M. Philippe Tabarot. Madame la ministre, vous n’avez pas répondu sur les ZFE, mais nous aurons l’occasion d’aborder le sujet dans les mois et années à venir, car la mise en place du dispositif est particulièrement difficile dans nos territoires.
Mme le président. La parole est à M. Joël Bigot.
M. Joël Bigot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la décision de l’Union européenne d’interdire la vente de véhicules thermiques neufs à l’horizon de 2035 est en train de bouleverser le marché automobile. Selon un rapport récent de la fédération des acteurs de la mobilité électrique, les prévisions de croissance sont exponentielles : l’électrique, qui représente actuellement 1,5 % du parc français roulant, atteindrait 24 % en 2035.
Néanmoins, cet engouement est tempéré par le déploiement difficile des bornes de recharge, qui sont toujours en deçà de l’objectif des 100 000 fixé par le Gouvernement pour l’année 2022. Mais vous avez répondu que cet objectif serait atteint en 2023, madame la ministre. Dont acte.
À l’heure de la planification écologique, quel est le rôle de l’État dans le déploiement des bornes de recharge de manière équilibrée dans l’ensemble du territoire ?
C’est une condition sine qua non du développement de l’électrique, vu que l’autonomie des véhicules électriques ne dépasse pas les 300 kilomètres.
C’est un véritable enjeu dans les régions Centre-Val de Loire ou encore Pays de la Loire, où il n’y a que 86 points de recharge pour 100 000 habitants ; c’est très en deçà de la moyenne nationale.
Comment l’État compte-t-il assurer une répartition équilibrée du réseau dans l’ensemble du territoire ?
Une attention particulière est-elle portée aux territoires peu denses, afin de garantir l’égalité territoriale et un maillage intelligent ? Près de 83 % de nos concitoyens vivent en zone rurale ; ils sont donc contraints par le manque d’offre de mobilités alternatives pour utiliser quotidiennement leur voiture individuelle.
Le Gouvernement prévoit-il un plan spécifique de soutien à l’électrification des mobilités du quotidien pour ces zones rurales ? Une enveloppe de 10 millions d’euros a été débloquée en fin d’année dernière, mais ce n’est pas à la hauteur des besoins locaux identifiés par l’Insee dans les zones rurales et périurbaines, contrairement aux idées reçues.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur, dont acte. Nous aurons nos 100 000 bornes à la fin de l’année 2023, dans un contexte que vous connaissez aussi bien que moi. Nous sommes en retard – je reste honnête –, mais je pense que cela peut se comprendre. L’important est d’atteindre l’objectif, voire de le dépasser le plus vite possible. Au regard des chiffres, nous y arriverons !
Le sujet que vous abordez est absolument majeur ; j’ai déjà essayé d’y répondre lors d’une précédente question. Il est indispensable que les collectivités locales jouent leur rôle dans cette planification territoriale.
Sur le volet des stations de recharge, nous ne parlons pas de 10 millions d’euros. L’appel à projets lancé dans le cadre du plan France 2030, c’est 300 000 millions d’euros pour assurer une intensité d’aides plus importante, afin d’installer des stations dans les territoires situés en dehors des dix principales métropoles urbaines.
Par ailleurs, la Banque des territoires, qui est aux côtés des collectivités territoriales, propose différents dispositifs d’accompagnement financier à destination des collectivités locales et de leurs délégataires, notamment les bailleurs, dans cette planification territoriale.
L’État est aux côtés des acteurs locaux, dont l’engagement est essentiel. Plus de 60 % des bornes ont été installées sous la maîtrise d’ouvrage de collectivités territoriales ou d’établissements publics. La réalisation de schémas directeurs dédiés permettra aux acteurs locaux d’être les moteurs du déploiement de ces infrastructures.
Enfin, le fonds vert, que vous connaissez, est doté de 2 milliards d’euros. Nous pourrions envisager, si telle était la volonté de la représentation nationale, de consacrer une petite partie des financements à la problématique du développement des recharges et des infrastructures au sein des collectivités territoriales. Il faudrait aborder cette question avec le ministre Béchu. C’est une option que nous pourrions considérer.
