Mme Frédérique Puissat. Eh bien, démarrons-le !
Mme Émilienne Poumirol. Cette réforme n’est qu’une façon de masquer le déficit des comptes publics, tels qu’ils ont été présentés par les deux ministres. Ce point aurait mérité d’être discuté en commission ! Voilà pourquoi nous proposons cette motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 4734, tendant au renvoi à la commission de l’article liminaire.
(La motion n’est pas adoptée.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est sans appel !
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion de l’article liminaire.
projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Article liminaire
Pour l’année 2023, les prévisions de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques, les prévisions de solde par sous-secteur, la prévision, déclinée par sous-secteur d’administration publique et exprimée en milliards d’euros courants et en pourcentage d’évolution en volume, des dépenses d’administrations publiques, les prévisions de prélèvements obligatoires, de dépenses et d’endettement de l’ensemble des administrations publiques exprimées en pourcentage du produit intérieur brut, ainsi que les prévisions, pour la même année, de ces mêmes agrégats, telles qu’elles figurent dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, s’établissent comme suit :
(En % du PIB sauf mention contraire) |
||
2023 |
||
LFRSS pour 2023 |
PLPFP 2023-2027 |
|
Ensemble des administrations publiques |
||
Solde structurel (1) (en points de PIB potentiel) |
-4,1 |
-4,0 |
Solde conjoncturel (2) |
-0,8 |
-0,8 |
Solde des mesures ponctuelles et temporaires (3) (en points de PIB potentiel) |
-0,2 |
-0,2 |
Solde effectif (1+2+3) |
-5,0 |
-5,0 |
Dette au sens de Maastricht |
111,2 |
111,2 |
Taux de prélèvements obligatoires (y compris Union européenne, nets des crédits d’impôt) |
44,9 |
44,7 |
Dépense publique (hors crédits d’impôt) |
56,9 |
56,6 |
Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros) |
1 573 |
1 564 |
Évolution de la dépense publique hors crédits d’impôt en volume (en %) (*) |
-1,0 |
-1,5 |
Principales dépenses d’investissement (en milliards d’euros) (**) |
25 |
25 |
Administrations publiques centrales |
||
Solde |
-5,8 |
-5,6 |
Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros) |
647 |
636 |
Évolution de la dépense publique en volume (en %) (***) |
-1,4 |
-2,6 |
Administrations publiques locales |
||
Solde |
0,0 |
-0,1 |
Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros) |
305 |
305 |
Évolution de la dépense publique en volume (en %) (***) |
-0,6 |
-0,6 |
Administrations de sécurité sociale |
||
Solde |
0,7 |
0,8 |
Dépense publique (hors crédits d’impôt, en milliards d’euros) |
722 |
721 |
Évolution de la dépense publique en volume (en %) (***) |
-1,0 |
-1,0 |
(*) À champ constant. |
||
(**) Au sens du projet de loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027. |
||
(***) À champ constant, hors transferts entre administrations publiques. |
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, sur l’article.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Quelles raisons vous conduisent à proposer – je m’adresse au Gouvernement – et à soutenir – je me tourne vers la majorité sénatoriale – cette contre-réforme ?
Eh bien, c’est principalement la mise en œuvre de vieilles obsessions des institutions de l’Union européenne, au premier rang desquelles la Commission. Un règlement européen du 20 juin 2019 tend à instituer un produit paneuropéen d’épargne retraite individuelle. Le Gouvernement s’est réjoui de l’instauration de ce nouveau produit dans un texte voté par le Sénat il y a moins d’un mois.
Ce règlement détaille le dessein de l’Union européenne pour tous les États membres qui tenteraient de lutter contre la capitalisation et contre la privatisation de l’assurance vieillesse.
L’alinéa 16 dispose que « cette proposition jettera les bases d’un marché plus sûr, plus rentable et plus transparent de produits d’épargne retraite facultatifs d’un coût abordable pouvant être gérés à l’échelle paneuropéenne ».
Ce projet de règlement, dans une forme de déni total de la réalité des travailleuses et des travailleurs européens, affirme que les limites à la portabilité des produits d’épargne retraite posent aux personnes « des difficultés dans l’exercice de leurs libertés fondamentales », par exemple en les empêchant « d’accepter un emploi ou de prendre leur retraite dans un autre État membre ».
