M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, comme vous le savez sans doute, des projets de moteur thermique à hydrogène sont également à l’étude : eux aussi rendent espoir aux industries de la vallée de l’Arve, aujourd’hui focalisées sur les moteurs thermiques. Nous subventionnons les acteurs concernés au titre de nos différentes stratégies : je pense notamment à Symbio et à Feve. C’est important pour les industries de votre département de Haute-Savoie.
L’hydrogène rose est, en quelque sorte, un tabou de part et d’autre du Rhin : nous n’en parlons pas explicitement lors de nos discussions, qui concernent aujourd’hui essentiellement la part d’hydrogène vert qui sera présente dans le mix énergétique, mais la question est implicite…
Revoir à la baisse les objectifs d’hydrogène vert pour les États qui, en la matière, dépasseront 23 % dès 2030, revient de fait à donner un avantage à ceux qui, comme nous, souhaitent développer l’hydrogène dit rose, ou hydrogène à bas-carbone. Néanmoins, je le répète, la question est un peu taboue…
Nous n’avons pas encore atteint un compromis qui nous satisfasse. De plus, au sein du Gouvernement, les discussions ne sont pas encore tout à fait terminées pour fixer notre position finale sur le compromis de la Commission.
Ce que je peux vous dire, c’est que cette avancée, bien qu’indéniable, ne nous satisfait pas entièrement. Cela étant, nous allons dans le bon sens. Nous aurons à la fois du vert et du rose, mais nous n’avons pas encore complètement convergé : nous allons continuer d’y travailler.
M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le ministre, nous dressons un même constat quant à l’utilité de l’hydrogène pour accélérer la transition énergétique.
L’hydrogène peut effectivement contribuer au basculement progressif vers les énergies renouvelables, mais encore faut-il s’entendre sur son mode de production. Aujourd’hui – les précédents orateurs l’ont rappelé –, force est de constater que l’Europe utilise majoritairement un hydrogène gris, obtenu grâce aux énergies fossiles.
Pour rappel, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’hydrogène produit actuellement à l’échelle mondiale provient à 69 % du gaz naturel et à 27 % du charbon, le reste étant fourni par l’électrolyse de l’eau et d’autres solutions plus vertueuses. Sa production n’a donc entraîné aucune décarbonation des économies.
L’hydrogène doit évoluer vers un mode de production décarboné, idéalement en passant par une source d’électricité renouvelable.
La voie offerte par l’électrolyse est intéressante à plusieurs égards. Elle utilise l’énergie électrique pour récupérer l’hydrogène présent dans l’eau. De plus, en couplant un électrolyseur à une source décarbonée d’électricité, l’on obtient de l’hydrogène vert, qui n’émet pas de CO2.
Si l’on choisit l’éolien ou le photovoltaïque comme source d’électricité, l’électrolyse permet de répondre aux difficultés posées par la variabilité : on stocke les excédents d’électricité en les transformant en hydrogène. Néanmoins, leur déploiement à grande échelle posera d’autres problèmes, dont l’artificialisation des sols.
Par ailleurs, l’hydrogène électrolytique suppose des infrastructures complexes, non seulement de production, mais aussi de transport et de distribution, et des capacités de stockage. On estime que le déploiement de telles infrastructures ne pourrait se faire avant le milieu de la décennie. Dans l’attente, on persistera à produire de l’hydrogène carboné, à moins que l’État n’engage une stratégie clairement définie en la matière.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous détailler le calendrier que l’État entend suivre pour développer une filière de production d’hydrogène vert ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, je vais vous répondre de manière très concrète.
Nos objectifs sont les suivants : accroître de 50 % notre production d’hydrogène, vert ou décarboné, c’est-à-dire produit à partir d’énergies renouvelables ou d’énergie nucléaire, et assurer son doublement d’ici à 2035.
Nous nous donnons les moyens d’atteindre ces objectifs ambitieux en mettant sur la table des subventions dignes de ce nom et en assurant, dès maintenant, un accompagnement des porteurs de projet.
