Mme la présidente. La parole est à Mme Nadine Bellurot, contre la motion.
Mme Nadine Bellurot. Nos collègues communistes souhaitent que l’examen de ce texte s’achève avant même d’avoir réellement débuté, jugeant qu’un certain nombre de ses dispositions sont attentatoires aux libertés publiques. Telle n’est pas la position du groupe Les Républicains.
Tout d’abord, la tenue des jeux Olympiques est imminente ; des délais supplémentaires ne feraient que compliquer, voire rendre impossible, la tâche des organisateurs, qui attendent avec impatience le vote de ce texte final, complétant celui de 2018.
Ensuite, nous devons tirer les conséquences des événements survenus au Stade de France le 28 mai dernier, qui ont révélé les risques pesant sur les grands événements sportifs. Un certain nombre des propositions formulées à la suite de ces incidents par nos commissions des lois et de la culture figurent dans le texte défendu par nos rapporteurs. Soyons donc cohérents et efforçons-nous de conserver le fruit de ces travaux de fond.
Enfin et surtout, nous considérons que les dispositifs prévus dans le texte, tels qu’amendés et encadrés par nos commissions, grâce à l’excellent travail des rapporteurs, ne sont pas contraires à la Constitution.
Nous estimons que la conciliation entre les exigences de protection des personnes durant les événements sportifs et de protection des libertés publiques, qui sont chères à notre assemblée tout entière, est assurée.
La protection des données est suffisante et les différents dispositifs de sécurité instaurés sont encadrés dans leur champ comme dans leurs usages.
En tout état de cause, si un doute sérieux sur la constitutionnalité de ces dispositions devait perdurer une fois achevés les travaux de nos collègues députés et le texte définitif adopté, le Conseil constitutionnel serait évidemment saisi afin de dissiper toute difficulté.
Pour toutes ces raisons, mon groupe votera contre cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
En effet, il y a urgence à adopter ces dispositions opérationnelles, qui sont très attendues. Je rappelle que les Jeux auront lieu dans dix-huit mois et la Coupe du monde de rugby dans huit mois.
Par ailleurs, nous avons veillé à ce que ces dispositions, qu’elles aient trait à la sécurité, comme la vidéoprotection intelligente ou augmentée, ou à la lutte contre le dopage, telles que l’introduction des tests génétiques, respectent un juste équilibre – nous avons sur ce point une divergence d’interprétation avec Mme Assassi – entre l’objectif de sécurisation de l’ordre public et la garantie des droits de l’homme et des libertés.
Nous pensons notamment qu’en matière de vidéoprotection intelligente cet équilibre a été atteint grâce à la réécriture du texte après son examen par le Conseil d’État et la Cnil. De nombreuses garanties ont en effet été introduites et le rôle de la Cnil a été conforté tout au long de la procédure.
Pour ce qui est de la lutte contre le dopage, si nous avons considéré qu’il était important de pérenniser les tests génétiques, nous avons en revanche assorti cette disposition de nombreuses garanties, telles que l’interdiction de l’identification des personnes ou la mise en place d’obligations d’information fortes, tout cela sous le contrôle du Comité consultatif national d’éthique (CCNE).
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Pour les mêmes raisons relatives à l’urgence, à la nécessité et à l’équilibre de ce texte, il est défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 6, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (n° 220, 2022-2023)
La parole est à M. Thomas Dossus, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous aurions vraiment aimé légiférer sur le sport – c’est suffisamment rare !
Nous aurions aimé légiférer pour que les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 se déroulent dans les meilleures conditions et qu’ils laissent un héritage à la hauteur des ambitions environnementales fixées à l’origine.
Nous aurions adoré jouer notre rôle de législateur pour vous accompagner, madame la ministre, dans l’organisation d’un événement auquel nous sommes attachés et dont nous partageons les valeurs, celles de l’olympisme.
Nous aurions aussi aimé débattre sérieusement des conséquences de cet événement sur notre tissu de festivals et d’événements culturels. Nous aurions pu rassurer les milliers de professionnels qui voient leur saison de festivals menacée par des annonces verticales et autoritaires prises sans concertation.
