législative, c’est que nous considérons que l’esprit de la loi permet déjà d’aller vers ce que j’ai déjà évoqué : la responsabilité pour les établissements financiers d’identifier le bénéficiaire ultime des flux.
Je suis convaincu que le Conseil d’État validera ce Bofip, qui s’appuie – j’y insiste – sur sa jurisprudence même. De notre point de vue, il n’y a pas lieu de faire évoluer la législation sur le sujet.
Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, nous n’avons pas la même lecture, ou la même interprétation, des documents de France Stratégie. Je vous redis, et c’est vérifiable, car c’est une citation, que 0,1 % des plus riches ont depuis 2017 amélioré leur rendement de 25 %. Je connais très peu de petites entreprises, d’artisans, de salariés, de travailleurs indépendants qui ont eu de tels résultats depuis cette date ! C’est le premier point que je souhaitais aborder, qui pose la question de la redistribution.
Vous avez évoqué l’autofinancement de la flat tax. Mais c’est une évidence, on le sait tous ici. Donc actons les évidences ; en revanche, vous savez bien que le sujet est d’une grande actualité. Le taux d’augmentation des dividendes des entreprises est de plus de 60 %. Aussi, à la question que nous évoquons aujourd’hui de la fraude fiscale s’ajoute celle de la redistribution. Je vous le redis avec humour, mais insistance : il vous reste un peu moins de cent jours !
Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet.
Mme Sylvie Vermeillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe CRCE nous propose ce soir un sujet épineux, ardu, mais passionnant, et je le remercie, au nom de mon groupe, de nous inviter à cette réflexion.
Les membres de la commission des finances se souviennent de l’exceptionnelle audition du 1er décembre 2021 sur les outils de lutte contre les pratiques d’arbitrage de dividendes, au cours de laquelle le chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal de la DGFiP, M. Iannucci, avait bien du mal à se faire comprendre par le directeur général délégué de la Fédération bancaire française, M. Barel.
Entre contrôle de l’encaissement de l’impôt dû et menace de perte de compétitivité des établissements bancaires français à l’échelle mondiale, les logiques se sont combattues avec courtoisie, mais sans concessions.
Tout d’abord, les pratiques en matière de CumCum et de CumEx ont cours depuis maintenant tant d’années que tout se passe, du point de vue des utilisateurs, comme si elles étaient normalisées, voire légalisées. Les enjeux financiers sont désormais tels qu’ils sont considérés comme acquis et que toute tentative de suppression dans un pays rendrait son gouvernement responsable de la perte de compétitivité de ses banques. Dans le même temps, personne ne s’inquiéterait des milliards d’impôts qui échapperaient aux États…
Pourtant, mieux vaut tard que jamais : même si nos administrations fiscales européennes ont eu du mal à appréhender ces phénomènes de fraude, elles méritent tout notre soutien pour ne rien lâcher dans la bagarre et reprendre le dessus. Elles ont surtout besoin de moyens pour parvenir à y voir clair.
Comme le dit avec sagesse M. Iannucci : « L’objectif principal est d’identifier les abus, sans toutefois paralyser les marchés financiers, notamment les opérateurs français. » Il ajoute : « C’est un problème de compétences. Comment avoir des vérificateurs suffisamment spécialisés, ayant des compétences pointues sur ces mécanismes ? »
J’ai déjà dit ici qu’il nous fallait les meilleurs des meilleurs, les former, les recruter, donc les rémunérer à la hauteur de leurs qualités : nul besoin de rappeler ce que gagnent ceux qui sont du côté de l’optimisation ou de la fraude fiscales…
Nous devons ensuite – et j’espère que cela ne relève pas de l’utopie – faire de nos impôts des outils simples, à l’image de la flat tax. La complexité de notre fiscalité fait le bonheur des fraudeurs, qui disposent de tous les moyens de la déjouer. Plus nous cherchons à les punir, plus ils s’échinent à inventer le système qui les affranchit.
Puisqu’ils ont systématiquement un coup d’avance, revenons à des dispositifs plus directs, plus facilement contrôlables par notre administration fiscale. Ne pas le faire nous coûtera toujours plus cher : c’est ainsi que l’administration allemande a remboursé plus de dix fois par action la même retenue à la source sans avoir pu vérifier que l’impôt avait été acquitté.
Par la mise à jour du Bofip du 15 février 2023 et deux rescrits, notre administration apporte des précisions sur l’application de la retenue à la source aux rétrocessions de dividendes de source française à des non-résidents : elle attaque sous l’angle du bénéficiaire effectif afin de cibler le redevable de l’impôt. Bref, elle ne fait pas que contrôler : elle est obligée de réagir à la fraude. Nous n’intégrons pas suffisamment cette réalité lors de nos inventions fiscales.
Pour que l’État reste maître de ses lois de finances, nul besoin d’un miracle : il faut de la détermination et des compétences.
Enfin, dans un esprit de Nation, rien n’interdit aux établissements bancaires français de proposer eux-mêmes des solutions, que nous aurons plaisir à étudier (Mme Françoise Férat et M. Franck Menonville applaudissent.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Je remercie Sylvie Vermeillet pour son intervention, qui enrichit utilement notre débat et dans laquelle je me retrouve en grande partie.
Nous avons parfois l’impression que la fraude a un coup d’avance. L’enjeu, c’est d’être capables de porter les évolutions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour essayer d’anticiper un certain nombre de phénomènes. Cela n’est pas toujours facile, comme nous l’avons vu au cours des travaux du groupe de travail sur la lutte contre toutes les fraudes.
Si la loi de 2018, défendue par mon prédécesseur Gérald Darmanin, n’a pas réglé tous les problèmes, elle a permis des progrès très importants sur un certain nombre de sujets relatifs à la lutte contre la fraude fiscale.
Je vous rejoins également sur la possible coopération du secteur. N’opposons pas, en permanence, les uns aux autres.
Oui, il faut identifier les comportements frauduleux, mais sans jeter l’opprobre sur l’ensemble des établissements bancaires et financiers, qui parfois souffrent eux-mêmes de la relative opacité des règles internationales.
Oui, il faut traquer les comportements frauduleux, mais sans affaiblir la place de Paris comme place de référence du système bancaire mondial.
Oui, il faut agir résolument contre les fraudes, mais sans stigmatiser les établissements bancaires, qui, je le rappelle, financent aussi l’activité économique française et les investissements de nos PME, TPE et ETI.
