Mme le président. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de résolution de nos collègues du groupe écologiste, lesquels souhaitent alerter le Gouvernement sur les contraintes réglementaires pesant sur la culture du chanvre.
Je vous surprendrai certainement en vous disant que je partage une partie de leurs préoccupations et de leurs attentes.
M. Rachid Temal. Ah !
Mme Laure Darcos. En effet, le chanvre est une plante disposant d’un formidable potentiel d’avenir, mais dont les débouchés sont actuellement limités pour des raisons dont la logique m’échappe.
Pour nos agriculteurs, elle représente une possibilité de revenus complémentaires. Je parle bien de revenus complémentaires : il serait totalement illusoire d’imaginer qu’elle se substitue aux autres cultures.
Pour notre pays, le chanvre peut être un des moyens d’atteindre une partie des objectifs en matière de transition énergétique, grâce à son utilisation massive dans le cas de la construction et de la rénovation des logements.
Toutefois, la proposition de résolution de nos collègues met l’accent sur les principes actifs de cette plante et sur les usages récréatifs qu’elle permet. C’est sa principale faiblesse.
Or son utilisation dans de nombreux secteurs de l’économie est possible, en particulier le bâtiment, comme je viens de le souligner.
Beaucoup de chemin a été parcouru depuis la première rénovation d’une maison d’habitation avec un enduit constitué de chaux et de chanvre en 1986.
La filière est aujourd’hui parfaitement structurée avec un unique producteur de semences certifiées, qui investit puissamment dans l’innovation variétale afin de créer les nouvelles variétés de haute qualité adaptées aux marchés.
L’association Construire en chanvre est, quant à elle, un acteur majeur pour les professionnels du bâtiment. Elle est à l’origine des règles professionnelles d’exécution d’ouvrages en bétons de chanvre, qui constituent le premier et, à ce jour, le seul texte de référence sur l’utilisation du chanvre dans le secteur de la construction.
Dans ce cadre sécurisant et sécurisé, de plus en plus d’agriculteurs optent pour cette voie de diversification agronomique, respectueuse de l’environnement et prometteuse en termes de retombées économiques.
Mon département, l’Essonne, est d’ailleurs l’un des plus importants producteurs de chanvre industriel, avec un millier d’hectares en culture et une centaine d’exploitants agricoles mobilisés.
Entreprise essonnienne emblématique, Gâtichanvre assure le défibrage de la paille, première étape de la transformation du chanvre permettant la réalisation d’isolants, d’enduits, de bétons et de blocs de chanvre.
Comment, dans ces conditions, expliquer les difficultés de mise en œuvre des produits issus du chanvre dans le bâtiment ?
Certes, la décision de l’Agence Qualité Construction, qui avait rejeté l’an dernier les règles professionnelles édictées dans le but de massifier la construction en chanvre, est derrière nous. Et nous devons nous féliciter du soutien apporté aux nouvelles règles professionnelles, dont la validation devrait intervenir prochainement.
Mais une autre entrave à l’usage du chanvre dans le bâtiment résulte de l’impossibilité pour les maîtres d’ouvrage de valoriser financièrement le béton de chanvre par le biais des certificats d’économies d’énergie. Ce dispositif requiert en effet une certification sur les matériaux employés, garantie par l’Association pour la certification des matériaux isolants. Les règles professionnelles ne sauraient tenir lieu de certification.
Or les performances thermiques remarquables du chanvre, ses capacités hygrothermiques inégalées, son pouvoir d’absorption des sons et sa résistance au feu sont amplement démontrés.
Un sujet d’inquiétude supplémentaire tient au fait que la plupart des maîtres d’œuvre sont des entreprises artisanales ou des PME spécialisées ne disposant pas toujours des moyens de financer la démarche de qualité permettant l’obtention du label « reconnu garant de l’environnement ». Les maîtres d’œuvre ne peuvent donc prétendre aux aides de l’État au titre de la rénovation de l’habitat.