La retraite par capitalisation, mais de préférence transnationale, s’il vous plaît ! Comment ces pauvres travailleurs pourraient-ils prendre leur retraite s’ils ne peuvent jouir de leurs économies dans un autre pays ?
Toutes ces décisions sont déconnectées de la réalité des travailleuses et des travailleurs du pays. Mais c’est un marché qui s’élèvera à 2 100 milliards d’euros d’ici à 2030 selon un cabinet de conseil et d’audit, et seulement si les avantages fiscaux suivent !
Le projet politique est clair : faire payer aux travailleurs les baisses d’impôt injustes accordées aux entreprises ou aux ménages !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Non, il est obligatoire !
M. Pascal Savoldelli. Liminaire, cela signifie, « qui est placé au début », et pour être un peu plus explicite, vu notre sujet, « qui concerne et qui forme le commencement de quelque chose ; qui prélude à quelque chose ». Et on y vient ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
Cet article liminaire est bien un point de départ et il est crucial, vous avez raison, monsieur le ministre Attal : c’est le point de départ de votre réforme, et c’est un élément qui la justifie. Vous avez au moins l’honnêteté de le reconnaître.
Mais c’est après cet article que cela va coincer. Le solde des administrations de la sécurité sociale serait, selon les prévisions, excédentaire de 0,8 point du PIB en 2023. Sur ce point, on est d’accord. Voilà pourtant qui est paradoxal – personnellement, je qualifie cela d’étrangeté politique – quand on sait que c’est précisément le déficit du système de retraite tel qu’il est escompté en 2046 dans le rapport du Conseil d’orientation des retraites, selon le scénario retenu par votre gouvernement.
Cet article est donc bien le point de départ crucial de la réforme des retraites, car l’évolution de la dépense publique des administrations sociales en 2023 diminue, hors inflation, d’un point de PIB.
Or, mes chers collègues, un point de PIB, c’est précisément 25 milliards d’euros, soit deux fois le déficit du système de retraite estimé en 2046 et – j’irai plus loin parce que j’ai des ambitions – plus de deux fois le déficit attendu en 2030. Aussi, s’il n’y a pas de baisse en volume des dépenses de la sécurité sociale et si l’intégralité était reportée sur la branche vieillesse, alors nous pourrions – eh oui ! – absorber les déficits du système de retraite pour les années 2024, 2025 et 2026.
Je répète : si en 2023, on dépensait en volume strictement ce que l’on a dépensé l’année précédente pour la sécurité sociale, alors on pourrait rayer d’un trait de plume les déficits du système de retraite en 2024, 2025 et 2026.
Votre architecture financière et comptable s’écroule donc. Voilà les faits.
M. le président. Il faut conclure.
M. Pascal Savoldelli. Je vais vous poser une question que je vous poserai pendant ces douze prochains jours. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous me direz, l’amendement de la droite…
Mme Raymonde Poncet Monge. Préalablement, je voudrais un éclaircissement quant au tableau de la synthèse des mesures de votre réforme, messieurs les ministres.
Vous annoncez que votre réforme rapportera 17,7 milliards d’euros supplémentaires au régime de retraite. Bien ! Ses mesures paramétriques sont bien l’accélération de la durée requise et le passage de l’âge légal de 62 ans à 64 ans, sauf pour les invalides ou les inaptes qui restent à 62 ans, et les personnes handicapées, qui restent à 55 ans.
Au total, un gain financier de 17,7 milliards d’euros sur ceux pour lesquels s’appliquent les mesures paramétriques.
À cela vous soustrayez les mesures d’accompagnement qui génèrent des coûts supplémentaires – revalorisation du minimum contributif (Mico), validations de trimestres. Bref, des dispositions qui n’existent pas dans la loi actuelle et qui donc réduisent les gains de la réforme.
Mais vous soustrayez également le maintien – j’y insiste – de l’âge légal à 62 ans pour les personnes invalides ou inaptes à hauteur de 3,1 milliards d’euros, ce qui ne change absolument rien à la situation d’aujourd’hui : ils basculaient dans la retraite à 62 ans et c’est toujours le cas avec le projet de réforme. La trajectoire du système de retraite n’est en rien modifiée. Sur ce plan, la réforme n’apporte ni gain ni coûts différentiels.