De tout cela, il n’y a rien, ou très peu, dans ce projet de loi.
En revanche, au cœur de ce texte se sont glissées des innovations législatives hasardeuses qui n’ont rien à y faire.
Par une manœuvre d’opportunisme législatif, ce projet de loi s’est éloigné de son ambition initiale pour faire des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 un laboratoire d’expériences sécuritaires. Le public, national ou international, devient, grâce à ce texte, le cobaye d’une fuite en avant expérimentale dans la technologie de surveillance.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Par quel cheminement politique est-on parvenu à la conclusion que l’événement sportif mondial le plus fédérateur ne pourrait être organisé sans le déploiement de technologies d’intelligence artificielle et d’algorithmes de surveillance ?
Certes, il y a bien eu un rapport sénatorial sur ces technologies, mais des rapports du Sénat, on en connaît des dizaines qui n’ont pas eu pour destin d’être transformés en loi d’exception ou d’urgence.
Non, il y a eu un événement déclencheur, un événement traumatisant : il faut au moins cela pour aboutir à la réussite d’un bon cavalier législatif.
Cet événement, on le connaît ; le monde entier le connaît, puisqu’il s’est déroulé en mondovision devant des centaines de millions de téléspectateurs, le 28 mai 2022, le soir de la finale de la Ligue des champions. La capacité de la France à organiser un grand événement sportif international a été, ce soir-là, sérieusement mise en doute.
Les mensonges, manquements et approximations du ministre de l’intérieur comme du préfet de police ont été mis au jour, notamment par notre Haute Assemblée, lors de nombreuses auditions.
Les causes de cet épisode fâcheux se trouvent principalement dans un enchaînement de défaillances organisationnelles, mais aussi dans une mauvaise préparation, l’approche du renseignement adoptée vis-à-vis des supporters anglais se combinant notamment avec une doctrine de maintien de l’ordre inadaptée.
Plusieurs recommandations ont été formulées dans le rapport sénatorial sur cet événement. Peu d’entre elles ont réellement retenu l’intérêt du ministère de l’intérieur ou du ministère des sports, mais il en est une qui a été reprise avec une certaine gourmandise, tant elle était jusqu’alors restée bloquée à cause de son aspect sulfureux : celle qui consiste à adapter en urgence notre cadre législatif, de façon totalement expérimentale, pour mettre en œuvre des traitements d’images par l’intelligence artificielle.
Rappelons tout d’abord que, dans notre rapport sur la finale de la Ligue des champions au Stade de France, cette technologie ne devait concerner que le comptage et la détection des mouvements de foule.
En outre, lors de la remise des conclusions de ce rapport, j’avais déjà signalé les dangers qu’il y avait à utiliser nos grands événements sportifs comme des showrooms sécuritaires.
Disons-le clairement, voir émerger cette recommandation dans ce rapport avait déjà un caractère saugrenu. En effet, l’intelligence artificielle aurait-elle permis d’éviter la défaillance dans l’orientation des supporters anglais ? L’intelligence artificielle aurait-elle déconseillé l’usage immodéré des gaz lacrymogènes sur des supporters pacifiques ? L’intelligence artificielle aurait-elle tiré, en amont, les conclusions d’une grève touchant l’une des deux lignes de RER qui menaient au Stade de France ? En d’autres termes, l’intelligence artificielle aurait-elle fait mieux que les intelligences combinées du ministre Darmanin et du préfet Lallement ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, je ne le pense pas.
Quand on parle d’intelligence artificielle pour la vidéosurveillance, il convient de bien comprendre la technologie dont il s’agit et de mesurer le grand saut qu’elle nous ferait faire dans une société de la surveillance.
Les technologies de vidéo dite « augmentée » désignent des dispositifs vidéo auxquels sont associés des traitements algorithmiques permettant une analyse automatique et en temps réel, deux caractéristiques qui nous font changer de monde.
