Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’aimerais tout d’abord saluer la vigilance aiguë dont a fait preuve le président Jean-Claude Requier sur un sujet qui, malgré sa technicité, n’en reste pas moins important.
Je n’entrerai pas dans les détails de sa complexité ; tout a déjà été dit, avec une grande virtuosité juridique, tant par l’auteur de la proposition de loi que par notre rapporteure, Maryse Carrère.
M. Philippe Bas. Quelle chance !
M. Jean-Yves Roux. La loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a modifié l’article 367 du code de procédure pénale. Ainsi a-t-elle fait évoluer, une nouvelle fois, les conditions d’incarcération ou de libération des personnes jugées par une cour d’assises, en particulier celles dans lesquelles l’arrêt rendu par la cour d’assises peut valoir titre de détention.
Au cours de cette réécriture, un oubli rédactionnel aux conséquences potentiellement graves a été décelé, ce qui nous rappelle que la procédure pénale n’est pas une affaire technocratique. Cet oubli concerne le cas où la personne jugée par la cour d’assises est déjà en détention et se voit condamnée à une peine d’emprisonnement inférieure à dix ans.
Il est donc nécessaire de reformuler une partie de l’article 367 du code de procédure pénale afin que la cour d’assises puisse, par décision spéciale et motivée, décider de décerner mandat de dépôt, lorsque l’accusé est détenu au moment du prononcé de l’arrêt et est condamné pour crime à une peine d’emprisonnement ferme, sans pour autant que la peine prononcée constitue une peine de réclusion criminelle.
Je salue la rédaction adoptée par la commission des lois, qui s’inscrit dans l’esprit du texte initial, tout en lui offrant plus de simplicité et de lisibilité.
Cette solution s’inspire du décret du 25 février 2022 portant application de l’article 367 du code de procédure pénale, que le Gouvernement avait adopté afin de pallier ce vide législatif.
Comme cela a été souligné, ce dispositif actuellement en vigueur risque d’être frappé d’inconstitutionnalité, puisqu’il ne respecte pas la définition des domaines de compétence respectifs du législateur et du pouvoir réglementaire, issue des articles 34 et 37 de la Constitution.
Heureusement, à ce jour, aucun recours direct ou indirect n’a été formé contre le décret. Néanmoins, nous ne saurions laisser le droit dans un tel état de précarité. Naturellement, le groupe RDSE est favorable à l’adoption du dispositif législatif proposé.
Il apparaît donc essentiel que cette proposition de loi arrive au terme de la navette parlementaire, durant les prochaines semaines, afin d’éviter toute déconvenue.
Enfin, pour faire écho aux propos introductifs du président Requier, je veux, à mon tour, souligner que nous sommes confrontés à l’une des conséquences de l’encombrement du calendrier parlementaire. Les lois sont trop nombreuses, trop longues, parfois bavardes ou redondantes. Le rythme parlementaire nous conduit à mal travailler sur des dispositifs, certes techniques, mais non dépourvus d’implications concrètes.
Les conditions qui ont conduit à la rédaction de ce texte n’illustrent, hélas ! que trop bien les effets de cette méthode.
Cette situation rappelle, dans un autre registre, les mesures successives sur l’élection des juges consulaires, un texte venant corriger l’autre. Sur ce sujet aussi, le Sénat s’est montré vigilant, grâce à la mobilisation de notre collègue Nathalie Goulet.
En conclusion – vous l’aurez compris –, le groupe RDSE votera, sans réserve, cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues,…
M. Philippe Bas. Très bien ! (Sourires.)
Mme Agnès Canayer. … si « la loi n’a plus tous les droits », comme le souligne la juriste Mireille Delmas-Marty, elle a néanmoins une utilité et une place certaines au sein du droit, consacrées par l’article 34 de la Constitution.
Le droit a besoin de la loi et surtout d’une loi claire, intelligible et réfléchie. Le législateur a donc une grande responsabilité, celle de faire de bonnes lois. Tel est aussi l’objet de l’examen de ce texte.
La proposition de loi, présentée par le président Jean-Claude Requier et douze de nos collègues, complète les dispositions relatives aux modalités d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises.
Surtout, cette proposition de loi corrige une malfaçon, introduite à l’Assemblée nationale, dans la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, dont mon collègue Philippe Bonnecarrère et moi-même étions les rapporteurs.
