M. Jean-Luc Fichet. C’est un drôle de raisonnement : d’un côté, on dit qu’on va reporter l’âge de départ à la retraite à 64 ans, ce qui impose deux années de plus de travail aux seniors ; de l’autre, on enjoint aux entreprises de donner des indications sur le niveau d’emploi des seniors. C’est leur infliger une charge administrative de plus, alors qu’elles se plaignent déjà d’en subir beaucoup, pour donner des informations qui, somme toute, ne serviront à rien.
Les seniors mis à l’index ne sont pas des fainéants. Ce ne sont pas des gens qui ne veulent pas aller travailler. La plupart d’entre eux, malheureusement, se retrouvent soit au chômage, soit en arrêt de travail de longue durée. Il leur faut des dispositifs d’accompagnement, de la formation professionnelle, mais aussi des offres d’emploi qui soient adaptées à leur situation d’hommes ou de femmes de 60 ans.
Prenons un exemple qui m’est familier : en Bretagne, dans l’industrie agroalimentaire, on sait qu’une personne qui a travaillé à la chaîne pendant 25 ou 30 ans est totalement épuisée. Souvent, elle a subi des interventions chirurgicales pour des troubles musculo-squelettiques. Évidemment, il lui est difficile de retrouver un travail. Si l’on met en place des mesures d’accompagnement et qu’on lui trouve un poste adapté, croyez-moi, elle sera très heureuse de pouvoir s’épanouir dans un nouveau boulot.
Cet amendement tend à supprimer l’article 2, car l’index n’est pas signifiant.
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour présenter l’amendement n° 511.
M. Yan Chantrel. Monsieur le ministre, votre réforme est injuste et l’article 2 sera inefficace pour maintenir les seniors en emploi jusqu’à 64 ans.
Il suffit de consulter les études de la Dares et de la Drees pour mesurer l’ampleur de l’enjeu. Seuls 35 % des 60-64 ans occupent un emploi et 20 % des 427 000 ruptures conventionnelles individuelles concernaient les plus de 50 ans en 2020. Selon la Drees, 1,4 million de personnes âgées de 53 à 69 ans ne perçoivent ni revenus d’activité ni pension de retraite.
Reporter de deux ans l’âge légal de départ à la retraite sans avoir obtenu au préalable des résultats tangibles en matière d’emploi des seniors n’est pas responsable et aurait des conséquences graves.
Une telle mesure se traduirait par une aggravation de la précarité des seniors qui, après avoir épuisé leurs droits au chômage – que vous avez déjà rogné dans votre récente réforme –, seront poussés vers les minima sociaux et devront recourir à d’autres filets de sécurité en attendant d’accéder à leur pension de retraite.
Maladie, incapacité, préjugés négatifs des employeurs, manque d’accès à la formation : telles sont les principales raisons qui expliquent le faible taux d’emploi des seniors. Ce n’est donc pas un index aux modalités inconnues qui permettra d’y remédier, mais la mise en œuvre d’un véritable plan pour les seniors, passant par l’amélioration des conditions de travail et l’investissement dans la formation.
Vous avez déclaré que des dispositifs consacrés à l’employabilité des seniors seraient proposés dans un futur projet de loi sur le travail. N’attendez pas de nous un chèque en blanc ! Vos mesures hypothétiques seront longues à se concrétiser, alors que la présente réforme des retraites aura un impact immédiat sur les individus, fragilisant davantage une tranche d’âge en grande difficulté d’accès à l’emploi.
M. le président. L’amendement n° 525 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour présenter l’amendement n° 574.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Comme mes collègues, j’ai déposé un amendement de suppression de cet article.
Je souhaite indiquer au Gouvernement et à la majorité sénatoriale que le problème est pris à l’envers. Une étude montre en effet qu’une hausse de 10 % du taux d’emploi des seniors permettrait de résoudre le problème financier invoqué par le Gouvernement. Il aurait donc fallu déposer un projet de loi réformant le travail des seniors avant d’entreprendre cette réforme des retraites.
M. le ministre a détaillé de manière très précise l’ensemble du dispositif. La sanction financière, hypothétique, mais prévue par le texte, serait reversée à la Cnav. Je vois poindre là une forme d’habileté. Peut-être le Gouvernement imagine-t-il ainsi contourner la difficulté que constituerait l’irrecevabilité constitutionnelle de ce dispositif au sein d’un PLFRSS.