La Cnil se positionne de manière plus que prudente sur ces technologies, en indiquant qu’elles sont susceptibles d’affecter les garanties fondamentales apportées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques et qu’il serait donc nécessaire de changer la loi : changer la loi, et non expérimenter une nouvelle technologie au mépris de nos libertés publiques.
Non, nos libertés publiques ne peuvent être sujettes à une approche expérimentale ! Non, nos libertés publiques n’ont pas à être le terrain de jeu des start-ups de la sécurité ! Non, nos libertés publiques comme nos données ne doivent pas être marchandées à la légère avec des apprentis sorciers sécuritaires !
Oui, nous avons besoin d’un débat approfondi et éclairé sur ce changement radical dans notre approche de l’espace public. Il a d’ailleurs lieu au niveau européen, mais n’a toujours pas abouti.
M. Michel Canévet. Très bien !
M. Thomas Dossus. Le fait même d’expérimenter cette technologie est une menace pour nos libertés publiques, pour notre organisation sociale et pour nos débats démocratiques.
Certes, la promesse de cette technologie est simple : elle faciliterait la détection de situations permettant de présumer la commission d’infractions ou encore la survenue d’événements suspects ou potentiellement dangereux.
Pour cela, elle traite en temps réel des milliers d’images de vidéosurveillance. Par « traiter », il faut comprendre qu’elle les confronte avec un certain nombre de critères préétablis.
Afin que ce traitement soit pertinent, l’algorithme a besoin d’apprendre. « Apprendre », pour un algorithme d’intelligence artificielle, c’est se nourrir de millions d’images et de situations différentes, afin de codifier et de compartimenter l’espace public et la façon dont nous l’occupons, de manière à pouvoir distinguer des situations perçues comme déviantes, à risque ou menaçantes.
On commence ici à percevoir ce que cela implique ; on commence à pressentir la manière dont on bascule dans une société de la surveillance, celle où le citoyen se suspecte lui-même d’avoir un comportement inadapté, puisqu’il sait qu’un système de surveillance de son comportement existe, mais qu’il n’en connaît pas les règles, car elles ne sont, par essence, pas transparentes.
On va confier à des sociétés privées la codification et l’organisation de notre espace public commun, de ce que l’on peut considérer comme normal ou anormal, avec tous les biais que cela implique.
Il est donc facile de comprendre l’aubaine que les grands événements sportifs, comme les jeux Olympiques et Paralympiques, offrent à ces sociétés : les Jeux deviennent l’occasion rêvée de nourrir la bête.
L’enjeu réel est là. Il n’est pas dans l’assistance supposée de ces outils au moment de l’événement, madame la ministre ; il est dans l’incroyable masse de données que les start-ups qui auront décroché le marché pourront collecter lors de l’événement.
Ne vous faites pas d’illusion sur les garde-fous qui ont été introduits dans cette loi. L’ensemble des données sont utiles à l’algorithme : croire qu’il sera possible d’effacer les données non pertinentes n’a pas de sens quand on parle d’« apprentissage machine ». Les moments durant lesquels il ne se passe rien sont tout aussi utiles que ceux où se déroulent les événements problématiques, ne serait-ce que pour apprendre à la machine à les distinguer.
M. Marc-Philippe Daubresse. Vous n’y connaissez rien du tout !
M. Thomas Dossus. L’expérimentation qui est proposée n’offre donc aucune garantie sur les droits et libertés des personnes pour plusieurs raisons, mais d’abord parce que ces algorithmes ne sont ni contrôlables ni transparents.
Aussi, nous aurons beau demander dans ce texte que le traitement des données soit « loyal, objectif et de nature à identifier et prévenir l’occurrence de biais et d’erreurs », nous n’en aurons aucune garantie. Tel est le cœur du problème lorsqu’on légifère sur des algorithmes fermés et opaques.
Le ministre de l’intérieur s’est montré très respectueux du cadre législatif, puisqu’il s’est engagé à ne pas utiliser de technologies qui n’auraient pas été légalisées au préalable. Cela paraît logique, mais M. Darmanin a tout de même tenu à le préciser lors de son audition, le 25 octobre 2022. S’il a tenu à le faire, c’est aussi parce que, de son aveu même, un certain nombre de municipalités avaient déjà recours à ces technologies.