En effet, cette loi ne prévoyait pas le cas où un accusé détenu, est condamné par la cour d’assises à une peine inférieure à la réclusion criminelle, soit moins de dix ans d’emprisonnement ; il aurait alors fallu que la cour puisse décerner un mandat de dépôt afin de l’incarcérer immédiatement.
Cette omission dans la loi signifiait qu’un condamné pouvait être remis en liberté immédiatement après le rendu du jugement.
Pour clarifier la situation, le ministère de la justice a comblé cette carence en prenant le décret du 25 février 2022, solution temporaire et fragile.
Si l’on peut saluer cette tentative réglementaire, il fallait une disposition législative, en vertu de l’article 34 de la Constitution, pour réparer cet oubli. En effet, seul le législateur peut jeter des bases solides et apporter une solution pérenne, qui comble cette lacune.
Aussi la proposition de loi que nous examinons reprend-elle l’esprit du décret précédemment cité, mais dans une volonté de simplification, nourrie par une rédaction concise et claire. En effet, la rapporteure de la commission des lois, Mme Maryse Carrère, a tenu à clarifier le texte afin de le rendre plus accessible. C’est ainsi que la proposition de loi modifie le code de procédure pénale.
Si nous pouvons nous féliciter d’être parvenus à résoudre, une fois pour toutes, par la bonne voie législative, cette carence regrettable, il n’en reste pas moins que nous devons aussi nous interroger sur les raisons qui nous conduisent à nous réunir, une fois encore, à une heure tardive, pour combler l’un de ces trous dans la raquette qui résultent de lois établies dans la précipitation.
En effet, l’urgence ne permet pas d’apprécier les conséquences réelles des mesures adoptées, comme on aurait pu le faire en menant au préalable une véritable étude d’impact. C’est uniquement lors de leur application effective qu’apparaissent les erreurs législatives.
L’inadéquation avec la pratique est aussi souvent due – nous le savons – à l’enchevêtrement complexe des règles. La justice pénale en est, en France, une parfaite illustration.
Depuis plusieurs années, le Sénat déplore la complexification des lois, des codes et des procédures, ainsi que l’inflation normative et législative. En effet, lorsque la loi devient bavarde, l’essentiel disparaît au profit de l’accessoire. (M. le garde des sceaux approuve.)
La superposition des textes juridiques, sans aucune refonte globale, contribue elle aussi à l’opacité des règles. Le chantier de la simplification de la procédure pénale reste un véritable serpent de mer. Les États généraux de la justice ont mis l’accent, avec acuité, sur la nécessaire refonte du code de procédure pénale devenu peu praticable. En effet, entre 2008 et 2022, le nombre des articles de la partie législative de ce code est passé de 1 722 à 2 403.
En conséquence, je forme le vœu que cette réforme essentielle de la procédure pénale puisse être engagée. Celle-ci est d’autant plus nécessaire que les délais de jugement des crimes sont toujours proches de cinquante mois.
Mon groupe votera donc en faveur de cette utile proposition de loi du président Jean-Claude Requier, largement améliorée par la rapporteure Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en 2021, sur 32 000 affaires suivies par des juges d’instruction, 1 700 arrêts ont été prononcés par les cours d’assises à la suite d’un procès, pour environ 2 800 auteurs de faits mis en accusation.
Les affaires portées devant une cour d’assises ne représentent qu’une part minoritaire de la totalité des affaires pénales. Toutefois, elles concernent les infractions les plus graves de notre droit. La procédure relative à ces affaires se doit d’être irréprochable.
La proposition de loi que nous examinons porte sur les dispositions de l’article 367 du code de procédure pénale qui règlent le sort de l’accusé une fois que la cour d’assises a rendu son arrêt.
Par souci de simplification, une loi de 2011 prévoyait que l’arrêt de la cour d’assises valait titre de détention, sans que celle-ci ait besoin de décerner un mandat de dépôt.
Alors que la loi du 22 décembre dernier visait à apporter plus de nuances à ce principe, ceux qui en ont examiné le texte ont, sans le vouloir, laissé subsister un vide juridique s’agissant des hypothèses dans lesquelles l’arrêt de la cour d’assises vaut titre de détention.
En effet, un cas a été omis : celui où l’accusé, détenu au moment où l’arrêt est rendu, est condamné à une peine inférieure à dix ans d’emprisonnement. Heureusement, cette situation ne s’est jamais présentée – mes collègues l’ont rappelé.
