M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le ministre, monsieur le président, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter des crédits alloués à la mission « Défense » dans un moment où le monde fait face au retour de la guerre, à la relance de la course aux armements, pour tous les types d’armes et dans tous les domaines – terrestre, aérien, spatial, maritime, cyber –, dans le cadre d’une réaffirmation de puissance de l’Otan non seulement euro-atlantique, mais aussi, désormais, à vocation mondiale.
En Ukraine, nous sommes doublement engagés, par les livraisons d’armes prélevées sur l’équipement de nos forces et par le déploiement renforcé de nos forces sur le flanc Est de l’Otan. Au Sahel, nous tirons péniblement nos forces d’une opération extérieure coûteuse et aux résultats politiques catastrophiques. L’addition totale est lourde pour nos forces armées.
Dans ce contexte géopolitique inquiétant, le budget pour 2023 confirme le respect de la trajectoire budgétaire tracée par la loi de programmation militaire en 2019. L’objectif alors affirmé était celui de la remise à niveau capacitaire de nos forces armées, ce que nous soutenions.
Toutefois, nous alertions sur les déséquilibres de la répartition des crédits, au profit d’une logique de projection interventionniste. Les évolutions en cours confirment nos craintes, et nous désapprouvons vivement la manière dont est préparée la future LPM.
Préparer nos armées à des conflits de haute intensité est une chose : dans ce monde dangereux, nous l’entendons pour nous défendre des attaques possibles contre la Nation, son territoire, notre peuple, ou les prévenir. Mais nous préparer au nom de cette logique à multiplier les champs d’intervention extérieure de nos armées en est une autre.
Le débat sur l’augmentation des crédits doit être lié à la nature des programmes mis en œuvre, qui doivent être réellement centrés sur les objectifs de défense nationale ou de programmes européens dont nous gardons l’usage souverain.
Le cas du porte-avions l’illustre bien. Alors que la France dispose du deuxième domaine maritime mondial, des ruptures capacitaires sont à craindre, en particulier s’agissant des patrouilleurs de haute mer. Pourtant, notre pays a choisi d’investir massivement dans le projet du prochain porte-avions, dont le coût est estimé à 5 milliards d’euros. Or plusieurs études soulignent la grande vulnérabilité de cette structure en cas de conflit de haute intensité, notamment du fait de son indiscrétion et de l’arrivée de multiples nouveaux systèmes d’armes qui rendraient rapidement obsolète et inopérant le futur bâtiment.
Plus généralement, les états-majors, préparant le terrain pour une seconde LPM à 430 milliards d’euros, pointent du doigt nos lacunes capacitaires si nous étions confrontés à un conflit équivalent à celui du Haut-Karabagh ou encore à celui en cours en Ukraine. À cela s’ajoutent les questionnements sur l’incapacité de la France à tenir un front de 80 kilomètres ou encore un conflit d’une durée de plus de huit jours, faute de munitions.
Monsieur le ministre, il faudra faire des choix sur notre format d’armées. Nous ne pouvons pas raisonner en prenant comme référence des pays agressés voilà seulement quelques mois et qui ne disposent pas de l’arme nucléaire. La dissuasion nucléaire est dimensionnée pour sanctuariser le territoire national. Quel sens accordons-nous à cette dissuasion si nous redimensionnons tout pour nous préparer sur notre sol à un conflit interétatique dans la durée ?
En vérité, la défense du territoire semble rester seconde dans les concepts de haute intensité et d’économie de guerre tels qu’ils sont avancés aujourd’hui.
Il est moins question de défendre l’intégrité de la Nation que de renforcer la capacité de haute intensité de notre doctrine interventionniste et des armées censées la servir. C’est pourtant ce qui nous a conduits à des échecs marquants, du départ des troupes américaines et de l’Otan d’Afghanistan au repli de l’opération Barkhane, jusqu’au fiasco de la Libye. Nous continuons à persévérer dans une logique produisant chaos, déstabilisation d’États, violences, persistance des conflits et du terrorisme. Une logique archaïque de projection dont nous récoltons aujourd’hui les fruits amers en Afrique…
La récente revue nationale stratégique ambitionne de rehausser nos provisions en matière d’opérations extérieures, et de maintenir notre capacité à entrer en premier dans d’immenses territoires du globe et des océans. Pour quels objectifs, et au service de quelles alliances et de quels intérêts, monsieur le ministre ?
