Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Je vais avoir besoin d’un plus que les deux minutes qui me sont imparties pour répondre à toutes ces questions !
M. Jean-François Husson. C’est l’exercice, madame la secrétaire d’État !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. C’est du manque de temps que je me plains, monsieur le sénateur, car mon souhait est de pouvoir répondre à toutes vos questions…
Madame la sénatrice Paoli-Gagin, vous avez raison : le sujet de l’eau est mondial. Je suis d’ailleurs très heureuse d’avoir participé à la conférence des Nations unies qui s’est tenue à New York sur cette question il y a une quinzaine de jours. Voilà quarante-six ans qu’une telle conférence n’avait pas eu lieu, alors même qu’elle permet d’évoquer ces questions avec de nombreux pays à travers le monde. C’est en effet un sujet éminemment important pour les prochaines décennies.
Bien évidemment, fournir une eau de qualité est une nécessité, pour la santé de toutes les personnes à l’échelle mondiale, mais aussi, bien sûr, pour la santé des Français.
On observe bien une tendance à la dégradation de la qualité chimique des eaux souterraines. Je rappelle tout de même que le dépassement du seuil de potabilité est une alerte qui ne signifie pas un danger imminent pour la santé des Français. C’est un signal sur la nécessité d’agir pour inverser la tendance. L’eau potable vient, aux deux tiers, des nappes. Il convient donc de mieux prévenir les pollutions diffuses, à l’échelle des aires d’alimentation de captage.
Pour cela, nous allons accompagner des évolutions de pratiques agricoles, pour utiliser moins de pesticides, moins d’engrais chimiques dans ces zones particulièrement sensibles. Vous avez raison, la question du biocontrôle m’importe. C’est une solution qui permet d’utiliser moins de produits chimiques.
Au cours du précédent mandat, des enveloppes ont été déployées pour doper la recherche dans ce domaine : avant d’interdire l’usage de telle ou telle molécule, il faut trouver une solution de substitution relevant du biocontrôle. Un tel fonds permet précisément de mener les recherches nécessaires.
En outre, nous souhaitons accompagner les nouvelles générations pour favoriser l’installation en bio et en agroécologie.
Dans la même logique, nous apporterons 100 millions d’euros supplémentaires pour soutenir financièrement les agriculteurs qui utilisent moins d’intrants.
Évidemment, l’échelon européen a toute son importance. Le règlement pour un usage durable des pesticides, ou SUR (Sustainable Use of pesticides Regulation), est précisément en cours de négociation. Notre ambition, à ce titre, c’est une meilleure protection des captages.
Nous allons aussi agir plus vite en cas de dépassement d’un seuil sanitaire. Si la molécule en question est toujours utilisée, le préfet mettra automatiquement en œuvre un certain nombre de mesures en complément du plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux de la collectivité.
Madame la sénatrice, vous m’avez interrogée au sujet du crédit d’impôt pour les récupérateurs d’eau de pluie : nous sommes en train d’instruire les conditions de sa réactivation. Je ne manquerai pas de vous tenir informée de l’avancée de ces travaux.
Vous avez également abordé le sujet de la formation. Nous avons, en France, la chance d’avoir des établissements d’enseignement supérieur reconnus, et même réputés, pour la qualité de leur formation, notamment au sujet de l’eau…
Mme la présidente. Madame la secrétaire d’État, vous pourrez poursuivre lors de votre prochaine intervention.
M. François Bonhomme. Nous allons y revenir, ne vous inquiétez pas ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller.
M. Daniel Breuiller. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier notre collègue Jean Sol et la délégation à la prospective d’avoir demandé ce débat.
J’ai écouté, comme nous tous ici, les déclarations du Président de la République à propos de l’eau. J’ai eu la satisfaction d’entendre que des propositions que nous avions défendues en projet de loi de finances et qui avaient alors été rejetées étaient reprises dans le plan Eau. Je pense au plafond mordant des agences de l’eau, à la tarification progressive de l’eau, à l’augmentation des financements à l’agriculture biologique et pour la sortie des engrais azotés de synthèse, ou encore au développement des paiements pour services environnementaux, même si, pour ces trois mesures, nous proposions un accompagnement sur tout le territoire et non pas seulement sur les aires de captage.
