Mme Sophie Primas. Cela ne vous a pas toujours dérangé !
M. Christophe Béchu, ministre. Dans le même sens, je suis ouvert à une prise en compte spécifique des territoires ruraux, comme cela a été évoqué par la Première ministre lors du congrès des maires de France. Cela devrait favoriser la revitalisation des territoires ruraux.
Il faut en revanche que nous nous entendions sur les critères. Vous le savez, je préfère raisonner en surface plutôt qu’en attribuant un hectare pour tout le monde. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Le sujet le plus complexe concerne le décret dit Sraddet.
Mme Sophie Primas. C’est clair !
M. Christophe Béchu, ministre. Si ce document de planification n’a pas de caractère prescriptif, la quasi-totalité de nos échanges devraient déboucher sur une visée courtoise des objectifs, sans mécanisme juridique contraignant nous permettant de tenir la trajectoire.
Je ne m’étendrai pas sur le décret dit Nomenclature. Le travail de réécriture avec les associations de collectivités est quasiment terminé, selon le calendrier qui avait été indiqué : remise du travail réalisé par la Fédération nationale des agences d’urbanisme (Fnau) au mois de novembre, puis nouveau décret pour le printemps.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui est soumis à votre examen comprend de nombreuses dispositions bénéfiques qui doivent nous permettre une meilleure mise en œuvre de la trajectoire ZAN et une meilleure appropriation par tous les acteurs. Cependant, certaines de ses dispositions, tout comme les amendements qui vont nourrir le débat, présentent, à mon sens, un risque trop important de vider de leur substance les engagements auxquels nous proclamons pourtant notre attachement.
Finalement, ce qui est en jeu, c’est ce qu’est une trajectoire de sobriété foncière, mais aussi ce qu’elle n’est pas.
Mettre en œuvre le ZAN, c’est bon pour lutter contre le dérèglement climatique et préserver la biodiversité. Je vous rappelle qu’un hectare d’étalement urbain économisé, c’est de 190 tonnes à 290 tonnes de CO2 qui ne sont pas émises, la non-artificialisation permettant leur stockage.
J’y insiste, mettre en œuvre le ZAN, ce n’est pas choisir l’environnement contre le développement. On ne va pas arrêter de construire.
Mme Nathalie Goulet. Si !
M. Christophe Béchu, ministre. Il y a 170 000 hectares de friches dans ce pays, dont près de 50 000 hectares en zone tendue. Nous avons par ailleurs 1,1 million de logements vacants.
La priorité est d’organiser une sobriété foncière, dans le prolongement de ce que les élus locaux ont d’ores et déjà commencé, si j’en crois les chiffres de l’artificialisation. Il s’agit de l’articuler avec les besoins de la transition écologique, d’accueillir des infrastructures qui nous permettent d’accompagner notre décarbonation et de réindustrialiser notre pays. Dans le même temps, nous devons faire en sorte de pouvoir loger nos concitoyens, au moment où certains parmi ceux pour qui nous construisons ce texte se montrent réticents à signer des permis de construire, ce qui explique en partie le recul des mises en chantier sur le territoire.
C’est dire combien les discussions que nous allons avoir sont essentielles. Elles sont attendues sur le terrain par des élus qui veulent des précisions. Le maintien de notre objectif de trajectoire doit se conjuguer avec le souci permanent de rechercher un point d’équilibre pour aboutir à un texte rapidement. C’est l’état d’esprit qui me guidera tout au long de nos échanges. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et RDSE.)
Mme Catherine Deroche. On n’est pas arrivé !
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos sera assez général, mais j’aurai bien évidemment des interventions plus spécifiques lors de l’examen des amendements.
Si nous sommes là, c’est parce que, comme le dit Aristote, l’homme est « animal politique », parce que nous « faisons société ». Voilà maintenant des millénaires, l’homme s’est sédentarisé et a décidé d’aménager son territoire sans que ce soit le territoire qui s’impose à lui.