Voilà notre responsabilité : trouver les bons leviers pour agir efficacement. Frauder, c’est se soustraire à la solidarité nationale et aux politiques publiques. Il faut aller chercher la fraude là où elle est, sans stigmatiser ni jeter l’opprobre sur tout un secteur et en travaillant le cas échéant avec ses acteurs, afin qu’ils nous fassent eux-mêmes des propositions : bien évidemment, nous y sommes très ouverts.
Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour la réplique.
Mme Sylvie Vermeillet. Merci pour votre réponse, monsieur le ministre. L’une des banques initialement visées, comme l’a indiqué Éric Bocquet, a accepté de réviser ses pratiques : pourquoi les autres n’en feraient-elles pas autant ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme le président. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. Christian Bilhac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2018 éclatait le scandale des CumEx Files, révélé par un consortium international de journalistes lanceurs d’alerte. Comme cela a été dit, cette technique d’évasion fiscale frauduleuse consiste, pour les détenteurs d’actions, à détourner la fiscalité sur leurs dividendes.
Dans le cas des CumEx, ils procèdent à l’échange d’actions, avec des banques complices, avant la date du versement des dividendes, rendant la tâche d’identifier le propriétaire des actions redevable de la taxe difficile, voire impossible pour le fisc ; il est même arrivé que le Trésor public rembourse des trop-perçus imaginaires…
La pratique des CumCum s’appuie, quant à elle, sur les différences de fiscalité entre pays. Des banques européennes ont ainsi aidé leurs clients à échapper à cette taxe sur les dividendes, avec une perte évaluée, en 2018, à 55 milliards d’euros, pour onze États européens.
De nouveaux calculs estiment plutôt à 140 milliards d’euros le montant de ce braquage fiscal à l’échelle mondiale, dont 33 milliards d’euros envolés pour le fisc français sur les vingt dernières années.
En France, il y a un mois, le parquet national financier a conduit la plus vaste opération jamais menée, perquisitionnant cinq banques soupçonnées de blanchiment aggravé de fraude fiscale aggravée, pour complicité d’évasion fiscale visant à échapper à la taxe sur les dividendes sur leurs actions placées dans des entreprises françaises.
Pour mener cette opération, le PNF a mobilisé 16 de ses 19 magistrats, 150 enquêteurs sur les 250 que compte le SEJF de Bercy et a été aidé par six procureurs allemands.
En concluant un accord avec le fisc et en s’acquittant de 35 millions d’euros d’arriérés d’impôts et d’amende, une seule banque a reconnu les faits et accepté un redressement fiscal, échappant ainsi à des perquisitions et des poursuites pénales.
Les autres encourent 1 milliard d’euros de redressement fiscal, assortis d’amendes pénales pouvant aller jusqu’à 50 % de l’impôt dû.
Le groupe CRCE, que je remercie pour l’inscription de ce débat à l’ordre du jour, nous donne l’occasion de rappeler qu’un amendement du Sénat avait été rejeté en 2018 par l’Assemblée nationale et que les recommandations de la mission d’information du Sénat, publiées en 2022, n’ont pas non plus été entendues, malgré des pistes pertinentes comme la production de données sur la fraude fiscale pour le budget de 2024, le doublement du nombre d’officiers fiscaux judiciaires – qui sont 40 aujourd’hui –, la révision des « conventions fiscales internationales prévoyant un taux de retenue à la source nul sur les dividendes », etc.
Monsieur le ministre, vous avez mis en place un groupe de travail, dont je suis membre, pour préparer un plan de lutte contre la fraude fiscale, douanière et sociale qui rendra ses conclusions très prochainement. Je ne doute pas que vous tiendrez compte de notre débat.
Renforcer l’arsenal de l’État, y compris en passant par la loi, est essentiel pour combattre les nouvelles formes de fraude fiscale, avec de nouveaux outils. Il faut aussi des mots justes, et vous les avez employés, monsieur le ministre : ces pratiques sont frauduleuses et la haute finance joue sur la frontière étroite entre optimisation fiscale légale et évasion fiscale frauduleuse. Il ne peut y avoir de double langage face à une fraude qui prive l’État des moyens d’agir pour l’intérêt général.
Les progrès du data mining et des algorithmes sont encourageants, mais le recrutement et la formation de personnes compétentes en nombre suffisant sont primordiaux. Investir des moyens de grande ampleur pour récupérer les milliards d’euros de l’évasion fiscale aux dividendes serait très utile, pour reprendre l’exemple avancé par notre collègue Bocquet, pour financer les retraites des Français, mais aussi pour redresser nos finances publiques à l’heure où la note de la France vient d’être abaissée par l’agence Fitch.
En matière de fraude fiscale, le filet antifraude doit être à la fois à fine maille et solide, non pas comme la toile d’araignée, qui, comme chacun le sait, capture les moucherons, mais laisse passer les bourdons. (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Sylvie Vermeillet applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Merci monsieur le sénateur pour votre intervention, qui me permet de rebondir sur deux points que vous avez évoqués : les révélations des papers – Panama Papers et Paradise Papers – et le plan de lutte contre les fraudes que je présenterai prochainement.
L’administration fiscale a beaucoup travaillé ces dernières années sur la base de ces fameux papers, révélés par des lanceurs d’alerte et des consortiums de journalistes. Je souhaite que la France produise ses propres papers, en se dotant d’outils permettant d’aller chercher l’information. Cela fait partie des dispositifs que j’annoncerai dans le cadre du plan de lutte contre la fraude fiscale.
Votre question me permet aussi de faire un point à date sur les papers.
Les Panama Papers, révélés par l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) en avril 2016, ont conduit à un très gros travail de l’administration fiscale, avec la mobilisation de l’assistance internationale. À la suite des contrôles et des régularisations, nous avons identifié, au 30 septembre 2022, environ 200 dossiers concernant des résidents français, pour un montant récupéré de près de 180 millions d’euros.
S’agissant des Paradise Papers, révélés en 2017 et en 2018, nous en sommes à 35 dossiers identifiés concernant des résidents français, pour un montant récupéré d’environ 12 millions d’euros et les travaux se poursuivent.
Vous le voyez : l’administration fiscale a engagé un gros travail à la suite de ces révélations.
L’un des enjeux du plan de lutte contre les fraudes que je présenterai est de nous doter d’outils qui nous permettent de récupérer l’information auprès de ceux qui contribuent à cette évasion fiscale par la dissimulation d’avoirs à l’étranger. Je ferai des annonces très concrètes en ce sens.