En outre, la filière manque singulièrement de moyens pour financer des fiches de déclaration environnementale et sanitaire, nécessaires au respect de la nouvelle réglementation environnementale 2020, la RE2020.
Tous ces freins normatifs ont une conséquence majeure : l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments n’est obtenue que par l’emploi de matériaux issus de grands groupes industriels, dont l’impact environnemental et énergétique à la production est plus défavorable que pour les matériaux biosourcés.
Alors que l’optimisation des ressources naturelles est indispensable pour assurer la transition énergétique et que la France peut se prévaloir d’être le leader européen de la production de chanvre, je souhaiterais que le Gouvernement prenne des initiatives importantes pour obtenir la levée des contraintes pesant sur son utilisation dans le secteur de la construction.
En particulier, il me paraît indispensable d’accompagner cette levée des restrictions par des mesures fiscales propres à soutenir le développement significatif des filières locales biosourcées, dont celle du chanvre. Permettez-moi de vous demander, madame la secrétaire d’État, d’engager une concertation interministérielle sur le sujet.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. C’est fait !
Mme Laure Darcos. C’est à ces conditions que notre pays pourra participer pleinement et rapidement à la transition énergétique, rendue indispensable par la hausse exponentielle du prix de l’énergie, dont souffrent nos concitoyens et des pans entiers de notre économie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Noëlle Lienemann ainsi que MM. Guillaume Gontard et Patrick Kanner applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour commencer, je tiens à saluer les auteurs de cette proposition de résolution, notamment notre collègue Guillaume Gontard et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Alors que le sujet de la filière chanvre semble être récemment revenu sur le devant de la scène, il est important de rappeler qu’il s’agit d’une culture très ancienne, qui a connu une institutionnalisation en France dès 1932, avec la création de la Fédération nationale des producteurs de chanvre.
Grâce à la multiplicité de ses usages et ses nombreuses vertus, la filière chanvre possède déjà un poids économique non négligeable et, surtout, des perspectives de développement particulièrement importantes.
En effet, en 2020, la filière française du chanvre comptait plus de 1 400 producteurs pour 17 000 hectares exploités, avec une surface de production multipliée par trois en quinze ans. Grâce à ce dynamisme, la France est le premier producteur européen de chanvre et le quatrième mondial.
Pour une fois – je pense notamment aux auteurs du récent rapport sénatorial sur la compétitivité de la ferme France –, nous pouvons collectivement nous féliciter du dynamisme de cette filière.
Malheureusement, cette culture a toujours eu mauvaise presse, principalement à cause de la production de sa fleur aux effets psychotropes, le cannabis. Avec les connaissances scientifiques et techniques que nous avons aujourd’hui, il convient de sortir des clichés et de se rendre compte de la diversité des usages et des bénéfices du chanvre.
En tant qu’agriculteur, je souhaite insister sur les opportunités agroécologiques de la production du chanvre. En effet, cette dernière ne nécessite ni insecticides, ni fongicides, ni herbicides. Elle est également particulièrement économe en eau.
Par sa hauteur et sa densité, cette plante est également un formidable réservoir à biodiversité, qui peut pleinement s’inscrire dans l’indispensable rotation des cultures et dans l’entretien des sols.
C’est donc une culture particulièrement saine, qui peut être une puissante créatrice de vocations pour les jeunes agriculteurs ayant la volonté de développer une agriculture plus vertueuse sur le plan environnemental. Cela apporterait une partie de la solution aux problèmes du renouvellement des générations.
Face aux difficultés économiques que rencontrent de nombreux agriculteurs, le prix de revente du kilo de fleurs CBD, fixé à environ 600 euros pour l’année 2022, peut également être une opportunité de développement pour le monde agricole.
Bien sûr, pour permettre cela, et c’est l’objectif principal de cette proposition de résolution, il est nécessaire d’avoir une réglementation adaptée à la filière, notamment en permettant la vente de fleurs et de feuilles brutes, et un juste accompagnement par les pouvoirs publics.