Le coût de ces pensions dès 62 ans était déjà présent dans les projections du système de retraite avant la réforme et elles resteront inchangées après celle-ci.
Elles n’ont donc pas de raison d’apparaître dans ce tableau qui ne concerne que l’impact des recettes et des coûts de votre réforme.
Messieurs les ministres, pouvez-vous m’expliquer ce qu’un maintien, ce qui revient donc à une absence de mesure, ni plus ni moins, fait dans un tableau de synthèse financière des seules mesures de la réforme ?
M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa, sur l’article.
M. Christophe-André Frassa. En deux minutes, je vous parlerai des grands oubliés de cette réforme des retraites : les Français qui ont effectué une partie de leur carrière en France et à l’étranger.
Les problèmes qu’ils rencontrent sont de trois ordres et concernent la garantie de la continuité des droits entre nos systèmes de retraite français et les systèmes des autres pays.
Première difficulté : certains pays n’ont pas signé de convention bilatérale de sécurité sociale avec la France. Il en résulte que les années cotisées dans ces pays ne peuvent pas être prises en compte dans le calcul de la décote. Le montant de la retraite française peut en conséquence être minoré de près de 25 %.
La deuxième difficulté, c’est l’impossibilité de prendre en compte, dans le calcul de la décote, les années cotisées dans plusieurs pays non européens. Si vous avez effectué une partie de votre carrière en Égypte et aux États-Unis, vous devrez opter pour comptabiliser les années effectuées dans l’un ou l’autre pays, mais pas les deux.
C’est une injustice qu’il convient de corriger, car il en découle des inégalités selon les pays dans lesquels vous avez effectué votre carrière professionnelle.
Nous n’avons pas pu présenter d’amendement ayant pour objet d’échapper à la décote dans ce genre de situations, car il aurait été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. À défaut, nous avions déposé un amendement tendant à demander la présentation d’un bilan annuel, devant l’Assemblée des Français de l’étranger, des accords de sécurité sociale signés avec les pays non encore conventionnés. Cet amendement a été lui aussi déclaré irrecevable. Nous en prenons acte.
La troisième difficulté est relative à la question du salaire de référence pour le calcul de la pension. Lorsqu’il porte sur les vingt-cinq meilleures années, si la carrière effectuée en France a été d’une durée égale ou inférieure et qu’elle concerne les premières années d’activité, le montant du salaire de référence sera le plus souvent assez bas.
Là encore, il conviendrait d’étudier ces situations et d’envisager des mesures correctrices, telles qu’une proratisation du décompte.
Par exemple si une personne a exercé pendant dix ans en France, le salaire de référence pour le calcul de la retraite devrait porter sur les six meilleures années.
Effectuer une partie de sa carrière professionnelle à l’étranger est une réalité…
M. le président. Il faut conclure.
M. Christophe-André Frassa. … qui n’est pas prise en compte dans ce texte, et c’est regrettable. Il faudra y apporter une réponse.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, sur l’article.
M. Franck Montaugé. Messieurs les ministres, cet article liminaire fonde votre réforme des retraites sur le solde budgétaire de la sécurité sociale. Et ce solde est exprimé par référence à un seul indicateur, celui du produit intérieur brut.
Pour nous, sanctuariser cet indicateur est réducteur. Nous ne pouvons pas penser l’efficience de nos politiques publiques à l’aune du seul critère quantitatif du PIB.
Le PIB, pour être simple et connu de tous, n’en est pas moins très incomplet et il ne dit rien de la pénibilité du travail ou de l’espérance de vie en bonne santé, pour ne citer que ces deux aspects du sujet.
D’éminents économistes, tels que Stiglitz, Sen et Fitoussi, ont fait une critique radicale du PIB comme instrument de mesure central de la richesse d’un État ou d’une nation.
Non, un État n’est pas riche du fait de son seul PIB.
Le PIB ne rend compte que très imparfaitement de la place centrale que la sécurité sociale occupe depuis 1945 dans notre société et dans le contrat social qui nous lie tous les uns aux autres, y compris, monsieur le ministre, pour les biens nés ou les nantis vers qui vont en permanence les faveurs politiques de votre gouvernement !