Mme le président. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier nos collègues du groupe CRCE d’avoir proposé ce débat, qui s’inscrit dans la continuité des travaux de notre commission des finances et de notre assemblée depuis la publication des CumEx Files en 2018.
Dès la divulgation de ces pratiques d’arbitrage de dividendes, qui coûteraient à la France entre 1 et 3 milliards d’euros par an, le groupe de suivi de notre commission des finances sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales s’était immédiatement emparé de ce sujet en proposant notamment un dispositif anti-abus. Celui-ci fut adopté par le Sénat dans le cadre de la loi de finances pour 2019, grâce au vote d’amendements identiques présentés par la quasi-totalité des membres du groupe de travail, et notamment par mon prédécesseur, Albéric de Montgolfier.
Le dispositif tendait à lutter contre les montages internes et externes d’arbitrages de dividendes. Nous savons tous ici de ce qu’il en advint : le Gouvernement de l’époque et sa majorité à l’Assemblée nationale l’ont, malheureusement, considérablement affaibli.
Le mécanisme anti-abus a été restreint aux seules opérations de prêt-emprunt de titres, empêchant de mieux lutter contre des montages reposant sur des produits plus complexes.
Surtout, l’utilisation abusive des conventions fiscales prévoyant des taux de retenue à la source sur les dividendes de 0 % a perduré, le Gouvernement n’ayant jamais cherché à renégocier ces conventions.
Parallèlement, l’administration fiscale, le PNF et les enquêteurs du service d’enquêtes judiciaires des finances et de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale ont engagé des travaux pour identifier ces montages et le préjudice fiscal pour l’État, au détriment de l’ensemble des citoyens.
Avant même les spectaculaires perquisitions dont la presse s’est fait l’écho en mars dernier, la mission d’information de notre commission des finances sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, dont j’étais le rapporteur, avait salué le travail réalisé par les services d’enquête et appelé à un renforcement de leurs moyens humains.
Leur professionnalisme et leur capacité à traiter des dossiers très complexes sont reconnus et les dossiers qui leur sont confiés sont de plus en plus nombreux, sans accroissement proportionnel de leurs moyens.
Lors de l’examen de la loi de finances pour 2023, nous avions proposé un redéploiement de crédits pour doubler les effectifs d’officiers fiscaux judiciaires du SEJF d’ici à cinq ans. Malheureusement, monsieur le ministre, vous aviez émis un avis défavorable. Mais, depuis lors, vous avez fait acte de contrition, car quelques mois plus tard, vous annonciez un renforcement du SEJF dans le cadre du futur plan de lutte contre la fraude. Quelle perte de temps ! Quel manque d’anticipation !
Répondre aux CumEx Files, et plus généralement à tous les montages fiscaux abusifs de grande ampleur, c’est donc d’abord renforcer les moyens des services d’enquêtes et de poursuites. C’est ensuite savoir qualifier ces montages et mettre en place des dispositifs anti-abus véritablement efficaces.
Nous savons que le scandale des CumEx Files n’a pas touché tous les pays avec la même ampleur. L’Allemagne aurait subi les pertes les plus importantes, de l’ordre de 50 milliards d’euros. En effet, contrairement à la France, le système allemand a permis à certains intermédiaires de demander le remboursement de la retenue à la source sur les dividendes, alors même qu’aucune retenue n’avait été opérée. Ces remboursements indus sont les plus facilement qualifiables de fraude.
Les montages, internes et externes, qui se sont développés en France sont plus difficiles à caractériser et se situent à la frontière entre fraude, optimisation et évasion fiscales. Nous l’avons longuement évoqué lors de la table ronde organisée par la commission des finances en décembre 2021 et qui avait vocation à poursuivre nos travaux sur le sujet.
Il convient en effet, pour l’administration fiscale comme pour les enquêteurs, puis les magistrats, de distinguer ce qui relève du fonctionnement normal des marchés de ce qui relève de manœuvres abusives. Il ne s’agit évidemment pas de paralyser les marchés financiers : le recours à des opérations de prêt-emprunt de titres ou de vente à découvert peut évidemment se justifier d’un point de vue économique, pour assurer la liquidité du marché et pour améliorer le mécanisme de formation des prix. Néanmoins, les autorités de supervision nationales comme européennes considèrent que, si ces opérations sont utiles, elles comportent un risque de déstabilisation et d’abus.
L’Autorité européenne des marchés financiers relevait ainsi, en septembre 2020, que les montages internes et externes d’arbitrages de dividendes présentaient plusieurs marqueurs de fraude fiscale.
Il faut donc arriver à distinguer ce qui relève du fonctionnement courant des marchés de ce qui relève de l’exceptionnel. Peut-on dire qu’un surplus de valorisation de titres prêtés à la date de détachement de dividendes de 160 milliards d’euros relève du fonctionnement normal des marchés ? Il est permis de suspecter dans cette manœuvre un objectif avant tout fiscal, pour faire en sorte que les personnes redevables de la retenue à la source sur les dividendes ne soient plus propriétaires du titre au moment de leur versement.
Je fais confiance aux enquêtes menées pour nous apporter de premiers éclairages sur la qualification de tels montages d’arbitrages de dividendes.
Il nous reviendra ensuite, à nous législateur, d’en tirer les conséquences. Faudra-t-il renforcer le dispositif anti-abus introduit sur l’initiative de notre assemblée ? L’abus de droit et l’identification des bénéficiaires effectifs sont-ils suffisants pour faire toute la lumière sur des schémas potentiellement abusifs ?
Comptez sur moi pour poursuivre les travaux de la commission sur le sujet, y compris dans nos fonctions de contrôle. Je rappelle à ce titre que la recommandation n° 20 du rapport de notre mission d’information demandait au Gouvernement de renégocier certaines conventions fiscales pour prévenir la mise en place de montages abusifs.
Renforcer les services d’enquêtes spécialisés, évaluer le dispositif anti-abus et renégocier les conventions fiscales : voilà ce que serait une réponse claire au phénomène des CumEx Files.
Monsieur le ministre, à vous de jouer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Merci, monsieur le rapporteur général Husson. Oui, la commission des finances a réalisé un très gros travail, que je tiens à saluer.
Il est vrai qu’un amendement avait été déposé lors de l’examen du projet de loi de finances sur le SEJF. J’en avais demandé le retrait, dans l’attente des travaux du groupe de travail sur la fraude fiscale. Je ne le regrette pas, car votre amendement prévoyait un doublement du nombre d’officiers du SEJF d’ici à 2027, là où je propose un doublement d’ici à 2025 : nous irons donc plus vite que ce que vous aviez prévu avec votre amendement. L’esprit est le même que ce que vous aviez proposé et je vous en remercie.