Nous parlons du rôle de puissance d’équilibre qu’entend jouer la France sur la scène internationale. Mais comment le jouer si nous sommes plus alignés que jamais sur les objectifs et les intérêts de l’Otan et des États-Unis, au prétexte de maintenir le « rang » fantasmé de la France dans le camp atlantiste ?
Aucune initiative multilatérale de désarmement n’est formulée, et la construction d’une grande coalition pour la paix n’est pas envisagée. Pourtant, le rayonnement de la France en serait bien davantage éclatant.
Un format rehaussé de nos armées au service de la sécurité nationale appellerait bien d’autres questions, en matière de renouvellement capacitaire, de moyens de maintenance opérationnelle des effectifs et des armements, de maîtrise souveraine de nos industries d’armement. Comment assurer cette dernière quand la perspective d’une autonomie industrielle de défense en Europe vient de voler en éclats avec le retour en force de « l’otanisation » américaine de l’Europe ? Comment pouvez-vous garantir que les immenses crédits dégagés dans ce budget et dans la future LPM consacrent le renforcement de nos capacités souveraines de défense ?
Ainsi, nous regrettons une répartition des crédits dotant nos capacités de projection de manière substantielle, au détriment de la stricte défense de nos territoires et alliés proches,…
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Michelle Gréaume. … et nous alertons sur la réflexion stratégique qui anime ce budget.
Celui-ci ne permet pas à la France d’assumer son rôle au service de la paix. C’est pourquoi nous voterons contre. (M. Pierre Laurent applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Joël Guerriau applaudit également.)
M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 24 février 2022, la Russie envahissait l’Ukraine, poursuivant son ambition de puissance au travers d’une logique de rapport de force.
Dans le même temps, la République populaire de Chine poursuit la modernisation de son appareil militaire, afin de conforter une stratégie sans cesse réaffirmée dans l’Indo-Pacifique comme dans le reste du monde.
La convergence stratégique de la Chine et de la Russie ouvre la perspective de contestations évidentes orientées contre les intérêts occidentaux. Et c’est bien dans ce contexte que nous examinons les crédits portant sur la mission « Défense », alors que la guerre est aux portes de l’Europe.
Avec une hausse de 5 % entre 2019 et 2023, les crédits de cette mission ont respecté la trajectoire fixée par la LPM pour venir s’établir désormais à 62 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 53 milliards en crédits de paiement.
À périmètre courant, la marche de 3 milliards d’euros en 2023 est respectée, et ce sont 8 milliards de plus qu’en 2019 qui abonderont le budget de la défense l’année prochaine.
On peut s’en féliciter, et les motifs de satisfaction existent et sont nombreux.
Les équipements arrivent dans les armées. Pour l’armée de l’air et de l’espace, ce sont 13 Rafale et trois avions ravitailleurs multirôles MRTT (Multi Role Tanker Transport) ; pour la marine nationale, un bâtiment ravitailleur de forces, ainsi qu’un second sous-marin nucléaire d’attaque de classe Barracuda ; pour l’armée de terre : 123 Griffon, 119 Serval, 22 Jaguar.
Les crédits dédiés à l’EPM atteignent le niveau fixé par la LPM.
Les diminutions de personnels dans les services de soutien ont enfin cessé. Ce sont 1 500 postes qui seront créés dans les armées en 2023, conformément à la LPM.
Les secteurs prioritaires du renseignement, de la cyberdéfense et de l’action dans l’espace numérique continuent de concentrer les créations d’emploi, à hauteur de 48 % pour le projet de budget pour 2023.