Sur ces derniers points, je rejoins pleinement les recommandations figurant dans la proposition de résolution, tout particulièrement sur l’ouverture du label Agriculture biologique à cette filière et l’obligation de déclaration des cultures pour être en compatibilité avec les obligations de la PAC.
Comme pour toutes les filières, la labélisation et la mise en conformité avec les critères PAC permettront de réaliser un cadrage et, ainsi, d’éviter des dérives, qui peuvent être facilement associées à cette culture.
Enfin, sur un plan économique plus global, il est important de le souligner : grâce à la diversité de ses usages, le chanvre peut avoir des perspectives de débouchés dans des filières très variées.
Mon collègue Gilbert-Luc Devinaz a justement évoqué les secteurs du textile et du bâtiment. Nous pourrions également citer l’alimentation humaine, avec des graines particulièrement riches en protéines, l’alimentation animale, avec les graines de chènevis, ou, bien sûr, la filière papier.
Avec près de 7 millions de consommateurs, le CBD peut également être une réelle opportunité pour les buralistes, dont le nombre a diminué de 27 % en vingt ans et qui possèdent l’expertise et les compétences pour assurer la vente d’un tel produit.
Ainsi, madame la secrétaire d’État, alors que le Gouvernement s’est engagé à plusieurs reprises à soutenir le développement de la filière du chanvre, il est aujourd’hui essentiel d’apporter une clarification sur la réglementation autour du CBD.
Comme le prévoit l’alinéa 49 de cette proposition de résolution, seuls un appui aux acteurs de la filière et une précision sur le cadre légal et réglementaire permettront un réel développement de la filière française du chanvre.
Mes chers collègues, en soulignant sa qualité et ses différents objectifs mis en avant, je vous invite à largement soutenir l’adoption de cette proposition de résolution, comme nous le ferons au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, RDSE, INDEP et UC. – M. Guillaume Gontard applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si, aujourd’hui, les voiles des monocoques du Vendée Globe ne sont pas constituées de fibres de chanvre, celles de la flotte de Louis XIV l’étaient.
La filière économique et industrielle du chanvre a ainsi connu ses heures de gloire aux XVIIe et XVIIIe siècles, avant de péricliter, la confusion, compréhensible, entre le cannabis et la fleur de chanvre ayant conduit à une marginalisation de sa production.
À partir des années 1990, s’émancipant complètement de l’ombre du cannabis, la filière renaît en s’appuyant sur des acteurs locaux créateurs d’emplois.
Nous examinons aujourd’hui une proposition de résolution présentée par nos collègues du groupe écologiste. Je salue une telle initiative, car elle nous permet de mettre en lumière de belles entreprises dans nos territoires, d’encourager une filière, tout en ne donnant aucun signal en faveur de la légalisation ou de la dépénalisation du cannabis.
Agriculture, textile ou BTP, la filière du chanvre sous ses différentes expressions a ainsi un véritable potentiel économique, qu’il ne faut pas négliger.
Cela fait plus de vingt ans que le secteur de la construction et du bâtiment s’appuie sur le chanvre, tant pour ses propriétés isolantes que pour la restauration d’habitations. Je tiens à saluer à ce titre la création, voilà bientôt vingt-cinq ans, de l’association Construire en chanvre, qui œuvre pour la valorisation de la filière.
Depuis deux décennies, c’est ainsi toute une économie qui s’est développée pour favoriser l’utilisation du chanvre en s’appuyant sur ses qualités hygrothermiques, sa durabilité et sa très bonne régulation de l’humidité. Qu’il s’agisse de chènevotte ou de la fibre de chanvre, cette plante possède des débouchés économiques qu’il convient de valoriser.
En Vendée, cela fait plus de dix ans que la coopérative Cavac, que je connais bien, a fait du chanvre un matériel essentiel dans le cadre de la construction biosourcée. À l’heure où la rénovation énergétique des bâtiments est un pilier de la relance verte appelée de ses vœux par le Gouvernement, il nous faut donner les moyens aux entreprises de la filière.
Les matériaux biosourcés doivent contribuer à la décarbonation de nos bâtiments. Cette proposition de résolution pourrait, à ce titre, être utilement complétée par trois dispositifs.