C’est pourquoi, pour éviter des libérations inopportunes, le décret du 25 février dernier a remédié à cet oubli. Cependant, en vertu de l’article 34 de la Constitution, les règles de procédure pénale doivent être fixées par la loi. La proposition de loi reprend donc toutes les hypothèses visées dans ce décret.
Cette initiative est essentielle à plusieurs égards Tout d’abord, la loi pénale doit être précise et prévisible, chacun étant en droit de savoir à quoi il s’expose et dans quelles conditions.
Ensuite, dans une démocratie, l’existence d’un lien de confiance entre la société et la justice est indispensable. Or, pour les victimes, comme pour l’ensemble des citoyens, il serait inconcevable qu’un détenu condamné à une peine d’emprisonnement soit remis en liberté, même de façon temporaire, en raison de lacunes rédactionnelles ou législatives.
En outre, la rédaction simplifiée du texte de la commission complète parfaitement les dispositions du décret pris par le pouvoir exécutif.
Enfin, il semble tout à fait légitime d’appliquer ces mesures en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.
Avant de conclure, je tiens à saluer la qualité des travaux de la rapporteure et à remercier le président Requier pour cette initiative.
Ainsi, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera cette proposition de loi à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie l’auteur de cette proposition de loi, qui à l’époque de la concentration des médias, continue de soutenir la presse indépendante en la lisant ; je remercie également Mme la rapporteure pour ses explications limpides qui ont éclairé notre regard sur un sujet important et très particulier.
Nous voilà donc devant un texte qui n’a d’anodin que la simplicité de son objectif et qui relève – et révèle – plusieurs aspects cruciaux de notre système.
Il s’agit – disons-le clairement –, comme l’a rappelé la rapporteure, de corriger une « malfaçon législative ».
L’enfer est pavé de bonnes intentions. On pourrait aussi dire qu’il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Ces adages, trop souvent répétés, trouvent pourtant corps dans notre processus décisionnel.
La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a permis la mise en œuvre des recommandations issues d’un rapport de 2008, préconisant une simplification des modalités d’incarcération ou de libération, à la suite du prononcé de l’arrêt des cours d’assises.
Vous connaissez ma méfiance – je ne suis pas seul dans ce cas – envers le terme de « simplification » qui sert parfois de prétexte, dans les modifications apportées à notre système pénal, à la mise à l’écart d’un juge ou à une restriction des droits de la défense.
Mais, ici, la simplification ne peut – et ne pouvait – que faire l’unanimité, dès lors qu’elle s’exprime ainsi : la décision de la cour d’assises et du tribunal correctionnel vaut titre de détention.
Pourtant, la mise en œuvre de cette possibilité, à savoir que la décision de la cour soit considérée comme nécessaire et suffisante s’agissant de l’incarcération d’un justiciable condamné, a souffert d’une erreur rédactionnelle, puisque l’on en a limité le champ au cas d’une condamnation criminelle sans l’appliquer à celui d’une peine correctionnelle. Or errare humanum est, perserverare diabolicum. L’erreur est humaine, mais persévérer dans son erreur est plus problématique.
M. Philippe Bas. Merci pour la traduction ! (Sourires.)
M. Guy Benarroche. Pour corriger cette difficulté, le Gouvernement a publié un décret. Comment a-t-on pu croire, monsieur le garde des sceaux, que l’on pouvait clarifier la situation par un simple décret ? Vous nous en avez expliqué les raisons (M. le garde des sceaux le confirme.), mais l’un des fondements de notre société est que, en matière de droit pénal, les règles sont fixées par la loi et par les représentants du peuple.
Toute l’acceptabilité du droit pénal et de sa procédure s’enracine dans le fait que la loi est votée par des pairs, puis que l’on est jugé par ses pairs via des jurés populaires dans les cours d’assises. Ce principe risque d’ailleurs d’être mis à mal par la généralisation des cours criminelles départementales, objet d’un rapport qui vient de vous être remis par le comité d’évaluation et de suivi où siègent des parlementaires, dont Maryse Carrère et moi-même.
Je sais combien le Président de la République et ses gouvernements successifs sont friands de légiférer par ordonnances et la multiplication inquiétante de celles-ci fait l’objet d’un suivi justifié par la Haute Assemblée. Toutefois, la procédure pénale relève bien, selon l’article 34 de la Constitution, du domaine de la loi.
