M. le président. Il faut conclure !

M. Guillaume Chevrollier. Madame la ministre, que pensez-vous de cette proposition. Envisagez-vous, d’une manière plus générale, de réformer les modalités d’indexation du Smic, comme le recommande le groupe d’experts ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de linsertion et du ministre de léducation nationale et de la jeunesse, chargée de lenseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur Chevrollier, je le redis : la France a l’un des systèmes les plus protecteurs pour le pouvoir d’achat des salariés les plus modestes.

Dans le contexte que nous connaissons, c’est très important. Le système a fait office ces derniers mois de véritable filet de sécurité.

Depuis le 1er janvier 2014, la revalorisation est assurée par l’indexation du Smic sur l’inflation mesurée pour les ménages du premier quintile de la distribution des niveaux de vie, au plus près de ce que vivent les salariés concernés.

Elle intègre également la moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire moyen des ouvriers et employés. Nous sommes ainsi l’un des cinq pays dont le salaire minimum est indexé sur l’inflation et le seul pays d’Europe à s’être doté d’un tel double système. Grâce à ce dernier, la France a pu maintenir un écart constant entre les salaires au cours des vingt-cinq dernières années.

Par ailleurs, le Smic est revalorisé en cours d’année dès lors que la hausse des prix dépasse les 2 %.

Nous avons bien écouté les propositions du groupe d’experts sur le Smic, qui consistent à rehausser le seuil de 2 % à 3 % ou à supprimer l’indexation sur le pouvoir d’achat des ouvriers et des employés.

Ces propositions visent à réduire les risques d’emballement de la boucle prix-salaires. Elles sont sérieuses et dignes d’intérêt : un emballement de l’inflation ne ferait que des perdants, en particulier parmi les plus modestes.

Si l’inflation, un temps circonscrite aux produits alimentaires et à l’énergie, gagne progressivement l’ensemble des biens et services, le risque d’emballement de la boucle prix-salaires n’est toutefois pas avéré à ce jour.

La Banque de France prévoit ainsi un apaisement de l’inflation dans le courant de l’année 2023, puis un retour à un taux de 2,5 % en 2024.

Entre la protection des salariés les plus modestes et les risques d’inflation, nous devons faire des arbitrages. À ce stade et au vu des projections à moyen terme, la protection des salariés demeure prioritaire.

Aussi, je vous confirme que nous ne changerons rien aux modalités de revalorisation du Smic.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Thierry Cozic, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la ministre, dans vos propos introductifs, vous avez appelé à ne pas se référer constamment au passé et à ne pas revenir au Grenelle des salaires ou à 1968.

Si vous me le permettez, je reviendrai au XVIIIe siècle, en citant un exemple repris par Marx dans Le Capital. (Mme Laurence Cohen applaudit.)

« À la fin du XVIIIe siècle et pendant les vingt premières années du XIXe, les fermiers et les landlords anglais rivalisèrent d’efforts pour faire descendre le salaire à son minimum absolu. À cet effet, on payait moins que le minimum sous forme de salaire et on compensait le déficit par l’assistance paroissiale. »

Madame la ministre, nous vivons de nos jours une situation analogue. Votre gouvernement imagine régulièrement de nouveaux dispositifs pour compenser les salaires trop bas. La prime d’activité, la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat et, dernièrement, l’indemnité inflation font partie intégrante de cet arsenal.

Par la prééminence de tels dispositifs, vous entretenez une situation dans laquelle les montants des salaires sont insuffisants pour vivre et où les travailleurs sont de plus en plus soumis à la contingence des aides.

Force est de constater que nous ne parlons pas du même dialogue social. Nous vous parlons salaire ; vous nous parlez primes.

Je rappelle que la rémunération annuelle nette d’un salarié payé au niveau du Smic se répartit désormais en 84 % de salaire et 16 % de primes de pouvoir d’achat versées par l’État. Ces primes représentent l’équivalent d’un treizième mois, d’un quatorzième et même un peu plus. Autant d’éléments de rémunération qui devraient être du salaire.