J’en profite pour saluer les équipes de la DGFiP, qui font le travail d’action administrative. On parle beaucoup du SEJF, dont le travail doit être salué – c’est pourquoi ses effectifs d’officiers seront doublés –, mais à côté du volet judiciaire, il y a aussi le volet administratif.
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. L’action de mise en conformité des banques, menée par les équipes de la direction générale des finances publiques, a permis de recouvrer 2,5 milliards d’euros ces dernières années. Nous devons aussi les saluer dans nos interventions.
Sur le renforcement des moyens du SEJF que vous aviez proposé, j’ai annoncé que nous le ferons.
Sur l’évaluation de la clause anti-abus, j’ai apporté de premiers éléments et indiqué que la nouvelle doctrine fiscale publiée en février dernier nous permettra d’être plus efficaces.
Sur les conventions fiscales, j’ai annoncé l’aboutissement d’une renégociation avec un pays qui prévoit aujourd’hui un taux nul pour la retenue à la source du versement de dividendes.
Nous avançons donc sur les trois leviers que vous avez mentionnés. Nous souhaitons bien entendu aller plus loin et je suis convaincu que nous y parviendrons ensemble.
Mme le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Merci à nos collègues du groupe CRCE d’avoir proposé ce débat qui fait partie de la vie de la société.
Les perquisitions menées par le PNF au siège de plusieurs banques en mars dernier feront date. Elles ont remis dans l’actualité deux pratiques financières aux accents latins : les CumCum et les CumEx.
Les CumEx avaient déjà fait les gros titres en 2018, lors des révélations de seize médias internationaux, dont Le Monde. Les perquisitions de mars dernier en sont d’ailleurs la conséquence : elles font suite aux enquêtes préliminaires ouvertes en décembre 2021 sur des soupçons de fraude fiscale aggravée et de blanchiment, contre plusieurs grandes banques.
Pourtant, ce sont les CumCum qui sont à présent au cœur des débats. C’est sur ces pratiques que le PNF enquête désormais, afin de déterminer s’il s’agit bien de fraude fiscale, c’est-à-dire si l’intention d’échapper à l’impôt est caractérisée.
Qu’est-ce qui les différencie ? À peu près la même chose que ce qui différencie l’optimisation fiscale de la fraude fiscale. Dans les deux cas, il s’agit de transférer temporairement un titre financier, afin de diminuer la fiscalité sur les dividendes perçus. Dans les deux cas, le titre est transféré avec le bénéfice du dividende auquel il donne droit.
Mais dans le cas des CumEx, la propriété du titre est également transférée afin de tromper l’autorité fiscale. Dans le cas des CumCum, l’opération s’effectue dans un cadre légal, où des intermédiaires opèrent pour le compte des détenteurs de titres afin d’améliorer leur rendement.
La première des réponses à la fraude fiscale, c’est la clarification, entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Il appartient au Parlement d’écrire la loi et donc de donner cette première réponse. Mais ce n’est pas notre rôle d’entretenir la confusion entre fraude et optimisation fiscales.
Cette clarification vaut aussi pour les montants qui sont en jeu. Or, en la matière, le flou prédomine. Comment en serait-il autrement ? Par essence, la fraude fiscale est ce qui échappe au cadre légal, et donc à la calculette de Bercy.
Les médias ont diffusé de nombreux chiffres. On parle de milliards, souvent de dizaines, voire de centaines de milliards. On a évoqué le chiffre de 140 milliards d’euros de recettes publiques perdues à l’échelle internationale et de 33 milliards rien que pour la France. Il s’agit cependant d’une estimation sur vingt ans, ce qui réduit la facture annuelle.
La guerre des chiffres doit pourtant avoir lieu. Lors de son audition par la commission des finances du Sénat, Alexandra Givry, directrice de la direction des données et de la surveillance de l’Autorité des marchés financiers (AMF), a avancé une fourchette très différente : entre 400 millions et 1 milliard d’euros de pertes fiscales annuelles liées aux opérations de prêt-emprunt.
Mon propos n’est pas de relativiser l’impact de ces pratiques. Mais, lorsqu’on affirme que la lutte contre la fraude fiscale résorbera notre déficit public ou financera tout notre système de retraite, on va un peu vite en besogne.
En tout état de cause, notre groupe soutient une clarification du cadre fiscal applicable aux dividendes.
Dans le cas des CumEx, il s’agit de pratiques illégales et de fraude caractérisée. Nous sommes favorables à ce que l’appareil d’investigation et de sanction soit renforcé. Si la France ne semble pas être le pays le plus exposé à ce type de fraude, il est néanmoins nécessaire que nous puissions coopérer au niveau international pour enrayer ces pratiques.
Pour les CumCum, le Sénat a été force de proposition dès 2018. Au cours l’examen de la loi de finances pour 2019, plusieurs amendements, dont un de notre groupe, ont été adoptés pour clarifier le cadre existant. Malheureusement, notre proposition n’a pas été retenue par l’Assemblée nationale.
Des améliorations ont toutefois été adoptées, comme la contrainte des 45 jours de détention du titre. C’est une avancée notable.
Nous proposions à l’époque d’aller encore plus loin, en étendant la retenue à la source de l’impôt à tous les versements équivalant à des dividendes indirects à des non-résidents. Cette solution s’inspire directement du cadre légal applicable aux États-Unis, et plus précisément de la section 871(m) de leur code général des impôts. Elle a l’avantage de réduire drastiquement les dérives, de sécuriser le cadre légal pour les banques et de préserver l’attractivité de la place financière de Paris.
J’espère que nous pourrons progresser dans ce sens. C’est ce que les Français attendent de nous.
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Merci, monsieur le sénateur Verzelen, de votre intervention.
Plusieurs estimations du préjudice ont été avancées, mais nous ne disposons pas d’éléments nous permettant d’infirmer certaines évaluations très élevées, notamment les 33 milliards d’euros sur vingt ans. Je ne confirme pas ce chiffre : les évaluations se poursuivent.
Je peux cependant communiquer sur le chiffre de 2,5 milliards de droits notifiés, pénalités comprises, à la suite des vagues de contrôles réalisés par mon ministère.