Premièrement, il convient d’élargir la formation des accompagnateurs France Rénov’ aux matériaux biosourcés, afin que les rénovations financées par l’outil MaPrimeRénov’ s’appuient également sur le chanvre.
Deuxièmement, il est nécessaire de mieux valoriser la capacité de stockage de carbone du chanvre, dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone.
Troisièmement, une réflexion doit être lancée au sujet de la mise en œuvre d’un taux de TVA prenant mieux en compte les atouts des matériaux biosourcés.
Pour conclure, je souligne que l’adoption de cette proposition de résolution est un geste fort pour dire clairement notre soutien aux acteurs économiques de la filière : producteurs, coopératives, industriels, ainsi que l’ensemble des transformateurs.
Avec plus de 17 000 hectares en France, il est temps de donner à la filière chanvre un cadre légal stable permettant à l’activité de prospérer durablement et de se développer sainement.
C’est la raison pour laquelle, avec ma collègue Daphné Ract-Madoux et l’ensemble du groupe Union Centriste, je voterai en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, RDSE, GEST, SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Christian Klinger.
M. Christian Klinger. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « tout est bon dans le cochon » a-t-on coutume dire. Aujourd’hui, j’ai envie de dire « tout est bon dans le chanvre », à la lecture de cette proposition de résolution !
Au sortir d’un été marqué par la sécheresse et à l’heure des économies de chauffage, le développement en France de la filière du chanvre, plante sobre en eau et aux usages multiples, paraît donc une évidence. C’est une plante qui pousse vite, résiste à la sécheresse et ne réclame pas d’apports en produits chimiques. Les chiffres de la filière démontrent son intérêt.
De moins de 4 000 hectares en 1990, nous sommes passés à près de 22 000 hectares en 2022. Cultiver du chanvre, mais pour quoi faire ? Tout ou presque, si l’on en croit ses zélateurs. Tee-shirts, nappes, papiers, le chanvre est encore utilisé pour produire des fibres textiles et permet aussi de fabriquer du papier sans abattre d’arbres. Est apparu également le béton de chanvre, un matériau de construction biosourcé, dont les propriétés isolantes en font aujourd’hui un précieux atout. Puis des fibres encore plus techniques, notamment dans l’industrie automobile, sont devenues des substituts aux fibres de verre beaucoup plus polluantes.
Les graines riches en protéines sont utilisables dans l’alimentation animale comme humaine.
Cette plante est donc au cœur de nombreuses innovations, d’une forte demande sociale et d’opportunités économiques. J’ai relevé plus de 600 produits dérivés brevetés dans le monde, dont la moitié proviennent malheureusement toujours de Chine.
D’autres pays ont bien compris l’intérêt de cette culture et se sont d’ores et déjà saisis de cette chance de développement. À titre d’exemple, lorsque les États-Unis ont décidé de soutenir la filière, ils sont passés de 9 000 à 33 000 hectares en un an.
À notre tour, nous devons soutenir la filière et créer un écosystème favorable, avec des règles claires. Surtout, dépassionnons le débat autour du caractère psychotrope du cannabis. Fibres, graines… la plante, vous le savez, a aussi des feuilles et des fleurs. Se pose dès lors un problème de réglementation au sujet du chanvre « bien-être », réglementation qui paraît, à ce jour, assez confuse. Autorisée par l’Europe, la commercialisation des fleurs et des feuilles a été suspendue par un arrêté, lequel a été invalidé par le Conseil d’État en janvier dernier. Quant à la Cour de cassation, elle a légalisé la commercialisation de ces produits.
Bref, si nous voulons une nouvelle filière française d’excellence, celle des extraits de chanvre, il s’agit de donner à nos entreprises la possibilité d’investir sereinement et pleinement ces marchés d’avenir, en clarifiant les réglementations applicables aux différents produits finis et en les alignant sur celles de nos homologues européens et britanniques, pour jouer à armes égales.