Oui, le ministre de l’intérieur, celui-là même qui nous demande aujourd’hui de déployer ces technologies dans un cadre de confiance, s’est montré incapable de faire respecter la loi qui les encadre déjà très strictement ! Tout en ayant visiblement connaissance d’usages illégaux de technologies de surveillance, il n’agit pas pour faire respecter nos libertés !
Quelles garanties avons-nous que toutes les données collectées lors des Jeux ne serviront pas à nourrir des algorithmes de surveillance, vendus par les sociétés qui les exploiteront pendant les Jeux à des régimes moins précautionneux en matière de libertés publiques ?
Acceptez-vous, chers collègues, que la grande fête des jeux Olympiques serve à nourrir les équipements de répression des mouvements de révolte contre les tyrannies à l’autre bout du monde ?
Mes chers collègues, comme vous, je suis attaché au bon déroulement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Comme vous, je souhaite que la centaine de milliers de spectateurs attendus passe un moment extraordinaire à vibrer à l’unisson des valeurs de l’olympisme. Mais nous devons nous garder de tout opportunisme sécuritaire. Les jeux Olympiques ne doivent pas nous laisser en héritage une société de la surveillance globale.
C’est pourquoi je vous propose de rejeter ce texte, afin que la ministre des sports puisse en expurger les dispositions qui n’ont rien à voir avec l’événement et que nous puissions revenir rapidement à une réelle discussion sur les enjeux réels de l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud, contre la motion.
M. Didier Rambaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les arguments censés justifier la motion que vous présentez, cher Thomas Dossus, sont à mon sens tout à fait contestables et je m’efforcerai de le démontrer, point par point.
Premièrement, vous contestez l’expérimentation portant sur l’utilisation de l’intelligence artificielle. Selon vous, la création d’un cadre juridique nouveau autorisant l’usage de l’intelligence artificielle pour le traitement d’images de vidéosurveillance traduirait une volonté indéniable du Gouvernement de pérenniser ces expérimentations, au motif que cela s’appliquerait au-delà des seuls sites olympiques et pour une durée dépassant largement celle des Jeux.
Permettez-moi de rappeler que le dispositif envisagé, qui s’inspire de celui qui est prévu dans la proposition de règlement européen sur les systèmes d’intelligence artificielle en cours d’élaboration, est assorti de nombreuses garanties.
S’agissant de la temporalité, la proposition du Gouvernement d’expérimenter le dispositif jusqu’au 30 juin 2025 ne cache aucune volonté de pérennisation.
D’abord, les traitements en question n’utiliseront aucun système d’identification biométrique ; ils ne traiteront aucune donnée biométrique et ne mettront en œuvre aucune technique de reconnaissance faciale.
Ensuite, la Cnil devra être régulièrement informée des conditions de mise en œuvre de l’expérimentation, qui fera l’objet d’une évaluation au plus tard six mois avant son terme, fixé au 30 juin 2025.
Par conséquent, si la durée de l’expérimentation excède la date de la fin des Jeux, à savoir le 8 septembre 2024, rien ne permet d’affirmer à ce jour que les dispositifs seront reconduits et encore moins sous quelles modalités.
S’agissant des lieux concernés par l’expérimentation, il semble justifié de ne pas limiter le périmètre aux seuls sites olympiques : au vu de l’ampleur de l’événement et du nombre de visiteurs, sécuriser les Jeux n’a rien d’évident.
Le dispositif concernerait les abords immédiats, ce qui inclut notamment le périmètre des sites d’interconnexion où les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP affectés au centre de la préfecture de police de Paris pourraient intervenir ponctuellement.
Le Conseil d’État l’a souligné : l’expérimentation est destinée à rendre plus efficace le maintien de l’ordre pour un événement d’une telle ampleur et elle sera bel et bien limitée dans le temps et dans l’espace.