Mme le président. La parole est à M. Joël Bigot, pour la réplique.
M. Joël Bigot. Comme je n’habite pas très loin de chez le ministre Béchu, je pourrais lui poser directement la question !
Plus sérieusement, lorsque vous vivez dans une zone peu dense, si vous avez une course de plus de 300 kilomètres à faire, vous hésitez à prendre votre véhicule électrique.
Il est urgent d’agir !
Mme le président. La parole est à Mme Véronique Del Fabro.
Mme Véronique Del Fabro. Madame la ministre, comme l’ont rappelé précédemment mes collègues, en 2035, les concessionnaires automobiles ne pourront plus mettre de véhicules thermiques neufs en vente.
Je m’en réjouis, pour deux raisons. La première est d’ordre écologique. La seconde réside dans le fait que cette mesure répond aux attentes des territoires ruraux – je me permets de les représenter aujourd’hui – à condition qu’il y ait des infrastructures.
Les habitants des zones rurales sont fortement dépendants de leur voiture. La crise des « gilets jaunes » a bien montré le lourd tribut payé par les usagers dépendants des énergies fossiles. Rouler à la campagne coûte plus cher qu’en ville, sauf peut-être si l’on dispose d’un véhicule électrique. À la campagne, le développement des infrastructures de recharge jouera un rôle majeur en matière de mobilités.
Or force est de constater que le déploiement des bornes de recharge est laborieux dans nos régions rurales. C’est pourtant une condition sine qua non du développement de la mobilité. Nous voyons, certes, fleurir des initiatives, territoire par territoire, par l’action de l’ensemble des collectivités territoriales, parfois de concert.
La France des 35 000 communes ne doit pas devenir celle des 35 000 abonnements nécessaires pour accéder aux 35 000 bornes de recharge de véhicules accessibles au public.
Madame la ministre, pensez-vous que le déploiement de bornes de recharge constitue le véritable enjeu de développement et d’aménagement du territoire ? Si tel est le cas, quel rôle l’État entend-il jouer pour répondre à la question majeure de l’interopérabilité, notamment en matière de transparence des tarifs ? (M. Philippe Tabarot applaudit.)
M. Jean-François Husson. Excellent !
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la sénatrice, j’ai déjà répondu à une question sur les bornes, et tout ce que je pourrais ajouter serait superfétatoire.
Mme le président. La parole est à Mme Véronique Del Fabro, pour la réplique.
Mme Véronique Del Fabro. Vous pourriez peut-être me répondre sur la transparence…
Je vous parlerai de mon expérience. Voilà quelques semaines, au mois de décembre, j’étais encore maire d’une commune rurale de 360 habitants et vice-présidente d’une communauté de communes. Dans un souci écologique, j’ai acheté un véhicule électrique. Or il me faut je ne sais combien de cartes d’abonnement pour pouvoir recharger mon véhicule dans mon territoire. De plus, pour une même borne, avec chacune de mes trois cartes, il m’est proposé un tarif totalement différent, allant de 35 centimes d’euros à 15 euros ! Qu’en dites-vous, madame la ministre ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Joël Bigot et Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Madame la sénatrice, je comprends votre agacement, et je vous remercie d’être restée agréable.
Vous soulevez un véritable sujet. Je n’ai pas votre expérience – je ne suis qu’élue de Paris – ni votre connaissance des communes rurales. Mais une telle situation ne me semble pas normale. Elle n’entre pas dans mon périmètre, qui est déjà très large, mais elle doit être traitée, et urgemment !
Aussi, je suis à votre disposition pour la relayer à notre ministre de la transition énergétique, Mme Agnès Pannier-Runacher. Ce n’est pas normal qu’il y ait autant d’opacité et de complexité dans ces pratiques.
Mme le président. La parole est à Mme Véronique Del Fabro.
Mme Véronique Del Fabro. Madame la ministre, je serais ravie d’échanger avec vous sur le sujet lors de votre venue en Meurthe-et-Moselle.