Madame la secrétaire d’État, afin d’accélérer votre action contre les dérèglements climatiques et pour une gestion durable de l’eau, n’hésitez pas à consulter nos amendements passés et nos propositions actuelles. (Sourires.) En voici quelques-unes.
Notre première suggestion porte sur la qualité de l’eau. Cet enjeu essentiel est traité de manière trop superficielle dans le plan présidentiel.
La moitié des masses d’eau sont polluées par des plastiques, des nitrates, des herbicides et des pesticides. Or, sur ce sujet, vous ne dites rien ou presque. Pis, au lendemain de l’annonce du plan Eau, le ministre de l’agriculture – et des pesticides ! – demandait à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail de revenir sur l’interdiction de l’herbicide S-métolachlore. Il témoignait, ce faisant, d’un remarquable sens des priorités : deux jours après étaient rendues publiques de nouvelles études confirmant la non-conformité d’un tiers de l’eau distribuée en France en raison de la présence de métabolite chlorothalonil R471 811.
Pour la qualité de l’eau, nous revendiquons un grand plan d’appui à la transition de l’agriculture vers l’agroécologie, un plan massif en faveur de l’agriculture biologique. En effet, ces dernières reposent sur des pratiques sobres en eau et permettent de retenir l’eau dans les sols par les haies, les couverts végétaux, les prairies ou les rotations longues.
La nature a ses propres solutions et les agriculteurs ont toujours répondu aux demandes de la Nation. Encore faut-il les engager sur ce chemin au lieu de défendre un modèle qui, s’il craque face aux pénuries, reste rentable pour l’agro-industrie.
Notre seconde suggestion porte sur la gestion quantitative.
Les assises de l’eau ont fixé, en 2019, un objectif de réduction de 10 % des consommations à échéance 2024. Vous le reprenez, mais à échéance 2030. Or la situation se dégrade vite : on ne peut repousser de telles échéances, exonérer l’agriculture, qui consomme 56 % de la ressource, ou encore l’industrie, dont les développements espérés, potentiellement très consommateurs, peuvent provoquer des tensions. Le projet d’extension de STMicroelectronics à Crolles en est l’illustration.
Les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires souhaitent également un moratoire sur les projets à fort impact sur les cycles de l’eau et non compatibles avec les bouleversements climatiques, qu’il s’agisse des mégabassines, des réserves d’eau pour canons à neige ou de la ligne ferroviaire Lyon-Turin.
Il est aussi primordial de considérer les évolutions de la ressource en eau dans nos choix énergétiques. Je pense notamment aux risques liés à la baisse du débit d’étiage des fleuves. Il va diminuer de 20 % à 40 % d’ici à 2050. De combien va-t-il chuter d’ici à 2100, date de fin de vie de vos potentiels futurs EPR ?
Je n’oublie pas non plus les impacts de ces choix sur les milieux aquatiques, la biodiversité et la qualité de l’eau. L’été, il faudra choisir entre la préservation des milieux, la fourniture d’eau potable, la production d’électricité et l’agriculture. Qui arbitrera ? Comment le fera-t-on sans conflit ?
Pour nous, c’est à la science partagée et à la démocratie qu’il revient d’arbitrer. Nous demandons la réalisation d’études académiques en amont de tout projet affectant le cycle de l’eau et le partage des ressources.
Madame la secrétaire d’État, il y aura de plus en plus de conflits d’usage. Au fond, ce qui s’est passé à Sainte-Soline n’est que l’illustration de tensions beaucoup plus nombreuses, mais parfois moins visibles ou moins médiatisées.
L’agriculture a besoin d’eau, mais elle en a davantage besoin dans les sols que dans des mégabassines. Elle en a besoin pour alimenter des systèmes d’irrigation vertueux. (M. Laurent Duplomb s’exclame.)
Pour que les conflits d’usage ne deviennent pas des conflits violents, il faut trouver des réponses démocratiques plutôt que sécuritaires.
À l’échelle de nos territoires, les commissions locales de l’eau (CLE) et les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) doivent être généralisés. Surtout, ils doivent être réellement ouverts à tous, sans omission des associations environnementales ou de la Confédération paysanne, comme c’est le cas ici ou là.