M. Thomas Dossus. C’est inexact !
M. Didier Rambaud. Deuxièmement, vous évoquez un renforcement injustifié des interdictions de stade et des sanctions en cas de pénétration dans une enceinte sportive, disposition qui viserait tout particulièrement les militants écologistes.
M. Thomas Dossus. Ce n’est pas le genre du Sénat !
M. Didier Rambaud. Cher Thomas Dossus, rassurez-vous : aucune mesure contenue dans ce projet de loi ne vise les militants écologistes ! (On en doute sur les travées du groupe GEST.)
Vous n’êtes pas sans savoir que, le 28 mai 2022, date de la finale de la Ligue des champions, des incidents se sont produits au Stade de France, notamment parce que des personnes ont pénétré ou ont tenté de pénétrer dans le stade par force ou par fraude. L’article 12 de ce texte, créant les deux nouveaux délits, vise précisément à sanctionner ces personnes qui s’introduisent dans une enceinte sportive sans détenir de billet d’entrée.
À ce jour, ne peut faire l’objet d’une incrimination que l’entrée dans une enceinte sportive en état d’ivresse ou la tentative d’y entrer en état d’ivresse et en situation avérée de fraude ou d’usage de la force. Une telle situation juridique ne peut subsister et nous devons renforcer la dissuasion afin d’éviter ce type d’incident nuisible au public, aux athlètes et à la France en tant que pays organisateur.
Enfin, pour ce qui est de la pénétration ou du maintien sans motif légitime d’une personne dans l’aire de compétition d’une enceinte sportive, je rappelle que le but recherché est de sanctionner les personnes qui troublent la tranquillité de la manifestation sportive, par une amende de 7 500 euros, lorsque l’acte est commis en réunion ou en récidive. En dehors de ces deux cas, la sanction sera celle d’une contravention de cinquième classe, à savoir une amende maximale de 1 500 euros.
Actuellement, l’entrée sur l’aire de jeu d’un stade ne peut être incriminée que dans deux situations : lorsqu’elle trouble le déroulement de la compétition ou lorsqu’elle porte atteinte à la sécurité des personnes ou des biens. Encore une fois, il s’agit de prévenir, autant que faire se peut, des incidents de ce genre, qui troubleraient la fête, le bien-être des sportifs et la tranquillité du public, sans occulter le principe de proportionnalité des peines.
Troisièmement, vous contestez l’extension de l’usage des scanners à ondes millimétriques, y compris dans des lieux qui seraient sans lien avec les jeux Olympiques et Paralympiques.
En réalité, l’article 11 du projet de loi s’inspire des dispositions applicables aux aéroports. Le recours aux scanners corporels est une mesure intrusive, il est vrai. C’est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit, bien évidemment, des garanties qui répondent aux exigences européennes : le consentement, voire l’obligation de recueillir le consentement exprès de la personne contrôlée, comme l’a proposé mon collègue Dominique Théophile dans un amendement adopté en commission ; la possibilité d’opposer un refus et d’avoir accès à un autre dispositif de contrôle ; l’impossibilité pour l’agent d’identifier la personne contrôlée, puisque les images produites par les scanners correspondent à des représentations banalisées du corps humain ; le brouillage de la visualisation du visage ; enfin, l’interdiction du stockage ou de l’enregistrement des images. Autant de garanties grâce auxquelles nous nous assurons que toutes les précautions seront prises afin d’éviter les dérives alarmantes que vous craignez tout autant que nous.
Je précise également que cet article 11 permettrait de mettre un terme à une situation juridiquement alarmante, puisque d’autres portiques de ce type ont pu être installés par le passé sans faire l’objet de dispositions législatives autorisant ou encadrant leur usage.
Quatrièmement, vous regrettez le recours toujours plus largement autorisé à une publicité visuelle envahissante, qui dénature selon vous les lieux comme les valeurs de l’olympisme.