M. Jean-François Husson. C’est vendredi prochain !
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel.
M. Stéphane Sautarel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Carlos Tavares, directeur général de Stellantis, tente depuis de nombreux mois de casser les idées reçues sur les voitures électriques. Il n’est pas le seul, mais nul ne semble l’entendre.
D’abord, il faut noter la très mauvaise empreinte carbone liée à la fabrication des batteries électriques. Un véhicule électrique doit rouler 70 000 kilomètres pour être plus avantageux qu’un véhicule thermique du point de vue environnemental.
Ensuite, la production d’un véhicule électrique est plus onéreuse – elle coûte environ 50 % de plus, soit un minimum de quasiment 30 000 euros ; la différence n’est pas l’épaisseur du trait – que celle d’un véhicule thermique.
Les classes moyennes françaises ont-elles véritablement les moyens de supporter une telle différence ? On ne pourra pas continuer à faire des chèques qui profitent essentiellement à l’industrie automobile chinoise. Nous l’avons dénoncé lors de l’examen du dernier projet de loi de finances.
La question du réseau de bornes électriques, qui a été largement abordée aujourd’hui, demeure un grand sujet d’inquiétude partout en France, mais plus encore sur les aires d’autoroute, qui accueillent simultanément beaucoup de véhicules.
Enfin, et sans parler de notre production électrique, il y a le sujet de l’emploi et de la mutation profonde et rapide de notre industrie automobile. On prépare un gigantesque plan social pour l’industrie française !
Il y aurait beaucoup de questions, mais je m’en tiendrai à deux. Que comptez-vous faire pour défendre nos entreprises et nos emplois face à l’avancée du véhicule électrique, qui – j’en conviens – est aussi opportune ? Et surtout, même si je suis un élu de la ruralité, comment envisagez-vous l’accueil d’un parc tout électrique sur les aires d’autoroute demain ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Sautarel, la réponse à votre première question réside dans le soutien massif de l’État. Je le rappelle, car ce n’est pas anodin, même si cela a pu sembler banal après la période du « quoi qu’il en coûte ».
Ce soutien s’élève à quelque 5 milliards d’euros dans le cadre de France 2030, dont 1 milliard d’euros fléchés pour soutenir l’évolution de nos sous-traitants, qui vont être affectés par le développement des véhicules électriques.
En outre, et vous aurez l’occasion d’en débattre, il nous faut trouver les voies et moyens pour que nos entreprises européennes soient bel et bien celles qui bénéficient du développement des véhicules électriques.
Bruno Le Maire prépare avec Roland Lescure un projet de loi « réindustrialisation verte ». Ce n’est pas une utopie. Ce sera bien réel au cours du premier semestre 2023 ; vous serez associés, si ce n’est pas déjà le cas, pour y travailler. Nous réfléchissons à l’élaboration de critères pour faire en sorte que, comme cela se fait aux États-Unis et en Asie, l’on puisse encourager l’achat de nos véhicules européens sur le territoire européen. C’est, à mon sens, la meilleure manière de soutenir nos entreprises, au-delà du soutien direct de l’État via le plan France 2030.
Enfin, vous m’interrogez sur les autoroutes et bornes de recharge. Comme vous le savez, sur le réseau routier national, nous avons consacré une enveloppe de 100 millions d’euros au développement des stations de recharge. Cela a permis d’équiper 3 800 points de recharge en visant une station tous les 60 kilomètres sur le réseau routier national concédé. Environ 85 % des aires de service sont d’ores et déjà équipées. Elles devraient toutes l’être dans le courant de 2023.
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour la réplique.
M. Stéphane Sautarel. Madame la ministre, je vous remercie de ces éléments de réponse. Je ne reviendrai pas sur la dimension industrielle du sujet, que nous aurons l’occasion d’évoquer par ailleurs.