Si le chanvre a une croissance très simple depuis la plantation jusqu’à la récolte, cette dernière nécessite un matériel spécifique et un temps d’intervention plus long que pour la majorité des cultures, la graine étant fragile et la paille demandant plusieurs interventions avant sa transformation.
La culture du chanvre nécessite donc des outils spécialisés et, partant, des investissements. Or les investisseurs demeureront frileux tant que les règles ne seront pas claires ni pérennes.
La position de la France, si elle reste figée, reviendra donc à favoriser ses pays voisins, sans aucune justification rationnelle.
Voilà un an, nous avons débattu ici même de ce sujet. Le Gouvernement annonçait sa volonté de « mettre en place un cadre réglementaire pour permettre le développement sécurisé de la filière ». Force est de le constater, le dossier n’a pas bougé. Pourquoi attendre ?
La loi relative à la transition énergétique prévoit la conception de bâtiments à énergie positive. Faisons en sorte que ces matériaux de construction biosourcés soient disponibles sur le marché.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, si tout est bon dans le cochon, c’est aussi le cas du chanvre ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je dois reconnaître au groupe Écologiste – Solidarité et Territoires et à son président, Guillaume Gontard, une constance qui l’honore, puisque le Sénat avait lancé ce débat important sur l’avenir de la filière du chanvre en février dernier, sur son initiative.
Cette proposition de résolution nous permettra d’approfondir les échanges que vous aviez alors eus avec le Gouvernement. Elle montre, par la diversité des soutiens qu’elle a recueillis sur ces travées, toute l’importance de ce sujet, ainsi que sa complexité.
Cela a été dit, il s’agit d’un point de consensus. Toutefois, je me permets de le souligner de nouveau : le chanvre est une filière dont nous devons soutenir le développement, en raison des opportunités qu’elle offre d’un point de vue agroécologique.
Il s’agit en effet d’une culture qui nécessite une quantité relativement limitée d’azote et pas d’irrigation, hors conditions climatiques exceptionnelles, du fait de ses racines profondes.
Elle ne nécessite aucun traitement phytosanitaire, ce qui, du fait également de la biomasse produite, en fait un réservoir de biodiversité d’insectes et d’arthropodes, dont notamment des espèces régulatrices des ravageurs de cultures.
En outre, le chanvre participe à l’allongement des rotations des exploitations de grandes cultures et à la diversité des assolements.
Enfin, l’utilisation de plus en plus répandue de ses produits dans le bâtiment en fait un produit agricole contribuant à stocker du carbone au lieu d’en émettre.
En cela, il sera important de veiller à ce que l’amont agricole soit bien considéré dans le calcul des « crédits carbone » générés. L’enjeu est que les producteurs soient équitablement rémunérés par la vente de ces crédits carbone, ce qui participera à l’attractivité de la culture du chanvre pour les agriculteurs.
Nous veillerons donc à ce que cela soit bien pris en compte par le Groupe scientifique et technique du label bas-carbone dans les méthodologies de calcul, pour le chanvre et, plus globalement, pour les biomasses agricoles valorisées dans les autres secteurs industriels. (Des bruits de conversation se font entendre sur diverses travées.)
Je voudrais vous assurer que mon collègue Marc Fesneau œuvre significativement en faveur du développement de la filière au ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, au travers du dialogue constant qu’il entretient avec Interchanvre, l’interprofession.
Le Gouvernement intervient aussi financièrement : outre les aides classiques de la politique agricole commune, la filière chanvre bénéficie d’une aide couplée de 96 euros à l’hectare, si la production est contractualisée et que la variété est certifiée. (Les bruits de conversation persistent.)
Les enjeux sont majeurs pour la France, premier producteur de chanvre au niveau européen, mais aussi mondial. Le développement de la filière chanvre n’est d’ailleurs pas uniquement un objectif que nous devons nous fixer en matière agricole et alimentaire, puisque les débouchés qu’elle offre peuvent constituer des atouts intéressants pour notre pays en matière énergétique, écologique ou industrielle. (Les bruits de conversation se font plus intenses.)