Il s’agit de répondre aux objectifs européens vers lesquels nous souhaitons converger, en vertu du compromis que nous sommes en train de négocier à Bruxelles. Il s’agit de surcroît de couvrir nos besoins. L’essentiel, c’est que les aciéries ou encore les fabriques d’engrais puissent utiliser de l’hydrogène décarboné. Dès lors, la production française d’acier et d’engrais sera elle-même décarbonée.
J’espère avoir répondu à votre question. Si tel n’est pas le cas, n’hésitez pas à nous solliciter par écrit : nous vous apporterons des informations plus précises.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly.
M. Stéphane Demilly. Ma collègue Denise Saint-Pé, que j’associe à ma question, et moi-même sommes persuadés que l’hydrogène est appelé à prendre une importance capitale dans la transition énergétique.
Monsieur le ministre, la France dispose d’atouts technologiques et d’une politique offensive d’accompagnement financier des projets, au travers du plan hydrogène 2030, et c’est réellement une très bonne chose.
Pour peu qu’il soit vert, c’est-à-dire produit à partir d’énergies renouvelables, l’hydrogène peut décarboner trois grands secteurs d’activité : les mobilités, l’industrie et le chauffage des bâtiments.
Les transports, lourds et en commun, bénéficieront de cette technologie à moyen terme, tout comme l’industrie de fabrication d’acier et de ciment, actuellement très polluante. Quant aux bâtiments, ils pourraient profiter de la mise sur le marché des premières chaudières faisant appel à la technologie de la condensation de gaz.
Toutefois, la fabrication de l’hydrogène vert reste à ce jour excessivement onéreuse – vous l’avez dit vous-même –, au point que, malgré les financements publics, la possibilité de produire une molécule de ce type à moins de 10 euros le kilogramme n’est pas encore envisageable d’un point de vue économique.
Dans un tel contexte, le Gouvernement entend-il recourir à l’extraction de l’hydrogène présent dans le sous-sol, dit hydrogène natif ou hydrogène blanc ?
Ce concept est très récent, car l’hydrogène a longtemps été considéré comme un gaz n’existant pas naturellement sous sa forme moléculaire dans le sous-sol. Or ce postulat vient d’être contredit par de récentes expérimentations menées au Mali, aux États-Unis, en Australie ainsi qu’en Chine.
Les réserves mondiales étant considérables et le prix d’extraction très inférieur à celui de la fabrication, des demandes d’autorisation de recherche provenant de sociétés françaises ont été formulées. L’État français envisage-t-il d’y répondre favorablement ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, notre palette s’enrichit encore ! (Sourires.) Après l’hydrogène bleu, l’hydrogène gris, l’hydrogène vert et l’hydrogène rose, vous m’interrogez au sujet de l’hydrogène dit blanc, qui existerait à l’état natif.
La mise à jour de notre ambitieuse stratégie hydrogène nous conduit à étudier toutes les méthodes existantes : il convient bel et bien d’accroître nos capacités de production.
Au-delà de l’électrolyse, à laquelle j’ai fait référence, nous envisageons la production par voie de biomasse. L’enjeu d’usage dont il s’agit est absolument considérable : nous aurons largement besoin de la biomasse, notamment pour voler propre demain.
De même, nous étudions la possibilité d’employer l’hydrogène natif, issu de l’extraction minière. L’hydrogène a d’ailleurs été inclus dans le code minier dès 2021 et nous avons identifié quelques projets. On ne saurait évidemment préjuger de leur instruction : l’État doit déterminer, selon le code minier, l’ampleur du potentiel de gisement, les fondamentaux économiques et les bénéfices environnementaux réels. Nous nous attacherons bien sûr à remplir ces trois conditions.
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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans la tribune d’honneur, une délégation de sénateurs polonais, conduite par M. Aleksander Pociej, président du groupe d’amitié Pologne-France. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le ministre délégué se lèvent.) Elle est accompagnée par notre collègue Mme Valérie Boyer, présidente du groupe d’amitié France-Pologne.