À l’échelle nationale, les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vous proposent d’organiser une convention citoyenne de l’eau, portant sur les chemins de sobriété et les priorisations en temps de sécheresse.
La convention citoyenne sur la fin de vie est la preuve heureuse que les Françaises et les Français ont envie d’une démocratie ouverte, qu’ils sont capables de trouver un consensus éthique et profond sur des sujets complexes. Si une telle démarche peut éviter des affrontements dramatiques, osons ce chemin.
La France et le monde subissent à présent cette crise de plein fouet.
Faites donc confiance aux citoyens. Écoutez les organisations non gouvernementales (ONG), les scientifiques et même les parlementaires écologistes ! Écoutez les membres de la mission d’information sur la gestion durable de l’eau, notamment son rapporteur, Hervé Gillé, qui remettront prochainement leurs travaux. C’est indispensable pour être à la hauteur des enjeux.
En 1974, René Dumont prédisait la raréfaction de l’eau dans l’indifférence généralisée, voire sous les sarcasmes des partis de gouvernement. Il avait pourtant raison : aujourd’hui, nous sommes dans la crise. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. François Bonhomme. Mon Dieu…
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Breuiller, vous avez apporté de nombreux éléments au débat.
Tout d’abord, je tiens à vous remercier de vos dix propositions : elles confirment que nous avons mené un travail de qualité, sous le signe de la concertation. (M. Daniel Breuiller acquiesce.) Comme vous l’avez souligné, nous en avons repris de nombreuses.
Ensuite – je vous le confirme –, nous souhaitons parvenir à une réduction de 10 % des prélèvements d’eau. Certes, nous avons opté pour une échéance en 2030 ; mais, désormais, nous précisons clairement la manière dont nous allons y parvenir. Jusqu’à présent, nous avons fixé un objectif sans nous donner les moyens. Aujourd’hui, nous disposons d’un plan complet permettant à chacun de se donner les moyens de cette ambition.
Toutes les parties prenantes doivent prendre leurs responsabilités. Collectivités territoriales, particuliers, industriels ou encore agriculteurs, chacun va contribuer à la baisse de 10 % des prélèvements.
Dans le domaine agricole, cette évolution ne sera pas facile, c’est certain. Vous insistez sur l’enjeu que représente l’irrigation, mais celle-ci ne concerne que 7 % des eaux utilisées par l’agriculture. Peut-être faudra-t-il oublier telle culture trop gourmande en eau dans tel territoire pour la développer ailleurs.
À cet égard, il faut déployer les investissements qu’exige la réutilisation des eaux usées traitées : notre pays n’a pas suffisamment œuvré en ce sens. Aujourd’hui, notre taux de réutilisation des eaux reste inférieur à 1 %, alors que celui de nos voisins espagnols, par exemple, avoisine les 13 %.
Le plan Eau nous donne les moyens d’atteindre l’objectif fixé.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour la réplique.
M. Daniel Breuiller. Madame la secrétaire d’État, l’accélération et l’aggravation de la crise climatique ne nous permettent pas d’aller à un train de sénateur : nous devons changer de rythme et lancer des débats démocratiques dès aujourd’hui, face aux conflits d’usage qui – j’en ai bien peur – vont se développer.
Je prends note de vos engagements. Je vous le répète, nous sommes disposés à participer à ce travail : il y va de l’avenir, non seulement de notre pays, mais de la planète.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au cours de l’été 2022, 93 départements ont été soumis à des restrictions de consommation d’eau du fait de la sécheresse, plus de 1 000 communes ont dû être ravitaillées en eau par bouteilles, 32 départements sont actuellement en état de vigilance ou d’alerte renforcée et la faible pluviométrie observée ces derniers mois sur l’ensemble du territoire national interroge déjà notre gestion de cette ressource fondamentale au cours des prochains mois.
Depuis vingt ans, la France métropolitaine a perdu 14 % de ses ressources en eau renouvelable par rapport à la période 1990-2001. La délégation sénatoriale à la prospective le rappelle dans son rapport d’information : le changement climatique, dont les effets sont déjà visibles, rend notre accès à l’eau de plus en plus difficile.