Par ces dispositifs, l’argent public vient substituer des revenus à des salaires. Cette stratégie est une aubaine pour les entreprises : à court terme, leurs salariés touchent plus, pour un coût maîtrisé ; à long terme, les salaires restent bas.

Mais il y a des perdants. Ce sont les travailleurs, qui, eux, perdent sur presque tous les plans. En effet, leurs revenus deviennent imprévisibles. Je rappelle qu’une aide distribuée par l’État peut s’arrêter à tout moment, alors qu’un salaire ne peut être baissé de façon unilatérale par l’employeur. Par ailleurs, leur progression salariale de carrière est ralentie. Enfin, pour la double peine, ils cotisent moins pour leur retraite, car ces revenus ne sont pas soumis à cotisations sociales.

Ce constat sans appel ne se limite pas, tant s’en faut, au secteur privé. Aux côtés du salaire, diverses primes et indemnités plus ou moins individualisées occupent désormais une place importante dans la rémunération des fonctionnaires. Elles représentent un quart de leur rémunération et permettent à l’État de compléter un salaire qui n’augmente plus.

Ces tensions salariales appellent une approche qui ne soit pas purement comptable. À bien y regarder, les dispositifs qui ont été imaginés en faveur du pouvoir d’achat depuis vingt ans sont en effet traversés par un important sous-entendu.

Qu’il s’agisse de la prime d’activité, de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ou de l’indemnité inflation, les primes de pouvoir d’achat ont en commun de considérer les travailleurs comme des êtres de besoins et de les réduire à cette condition.

La question de la satisfaction de nos besoins, notamment matériels, est importante et même incontournable. Mais sommes-nous seulement des êtres voués à dépenser ce qui nous est accordé de façon contingente sur un marché de biens et services dont la maîtrise nous échappe totalement ? Le salaire ne se limite pas à cette considération.

Tel qu’il s’est construit au cours du XXe siècle, le salaire permet de reconnaître le travailleur, qu’il soit en emploi ou hors emploi, comme un producteur de valeur économique.

Il n’est pas étonnant, en ce sens, que les revendications salariales se mêlent souvent aux revendications entourant les conditions de travail.

Notre pays n’y coupe pas. Plusieurs mouvements de grève revendiquant une augmentation des salaires se sont enclenchés à l’automne et à l’hiver 2021, y compris dans des secteurs peu enclins aux grèves. Nous avons pu ainsi constater de fortes mobilisations dans plusieurs enseignes de la grande distribution.

Aux revendications d’augmentation générale des salaires de l’ordre de 5 %, les employeurs ont répondu par des propositions d’augmentation de 1 % ou 2 % et par des mesures contournant le salaire : doublement de l’indemnité inflation, versement de primes ou encore augmentation des remises en magasin.

C’est factuel : les primes sont devenues des éléments importants de rémunération pour les titulaires de bas salaires. Finalement, les travailleurs qui mettent en valeur un capital dans le secteur privé se paient de plus en plus eux-mêmes en tant que contribuables. Cela n’est pas admissible.

Dans ce contexte et alors que la période de négociations annuelles obligatoires commence ce mois-ci, j’appelle à ce que nous convoquions un Grenelle des salaires réunissant les organisations syndicales et patronales, afin qu’une réponse systémique et collégiale soit apportée aux travailleurs de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème « Mieux rémunérer le travail en France : la nécessité d’un Grenelle sur les salaires ».

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Demande de constitution d’une commission spéciale

M. le président. La proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie, présentée par M. Jean Bacci et plusieurs de ses collègues, a été publiée ce jour.

En application de l’article 16 bis, alinéa 3, du règlement, Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, et M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, ont saisi le président du Sénat d’une demande de constitution d’une commission spéciale sur cette proposition de loi.

Cette demande a été affichée et notifiée au Gouvernement, ainsi qu’aux présidents des groupes politiques et des commissions permanentes.