Mes chers collègues, ne nous trompons pas de débat. Oui, il y a des enjeux environnementaux qui s’imposent à nous. Nous devons préserver le climat pour pouvoir continuer de vivre sur la planète. Cependant, ne laissons pas penser qu’il y aurait des élus qui ne seraient pas conscients de leurs responsabilités au regard de l’environnement de leur commune et de la préservation de leurs espaces communaux.
Bien au contraire, il y a aujourd’hui des milliers et des milliers d’élus locaux qui ont, au quotidien, la volonté de préserver leur territoire communal, même s’ils sont parfois soumis à des pressions contradictoires : contradictions environnementale, sociale, agricole, industrielle. Pour autant, ils cherchent toujours à projeter leur territoire vers demain.
Dans mon département comme dans d’autres, si l’on ne fait rien, ce que j’appelle le syndrome de « la belle au bois dormant » menace beaucoup de villages. Devant l’injonction à ne rien faire, finalement, on n’aide ni la flore, ni la faune, ni la préservation de la ressource en eau. À force de se refermer, des villages deviennent hostiles, y compris à la vie humaine.
À l’inverse, certains élus ont le souci, sans aller jusqu’à fermer leur territoire sur lui-même, de préserver des espaces naturels, ici un parc naturel, ici une zone humide.
En miroir des objectifs de réduction de l’artificialisation affichés par la loi Climat et résilience, il demeure des impératifs tout aussi fondamentaux pour l’espèce humaine. Je veux parler des impératifs socio-économiques, dont nous devons également tenir compte.
Il y a tout d’abord l’enjeu de l’autonomie alimentaire
Oui, nous devons continuer de soutenir l’installation agricole, de développer dans notre pays une agriculture au service de toutes et de tous, une agriculture qui n’accroît pas le marqueur de différenciation sociale entre les Françaises et les Français et qui permette à toutes et tous d’être nourris correctement.
Pour cela, monsieur le ministre, l’État doit demeurer particulièrement engagé aux côtés des collectivités. Il doit revenir sur des politiques qui ont laissé, année après année, des entreprises fermer en laissant des hectares de friches à la charge des collectivités, sans qu’elles y puissent grand-chose, faute de moyens financiers et en ingénierie.
Il doit s’engager également pour réduire le nombre de logements vacants
Il y a besoin, dans cette France des sous-préfectures, dont on a beaucoup parlé ces derniers jours, de continuer d’accueillir des commerces, des entreprises, des habitants, de pérenniser des services publics, pour pouvoir aménager le village et la ville de demain.
Construire ne veut pas dire forcément artificialiser. Aussi, nous aurons besoin, en parallèle de cette proposition de loi, d’une véritable action forte pour pouvoir requalifier et réemployer les espaces fonciers existants. Il est trop facile de dire qu’il faut reconstruire la ville sur la ville. Encore faut-il en donner les moyens aux élus locaux.
Monsieur le ministre, 67 % des intercommunalités déclarent avoir refusé des projets d’implantation économique ou subi des déménagements d’entreprise par manque de foncier. C’est le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) qui le dit.
Bien évidemment, ce ne sera pas n’importe comment ni à n’importe quel prix, mais je crois qu’à travers cette proposition de loi, nous avons la possibilité de redonner à nos élus locaux un peu de souplesse, de visibilité et de capacité à aménager notre territoire en faisant dans la dentelle.
Pour ces raisons, nous voterons en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, disons-le clairement, nul ne conteste la nécessité de la sobriété foncière pour préserver notre agriculture et notre environnement. La diminution significative de l’artificialisation, passée de 60 000 hectares à 20 000 hectares depuis les années 2000, prouve à cet égard la conscience et le sens des responsabilités des élus locaux.
Néanmoins, les dispositions actuelles de mise en œuvre du ZAN montrent parfaitement comment une bonne intention peut se transformer en absurdité, voire en impasse, et ce pour plusieurs raisons.
Il y a d’abord cette prédisposition dans notre pays à penser en silo. Nous partons d’une bonne intention, mais nous arrivons in fine à nous contredire : on finit ainsi par opposer logement et réindustrialisation au ZAN.