Oui, le cycle de l’eau en France se modifie et va encore évoluer. Les précipitations deviendront de plus en plus irrégulières, le débit des cours d’eau se réduira et le stress hydrique s’accroîtra là où, encore récemment, cette problématique n’était pas première.
La répétition des vagues de chaleur, lourdes de conséquences comme, à l’opposé, la survenue d’épisodes de pluies extrêmement violentes imposeront une meilleure gestion quantitative de l’eau sur toute l’année. Nous devrons anticiper les événements, nous adapter aux aléas pluviométriques et à leur soudaineté tout en veillant, encore et toujours, au respect des impératifs sanitaires.
Ce défi, qui est à la fois celui du volume et celui de la qualité, il nous faut nécessairement le relever en provoquant et en favorisant la mobilisation de tous – industriels, acteurs du monde agricole, particuliers – pour la sobriété dans les usages et la compréhension partagée des enjeux et des progrès techniques à soutenir.
Face à cet état de fait, qui n’est pas uniquement conjoncturel, des mesures ont déjà été prises. Ainsi, un nouvel objectif de sobriété a été fixé par le plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau : réaliser 10 % d’économies d’eau en 2030.
Les moyens seront mis en œuvre par secteur et par territoire. Chaque sous-bassin hydrographique, selon ses spécificités, sera doté d’une trajectoire particulière.
Parmi les mesures annoncées, je relève à mon tour la création d’un EcoWatt de l’eau et l’élaboration de plans sectoriels de sobriété. Je citerai également non seulement la hausse du budget des agences de l’eau et la suppression de leur plafond de dépenses, afin de lutter contre les fuites dans les réseaux, mais aussi la mise en place d’une tarification progressive de l’eau et le soutien à la réutilisation des eaux usées.
Ma question portera sur ce dernier point. Il s’agit pour notre pays de faire un véritable bond, en passant d’un taux d’environ 1 % actuellement à 10 % d’ici à 2030. Ce faisant, nous nous rapprocherons de plusieurs de nos voisins, comme l’Espagne, qui réemploie 14 % de ses eaux usées, ou l’Italie, qui en réutilise 8 %.
Pour impulser ce mouvement essentiel, plusieurs leviers seront actionnés : lancement de 1 000 projets en cinq ans pour recycler et réutiliser l’eau ; lancement par l’État, en partenariat avec l’Association nationale des élus du littoral (Anel), d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) spécifique à destination des communes littorales sur la faisabilité des projets ; mise en place d’un observatoire national ; accélération des procédures administratives.
Si, aujourd’hui, la réutilisation des eaux usées traitées est possible dans quelques cas précis, comme pour l’arrosage des espaces verts, il est nécessaire d’accélérer.
C’est le sens de la sixième recommandation, transpartisane, énoncée par nos quatre rapporteurs : encourager la recherche et l’innovation dans le domaine de l’eau, qu’il s’agisse de la recharge artificielle des nappes, du développement de la télésurveillance des réseaux, du recours aux données numériques et à l’imagerie satellitaire pour mieux connaître en temps réel l’état de la ressource ou, justement, de la réutilisation des eaux usées traitées. En effet, les eaux traitées constituent non pas une ressource nouvelle, mais un moyen de réduire les prélèvements d’eau dans la nature.
Cette solution présente un intérêt certain en période estivale dans les zones littorales touristiques. Je pense notamment aux lieux où la consommation d’eau et les besoins de l’agriculture sont particulièrement importants en été.
C’est précisément pourquoi l’Union européenne a voulu se doter au mois de mai 2020 d’un nouveau règlement, qui entrera bientôt en vigueur. Il s’agit de faciliter la réutilisation de l’eau, en particulier pour l’irrigation agricole. Selon la Commission européenne, plus de 40 milliards de mètres cubes d’eaux usées sont traités chaque année dans l’Union européenne, mais moins de 1 milliard sont réutilisés.
Ces avancées, comme les autres mesures précédemment évoquées, iront de pair avec une plus grande pédagogie sur l’eau, notamment auprès du grand public.
À la fin du mois d’août dernier, à l’occasion de la rencontre des entrepreneurs de France, Élisabeth Borne a évoqué la planification écologique de l’eau. L’objectif est d’identifier les actions dont nous avons besoin pour accélérer la transition écologique et atteindre les baisses de prélèvement.