Je profite de cette intervention pour encourager le Gouvernement à concentrer son action sur la publication des décrets nécessaires à la bonne application de la loi et ce, quel que soit le texte voté par le Parlement.
Afin d’éviter tout recours visant à contester une incarcération au motif d’absence de base légale, le groupe RDSE – que je remercie – a inscrit l’examen de ce texte, dans le cadre de sa niche parlementaire. Nous le voterons de manière unanime afin de corriger l’erreur initiale introduite dans un précédent texte de loi, à laquelle nous avons tous contribué, ainsi que celle du Gouvernement dans sa tentative de réparation inadaptée au travers d’un décret.
Le groupe GEST votera donc en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vous l’avez rappelé, cher président Requier, l’objet de cette proposition de loi est simple, mais n’en reste pas moins essentiel, puisque le texte corrige une malfaçon issue de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire. Celle-ci n’avait rétabli l’obligation pour la cour d’assises de décerner un mandat de dépôt, à effet immédiat ou différé, que lorsque l’accusé comparaissait libre et qu’il était condamné à une peine d’emprisonnement ferme, laissant un vide s’agissant des accusés comparaissant détenus.
Un décret du 25 février 2022 portant application de l’article 367 du code de procédure pénale palliait cette incongruité, afin d’éviter que certains accusés ne soient remis en liberté par les juridictions, en prévoyant le cas dans lequel l’accusé comparaissait détenu et était condamné à une peine d’emprisonnement ferme.
La commission des lois a, par la voix de sa rapporteure Mme Maryse Carrère, retenu une rédaction plus concise pour préciser que l’arrêt vaudra titre de détention, lorsque l’accusé est condamné à une peine de réclusion criminelle, ou s’il comparaît détenu devant la cour d’assises. Ces dispositions seront également étendues à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
Le groupe RDPI votera donc la proposition de loi ainsi modifiée.
L’examen de ce texte démontre une nouvelle fois que le législateur n’est pas infaillible. Je suis moi-même intervenu, il y a tout juste un mois, en tant que rapporteur d’une proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, dont l’objet était de réparer des malfaçons législatives introduites par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, du 22 mai 2019, à l’occasion de la réforme du régime électoral de ces juges.
Ce n’est finalement qu’une illustration supplémentaire des limites de la procédure accélérée et de notre propension à légiférer dans l’urgence, elles-mêmes induites par la densité de nos travaux.
Compte tenu de l’ordre du jour chargé du Parlement, peut-être serait-il opportun d’envisager de regrouper au sein d’un seul et même texte des corrections comme celles-ci.
Enfin, nonobstant la malfaçon législative qu’elle renfermait, je tiens à souligner – rapidement, rassurez-vous – les avancées de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Je pense notamment aux procès filmés, aux enquêtes préliminaires limitées à deux ans, au secret professionnel des avocats ou encore à la généralisation des cours criminelles au 1er janvier 2023, qui sont en expérimentation dans quinze départements depuis septembre 2019.
Je suis conscient de la réticence que cette dernière mesure suscite chez certains, étant moi-même très attaché à la persistance des jurés populaires, qui sont l’expression de la participation des citoyens à la justice.
Néanmoins, je rappelle que les réformes des cours d’assises ont toujours été réalisées avec parcimonie – c’est la quatrième en vingt ans – et que la mise en place de ces cours a déjà permis l’abaissement du taux d’appel, la réduction du délai d’audiencement ainsi que d’éviter que certains crimes sexuels ne soient correctionnalisés.
En outre, les jurés populaires subsisteront au sein des cours d’assises traditionnelles, pour toutes les infractions punies de plus de vingt ans de réclusion criminelle, ainsi qu’en appel.
Si l’on se réfère aux crédits alloués à la justice ces trois dernières années, je ne vous ferai pas offense, monsieur le garde des sceaux, en vous disant que sans moyens, tant pour ce qui est des magistrats et du personnel judiciaire qui mènent ces audiences qu’en matière de locaux pour les accueillir, ces cours criminelles n’auront qu’une utilité relative sinon nulle. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie Jean-Claude Requier d’avoir identifié – que ce soit par le biais d’un « canard déchaîné » ou d’un conseiller juridique, peu importe ! (Sourires.) – ce dysfonctionnement qui nous a contraints à une torsion du système durant plusieurs mois.