Cette visite d’étude permettra de renforcer la coopération franco-polonaise dans le contexte particulier du conflit en Ukraine. Ses travaux concerneront le domaine de la défense, mais aussi le secteur agricole et la coopération en matière scientifique.
La richesse de la culture partagée entre la France et la Pologne sera mise à l’honneur avec la visite du château et du village de Montrésor, en Indre-et-Loire, qui sont intimement liés à l’histoire polonaise.
Mes chers collègues, à la veille du 3 mai, qui est une fête nationale en Pologne, célébrant la Constitution du 3 mai 1791, je souhaite, en votre nom à tous, à nos homologues du Sénat polonais, la plus cordiale bienvenue ainsi qu’un excellent et fructueux séjour. (Applaudissements prolongés.)
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Quelles solutions pour développer l’hydrogène au sein de notre mix énergétique ?
Suite d’un débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Martine Berthet.
Mme Martine Berthet. Monsieur le ministre, la révision de la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné, annoncée en février dernier, devrait être présentée d’ici à l’été prochain.
Que pouvez-vous nous en dire ? Je pense tout particulièrement à la construction de gigafactories et à la fabrication d’équipements clés pour la production et les usages de l’hydrogène que sont les électrolyseurs, les piles à combustible et les réservoirs, accompagnées financièrement par l’État, qui devraient entraîner le développement de tout un tissu manufacturier de PME-PMI dans les territoires, de savoir-faire et la création de nombreux emplois.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire concrètement comment le Gouvernement va s’assurer que ces entreprises, issues de la filière française de l’électrolyse pour l’hydrogène renouvelable et bas-carbone, trouveront des débouchés suffisants d’ici à 2030 qui leur permettront de se consolider, de devenir des fleurons industriels durables pour notre pays et ainsi de bénéficier sur le long terme de notre position de nation pionnière dans ce domaine ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, qui me permet de mettre en avant trois projets de gigafactories déjà en cours de construction.
Elogen, start-up située aux Ulis, envisage de construire sa gigafactory à Vendôme d’ici quelques mois, pour une ouverture prévue dans deux ans.
Genvia, autre entreprise française de qualité, qui met au point une technologie importante, construit sa gigafactory à Béziers. Elle a beaucoup d’avenir.
Enfin, John Cockerill, entreprise franco-belge, envisage de construire sa gigafactory en Alsace.
Il existe donc trois projets, qui devraient produire, en régime permanent, environ 2 gigawattheures, alors que les besoins sont estimés aux alentours de 6 gigawattheures. Aussi, nous aurons largement les moyens de répondre à la production de ces trois gigafactories.
Il reste, bien évidemment, à les construire – nous aidons les entreprises en ce sens – et à produire de l’hydrogène à un coût compétitif. Se pose alors la question essentielle de l’électricité décarbonée, sur laquelle nous devons travailler ensemble.
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, pour la réplique.
Mme Martine Berthet. Monsieur le ministre, il y a le sujet des gigafactories et celui de la décarbonation des sites identifiés comme gros émetteurs de gaz à effet de serre – ils sont importants –, mais également celui du soutien au développement de la mobilité professionnelle – des véhicules utilitaires légers aux camions, des bennes à ordures aux autobus – et de la mise en place d’infrastructures de recharge hydrogène maillant l’ensemble du territoire national.
Ces points ne doivent être ni retardés ni négligés dans la révision de la stratégie nationale. Alors que la France a la chance de compter deux constructeurs automobiles ayant mis au point des véhicules utilitaires légers à hydrogène, il serait véritablement regrettable de ne pas potentialiser cette avance technologique au moment où les zones à faibles émissions (ZFE) vont être mises en œuvre.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé. Dans la politique énergétique nationale, l’hydrogène est avant tout considéré comme un moyen de décarbonation de l’énergie de filières industrielles particulières, que vous avez d’ailleurs évoquées, monsieur le ministre.
