Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger. Madame la sénatrice, je partage évidemment avec vous un certain nombre de constats.
En dehors de la situation exceptionnelle due à la facture énergétique, notre balance des biens connaît un déficit structurel, lequel s’explique pour une grande part, comme nous venons de le dire, par la désindustrialisation, et, pour une autre part, par la faiblesse de nos PME à l’exportation. C’est un sujet sur lequel nous travaillons avec la Team France Export.
Vous avez parlé de la formation. J’évoquerai aussi la culture de nos chefs d’entreprise à l’international. Peut-être parce que notre pays est agréable et que l’on s’y sent bien, nous avons en France la particularité de ne pas être instinctivement tournés vers l’international. Il y a là un véritable travail à faire, me semble-t-il.
Le temps m’étant compté, je veux plus particulièrement parler sur l’aéronautique. Vous avez souligné qu’il manquait aujourd’hui un peu moins de 10 milliards d’euros par rapport aux chiffres d’avant-covid pour cette filière.
Nous sommes là véritablement devant un phénomène conjoncturel, avec la baisse d’activité du secteur durant la crise du covid-19, mais aussi avec la pénurie de semi-conducteurs, qui a empêché la livraison de très nombreux avions ; le président d’Airbus, avec lequel je me suis entretenu avant-hier soir au téléphone, me l’a confirmé.
Cependant, nous estimons que ce retard pourra être rattrapé sur l’année 2023. Il y a plus de 7 200 avions dans les carnets de commandes. Nous pouvons donc être tout à fait confiants sur l’avenir du secteur aéronautique, qui récupérera le niveau d’avant-crise très prochainement.
Mme le président. La parole est à Mme Guylène Pantel.
Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître… » (Sourires.) La chanson d’Aznavour s’appliquerait parfaitement à l’histoire de notre balance commerciale ces dernières décennies.
Si les déficits de l’État et de la sécurité sociale ont bientôt un demi-siècle, en matière commerciale, la France était restée exportatrice nette de biens jusqu’au début des années 2000.
À l’époque du gouvernement Jospin et de la gauche plurielle, notre pays était encore une grande puissance commerciale en Europe et dans le monde. Depuis lors, notre balance commerciale n’a cessé de se dégrader. Un cap supplémentaire a été franchi depuis la crise sanitaire, avec un déficit commercial qui a dépassé 80 milliards d’euros en 2021 et qui aurait explosé à plus de 150 milliards d’euros en 2022, en particulier, il est vrai, à cause de la crise énergétique entraînée par la guerre en Ukraine.
Comment expliquer ce phénomène désormais structurel ? Il faut mettre au crédit de la délégation sénatoriale aux entreprises de s’être penchée sur cette question épineuse, mais si importante pour l’avenir de notre pays.
Au sein d’une Union européenne qui équilibre à peu près ses comptes extérieurs, la France apparaît à la remorque de l’Allemagne, et même de l’Italie, deux pays qui ont su conserver une balance commerciale positive.
Il y aurait des choses à dire sur le bien-fondé d’un commerce allemand aussi fortement excédentaire, revers d’une consommation intérieure atone et symbole d’une politique qui se fait parfois au détriment de ses partenaires européens. Ces questions sont débattues depuis des années, avec les crises qui ont secoué la zone euro.
Toutefois, cela ne doit pas nous empêcher de regarder certaines réalités en face et de trouver des solutions aux faiblesses structurelles de l’économie française. Le Brexit a probablement renforcé ces difficultés, car c’est avec le Royaume-Uni que nous avions notre plus important excédent commercial. Au passage, je rappelle tout de même que le coût principal du Brexit est pour le Royaume-Uni lui-même.
Le déficit commercial de la France n’est pas dû seulement à la facture énergétique. Cette dernière représente une part, certes importante, mais les pertes de parts de marché à l’exportation se sont accumulées dans de nombreux secteurs sur le long terme.
Cet affaiblissement touche aujourd’hui non seulement l’industrie, mais aussi le secteur agroalimentaire. En outre, le rapport a mis en lumière les risques qui pèsent sur les services avec le phénomène de « télémigration », qui a commencé par la généralisation du télétravail. Mesure-t-on encore bien son ampleur ?