Une réforme juste doit être inspirée par la réalité de ce qui fait pour nous société.
Ainsi, le Gouvernement devrait prendre en compte un panel de nouveaux indicateurs de richesse, d’inégalités ou de qualité de vie qui traduise ce que d’aucuns, que je salue ici, appellent « le pouvoir de vivre ». L’indifférence de votre gouvernement aux difficultés réelles des Français est profondément dogmatique.
Pour ces raisons, je vous invite, avec mon groupe, à rejeter cet article liminaire, dont le référentiel ne convient pas au sujet des retraites. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, sur l’article.
M. Daniel Breuiller. Je souhaite savoir si M. le ministre a eu le temps de passer le coup de fil susceptible de l’autoriser à diffuser la note de synthèse du Conseil d’État… (Sourires sur les travées des groupes GEST et SER.) Sur toutes les travées, nous avons espoir que les sénateurs disposent de l’ensemble des éléments nécessaires pour débattre en toute sincérité et en toute objectivité de cet article liminaire.
Celui-ci fait référence à un texte qui n’a pas encore été voté : le projet de loi de programmation des finances publiques. C’est d’ailleurs au détour de son examen au Sénat que j’ai entendu le ministre Bruno Le Maire évoquer pour la première fois cette réforme des retraites, présentée alors comme un des efforts structurels indispensables pour rétablir le déficit public à 3 %. Son caractère austéritaire était donc parfaitement assumé.
Où en est ce projet de loi de programmation des finances publiques ? Le Sénat y avait introduit un amendement de suppression de 120 000 postes de fonctionnaire, que nous, à gauche, avions combattu. Je ne trouve pas trace de cette mesure dans le tableau qui nous est soumis. Y a-t-elle été intégrée ?
Vous indiquez viser une amélioration du taux d’emploi des seniors. Je vous rappelle que si celle-ci atteignait 10 points d’ici à 2032, elle rapporterait 2 % du PIB et 50 milliards d’euros de richesse, selon les économistes Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur.
Enfin, une augmentation raisonnable de la masse salariale des fonctionnaires dégagerait 3,3 milliards d’euros ; un taux de chômage à 4,5 % à partir de 2027 se traduirait, quant à lui, par un excédent de 20 milliards d’euros pour l’Unédic. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, sur l’article.
M. Jean-Claude Tissot. Nous souhaitons toutes et tous, ici, que l’examen de ce texte se déroule dans des conditions apaisées et respectueuses. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Frédérique Puissat. Eh bien commençons !
M. Jean-Claude Tissot. Pour cela, messieurs les ministres, il faudra y mettre du vôtre. Cela démarre mal, avec cet article liminaire censé nous présenter les prévisions budgétaires sur lesquelles vous fondez l’ensemble de cette réforme, mais qui dénote déjà un manque de respect pour notre assemblée.
L’estimation de la situation que vous avancez est en effet contestable, nous aurons l’occasion d’en discuter. Il est problématique que vous tentiez de l’étayer par des prévisions issues d’un texte rejeté par l’Assemblée nationale et qui n’a donc jamais été validé par le Parlement.
En d’autres termes, vous affichez une colonne de chiffres provenant d’un texte qui n’existe pas et vous entendez que nous la prenions pour argent comptant. Cela en dit long sur la considération que vous portez au Parlement en général, et au Sénat en particulier.
À l’Assemblée nationale, vous avez osé répondre à notre collègue Jérôme Guedj que vous n’aviez pas de comptes à rendre ni sur vos canaux d’information ni sur la manière dont vous établissiez vos prévisions.
Il faut espérer que vous êtes venus devant nous dans une autre disposition d’esprit, car nous n’aurons de cesse, aujourd’hui et jusqu’au 12 mars, de vous demander des comptes. Ne vous en déplaise, le contrôle du Gouvernement est notre prérogative de parlementaires. Nous avons le devoir d’introduire de la clarté dans un débat qui a souffert de beaucoup d’enfumage, alors qu’il intéresse l’ensemble de nos concitoyens.
Depuis des mois, vous criez sur tous les toits que l’enjeu est le sauvetage de notre système de retraite par répartition et que les Français devront sacrifier deux années de leur vie pour cela. La moindre des choses est donc de nous indiquer ce que ces sacrifices vont nous contraindre à payer.