Je dis au ministre et à ceux qui pourraient être convaincus par cet argument qu’il n’en est rien. En effet, les sanctions prononcées en cas de non-publication des indicateurs demandés ne seraient effectives qu’après l’échéance d’un an.
Selon Michaël Zemmour, devenu célèbre depuis qu’il a débusqué la tartufferie de la pension minimale à 1 200 euros, on peut estimer que la réforme des retraites augmentera de 60 000 le nombre d’allocataires des minima sociaux – RSA et ASS. Le nombre de personnes au chômage indemnisées augmenterait, lui, de 84 000. Il y aurait donc 150 000 à 200 000 personnes supplémentaires dans le sas de précarité entre l’emploi et la retraite.
C’est pour cela que nous ne voulons pas de cette réforme. D’ailleurs, ce que propose la droite du Sénat est encore pire que ce qui figure dans cet article ; nous aurons l’occasion d’y revenir.
M. le président. L’amendement n° 586 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour présenter l’amendement n° 673.
Mme Annie Le Houerou. Par cet amendement, je demande la suppression de l’article 2. Sans contrainte pour les entreprises, ce dispositif n’aura aucun impact concret sur l’emploi des seniors.
À 60 ans, près d’une personne sur trois n’est ni en emploi ni à la retraite. Ces personnes peuvent être en situation d’invalidité, toucher le RSA, ou encore être au chômage ; elles sont donc dans une grande précarité et leur fin de carrière est marquée par une grave insécurité.
Selon le ministère du travail, en 2020, le taux d’emploi des 55-64 ans était de 53,8 %, sous la moyenne européenne et très loin de ce qu’on observe en Suède et en Allemagne, où il dépasse les 70 %. Deux tiers des victimes de licenciements et de plans sociaux sont des seniors.
Alors, plutôt que de repousser l’âge légal de départ à la retraite, offrons aux seniors une meilleure insertion dans l’emploi jusqu’à l’âge légal actuel, fixé à 62 ans.
Pour dissuader les politiques anti-seniors de certaines entreprises, travaillons sur la pénibilité au travail, œuvrons à l’amélioration des conditions de travail.
Les quatre critères de pénibilité que vous avez supprimés en 2018 expliquent la difficulté d’emploi des seniors, qui sont cassés à 50 ans, voire plus tôt encore. Ils souffrent de troubles musculo-squelettiques, c’est-à-dire de douleurs intenses, pour avoir travaillé dans le froid, dans des postures pénibles, avec des vibrations mécaniques, ou avoir été exposés à des risques chimiques.
Ces conditions de travail empêchent ensuite d’occuper les emplois proposés par certaines de nos entreprises, pourtant demandeuses de main-d’œuvre, notamment l’industrie agroalimentaire fort présente dans ma région.
En l’absence de contreparties demandées aux entreprises pour améliorer les conditions de travail, je crains que, à l’image de l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, ce dispositif ne soit ni utile ni efficace.
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour présenter l’amendement n° 702.
Mme Florence Blatrix Contat. Cet amendement vise également à supprimer l’article 2, qui instaure un index seniors.
La réforme qui nous est proposée obligerait à travailler plus longtemps alors même que les seniors connaissent des difficultés à trouver un emploi, notamment dans les grandes entreprises.
Cet index aurait pour objet de valoriser les bonnes pratiques en s’imposant, dès 2023, aux entreprises de plus de 1 000 salariés, puis aux entreprises de plus de 300 salariés – en recul par rapport à ce qui avait été proposé à l’Assemblée nationale, où le seuil prévu était de 50 salariés.
La seule obligation serait de publier un indicateur, sous peine d’une sanction relativement faible. Cela pourrait avoir un intérêt si les entreprises subissaient des conséquences au cas où leur note serait insatisfaisante. Il faut une obligation de résultat, en d’autres termes. Mais nous n’y sommes pas, car le Gouvernement a reculé face au Medef en refusant d’associer l’index seniors à des sanctions comme il était initialement envisagé.
Sans sanctions, cet index n’aura aucun pouvoir de contrainte et aucune efficacité, comme mes collègues l’ont bien expliqué.
Les chiffres sont parlants : à 60 ans, un tiers des seniors sont déjà sans emploi. Au-delà, cette proportion se dégrade très rapidement. Cette réforme ne fera qu’allonger le sas de précarité ; elle aura des conséquences désastreuses pour de nombreuses personnes qui seront au chômage, puis au RSA. Or l’index prévu à cet article ne va pas vraiment améliorer la situation de l’emploi.