Nous sommes ensuite victimes de la dérive réglementaire, qui contrevient à l’esprit du législateur. Y a-t-il un meilleur exemple que les décrets d’application du ZAN ?
Il y a par ailleurs la vacuité de l’étude d’impact, mise en évidence par le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN).
C’est enfin l’impensé de l’équilibre territorial et du droit à l’espérance et à un avenir pour tous les territoires.
Je vous sais gré, monsieur le ministre, de partager notre envie de sortir de cette impasse et de reconnaître la démarche très constructive de la mission de contrôle conduite par nos collègues Valérie Létard et Jean-Baptiste Blanc, dont je tiens à saluer la qualité du travail.
Plus précisément, je parlerai de deux amendements et j’évoquerai un souhait.
Le premier amendement porte sur la nécessaire prise en compte de la diversité de nos territoires et de la libre administration des collectivités, en donnant droit à un accord local sur la gouvernance du ZAN.
Le second amendement porte sur l’exigence de réactivité et de réalisme. Il est dangereux de figer les choses à un instant T, car il peut arriver qu’un projet d’intérêt général, conforme aux enjeux environnementaux et de souveraineté, apparaisse après la répartition initiale des droits à artificialisation. Le pouvoir réglementaire local du préfet, auquel le Sénat tient particulièrement, doit alors pouvoir en tenir compte, après consultation de l’instance de gouvernance régionale du ZAN.
Comme promis, je conclurai par un souhait : puissions-nous tirer les leçons du passé en légiférant de manière moins hasardeuse et plus vertueuse, sur la base d’études d’impact et du principe d’évaluation. Ce sera l’objet des états généraux de la simplification, ce jeudi, au Sénat, auxquels nous aurons le grand plaisir de vous accueillir, monsieur le ministre. Comme chacun peut le supputer, le groupe UC votera ce texte, qui servira tout à la fois la vertu et le bon sens.
Puisque Portalis veille sur nous, je rappelle que la loi est faite pour les hommes et les femmes, qui, en revanche, ne sont pas faits pour des lois mal faites. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Éric Gold. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, moins de deux ans après la promulgation de la loi Climat et résilience, qui a créé les objectifs du zéro artificialisation nette des sols, nous voilà déjà quasi contraints d’en modifier les paramètres. La complexité et l’opacité du dispositif ont entraîné tant d’incompréhension et de frustration qu’il était indispensable d’opérer certains ajustements, sous peine de voir ces mesures essentielles rater leur cible.
En réalité, la frustration est bien plus ancienne : depuis la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), certains EPCI ont atteint une taille si grande que certains maires de communes rurales se sentent exclus de la politique d’aménagement du territoire. Aussi, c’est de simplicité et de souplesse que nous avons besoin, pour que chaque élu local soit en mesure de s’approprier ces outils, qui permettront de développer chaque territoire dans le respect des objectifs de transition écologique que le pays s’est fixés.
L’artificialisation est aujourd’hui la première cause de l’érosion de la biodiversité en France. En quarante ans, elle a progressé de 70 %, quand la population n’a augmenté que de 19 %. Ainsi, 30 000 hectares d’espaces naturels sont consommés chaque année, majoritairement au profit du logement.
Les conséquences néfastes de cette artificialisation sont bien connues : altération durable des fonctions écologiques du sol, augmentation des risques naturels par le ruissellement, atteinte au potentiel de production agricole et de stockage de carbone et, dans le cas de l’étalement urbain, augmentation des émissions de gaz à effet de serre dues à la dépendance à la voiture individuelle.
L’alerte rouge climatique a été lancée, et la France y a répondu en se fixant des objectifs ambitieux. Mais que faire des objectifs s’ils ne s’accompagnent pas de mesures applicables ?
