Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Gillé, je m’efforcerai d’être aussi exhaustive et concise que possible.
Avant tout, je tiens à saluer le travail que vous avez entrepris. Je sais que vous avez déjà mené un certain nombre d’auditions dans le cadre de la mission d’information.
Vous avez rappelé les engagements financiers pris par le Gouvernement. Je vous le confirme, nous ne procéderons pas à la création de nouveaux outils fiscaux ; nous avons opté pour le rehaussement du taux des redevances existantes.
Vous avez abordé de nombreux autres sujets. Je concentrerai ma réponse sur la gouvernance.
La compétence dont il s’agit est décentralisée depuis les années 1960 à l’échelle des bassins et des sous-bassins ; le Gouvernement – vous avez pu le constater – n’a nullement l’intention de remettre en cause ce transfert. Ce que nous voulons, c’est une gestion de l’eau associant l’ensemble des acteurs pour une gouvernance ouverte et plus efficace. Au total, 54 % du territoire national est couvert par une commission locale de l’eau, par un document de planification et par un schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage).
Des simplifications réglementaires seront apportées pour accélérer et généraliser à l’échelle de chaque sous-bassin versant la création d’une CLE, véritable instance de dialogue, et d’un PTGE, au plus tard en 2027, selon le principe « un territoire, un projet politique pour l’eau ».
Ainsi, nous serons à même de répondre à toutes les exigences du plan Eau. Je pense notamment à la réduction de 10 % que j’ai évoquée précédemment. Pour discuter à l’échelle des territoires, il n’y a pas meilleure instance que les parlements de l’eau.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui représentez les collectivités territoriales, je vous invite à jouer un rôle moteur pour la création des Sage et des CLE. J’insiste également sur les PTGE, qui sont encore trop peu nombreux sur notre territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.
M. Hervé Gillé. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de vos réponses. Vous nous confirmez que les redevances existantes feront l’objet d’un relèvement. Dont acte.
Personnellement, je suis très favorable à un renforcement de la planification en matière de gestion de l’eau. Les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) jouent un rôle essentiel : il faut s’efforcer de les développer et de les conforter dans l’ensemble des territoires, en lien avec les établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau (Epage).
Il faut en effet multiplier les Sage et faire en sorte que les CLE deviennent de véritables parlements locaux et territoriaux de l’eau. Ce travail est indispensable.
À mon sens, il faudra également assurer l’intégration de la gestion de l’eau dans les politiques d’urbanisme. Les schémas de cohérence territoriale (Scot) permettraient sans doute d’approfondir encore davantage ce sujet. (Mme la secrétaire d’État le confirme.) De même, les plans locaux d’urbanisme (PLU) et les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) pourraient concourir à la gestion de l’eau, au bénéfice notamment du pluvial et des zones humides. Je vous invite à examiner cette piste.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le monde est entré dans une nouvelle ère. Désormais, il fait face à la vulnérabilité de ses écosystèmes et à des tensions accrues s’exerçant sur ses ressources naturelles. Au total, 40 % de la population mondiale souffre de pénuries d’eau au moins une fois par an et 1,4 milliard de personnes sont privées d’accès à l’eau potable.
Ces pénuries, que nous observons aujourd’hui sur notre propre sol, nous obligent à nous saisir de l’enjeu de la gestion de l’eau.
Ainsi, durant trente-deux jours d’affilée, en plein hiver, la France a été privée de pluie, ce qui entraînera probablement des pénuries d’eau cet été dans de nombreuses communes.
L’été 2022 fut le plus chaud depuis les années 1950. Au total, 93 départements ont été soumis à des restrictions et plus de 1 000 communes ont subi des coupures d’eau.
Si nous n’intervenons pas, la situation continuera à se dégrader. Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) l’affirme : sans réduction immédiate des émissions de CO2 à l’échelle mondiale, tous les scénarios prévoient une augmentation de la température globale de deux degrés d’ici à 2050.