Mme le président. Chers collègues, je vous demande, par respect, d’écouter Mme la secrétaire d’État !
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État. Dans un contexte d’accroissement des surfaces, multipliées par trois en dix ans, la culture du chanvre alimente ainsi de nombreux marchés, qui vont de la papeterie à l’automobile, du bâtiment au jardinage, en passant par la plasturgie, l’alimentation animale et humaine ou encore le textile.
J’ajoute – il s’agit d’un point absolument essentiel du point de vue du dynamisme et de la vitalité économique de nos territoires, notamment ruraux – que la filière se caractérise, notamment, par l’existence d’un grand nombre d’acteurs de taille modeste, fonctionnant en circuits courts, avec un ancrage territorial particulièrement fort. J’y suis, comme vous, profondément attachée.
La proposition de résolution examinée aujourd’hui s’inscrit résolument dans cette logique de soutien au développement de la filière chanvre en France. Le Gouvernement estime que cette initiative sénatoriale viendra utilement enrichir les réflexions à mener dans cette perspective.
Le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire est prêt à continuer à travailler en lien très étroit avec le Sénat sur la dimension agricole du sujet.
J’en viens maintenant au second volet de cette proposition de résolution, qui concerne un sujet dépassant largement le champ de l’agriculture, celui de l’amélioration de la réglementation des produits issus du chanvre.
Il s’agit d’un sujet auquel le Gouvernement apporte une attention toute particulière et sur lequel, loin des caricatures qui peuvent parfois caractériser ces débats – tel n’est pas ici le cas –, nous souhaitons poser les enjeux avec exigence et méthode.
Je voudrais aller dans le sens de ce qui a été dit par plusieurs orateurs. Oui, il existe incontestablement des enjeux autour de la réglementation des produits issus du chanvre, dont la consommation de cannabidiol est naturellement le plus évident, mais pas le seul.
Ces sujets importants ont été posés avec plus d’acuité encore avec la suspension, par le Conseil d’État, du cadre réglementaire global dont la France s’était dotée.
Ce dernier devait permettre le développement sécurisé de la filière agricole du chanvre, ainsi que des activités économiques liées à la production d’extraits de chanvre, à la commercialisation de produits qui les intègrent, tout en garantissant la protection des consommatrices et des consommateurs ainsi que le maintien de la capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure dans la lutte contre les trafics de stupéfiants.
L’absence d’une réglementation claire soulève, il est vrai, un certain nombre de difficultés. J’en citerai trois.
Tout d’abord, je pense à une forme d’instabilité pour les acteurs de la filière, que ce soit le monde agricole et industriel, les laboratoires ou le commerce de détail, qui manquent de visibilité dans la conduite de leurs projets économiques.
Ensuite, si la commercialisation est possible en France, elle concerne une immense majorité de fleurs et d’extraits commercialisés issus de l’importation, ce qui constitue un enjeu pour notre filière et sa place de leader.
Enfin, il s’agit d’assurer la sécurité en termes de consommation. En effet, je tiens à le souligner ici, si le cannabidiol n’est pas classé comme un stupéfiant, il s’agit tout de même d’une substance à effet psychoactif, dont les risques pour la santé continuent d’être expertisés.
Partant de ces constats, je voudrais partager avec vous quelques éléments de réflexion.
Premièrement, que nous dit le Conseil d’État ? Que les produits dont la teneur en tétrahydrocannabinol n’est pas supérieure à 0,3 % ne revêtent pas un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d’interdiction générale et absolue de leur vente et de leur consommation.
En effet, à ce stade, il n’a pas été établi que le CBD est dangereux. Mais il n’a pas non plus été établi scientifiquement qu’il ne l’est pas ni dans quelle limite de consommation il ne l’est pas.
C’est la raison pour laquelle je nous invite collectivement à faire preuve de prudence sur ce sujet, mais aussi à suivre le travail scientifique que mène actuellement l’Autorité européenne de sécurité des aliments, car seule la science, me semble-t-il, doit éclairer nos décisions s’agissant d’un sujet aussi délicat. Il s’agit, je crois, du chemin que nous devons emprunter, sans précipitation.