Elle sera considérée comme adoptée sauf si, avant la deuxième séance qui suit cet affichage, soit à l’ouverture de la séance du jeudi 12 janvier, le président du Sénat est saisi d’une opposition par le Gouvernement ou par le président d’un groupe.

Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Communication d’un avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi ordinaire n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des finances a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – dix-neuf voix pour, aucune voix contre – sur la nomination de M. Éric Lombard aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations.

13

Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise

Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la délégation sénatoriale aux entreprises

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux entreprises, sur les conclusions du rapport d’information Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise (rapport d’information n° 89).

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

La parole est à Mme Martine Berthet, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises.

Mme Martine Berthet, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) s’inscrit dans une nouvelle grammaire de l’économie. Elle affecte profondément les modalités de production et de commercialisation et constitue un enjeu de pouvoir au sein des grandes entreprises cotées. Ces dernières sont les principales cibles de la législation tant européenne que nationale et de la soft law internationale des normes et labels, dont le rapport d’information de la délégation aux entreprises de juin 2020 avait souligné le caractère foisonnant.

Nous avions alors proposé d’harmoniser le champ d’application des obligations de publication de données extrafinancières, d’éviter les informations redondantes et de se focaliser sur celles qui sont significatives. Le choc de complexité en matière de RSE, que nous avons relevé dans notre deuxième rapport, publié en octobre 2022 et adopté à l’unanimité, est un défi pour les grandes entreprises, comme l’a souligné l’Autorité des marchés financiers au mois de décembre 2021.

Que dire alors pour les PME ! Elles sont elles aussi concernées, en effet, directement ou indirectement, lorsqu’elles appartiennent à des chaînes de valeur, ce qui est souvent le cas. Personne n’a chiffré le coût, humain et financier, que représente l’obligation, pour elles, de fournir un volume d’indicateurs toujours plus important, toujours plus complexe, toujours plus redondant. Le projet de standards du Groupe consultatif européen sur l’information financière (Efrag) comptait 130 items… C’est trop, d’autant que ces indicateurs seront complétés par des informations spécifiques à chaque branche.

Les normes européennes ou nationales doivent également s’appliquer très progressivement aux PME, et ce rythme doit prendre en considération l’environnement économique, actuellement très dégradé. N’ajoutons pas à l’inflation monétaire une inflation réglementaire. Ce millefeuille doit être simplifié ; sinon, il sera indigeste !

La délégation aux entreprises propose, dans son rapport, un principe de proportionnalité, fonction de la taille et des moyens de l’entreprise, sans oublier le respect de la confidentialité de sa stratégie, principe qui devrait se décliner par une approche sectorielle différenciée.

Enfin, et surtout, nos entreprises doivent pouvoir se battre à armes égales. À cet égard, il faut veiller à ce que les entreprises non européennes soient soumises à des exigences équivalentes en matière de publication d’informations extrafinancières. Il y a là une condition de la durabilité de la compétitivité de nos PME.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Le Nay, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises.

M. Jacques Le Nay, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les normes sont un enjeu essentiel de la souveraineté. Pour les entreprises, la norme, c’est la notation, et la notation, c’est l’accès au crédit, voire au marché. Cette loi s’applique particulièrement à la RSE et à la publication d’informations que toutes les entreprises, ou presque, devront prochainement produire pour évaluer leur performance, guider les choix de gestion de leurs dirigeants et orienter les investissements.

Au début des années 2000, l’Europe avait perdu la bataille des normes comptables, et les standards américains se sont imposés. Une nouvelle défaite ne saurait être subie, d’autant que les normes et les entreprises européennes sont en avance dans ce domaine, l’Europe étant le continent d’un capitalisme plus responsable.

Dans le rapport d’information de la délégation aux entreprises adopté en octobre dernier, nous avons pointé trois défis.