Nous devons travailler avec un très grand nombre d’acteurs. Vous avez cité l’Autorité des marchés financiers, avec laquelle nous échangeons très régulièrement, afin d’évaluer la réalité du phénomène et de vérifier que nous n’entravons pas des activités bancaires classiques.
Nous devons travailler avec des acteurs qui connaissent parfaitement le fonctionnement du système bancaire pour être certains de ne pas entraver une activité bancaire nécessaire. Comme vous, nous voulons préserver la place financière de Paris dans le rapport de force international.
Certains schémas envisagés font intervenir des instruments très techniques et complexes, notamment des produits dérivés. C’est pourquoi nous devons travailler avec une très grande pluralité d’acteurs. L’Autorité des marchés financiers est l’un de ces acteurs-clés, mais je pense aussi à tous les experts qui connaissent parfaitement le monde bancaire. Les banques elles-mêmes sont des acteurs-clés pour garantir l’efficacité de ce travail.
Mme le président. La parole est à M. Rémi Féraud.
M. Rémi Féraud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens dans ce débat pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain à la suite de mon collègue Vincent Éblé, débat qui a lieu deux semaines après que le Gouvernement a annoncé la mise en œuvre d’une réforme de la lutte contre la fraude fiscale dans notre pays.
Comme notre collègue Savoldelli tout à l’heure, je note le choix du ministre de l’économie de cibler, dans ses interventions médiatiques, prioritairement la fraude aux prestations sociales. Pourtant, cette fraude, par son montant comme par sa nature, est sans commune mesure avec ce que nous savons de la fraude fiscale.
En effet, en l’absence d’évaluation précise, la fraude fiscale, qui nous intéresse aujourd’hui au travers du phénomène des dividendes, se compte en dizaines de milliards d’euros annuels : jusqu’à 80 milliards, voire 100 milliards d’euros selon certaines estimations. L’État a encaissé un peu plus de 10 milliards d’euros d’impôt à la suite des contrôles menés l’an dernier, ce qui est donc bien en deçà des montants totaux estimés de fraude fiscale.
Par conséquent, le sujet que nos collègues du groupe communiste mettent à l’ordre du jour est important. Monsieur le ministre, vous avez déjà apporté un certain nombre de réponses aux interventions de nos collègues à la tribune, mais pourquoi le Gouvernement a-t-il tant tardé ?
Comment préciser davantage la législation pour bien faire la distinction entre optimisation et fraude fiscales ? À ce titre, si, à certains moments, vous ne nous avez pas convaincus, à d’autres, nous avons trouvé vos propos encourageants. Aussi, je souhaite une clarification : nous avez-vous bien dit que vous n’envisagiez pas d’évolution de la législation sur les CumCum, ou bien vous ai-je mal compris ? De manière plus générale, ce sujet de la fraude aux dividendes entrera-t-il dans le plan gouvernemental qui sera bientôt annoncé ?
CumEx, CumCum, etc. : alors que les scandales mondiaux de fraude fiscale se multiplient, révélés par la publication des investigations menées par la presse et par les lanceurs d’alerte, il est urgent d’agir. Heureusement que les révélations des journalistes existent, car ce sont elles qui font bouger les choses. Elles sont même certainement à l’origine du débat qui est le nôtre aujourd’hui. Ne pensez-vous pas qu’il faille enfin changer d’approche en modifiant la législation plus rapidement, à la suite de scandales mettant au jour un certain nombre de pratiques fiscales ?
Puisque nous parlons de dividendes, chacun reconnaît – je vous le rappelle – à quel point nos finances publiques ont besoin de ressources nouvelles. Malgré ce constat, vous n’avez soumis l’attribution des aides publiques pendant la crise sanitaire et à la suite de celle-ci à aucune condition relative au versement de ces dividendes.
Mme Nathalie Goulet. Ce n’est pas faute de l’avoir demandé !
M. Rémi Féraud. Alors que vous avez fait passer une réforme des retraites – vous savez ce que nous en pensons et, surtout, ce que les Français en pensent –, ne jugez-vous pas qu’il est précisément temps de réintroduire un peu d’égalité et d’équité dans le système, et de mettre davantage à contribution les revenus du capital pour participer à l’effort national ?
Ce sujet technique est complexe, comme vous l’indiquiez, mais il est aussi et d’abord éminemment politique. Aussi, j’aurai une dernière question. Monsieur le ministre, vous avez pris un certain nombre d’engagements, mais nous en avions également entendu un de la part de votre prédécesseur, M. Darmanin, en 2018, concernant la création d’un observatoire de la fraude fiscale. Cet engagement n’a pas été tenu : le sera-t-il enfin ?
Mme le président. Il faut conclure.
M. Rémi Féraud. Il est grand temps, là aussi, de passer aux actes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. D’abord, monsieur le sénateur Féraud, Bruno Le Maire n’a jamais ciblé, contrairement à ce que vous indiquiez, les prestations sociales comme premier levier de la fraude dans notre pays ; il a simplement répondu à une question qui lui était posée sur le versement de prestations sociales sur des comptes bancaires étrangers. Si la question avait porté sur la fraude fiscale, sa réponse aurait porté sur la fraude fiscale !
Évidemment, le plan que je présenterai a vocation à s’attaquer à toutes les fraudes. Parfois, certains à gauche donnent le sentiment qu’il n’y aurait que de la fraude fiscale, tandis que d’autres, à droite, donnent parfois le sentiment qu’il n’y aurait que de la fraude sociale. Pour ma part, je considère qu’il y a différents types de fraudes et qu’on doit s’attaquer à toutes. La réalité, c’est qu’un euro fraudé, que ce soit au travers d’impôts non payés ou de prestations reçues indûment, c’est un euro soustrait à la solidarité nationale. C’est un préjudice pour tous les Français.
Ensuite, le sénateur Savoldelli me demandait si j’estimais nécessaire, pour s’adapter à l’évolution jurisprudentielle du Conseil d’État, de modifier la loi. Je lui ai répondu par la négative, raison pour laquelle nous avons publié une mise à jour du Bofip au mois de février dernier, laquelle est attaquée devant le tribunal administratif ; le Conseil d’État aura l’occasion de se prononcer pour savoir si elle respecte bien la législation actuelle. Nous en tirerons évidemment les conclusions, mais, en tout cas, notre conviction est que notre doctrine fiscale est conforme à l’esprit actuel de la loi.
Enfin, je ne veux pas mélanger les débats. Le sujet de la justice fiscale, que vous avez évoqué, relève du projet de loi de finances. Ici, nous parlons d’un sujet qui est celui de la fraude fiscale aux dividendes. Nous avons régulièrement eu l’occasion d’en débattre.