Après les assises de l’eau de 2018 et le Varenne de l’eau de 2021 et 2022, le Président de la République a présenté son plan Eau. Aujourd’hui même, la commission interministérielle de l’eau remettra quant à elle son rapport sur le sujet. La litanie des annonces débouche sur tout ce qui aurait dû être anticipé et qui s’impose à nous aujourd’hui.
Le rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective, auquel a participé ma collègue Cécile Cukierman, a le mérite d’aborder très largement la problématique de l’eau et d’apporter plusieurs solutions utiles, que je salue. On y lit notamment que « la mise en œuvre concrète des actions en faveur de l’eau repose sur les acteurs locaux ».
Les élus ont en effet un rôle essentiel à jouer dans la gouvernance de l’eau en France, que ce soit dans les comités de bassin, dans les agences de l’eau, dans les CLE, pour la fourniture d’eau potable, la gestion des milieux aquatiques, avec la Gemapi, ou encore les travaux d’assainissement.
Je note d’ailleurs que le transfert obligatoire, prévu par la loi NOTRe, de la compétence eau et assainissement aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en 2026 n’est pas clairement évoquée dans le plan du Président de la République, malgré l’opposition de très nombreuses communes.
Nous devons gagner en efficacité en renforçant l’échelon local de prise de décision afin de mieux prendre en compte la réalité des bassins de vie, notamment dans l’élaboration des PTGE.
Il faut redonner à nos collectivités territoriales et à nos agences de l’eau, qui sont la clef de voûte de la politique de l’eau, la capacité financière d’agir.
Madame la secrétaire d’État, si le plafond mordant – en d’autres termes, le plafonnement des recettes des agences de l’eau – est supprimé, on peut s’interroger sur l’annonce de 475 millions d’euros de rehaussement des moyens des agences et sur la provenance de ces crédits : leur budget est abondé non par l’État, mais par les redevances des consommateurs. (M. le président de la délégation acquiesce.) Peut-être me répondrez-vous sur ce sujet.
Les collectivités n’ont pas de capacité d’intervention directe sur tous les secteurs consommateurs d’eau. Tout ne peut pas non plus reposer sur les usagers, même si la sobriété s’impose.
Ce n’est pas l’installation de mousseurs sur les robinets qui permettra d’assurer un accès durable à l’eau, alors même que nous perdons, à cause des fuites dans les réseaux à rénover, l’équivalent de la consommation annuelle de 18 millions d’habitants. C’est énorme !
N’opposons pas les usages de l’eau : agriculture, industrie, tourisme, nous avons besoin de toutes ces activités.
Les épisodes cévenols vont se multiplier. Savoir retenir l’eau avant qu’elle ne ravage habitations, routes et équipements sera un enjeu important.
M. Laurent Duplomb. Très bien !
Mme Marie-Claude Varaillas. Même si la question de la récupération de l’eau fait rage, nous devons avoir un débat apaisé. On ne vole pas plus d’eau avec une retenue collinaire qu’avec un récupérateur en maison individuelle. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Laurent Duplomb. Bravo !
Mme Marie-Claude Varaillas. Nous devons accélérer vers l’agroécologie et généraliser une agriculture de conservation qui améliore la rétention d’eau.
Il est regrettable que notre pays manque d’ambition : l’eau doit être enfin traitée comme un bien commun et non plus comme une marchandise sur un marché opaque et juteux pour les multinationales.
Je me souviens pourtant des sages paroles du Président de la République lors de la crise sanitaire : « Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. »
La gestion publique de l’eau, par la création d’un service public dédié, doit guider notre action, avec une intervention particulière et prioritaire dans les outre-mer, où l’état des réserves d’eau et des réseaux d’approvisionnement est très préoccupant.