L’ambition est de réduire par deux d’ici à 2031 le rythme de consommation d’espaces naturels, et d’atteindre, d’ici à 2050, le « zéro artificialisation nette » des sols, c’est-à-dire que, pour chaque parcelle urbanisée, nous devrons rendre une parcelle équivalente à la nature.
Les sénateurs ont souscrit à ces objectifs en 2021, tout en posant deux principes fondamentaux : un lien souple entre documents d’urbanisme régionaux et locaux ; une différenciation locale plutôt qu’une application uniforme et purement mathématique.
Force est de constater que les décrets d’application ne répondent pas à ces exigences et que persiste un manque de visibilité et d’accompagnement, alors même que les documents de planification régionaux doivent être modifiés d’ici à 2024.
Représentants des élus locaux, nous ne pouvions pas rester inactifs devant les difficultés et les inquiétudes soulevées.
Cette proposition de loi tente d’y répondre.
Nous approuvons le report d’un an pour la déclinaison des objectifs au sein des documents de planification et d’urbanisme. Le calendrier n’était pas tenable en l’état, notamment parce qu’il manque encore de nombreux outils d’information à la main des collectivités, à commencer par l’essentiel : l’accès aux données relatives à la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers.
Nous partageons la volonté des auteurs de la proposition de loi d’assouplir la hiérarchie des normes entre les documents d’urbanisme et de planification. Dans le cadre des Scot, des plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) et des cartes communales, les élus locaux devront s’efforcer de prendre en compte les objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols fixés par les documents régionaux. Il ne s’agit plus d’exiger une compatibilité.
Nous soutenons le principe d’une surface minimale d’un hectare urbanisable par commune jusqu’à 2031. Il garantit aux communes rurales la capacité de se développer et de répondre à leurs besoins locaux, notamment en services publics.
L’article 4 porte sur la comptabilisation des grands projets de construction au sein d’une enveloppe nationale. Il était urgent de répondre à cette problématique, faute de quoi nous risquions de priver de droits à construire des régions accueillant un projet d’envergure nationale ou européenne. Cependant, nous maintenons notre proposition d’intégrer tous les bâtiments et services publics à cette enveloppe nationale pour favoriser la solidarité entre les territoires. En effet, la définition des projets devant se situer sur l’enveloppe nationale, régionale ou supra-communale pourrait virer au casse-tête.
Enfin, si nous comprenons l’intérêt d’améliorer le dialogue territorial, il est illusoire de croire que les nouvelles conférences régionales, composées de cinquante-six membres, et qui n’ont qu’un droit de proposition des projets, régleront le problème de la prise en compte des besoins des territoires ruraux. Aussi, l’article 3 ne nous paraît pas nécessaire.
Le groupe RDSE votera ce texte, mais souhaite avant tout faire passer un message de lisibilité et de simplification pour les élus locaux. Il n’est pas normal que, même pour nous, qui sommes habitués à voter des lois parfois ardues, le sujet des ZAN demeure aussi complexe.
Comme souvent, nous appelons de surcroît à trouver des sources de financement plus dynamiques pour les communes, sans quoi leur développement continuera à se jouer sur l’arrivée de nouveaux habitants, ce qui implique la construction de nouveaux logements. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)
M. Philippe Bas. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il me paraît essentiel aujourd’hui d’intégrer l’objectif du zéro artificialisation nette à une politique de développement durable. Qu’est-ce qu’une politique de développement durable ? C’est une politique qui ne se contente pas de la protection de l’environnement, mais qui, comme nous y invite l’article 6 de la Charte de l’environnement, concilie protection de l’environnement, développement économique et progrès social. Nous en sommes encore loin.
Si, comme le montrent les premières interventions à cette tribune, il y a un accord général sur la nécessaire sobriété en matière de consommation foncière pour protéger la biodiversité, pour défendre l’agriculture, pour maintenir nos paysages, pour éviter la saturation des grandes métropoles et des territoires qui en sont l’arrière-pays, s’il est également indispensable de donner la priorité à la réaffectation des logements vacants et au redéploiement des friches, il est aussi nécessaire de tenir compte des exigences du développement de nos territoires ruraux dans la mise en œuvre de l’objectif.