Le secteur des services est pourtant un domaine où la France reste exportatrice : si l’on prend la balance courante, et plus seulement la balance du commerce de biens, le déficit en 2021 est ramené à une vingtaine de milliards d’euros « seulement ». C’est une nuance intéressante face aux discours souvent alarmistes. Malgré tout, notre position extérieure nette n’a cessé de se dégrader sur une longue période.
Les faiblesses de nos PME à l’export ne sont pas nouvelles. La France continue de manquer de grosses PME exportatrices comme il y en a en Allemagne et en Italie.
Certains ont voulu incriminer la monnaie unique et l’absence de zone monétaire optimale, mais les difficultés similaires rencontrées par le Royaume-Uni, qui n’a jamais été dans la zone euro, montrent que cette question est plus complexe.
Face à tous ces défis, que faire ? J’identifierai trois axes d’action.
Tout d’abord, il nous faut accompagner la remontée en gamme de notre production. Nous devons impérativement améliorer la qualité moyenne de nos produits dans de nombreux secteurs. Hormis quelques domaines d’excellence, l’économie française se situe trop souvent dans la moyenne gamme, ce qui la handicape. Cela nécessite d’importants investissements, tant publics que privés.
Ensuite, nous devons aménager notre cadre réglementaire et fiscal. Un amendement proposé par mon groupe lors de la discussion de la dernière loi de finances visait ainsi à préserver la souveraineté économique dans le secteur des services numériques face aux risques de prise de contrôle hostile. Il faut également se pencher sur les modalités de transposition des directives européennes. Dans ce domaine, le Sénat pourrait lui-même lutter contre sa propre tendance à la surtransposition.
Enfin, et surtout, la réindustrialisation doit aujourd’hui être le levier de la transition écologique. À cet égard, les pouvoirs publics, État et collectivités territoriales, ont un rôle crucial à jouer.
Voilà les quelques remarques que je souhaitais formuler au nom du groupe RDSE et qui sont loin d’épuiser ce vaste sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger. Madame la sénatrice, vous me permettrez de ne pas être d’accord avec un certain nombre de vos propos.
Tout d’abord, nous connaissons une situation particulièrement conjoncturelle en ce qui concerne l’énergie. C’est vrai d’ailleurs pour l’ensemble de nos partenaires européens, y compris pour l’Allemagne, qui est habituellement très excédentaire, mais qui va voir ses excédents fondre de plus de 100 milliards d’euros, ainsi que pour l’Italie, qui était également habituée aux excédents, mais qui va se trouver, comme nous, avec un déficit commercial assez important.
Ensuite, mon autre point de désaccord porte sur la situation de l’agroalimentaire. Ce secteur est excédentaire en France, à hauteur de 10 milliards d’euros, dont 2 milliards d’euros de plus en 2022. C’est dire si nous avons des filières qui sont très dynamiques ; outre les vins et spiritueux, il y a notamment les céréales et l’élevage. Ce sont de bonnes nouvelles pour le commerce extérieur français.
En revanche, j’en suis d’accord, le tissu français de PME et PMI est plus faible que celui de l’Allemagne ou de l’Italie. Surtout, nos PME-PMI sont très peu portées vers l’exportation. C’est le grand problème que nous devons résoudre.
Néanmoins, si la réindustrialisation de notre pays doit prendre au moins une décennie, comme je l’ai souligné, nous pouvons améliorer les capacités exportatrices de ces entreprises dans des délais moindres. C’est le défi de la Team France Export, notamment.
Mme le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le lent déclin de notre balance commerciale porte en lui nombre des maux qui affectent l’économie française depuis plusieurs décennies : désindustrialisation, fiscalité écrasante sur la production et la transmission d’entreprises, manque d’intermédiaires entre petites ou moyennes entreprises et entreprises du CAC 40, lourdeurs et complexités administratives.
Bref, nous traînons ces fers aux pieds depuis bien trop longtemps, et je me réjouis que nos collègues de la délégation aux entreprises se soient penchés sur ce problème.
Je salue ainsi le travail des rapporteurs, qui a pu aboutir à des propositions concrètes, lesquelles, je l’espère, seront entendues et encouragées, car le constat est sévère, mais hélas réaliste : la France n’exporte pas assez ! Les chiffres, particulièrement mauvais ces dernières années, parlent d’eux-mêmes.