Enfin, une tarification sociale de l’eau doit garantir le droit inaliénable à l’accès de tous à l’eau, via la gratuité des premiers mètres cubes, ainsi que je le préconisais dans la proposition de loi que j’ai déposée avec certains de mes collègues en 2021.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
M. Laurent Duplomb. Pas de recul !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la sénatrice Varaillas, permettez-moi de rappeler les grands axes du plan Eau : la sobriété – avec la baisse de 10 % des prélèvements –, l’optimisation – avec la réutilisation des eaux usées traitées et le recours à des solutions fondées sur la nature –, la qualité – avec la protection des captages – et le renforcement de la gouvernance locale – avec la multiplication des Sage, des CLE et des PTGE, afin de définir la politique de l’eau à l’échelle locale. Tous les acteurs pourront ainsi décider, à cet échelon, des engagements à prendre pour répondre à l’objectif d’une réduction de 10 % des prélèvements.
Qui va payer ? Ce sont l’ensemble des usagers qui paieront. Nous avons été extrêmement vigilants à faire porter la responsabilité sur les ménages, les agriculteurs, les industriels et le secteur de l’énergie. Quand l’effort est partagé, il est beaucoup mieux accepté par l’ensemble de la population. Permettez-moi de rappeler qu’il s’agit de 475 millions d’euros supplémentaires, soit un budget complémentaire de 20 %.
Le sujet de la tarification de l’eau relève directement des collectivités, ainsi que David Lisnard, le président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, nous l’a rappelé dès l’annonce du plan Eau par le Président de la République. L’État sera aux côtés des collectivités pour les accompagner dans la tarification sociale de l’eau, mais n’imposera en aucun cas une tarification : ce sera décidé par territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Louis-Jean de Nicolaÿ applaudit également.)
M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les sécheresses et les canicules de ces dernières années l’ont prouvé : le temps de l’abondance et de l’insouciance hydrique est révolu. Face à la raréfaction de la ressource, nous savons que nous devons désormais changer de modèle de gestion de l’eau. Nul besoin d’être docteur en mathématiques pour poser l’équation, tant elle est simple : faire mieux avec moins !
La nouvelle donne hydrique nous impose de repenser notre modèle de gestion durable de l’eau, d’accroître la sobriété de nos consommations et de nos prélèvements, de trouver les moyens de prévenir et d’apaiser les conflits d’usage, mais également d’anticiper les conséquences d’étés plus secs pour ne pas les subir. Angle mort des réflexions d’un pays que l’on a souvent comparé à un château d’eau, la ressource en eau peut devenir, dans la France de 2023 et des années à venir, un facteur de tensions, voire de conflits. Ne pas s’y préparer serait suicidaire.
Les assises de l’eau et le Varenne agricole de l’eau ont préparé le terrain, mais également les esprits. Le plan Eau conclut cette séquence de réflexion et de concertation par une série de mesures que les élus, les acteurs et les citoyens attendaient depuis longtemps. On pourrait regretter que la cible de 10 % d’économies d’eau prélevée dans tous les secteurs ne soit qu’indicative. Certes, toute politique est perfectible, mais je préfère l’action à l’immobilisme.
Je salue l’annonce d’un plan de 180 millions d’euros par an pour lutter contre les canalisations fuyardes des collectivités dont le rendement des réseaux est inférieur à 50 %, ainsi que je l’avais appelé de mes vœux au mois de novembre dernier dans une tribune largement cosignée par des parlementaires et des élus locaux.
J’ai cependant quelques inquiétudes concernant la conditionnalité des aides : il ne faudrait pas que les collectivités les plus fragiles soient pénalisées par des exigences hors de leur portée. Les élus locaux doivent être accompagnés et non stigmatisés. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous me rassurer et nous en dire plus sur la manière dont les aides seront attribuées et évaluées ?