La NPRM, en simplifiant la part indemnitaire de la solde, renforce la lisibilité de la rémunération, ce qui était très attendu.
Enfin, pour la deuxième année consécutive, l’enveloppe consacrée aux études amont atteindra en 2023 le milliard d’euros, ce qui était indispensable pour financer les études relatives au système MGCS (Main Ground Combat System) et au Scaf.
À ce sujet, monsieur le ministre, vous pourrez peut-être nous faire part des avancées les plus récentes ; si avancées il y a, les crédits nécessaires sont effectivement prévus.
Les autres thématiques de l’innovation, telles que la lutte anti-drones, l’hypervélocité, le quantique et l’énergie, bénéficient également d’un effort budgétaire.
Pour autant, le satisfecit doit être nuancé, car le respect de la LPM est moins total qu’il n’y paraît.
En effet, l’inflation pèsera à hauteur de 1 milliard d’euros sur la mission « Défense » en 2023, soit un tiers de la fameuse marche de 3 milliards d’euros. L’inflation a déjà pesé pour 200 millions en 2022, et c’est par un retour des reports de charge que le budget a été bouclé.
Nous avons combattu pendant des années cette gestion par reports de charges qui avait fini – vous vous en souvenez, mes chers collègues – par constituer une « bosse » de crédits d’une année sur l’autre d’une ampleur telle qu’elle limitait largement la capacité de pilotage du budget. Nous devrons veiller à une bonne indexation sur l’inflation pour éviter de connaître, de nouveau, une telle dérive.
La provision sur les Opex et les opérations intérieures (Opint) demeure insuffisante et la solidarité gouvernementale n’est pas mise en œuvre.
Cette provision se révèle chaque année insuffisante et ne permet pas de prendre en compte le renforcement du flanc oriental de l’Otan. Elle doit être rehaussée, car c’est en gelant des crédits puis en les réorientant en fin d’année vers le financement des opérations extérieures et, dans une moindre mesure, intérieures que s’exécutent les budgets de la défense depuis le début de la LPM.
Cela finit par représenter, là encore, une partie non négligeable de la marche de 3 milliards.
Les nouvelles priorités annoncées chaque année – le renseignement, le cyber, l’espace – emportent notre adhésion. Mais ces crédits sont alloués à enveloppe constante, au détriment d’autres dépenses initialement prévues dans le périmètre de la LPM, déjà taillé au plus juste.
Nous savons que les livraisons d’équipements prennent du retard. Il en est de même de l’EPM. La disponibilité technique opérationnelle des équipements, la préparation opérationnelle et la capacité des armées à remplir leurs contrats opérationnels en dépendent pourtant.
Les améliorations dans ce domaine ne sont pas au niveau espéré, niveau qui n’a pas été communiqué au Parlement de façon lisible. C’est là encore près d’un milliard d’euros qui manquent pour l’EPM depuis le début de la période de programmation en cours.
Dans ce domaine, la situation ne s’améliorera pas avec la fin de Barkhane annoncée le 9 novembre dernier. Il va maintenant falloir restaurer le potentiel des équipements sur place et les rapatrier. Cette métropolisation des matériels déployés coûtera pratiquement aussi cher que la poursuite de l’Opex en termes d’EPM, si ce n’est plus.
Nous approfondirons ces questions au sein d’un rapport de notre commission sur Barkhane, qui sera examiné avant la prochaine LPM.
Mais j’en reviens au projet de loi de finances (PLF) pour 2023. Dans ce contexte, au vu de ces multiples nuances, que reste-t-il de la marche des 3 milliards d’euros ?
Sommes-nous bien à la hauteur des ambitions de la LPM qui était une LPM de restauration ? Nous le saurions mieux si son actualisation avait été un peu plus « législative » !
La prochaine loi de programmation et les budgets qui en découleront, année après année, devront permettre de faire face aux défis actuels, mais aussi de préparer les confrontations de demain.