M. le président. L’amendement n° 733 n’est pas soutenu.
La parole est à M. Olivier Jacquin, pour présenter l’amendement n° 815.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le ministre, nous souhaitons supprimer cet article 2, qui instaure l’index seniors.
Il s’agit en effet d’un véritable cavalier social, qui ne relève pas du financement de la sécurité sociale, mais d’une loi Travail en faveur de l’emploi des salariés âgés. Le Gouvernement confirme ainsi que cette réforme des retraites n’aurait jamais dû passer par un PLFRSS. Ce n’est que de la petite manœuvre politique, mobilisant de surcroît une procédure d’urgence, ce qui semble d’une constitutionnalité douteuse. D’où l’intérêt de disposer des éléments du fameux rapport du Conseil d’État !
En outre, un index sans objectifs ni sanction de leur non-respect n’aura aucun effet sur la culture des entreprises, qui considèrent les salariés de plus de 55 ans, voire de plus de 50 ans, comme une variable d’ajustement. Les deux tiers des licenciements et des plans sociaux sont en effet subis par ces salariés.
C’est pourquoi cet amendement vise à supprimer l’article 2, de manière à confirmer le vote émis par l’Assemblée nationale il y a quelques jours.
Le fait que le Gouvernement, par le truchement de la procédure prévue à l’article 47-1 de la Constitution, présente cet article devant le Sénat est une nouvelle preuve du peu de considération qu’il porte à la représentation nationale.
Retirez donc cet article et cette réforme ! Et au-delà de cet hémicycle, soyons nombreux, mardi, lors des manifestations !
M. le président. Les amendements nos 828, 868, 903, 931 et 948 ne sont pas soutenus.
La parole est à M. Claude Raynal, pour présenter l’amendement n° 986.
M. Claude Raynal. Mes collègues ont déjà bien défendu ces amendements de suppression de l’article 2.
On peut s’interroger, tout de même : cet index seniors ressemble vraiment à un cache-misère. Avec cette réforme purement financière, on ne répond pas du tout aux questions qui importent ; comme souvent, elles sont traitées dans le mauvais ordre, chacun ici le reconnaît. Nous aurions d’abord dû nous pencher sur la question du travail, nous demander comment faire en sorte que le taux d’emploi des seniors augmente. Tous les économistes le disent : on pourrait régler assez facilement la question du financement des retraites en améliorant sensiblement le taux de travailleurs âgés.
Mais nous n’y arrivons pas, car nous ne parvenons pas à faire les choses dans le bon ordre. Cela me rappelle la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Nous étions tous d’accord pour dire qu’il aurait fallu d’abord expliquer comment les collectivités territoriales seraient traitées et de quelles mesures de remplacement elles bénéficieraient. Sur toutes nos travées, nous demandions ces informations avant que la CVAE ne soit supprimée.
Il est terrible, pour revenir au présent texte, que l’on prenne ainsi les choses à l’envers alors que cela fait six ans que ce sujet est en chantier ! On aurait bien eu le temps d’y travailler, mais on ne l’a pas fait. Et voilà qu’on nous propose un index seniors qui ne répond pas du tout à la question !
La majorité sénatoriale aussi nous proposera, tout à l’heure ou demain, des mesures qui auraient bien mieux trouvé leur place dans divers textes examinés au cours des dernières années.
M. le président. L’amendement n° 1021 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour présenter l’amendement n° 1034.
Mme Gisèle Jourda. Je suis toujours surprise que l’on aborde le sujet du recul de l’âge légal de départ à la retraite sans prendre des mesures d’envergure pour résoudre la question de l’emploi des seniors. Et ce n’est pas la lecture de cet article 2 qui me fera dévier de ce cheminement de pensée !
De telles mesures devraient pourtant être la clé de voûte d’une réforme ambitieuse des retraites, parce qu’elles répondraient à l’urgence sociale du travail et de l’emploi, mais aussi aux enjeux budgétaires qui vous inquiètent tant, mes chers collègues.
Une réforme ambitieuse passe par des mesures d’envergure pour mettre un terme à ce chiffre cruel : à 60 ans ou 61 ans, une personne sur quatre est inactive ou au chômage ! Injustice supplémentaire, dans ces données, les femmes sont particulièrement surreprésentées. Oui, il faut des mesures d’envergure, et non la création d’un simple index. Comment pouvez-vous croire une seule seconde que la solution passera simplement par la responsabilisation des entreprises, sans obligations ni sanctions ?