Ces dernières semaines, des articles de presse ont ravivé les préoccupations relatives à la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine. De nouvelles molécules chimiques mises sur le marché, dont les effets à long terme sont encore mal connus, finissent par se retrouver dans les milieux aquatiques et les aquifères, donc dans l’eau distribuée aux usagers. Madame la secrétaire d’État, quelles actions comptez-vous mettre en œuvre pour rassurer sur la potabilité de l’eau du robinet et son innocuité pour la santé à long terme ?
En matière d’action publique, l’État doit être exemplaire et s’appliquer à lui-même les efforts qu’il demande aux collectivités, aux entreprises et aux citoyens. Comment comptez-vous mettre en place, dans les administrations publiques, une gestion de l’eau irréprochable et en finir avec les gaspillages ? Le parc immobilier de l’État comprend plus de 190 000 bâtiments, pour une surface d’environ 94 millions de mètres carrés… Un rapide calcul conduit à un montant vertigineux. Il ne s’agit pourtant que d’une mesure parmi les 53 qui ont été annoncées. Comment comptez-vous la financer et communiquer autour de cette exemplarité ?
Sans moyens financiers adéquats, la parole publique et les programmes d’action restent lettre morte. Madame la secrétaire d’État, vous augmentez le plafond mordant des agences de l’eau, mais, dans le même temps, vous fléchez une grande partie de ces augmentations vers des mesures que vous avez identifiées par ailleurs. Même si les montants annoncés par le Président de la République paraissent importants, les besoins annuels identifiés pour le petit et le grand cycle de l’eau se chiffrent en milliards d’euros.
Madame la secrétaire d’État, ma question est toute simple : que comptez-vous faire pour que le plan Eau ne soit pas un plan qui prenne l’eau ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Ça s’arrose ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Longeot, j’ai déjà apporté un certain nombre d’éléments d’information.
Vous évoquez la conditionnalité des aides aux collectivités. L’objectif est de soutenir les collectivités en vue d’une gestion performante du service eau et assainissement. La conditionnalité des aides sera dimensionnée afin d’être incitative, sans laisser les collectivités les plus en difficulté au bord du chemin.
Deux profils de collectivités sont plus particulièrement ciblés dans le plan Eau : les collectivités qui présentent des risques d’approvisionnement en eau potable – nous en avons identifié 2 000 – et celles qui présentent de graves défauts d’entretien de leurs réseaux, avec plus de 50 % de fuites – nous en avons répertorié 171, mais elles sont en réalité bien plus nombreuses. L’enjeu est d’entraîner toutes celles qui ont des performances moyennes. Il conviendrait de doubler le rythme actuel de renouvellement des infrastructures au regard de leur durée de vie. Cette accélération sera principalement soutenue par un juste prix de l’eau et la mobilisation des Aqua Prêts à taux bonifié de la Banque des territoires.
Les agences de l’eau fixeront les critères de la conditionnalité des aides, selon les principes généraux posés par l’État qui porteront notamment sur la conformité au regard des cibles de fuites et de qualité des rejets des eaux usées traitées. Il ne s’agit pas, bien entendu, de pénaliser les collectivités les plus en difficulté : au contraire, celles qui n’atteindraient pas les critères de conformité, pourront être aidées à condition de présenter un plan correctif.
Comment faire en sorte que le plan Eau ne prenne pas l’eau ? Monsieur le sénateur, nous avons tâché d’envisager la problématique de la gestion de l’eau dans son ensemble, en répondant à l’objectif de baisse des prélèvements, en renforçant la gouvernance, en permettant d’autres utilisations – je pense à la réutilisation des eaux usées traitées ainsi qu’aux solutions fondées sur la nature –, en étant attentifs à la qualité de l’eau. Ainsi, nous répondons à l’ensemble des besoins, sans oublier les moyens financiers.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour la réplique.