Or, jusqu’à maintenant, le processus qui a été engagé menace de déséquilibres profonds, par son caractère exagérément étatique, la mise en application de cette planification.
Aujourd’hui, il faut que nous réussissions, avec ce texte qui fait l’objet d’un très large consensus, de la gauche à la droite en passant par le centre, à trouver les voies et moyens d’une approche plus consensuelle de cette difficulté, qui se pose à tous les élus de notre pays.
La planification ne doit plus être descendante. Elle doit reposer sur l’initiative des élus locaux. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas que le schéma régional s’impose comme un document d’urbanisme supérieur à tous les autres. Il doit simplement exister en tant que recommandation.
Les pouvoirs des maires en matière d’urbanisme, c’est l’essentiel de la grande décentralisation de 1982. Il importe que l’État ne récupère pas les pouvoirs qu’il a laissés aux communes.
Surtout, il est essentiel que nous parvenions à lever les obstacles mis au rééquilibrage du territoire national et que nous fassions en sorte qu’une nouvelle politique de l’aménagement du territoire et du développement local puisse être mise en œuvre sans être entravée par l’objectif du ZAN. Depuis la crise sanitaire, nous constatons dans tous nos territoires une forte demande de migration venant des territoires métropolitains. L’expérience du confinement, mais aussi le développement de nouvelles formes de travail, notamment le télétravail, donne envie à nombre de nos concitoyens du monde urbain ou périurbain de s’essayer à un nouveau mode de vie.
Allons-nous laisser passer cette chance de mettre en œuvre une nouvelle politique d’aménagement du territoire qui corresponde au souhait profond des Français ? Allons-nous interdire à nos bourgs ruraux de se développer, alors que la demande existe et que leur développement ne contredit en rien les nécessités de la protection de la biodiversité et de l’environnement ? Cette chance, il nous faut absolument la saisir.
Je veux rendre hommage au travail de notre commission spéciale, de sa présidente et de son rapporteur, qui ont réussi à rapprocher les points de vue pour rédiger un texte qui me paraît particulièrement équilibré. Il ne laisse de côté aucune des exigences qui doivent s’appliquer au traitement de cet objectif du ZAN.
Je le disais tout à l’heure, le Sraddet ne doit pas s’imposer aux documents d’urbanisme, et le calendrier de son élaboration doit permettre la concertation. Ensuite, le décompte des projets nationaux et régionaux doit pouvoir se faire dans de bonnes conditions. En outre, les droits minimums à construire dans les bourgs ruraux – le fameux droit à l’hectare – doivent être respectés. Par ailleurs, la prise en compte des espaces submergés par le recul du trait de côte doit se faire dans le respect des droits à construire dans les communes littorales. Enfin, il est important de continuer à assouplir l’objectif du ZAN pour les bâtiments agricoles. Des amendements particulièrement pertinents ont été présentés pour obtenir ces résultats.
Mes chers collègues, j’espère que le Sénat saura manifester une volonté puissante, volonté que l’Assemblée nationale comme le Gouvernement devront prendre en compte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’artificialisation des sols doit faire l’objet d’une attention particulière dans notre pays. Ce n’est plus un sujet de controverse. Nous nous sommes fixé, collectivement, des règles de réduction dans ce domaine, qui font l’unanimité – nous le disons depuis le début de cette discussion.
Nous nous apprêtons à rendre aujourd’hui ces règles davantage applicables et mieux adaptées à la réalité des territoires. C’est tout simplement du bon sens, pour répondre aux inquiétudes qui nous remontent du terrain.
Je me réjouis que ce débat se déroule ici, dans cette enceinte qui connaît si bien le rythme de nos territoires, leurs particularités, leur histoire et ce dont ils sont capables – une enceinte que vous connaissez également très bien, monsieur le ministre.
Nos transitions, quelles qu’elles soient, viendront du terrain et de son dynamisme, des femmes et des hommes qui y créent et des élus qui les accompagnent. Nous sommes, ici, les représentants de ces élus et de ces territoires.