Deuxièmement, je tiens à le souligner, en l’état actuel de la réglementation, les services de police et de gendarmerie sauront rechercher et relever les infractions comme la provocation, même non suivie d’effet, à l’usage illicite de stupéfiants. Il n’est pas acceptable, par exemple, que des publicités en faveur du cannabidiol entretiennent la confusion avec le cannabis, faisant ainsi indirectement la promotion de ce stupéfiant.
En dépit de la suspension de certaines dispositions de l’arrêté du 31 décembre 2021, nous ne sommes donc pas dans un no man’s land juridique. Nous sommes bel et bien en mesure de lutter contre tout ce qui peut s’apparenter à la promotion et à la banalisation du cannabis. Il s’agit, je le rappelle, de la manière la plus claire possible, de la position ferme et constante du Gouvernement sur ces sujets.
Naturellement, au-delà de ces réponses, qui sont absolument nécessaires, des réflexions interministérielles sont en cours sur ce qui pourrait constituer une politique de contrôle aboutie de la commercialisation des extraits de chanvre. Certaines des orientations de cette proposition de résolution pourraient d’ailleurs en partie être intégrées dans le cadre de ces réflexions.
Je vois trois enjeux à ces contrôles, qui relèvent de la compétence à la fois de nos services et des services de la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes).
Le premier est de contrôler l’absence de pratiques commerciales trompeuses et de tromperie sur les qualités substantielles du produit relevant du code de la consommation, notamment en cas d’allégations trompeuses, par exemple en matière de santé, non autorisées ou thérapeutiques, en lien avec l’utilisation d’extraits de chanvre.
Le deuxième enjeu est de donner des informations claires aux consommateurs sur les « bonnes pratiques d’utilisation » et sur les publics pour lesquels la consommation d’extraits de chanvre est à éviter, à savoir les jeunes enfants et les femmes enceintes.
Le troisième enjeu concerne la réalisation de contrôles aléatoires sur les produits commercialisés en France, afin de vérifier notamment l’absence de contamination des extraits par le THC et d’éviter ainsi des risques de santé publique. Ces produits n’échapperont pas aux retraits et rappels en cas de non-conformité.
J’ajoute, s’agissant du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, qu’un nouveau conseil scientifique, piloté par l’interprofession Interchanvre, a été créé en février 2022, afin d’accompagner au mieux les agriculteurs qui souhaitent produire des fleurs de chanvre. Trois groupes de travail ont été constitués sur la génétique, sur l’itinéraire technique du chanvre à destination de la production de fleurs, sur la mécanisation de la récolte des fleurs. Une feuille de route est donc en cours de définition.
Enfin, je tiens tout de même à vous faire partager des interrogations sur les conséquences agricoles, alimentaires et environnementales que pourrait avoir un développement débridé des débouchés liés à la consommation de cannabidiol et autres extraits de chanvre qui se vendent à prix d’or. Allons-nous nous nourrir d’extraits de chanvre ? À ce jour, la production de chanvre à fleurs est bien distincte de celle du chanvre destiné à la production de graines et de fibres.
Il nous appartient ainsi de peser les conséquences d’un tel choix sur les autres débouchés, qui pourraient mécaniquement perdre de leur attractivité, parfois déjà fragile. Je pense en particulier à l’alimentation humaine et animale, enjeu de souveraineté alimentaire, ou encore à l’isolation des bâtiments, enjeu d’indépendance énergétique et de transition écologique. Or ce sont bien ces priorités qui sont à l’agenda des priorités du Gouvernement.
Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, sans en partager toutes les orientations, en particulier s’agissant des préconisations formulées sur la réglementation des produits issus du chanvre, le Gouvernement considère que cette proposition de résolution est très utile au débat et se saisira du vote du Sénat pour poursuivre et accélérer les réflexions indispensables à un développement maîtrisé et ambitieux de cette filière. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Daphné Ract-Madoux et M. Emmanuel Capus applaudissent également.)