Je répète ce que j’ai indiqué tout à l’heure lors de mon audition par la commission des finances : je considère que la France n’est pas un paradis fiscal. Elle n’est un paradis fiscal pour personne : nous taxons plus, à chaque niveau, les contribuables que nos voisins et nous avons le deuxième plus haut taux de prélèvements obligatoires de l’OCDE. On peut débattre de certains dispositifs fiscaux, mais il est faux de dire que la France est un paradis fiscal : ce n’est pas le cas.
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai un peu l’impression d’être dans la chanson de Barbara :
« Chaque fois qu’on parle d’amour, […]
« C’est avec “jamais” et “toujours”.
« On refait le même chemin
« En ne se souvenant de rien
« Et l’on recommence, soumise,
« Florence et Naples,
« Naples et Venise. »
On parle de nouveau de fraude fiscale ; certes, on en a parlé beaucoup, mais on n’en parle jamais assez !
Au sujet des fraudes liées à l’arbitrage de dividendes, je voudrais rappeler que le 19 novembre 2021, sur mon initiative, le Sénat, avec un avis favorable de la commission, avait de nouveau voté en faveur de mon amendement apportant une substance complémentaire à celui que j’avais déposé en 2018. Parce que je ne suis pas une femme de renoncements, le 22 novembre 2022, nous avons cette fois-ci retoqué le même amendement au motif que la commission des finances venait de rendre un rapport mettant en avant des dispositifs similaires. Nous avons donc évoqué ce sujet très régulièrement.
Concernant les conventions fiscales internationales, nous avons beaucoup cité l’action 15 du plan Beps visant à les réviser. Vous avez mis en avant la Finlande, monsieur le ministre : je trouve cela formidable. Je voudrais vous amener un peu plus au sud, là où il fait plus chaud, en Arabie saoudite ou au Qatar.
En effet, je n’ai pas eu gain de cause sur ma demande d’un rapport relatif au manque à gagner entraîné par ces conventions fiscales, formulée lors du projet de loi de finances. Vous savez que, notre assemblée n’aimant pas les rapports, mon amendement avait été retoqué. Il m’avait pourtant permis de mettre en avant le sujet. J’ai ensuite déposé une question écrite au mois de décembre dernier. J’ai reçu la réponse de vos services concernant l’évaluation du manque à gagner entraîné par ces conventions fiscales passées avec l’Arabie saoudite, Oman, Bahreïn et le Qatar. Tous les États du Golfe ont adopté un tel instrument.
Je lis la réponse de votre ministère : « S’agissant de l’incidence sur le budget de l’État des conventions fiscales signées avec les pays du Golfe, le rapport remis au Parlement en 2015, en application de l’article 108 de la loi de finances rectificative pour 2014, fait état [de ces] exonérations. » Monsieur le ministre, il ne vous a pas échappé que nous avons tous un peu vieilli, que nous sommes en 2023 ; je pense donc qu’il ne serait pas trop vous demander qu’il soit procédé à une mise à jour permettant de combler l’intervalle entre le rapport de 2015 et aujourd’hui.
Concernant les propositions que nous pouvons faire ou que nous avons faites, certains sujets sont relativement importants : je pense aux vérificateurs européens, exerçant un travail de contrôle mené également par l’OCDE dans le cadre du Beps. Il faut pouvoir avancer là-dessus parce que, comme l’ont dit Sylvie Vermeillet et d’autres, nous avons des difficultés à disposer d’agents qualifiés et payés à des niveaux raisonnables. Il faut – vous n’en doutez pas – des gens extrêmement compétents face à ces fraudes dont les auteurs sont particulièrement créatifs. Cela exige donc plus de contrôleurs au niveau européen.
Notre collègue Éric Bocquet avait proposé lors d’un énième débat sur la fraude fiscale une « COP fiscale », sur le même schéma que la COP environnementale. Ce serait vraiment une bonne idée que la France reprenne cette suggestion et que l’on puisse ainsi avancer : paradis fiscaux, ports francs, notamment au Luxembourg et en Suisse, etc. – vous savez, monsieur le ministre, à quel point ces sujets sont importants.
Une réunion des équivalents européens de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) est également nécessaire parce que nous nous heurtons à des problèmes d’échanges de données. Là aussi, il serait intéressant de mener un travail au niveau de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Je salue, madame la sénatrice Nathalie Goulet, votre engagement personnel et votre combat, très anciens, contre la fraude d’une manière générale. Dans le cas d’espèce, on peut même dire que vous avez été, vous aussi, d’une certaine manière, une lanceuse d’alerte. En tout cas, vous avez proposé des solutions et pris des initiatives.
Comme je l’ai dit au cours des débats parlementaires consacrés à cette question, l’objectif est avant tout que les dispositifs adoptés soient conformes à la Constitution et aux conventions. Il peut donc y avoir des débats juridiques, mais, en tout état de cause, ce qui a toujours guidé l’action de mon ministère – cela vaut également pour mes prédécesseurs –, c’est d’avoir des dispositifs qui soient opérants.
De plus, pour renégocier et signer une convention, il faut être deux. Imaginons la renégociation d’une convention avec l’un des pays que vous avez évoqués, auquel on demanderait de revenir sur une disposition, par exemple sur le taux nul pour la retenue à la source du versement de dividendes. Le pays en question, pour accepter cette mesure, nous demandera à l’évidence des concessions, pour un résultat peut-être moins favorable à la France.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas de renégociations. Nous avons montré, avec le cas du pays plus au nord qui a été mentionné, qu’on était capable de s’engager dans cette voie et de trouver des solutions. Mon propos est de dire qu’une convention fiscale est signée par deux parties. Il n’est donc pas évident de revenir sur un certain nombre de choses.
Pour autant, j’y insiste, la clause générale anti-abus de la convention Beps, que vous avez évoquée, peut s’appliquer aux pays mêmes avec lesquels nous avons une convention fiscale qui fixe un taux nul sur la retenue à la source, dès lors que nous sommes capables de démontrer que ces schémas sont abusifs.