Pour autant, on parle peu des solutions que l’hydrogène devra apporter pour permettre le bon fonctionnement de l’ensemble du parc national de production d’électricité.
Plus précisément, dans la perspective de scenarii à forte proportion d’énergies renouvelables (EnR) intermittentes, la production et le stockage d’hydrogène contribueront à la flexibilité du réseau et à l’équilibre entre production et demande du système électrique.
Dit autrement, plus la part d’énergies renouvelables dans le mix énergétique sera importante, plus nous aurons besoin de faire appel à la fonction particulière de stockage de l’hydrogène.
La compétitivité des énergies renouvelables sera aussi fonction de la contribution de l’hydrogène à la flexibilité et à l’équilibre du réseau en situation de moindre disponibilité des énergies renouvelables. Toutefois, cette contribution à la flexibilité du réseau nécessite des infrastructures de stockage et de transport d’hydrogène importantes.
Pour y parvenir, il est indispensable d’intégrer au mix énergétique et au réseau d’énergie électrique national un système hydrogène composé d’électrolyseurs, de stockages d’hydrogène, de points d’avitaillement, de centrales thermiques à hydrogène, de réseaux de transport, voire d’interconnexions avec les pays limitrophes.
En définitive, la nature et l’ampleur du système hydrogène qui serait intégré à la régulation du réseau électrique national conduiraient à plus ou moins de flexibilité. Un tel choix politique – c’en est un ! – aura des conséquences sur les niveaux d’énergies renouvelables dans le mix et donc sur la PPE.
Monsieur le ministre, quelle est la doctrine du Gouvernement en matière de gestion de la flexibilité du futur réseau électrique national ? Quel type de système hydrogène entendez-vous développer en matière de flexibilité ? Où en êtes-vous de la planification des investissements nécessaires ? Comment et sur quels acteurs les coûts de ces investissements seront-ils répercutés ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, c’est une bonne question, car l’hydrogène, vous l’avez dit, peut être stocké en grande quantité dans des cavités salines.
C’est un avantage énorme, que n’ont pas les énergies renouvelables, et qui a été démontré par la réutilisation d’anciennes cavités stockant du gaz naturel aux États-Unis et en Angleterre. Or de telles cavités existent en France, notamment autour de Manosque ; la possibilité d’en construire de nouvelles, dans plusieurs géologies favorables, est également à l’étude. Les installations de Manosque pourraient stocker jusqu’à 30 kilotonnes d’hydrogène à court terme, c’est-à-dire des quantités importantes.
Le stockage de l’hydrogène permet d’en abaisser le coût, d’arbitrer sur le choix des horaires de production de l’hydrogène électrolytique et d’optimiser le prix de l’électricité, qui représente 70 % du coût de l’hydrogène.
Cela pourrait aussi aider, à plus long terme, c’est-à-dire à l’horizon 2040, voire au-delà, à équilibrer le système électrique en produisant de l’électricité au moyen d’une pile à combustible à partir de l’hydrogène stocké. Concrètement, cela revient à stocker l’hydrogène qui est fabriqué à partir d’énergies renouvelables, puis à le transformer en électricité. La start-up française Hydrogène de France (HDF Energy) mène un projet en ce sens ; une expérimentation est même prévue en Guyane dans les mois qui viennent.
Il serait également possible de réutiliser les centrales à gaz naturel à cycle combiné. Pour ce faire, il faudrait plutôt regarder la stratégie allemande de réemploi des centrales à gaz. Mais, comme vous le savez, notre système dépend moins du gaz que celui de nos voisins…
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Mes chers collègues, à condition qu’il soit produit par des moyens ne conduisant pas à des émissions significatives de carbone, l’hydrogène présente l’intérêt d’être, d’une part, un vecteur énergétique de choix pour certaines industries ou pour la mobilité lourde et, d’autre part, un outil de flexibilité du mix électrique qui aide à décarboner des secteurs difficiles à électrifier.