M. Jean-François Longeot. Les collectivités attendent certes des moyens financiers, mais aussi des conseils et des aides. En matière d’assainissement, les décisions que les maires doivent prendre sont difficiles – je peux en témoigner pour avoir exercé ce mandat –, notamment au regard des nouveaux traitements à opérer. Je ne suis pas certain que l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), cher Louis-Jean de Nicolaÿ, soit en mesure d’accompagner toutes les communes dans leurs décisions de traitement des eaux usées.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nadège Havet et M. Pierre Louault applaudissent également.)
M. Éric Gold. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après les affrontements de Sainte-Soline le 25 mars dernier, ce débat sur la gestion de la ressource en eau apparaît cruellement d’actualité.
Sainte-Soline n’est pas une affaire d’écologistes et d’ultragauche. Il s’agit d’un débat de fond et d’une véritable inquiétude : dans un contexte de pénurie croissante, l’eau va-t-elle enfin être gérée comme un bien commun à préserver ?
Jusqu’à présent, nous vivions dans un pays où l’eau coulait en abondance. Nous pouvions prélever jusqu’à 35 milliards de mètres cubes par an sans avoir à remettre en cause notre modèle. Toutefois, après plusieurs épisodes de sécheresse et la confirmation d’une trajectoire inquiétante de réchauffement climatique, des tensions autour du partage de cette ressource apparaissent.
Pour autant, connaissons-nous réellement la situation ? Sommes-nous en mesure de quantifier l’état de la ressource en eau ? Le sentiment général, madame la secrétaire d’État, est que nous nous réveillons alors qu’il est déjà trop tard, que les cours d’eau sont à sec, que les nappes phréatiques sont au plus bas et que les prévisions à moyen terme ne sont pas des plus optimistes.
Sous l’effet du réchauffement climatique, les précipitations vont diminuer, l’évaporation va s’accentuer. Dans le même temps, l’augmentation de la population mondiale accroît les besoins en eau. Les pressions sur les gestionnaires de l’eau en ville s’intensifient. En zone rurale, le partage et les conflits d’usage posent des problèmes croissants. Parallèlement, les besoins en énergie et en alimentation augmentent, alors que les centrales nucléaires et l’agriculture sont de très gros consommateurs d’eau.
Gérer durablement l’eau, c’est être capable de reconstituer les stocks chaque année, c’est ne pas puiser plus que l’alimentation annuelle des réserves souterraines et de surface, alors même que les glaciers fondent sans se reconstituer.
Pour cela, nous devons d’abord revoir entièrement notre modèle, à commencer par le modèle économique des agences de l’eau, qui n’incite pas suffisamment à une utilisation rationnelle de l’eau. Le plan Eau prévoit le déplafonnement des dépenses de ces structures. Attention toutefois à élargir le champ des contributeurs, afin de conserver une logique pollueur-payeur. Si une tarification progressive et responsabilisante de l’eau peut contribuer à faire baisser la consommation des ménages, le financement de la politique de l’eau ne peut continuer à reposer entièrement sur eux.
L’objectif de réduction de 10 % des prélèvements par rapport à 2019, dans tous les secteurs, est un premier pas. Nous regrettons toutefois que cette ambition, affichée pour 2025 lors des assises de l’eau, soit désormais reportée à 2030.
Un objectif n’est rien sans moyens à la hauteur. Le plan Eau nous apporte quelques réponses, avec 500 millions d’euros supplémentaires chaque année pour les agences de l’eau, 100 millions pour les pratiques vertueuses des agriculteurs ou encore 100 millions d’euros du fonds vert pour des projets de renaturation des collectivités. Une grande campagne de sensibilisation et d’accompagnement des particuliers complétera cet arsenal, pour couvrir l’ensemble de la chaîne de consommation.
Pour ma part, je défends un modèle où l’État fixe un cap ambitieux associé à des moyens suffisants, tout en laissant la main aux collectivités territoriales, car un modèle unique ne saurait être appliqué sur tout le territoire. Il nous faut des approches intégrées, par exemple avec une gestion par bassin ou par écosystème. Il nous faut achever l’évolution de la gouvernance de l’eau, pour que tous les acteurs définissent ensemble les priorités de leur bassin, dans le but d’éviter les conflits et de garantir une utilisation de la ressource en fonction des besoins prioritaires.