Enfin, vous avez évoqué, comme le sénateur Féraud sans que je lui aie répondu, la question de l’observatoire de la fraude fiscale. Personnellement, je suis favorable à ce qu’il y ait une instance indépendante qui permette de placer autour d’une table un certain nombre d’acteurs, y compris des parlementaires et des personnalités qualifiées, pour évaluer plus finement ce que recouvre la fraude dans notre pays. Il est vrai que nous avons des estimations qui vont parfois du simple au triple, entre, d’un côté, Gabriel Zucman et, de l’autre, différents « experts » qui estiment que la fraude fiscale est beaucoup moins importante. Sur un certain nombre de sujets que vous avez évoqués, cette instance pourrait être à même de demander à l’administration des chiffres.
Quant à la COP fiscale, j’y suis très favorable. Vous l’avez proposée avec le sénateur Bocquet ; elle fait partie, elle aussi, de ce qui sera détaillé dans le plan que je présenterai prochainement.
Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.
Mme Nathalie Goulet. En effet, si l’on avance vers une COP fiscale, ce sera déjà un beau progrès. Il faudrait aussi réévaluer les dispositifs : comme je l’ai cité dans mon intervention, un rapport daté de 2015 ne me semble pas vraiment opérant.
Très sincèrement, avant de renégocier, il faut déjà commencer à discuter un peu : nous avons tout de même à nos frontières des problèmes extrêmement sérieux, notamment avec les ports francs du Luxembourg, de la Suisse et de Jersey. Au cœur de l’Europe, ils doivent faire l’objet d’une attention particulière ; c’est du moins le point qu’on soulève chaque fois qu’une convention arrive devant le Sénat. Je me rappelle la convention avec le Panama, que nous avions refusé de ratifier sous l’égide de la regrettée Nicole Bricq. Dans cette maison, je vous l’assure, nous sommes très attentifs à votre texte, et nous le demeurerons.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Baptiste Blanc. Madame la présidente, monsieur le ministre, cher Éric Bocquet, mes chers collègues, « tout est dit, et l’on vient trop tard »… Je vous dirai néanmoins quelques mots sur le sujet important de la fraude fiscale aux dividendes, qui s’est développée au niveau mondial pendant plusieurs années, jusqu’à représenter 140 milliards d’euros – peut-être le casse du siècle !
Depuis 2018, ces mécanismes d’évitement de l’impôt ont été mis au jour. La plupart des États ont légiféré afin de lutter contre les montages frauduleux, adossés à l’articulation entre législations internes et conventions fiscales internationales. Tout cela est-il suffisant ? Telle est la question qui se pose à nous.
Une autre question est celle de l’optimisation fiscale : rime-t-elle avec fraude fiscale ? La frontière entre les deux notions n’est pas toujours simple à tracer. En effet, nous dit la doctrine, un montage respectueux de la lettre de la loi, mais contraire à son esprit, ne correspond pas à de l’optimisation fiscale et peut être rejeté sur le fondement de l’abus de droit fiscal, sans compter les conséquences pénales éventuelles.
Je comptais vous parler de CumCum, de CumEx et de la démarche du Sénat, mais tout a été dit grâce aux brillants rappels de mes collègues, de même pour l’action du PNF, que je salue également.
Malgré les réformes de 2018 et de 2019, la fraude fiscale s’est poursuivie en Europe et en France. Ce phénomène massif renforce un sentiment d’opacité des activités bancaires, au détriment de l’égalité fiscale. Force est de constater que les réponses apportées par le législateur sont insuffisantes et que le secteur bancaire, sans violer directement la loi, a profité d’un encadrement trop large de ces pratiques. Sur le fondement, pour être précis, de l’abus de droit, les banques sont actuellement sous le coup de procédures diligentées par le PNF, institution à fort poids politique.
Le secteur bancaire, pour prouver sa bonne foi, peut-être par nécessité, a saisi le Conseil d’État. Légiférer à nouveau sur l’encadrement de ces pratiques emporte donc plusieurs conséquences qu’il convient de considérer.
D’abord, les marchés financiers et le système bancaire, directement au contact de la mondialisation, ont besoin de sécurité juridique afin de ne pas créer de la crainte chez les investisseurs.
Ensuite, les établissements bancaires doivent rester compétitifs face à leurs homologues étrangers.
Enfin, les banques ont une image dégradée auprès des citoyens, pour qui elles incarnent une puissance capitaliste peu régulée et avide de profits, responsable de crises et affranchie d’une certaine justice fiscale, justice fiscale pourtant issue de notre pacte républicain, dont elle est une part importante.
Par voie de conséquence, quelles réponses pourrions-nous apporter ?
Premièrement, il faut un cadre juridique clair et cohérent qui préserve la sécurité juridique en matière bancaire, nécessaire pour les banques. Les établissements bancaires français, leaders sur les marchés européens, doivent être compétitifs, notamment dans le contexte concurrentiel de l’Europe, où ils occupent une place dominante. La pratique du CumEx était connue depuis longtemps par l’administration fiscale, qui faisait visiblement preuve de tolérance.
Ensuite, le risque d’interdiction pourrait entraîner un désavantage pour les banques françaises sur la scène internationale, notamment face aux Britanniques depuis le Brexit. Le CumCum profite des failles des conventions fiscales internationales ; la solution pourrait être de modifier nos conventions en ce sens. M. le ministre a rappelé les avancées à ce sujet, notamment au travers du cas de la Finlande. On peut dire aussi qu’une régulation de ces pratiques pourrait être plus efficiente au niveau européen et à l’échelle de l’OCDE.
De plus, l’ampleur de cette pratique frauduleuse a été mise au jour par un consortium de journalistes. L’administration fiscale, notamment la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) et le PNF, disposent-ils de moyens suffisants ?
Enfin, en matière de contrôle, la DGFiP semble délaisser le fondement de l’abus de droit pour utiliser l’angle du bénéficiaire effectif, qui pourrait être plus efficace juridiquement. À la suite de l’affaire CumEx a été évoquée la possibilité de généraliser les conventions fiscales bilatérales imposant une retenue à la source sur les flux de dividendes sortants. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous en dire plus sur les négociations au sein de l’OCDE et de l’Union européenne ? Informer le Parlement de ces négociations permettrait de répondre aux interrogations posées par les contribuables et par le système bancaire, sachant que les États-Unis ont mis en place un mécanisme de lutte contre l’arbitrage des dividendes étendu aux produits dérivés.
