Mme Nathalie Goulet et M. Jérôme Bascher. Ou pas !
M. Emmanuel Capus. Cela vaut également pour celle de recourir au conseil.
Mme Nathalie Goulet et M. Jérôme Bascher. Ou pas !
M. Emmanuel Capus. Nous ne sommes donc pas favorables à la création de régimes spécifiques dont l’application est confiée à des autorités spécifiques, qui disposent de pouvoirs d’enquête et de sanction spécifiques.
Enfin, nous craignons que cette proposition de loi ne renforce des maux très français : bureaucratie (Marques d’ironie sur les travées des groupes SER et CRCE.), création de rapports, renforcement de la lourdeur administrative (Mêmes mouvements.),…
M. le président. Mes chers collègues, il serait bon que tous les avis puissent s’exprimer !
M. Emmanuel Capus. … et mécaniquement augmentation du nombre de fonctionnaires (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC.), ce qui peut évidemment intéresser certains !
M. Pascal Savoldelli. C’est la fin de la démocratie !
M. Emmanuel Capus. Nous sommes convaincus que notre pays a au contraire besoin de souplesse et de simplicité. Les échanges entre le public et le privé sont monnaie courante dans beaucoup de pays, particulièrement dans ceux du nord de l’Europe. Et ils ne s’en portent pas plus mal ! Ces fertilisations croisées sont créatrices de synergies qui améliorent l’efficacité de l’action publique.
Nous devons bien sûr être très attentifs aux ressources de l’administration : elles proviennent de l’argent des Français et doivent donc être employées à bon escient et sans abus – cela va sans dire. Mais nous pensons qu’il faut également veiller à préserver leur efficacité si nous ne voulons pas travailler nous-mêmes à l’impuissance de l’administration.
Le Gouvernement a annoncé son intention d’encadrer davantage le recours aux prestations de conseil par les administrations publiques, et c’est une bonne chose.
L’une des manières de réduire ce recours, la plus efficace pour les libéraux que nous sommes, est certainement de réduire le périmètre d’action de l’État (Exclamations sur les travées du groupe CRCE. – Mme Françoise Gatel et M. Stéphane Ravier s’exclament également.), qui pourra ainsi se concentrer sur ses missions régaliennes, les plus essentielles, sur lesquelles il dispose d’une véritable expertise.
Vous l’aurez compris, dans sa majorité, le groupe Les lndépendants votera non pas comme M. Ravier… (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
M. Stéphane Ravier. Suspense insoutenable !
M. Emmanuel Capus. … ou certains autres, mais s’abstiendra. (Nombreuses marques d’ironie.)
M. Jérôme Bascher. Courageusement !
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fin du pantouflage et des allers-retours trop opaques entre les hautes sphères de l’État et les cabinets privés avait clairement été érigée en objectif par Emmanuel Macron. Comme nous en avons l’habitude, nous avons été quelque peu déçus de ce point de vue. Nos concitoyens espéraient pourtant que le devoir d’exemplarité serait réellement pris en compte.
Mais, à l’instar d’autres décisions, « ce n’est pas un échec, ça n’a pas marché », pour reprendre une expression souvent employée par le Président de la République, notamment à propos du sujet qui nous occupe.
Cette proposition de loi nous est soumise après les récentes révélations journalistiques sur l’augmentation notable des dépenses liées aux cabinets de conseil depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron.
Le groupe CRCE avait alors demandé l’ouverture d’une enquête sur l’influence de ces cabinets. Ce texte s’appuie, monsieur le ministre, sur les conclusions de la commission d’enquête transpartisane du Sénat, rendues au printemps dernier.
Pourquoi le recours à des cabinets de conseil privés suscite-t-il des reproches ? Surtout, que prévoit la présente proposition de loi pour faire face à l’explosion de l’intervention de ces cabinets ?
Tout d’abord, c’est non pas le recours même à une expertise extérieure qui est mis en cause, mais bien l’absence de transparence – or la transparence est nécessaire – sur les contrats et les montants qu’ils représentent, pour des résultats parfois plus que discutables.
Le désinvestissement dans la fonction publique, qui – il faut le reconnaître – résulte non seulement de l’action de ce président, mais aussi de celle de ses prédécesseurs, explique le recours massif à ces cabinets.
Les sociétés de conseil sont souvent perçues comme un moyen simple et agile, dans les moments de surcharge ponctuelle, de pallier le problème que posent les plafonds d’emploi. Cela entraîne des pertes de compétences au sein de l’administration ou des limitations de la montée en compétences – comme on le voit, par exemple, dans le domaine informatique.
Certains y voient l’action de pompiers pyromanes qui ne donnent pas les moyens à l’administration de rester compétente dans ses prérogatives afin de justifier les recours coûteux à une poignée de grosses entreprises de conseil. Pourtant, une large majorité des entreprises de conseil de moindre importance restent loin du pouvoir et des pratiques de ces grands groupes.
Le recours décuplé aux cabinets de conseil est aussi critiqué en raison du manque de transparence sur les résultats d’études coûteuses – Mme Éliane Assassi les a évoquées –, non publiées, notamment dans l’éducation nationale, mais aussi du doublon des missions entre privé et public – elle en a également parlé –, par exemple dans le secteur de la petite enfance.
L’opacité qui règne sur le recours aux cabinets de conseil, sur la définition du besoin réel ou sur l’effectivité des rendus, est source de défiance de nos concitoyens à l’égard de notre système démocratique.
Au terme des travaux de la commission d’enquête sénatoriale, qui a soulevé de nombreuses problématiques, relevé des dérives, mais aussi formulé 19 recommandations, notre collègue Éliane Assassi a souhaité déposer la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise.