Je salue votre travail et votre engagement, monsieur le ministre. Vous avez su être à l’écoute dès que vous avez hérité du dossier, et ce n’était pas un dossier facile.
Suspension des décrets, proposition de réécriture, débats et éclaircissements lors des échanges, notamment avec la mission d’information, puis avec la commission spéciale, enfin – Mme la présidente de la commission spéciale l’a rappelé –, choix de la procédure accélérée pour ce texte sénatorial : cette proposition de loi est effectivement le véhicule législatif privilégié pour faire évoluer positivement la réglementation.
Le sujet, on l’a compris, est éminemment complexe. Nous sommes sur une véritable ligne de crête. D’une part, les objectifs de sobriété doivent être respectés. D’autre part, nous devons les adapter aux réalités. Tel était l’objectif que nous avions, mon collègue Joël Guerriau et moi-même, au sein de la commission spéciale, où nous représentions le groupe Les Indépendants.
Je me félicite des discussions concrètes qui ont été les nôtres, ainsi que du travail exigeant du rapporteur Jean-Baptiste Blanc, des membres de la commission spéciale et de sa présidente, Valérie Létard.
Évoquer le ZAN, c’est laisser s’exprimer des visions souvent différentes, parfois contradictoires, mais dont l’esprit converge toujours vers la protection et la réussite de nos territoires. Nos efforts se sont tournés vers le respect des caractéristiques de ceux-ci et de leurs évolutions prochaines. Nous avons souhaité prendre en compte les efforts déjà fournis par beaucoup d’entre eux, notamment les plus ruraux.
La protection de l’environnement ne peut évidemment pas se faire au détriment des territoires ruraux.
Je voudrais citer trois sujets parmi tant d’autres.
Le premier sujet concerne la comptabilisation des projets d’ampleur et d’intérêt au sein des objectifs du ZAN. Notre réindustrialisation passera par ces projets.
Le deuxième sujet est la surface minimale de développement communal (SMDC).
Entre le droit à l’hectare et le 1 % rural, un terrain d’entente pourrait être trouvé au travers de l’amendement que j’ai déposé avec Alain Marc et qui tend à fixer la taille de cette surface à un hectare pour les communes dont l’artificialisation est inférieure à 3 % – je rappelle que la moyenne nationale s’établit à 7,9 %. Une voie médiane prévoyant un juste équilibre serait donc un bon consensus, que – je n’en doute pas – nous parviendrons à atteindre, sur cette base ou sur une autre.
Le troisième sujet est la renaturation et la désartificialisation des zones exposées au recul du trait de côte.
De Guérande à Saint-Jean-de-Luz, du fait du changement climatique, c’est un sujet auquel nous allons être confrontés de manière récurrente. Nous devons prévoir les aménagements nécessaires et poser un cadre précis.
Mes chers collègues, je suis persuadé que nous garderons collectivement chevillé au corps l’intérêt des Français et que nous ajusterons nos objectifs pour rendre notre transition à la fois possible et équilibrée. C’est en tout cas l’état d’esprit du groupe Les Indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Ronan Dantec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a déjà été souligné, le rythme d’artificialisation de nos espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) est absolument insupportable. Il remet en cause notre autonomie alimentaire, la biodiversité de nos territoires et nos capacités de stockage du carbone.
Forte de ce constat, la Convention citoyenne pour le climat (CCC) avait fait de l’objectif du zéro artificialisation nette l’une de ses propositions les plus fortes.
Nous le savons, l’engagement du Président de la République de reprendre « sans filtre » les propositions de la convention n’a vraiment pas été tenu, ce qui a suscité chez les 150 citoyens tirés au sort une immense déception.
Néanmoins, une mesure forte est passée à travers les mailles d’un tamis politique et technocratique pourtant particulièrement serré : l’objectif du zéro artificialisation nette en 2050, inscrit dans la loi Climat et résilience présentée par Barbara Pompili.