Le déficit commercial, de 84 milliards d’euros en 2021, atteindra le chiffre record de 160 milliards d’euros en 2022. Dans la période pré-covid, il était solidement ancré autour des 60 milliards d’euros, avec un plongeon significatif de 15 milliards d’euros de déficit supplémentaire entre 2016 et 2017.
À la racine de ce mal français, il y a la faible part de l’industrie dans le produit intérieur brut. Et elle n’a cessé de plonger : aujourd’hui, elle n’est que de 13,5 %, quand la moyenne européenne se situe autour de 15 %. Pour rappel, ce ratio est de 24,2 % en Allemagne, de 19,6 % en Italie et de 15,8 % en Espagne. Vous trouverez tous ces chiffres dans l’excellent rapport de mes collègues Florence Blatrix Contat, Jean Hingray et Vincent Segouin.
Revenons quelques années en arrière, lorsque certains théoriciens de l’économie prédisaient que « ce monde qui vient » serait celui des services et non plus celui de l’industrie, avec cette idée folle, relayée par les mêmes auteurs, que les pays développés devaient délocaliser leurs productions à l’étranger pour ne garder que les services.
Malheureusement, chacun a pu constater l’hémorragie qui a suivi. Notre industrie a payé un lourd tribut à ces idées mortifères, perdant 10 points dans la part du PIB qu’elle occupait. Pour mémoire, mes chers collègues, le déficit commercial de la France était jusqu’alors inférieur à celui de l’Allemagne.
Exemple symptomatique, comment expliquer que, aujourd’hui, les constructeurs automobiles français, parmi les plus importants au monde, pèsent si peu dans les exportations nationales ?
Notre industrie automobile s’est délocalisée depuis vingt ans, attirée par le coût attractif de la main-d’œuvre étrangère. Dans le même temps, l’industrie automobile allemande s’est appuyée sur les anciens pays d’Europe centrale et orientale, devenus leur « arrière-boutique », tout en conservant un assemblage final en Allemagne. C’est donc du Made in Germany.
Résultat, notre balance commerciale automobile n’a plus été excédentaire depuis 2004 et – comble de l’ironie – certains constructeurs français sont devenus importateurs sur le marché national. Nous devons être interpellés par ces exemples, que l’on pourrait multiplier dans bien des domaines pour les dernières décennies.
De ce triste constat, un autre découle : les productions étrangères affluent maintenant en quantité sur le territoire national ; nous sommes devenus un pays d’importation de denrées et de produits du bout du monde, dans des emballages du bout du monde.
Notre déficit commercial n’évalue pas cette donnée, mais nous importons les déchets de demain, ceux-là mêmes qui n’ont créé ni emplois, ni richesse, ni savoir-faire dans notre pays.
Monsieur le ministre, je plaide pour que nos politiques publiques prennent conscience de ce fait d’importance et soutiennent la création d’une puissante filière industrielle française compétitive et innovante de traitement des déchets.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est très juste !
Mme Marta de Cidrac. Dans un contexte de rareté et de diminution des ressources mondiales, il nous faut repenser notre rapport aux déchets ; leur valorisation nous permettra de garder un levier important sur les ressources dans l’avenir.
Ainsi, développer une puissante filière française du recyclage et du réemploi nous conduira à créer des emplois, à encourager le développement économique de nos territoires et à modifier notre approche des échanges commerciaux.
Notre pays a de nombreux atouts à faire valoir pour retrouver de la compétitivité et garantir sa souveraineté. Nos politiques publiques doivent en tenir compte et les valoriser, pour que la France redevienne une grande puissance commerciale.
Sortons de cette « mondialisation heureuse » qui nous a fait si mal et redécouvrons un État-stratège qui garantit notre souveraineté et notre autonomie stratégique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger. Madame la sénatrice, je partage votre constat sur la désindustrialisation, ainsi que votre préoccupation quant à la valorisation et au traitement des déchets. Nous avons besoin d’une politique industrielle dans ce domaine, et cela fait partie des orientations du plan France 2030, notamment pour ce qui concerne les matériaux.
Il s’agit d’une étape indispensable à la mise en place de cette économie circulaire que nous appelons de nos vœux pour protéger l’environnement et lutter contre le réchauffement climatique. Vous le voyez : nos analyses respectives sont proches.