Comme énergie, l’hydrogène bas-carbone est applicable au secteur de la mobilité – transport collectif de personnes et transport de marchandises –, là où les solutions à base de batterie sont plus difficiles à mettre en œuvre ou soulèvent des enjeux majeurs.
Utilisé dans une pile à combustible, il présente l’avantage de ne rejeter que de l’eau, ce qui permet d’éliminer les émissions de particules, de soufre, d’oxyde d’azote et de contribuer à l’amélioration de la qualité de l’air.
En période de surproduction électrique, l’électricité peut être stockée, mais aussi utilisée pour produire de l’hydrogène facilement stockable.
L’hydrogène renouvelable, produit par l’électrolyse de l’eau, certes n’est pas polluant, mais coûte beaucoup plus cher à produire. Son déploiement passera par la baisse du coût de production de l’électricité renouvelable – solaire et éolien –, et par celle du coût des électrolyseurs ou des piles à combustible.
Pour autant, c’est bien l’électrolyse de l’eau qui représente l’avenir du développement de la filière hydrogène. Le projet Sealhyfe en Vendée, plateforme en mer raccordée à une éolienne flottante, s’avère être une perspective intéressante pour la production d’hydrogène renouvelable. En effet, après désalinisation de l’eau de mer, l’hydrogène sera produit par électrolyse et acheminé sur terre via un réseau de pipelines.
Mais le défi immédiat, pour accompagner la production par électrolyse d’hydrogène propre, consiste à assurer un approvisionnement suffisant en électricité décarbonée.
Aussi, monsieur le ministre, pour atteindre les objectifs de décarbonation fixés par la Commission européenne en 2030, l’hydrogène bas-carbone produit à partir d’électricité nucléaire sera-t-il reconnu comme indispensable, à l’instar de l’hydrogène renouvelable ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Madame la sénatrice, vous l’avez dit, l’hydrogène a des avantages indéniables.
Je voudrais comparer quelques chiffres pour illustrer votre propos relatif à l’autonomie des véhicules. Par exemple, avec 5 kilogrammes d’hydrogène, stockés dans un réservoir de 125 litres, qui pèse environ 130 kilogrammes, auxquels il faut ajouter les quelque 100 kilogrammes de la pile à combustible, soit environ 235 kilogrammes de matériel embarqué, l’autonomie du véhicule à hydrogène est équivalente à celle d’une batterie de 500 kilogrammes. Ainsi, pour les gros véhicules, pour les trains et pour les véhicules de transport collectif, il est clair que l’hydrogène présente un avantage comparatif indéniable.
Madame la sénatrice, vous avez également rappelé quels sont ses petits défauts : le coût élevé des composants liés à la production de l’hydrogène et le rendement total de la chaîne hydrogène, qui s’élève à environ un tiers de celui de la batterie. Ainsi, pour les véhicules individuels, le compte n’y est pas !
Pour les véhicules utilitaires légers – je réponds ainsi à la question qui m’a été posée précédemment –, oui, cela existe ; il y a des projets très avancés en matière de logistique urbaine, développés notamment par Stellantis.
Par ailleurs, la production d’hydrogène offshore est au stade de la recherche et développement, que nous finançons, afin de profiter, si c’est possible, d’hydrogène moins cher à l’avenir. Nous n’y sommes pas encore, mais nous investissons dans ce sens.
M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sabine Drexler. Monsieur le ministre, dans le Haut-Rhin, le complexe chimique Alsachimie regroupe trois entreprises sur une plateforme fabriquant entre autres du nylon, de l’ammoniac et des engrais. Ce complexe utilise près de 75 000 tonnes d’hydrogène par an produit, pour l’instant, à partir de gaz, ce qui est très émetteur de CO2.