Au-delà de la question de l’équipement des aires d’autoroute, je m’interroge sur l’étendue des surfaces qui seront nécessaires. Un calcul a-t-il été fait quant au nombre de véhicules en période de pointe et au temps de recharge par rapport au temps de remplissage d’un réservoir, au vu de l’objectif « zéro artificialisation nette » ? Ne faudra-t-il pas étendre considérablement nos aires d’autoroute ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Ce point me semble important, mais je ne détiens pas toutes les réponses ; je ne suis pas forcément la plus compétente à cet égard…
Je ne sais pas si vous habitez, vous aussi, près de chez Christophe Béchu, ce qui vous permettrait de l’interroger. Mais je puis vous dire que le ministre des transports et le ministre de la transition écologique travaillent main dans la main sur ces problèmes.
Je me tiens donc à votre disposition pour transmettre votre interrogation à mes collègues.
Mme le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au mois d’octobre 2022, le directeur général de Stellantis, Carlos Tavares, n’était pas très tendre avec l’Union européenne concernant la montée en puissance de la voiture électrique chinoise en Europe…
Il affirmait que l’offensive chinoise était attendue et que l’Europe avait provoqué les conditions d’une très rude bataille. Il indiquait ceci : « Si l’Europe ne veut pas que son industrie automobile disparaisse d’ici 2035, il faut la protéger. […] Nous ne refusons pas la compétition. Nous voulons uniquement des conditions équitables pour se battre face aux constructeurs chinois. […] Il aurait donc d’abord fallu travailler sur la production verte d’électricité, ensuite sur le réseau et puis seulement sur les véhicules totalement électriques. » Il ajoutait : « La décision dogmatique qui a été prise de ne vendre que des électriques en 2035 […] a des conséquences sociales pas gérables. Cette couche de dogme doit maintenant être complétée par une couche de pragmatisme. » Même Thierry Breton, commissaire européen, a mis en doute le réalisme de l’échéance de 2035.
Sénateur du Doubs, territoire particulièrement impacté, je m’interroge sur cette échéance. Les conséquences économiques et sociales, pour ce territoire comme pour diverses régions, ne sont pas réellement mesurées. La fragilité de tous les prévisionnels et l’absence d’étude publique d’impact sérieuse renforcent nos interrogations. Une telle marche forcée ne peut avoir pour conséquence qu’une destruction massive d’emplois ; je parle en particulier pour le Doubs et le bassin automobile historique Sochaux-Montbéliard.
C’est dès aujourd’hui qu’il faut s’interroger. Dans dix ans, il sera trop tard. Le défi est immense : coûts, fabrication, chaîne de valeur, métaux rares.
Je veux témoigner ici de la grande inquiétude de tout un territoire et de ses habitants, ainsi que du monde économique, des sous-traitants, mais aussi des élus. Le Gouvernement ne saurait se contenter d’accorder quelques aides ponctuelles, inaccessibles à beaucoup, ou de maintenir un système subventionné trop complexe.
Madame la ministre, comment pouvez-vous rassurer les acteurs concernés ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Vous êtes nombreux à avoir cité M. Carlos Tavares. Et vous venez d’exprimer un certain nombre de doutes, monsieur le sénateur… J’évoquais ce sujet voilà peu avec le commissaire Thierry Breton.
Le taux de pénétration des véhicules chinois est estimé à 5 % aujourd’hui, et à 18 % en 2025. Ces chiffres corroborent votre analyse. Pour autant, nous sommes actuellement en train de bâtir une filière – certes, ni pour demain ni pour 2025 –, via des investissements massifs d’État : 5 milliards d’euros dans le cadre du plan France 2030, dont 1 milliard d’euros spécifiquement consacrés aux entreprises sous-traitantes, qui sont nombreuses dans votre circonscription.
Par ailleurs, compte tenu de l’ampleur du mouvement à opérer, de l’ensemble de ses effets de bord, des effets d’aubaine et des risques, que le Gouvernement ne nie pas, une clause de revoyure – je le rappelle – est prévue en 2026 pour d’autres technologies à faibles émissions, comme les carburants alternatifs, qui permettraient, comme certains d’entre vous l’ont suggéré, de renforcer le mix énergétique et de ne pas s’en tenir uniquement à l’électrique.