Certes, on peut regretter l’omniprésence quotidienne de la publicité sur les écrans. Mais considérer qu’autoriser un peu plus de publicité, pendant une période limitée, pour un événement tel que les Jeux, ce serait dénaturer les valeurs de l’olympisme, mes chers collègues, je crois que c’est un tantinet radical. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Je rappelle que seuls les partenaires de marketing olympique, au sens du contrat de ville hôte, pourront bénéficier des nouvelles dérogations. Cela permettra notamment de limiter le financement public des Jeux en attirant et en conservant des partenaires privés, dans un contexte où la France souhaite organiser des Jeux raisonnables, y compris d’un point de vue financier.
Cinquièmement, vous condamnez les dérogations au repos dominical dans une zone élargie qui serait sans justification ni lien avec la nature de l’événement sportif.
Une fois encore, vos craintes sont injustifiées. En effet, la mise en œuvre de la dérogation au repos dominical sera conditionnée au respect du volontariat des salariés, ainsi qu’à l’octroi des contreparties légales inscrites dans le code du travail.
De plus, si les communes situées à proximité des sites de compétition ont été intégrées, c’est afin d’éviter un risque de rupture d’égalité entre les entreprises pour les communes qui, sans être limitrophes, auraient pu connaître une affluence de touristes.
Enfin, vous justifiez le dépôt de votre motion par l’absence de questionnement ou de mesures portant sur l’héritage des Jeux, sur la manière dont les équipements sportifs seront rendus accessibles à la population et sur celle dont les Jeux pourraient redynamiser nos politiques sportives.
Mon cher collègue, je vous informe qu’un plan Héritage et Durabilité des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 a été présenté en juin 2022. Je vous invite à le lire, car il témoigne du travail mené, qui est considérable et inédit en la matière. Ce travail se poursuivra afin de donner corps à des ambitions clairement définies en matière environnementale et sociale.
Tony Estanguet le dit très bien : « Le nouveau modèle que nous construisons ensemble, ce sont des Jeux qui maîtrisent leur impact sur le territoire et sur la planète, des Jeux inclusifs et fédérateurs, des Jeux sobres et durables. »
En conclusion, mes chers collègues, j’espère vous avoir convaincus que la copie du Gouvernement n’a rien de néolibéral ou de techno-sécuritaire. Les mesures du projet de loi sont justifiées et proportionnées compte tenu de l’ampleur de l’événement.
Parce que sécurité et liberté ne doivent pas être opposées et parce que les valeurs de l’olympisme doivent être préservées, je voterai contre cette motion et je vous invite, mes chers collègues, à en faire de même. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable, et ce pour trois raisons.
La première est que ce texte est attendu et nécessaire. Il comporte des mesures qui doivent entrer en vigueur le plus rapidement possible pour que nous soyons au rendez-vous des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
La deuxième raison tient au fait que ces Jeux correspondent à un engagement de la France et sont un enjeu pour nous tous. Il est donc normal que le débat puisse avoir lieu ici, au sein de la représentation nationale.
Cela est d’autant plus vrai – troisième raison de notre avis défavorable – qu’un certain nombre de questions se posent, comme nous avons eu l’occasion de le dire, quant à l’équilibre entre l’objectif de sécurisation des Jeux et la garantie des droits et des libertés. Par conséquent, il convient d’avoir un débat démocratique.
Voilà pourquoi nous sommes défavorables à cette motion, qui tend à écourter un débat dont nous souhaitons qu’il ait lieu au sein de notre assemblée.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. Même avis, pour les raisons exposées avec précision par M. Rambaud et celles exprimées par votre rapporteur.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Marc-Philippe Daubresse. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, parmi les vingt articles de ce projet de loi, trois enjeux se détachent particulièrement : la santé, la lutte contre le dopage et, surtout, la sécurité.
Le défi est de taille : c’est un événement d’une ampleur sans précédent pour notre pays, d’autant que – notre rapporteur l’a souligné précédemment – le comité d’organisation des Jeux a fait le pari un peu fou de poursuivre une idée ambitieuse, celle d’organiser une parade sur des embarcations qui parcourront au total six kilomètres sur la Seine, d’est en ouest, pour aboutir au Trocadéro, où se terminera la cérémonie.