En effet, constitutionnellement, la détermination des peines relève du domaine de la loi, selon l’article 34, le domaine du règlement étant défini par l’article 37 – mes collègues l’ont rappelé à de multiples reprises. Or, dans ce cas précis, aucune disposition législative suffisante n’existe.
Actuellement, le cas d’un accusé, déjà détenu, condamné à une peine d’emprisonnement, qui par définition ne peut pas excéder dix ans, est réglé par décret, selon un procédé que je qualifierai d’« aléatoire », d’un point de vue constitutionnel.
Cette solution palliative ne fait que masquer un défaut et n’existe que pour éviter que certains mandats de dépôt ne soient privés de fondement légal. Il est d’ailleurs prévu de reprendre dans la loi le dispositif existant, défini par le décret du 25 février 2022 pris par vos soins, monsieur le garde des sceaux.
L’objet de notre discussion n’est donc pas le fond, mais la forme, car on ne saurait se satisfaire de cette méthode, qui ne respecte pas les dispositions de notre Constitution.
En l’espèce, cette situation – qu’on ne peut que regretter – nous contraint à avoir un débat qui n’en est pas un, puisque personne sur ces travées ne remet en cause le respect des définitions des domaines législatif et réglementaire.
En effet, priver une personne d’une liberté publique, en l’occurrence celle d’aller et venir, ne peut relever que du domaine de la loi. N’en déplaise à certains, le domaine du pouvoir réglementaire est heureusement circonscrit. Tout ne peut pas être réglé par voie d’ordonnances et de décrets.
Toutefois, je profite de cette intervention pour vous faire part d’un sentiment – également évoqué par d’autres collègues – quant à la fabrique de la loi. Le vide juridique qui nous occupe aujourd’hui a été créé par les modifications apportées au code de procédure pénale par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.
À l’époque, les débats ne nous ont pas permis d’identifier cette situation, qui relève donc d’un oubli. Sans gloser sur les raisons qui l’expliquent, le manque de temps que l’on invoque souvent est à mes yeux essentiellement dû à une pratique devenue la norme. Depuis plusieurs années, l’examen de la majorité des projets et propositions de loi par le Parlement est soumis à la procédure accélérée. Or celle-ci, que l’on a appelée « procédure d’urgence » jusqu’en 2008, avait vocation, comme le terme initial l’indiquait, à n’être utilisée qu’exceptionnellement, en cas d’urgence.
Sa transformation en « procédure accélérée » est révélatrice de l’objectif visé pendant le quinquennat de son créateur, M. Sarkozy : son utilisation n’était plus liée à l’urgence, mais à la volonté d’écourter les débats. Sa banalisation participe de l’affaiblissement du Parlement, puisqu’elle abrège le débat parlementaire.
Cette pratique a pu aussi être utilisée par des gouvernements auxquels j’ai appartenu. Mea culpa ! (Mme Françoise Gatel s’en amuse.)
Emmanuel Macron, candidat à la présidence de la République, en a même fait un argument de campagne en 2017, indiquant dans son programme qu’il ferait de la procédure accélérée « la procédure par défaut de l’examen des textes législatifs afin d’accélérer le travail parlementaire ». Cette promesse de campagne a été manifestement tenue. Pourtant, tout juste intronisé, fort d’une majorité de soutien très large à l’Assemblée nationale – à l’époque – et disposant de tous les instruments du parlementarisme rationalisé pour mener à bien ses réformes, le Président de la République, Emmanuel Macron, n’avait pas besoin d’accélérer le temps de la délibération parlementaire.
En l’espèce, le temps d’examen nous a manqué, de sorte que, si j’étais cynique ou facétieux, je dirais que nous devons aujourd’hui prendre le temps d’examiner une proposition de loi, qui ne fait que corriger les effets d’un manque de temps.
Alors, prenons le temps de la réflexion, mes chers collègues, interrogeons-nous sur la manière dont nous souhaitons travailler. Ne confondons pas l’urgence d’une situation et l’empressement de nos gouvernants, car in fine la qualité de nos travaux en pâtit.
Comme le disait le professeur de droit constitutionnel, Guy Carcassonne, que nous sommes nombreux à avoir connu, « pour faire de bonnes lois, on n’a pas encore inventé mieux que le Parlement » – à condition bien sûr de lui laisser le temps de travailler. (Mme Françoise Gatel apprécie la référence.)