Le premier est celui d’un standard unique des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), car un double standard mondial créerait une complexité inutile. À cet effet, le dialogue entre les trois entités que sont le Groupe consultatif européen sur l’information financière, le Bureau international des normes comptables (IASB) et le gendarme de la Bourse américaine doit déboucher sur un pacte mondial assorti de normes, de guides et de recommandations communs.

Le deuxième défi est celui du contenu de l’information permettant d’évaluer la performance d’une entreprise. Une telle évaluation ne peut plus se fonder uniquement sur les performances économiques et financières de l’entreprise, mais doit tenir compte de son comportement à l’égard de l’environnement, de son respect des valeurs sociales et de l’éthique, de son engagement sociétal et de son gouvernement d’entreprise.

Il n’y a donc pas, d’un côté, l’information financière, de l’autre, l’information extrafinancière. Cette nouvelle donne suppose l’abandon de la conception friedmanienne de l’entreprise, laquelle ne saurait se réduire à la seule création de profit. Il reste, sur ce terrain, des esprits à faire évoluer, notamment aux États-Unis !

Enfin, le troisième défi est celui de la reconquête de l’autonomie et de la souveraineté en matière de notation et de publication des données des entreprises. Les agences de notation européennes sont toutes passées sous contrôle américain. Leurs méthodologies respectives diffèrent. La nouvelle directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) permet une harmonisation européenne bienvenue.

Comme le recommandait l’Autorité française des marchés financiers en mars 2021, l’Autorité européenne des marchés financiers doit devenir le point d’accès européen unique pour les données financières et extrafinancières des sociétés cotées. Où en est cette proposition, madame la ministre ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises.

Mme Florence Blatrix Contat, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la RSE doit être un atout pour chaque entreprise, car elle porte en elle l’exigence de la transition climatique, la réduction des gaz à effet de serre étant l’un des indicateurs de performance environnementale, sociale et de gouvernance (ESG).

À cet effet, dans le rapport Perrier de mars 2022, dont l’objet est de définir un cadre d’actions pour faire de la place de Paris une référence en matière de transition climatique, il est proposé d’instaurer une comptabilité carbone, mesure qu’avait évoquée notre délégation dès juin 2020. Quelles ont été les suites données à cette proposition ?

Ainsi que nous l’avions recommandé dans le rapport de la délégation aux entreprises adopté en octobre dernier, le Medef préconise, dans la nouvelle version de son code de gouvernance, que la RSE soit placée au cœur des missions du conseil d’administration des entreprises cotées et devienne un élément important de la rémunération de leurs dirigeants. Mais il recommande que les orientations stratégiques pluriannuelles ne soient présentées que tous les trois ans et que la formation des administrateurs aux enjeux de la RSE soit une simple possibilité.

Il faut être plus ambitieux, concernant notamment la formation des salariés administrateurs, qui devrait être un droit, voire une obligation.

Pour être durable, la démarche RSE des entreprises doit être crédible. Or la publication d’une enquête de médias européens, fin novembre, a confirmé les craintes relatives à la notion de finance durable que nous avions évoquées dans notre rapport. Déjà, le rapport de l’inspection générale des finances sur le label public « investissement socialement responsable » (ISR) appelait à sa réforme. La présidente du comité du label s’y attelle depuis le mois de mars 2021. Ses orientations sont attendues. Pouvez-vous nous en dire plus, madame la ministre ?

Cette réforme semble d’autant plus urgente que l’enquête journalistique dont je viens de faire mention a souligné que la moitié des fonds dits durables, y compris les fonds « super verts », investissaient encore dans les énergies fossiles, en contradiction flagrante avec la réglementation européenne. Pourtant, au mois de mars 2021, le ministre de l’économie indiquait qu’il fallait l’assurance que la finance verte n’est pas du greenwashing.