En ce qui concerne l’automobile, les derniers chiffres sont plutôt encourageants : dans cette année très particulière, marquée par le manque de semi-conducteurs, le secteur a retrouvé sa situation de la période précédant la crise du covid-19. Le retard de l’année précédente a été rattrapé, ce qui est une bonne nouvelle.
Mme le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.
Mme Marta de Cidrac. Vous êtes d’accord avec mes propos ; je le suis avec les vôtres !
J’insiste encore sur un fait central : nous importons beaucoup et nous n’exportons pas assez. Soutenons donc des talents et des savoir-faire typiquement français, nés de cette situation même, car nous pourrions les exporter dans de nombreux pays, y compris en Europe.
De très belles entreprises concourent à faire émerger ces talents – des grandes entreprises, mais aussi des PME et des TPE. (Mme Marie-Noëlle Lienemann approuve.)
Mme le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le creusement progressif de notre déficit commercial dure depuis tant d’années que certains s’y sont presque habitués, allant jusqu’à le qualifier de « structurel » !
Chaque année, ce déficit s’enlise, et il devient urgent de redresser la barre ; chaque année, les mauvais choix des trois dernières décennies en matière de politique industrielle se rappellent à nous.
Pourtant, les alertes se sont multipliées, à l’instar du rapport déposé en 2018 par mon collègue Jean-Pierre Decool sur la pénurie de médicaments, qui demeure malheureusement d’actualité.
La crise de la covid-19 a braqué les projecteurs sur notre décrochage industriel et sur la perte de compétitivité de nos entreprises ; elle a posé une lumière crue sur le vieillissement de notre appareil productif, sur les délocalisations de nos emplois, sur la fuite ininterrompue de nombre de nos talents et sur l’inadéquation de notre positionnement de milieu de gamme.
Alors que nous sommes confrontés de plein fouet aux pénuries, au renchérissement du coût de l’énergie et à notre dépendance aux importations, les manquements de notre politique commerciale nous obligent. S’accorder sur un même constat est un premier pas ; à ce titre, l’état des lieux des 900 postes et produits affichant un déficit supérieur à 50 millions d’euros, préparé par le Haut-Commissariat au plan, est utile. Désormais, nous devons agir, et vite.
L’étude de notre balance commerciale pose aussi la question de notre politique dédiée à la recherche. « Oublier Lisbonne et mourir », c’est un peu ce que nous avons fait, hélas, monsieur le ministre. Je vous le rappelle, l’Europe devait alors devenir « l’économie […] la plus compétitive du monde en 2010 » et nous devions consacrer 3 % de notre PIB à la recherche et développement (R&D). La France est malheureusement encore loin du compte !
Pourtant, les chiffres montrent que les entreprises actives en R&D exportent plus : en France, celles-ci doivent 31 % de leur chiffre d’affaires à l’export, contre 23 % pour l’ensemble des entreprises. Cette tendance est plus flagrante encore concernant les PME : celles qui sont actives en R&D réalisent 29 % de leur chiffre d’affaires à l’export, contre seulement 10 % pour l’ensemble de la catégorie.
Même si des lourdeurs bureaucratiques freinent toujours son déploiement, je place mes espoirs dans le plan France 2030, lequel met l’accent sur la formation et sur la recherche, à l’instar de la loi de programmation de la recherche (LPR), dans des domaines stratégiques. Parmi ceux-ci, le spatial, la décarbonation de l’industrie et la santé sont autant de secteurs dans lesquels la France doit rapidement se positionner.
Développer une stratégie française en faveur de la recherche répond à un enjeu de souveraineté majeur. Pour autant, nous avons de bonnes raisons d’espérer : dans certains domaines, la France est même très bien positionnée, comme dans le luxe, dans l’agroalimentaire ou dans d’autres secteurs encore, qui représentent fièrement notre pays à l’international.
Parmi ceux-ci, je voudrais saluer la filière du jouet et du jeu de société. Il s’agit de tout un écosystème de talentueux professionnels dont on parle peu et qui s’emploient à soutenir la dynamique de cette florissante industrie partant à la conquête des marchés internationaux. J’ai ainsi à l’esprit l’entreprise Ferriot Cric, à Mussy-sur-Seine, dans l’Aube.