Vous l’aurez compris, nous souscrivons au rétablissement prévu dans cette proposition de loi et le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, à l’unanimité, votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’irai à l’essentiel, sans pour autant tomber dans la caricature. La précision apportée par la proposition de loi visant à compléter les dispositions relatives aux modalités d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises est intéressante. Comme cela a été abondamment rappelé, celle-ci permet de clarifier les dispositions de l’article 367 du code de procédure pénale, dont la rédaction issue de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire restait lacunaire.
Je ne rouvrirai pas le débat sur la meilleure manière de faire la loi, mais je rappelle qu’à l’époque, le groupe CRCE s’était opposé à la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire.
Bien que nous puissions envisager la pertinence d’un mandat de dépôt dans les cas les plus graves, tels que ceux relevant de la cour d’assises, notre groupe se doit d’être cohérent.
C’est pourquoi, tenant compte de notre opposition à la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire en 2021 et de notre engagement à mettre fin à la surpopulation carcérale, dont témoigne la proposition de loi déposée par notre collègue, la présidente Assassi, en septembre 2022, nous nous abstiendrons sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Lana Tetuanui. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Lana Tetuanui. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, le Parlement votait, en 2011, la simplification des modalités d’incarcération des accusés jugés par la cour d’assises. La condamnation à une peine privative de liberté, supérieure à la durée de la détention provisoire subie, pouvait alors valoir titre de détention de l’accusé.
En 2021, le Parlement s’est de nouveau penché sur cette question. Le législateur a introduit une exception dans l’hypothèse où l’accusé comparaissait libre et était condamné à une peine correctionnelle. Malheureusement, cette modification, opérée à l’occasion de l’examen du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, a introduit une erreur rédactionnelle en modifiant les modalités d’incarcération prévues par le code de procédure pénale. L’article 367 de ce même code précise que l’arrêt de la cour d’assises vaut titre de détention « si l’accusé est condamné à une peine de réclusion criminelle », écartant ainsi l’hypothèse où l’accusé comparaît détenu et est condamné à une peine d’emprisonnement inférieure à dix ans.
La rédaction actuelle de l’article 367 du code de procédure pénale entraînerait – malheureusement ! – la remise en liberté d’un accusé placé en détention provisoire avant l’audience, lorsqu’il est condamné à une peine d’emprisonnement ferme. Il est donc nécessaire d’adapter notre droit.
Un décret du Gouvernement, pris en février dernier, a tenté de clarifier les règles applicables à cette situation en précisant chaque cas pouvant être rencontré par la cour d’assises. L’arrêt de la cour d’assises vaut ainsi titre de détention si l’accusé comparaît détenu et qu’il est condamné à une peine d’emprisonnement inférieure à la réclusion criminelle. Cependant, bien que le décret ait probablement paré au plus pressé en tentant de lever l’ambiguïté qui s’était glissée dans l’article 367 du code de procédure pénale, les mesures relatives à la procédure pénale relèvent constitutionnellement du domaine de la loi. Ce décret ne pouvait donc régler durablement ce problème de droit.
La proposition de loi que nous examinons ce soir – ou plutôt ce matin ! – a pour objet d’intégrer dans la loi les dispositions prises par le décret du Gouvernement. Elle vise à corriger la malfaçon législative, introduite à l’article 367 du code de procédure pénale lors de sa dernière réforme. Elle précise les mesures applicables lorsque l’accusé est condamné par la cour d’assises, non à une peine de réclusion criminelle, mais à une peine d’emprisonnement ferme.
La commission des lois a adopté deux amendements, présentés par Mme la rapporteure, tendant à introduire des modifications d’ordre rédactionnel afin de simplifier la lecture du texte. En effet, la rédaction initiale comprenait de multiples similitudes avec un article figurant déjà dans la partie réglementaire du code.
Cette redondance et l’allongement de l’article 367 du code de procédure pénale auraient pu prêter à confusion quant aux intentions des auteurs de la proposition de loi Les modifications introduites par la commission ont abouti à une rédaction plus brève pour une clarification ponctuelle de l’article.
Enfin, il est prévu que les précisions apportées aux dispositions relatives aux modalités d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises soient appliquées dans les collectivités de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna, concernées par le principe de spécialité législative.
Il était indispensable de corriger rapidement cette erreur pour le bon fonctionnement de nos institutions judiciaires. C’est donc, sans surprise, que le groupe UC votera en faveur de cette proposition de loi, telle qu’issue des travaux de la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, RDPI et GEST.)