Sans même revenir à ce fameux projet de loi de programmation fantôme, vos estimations semblent très artificielles et le déficit que vous annoncez est largement gonflé. Il se base notamment sur une poursuite de l’allongement de l’espérance de vie, qui stagne pourtant depuis 2014, ou sur des prévisions de recettes singulièrement faibles, s’agissant, par exemple, du salaire des fonctionnaires.
Adoptez un langage de vérité et arrêtez les faux-semblants ; ne venez pas nous parler d’une réforme de progrès social ou de justice, quand ces deux dimensions sont également absentes de ce texte. Donnez-nous les comptes, tous les comptes et rien que les comptes, mais les vrais ! Alors le débat se déroulera peut-être dans de meilleures conditions qu’à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. Ce texte est présenté d’une manière fort curieuse, d’aucuns ont dit cynique, voire machiavélique. Il s’agit d’une loi de financement, à laquelle s’appliquent donc les règles de recevabilité de l’article 40 de la Constitution ; nous ne disposons pas d’étude d’impact, mais vous avez des fiches d’évaluation ; des votes ont lieu en commission dont on ne retrouve pas le résultat en séance publique ; enfin, l’Assemblée nationale n’ayant pas voté le texte, nous héritons d’une version entièrement conçue par le Gouvernement. Bref, c’est une étrange procédure.
Même si nous souhaitons être très responsables et sages, comme nous le sommes toujours dans cette Haute Assemblée, nous sommes conscients que l’on nous piétine, que l’on nous abîme.
Tout cela n’est pas conforme à ma conception du bicamérisme, à celle que nourrit ce côté de l’hémicycle. Alors que nous faisons, matin et soir, l’éloge des deux chambres et de leur indépendance, il est curieux que nous acceptions cela au nom d’une certaine sagesse et de l’art de gouverner.
Cet article est l’architecture financière de votre projet ; le rejeter, c’est faire tomber tout le texte. Il est ciblé sur le PIB, contient des estimations de gains, ici et là, de quelques centaines de millions d’euros, rien de plus, au motif que nous devons préserver l’attractivité et la compétitivité du pays et qu’il ne faut donc pas augmenter les impôts. Comme si « impôts » était un gros mot !
Il est possible de mener une autre réforme des retraites et j’ose vous dire, à l’orée de ce débat, que la réforme Touraine devait être le dernier texte portant sur le système et l’architecture des retraites.
M. le président. Il faut conclure !
M. Victorin Lurel. Vous ne deviez réfléchir qu’à de nouvelles recettes, mais vous refusez même de l’envisager. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est un classique du genre : à chaque réforme des retraites, on dramatise la situation pour expliquer qu’il faut remettre en cause tous les acquis sociaux de ce pays. Cette affaire est de la même veine. Manque de chance, toutefois, le Conseil d’orientation des retraites (COR) a considérablement relativisé vos annonces, en indiquant que le système était maîtrisé, et que son déficit était rattrapable.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. C’est vrai : tout va bien, il n’y a pas de dette…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En examinant de près vos hypothèses, il apparaît qu’une des clés de l’accroissement du déficit réside dans la baisse de la participation de l’État. Cela, vous ne le dites pas aux Français ! Vous ne leur dites pas que vous ne créerez aucun poste de fonctionnaire jusqu’en 2027. Certes, les 15 000 postes issus du Ségur sont inclus dans vos estimations, mais aucun autre : pas de postes de professeur ou d’infirmière supplémentaires, pas d’amélioration du système judiciaire.
Cela ne représente pas une perte négligeable : 3 milliards d’euros dès la fin du quinquennat, portant le déficit à 4 milliards d’euros, et, selon les syndicats, entre 9 et 18 milliards d’euros à l’échéance de 2037 ou 2040. On passe ainsi du simple au double ! Cette question est centrale, alors même que notre pays a besoin de fonctionnaires.