La gestion de l’eau doit devenir plus résiliente et plus fiable dans trois domaines principaux : l’industrie, l’agriculture et les usages du quotidien.
Pour ce faire, il paraît indispensable de parvenir à un consensus sur l’eau. Cet enjeu national et territorial suppose un effort de démocratisation et d’éducation. Il implique une communication ciblée et continue sur les usages et leur priorisation.
Madame la secrétaire d’État, quelles nouvelles mesures réglementaires pourrait-on rapidement prendre en la matière, en particulier pour le secteur industriel ? Comment entendez-vous accélérer les procédures en vigueur – un grand nombre d’acteurs le demandent –, tout en rassurant quant aux évolutions souhaitables ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la sénatrice Havet, je l’indiquais il y a un instant en réponse à M. Breuiller : notre taux de réutilisation d’eaux usées et traitées, aujourd’hui inférieur à 1 %, est réellement insuffisant. Vous l’avez rappelé, ce taux est de 13 % en Espagne et de 8 % en Italie. Nous pouvons faire mieux.
Nous voulons atteindre 10 % en développant jusqu’à 1 000 projets de réutilisation sur le territoire. Nous donnerons la priorité à l’animation et à l’accompagnement des porteurs de projet. Comme vous le soulignez, un appel à manifestation d’intérêt sera lancé par l’État, en partenariat avec l’Anel, pour financer cent études de faisabilité par an.
Yannick Moreau, président de l’Anel, est extrêmement attentif à ces questions et nous souhaitons tout particulièrement valoriser de tels projets dans les communes littorales. En effet, nous en sommes persuadés, ce sont là des solutions d’avenir. À l’heure actuelle, nombre de ces communes relâchent leur eau douce dans la mer : autant la récupérer.
Vous évoquez avec raison les évolutions réglementaires qui s’imposent. De nombreux chantiers ont d’ores et déjà été ouverts cette année. Notre objectif est de lever les freins à la valorisation des eaux non conventionnelles pour les usages les plus pertinents. Il s’agit d’assurer des économies d’eau tout en garantissant, bien sûr, la sécurité sanitaire, au nom de laquelle nombre de projets ont été bloqués jusqu’à présent.
Le projet de décret relatif à la réutilisation des eaux dans les industries agroalimentaires est actuellement soumis à consultation publique. Nous souhaitons publier ce texte aussi rapidement que possible. À ce titre, nous engageons régulièrement des discussions avec les filières agroalimentaires : elles attendent le décret avec impatience, car bien des projets sont prêts à être mis en œuvre.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Daniel Breuiller applaudit également.)
M. Hervé Gillé. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont proposé la création d’une mission d’information sur la « gestion durable de l’eau : l’urgence d’agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement ». J’ai le plaisir d’en être le rapporteur.
Cette mission d’information entend réaliser une évaluation des politiques publiques de la gestion de l’eau mise en œuvre en France au regard des enjeux environnementaux, sociaux et économiques. J’insiste sur l’importance d’une telle approche sociétale.
Nos travaux s’inspirent évidemment du rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective, que nous remercions de ce débat. Ils s’organisent selon trois axes.
Le premier axe, c’est la qualité de l’eau et la lutte contre les pollutions. Pour assurer, non seulement notre approvisionnement en eau potable, mais aussi l’équilibre des milieux, de la faune et de la flore aquatiques, il est essentiel de disposer d’une eau non polluée.
Pourtant, près de la moitié des masses d’eau de surface sont contaminées par des pesticides. Le rapport de l’Anses et ses récentes révélations sur le chlorothalonil et le S-métolachlore démontrent à quel point nos quelques progrès sont insuffisants et combien ce sujet doit être abordé avec humilité. Le constat de la contamination est d’ailleurs relativement absent du plan Eau ; nous le regrettons.
Madame la secrétaire d’État, je note néanmoins que la protection des 500 points de captage prioritaires semble porter ces fruits. Ne faudrait-il pas accroître leur nombre pour améliorer, à moyen et long termes, la qualité des prélèvements ? Quels sont vos objectifs en la matière ? Florence Blatrix Contat reviendra sur ce sujet.