Regardez donc les chiffres de l’Unédic, monsieur le ministre ! Votre pari du retour mécanique à l’emploi concerne le plus souvent les seniors les mieux insérés, tels que les cadres ou les professions intermédiaires.
Ensuite, les répercussions de la réforme de 2010, qui décalait l’âge de départ à la retraite de 60 ans à 62 ans, sont terribles. Entre 2010 et 2022, on a compté quelque 100 000 allocataires du chômage supplémentaires âgés de 60 ans et plus. Quelles conséquences cela a-t-il eues pour l’assurance chômage ? Au total, les dépenses d’indemnisation des plus de 55 ans ont augmenté de 38 % depuis 2010. Et comme la réforme de l’assurance chômage a modifié les règles d’indemnisation des seniors, la seule chose que vous avez à leur offrir maintenant n’est pas le maintien en emploi, mais la précarité, avec pour seul filet de sécurité le RSA.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Gisèle Jourda. Et ce serait là une réforme de gauche ? Vous l’affirmiez ce matin, mais votre argumentation de la justification budgétaire d’une telle réforme ne tient plus ! (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut vraiment conclure !
Mme Gisèle Jourda. C’est peut-être là votre objectif, et c’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 2. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Procaccia. Vous répétez tous la même chose !
M. le président. L’amendement n° 1067 n’est pas soutenu.
La parole est à M. Vincent Éblé, pour présenter l’amendement n° 1103.
M. Vincent Éblé. L’article 2 instaurant ce qu’on désigne sous le nom d’« index seniors » constitue bien sûr un cavalier social : il ne relève pas du financement de la sécurité sociale, mais d’une loi sur le travail, en faveur de l’emploi des salariés âgés.
L’affectation des pénalités dues pour non-publication dudit index seniors au financement de l’équilibre de la branche vieillesse de la sécurité sociale est extrêmement choquante : plus la loi sera respectée, moins nous aurons de moyens pour équilibrer une branche essentielle de notre système de sécurité sociale !
Surtout, elle contrevient gravement au principe d’universalité budgétaire, qui est l’un des cinq grands principes des finances publiques en France, avec le principe d’annualité, le principe d’unité budgétaire, le principe de spécialité budgétaire et le principe de sincérité budgétaire. Il s’agit d’une règle fondamentale du droit budgétaire. L’universalité implique le rassemblement dans un document unique, en une seule masse, de l’ensemble des recettes brutes, sur lesquelles doit s’imputer l’ensemble des dépenses brutes.
Ce motif juridique est parfaitement suffisant pour justifier la suppression de cet article 2 ; c’est pourquoi je vous invite à adopter cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour présenter l’amendement n° 1168 rectifié bis.
Mme Monique Lubin. Monsieur le ministre, vous avez annoncé que nous débattrions prochainement d’un projet de loi sur le travail. Je vous ai également entendu lancer quelques pistes intéressantes, dont certaines ont déjà été expérimentées. Ainsi, nous avons tous connu l’époque où un senior pouvait reprendre un emploi tout en touchant une allocation complémentaire de Pôle emploi, par exemple. Ce dispositif utile a été abandonné, comme celui des préretraites progressives.
J’espère que ce texte sur le travail comportera des mesures de ce type, mais pourquoi ne pas avoir l’avoir soumis au Parlement avant le présent texte, qui allonge la durée de cotisation ? Cela aurait été plus logique. J’ai foi en la parole publique et compte donc sur le Gouvernement pour que le projet de loi sur le travail soit substantiel.
Je m’inquiète toutefois en constatant que, sur l’assurance chômage, vous avez trouvé le moyen de réduire l’indemnisation des chômeurs de longue durée âgés de plus de 57 ans, alors qu’on sait très bien qu’à cet âge-là la possibilité de retrouver un emploi de manière pérenne est quasiment nulle. Actuellement, certes, les entreprises manquent de personnel et les choses se passent un peu mieux. Cependant, dans l’ensemble, nous avons quelques doutes sur votre sincérité.
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour présenter l’amendement n° 1212.