Ensuite, vous allez geler le point d’indice, ainsi qu’on peut le lire dans les estimations du COR. D’ici à 2037, le pouvoir d’achat théorique des fonctionnaires baissera donc de 8 %, à inflation comparable, quand celui des salariés du privé augmentera de 12 %. La moindre des choses aurait été pourtant de veiller au parallélisme des trajectoires. Vous sacrifiez l’avenir de la fonction publique sans le dire au Français…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Marie-Noëlle Lienemann.… et vous utilisez ce moyen pour gonfler le déficit ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRC, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, sur l’article.
Mme Monique Lubin. Nous allons discuter d’un article liminaire ; or qui dit article liminaire dit loi de finances.
C’est bien là que le bât blesse une première fois : nous avons entendu hier Mme la rapporteure générale nous expliquer qu’elle n’était pas dérangée par le fait de parler de retraite dans le cadre d’une loi de finances. Techniquement, il est vrai que le report de l’âge de départ à la retraite que vous comptez opérer emportera de moindres dépenses et améliorera les comptes publics.
Pourtant, le bât blesse une seconde fois : le Gouvernement a pris des engagements en matière de baisse de la dépense publique. La part des retraites dans ces dépenses étant importante, il vous aura semblé plus simple de taper dedans. Cela signifie que vous pénalisez des gens qui sont prêts à partir à la retraite dans six mois et jusque dans deux ans, pour faire entrer immédiatement de l’argent dans les caisses de l’État.
Or ces gens-là ont déjà accumulé plus de 40 annuités de cotisation, ils travaillent depuis 41 ans ou 42 ans et vous leur expliquez finalement qu’il leur revient d’améliorer les comptes publics par le sacrifice de leur travail.
Tout cela est bien compliqué, et vous pourriez considérer que, ces salariés n’étant pas rompus à ces débats, ils ne les comprennent pas. Détrompez-vous : ils les ont parfaitement compris ! C’est pourquoi ils sont très défavorables à cette réforme et seront dans la rue mardi prochain ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Nous sommes à l’article liminaire ; et donc aux préliminaires de ce débat. (Exclamations.) Cela commence bien !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. C’est bien parti…
M. David Assouline. Tout le monde souhaitait un débat apaisé, au cours duquel chacun pourrait expliquer les choses, mener des démonstrations, écouter les autres, s’enrichir des interventions des collègues, un débat qui pourrait ainsi éclairer l’opinion.
Cet article liminaire nous dit tout de l’état d’esprit de cette réforme. La question des retraites taraude tous les politiques et tous les citoyens, en particulier les jeunes, depuis plusieurs années.
La démographie évolue, et le monde du travail lui-même est bouleversé. Personne ne connaît la forme que prendront les relations au travail dans dix ans, non plus que ce qu’il adviendra de nos modes de production. Quels mécanismes sociaux nouveaux faudra-t-il inventer pour accompagner ces révolutions technologiques ?
Le réchauffement climatique, en outre, agit sur tous les paramètres qui nous étaient familiers il y a encore quelques années ; or les projections quant à l’impact sur le travail et sur sa pénibilité ainsi que sur différents domaines concernant les retraites n’ont pas été évaluées.
Le Parlement devrait servir à cela, mais l’on se contente ici d’affirmer que le système sera déficitaire à 30 ans, sans nourrir la discussion par une vision plus globale qu’une réforme financière.
M. le président. Il faut conclure !
M. David Assouline. C’est la raison pour laquelle cet article liminaire dit tout : cette réforme n’est pas sociale, elle est comptable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, sur l’article.
M. Yan Chantrel. Il me semble important de relever, dès le début de nos échanges, que nous sommes confrontés à un véritable souci de méthode de la part de ce gouvernement. Mes chers collègues de la droite sénatoriale, le signaler vous honorerait.
Cette réforme qui touche au cœur de notre pacte social ne saurait être examinée dans un délai aussi contraint, alors que le Gouvernement fait montre d’une volonté brutale de piétiner nos droits de parlementaires à légiférer, à discuter, à échanger dans la durée au sujet de mesures qui engagent plusieurs générations.
Monsieur le ministre, cela en dit long sur votre politique et sur cette réforme. Par cette procédure, vous violentez les Français, le Parlement, et donc notre démocratie, et vous le faites avec la complicité de la droite sénatoriale.
Ainsi, un millier d’amendements ont été déclarés irrecevables, alors que la plupart d’entre eux n’avaient pas connu un tel sort lors de l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale précédents.