Ce pari implique que l’on relève un défi, celui de garantir la sécurisation de cette cérémonie en plein air, qui pourrait réunir jusqu’à 600 000 spectateurs. Tel est bien le nœud du débat, comme on vient de l’entendre dire à l’instant.
Pour rappel, jusqu’à 45 000 membres des forces de l’ordre pourraient être mobilisés. Notre responsabilité est de leur donner tous les moyens pour lutter efficacement contre la menace terroriste dans le respect des libertés publiques.
Les articles 6 à 13 du projet de loi déploient les outils nécessaires sur ce sujet qui, à l’évidence, nécessite des moyens exceptionnels. En particulier, l’article 7 prévoit une innovation majeure pour le dispositif du maintien de l’ordre assisté par intelligence artificielle : il introduit dans le droit la possibilité d’avoir recours de manière expérimentale à ce que l’on qualifie de vidéosurveillance « intelligente » ou « augmentée », dispositif utilisant des algorithmes qui n’ont rien d’opaque afin d’identifier des situations potentiellement dangereuses, comme des mouvements de foule, l’objectif étant de gagner de précieuses minutes pour intervenir avant qu’un drame se produise.
Je tiens à affirmer tout le soutien de mon groupe à ce nouveau moyen mis à disposition de nos forces de sécurité, qui a obtenu l’aval de la Cnil et du Conseil d’État. Je veux ici saluer le ministère de l’intérieur et ses services, mais surtout le remarquable travail de notre rapporteur Agnès Canayer, qui a su renforcer les garanties apportées pour atteindre le bon équilibre, en précisant le contenu du dispositif par des amendements adoptés en commission.
Nous soutenons également la réécriture de l’article 4 en matière de tests génétiques, que notre rapporteur a exposée dans le détail.
Je souhaite que, au cours du débat, nous puissions également mieux prendre en compte les enjeux en matière de transport, notamment grâce aux propositions de notre collègue Philippe Tabarot, qui devraient se concrétiser dans une proposition de loi.
Cependant, comme ancien rapporteur de la loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, qui a pérennisé certaines mesures de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi Silt, il est de mon devoir d’attirer de nouveau l’attention sur le risque d’attentat qui plane sur cet événement.
En effet, d’ici au mois de juillet 2024, quelque 240 individus condamnés pour des faits de terrorisme seront sortis des prisons françaises. De l’aveu même du procureur national antiterroriste, un quart de ces personnes risque de récidiver dans les mois qui viennent : compte tenu de l’ampleur de l’événement, on peut nourrir de solides craintes.
Mes collègues Arnaud de Belenet et Jérôme Durain, rapporteurs de la mission d’information de la commission des lois sur la reconnaissance biométrique dans l’espace public, et moi-même nous sommes déplacés à Nice et à Londres afin d’évaluer les innovations réalisées avant les Jeux de Londres et de définir les conditions dans lesquelles nous pourrions développer, à titre exceptionnel, un système utilisant la reconnaissance biométrique en temps réel et garantissant une protection maximale tout en écartant, bien évidemment, tout risque de développement d’une société de la surveillance à la chinoise.
Madame la ministre, vous nous avez dit tout à l’heure que vous ne jugiez pas nécessaire de recourir à la reconnaissance faciale, même dans un cadre proportionné et uniquement pour cet événement exceptionnel. Ayant moi-même exercé des fonctions gouvernementales, je mesure le poids de votre responsabilité ; mais j’ai aussi été rapporteur de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, ainsi que de la loi pérennisant certains dispositifs antiterroristes, et corapporteur de la mission d’information que je viens de mentionner. Or, après avoir auditionné tous les acteurs concernés et les défenseurs des libertés publiques, auxquelles je suis comme vous très attaché, après avoir entendu les représentants du ministère de l’intérieur britannique et avoir évalué leur retour d’expérience après les JO de Londres, permettez-moi de vous dire que je suis convaincu pour ma part du contraire.