M. Serge Mérillou. N’est pas Houdini qui veut ! Il s’agit du magicien le plus célèbre de l’histoire, un grand illusionniste. Somme toute, la création de cet index seniors est un tour de passe-passe, un écran de fumée dont le seul but, monsieur le ministre, est de donner l’illusion que vous vous souciez un tant soit peu du devenir et de la situation des salariés seniors, qui vont pâtir du report de l’âge de départ à la retraite.
C’est un fait, votre réforme, aux objectifs purement comptables, ne prend pas en compte une triste réalité : à 60 ans, près d’une personne sur trois n’est ni en emploi ni à la retraite. La majorité d’entre elles sont en situation d’invalidité, allocataires du RSA ou au chômage. Souvent, elles vivent dans la précarité et, avec l’âge, rien ne s’arrange, puisqu’à 62 ans ce sont plus de 73 % des salariés qui n’exercent plus d’activité.
Cette réforme agrandit ce sas de précarité de manière inacceptable.
Face à ce problème, votre solution est de créer un index seniors, en rendant obligatoire, pour les entreprises d’une certaine taille, la publication d’indicateurs sur le recrutement ou le maintien en emploi de seniors. Une véritable révolution, quand on sait que la non-publication n’entraînera pas de sanctions, ou si peu ! En d’autres termes, cet index ne changera rien, car les entreprises ne seront pas contraintes d’embaucher davantage de seniors.
Cette mesurette est une preuve de plus que cette réforme ménage les entreprises au détriment des salariés. Vous cédez en effet à la loi des marchés. Vous succombez à la fascination d’un capitalisme financier qui broie les femmes et les hommes au service de l’intérêt des plus cupides. Vous confondez valeur travail et exploitation, justice sociale et servilité face aux grands actionnaires, à qui vous ne cessez de donner des gages. Votre réforme n’est ni juste ni progressiste.
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour présenter l’amendement n° 1242.
Mme Victoire Jasmin. C’est l’opacité, monsieur le ministre, l’opacité complète ! L’index seniors est une forme de maltraitance institutionnelle des personnes âgées. Je demande sa suppression, car il n’est pas normal que vous proposiez de telles mesures, alors que les analyses d’ergonomie manquent dans les entreprises, et que les conditions de travail sont de plus en plus déplorables : absence de contrôle des documents uniques d’évaluation des risques professionnels et des démarches d’amélioration des conditions de travail, faible nombre d’inspecteurs du travail, manque de médecins du travail, défaut d’évaluation des différents risques dans les entreprises… J’ajoute que vous avez réduit les critères de pénibilité, et qu’il n’y a pas de transparence sur les revenus et les indicateurs de bien-être au travail.
À cet âge-là, beaucoup de personnes ne sont pas capables de faire face à tout ce que vous voulez leur proposer. Beaucoup sont en arrêt de travail pour raison médicale. En outre-mer, il est bien plus urgent de prendre des mesures pour les jeunes, car ce sont eux qui sont au chômage. Beaucoup de personnes ayant l’âge auquel vous souhaitez les mettre au travail sont déjà cassées, malades ou en longue maladie. Ce sont les jeunes qui ont besoin de travailler !
J’estime donc nécessaire de supprimer cet article et de revoir l’ensemble de votre copie.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour présenter l’amendement n° 1285.
M. Franck Montaugé. J’avoue que l’instauration d’un index seniors me laisse sceptique quant à ses réels effets bénéfiques. Indéniablement, l’emploi des personnes de plus de 60 ans est un véritable enjeu de société, mais il devrait faire l’objet d’une loi ordinaire spécifique.
Le taux d’emploi des 60-65 ans n’est que de 56 %, contre 81 % pour les 25-49 ans, selon les chiffres du ministère du travail. Cela reflète le taux de chômage, mais aussi le fait que ces personnes sont souvent touchées par des invalidités ou qu’elles sont devenues inactives. Comme notre taux d’emploi des seniors est inférieur à celui de la moyenne de l’Union européenne, la question du maintien dans l’emploi des seniors ne doit pas se poser simplement sous l’angle de cet index.
Celui-ci, d’ailleurs, non contraignant et non assorti de sanctions, ne peut permettre d’atteindre des objectifs précis. Il n’aura aucun effet sur les licenciements que subissent les salariés de plus de 55 ans, qui sont souvent les premiers concernés par les plans sociaux. Enfin, il n’a rien à voir avec le financement de la sécurité sociale. C’est un cavalier social, qui cache la nécessité d’une véritable loi sur le travail et notamment l’emploi des salariés de plus de 55 ans. Ces personnes ne peuvent être considérées comme la simple variable d’ajustement d’un index. Leur emploi nécessite des mesures à la hauteur, surtout s’ils doivent travailler deux ans de plus.