Cette situation, outre qu’elle révèle l’hétérogénéité des notations ESG, remet également en question la crédibilité des engagements climatiques de certaines entreprises, ainsi que le modèle d’audit des entreprises, financières ou non. Les professionnels du chiffre, capables de décrypter la comptabilité financière des entreprises et de vérifier l’exactitude des données, seront-ils désormais capables, sans formation spécifique, d’évaluer aussi la sincérité d’engagements sociaux et environnementaux ? Quel rôle doit être dévolu aux experts-comptables, interlocuteurs privilégiés des PME ? Un immense chantier de formation doit s’ouvrir, comme il est proposé dans le rapport, afin de rendre obligatoire pour tous ceux qui se destinent au monde de l’entreprise la formation aux enjeux de la RSE.

Nous vous remercions, madame la ministre, et espérons que ce sujet important pour notre économie sera porté au-delà de ce débat. C’est ce qu’attendent nos entreprises.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de lartisanat et du tourisme. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous souhaite à tous une très belle année, une bonne santé, de la joie ; chacun y a droit, malgré les difficultés.

Je vous suis reconnaissante d’avoir pris le temps, en dépit des différentes urgences majeures qui nous occupent tous, d’organiser ce débat, même s’il se tient en cette heure tardive, qui fait suite au rapport d’information si intéressant et approfondi de la délégation sénatoriale aux entreprises et qui porte sur un sujet absolument essentiel pour la compétitivité de nos entreprises. Pour avoir été pendant plus de deux ans secrétaire d’État à l’économie responsable, je sais bien ce que l’on dit de la responsabilité sociale de nos entreprises : « C’est très bien, c’est très important, mais là n’est pas vraiment l’urgence. » Tout le monde s’accorde donc à dire qu’il faut faire quelque chose, mais ce n’est jamais le bon moment…

Votre mobilisation au sein de la délégation aux entreprises et votre présence ce soir, mesdames, messieurs les sénateurs, démontre que nous pouvons affirmer le contraire. Les trois rapporteurs, en introduction à ce débat, ont abordé de nombreux sujets qui demanderaient – c’est frustrant – un peu plus que les deux minutes dont je dispose… Je veux d’ailleurs vous dire que je ne pourrai pas toujours apporter des réponses exhaustives dans le temps qui m’est imparti aux propos des différents orateurs, compte tenu de la profondeur de ces sujets. Mais, le cas échéant, je prends l’engagement devant la délégation aux entreprises et devant chaque sénatrice et chaque sénateur de vous répondre ultérieurement de manière plus détaillée.

Je veux surtout profiter de ce propos liminaire pour partager l’état d’esprit qui est le mien. La France et l’Europe – cela a été dit – avancent à grands pas sur ces sujets de RSE. La France est en avance ; il nous faut préserver cette avance et il nous faut accompagner toutes nos entreprises, les grandes entreprises, les entreprises de taille intermédiaire, qui sont directement concernées par le champ de la directive CSRD, et nos PME, qui le seront aussi – vous l’avez très bien dit –, directement ou indirectement.

La question est celle du comment. Comment accompagner chacune d’entre elles proportionnellement à sa taille et à ses moyens ? J’aurai à cœur de vous répondre aussi exhaustivement que possible.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Berthet, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises.

Mme Martine Berthet, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises. Je vous remercie, madame la ministre. Nous souhaitons également vous alerter sur le risque de surtransposition de la directive européenne. La transposition se fera vraisemblablement sous forme d’ordonnance. Nous souhaiterions être associés à ce travail, afin d’éviter la surtransposition. C’est important pour nos entreprises.

Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la RSE, c’est la prise en compte des enjeux de développement durable, environnementaux, sociaux et de gouvernance par les entreprises. Parfois caricaturée en saupoudrage de bonne conscience entrepreneuriale, la RSE est le dépassement de la logique purement comptable ou financière et la prise en compte des logiques responsables des entreprises, une amélioration normative.

Cette notion a été rendue nécessaire ces dernières années, car la nature même des entreprises n’est pas fondamentalement sensible aux trois piliers du développement durable. La RSE, élan destiné principalement aux consommateurs, aux investisseurs et au monde associatif, est un mouvement complémentaire au mouvement social et écologique. L’amélioration des normes de RSE doit rendre les entreprises les plus vertueuses et compétitives.