Le Festival international des jeux (FIJ) se tiendra à Cannes à la fin du mois ; sa précédente édition avait réuni 80 000 passionnés du monde entier. Cette réussite du made in France souligne l’urgence de rapatrier certaines productions, comme les éléments magnétiques ou les puces électroniques.
Si ces exemples nous donnent de l’espoir, ils ne peuvent malheureusement faire oublier la gravité de la situation. Le statu quo n’est plus permis.
Le rapport d’information Transformer l’essai de l’innovation : un impératif pour réindustrialiser la France, dont j’étais le rapporteur, dénonce le saupoudrage d’aides publiques, mais aussi les délais d’autorisation de mise sur le marché (AMM), incompatibles avec le développement rapide de secteurs technologiques innovants.
En matière de biocontrôles – ces substituts aux pesticides –, domaine dans lequel la France est innovante, il faut ainsi sept à dix mois et 7 000 dollars pour homologuer un produit aux États-Unis, grâce à la procédure fast track, quand dix-huit mois au moins, et plus souvent trente-six mois, sont nécessaires pour le faire auprès de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), à des coûts bien supérieurs. Encore faut-il alors passer par la Belgique, car notre propre agence, l’Anses (Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), est saturée.
Cette situation pose vraiment un problème indirect à notre commerce extérieur, car elle coûte à nos entreprises, qui subissent des décalages dans leur plan d’affaires et qui perdent leur avance compétitive. Je forme le vœu que l’Inflation Reduction Act européen apporte les améliorations nécessaires pour arrêter l’hémorragie.
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger. Madame la sénatrice, je suis d’accord avec vous sur de nombreux points, notamment pour estimer qu’il est nécessaire d’agir, et vite. C’est ce que nous faisons en matière d’innovation, grâce au plan France 2030.
Vous avez parfaitement raison, il faut relocaliser certains secteurs stratégiques, tels que les semi-conducteurs, les médicaments essentiels ou encore les composants nécessaires à la transition énergétique – les batteries, notamment, et les matières premières nécessaires pour les fabriquer.
Pour autant, nous n’allons pas tout relocaliser, car nous devons nous garder de nous lancer dans une nouvelle compétition en matière de coûts. Il y aura toujours demain des pays dans le monde – si ce n’est pas en Asie, ce sera en Afrique – qui fabriqueront des produits à faible valeur ajoutée à des coûts bien moins importants que ceux que nous pourrions obtenir en France.
Il est donc important d’orienter la réindustrialisation, hormis les matières stratégiques, vers l’innovation, c’est-à-dire vers les produits qui porteront la croissance des prochaines décennies.
C’est ce que nous faisons dans le cadre de France 2030 pour les biotechnologies, ainsi que pour les énergies et les mobilités du futur. C’est notre combat, et vous pouvez compter sur le Gouvernement pour agir, et vite, dans ce domaine.
Mme le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour la réplique.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Ces mots sont doux à mes oreilles, monsieur le ministre, mais je dois tout de même relever que nos réglementations et nos délais d’homologation sont un caillou dans la chaussure des innovateurs de notre pays.
Ceux-ci partent en ce moment au Canada ou aux États-Unis ; là-bas, on leur construit des usines payées à 80 %, on leur garantit un prix de l’électricité pour dix ans et on leur permet d’homologuer leurs produits, lesquels reviendront en Europe, et en France, grâce aux procédures de l’OCDE.
Leur production sera-t-elle rapatriée pour autant ? Je le souhaite, mais cela n’est pas certain. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays affiche un déficit record, qui atteint plus de 150 milliards d’euros à la fin de 2022, comme le soulignent justement les auteurs de ce rapport.
Les raisons des contre-performances à répétition du commerce extérieur français sont connues. Celui-ci est déficitaire depuis près de vingt ans ; l’envolée de la facture énergétique, le ralentissement du commerce mondial et la dépréciation de l’euro face au dollar ont accentué son plongeon.
Ce sont évidemment les achats d’énergie, notamment d’hydrocarbures, et les importations d’électricité qui pèsent le plus dans le creusement de ces derniers mois. Permettez-moi donc de centrer mon discours sur cette question énergétique, qui constitue l’une des raisons majeures de notre vulnérabilité actuelle et de notre déficit commercial.