C’est en traitant d’abord de sujets de société comme celui-ci que vous auriez dû construire votre démarche au bénéfice de tous les Français. Comme sur l’énergie, on met la charrue avant les bœufs, on traite des mesures budgétaires avant d’aborder les questions de fond, les politiques qui intéressent le contrat social dans son ensemble. C’est tout à fait regrettable et inefficace !
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour présenter l’amendement n° 1321.
Mme Angèle Préville. D’abord, sur la forme, l’article 2, instaurant ce qu’on nous présente sous le nom d’« index seniors », ne relève pas du financement de la sécurité sociale, mais d’une loi sur le travail en faveur de l’emploi des salariés âgés.
Ensuite, sur le fond, la seule obligation figurant dans cet article est la publication de chiffres, en l’espèce le taux de salariés âgés dans une entreprise, et les seules sanctions prévues le sont en cas de non-publication de ces chiffres.
Autrement dit, il n’y a pas d’objectif réel ni de levier pour faire notablement évoluer l’emploi des seniors. Cela s’apparente à ce qu’on appelle les engagements volontaires, dont on connaît bien le peu d’efficacité.
Je voulais aussi attirer votre attention sur une donnée : les deux tiers des licenciements sont subis par des salariés de plus de 55 ans. Voilà une réalité particulièrement cruelle et rude : deux tiers, c’est colossal ! Par conséquent, 1,4 million de personnes âgées de 53 à 69 ans ne perçoivent ni revenu d’activité ni pension de retraite. Certains, d’ailleurs, ne demanderont même pas le RSA – par dignité, voyez-vous ! C’est ce qui explique, très certainement, le non-recours aux droits.
Résultat : une précarité grandissante, aggravée par les dispositions de votre récente réforme de l’indemnisation du chômage. Très clairement, vous n’avez pas la bonne solution. Peut-être faudrait-il commencer par valoriser toute la richesse d’expérience, de savoir, de savoir-faire, de savoir-être des seniors : en somme, de remettre à l’honneur l’expérience. Tant de gâchis sont à déplorer en la matière !
Mais nous vivons dans un monde qui prend l’innovation pour valeur cardinale : l’innovation, mot magique qui écrase tout. Pour améliorer la situation des seniors, il faudrait penser différemment. (M. Franck Montaugé applaudit.)
M. le président. Les amendements nos 1345, 1378 et 1411 ne sont pas soutenus.
La parole est à M. Éric Kerrouche, pour présenter l’amendement n° 1441.
M. Éric Kerrouche. L’article 2 est l’exemple même d’un article Potemkine. On le sait, l’index seniors n’a aucune raison de figurer dans un PLFRSS : il relève de la loi ordinaire. On sait aussi que le taux d’emploi des seniors en France est moins élevé que dans le reste de l’Europe – c’est un fait avéré.
Avec cette loi, monsieur le ministre, vous avez mis en place un indicateur qui fixe uniquement un objectif de publication, absolument pas un objectif de résultat. Par ailleurs, le seuil qui a été retenu n’est pas le bon, puisqu’il ne permet pas d’appliquer l’index à suffisamment de salariés.
Je le rappelle, la création d’un index de l’égalité femmes-hommes au sein de l’entreprise, dans la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, n’a eu aucun impact sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, car cet indicateur était, lui aussi, dépourvu d’obligation de résultat. Comment croire qu’une mesure qui n’a pas fonctionné par le passé pourrait désormais être opérante du simple fait de votre affirmation ?
Pourtant, nous sommes là au cœur de la réforme, puisqu’une augmentation du taux d’emploi des 55-64 ans permettrait d’équilibrer l’ensemble du système. Mais ce n’est pas ce que vous recherchez. À vrai dire, vous êtes toujours dans la contrainte et non dans la proposition.
D’autres mesures sont possibles, d’autres mesures sont pensables : le déplafonnement du compte personnel de formation des travailleurs, ou la création d’un droit à rendez-vous professionnel à 45 ans, par exemple pour prévoir un conseil dans l’évolution professionnelle, un bilan de compétences, ou une formation continue.
Autant de mesures que vous n’envisagez pas, ce qui justifie cet amendement de suppression.