Pour passer à l’hydrogène vert, il faudrait un électrolyseur d’une capacité de 500 mégawatts, sachant que la plateforme chimique pourrait utiliser la chaleur fatale de ce dernier.
Cet avantage en matière d’optimisation énergétique pourrait conduire à une augmentation de 100 mégawatts de capacité pour fournir de l’hydrogène décarboné pour le transport, par exemple. Mais avec la forte variation du coût du gaz en Europe, nettement plus cher que le gaz américain ou russe, ces entreprises ont dû réduire leur production, faute de pouvoir exporter.
Butachimie, par exemple, ne tourne plus qu’à 30 % de sa capacité. Dans ce modèle économique intégré, si l’une de ces entreprises venait à cesser son activité, cela entraînerait de sérieuses difficultés pour les deux autres.
Le Gouvernement veut passer à l’hydrogène vert, produit par électrolyse. Toutefois, avec l’explosion des prix de l’énergie, cela semble très mal engagé. Les aides plafonnées à 4 millions d’euros ne sont pas suffisantes pour des entreprises de cette taille, car une différence de 1 euro sur le prix du kilogramme d’hydrogène représente in fine une perte de 75 millions d’euros.
Il faut absolument revoir notre modèle de soutien à cette industrie, afin de pérenniser les installations actuelles et leur donner de la visibilité. À défaut, sur ce seul site, plus de 2 000 emplois directs et autant d’emplois indirects risqueraient de disparaître, qui s’ajouteraient ainsi aux 2 000 emplois récemment perdus à la suite de la fermeture de la centrale de Fessenheim.
Monsieur le ministre, que compte faire le Gouvernement pour soutenir cette industrie et les investissements qu’elle va devoir engager pour passer à l’hydrogène vert ? Quelles actions vont être mises en œuvre pour soutenir ce complexe chimique, afin d’empêcher un nouveau désastre économique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Madame la sénatrice, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec les dirigeants de ces deux sociétés sœurs, si je puis dire, en ce qu’elles sont toutes deux membres d’un grand groupe allemand.
Voilà quelques mois, les prix de l’énergie étaient bien plus élevés qu’ils ne le sont actuellement, ce qui a conduit ces entreprises à réduire leur production de façon marginale, mais non négligeable, et à modifier légèrement leurs sources d’approvisionnement.
Aujourd’hui, ces entreprises vont mieux, en tout cas moins mal, et la baisse des prix de l’énergie n’y est pas pour rien.
La façon dont les prix de l’intrant et de l’extrant sont fixés rend difficile l’accès de ces entreprises aux aides européennes, car elles vendent essentiellement leurs produits à leur maison mère. Malheureusement, les règles européennes sont telles que nous ne sommes pas en mesure de verser davantage que les 4 millions d’euros que vous avez mentionnés.
Pour autant, je pense que ces entreprises vont mieux – j’espère qu’elles vous le confirmeront, madame la sénatrice –, du fait de la baisse des prix de l’énergie.
Faut-il pour autant les abandonner ? Non, au contraire ! Elles ont évidemment des projets extrêmement ambitieux, vous l’avez rappelé, pour passer à l’hydrogène. L’entreprise de Borealis mène à Ottmarsheim – ce n’est pas loin de chez vous, me semble-t-il, madame la sénatrice – un projet similaire, qui prévoit la création de quelque 200 emplois, et pour lequel nous sommes à la manœuvre.
Nous avons déjà notifié à la Commission européenne une aide de 100 millions d’euros, qui permettrait d’installer un électrolyseur de 50 mégawatts pour décarboner le site chimique avec un procédé d’ammoniac.
Le projet auquel vous faites référence est d’une plus grande ampleur. Il aura, vous l’avez dit également, un impact économique et social plus important pour la région. Nous sommes prêts à l’aider, de la même manière que nous aidons celui de son voisin.
Nous travaillons avec les entreprises en question pour nous assurer qu’elles seront bien accompagnées dans leurs efforts de décarbonation. (Mme Sabine Drexler marque son approbation.)