Le deuxième axe, c’est la gestion quantitative de l’eau. D’ici à 2050, les débits moyens annuels des cours d’eau devraient en effet diminuer de 10 % à 40 % : il s’agit là d’une proportion importante. En parallèle, les épisodes extrêmes, comme les sécheresses et les inondations, seront beaucoup plus fréquents.
Ainsi, nous devons optimiser les ressources disponibles – je pense bien sûr au stockage naturel –, voire créer de nouvelles ressources multi-usages et vertueuses pour l’environnement.
La démarche et la méthode des PTGE vont dans le bon sens. Cependant, au-delà des consensus territoriaux, l’on se heurte souvent à des recours tardifs réduisant les négociations à néant. Que comptez-vous faire pour que cette situation évolue, madame la secrétaire d’État ?
Nous sommes tous d’accord pour ériger en priorité une politique de sobriété. Dès lors, explorons toutes les pistes pour atteindre l’objectif de baisse d’eau prélevée fixé à 10 % d’ici à 2030.
Le Gouvernement prévoit 30 millions d’euros pour les retenues agricoles, 180 millions d’euros pour la réduction des fuites prioritaires, 50 millions d’euros pour la préservation des zones humides et l’infiltration des nappes. Il veut également un plan pour la réutilisation des eaux usées traitées et la récupération des eaux de toitures.
Madame la secrétaire d’État, le plan Eau détaille des pistes intéressantes, mais comment ces chantiers seront-ils réellement financés ? Allez-vous augmenter la fiscalité existante ou créer des redevances supplémentaires ? Quelles sont vos réponses sur ce sujet ? Une clarification est nécessaire, faute de quoi l’on en restera aux effets d’annonce.
La tarification différenciée est souhaitable, mais son application pose question. Certes, la mise en œuvre d’un tel dispositif est discutée depuis de nombreuses années, mais elle exigera un travail approfondi et partagé avec le Parlement, les syndicats des eaux et les élus des territoires pour assurer un développement optimal.
À l’instar des déchets, les types d’activité devront faire l’objet d’une tarification différenciée en fonction des consommations. Ce doit également être le cas pour les ménages : une famille nombreuse ne saurait être lésée par rapport à un couple sans enfant. Il faudra donc prévoir des adaptations. Comment le Gouvernement réussira-t-il à faire de la tarification différenciée un dispositif efficace, adapté à chaque usage ? Notre mission d’information est à votre disposition pour travailler sur ce sujet.
Le troisième et dernier axe, c’est la gouvernance. Qui doit agir et avec quels moyens ?
Nous devons sans cesse rappeler le rôle des collectivités territoriales : elles sont en première ligne, qu’il s’agisse de la gestion de l’eau, des fuites, de la baisse d’approvisionnement, de l’assainissement ou encore de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (Gemapi), bien que cette compétence ne soit pas toujours bien financée.
Nous insistons en outre sur l’échelle des bassins versants, qui permet d’optimiser la ressource. Au Sénat, nous le savons mieux que quiconque : cet échelon territorial doit être préservé et renforcé au titre de la gouvernance.
La revalorisation financière substantielle dont les agences de l’eau bénéficient est, partant, la bienvenue. Elle doit être de 475 millions d’euros par an, mais ne sera pas mise en œuvre avant le douzième programme, donc pas avant 2025.
Pour atteindre nos objectifs, nous pourrions étudier la mise en place des contrats d’objectifs et de performance (COP) avec l’ensemble des parties prenantes ou encore le conditionnement des aides et des financements à des objectifs communs pour sécuriser la ressource. Il serait normal de partager ces objectifs de performance et de sobriété.
Mes chers collègues, la gestion de l’eau est un sujet éminemment politique et multidimensionnel. Elle exige, en conséquence, un travail interministériel associant les acteurs agricoles, environnementaux, économiques et sociaux. Elle mériterait même, sinon un ministère de plein exercice, du moins un secrétariat d’État. Je l’appelle de mes vœux.
Travaillons ensemble à des solutions concertées. Investissons nos instances et repolitisons-les au sens noble du terme ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas et M. Daniel Breuiller applaudissent également.)