Sur la question très sensible de l’irrigation en agriculture, les quantités autorisées doivent être définies par les agences de l’eau, en lien avec les chambres d’agriculture, mais aussi les associations locales, pour faire baisser le niveau de tension. De tels projets de territoire pourraient nous éviter d’autres Sainte-Soline.
Nous devons aussi mieux accompagner les élus locaux, parfois démunis face aux enjeux, notamment dans les petites communes hors syndicat. Il faut les aider à mieux identifier, financer et mettre en œuvre leurs projets.
Enfin, des solutions très concrètes doivent être développées. La technologie nous offre des opportunités intéressantes dans tous les secteurs. Outre l’irrigation de précision, le goutte-à-goutte enterré ou les drones et les capteurs en agriculture, la réutilisation des eaux usées doit faire figure de priorité. Le Président de la République a fixé l’objectif de passer de 1 % à 10 % d’eau usée réutilisée, notamment en levant certains verrous administratifs. Alors qu’Israël réutilise 80 % de ses eaux usées, nous continuons à arroser nos jardins avec de l’eau potable… Il y a là une absurdité à lever. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Beaucoup a déjà été dit, mais je tiens à répondre à chacun.
Monsieur Gold, je partage en partie votre constat. Les deux épisodes de sécheresse que nous avons connus l’an dernier – que nous connaîtrons probablement de nouveau cette année, malheureusement – ont constitué une prise de conscience collective, permettant de sensibiliser citoyens et élus. Nous n’avons jamais autant débattu de l’eau et je m’en réjouis.
Le Gouvernement a fait de ce sujet sa préoccupation et agit. La diminution de 10 % des prélèvements a été anticipée : elle avait été annoncée par Emmanuelle Wargon, alors qu’elle était secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Nous annonçons maintenant comment nous comptons y parvenir. Il est bon que l’effort soit partagé entre les acteurs. Des solutions techniques permettront aussi d’atteindre cet objectif de diminution de 10 %, comme la réutilisation des eaux usées traitées. Nos voisins savent très bien le faire et des entreprises françaises le pratiquent déjà à l’étranger : alors, pourquoi pas chez nous ?
La participation de l’ensemble des collectivités, notamment de l’Anel pour encourager ces solutions dans les communes littorales, est bienvenue afin d’amplifier cette dynamique. La réduction des contraintes réglementaires nous permettra aussi d’accélérer. Il nous remonte des territoires une envie de bien faire ; il faut désormais donner les moyens, notamment réglementaires, pour que ces solutions se mettent en place dans les territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold, pour la réplique.
M. Éric Gold. Madame la secrétaire d’État, compte tenu des tensions croissantes autour de la ressource en eau, une actualisation de la loi de 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques serait utile, prenant en compte la priorité des usages, afin de rappeler à chacun que, dans un contexte de pénurie, l’accès à la ressource pour tous et la biodiversité sont nos priorités. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après un été 2022 historiquement sec, qui a été l’occasion de controverses notamment liées au partage de l’eau, été qui a succédé à un printemps caractérisé par des inondations à répétition, la question de la gestion de l’eau s’invite plus que jamais dans le débat public. Je m’en réjouis.
Nous devons préserver l’intégrité et la pérennité de la ressource en eau. Sa préservation ne pourra se faire qu’avec une gouvernance ad hoc.
Fort d’un regard rétrospectif, je pense qu’il serait bienvenu de recréer des services d’ingénierie de l’eau dans tous les territoires. En effet, la dégradation de la gestion patrimoniale des réseaux d’eau et d’assainissement est incontestablement corrélée à la disparition de l’ingénierie publique. Dans mon territoire, au cours de la période 2012-2022, 25 % des postes de l’agence de l’eau Rhin-Meuse ont été supprimés. Conséquence logique, les collectivités locales, souvent livrées à elles-mêmes, rencontrent des difficultés dans leur choix d’un mode de gestion et d’assainissement.