Monsieur le ministre, nous vous donnons acte de ce budget pour 2023, le dernier de la LPM en cours, mais vous avez entendu nos réserves, nos inquiétudes, et vous savez l’attention que nous porterons à son exécution.
Le prochain budget sera le premier de la nouvelle LPM. Il faudra qu’il apaise nos incertitudes sur la capacité de nos armées à relever le défi de la haute intensité et de l’hypothèse d’engagement majeur.
À l’avenir, nous ne choisirons plus nos champs de bataille. Il faudra que nous soyons prêts à tenir l’engagement là où cela s’imposera.
Nous avons parfois le sentiment d’avoir perdu un an depuis le début de la guerre en Ukraine. En effet, une année s’est pratiquement écoulée et les commandes supplémentaires nécessaires ne sont toujours pas passées.
L’économie de guerre est un objectif encore lointain. Nos alliés – je pense notamment aux États-Unis – en ont une vision bien moins théorique que nous. L’arsenal législatif adapté y existe déjà. Nous avons fort à faire en la matière, mettons-nous au travail sur ces questions sans tarder.
Donnons de la visibilité à nos industriels, afin qu’ils prennent leur part dans l’effort à fournir.
Donnons de la lisibilité à nos militaires, afin qu’ils sachent que nous sommes avec eux, reconnaissants pour leur engagement et déterminés à leur donner les moyens de le poursuivre pour la sécurité de notre pays.
Dans ce contexte, le groupe UC approuvera les crédits de la mission « Défense » pour 2023. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Marc Laménie et Joël Guerriau applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd’hui à valider une hausse apparemment inédite des crédits en faveur de notre défense nationale. En cela – finalement, rien d’extraordinaire –, nous ne faisons que valider la trajectoire prévue par la loi de programmation militaire 2017-2023 et atténuer les effets de l’inflation.
Cependant, cette programmation a été prévue en temps de paix et ces 3 milliards d’euros supplémentaires paraissent bien ridicules par rapport à l’augmentation de 100 milliards d’euros du budget de la défense allemand et de 150 % de celui de la Russie cette année.
Je m’étonne que, dans de telles conditions, alors que le Président de la République nous demande d’intégrer une « économie de guerre » depuis le printemps et que l’utopie du couple franco-allemand s’est officiellement effondrée, nous n’ayons pas avancé l’examen de la future loi de programmation militaire d’un an.
Dans la revue nationale stratégique du Président de la République, on entend résonner l’objectif nébuleux de « résilience » sans que soit posé le cadre d’une véritable vision stratégique, politique et géopolitique de notre Nation.
Pour faire simple : quel est le rôle de la France ? Quels moyens se donne-t-elle pour y parvenir ?
De toute évidence, nous pouvons répondre que nous ne sommes pas ici en présence du budget militaire d’une Nation majeure.
Pendant la crise du covid-19, nous avons été capables de mettre sur la table des centaines de milliards d’euros. Actuellement, nous engageons des dizaines de milliards d’euros pour les boucliers carburant et énergétique. À situation exceptionnelle, le budget de la défense devrait, lui aussi, être exceptionnel.
Mais ici, face au retour de la guerre de haute intensité en Europe, sous ses formes symétriques et asymétriques, à la montée en agressivité des États-puissances et à la reconstitution des empires hostiles, nous ne sommes pas à la hauteur de l’enjeu en augmentant le budget de seulement 3 milliards d’euros.
Évidemment, je voterai en faveur de l’augmentation des crédits cyber, de ceux en faveur du renseignement, des financements pour les sept nouveaux escadrons de gendarmerie mobile et les 200 nouvelles brigades dans nos communes périurbaines. Mais cela ne rattrapera pas la suppression de 20 % des effectifs militaires entre 2008 et 2015, qui a réduit nos forces à une armée échantillonnaire.
En outre, la récente défaite commerciale de la France et de Naval Group pour la vente de cinq vaisseaux multimissions à l’Arabie Saoudite peut nous inquiéter, après l’annulation du contrat de 56 milliards d’euros avec l’Australie. C’est une alerte sur la compétitivité et la crédibilité de notre industrie de défense !
Nous devrions nous inspirer du pragmatisme de nos voisins européens en matière de souveraineté industrielle. Le projet européen d’avion du futur Scaf, qui se met très lentement en route, est un fiasco. En cause, l’Allemagne qui a déjà jeté son dévolu sur le F-35 américain.
L’« économie de guerre » est incompatible avec la « souveraineté européenne » tant vantée par l’exécutif. Le « en même temps » n’est pas compatible avec la gravité des temps.
La mission « Défense » doit retrouver sa place régalienne dans le budget national. Il est inadmissible de constater que nos soldats actuellement déployés en Roumanie ont froid et faim et vivent dans des conditions d’hygiène déplorables (M. le ministre le nie.), alors qu’ils ne sont pas sur une ligne de front.
Il est temps que nous accordions à la défense tous les moyens de préparer la guerre si nous voulons préserver la paix.
M. le président. La parole est à M. André Guiol. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)
M. André Guiol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Défense » s’inscrit dans un contexte géopolitique de plus en plus lourd.
Nous assistons en effet à des confrontations plus ou moins directes entre puissances, associant provocations et démonstrations de forces militaires, à l’instar de celles de la Corée du Nord avec ses derniers essais de missiles balistiques à la barbe du Japon.
Tout aussi grave, nous voyons la contestation, par la Russie en Ukraine, d’un ordre international fondé sur des règles, dont la première, fondamentale, est le respect de la souveraineté des frontières.
Dans le terrible conflit que Vladimir Poutine a engagé en Ukraine, c’est aussi le droit international humanitaire, défini par les conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels, qui est piétiné par le Kremlin. Face à cela, comme l’indique la revue nationale stratégique présentée par le chef de l’État le mois dernier dans mon département, à Toulon, notre défense doit s’adapter au risque de conflit de haute intensité en Europe, et aux différentes menaces hybrides.
Le budget qui nous est soumis aujourd’hui, avec 3 milliards d’euros de crédits de paiement supplémentaires, contient-il la promesse de notre sécurité collective ? Il s’inscrit en tout cas dans la trajectoire fixée par la loi de programmation militaire, qui prévoyait un total de 44 milliards d’euros en 2023. Nous y sommes !
Cependant, cette évolution sera sans doute à renégocier dans le cadre de la prochaine loi de programmation au regard du climat bouillonnant que je viens d’évoquer. Le RDSE sera vigilant sur ce projet de loi très attendu.
Pour le moment, les nouveaux moyens de la mission permettront – cela a été rappelé – de déployer 1 500 emplois supplémentaires pour le renseignement et la sécurité, et d’alimenter l’entretien des matériels, tout en poursuivant les grands programmes.
Je pense notamment aux véhicules du programme Scorpion, aux capacités de communication satellitaire au travers de Syracuse, aux avions ravitailleurs multirôles ou encore aux hélicoptères de nouvelle génération.
Je n’oublie pas la reconstitution des stocks de munitions, pour lesquels le Sénat s’était fortement inquiété en début d’année.
Si rien ne doit être négligé, je mettrai l’accent sur l’aviation de chasse, qui est cruciale dans le cadre de combats de haute intensité à fort niveau d’attrition. Le projet de loi de finances prévoit pour le Rafale 6 milliards d’euros d’autorisations d’engagement en 2023.
Sans épuiser tout le spectre capacitaire, je dirais quelques mots de la marine.
Je m’inquiète du taux de disponibilité technique opérationnelle des matériels de la marine, qui montre des résultats légèrement en deçà des prévisions.
En revanche, je me réjouis de la mise en service du second sous-marin nucléaire d’attaque, de type Barracuda, le Duguay-Trouin, de celle du premier bâtiment ravitailleur de forces et du premier patrouilleur d’outre-mer, ainsi que du premier module de lutte contre les mines, constitué de drones : le fameux Slamf.
Pour autant, toutes ces avancées concrètes ne me rendent pas sourd aux observations pertinentes exprimées par mes collègues rapporteurs.
Il y a, bien entendu, la question de l’inflation, qui relativise en effet une partie de l’effort budgétaire. Le report de charges comme solution, c’est reculer pour mieux sauter.
Une nouvelle fois, la provision Opex-missions intérieures (Missint) est sous-dimensionnée.
Tout d’abord, si le conflit ukrainien a tendance à l’occulter, nous n’en avons pas fini de la lutte contre le djihadisme dans la bande sahélo-saharienne.
Sur le front de l’Europe, c’est l’engagement de l’armée de terre française avec la réassurance sur le flanc Est de l’Otan en Roumanie qui va peser.
Sans méconnaître le contexte économique difficile, il sera par conséquent nécessaire d’amplifier les efforts budgétaires, d’autant que notre soutien à l’Ukraine nous conduira probablement à poursuivre la cession de matériel.
La crédibilité de notre armée, c’est aussi l’assurance d’apparaître comme un allié exemplaire au sein de l’espace euro-atlantique et d’être, en même temps, le moteur de l’autonomie stratégique européenne.
Sur ce dernier point, j’ai une inquiétude contrebalancée par une satisfaction. Le Scaf semble relancé, selon l’avionneur français Dassault. J’espère que cela illustre un retour à de bonnes relations entre Paris et Berlin. Mais il faudra pour cela que l’Allemagne privilégie la coopération industrielle européenne.
Je pense notamment au projet, lancé par Berlin, de bouclier antimissile européen. À cet égard, mon groupe partage la position irritée de la France. Ce bouclier fait intervenir, outre le système américain Patriot, un système israélien – le fameux dôme de fer – qui est concurrence avec le système franco-italien de défense aérienne sol-air de moyenne portée dit « Mamba ».
Si cette situation est inconfortable, elle peut aussi nous inciter à renforcer encore les moyens de notre défense pour en montrer l’excellence à nos partenaires, gage de notre crédibilité, et avant tout de la sécurité collective.
Aussi, le RDSE votera les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)
M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis une vingtaine d’années, les nations européennes, accrochées à la chimère de la fin de l’histoire, ont cultivé un dangereux paradoxe. Alors que le niveau de la menace internationale ne faisait que croître, les moyens qu’elles consacraient à leurs forces armées n’ont, eux, cessé de fondre.
Le 24 février dernier, cette illusion – celle de la paix et de la sécurité malgré tout – a volé en éclats, et les Européens ont été brutalement ramenés à la réalité de leurs renoncements stratégiques. Dans cette prise de conscience collective, la France s’est, il est vrai, réveillée un peu plus tôt que nombre de ses partenaires.
Dans un effort de réparation de ses armées, elle a entrepris dès 2019 de mettre fin à l’hémorragie de notre budget militaire. En 2023, cet effort se poursuivra au travers de ce qu’il faut bien appeler un budget de transition.
De transition, d’abord, parce qu’il sera le premier à porter une marche de 3 milliards d’euros, sur une trajectoire qui doit permettre d’atteindre les 50 milliards d’euros en 2025.
De transition, ensuite, parce qu’il sera le dernier de la LPM votée en 2018, et qu’il sera donc un tremplin vers la prochaine LPM.
Le regard que l’on peut porter sur ce budget est donc double. En nous tournant vers ce qui a été accompli, nous reconnaissons que la remontée en puissance est entamée. Nous le constatons régulièrement du reste, sur le terrain, lorsque nous allons au contact des femmes et des hommes, qui sont la richesse première de nos armées.
En cet instant, permettez-moi de rendre de nouveau hommage à l’engagement et au professionnalisme de nos milliers de soldats déployés sur le territoire national et au-delà de nos frontières, au Sahel ou désormais en soutien de nos alliés sur le flanc Est de l’Otan.
Mais, en nous tournant vers l’avenir, nous devons aussi nous demander – c’est bien le devoir du Parlement – si les directions prises sont les bonnes et si le rythme de progression est suffisant.
Au rang des accomplissements, soulignons que, malgré les craintes initiales, la hausse importante attendue pour 2023 est bien inscrite à ce budget. Nous vous en donnons acte, monsieur le ministre.
Les livraisons et commandes prévues l’année prochaine prolongent les efforts précédemment engagés : livraison de 13 Rafale et commande de 42 autres ; livraison d’un second sous-marin nucléaire d’attaque de classe Suffren ; poursuite de la modernisation de l’armée de terre au travers du programme Scorpion. Encore ne s’agit-il là que de quelques exemples emblématiques.
C’est pourquoi, au-delà de certains questionnements, la commission des finances et la commission des affaires étrangères et de la défense, que j’ai l’honneur de présider, ont émis, sur proposition de leurs rapporteurs, un avis favorable sur l’adoption de ces crédits. Le groupe Les Républicains partage leur analyse.
Il reste néanmoins des points de vigilance. Tout d’abord, nous ne sommes pas naïfs quant à l’impact de l’inflation, comme cela a été relevé par plusieurs intervenants. Ce sont ainsi plus d’un milliard d’euros, soit un tiers de l’augmentation, qui seront effacés l’an prochain.
Certes, le Gouvernement propose d’en neutraliser les effets en reportant ses charges. Mais ce n’est que remettre à demain la résolution d’un problème qui se pose aujourd’hui. Et c’est aussi prendre le risque de réenclencher l’effet « boule de neige », qui avait pu être contenu ces dernières années.
Ensuite, des précisions doivent être apportées sur la répartition des crédits supplémentaires entre les différentes enveloppes, et sur ce qui est consacré, en particulier, au renouvellement de la dissuasion.
Enfin, un dialogue s’est engagé avec la BITD pour accélérer les cycles de production et permettre, au besoin, des livraisons anticipées. Des lettres d’intention sont promises aux industriels. Mais où sont les commandes supplémentaires, notamment en matière de missiles complexes ? Notre commission a eu la confirmation voilà quelques jours qu’aucune commande de ces missiles n’avait encore été finalisée ! Vous nous apporterez des explications, et vous nous direz comment contourner cette difficulté, monsieur le ministre.
Les crédits de la défense augmentent ; c’est une réalité. Mais, aussi fondamentale que soit cette hausse, elle n’est pas suffisante. Car les leçons du 24 février sont encore à tirer.
La guerre en Ukraine constitue un tournant stratégique qui coïncide en outre avec la fin de l’opération Barkhane. Ces deux événements majeurs doivent nous conduire à une réflexion d’ensemble, que la récente revue nationale stratégique n’a, de notre point de vue, fait qu’effleurer. Elle porte sur le modèle d’armée que nous devons développer pour être en mesure de relever le défi de la haute intensité.
Face à cette hypothèse qui s’impose de nouveau à nous, certains ont avancé l’idée que nos armées ne pourraient couvrir qu’un front très réduit, sur une distance à peu près équivalente à celle existant entre Lille et Dunkerque… Bien évidemment, ce n’est qu’une projection géographique, mais il faut prendre conscience de nos difficultés pour assurer une certaine « épaisseur » à nos armées, comme l’ont souligné nombre d’orateurs précédents.
Certes, nos forces ont vocation à être engagées au sein d’une coalition. Et nos intérêts vitaux sont fondamentalement protégés par la dissuasion. Mais nous commençons, je pense, tout juste à mesurer l’ampleur de l’effort qui est devant nous. Or cet effort devra être porté par la future LPM.
Bien entendu, des enseignements doivent être tirés de la guerre en Ukraine ou de l’opération Barkhane. Mais gardons à l’esprit qu’on ne peut préparer la guerre de demain en répondant aux problématiques d’aujourd’hui. Avoir une guerre de retard, c’est toujours le danger ultime et le piège à éviter absolument. L’histoire est malheureusement riche en enseignements à ce sujet.
C’est pourquoi il est crucial de bien en percevoir les leçons géostratégiques et, sans doute, les enseignements militaires. Il faut être à l’affût des signaux faibles. Le sommes-nous suffisamment ?
C’est tout l’objet du processus qui devait démarrer avec la revue nationale stratégique : des risques et des menaces identifiés découlent les besoins, et ces besoins déterminent les moyens à mettre en œuvre. Cet enchaînement logique doit être le fondement de la prochaine LPM.
Pour l’aborder dans de bonnes conditions, nous souhaitons être pleinement informés. C’est particulièrement vrai des décisions qui seront prises sur un chaînon qui est, à ce stade, manquant : celui de la définition des besoins, qui formera l’ossature de la future programmation.
En effet, et c’est capital, notre effort de défense devra être compris pour être accepté. Il devra être poursuivi dans le temps long et supposera de lourds efforts budgétaires. Il doit donc être expliqué aux Français et, pour réussir, il devra reposer sur l’implication de chacun.
Car s’il n’y avait qu’une chose à retenir de la guerre en Ukraine, ce serait peut-être que la force d’une nation tient d’abord au moral, à l’engagement et à la cohésion de sa population.
À ce titre, les annonces du Président de la République sur la réserve opérationnelle et sur l’avenir du service national universel doivent être un peu mieux détaillées aux parlementaires. Il serait en effet paradoxal de prétendre engager une réflexion sur la résilience de notre société et de nos concitoyens sans y associer ceux qui en sont les représentants !
Et si nous devons durcir nos forces conventionnelles, ne négligeons pas non plus nos capacités de guerre hybride. L’influence, comme le cyber et l’espace, sont les nouvelles lignes de front qui menacent au quotidien les Français, au cœur de nos territoires et de nos entreprises.
Là aussi, comme dans la bataille contre le covid-19, les sénateurs, et à travers eux tous les élus locaux auront un rôle à jouer que le Gouvernement ne saurait ignorer.
Ce budget pour 2023 est donc avant tout une rampe de lancement vers l’avenir, une étape dans l’attente d’une nouvelle LPM ambitieuse. Comme pour chaque texte législatif, le Sénat entend naturellement y apporter sa contribution et ses modifications, et il devra pouvoir le faire en toute connaissance de cause.
Nous ne voulons plus apprendre dans la presse que tel ou tel programme serait menacé. Nous comprenons tout à fait que la programmation ne permettra pas de financer une liste sans fin de projets et de priorités. Elle imposera nécessairement de faire des choix, mais leur pertinence devra pouvoir être discutée de manière franche et ouverte.
La LPM peut être un succès si le Gouvernement comprend et respecte le travail du Sénat. Le législateur n’est pas un acteur parmi d’autres, une partie prenante ou un lobby à inclure dans une forme de concertation. C’est pourquoi nous avons refusé la méthode des groupes de travail pluriels.
En revanche, nous mettons en place nos propres groupes de travail au travers de missions d’information. Certaines démarreront leurs travaux dès cette semaine pour enrichir la réflexion de notre assemblée et lui permettre de verser au débat des propositions pertinentes et constructives.
Car le Sénat vous tend la main, monsieur le ministre, comme il avait tendu la main à votre prédécesseure, qui ne l’a pas toujours saisie… Au-delà de nos appartenances politiques, nous sommes tous ici animés par la même volonté de servir la France, donc de mettre notre défense sur des rails qui lui permettent d’avancer vite dans la bonne direction au cœur de la prochaine décennie.
Vous l’avez compris, monsieur le ministre, le Sénat attend beaucoup de la prochaine LPM. Mais si les attentes sont si grandes dans un contexte géostratégique chaque jour plus préoccupant, c’est parce qu’e, au fond, ce qui en jeu, c’est la sécurité des Français et l’avenir de la France comme puissance européenne et puissance d’influence dans le monde. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc de la commission. – M. André Guiol applaudit également.)