En attendant 2026, nous continuons à avancer non seulement sur les batteries, mais aussi sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Nous parlions voilà quelques minutes des métaux critiques, en particulier du lithium ; à cet égard, nous nous dotons, au sein de l’État, d’une organisation.
Quoi qu’il en soit, j’entends vos doutes, monsieur le sénateur.
Mme le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour la réplique.
M. Jacques Grosperrin. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Tout cela montre que l’Europe a tout fait à l’envers en imposant à l’industrie automobile de produire des véhicules électriques si rapidement !
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.
Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la ministre, l’Union européenne a interdit à partir de 2035 la vente de véhicules neufs à moteur essence ou diesel : 450 millions d’Européens sont concernés. Nous sommes les seuls à avoir fait ce choix. Ni les États-Unis, ni le Japon, ni la Chine ne se fixent de tels objectifs en misant tout sur l’électrique.
Carlos Tavares, directeur général de Stellantis – encore lui ! –, a même déclaré : « La voiture électrique, c’est un choix politique qui aura des conséquences économiques, sociales et même environnementales négatives. Nous refusons d’être tenus pour responsables dans dix ans d’un choix que l’Europe nous a imposé. » La solution réaliste réside, selon lui, dans le véhicule hybride. Cet avis est partagé par le patron de Toyota, qui nous alerte également sur les chimères du tout-électrique.
Sur le plan social, le véhicule coûte trop cher, et sa production entraîne la disparition des activités sous-traitantes artisanales et industrielles.
Sur le plan économique, cette industrie implique un investissement public lourd pour équiper le pays à la mobilité tout électrique. À cela il faut ajouter les subventions à l’achat. Par ailleurs, du fait de la flambée du prix de l’électricité, les concessionnaires nous confirment que la chute des ventes a été brutale au troisième trimestre 2022.
Sur le plan environnemental, il s’agit d’une fausse promesse. Pour obtenir une tonne de lithium, il faut 1 million de litres d’eau. Plus grave, nous savons que les conditions d’extraction loin de l’Europe sont inhumaines, dangereuses et polluantes.
Madame la ministre, des alternatives sérieuses existent ; je pense à l’hydrogène, aux biocarburants ou au carburant synthétique décarboné, qui permettent de conserver les moteurs thermiques. En 2035, elles seront viables. Pourquoi ne pas avoir laissé le temps aux industriels européens de les développer ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. De multiples questions viennent d’être abordées.
Comme je l’indiquais dans mon propos liminaire, on peut fixer l’objectif de neutralité carbone à 2050, comme on peut le remettre en cause. Mais, dans ce dernier cas, il y a un moment où la planète et les générations futures, elles, ne se poseront plus de questions !
Je suis plutôt modérée en la matière, mais je tiens à rappeler l’ampleur du basculement que nous devons opérer. Comment pourrions-nous parvenir à la neutralité carbone européenne en faisant fi du secteur des transports, qui représente 30 % de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre ?
Je n’ai pas à commenter ce que disent les présidents des entreprises de construction automobile. Chacun a le droit d’avoir son point de vue. Pour autant, il me faut rappeler que si la voiture hybride pollue moins, elle pollue tout de même.
Vous le savez, tout transport motorisé pollue, quel que soit son mode de propulsion. Mais ceux qui diffusent des messages négatifs sur le véhicule électrique ne prennent souvent en considération qu’une partie de son cycle de vie, et non pas sa globalité. Ils se concentrent uniquement sur le CO2.
La fabrication d’un véhicule électrique nécessite plus d’énergie – vous l’avez mentionné – du fait de la production de la batterie. Pour l’instant, comme vous avez été nombreux à le dire, les batteries sont majoritairement produites en Chine, mais aussi en Pologne, pays dont le mix énergétique demeure fortement carboné.
C’est pourquoi nous nous battons et construisons des méga-usines de batteries électriques. Aussi devrions-nous d’ici à 2027 être autosuffisants pour l’équipement des véhicules électriques fabriqués en France, que nous pourrons ensuite exporter. Je ne vois pas comment nous pourrions parvenir à la neutralité carbone à l’horizon de 2050 sans nous attaquer au sujet du véhicule thermique et donc sans avoir les ambitions que vous jugez – chacun est libre de commenter et d’avoir son avis – irréalistes.