Il est donc essentiel de reconstituer une ingénierie territoriale spécialisée dans le domaine de l’eau, facilement mobilisable par le plus grand nombre de collectivités. C’est une question d’équité entre les territoires. La piste d’une ingénierie de proximité, articulée entre les acteurs et leur laissant le choix d’une éventuelle mutualisation à l’échelon intercommunal, mérite d’être explorée pour aller vers une amélioration fonctionnelle et des performances de service. L’émergence d’une nouvelle ingénierie me paraît la condition nécessaire à l’amélioration de la gouvernance du service public de l’eau.
Ainsi, nous pourrons stimuler les mécanismes de solidarité pour rattraper le retard d’équipement en matière d’eau et d’assainissement, notamment en milieu rural. Sans revenir sur le caractère obligatoire de la loi NOTRe, il serait utile de faciliter la remise à niveau des infrastructures d’eau et d’assainissement en cas d’intégration d’une commune à une intercommunalité.
Trop souvent, le rattrapage d’investissement est tel qu’il freine l’adhésion : soit le ticket d’entrée est trop élevé, soit la solidarité forcée de l’intercommunalité d’accueil trouve ses limites. Or l’intercommunalité en matière d’eau, notamment grâce au budget annexe qui permet une programmation pluriannuelle, est, dans l’absolu, un bon vecteur de modernisation des infrastructures et de professionnalisation des services. Nous pourrions imaginer un contrat de transition permettant de réaliser, dans des conditions apaisées et soutenables, des adhésions volontaires à des structures intercommunales, guidées par des logiques de performance et de service. Les agences de l’eau y trouveraient naturellement leur place.
Ce serait l’occasion de fixer les conditions d’une transformation des usages et d’un partage des ressources en eau, grâce à un dialogue territorial renouvelé, avec une vision à 360 degrés. Le changement climatique continuera d’avoir un impact durable sur les ressources en eau. Les projections font apparaître une baisse moyenne de la pluviométrie dans la plupart des régions de France, sauf le Grand Est, avec une très forte variabilité interannuelle.
L’ambition du Sage, issu de la loi de 1992, était claire : permettre aux élus, mais pas seulement eux, de tenir compte de la nouvelle situation climatique pour définir, dans leur bassin, les scénarios prospectifs d’aménagement. Là où les conflits d’usage étaient prégnants, cette forme de démocratie locale était pionnière et a montré son intérêt. Elle permet en effet de concilier les usages avec les disponibilités en eau et les aléas. Il faut certainement, madame la secrétaire d’État, lui donner un nouveau souffle. Nous devons donc réinventer les Sage, en imaginant des formes de gouvernance plus souples et en tirant les enseignements de leurs échecs ou de leurs limites – en un mot, en ayant un plan d’action opérationnel.
Nous devons aussi réinvestir dans l’innovation. Comment en sommes-nous arrivés à couper les ailes de nos entreprises spécialisées dans la gestion de l’eau, qui incarnaient pourtant l’excellence technologique à la française ? Nous sommes, une fois de plus, en retard par rapport à nos voisins européens – l’Italie, l’Espagne – en matière de réutilisation des eaux grises et des eaux usées. Le Président de la République a annoncé la mise en place d’un volet Eau au sein du programme France 2030 ; or c’est dans les territoires ruraux que le renchérissement du coût de l’énergie a les effets les plus marqués sur les services d’eau et d’assainissement ou qu’il existe des pressions non traitables du fait de la faiblesse de services moins intégrés.
Madame la secrétaire d’État, sur ces quatre orientations, le Gouvernement va, par votre voix, nous faire connaître la suite qu’il entend leur donner. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)