De fait, à l’issue de cette mission d’information, dont les conclusions ont été largement adoptées par notre commission des lois, nous avons formulé trente propositions déclinées selon trois axes principaux. Nous préconisions notamment, en matière de reconnaissance faciale, de définir collectivement un cadre comprenant des lignes rouges pour écarter tout risque d’atteintes aux libertés publiques, une méthodologie claire, par la voie expérimentale, et un régime exigeant et indépendant de contrôle renforçant singulièrement les pouvoirs de la Cnil.
Bien évidemment, nous rejetons en bloc l’idée selon laquelle l’État pourrait avoir recours de manière usuelle à ce dispositif ou pourrait le pérenniser pour contrôler la population. Notre idéal français de liberté et d’égalité et les sociétés du Big Brother qui se développent en Asie sont évidemment antinomiques. Toutefois, nous reconnaissons l’intérêt d’une telle technologie si elle est utilisée dans un cadre proportionné et exceptionnel, de manière très encadrée et très évaluée, et pour des événements hors du commun.
C’est en ce sens que, dans la proposition 22 du rapport de ladite mission d’information, nous ouvrions la voie à la possibilité d’expérimenter cette reconnaissance biométrique pour les besoins du renseignement dans le cadre d’événements exceptionnels comme ceux dont il est question aujourd’hui.
Nous proposions de créer un cadre juridique expérimental permettant, par exception et de manière strictement subsidiaire, le recours ciblé et limité dans le temps à des systèmes de reconnaissance biométrique sur la voie publique, en temps réel, sur la base d’une menace préalablement identifiée et à des fins de sécurisation de grands événements. Le dispositif aurait un caractère strictement subsidiaire, son déploiement serait autorisé a priori et contrôlé a posteriori par une autorité dont nous proposons qu’elle soit la Cnil, le nombre de caméras serait proportionné et l’on prévoirait la minimisation des données utilisées et leur sécurisation, une supervision humaine systématique, une traçabilité des usages et bien d’autres garanties que je ne développerai pas ici.
En effet, ce n’est pas au détour d’un simple amendement sur ce projet de loi, dont l’écriture doit être techniquement affûtée pour rester dans le cadre constitutionnel et respecter les prescriptions de la Cnil et des instances européennes, que nous pourrons avoir un débat serein et argumenté. Je l’avais dit au ministre de l’intérieur Gérald Darmanin : ce débat aurait plutôt dû se tenir dans le cadre de l’élaboration de la Lopmi, ce qui nous aurait permis de procéder à toutes les auditions et de recueillir tous les avis nécessaires.
Je vous annonce donc que, avec mon collègue Arnaud de Belenet, nous déposerons une proposition de loi sur ce sujet (Exclamations sur les travées du groupe GEST.), en accord avec le président de la commission des lois, qui souhaite qu’elle voie le jour ; nous tiendrons bien évidemment compte de toutes les garanties que nous devons apporter.
Nous aurons ainsi l’occasion d’auditionner les principaux acteurs concernés et d’élaborer un dispositif juste et équilibré. Je rappelle d’ailleurs que, depuis quinze ans, le président du Sénat peut saisir le Conseil d’État sur une proposition de loi et que le président de la commission des lois peut saisir la Cnil, s’il l’estime nécessaire – il l’a déjà fait – sur des sujets de cette importance.
Voilà, mes chers collègues, ce que je souhaitais vous dire. Au moment des attentats de novembre 2015 – je vous le dis avec une certaine solennité –, j’étais maire. J’ai dû annoncer aux parents d’un jeune homme de 27 ans son assassinat par des terroristes au Bataclan. Je ne souhaite plus jamais revivre cela.
J’ai en mémoire l’attentat contre Charlie Hebdo. J’ai en mémoire l’intervention bouleversée et bouleversante de Dominique Estrosi Sassone après l’attentat sur la promenade des Anglais.
C’est pourquoi j’ai confiance en la sagesse du Sénat pour nous aider à mettre en place un tel dispositif, avec toutes les garanties nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Yves Détraigne, Jean-Louis Lagourgue et Arnaud de Belenet applaudissent également.)