Conclusion du débat
Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Jean-François Husson, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, notre débat aurait plutôt dû s’intituler : « Automobile : tout électrique 2035, est-ce souhaitable ? »
Je veux remercier les différents intervenants, ainsi que Mme la ministre. Nous avons entendu des points de vue très concrets, des questions pertinentes et des réponses très étayées. Mais, pour atteindre le double objectif d’une production automobile décarbonée et de la lutte contre la pollution automobile, un véritable travail est encore à mener, notamment pour acquérir de meilleures connaissances. J’évoquerai dans quelques instants l’analyse du cycle de vie de la production automobile et de son utilisation.
Le secteur automobile concentre les défis les plus importants : transition écologique, économie et liberté, à laquelle nous sommes très attachés, de se déplacer.
Bien entendu, il faut verdir le parc automobile. Au travers de vos interventions, mes chers collègues, vous avez tous suivi cette logique, certains étant cependant moins jusqu’au-boutistes que d’autres, notamment s’agissant de la date couperet de 2035. Nous devons d’ores et déjà entendre les interrogations qui s’expriment.
Personnellement, je ne crois pas qu’il faille s’orienter vers une seule technologie, car ce n’est jamais bon, notamment lorsque ladite technologie rencontre des difficultés.
Il a été rappelé à juste titre que la création d’une filière industrielle se déroulait en plusieurs étapes, notamment au travers de l’aménagement du territoire et d’un déploiement suffisant des unités de production. Le triptyque suivant est également indispensable : une formation qualifiée à tous les échelons ; une production automobile si possible française ou européenne ; une capacité d’exportation de cette production en vue d’améliorer notre balance commerciale, qui en a grandement besoin, alors que la filière automobile perd actuellement des parts de marché.
Il existe enfin un enjeu de mobilité propre, qui comprend à la fois la liberté de déplacement – nous serons attentifs à son respect – et le maillage territorial. Il faut en effet disposer de stations de recharge sur l’ensemble du territoire, et notamment là où sont les grands flux de circulation ; je pense aux aires d’autoroutes. De même que nous avions besoin voilà quelques décennies de nombreuses stations essence, c’est en installant des stations de recharge au plus près des territoires que nous assurerons la mobilité électrique.
Ainsi que plusieurs d’entre nous, en particulier Patrick Chauvet, qui a été le premier à nous alerter, l’ont souligné, il faut veiller à ce que 2035 ne soit pas une date couperet, à cause d’un choix technologique exclusif qui serait hâtif. C’est la raison pour laquelle – je le redis – il faut s’intéresser de près aux biocarburants, au rétrofit électrique et à l’hydrogène. Un panel de solutions me semble préférable.
Un autre défi est devant nous : l’aménagement du territoire, qui doit concilier transition écologique, justice sociale et réussite économique sur l’ensemble de notre pays. J’ai bien entendu ce que disaient nos collègues du Nord ; chacun défend son territoire. Mais il faudra faire preuve d’une certaine forme d’intelligence collective.
Par ailleurs, le secteur de l’automobile n’est pas cantonné à la production. Il comprend aussi la mise sur le marché et l’entretien. Il conviendra donc de déployer sur l’ensemble du territoire des formations et des unités en vue d’entretenir et de réparer les véhicules électriques. Ces formations nouvelles ne sont pas encore finalisées ; il faut y travailler.
Derrière l’enjeu économique se trouve un enjeu écologique majeur : l’analyse du cycle de vie de la production des véhicules électriques et des batteries. Le Gouvernement ne pourra pas s’exonérer du partage des réflexions sur le sujet avec la représentation nationale, afin que les orientations définitivement arrêtées répondent aux besoins d’aujourd’hui.
Enfin, je tenais également à vous remercier de votre rigueur souriante, madame la présidente. Vous avez été une parfaite maîtresse des horloges ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)