Cet objectif est ambitieux, car il rompt avec bien des logiques de développement.
Il rompt avec la course à l’installation de surfaces commerciales et de nouveaux habitants, dont les conséquences sont particulièrement visibles dans nos territoires, entre les lotissements s’étalant dans les périphéries des bourgs et les zones commerciales de nos entrées de villes.
Il est juste de dire que, avant même la loi ZAN, une prise de conscience était déjà à l’œuvre sur le caractère intenable de ce modèle de développement, ainsi que sur la nécessité de réduire la consommation des Enaf. Par exemple, dans bien des territoires, la taille des jardins des lotissements s’était déjà fortement réduite.
La loi Climat et résilience a le mérite d’accélérer le rythme pour atteindre les objectifs que nous nous sommes collectivement fixés. Pour notre part, nous soutenons donc clairement l’objectif du ZAN.
Cet objectif a, c’est vrai, inquiété les élus locaux, et le Sénat s’en fait l’écho. De fait, certaines difficultés réelles n’étaient pas résolues par le caractère quelque peu mécanique de l’application des objectifs initiaux. Ainsi, l’objectif de –50 % entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie passée devait s’appliquer à tous les territoires, quels que soient les efforts déjà effectués par les plus responsables d’entre eux.
Un éclaircissement était également nécessaire dans la prise en compte des grands projets nationaux qui ne pouvaient être intégrés dans le décompte local. La création d’une commission spéciale au Sénat pour répondre à ces questions et aboutir à une proposition de loi était donc légitime, et je souligne l’importance du travail mené par sa présidente et son rapporteur.
Le groupe écologiste approuve plusieurs points de ce texte, mais – et c’est un très gros « mais » ! – il ne peut pour autant soutenir d’autres propositions importantes qui en font partie.
Trois mesures nous semblent particulièrement problématiques et rejoignent les préoccupations de M. le ministre.
Tout d’abord, si nous soutenons la création d’un compte spécial pour les projets d’envergure nationale, il n’est pas possible de passer ceux-ci purement et simplement par pertes et profits sans les réaffecter aux enveloppes régionales, suivant une règle à préciser. Ce serait, sinon, remettre simplement en cause l’idée même du ZAN ; à ce stade, ce point n’est pas éclairci. Il reviendra aussi à l’État de préciser comment il s’applique à lui-même l’objectif de réduction de la consommation de terres naturelles, agricoles et forestières.
Ensuite, si nous soutenons les processus de renforcement en amont de la concertation, avec une conférence inter-Scot, ou ZAN, renforcée, nous ne pouvons remettre en cause le rapport de compatibilité dans le fascicule réglementaire entre Sraddet, Scot et PLU, sauf à prendre le risque que les élus de certains territoires ne rejouent le match en aval, ce qui conduirait à une multiplication des contentieux et à un ralentissement évident de la mise en œuvre du ZAN.
Enfin, l’ajout des terrains « herbacés » des particuliers dans la nomenclature après 2031 constitue une véritable aberration, qui pourrait permettre la construction au cours de la période 2031-2050 de lotissements ayant des parcelles de jardins plus grandes que dans la présente décennie, où la comptabilisation se fait sur la base de la consommation des Enaf. C’est, j’y insiste, aberrant !
Ce point, qui est pour nous un grand sujet de préoccupation, découle aussi d’un changement de méthode dont nous aurions pu nous passer en restant sur une logique de préservation des Enaf jusqu’en 2050.
Nous déposerons un amendement en ce sens, qui visera, pour pallier une véritable faiblesse de cette proposition de loi, à préciser les consommations maximales de foncier entre 2031 et 2041, ainsi qu’entre 2041 et 2050, avec une décélération progressive qui nous conduira au zéro artificialisation en 2050.
Si ces trois points devaient rester tels quels dans la proposition de loi, nous ne pourrions pas la voter, même si elle ne remet pas en cause, je le souligne, l’objectif du ZAN en 2050, qui est un enjeu environnemental majeur. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)