De toute évidence, les CumEx, les CumCum et autres dispositifs de fraude, au regard de leurs répercussions médiatiques très fortes, peuvent sonner le glas de toute possibilité d’optimisation fiscale. Il est donc urgent d’agir, de combler les vides juridiques, comme nous l’avons tous indiqué, et d’avoir une approche éthique de la fiscalité mondialisée si l’on souhaite qu’il y ait encore une acceptabilité de l’impôt, c’est-à-dire, finalement, un consentement à l’impôt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Pour répondre à votre première question, à savoir si l’administration fiscale dispose d’outils suffisants pour aller chercher des informations comme celles qui ont pu être diffusées et relayées par des consortiums de journalistes ou des lanceurs d’alerte, la réponse, à mon sens, est non.
C’est la raison pour laquelle, dans le cadre du plan de lutte contre la fraude fiscale que je présenterai très prochainement, je proposerai que soient mis à la disposition de l’administration fiscale des outils supplémentaires pour aller chercher l’information. Je sais que cela fera débat, qu’il y aura des oppositions, mais, en tout cas, j’assumerai de défendre cette position. Je suis ravi de voir que vous êtes sur la même ligne. Elle peut rassembler très largement dans cet hémicycle.
Pour répondre à votre seconde question, relative au déroulé des discussions côté OCDE, notamment sur le Beps, je peux vous dire qu’en 2022, sur les 2 400 conventions fiscales bilatérales entre États membres du cadre inclusif de l’Organisation, 2 300 ont été mises au standard. Il en reste donc une centaine : nous sommes favorables à ce qu’elles soient mises également à niveau.
Conclusion du débat
Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Nous avons eu des échanges nourris sur de très nombreux thèmes. Le sujet de notre débat est d’une importance majeure, comme l’est celui de la fraude en général. Nous avons observé un certain nombre de progrès ces dernières années, je dirais même ces derniers mois, depuis ma nomination au ministère du budget. Plusieurs démarches ont été engagées : comme je l’indiquais tout à l’heure, une convention fiscale a été renégociée avec un pays pour lequel on appliquait un taux nul de retenue à la source pour le versement de dividendes, et un nouveau Bofip a été publié, qui permet à l’administration fiscale d’être beaucoup plus efficace dans son action.
Nous avançons et nous franchirons une étape supplémentaire avec le plan de lutte contre les fraudes, notamment la fraude fiscale, que je présenterai prochainement. J’ai commencé à définir de nouveaux outils et à tracer des pistes supplémentaires que je détaillerai à cette occasion. Des progrès considérables ont donc été faits.
Je veux clore ce débat en exprimant toute mon admiration – nous nous retrouverons là-dessus – pour nos agents, pour nos enquêteurs, pour nos contrôleurs, pour ces femmes et pour ces hommes qui, souvent loin du battage médiatique, confrontés à la très grande complexité des techniques financières, lesquelles sont par ailleurs parfaitement légitimes pour assurer le financement de notre économie, travaillent d’arrache-pied pour identifier les abus et la fraude, sans jamais perdre le sens de la mesure ou du discernement et sans jamais renoncer à faire très précisément la part entre ce qui relève de l’abus et ce qui relève de la bonne foi. Je m’adresse à ces agents afin de les remercier pour leur travail exceptionnel.
Mme le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe auteur de la demande.
M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous avez bien compris que l’objet de ce débat n’était pas de jeter l’opprobre sur un secteur d’activité, en l’occurrence le secteur bancaire ni de stigmatiser telle ou telle banque. Nous nous appuyons sur des éléments factuels. Les banques qui ont mis en œuvre les pratiques dont il est question aujourd’hui ont été citées dans la presse : BNP Paribas, Crédit Agricole, HSBC et Société Générale.
Ce ne sont pas n’importe quelles banques. Elles font partie des quinze banques spécialistes en valeurs du Trésor (SVT), dont la liste est validée par le ministre des finances tous les trois ans, le cadre actuel courant de 2022 à 2024. Ces banques ont pratiqué tout ce qui a été décrit par l’ensemble des intervenants. Autrement dit, elles nous font perdre des recettes fiscales et gagnent de l’argent avec ces pratiques puisqu’elles perçoivent une commission. En aggravant les pertes fiscales, elles aggravent la dette ; dans le même temps, ces banques sont chargées de gérer nos titres de dette sur les marchés financiers internationaux !
J’ai sous les yeux le code de déontologie de l’Agence France Trésor (AFT) que ces banques s’engagent à respecter. Je cite l’article A.5 : « Le respect par les SVT des règles de bonne conduite et des pratiques professionnelles applicables à leurs activités sur les marchés de taux en Europe est pour l’AFT un élément important de la qualité du service qui lui est fourni. »
Je cite à présent l’article C.4, Sélection des SVT : « Les SVT sont sélectionnés par le ministre chargé de l’économie ».
Je mentionnerai enfin l’article C.5 : « En cas de manquement aux engagements de la présente charte, l’AFT peut décider de suspendre le SVT de tout ou partie de ses opérations pour une période qu’elle détermine et abaisse l’appréciation qualitative du classement annuel. »
Une banque, Morgan Stanley, avait subi cette sanction administrative en 2020, si vous vous en souvenez, monsieur le ministre : elle avait été suspendue de ses fonctions d’août 2020 à novembre 2020, pour y être ensuite rétablie.
Indépendamment du travail que la justice mène en toute indépendance et que nous respectons profondément – le PNF est en action, les investigations sont en cours, nous attendons les résultats –, est-il administrativement et éthiquement supportable de maintenir l’implication de ces banques ? Ne faudrait-il pas au moins les suspendre un petit moment ? Est-il acceptable qu’elles gèrent encore nos titres de dette, compte tenu de toutes ces menaces qui pèsent sur leur tête et sur leur réputation, ce qui n’est pas une mince affaire ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – Mme Nathalie Goulet et M. Christian Bilhac applaudissent également.)
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
Mme le président. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre participation active à notre débat interactif…
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelle réponse au phénomène mondialisé des fraudes fiscales aux dividendes ? »
8
Ordre du jour
Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 3 mai 2023 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures trente à vingt heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
Proposition de loi visant à renforcer l’accessibilité et l’inclusion bancaires, présentée par MM. Rémi Féraud, Jean-Claude Tissot, Patrick Kanner, Rémi Cardon, Mmes Florence Blatrix Contat, Laurence Rossignol et plusieurs de leurs collègues (texte n° 35, 2022-2023) ;
Proposition de loi visant à résorber la précarité énergétique, présentée par M. Rémi Cardon, Mmes Viviane Artigalas, Catherine Conconne, Annie Le Houerou et plusieurs de leurs collègues (texte n° 170 rectifié, 2022-2023).
Le soir :
Débat sur le programme de stabilité et l’orientation des finances publiques.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures vingt-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER