Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ce contexte économique et social extrêmement tendu, nous abordons aujourd’hui le budget pour l’année à venir.
Il est certain que ce projet de loi de finances ne remplit pas sa part du contrat en se fondant sur des projections financières irréalistes. Monsieur le ministre, c’est à se confondre et à se perdre dans un flot d’estimations, de chiffres et de pourcentages que vous seul semblez comprendre. Et ce d’autant plus que la Commission européenne annonce une récession pour la fin de l’année et un hiver particulièrement difficile pour la zone euro.
La dette publique française actuelle dépasse les 2 900 milliards d’euros, soit 115 % du PIB. Et même si le déficit public se stabilisait à 5 % en 2023, cela n’empêcherait pas une augmentation de la dette publique.
Dans ce sombre paysage économique, vous dites vouloir préserver les ménages de l’inflation, tout en contenant au maximum le déficit public.
Cette équation s’avère impossible à réaliser. Si votre intention est louable, vos actions manquent de crédibilité pour une simple et bonne raison : après une loi visant à protéger le pouvoir d’achat, un PLF de crise et un bouclier tarifaire sur l’énergie, les Français restent fortement lésés par la hausse des prix à tous les niveaux.
« Tous ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans un hypermarché ne connaissent pas la réalité sociale de la France d’aujourd’hui ». Ces mots appartiennent à Annie Ernaux, prix Nobel de littérature. Monsieur le ministre, je vous pose donc la question : avez-vous fait les courses récemment ? Avec une inflation alimentaire autour de 12 %, il est légitime d’interroger vos habitudes.
Selon un récent sondage réalisé par Elabe, 85 % des Français estiment se priver dans leurs achats. Bon nombre d’entre eux se demandent si, oui ou non, ils pourront se permettre de prendre des fruits ou de la viande, alors qu’il faut payer les factures d’électricité et de gaz à la fin du mois. Ils privilégieront forcément les produits de première nécessité. Tout extra dans le panier de courses est proscrit.
C’est un calcul de tous les instants qui finit par hanter le quotidien de nos concitoyens. Comment se déplacer à moindre coût ? Comment réussir à économiser ? Est-ce envisageable de partir en vacances cet été ? Mettre ou ne pas mettre le chauffage, quitte à avoir froid…
Pourtant, les Français ont répondu positivement et joué le jeu de la sobriété énergétique, en modifiant lentement et progressivement leurs comportements : non pas grâce à vos petites sorties sur les cols roulés ou le wifi, mais grâce à une prise de conscience collective de leur consommation. Ne leur demandez pas plus d’efforts qu’ils ne peuvent en fournir !
Les choses ne vont pas aller en s’arrangeant comme vous le prétendez. L’épuisement des énergies fossiles, ainsi que la transition écologique vont continuer à mettre les prix de l’énergie sous pression. Il faudra alors prendre ses responsabilités, parce que la dette publique comme la dette écologique se creusent d’année en année. Nous léguons ce fardeau insupportable aux générations futures.
La dette publique ne doit plus être un prétexte empêchant de financer une réelle transition écologique. Si nous échouons à trouver conjointement des solutions sur ces deux sujets, les dégâts économiques et humains seront inévitables.
Malheureusement, au regard de ce que vous nous proposez et de votre volonté de passer en force sur ce PLF, lequel manque cruellement de justice sociale et fiscale, vous ne semblez pas mesurer toute la gravité de la situation économique des Français et vous actez pour le moins une véritable rupture de confiance entre l’exécutif et les parlementaires.
Je voterai bien évidemment contre ce budget. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, on dit parfois que l’Assemblée nationale vote, tandis que le Sénat délibère…
Après des débats qui ont effectivement tourné court au Palais-Bourbon du fait de l’absence de majorité absolue et du recours quasiment inévitable à la procédure de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, il semblerait que le véritable examen de ce projet de loi de finances commence aujourd’hui dans notre hémicycle. On peut en tout cas en juger ainsi au nombre d’amendements déposés, qui bat chaque année un nouveau record, et dont beaucoup seront certainement adoptés par notre assemblée…
Que restera-t-il de ces modifications ? Plus que jamais, il est difficile de le prévoir, tant la configuration actuelle est inédite. Malgré une majorité relative, le Gouvernement dispose toujours des marges de manœuvre importantes que lui confère la Constitution et dont il ne se prive pas : le 49.3, bien évidemment, mais aussi un pouvoir d’amendement élargi et le monopole de la capacité à engager des dépenses.
Au-delà du cadre institutionnel, il y a surtout la disproportion des moyens humains et techniques de l’exécutif, bien supérieurs à ceux du Parlement malgré une volonté et une détermination sans faille de notre côté.
Ce budget 2023 est aussi le premier que nous examinons sous la nouvelle configuration établie par la loi organique du 28 décembre 2021, dont nous avons eu une première expérience le mois dernier avec le nouveau débat annuel sur les finances locales.
À l’origine, il était même question d’un projet de loi spécifique pour les finances des collectivités locales, à l’instar du PLFSS pour la sécurité sociale. Peut-être un jour la durée des débats correspondra-t-elle plus fidèlement aux grands volumes budgétaires : le budget de la sécurité sociale devant celui de l’État et le budget de l’enseignement scolaire devant le service de la dette…
Après deux années très marquées par les conséquences de l’épidémie de covid-19 et un rattrapage économique important depuis un an et demi, l’inflation est repartie nettement à la hausse avec une accélération depuis cette année liée notamment au conflit russo-ukrainien, mais pas seulement.
Dans ce contexte, les perspectives de croissance en 2023 apparaissent quelque peu incertaines, alors que des pays voisins sont d’ores et déjà entrés en récession.
L’article liminaire de ce PLF présente les prévisions de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques pour 2023, les prévisions d’exécution en 2022 et l’exécution en 2021.
Depuis la modernisation de la LOLF, sont aussi détaillés le niveau d’endettement public, qui ne figurait jusqu’ici que dans les annexes, le taux de prélèvements obligatoires ou encore les prévisions par type d’administration publique.
Le PLF 2023 post-49.3 prévoit toujours un déficit public de 5 % du PIB, également inchangé par rapport au programme de stabilité et à la loi de finances rectificative. Pourtant, les sources de possible révision étaient importantes. La croissance réelle serait toujours de 1 % l’an prochain contre 2,7 % en 2022.
Au fond, ces hypothèses sont toujours assez incertaines. Le Haut Conseil des finances publiques lui-même, dans son dernier avis, a partiellement démenti la position qu’il avait tenue cet été lors du premier projet de loi de finances rectificative.
J’en viens maintenant aux principales mesures de ce PLF.
La réforme phare de la première partie est bien sûr la suppression, sur deux ans, de la contribution à la valeur ajoutée des entreprises. La majorité sénatoriale avait soutenu, il n’y a pas si longtemps, une réforme similaire : celle de la taxe professionnelle, alors en partie remplacée par la CVAE et par la cotisation foncière des entreprises (CFE).
Si l’objectif assumé est d’améliorer l’attractivité économique de notre pays, la réforme proposée accentue aussi une évolution durable de nos finances publiques vers un usage de plus en plus diversifié des recettes de TVA : d’abord, pour le financement des régions ; bientôt pour celui des départements ; et de façon massive aujourd’hui en faveur de la sécurité sociale.
Si la question de l’équité de la TVA est souvent posée, son efficacité économique a fait ses preuves en permettant des rentrées fiscales massives, encore plus en période de forte inflation des prix, sans entraîner de distorsions économiques.
Reste à savoir si les comptes publics doivent dépendre aussi fortement de cette ressource ou rester suffisamment diversifiés et indépendants des aléas de la conjoncture.
Je n’aurais pas été complet sans rappeler les conséquences spécifiques sur les budgets des collectivités locales.
Le dernier rapport de la Cour des comptes sur la situation des finances locales est éclairant, en particulier au regard des comparaisons internationales. Les finances locales ne représentent en France que 20 % environ de la dépense publique, loin derrière les dépenses de la sécurité sociale et celles de l’État. C’est bien inférieur à la moyenne européenne, où les dépenses des collectivités locales représentent en moyenne 40 % de la dépense publique. Il est vrai que la France n’est ni un État fédéral comme l’Allemagne ni un État très décentralisé comme l’Espagne.
Justement, cette répartition originale de la dépense publique nous ramène à la question lancinante des priorités et des missions.
Depuis neuf mois, avec le conflit russo-ukrainien, nous avons voté plusieurs rallonges au budget de la défense, dont la dernière en date, au PLFR, s’élève à plus d’un milliard d’euros. Globalement, les budgets régaliens ont connu ces dernières années un certain retour en grâce.
Cela dit, en 2023, tous les budgets ou presque vont augmenter… Effet, d’une part, de l’inflation et, d’autre part, de la volonté du Gouvernement d’assurer un certain nombre de missions essentielles, même si le service de la dette a fait son grand retour depuis cette année avec la remontée des taux d’intérêt et alors que notre niveau d’endettement public bat des records depuis la crise sanitaire.
Il faut dire que l’exécutif n’a pas ménagé ses efforts avec la politique du « quoi qu’il en coûte », dont on voit qu’il n’est pas si facile de sortir. La maîtrise de la dépense publique est notre responsabilité commune, quel que soit notre bord politique.
En ce qui concerne les dotations de l’État aux collectivités locales, le Gouvernement poursuit la politique du précédent quinquennat, marquée par une grande stabilité. La DGF reste autour de 26-27 milliards d’euros. Je salue en particulier la revalorisation de la dotation de solidarité rurale (DSR) à hauteur de 110 millions d’euros, ce qui contribuera à rattraper le retard accumulé par rapport à la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU).
Vient ensuite l’épineux sujet de la taxation des superprofits.
Il faut noter que le Gouvernement a répondu en partie à la question avec l’amendement retenu en première partie du PLF sur le plafonnement des rentes dites inframarginales, terme comptable pour désigner des revenus exceptionnels liés à un contexte de crise – un accord européen a été conclu en septembre à ce sujet.
La fiscalité reste un domaine hautement politique et il n’y a pas lieu de le nier. Après tout, les grands tournants historiques ont souvent pris leur source dans des disputes au sujet de l’impôt et de sa juste répartition – il n’est que de penser à la Révolution ! À ce titre, le groupe du RDSE proposera de nouveau, comme chaque année, l’amendement classique visant à élargir l’assiette de l’impôt sur le revenu, dit amendement Joseph Caillaux.
Ce rappel historique ne nous empêche pas d’être en prise avec les réalités les plus contemporaines, qu’il s’agisse de l’aménagement du territoire, avec notre expérience d’élus issus souvent de territoires ruraux, ou de la transition écologique dont nous saisissons bien les enjeux sans céder à un quelconque dogmatisme.
Comme cet été, le pouvoir d’achat ou, pour le dire d’une autre façon, le niveau de vie de nos concitoyens, reste le fil rouge de ce projet de loi de finances, alors que les prix de l’énergie atteignent des niveaux historiquement élevés, sans que l’on puisse prévoir aisément une trajectoire d’évolution à court ou moyen terme.
Nous ferons un certain nombre de propositions pour défendre les intérêts de nos populations et de nos territoires dans ce contexte imprévisible.
En conclusion, le groupe du RDSE sera d’abord attentif au détail des débats qui promettent cette année d’être riches. Caractérisé par une grande liberté de vote, mon groupe sera sensible au sort qui sera donné à nos différents amendements, dans le respect des positions des uns et des autres. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, les années se suivent et se ressemblent. On dit souvent qu’il existe une permanence de l’État, vous l’illustrez parfaitement : le ministre de l’économie et des finances reste, le ministre chargé des comptes publics change, mais les orientations et les critiques demeurent. Je vais même pouvoir reprendre le plan de mon intervention de l’année dernière…
Je vous parlais alors d’un quinquennat pour rien en ce qui concerne la maîtrise des dépenses publiques ; cette année, j’ai envie de vous demander : un nouveau quinquennat pour rien ?
Ce budget, le premier du second quinquennat, a été présenté comme visant à protéger les Français face à l’inflation provoquée par la crise énergétique et le conflit en Ukraine et le rapport économique, social et financier annexé au PLF peut se résumer en une phrase, que vous avez d’ailleurs utilisée lors de la conférence de presse : « Un pouvoir d’achat préservé grâce aux mesures du Gouvernement. »
Dans le détail, on constate que presque toutes les missions voient leur enveloppe budgétaire progresser par rapport à la LFI pour 2022. On a donc du mal à dégager une priorité, sauf à dire que tout participe du pouvoir d’achat…
Pour le Gouvernement, ce budget est « responsable à l’euro près » – c’est ce que disait Bruno Le Maire le 26 septembre dernier, très soucieux du redressement des comptes publics.
Permettez-moi de vous donner quelques chiffres, monsieur le ministre : durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, les dépenses ont augmenté de 32,7 milliards d’euros dans un contexte de crise financière ; elles ont progressé de 27 milliards sous François Hollande,…
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Eh oui !
Mme Christine Lavarde. Oui, mais sans avoir à gérer une crise financière, monsieur le président…
Puis elles ont progressé de 118 milliards durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron.
Pour 2023, premier exercice du second quinquennat, nous en sommes à plus de 62 milliards pour les dépenses courantes hors dépenses liées à la crise – j’ai fait ce calcul à partir des chiffres annoncés le 26 septembre, sachant que d’autres dépenses se sont ajoutées depuis…
Aucune économie structurelle n’est réalisée, les dépenses ordinaires continuent de croître et le déficit va augmenter en 2023. Parallèlement, nous persistons à penser que votre prévision de croissance est trop optimiste, si bien que le déficit risque d’être encore plus élevé que ce que vous annoncez…
Vous nous dites que l’État protège, mais en fait il déverse des milliards financés par le déficit ! La dette publique représente aujourd’hui près de 42 000 euros par Français. Or ce que le consommateur gagne aujourd’hui sur son pouvoir d’achat – cinquante-deux occurrences de ce terme dans le rapport économique, social et financier ! –, le contribuable devra l’honorer demain avec la hausse rapide de la charge de la dette – ce terme, en revanche, n’est utilisé que neuf fois dans le même rapport…
Pourtant, l’enjeu de la dette ne peut être passé sous silence. De PLF en PLF, le groupe Les Républicains n’a cessé d’alerter les gouvernements successifs sur le risque de ne pas nous attaquer au mur de la dette, en particulier en cas de remontée des taux. Or nous sommes désormais, je suis au regret de le dire, face à ce mur.
De négatif en décembre 2021, le taux des obligations assimilables du Trésor (OAT) a dépassé les 3 % le 21 octobre dernier. De manière inquiétante, le PLF est construit sur une hypothèse de taux de 2,6 % pour 2023. Pour mémoire, un point de taux d’intérêt en plus, c’est au bout de dix ans un coût de 40 milliards d’euros selon les données de la Banque de France, soit en ordre de grandeur le budget de la défense !
En 2027, la charge de la dette sera, à elle seule, supérieure au premier budget de l’État, l’enseignement scolaire. La charge de la dette est une dépense obligatoire ; sa croissance vient donc diminuer d’autant la capacité de l’État à investir dans des dépenses d’avenir – recherche, éducation, décarbonation…
Il n’existe qu’un seul bouclier – un terme à la mode… – pour protéger de cette hausse : la maîtrise de la dépense publique. C’est ce que nous vous avons proposé dans une version amendée de la loi de programmation des finances publiques. Dans votre copie initiale, le lent redressement des comptes publics reposait principalement sur les collectivités locales.
Alors, j’ai bien noté l’annonce faite par Bruno Le Maire : l’État serait prêt à prendre sa part, en acceptant une diminution de ses dépenses de 0,5 % – il reste encore à définir l’assiette concernée…
Nous allons vous montrer, au cours de la discussion de ce PLF, que la trajectoire définie par le Sénat, que vous jugez irresponsable, trop contraignante en termes d’économies à réaliser, est atteignable.
Je constate que l’amendement n° I-1662 déposé par le Gouvernement sur l’article liminaire remet déjà en cause votre proposition initiale, monsieur le ministre. Vous prévoyez que le taux des prélèvements obligatoires va encore augmenter, alors même que Bruno Le Maire nous rappelait, voilà seulement quelques instants, que notre pays était le plus imposé fiscalement parmi les pays développés. De son côté, la dépense publique va augmenter de 8 milliards d’euros et ne baissera que de 1,2 % contre 2,6 % annoncés dans la loi de programmation des finances publiques.
L’année dernière, je vous faisais remarquer que les discussions à l’Assemblée nationale s’étaient déroulées au mépris du Parlement. En effet, le Gouvernement avait déposé 125 amendements en cours de lecture, qui ne tendaient pas à de simples corrections, mais constituaient des ajouts très importants, proposés au dernier moment et sans étude d’impact pour un montant total de 11,8 milliards d’euros de dépenses supplémentaires.
Je suis au regret de vous dire que vous continuez cette année : taxation de la rente inframarginale, bouclier électricité et gaz, amortisseur, filet de sécurité pour les collectivités… Ce sont des sujets très sensibles, qui nécessitent un travail important d’expertise. Or nous n’avons ni temps, ni données, ni réponses à nos questions ! Tout porte à croire que le Gouvernement navigue à vue… Je reviendrai d’ailleurs sur certains de ces sujets pour montrer les limites de plusieurs propositions.
Mépris envers le Parlement, certes, mais aussi envers les collectivités locales au travers de fausses annonces. Les membres du Gouvernement se gargarisent tous du fameux programme 380, « Fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires », aussi appelé fonds vert. Vous faites croire aux collectivités qu’elles pourront disposer de 2 milliards d’euros d’argent frais pour financer leur transition écologique. C’est faux ! Il s’agit uniquement d’un recyclage de crédits précédemment portés par le programme 362 de la mission « Plan de relance » ! Ces crédits viendront simplement compléter des politiques déjà portées par les programmes 113 et 181.
M. Roger Karoutchi. Alors, monsieur le ministre, vous manipulez les chiffres ? (Sourires.)
Mme Christine Lavarde. Surtout, le retour des contrats de confiance est une véritable provocation. Ma dernière question d’actualité au Gouvernement n’a obtenu aucune véritable réponse à ma principale question : comment osez-vous reprendre une disposition rejetée par les deux assemblées ?
Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, m’a répondu : « C’est aussi une façon de provoquer de nouveau le dialogue. » Je crois que c’est d’abord une façon de provoquer !
Pour le groupe LR, la suppression définitive des contrats de confiance est une ligne rouge.
M. Antoine Lefèvre. Absolument !
Mme Christine Lavarde. Les collectivités ont su montrer par le passé qu’elles étaient responsables : elles ne représentent aujourd’hui que 9 % de la dette publique ; sur la période 2018-2021, elles ont réalisé 11 milliards d’euros d’économies par rapport au tendanciel inscrit dans la loi de programmation pour cette période.
Elles font des efforts, parce qu’elles doivent présenter des budgets en équilibre : à la différence de l’État, toute hausse non financée de leur fonctionnement se traduit immédiatement par une augmentation de la pression fiscale, mesure impopulaire pour des élus à portée de baffes – voilà une corde de rappel très efficace !
Le Sénat a conscience que les collectivités doivent participer à l’effort collectif de redressement des comptes publics. Nous ne sommes ainsi pas revenus sur l’évolution des concours de l’État aux collectivités locales, à l’article 13 de la loi de programmation des finances publiques : en euros constants, ces concours vont diminuer au cours du quinquennat.
Cette mesure représente à elle seule près des trois quarts de l’effort sur les dépenses de fonctionnement exigé par l’objectif d’évolution de la dépense locale (Odedel) par rapport à la trajectoire zéro volume.
C’est aussi la raison pour laquelle le groupe Les Républicains ne soutient pas le principe de l’indexation de la DGF sur l’inflation – ce serait irresponsable.
Comme l’année dernière, ce budget apporte des réponses imparfaites à des défis importants. Je veux d’abord parler de la flambée des prix de l’énergie, l’une des premières préoccupations des chefs d’entreprise, et de son impact sur notre compétitivité.
Le 16 octobre dernier, le président du Mouvement des entreprises de France (Medef) lançait un signal d’alarme sur la question et demandait au Gouvernement des ajustements sur le programme d’aide de 10 milliards d’euros. On peut comprendre les craintes des chefs d’entreprise : sur les 3 milliards d’euros inscrits en 2022, seuls 500 millions ont été consommés à ce jour !
Le mécanisme du bouclier électricité est flou. Par exemple, le code de l’énergie parle de moins de dix personnes employées. Comment comprendre ce seuil ? Fait-il référence à des équivalents temps plein ou, de manière plus stricte, à un effectif de dix salariés ? La même question se pose pour les collectivités locales.
En outre, les modalités pratiques d’application de l’amortisseur d’électricité sont renvoyées à des décrets d’application. Comment peut-on se préparer dans de telles conditions ?
J’ai d’ailleurs l’impression que le Gouvernement s’y perd lui-même : le dispositif du fameux amendement n° I-1662, que je viens de citer, évoque une extension des boucliers tarifaires, alors qu’il s’agit plus sûrement de l’amortisseur !
Au-delà du flou de ces mesures et de l’incompréhension des chefs d’entreprise, nous assistons dans l’économie réelle à un phénomène de déstabilisation de la compétitivité relative de nos entreprises par rapport à leurs concurrentes allemandes et américaines – Bruno Le Maire l’a lui-même reconnu voilà quelques instants.
Le gouvernement allemand a décidé un premier montant d’aide de 25 milliards d’euros et, dans l’attente de la validation par la Commission européenne du bouclier de 200 milliards, les factures énergétiques de décembre des petites entreprises seront directement payées par le Gouvernement. Pourquoi n’avons-nous pas les moyens d’en faire autant ? Tout simplement parce que nous sommes entrés dans la crise du covid-19 avec des finances déjà fragilisées.
De leur côté, les entreprises américaines bénéficient d’un prix de l’électricité dix fois plus faible qu’en France. Elles sont par ailleurs soutenues par un plan de 370 milliards de dollars en subventions et crédits d’impôt.
Pour la France, le Président de la République a annoncé, voilà une dizaine de jours, une enveloppe de 10 milliards d’euros en faveur de la décarbonation. Mais il s’agit en fait de 5 milliards auxquels s’ajoutera, peut-être, une autre enveloppe de 5 milliards si les entreprises respectent les objectifs qui leur ont été fixés. Qui plus est, ces crédits figuraient déjà dans le plan France 2030 – nul besoin de vous rappeler, monsieur le ministre, l’amendement à 34 milliards d’euros déposé l’an dernier, soit le plus cher de la Ve République…
Face à ce constat et à ce besoin d’une aide directe en faveur des entreprises, nous rejoignons le Gouvernement sur la nécessité de renforcer leur compétitivité.
C’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement relatif à la CVAE. Toutefois, la mesure que nous proposons est bien différente de celle du Gouvernement, car nous partageons les critiques avancées par le rapporteur général de la commission des finances : tout est flou dans votre dispositif, que ce soit dans la manière dont les collectivités seront compensées ou dans le futur lien entre le dynamisme économique des territoires et cette compensation.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Très bien !
Mme Christine Lavarde. Nous le refusons, monsieur le ministre !
Notre amendement tend ainsi à prévoir pour 2023 un dégrèvement de CVAE à hauteur de 50 % de manière que les entreprises soient certaines de bénéficier d’une aide de 4 milliards d’euros. Une telle mesure sera beaucoup plus efficace que tous les dispositifs liés aux coûts de l’énergie sur lesquels chacun s’interroge.
Cette proposition ne change rien pour les collectivités locales en 2023 comme en 2024 : leurs recettes de CVAE seront équivalentes à ce qu’elles auraient perçu en l’absence de réforme. Ce n’est qu’à partir de 2025 qu’elles en subiront les premières conséquences, mais nous aurons eu le temps d’ici là de travailler ensemble, avec les représentants des collectivités locales, sur une réforme globale visant à supprimer à terme la CVAE.
Je veux revenir, avec quelques exemples concrets, sur les conséquences de la flambée des prix de l’énergie sur les collectivités locales. Ils montreront clairement combien les dispositifs décidés par le Gouvernement sont faillibles.
La commune de Digoin, en Saône-et-Loire, qui compte 8 000 habitants et qui a été administrée par notre collègue Fabien Genet, bénéficie d’un groupement de commandes : sa facture d’énergie est passée de 441 000 euros en 2021 à 850 000 euros en 2022 ; en 2023, elle sera multipliée par 3 sans application de l’amortisseur et par 2,7 avec lui, soit une facture totale d’environ 1,2 million d’euros.
Dans le même département, Gueugnon, une commune de taille identique, qui ne bénéficie pas d’un groupement de commandes dans le cadre de son approvisionnement en gaz, verrait sa facture d’énergie passer de 833 000 euros en 2021 à 2,6 millions en 2023.
Aux Échelles, commune de montagne de Savoie d’environ 1 300 habitants, qui a été administrée par notre collègue Cédric Vial, les dépenses propres liées à l’énergie augmenteront de 42 %. Il faut aussi prendre en compte la hausse des dépenses liées aux services gérés par des syndicats intercommunaux, qui se répercutera fatalement sur les communes. Si rien n’est fait, 90 % de la capacité d’autofinancement de cette commune va disparaître dès 2024.
Un dernier exemple, que je ne peux évidemment passer sous silence : Boulogne-Billancourt, 120 000 habitants. (Ah ! sur de nombreuses travées.) Les dépenses d’énergie de cette commune vont passer de 4,3 millions d’euros en 2021 à 8,3 millions en 2023. Pourtant, grâce à des investissements importants, sa consommation de gaz a déjà baissé de 17 % entre 2018 et 2022 et celle d’électricité de 18 %. Cette commune ne reçoit aujourd’hui aucune aide.
Je viens d’évoquer quatre exemples, qui révèlent la diversité de notre organisation territoriale, ainsi que la diversité des modes d’achat de l’électricité et du gaz, mais j’aurais pu parler des 35 000 communes de France pour montrer que les dispositifs du Gouvernement ne marchent pas.
L’épargne brute n’est pas un bon indicateur. Elle s’optimise. Surtout, elle est indispensable pour financer les investissements et la nomenclature comptable contraint les collectivités à dégager un certain niveau d’épargne si elles veulent investir. Elle peut être décorrélée de la richesse d’une collectivité, de son potentiel financier ou fiscal – je pense, par exemple, à la commune de notre collègue Sophie Primas, Aubergenville.
Enfin, la date de référence, 2022, pose problème, alors que le choc énergétique a commencé en 2021.
Pour toutes ces raisons, nous serons nombreux à soutenir le dispositif, beaucoup plus simple, proposé par la commission des finances. Il permettra à toutes les communes d’être éligibles, sous certaines conditions, à un véritable filet de sécurité. Nous demandons surtout une véritable clause de revoyure pour évaluer précisément les choses. À cet égard, monsieur le ministre, nous vous remercions de nous avoir donné, pour la première fois, des informations sur ce qui s’est passé en 2022 – mais il faut aller plus loin.
Autre question que je voudrais aborder, celle de la reconquête de notre souveraineté.
La commission des affaires économiques du Sénat a publié un excellent rapport d’information à ce sujet. Il montre que les problèmes que nous rencontrons aujourd’hui n’ont jamais été aussi importants.
Je voudrais prendre deux exemples. Je commencerai par l’agriculture, que notre collègue Vincent Segouin aurait pu aborder à ma place.
Par une surtransposition et l’édiction de normes nouvelles, que ce soit pour les produits phytosanitaires ou le bien-être animal, nous imposons à nos agriculteurs des contraintes et des charges non productives que ne subissent pas leurs concurrents étrangers.