La société a des attentes de plus en plus fortes à l’égard des entreprises. Elle attend de celles-ci que leur impact environnemental soit le plus réduit possible, voire – soyons ambitieux – qu’il soit positif : que l’entreprise non seulement traite bien ses employés, mais aussi qu’elle soit vigilante quant à son impact global. La rationalité économique ne doit plus être l’ennemie du vivant.

Si la RSE a été, à ses débuts, un mouvement volontaire de la part des entreprises, nous sommes désormais entrés dans une phase plus contraignante et – heureusement – plus exigeante.

Plus contraignante, cette phase l’est notamment par l’édification de normes et de référentiels communs. Comme le montre très bien le rapport dont nous examinons les conclusions aujourd’hui, l’Europe est un continent en pointe sur ces questions. C’est ainsi l’Union européenne qui fut à l’origine, en 2013, de la déclaration de performance extrafinancière pour les grandes entreprises. Complétée en 2018 par la directive sur le reporting extrafinancier (NFRD), partie intégrante de la taxonomie verte européenne, cette déclaration extrafinancière doit inclure des informations sur l’entreprise relatives aux questions environnementales, sociales et de personnels, de respect des droits de l’homme et de lutte contre la corruption.

C’est également l’Europe qui décide d’assujettir les grandes entreprises au devoir de vigilance et qui – c’est ce qui nous intéresse aujourd’hui – a mis en avant le concept de double matérialité dans la directive CSRD. Ce concept est assez avancé, puisqu’il prévoit que les entreprises devront non seulement examiner les conséquences de la dégradation des conditions sociales et environnementales sur leurs activités, mais aussi mesurer la manière dont l’activité de l’entreprise influe sur ces mêmes conditions, dans une double relation de cause à effet.

Ces directives s’accompagnent principalement d’obligations nouvelles en matière de reporting. C’est ce qui inquiète particulièrement les entreprises. C’est ce à quoi, essentiellement, répond le rapport que nous examinons aujourd’hui.

Parmi les propositions avancées par nos rapporteurs, nous trouvons tout d’abord la nécessaire proportionnalité des exigences en matière de RSE, qui doivent être imposées selon la taille de l’entreprise. On ne demande pas la même chose à une PME ou à une multinationale. Cet objectif s’entend parfaitement.

Nos rapporteurs appellent ensuite de leurs vœux un renforcement du rôle de l’Autorité européenne des marchés financiers, un effort d’harmonisation des normes, une montée en puissance de la formation, ou encore l’introduction d’une notion d’« offre écologiquement la plus avantageuse » dans le code des marchés publics.

Le groupe écologiste salue naturellement ces propositions, qui vont dans le bon sens et sont autant d’ajustements bienvenus à la montée en puissance de la RSE.

Si le reporting et la transparence sont des outils nécessaires de régulation et d’information des consommateurs et parties prenantes, en tant qu’écologistes, nous sommes convaincus que la solution réside aussi et surtout dans le changement profond des modes de production, de consommation et de gouvernance. La nécessité d’intégrer des logiques non financières dans la marche de l’entreprise devient une évidence, ce que n’est pas encore l’impératif consistant à encastrer l’économie dans les limites planétaires.

Communiquer, comme le fait TotalEnergies par exemple, sur des efforts de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2030 tout en continuant d’ouvrir de nouvelles exploitations et de rechercher de nouveaux gisements d’énergie fossile relève d’une hypocrisie rare qui nous conduit tous vers la catastrophe. Ce n’est pas la RSE, mais bien la contrainte publique, qui nous sortira de cette situation.

Le changement doit être plus profond, plus radical, plus contraignant aussi. Et la RSE ne parviendra pas, seule, à changer les règles. Elle ne saurait suffire comme outil de régulation de l’impact du monde économique sur nos vies et sur notre avenir.