Je le rappelle, près des deux tiers de notre consommation énergétique dépendent encore des énergies fossiles, dont une partie est toujours importée de Russie. Cette situation de dépendance, mortifère pour le climat comme pour la paix et critique pour nos comptes publics, n’épargne pas non plus le pouvoir de vivre de nos concitoyens.
L’objectif de la Commission européenne, au travers du plan REPowerEU, qui vise à nous permettre de nous passer du pétrole, du gaz et du charbon russes d’ici à 2027, est louable, mais ce réveil est tardif.
Les importations d’électricité pèsent également dans l’accentuation du déficit constatée ces derniers mois, en raison, notamment, de l’indisponibilité de nombreux réacteurs nucléaires.
Ces faits me conduisent à rappeler l’impérieuse nécessité du déploiement des énergies renouvelables (EnR), d’abord pour retrouver notre souveraineté énergétique, ensuite pour contribuer à la bonne santé de notre balance commerciale.
Alors que les EnR constituent une source d’électricité bas-carbone et compétitive pouvant être déployée massivement sur le territoire à l’horizon de 2030, nous ne pouvons que déplorer notre faiblesse en la matière, et cela à plusieurs niveaux. Les importations d’électricité s’accompagnent en effet de l’importation des moyens de production et, bien sûr, de la faiblesse de nos exportations.
S’agissant de l’éolien, les Danois et les Allemands sont à l’avant-garde du marché mondial, alors qu’aucun Français ne figure parmi les dix premiers producteurs.
En matière de photovoltaïque, c’est la Chine qui monopolise aujourd’hui toutes les étapes de la chaîne de production, en pratiquant du dumping social et environnemental, sans que la Commission européenne y trouve rien à redire. Le pays a investi plus de 50 milliards de dollars dans le développement du secteur dès 2011, soit dix fois plus que l’Europe, et sa part sur le marché mondial dépasse les 80 %, alors que l’Union européenne importe 84 % de ses équipements.
La Chine domine à présent l’ensemble des chaînes d’approvisionnement de ces technologies essentielles à la transition. Outre le solaire, c’est le cas pour les véhicules électriques et le stockage d’électricité.
Dans le domaine de l’hydroélectricité, notre pays ne tient pas non plus son rang en matière d’exportation de sa technologie.
Alors que la France et l’Europe accumulent un retard préoccupant sur ces questions majeures, le plan anti-inflation adopté en 2022 aux États-Unis, qui vise à combattre le changement climatique, favorise la relocalisation industrielle dans des secteurs stratégiques de la transition.
Cet Inflation Reduction Act met en place un arsenal de mesures incitatives, notamment via des crédits d’impôt, à l’investissement et à la production d’équipements de transition énergétique, pour une enveloppe de 369 milliards d’euros, avec l’objectif de construire une capacité intégrée de 50 gigawatts d’ici à 2030. Ce n’est pas rien !
Face à ces subventions massives en faveur de la relocalisation de la fabrication des moyens de production d’EnR de la part des autres grandes puissances, quelles initiatives la France va-t-elle enfin engager pour relocaliser à son tour toute la chaîne de valeur, monsieur le ministre ? Comment notre pays se donne-t-il les moyens de redevenir constructeur et exportateur dans ces filières qui, hélas, n’ont jamais été soutenues ?
Si la France veut sécuriser son découplage énergétique avec la Russie et rester dans la course menée par la Chine et les États-Unis en matière de transition, elle doit reconstruire une base industrielle sur son territoire, en la tournant résolument vers la transition écologique. Cela passe par la fabrication des équipements au plus près, mais aussi par la mise en place d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe, en privilégiant l’industrie, plutôt que la libre concurrence.
Oui, le combat contre le changement climatique doit favoriser plus que jamais la relocalisation de la production dans ces filières clés. Les industriels actifs dans la transition ont besoin de visibilité pour engager des investissements très coûteux en capital.
Vous annoncez pour cette année un projet de loi visant à favoriser une industrie verte, lequel devrait offrir l’occasion de répondre à ces défis majeurs. Pourtant, à défaut d’amorcer un réel changement de paradigme dans les politiques publiques, d’introduire de la conditionnalité à l’attribution des aides publiques et d’investir massivement dans les EnR, ce vœu restera pieux. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)