Si nous apprécions ce texte, nous pensons que certains points méritent si ce n’est une amélioration, au moins une discussion.
Nous regrettons ainsi que certains de nos amendements aient été déclarés irrecevables alors qu’ils portaient explicitement sur les « pouvoirs de contrôle et de sanction conférés à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) en vue de faire respecter ces obligations par les prestataires de conseil et les consultants ». En cela, ils étaient conformes aux règles relatives à l’application de l’article 45 de la Constitution indiquées dans le document de la commission des lois.
L’un de ces amendements ayant été déclaré irrecevable – nous le regrettons vivement – s’inscrivait dans la lignée de la proposition n° 42 de la mission d’évaluation de la loi Sapin II, menée en 2021 par les députés Olivier Marleix, du groupe Les Républicains, et Raphaël Gauvain, de La République En Marche.
Cet amendement visait en outre à répondre à une demande explicite de la HATVP elle-même, qui, dans son rapport d’octobre 2021, proposait – c’était sa proposition n° 10 – de « doter la Haute Autorité d’un pouvoir propre de sanction administrative en cas de manquement à l’obligation de dépôt […] d’une déclaration d’activités […], la sanction étant proportionnée à la gravité du manquement et à la situation de la personne poursuivie ».
Ce périmètre nous apparaissait déjà particulièrement restreint, car il ne permettait pas une discussion globale sur les lobbies et les liens d’intérêts entre secteur public et secteur privé. Notre groupe est certes minoritaire, et nos positions, hélas ! parfois aussi. Mais le refus de discussion dont témoignent des décisions irrévocables d’irrecevabilité pénalise l’exercice démocratique qui est le nôtre.
Cela étant, nous sommes globalement favorables au texte et à ses mesures novatrices. La plupart des dispositions de cette proposition de loi sont d’ordre normatif, mais certaines d’entre elles revêtent un caractère réglementaire : elles ont donc pour objectif d’inciter le Gouvernement à modifier les règles déontologiques. C’est bien là que le bât blesse. Car, comme lors de la création de la HATVP, ce sont parfois les décrets qui ne suivent pas !
C’est pourquoi nous aurons à cœur de discuter du texte. Nous attendons du Gouvernement qu’il s’engage à réduire le recours excessif aux cabinets de conseil et à permettre à la HATVP de fonctionner correctement.
Notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les pouvoirs publics ont toujours eu besoin de s’appuyer sur des compétences extérieures. C’est une réalité ancienne, qui ne date pas uniquement de l’élection présidentielle de 2017 : elle existe depuis de nombreux quinquennats et s’est accélérée depuis 2007.
Ressources humaines, informatique, gestion de données massives, communication, analyse comparative : les besoins sont en réalité nombreux. Pourquoi ? D’abord, parce que certains champs d’expertise très spécialisés nécessitent un recours à des cabinets de conseil. Ensuite, parce qu’un arbitrage apaisé appelle parfois un regard extérieur. Enfin, parce que l’urgence ou le lancement d’un projet impliquent l’action rapide et coordonnée d’un grand nombre de consultants, agissant uniquement dans un laps de temps déterminé, ce qui se prête mal au processus de recrutement de fonctionnaires.
Pour autant, le besoin ne sera pas toujours aussi important que durant la crise du covid-19. D’une part, nous avons vécu ces dernières années une accumulation de crises globales tout à fait inédite. D’autre part, chaque administration travaille son attractivité afin d’engager en interne les compétences dont elle a besoin.
Je tenais également à souligner que nous ne sommes pas les plus mauvais élèves en Europe. En 2018, un rapport relevait qu’en comparaison avec les autres pays européens, le conseil au secteur public apparaissait limité en France, les chiffres étant cinq fois plus élevés en Allemagne et quatre fois plus au Royaume-Uni.
La résolution n° 111 a été enregistrée à la présidence du Sénat le 27 octobre 2021. Une commission d’enquête a ensuite été constituée. Cette commission, dont j’étais membre, a entendu pendant quatre mois 47 personnes sous serment, lu les réponses à 131 questionnaires, et analysé 7 300 documents, comme mes collègues l’ont déjà souligné.
Le rapport a été rendu le 16 mars dernier, et je salue le fait que le Gouvernement ait pris en considération ses recommandations lors de l’élaboration du nouvel accord-cadre plafonnant les dépenses de conseil, renforçant la transparence et améliorant l’évaluation.
Par ailleurs, le Gouvernement a d’ores et déjà publié un « jaune budgétaire » annexé au projet de loi de finances pour 2023, intitulé Recours aux conseils extérieurs. Il s’agit là d’un pas supplémentaire vers plus de transparence.
Compétence, souveraineté, démocratie et légitimité de la décision : tels sont les enjeux que cette pratique implique et qu’il convient de sécuriser. Le Premier ministre avait déjà publié le 19 janvier dernier une circulaire fixant l’objectif ambitieux de diminuer de 15 % le volume des prestations de conseil en stratégie en 2022. Toutefois, les dispositions concernant la transparence méritent d’entrer dans le champ législatif.
Je salue le travail préalable, en 2014 et 2015, des rapporteurs de la commission des finances sur la communication de la Cour de Comptes. Le mercredi 12 octobre dernier, la commission des lois a adopté à l’unanimité la proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques. Tous les amendements de la rapporteure ont également été adoptés.
Cette proposition de loi vise à traduire dans la loi les préconisations de la commission d’enquête. Il s’agit d’assurer la traçabilité de la participation de ces cabinets et de garantir une meilleure information des citoyens, mais en aucun cas de « supprimer » le conseil.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Exactement !
Mme Nicole Duranton. Notre groupe, le RDPI, souhaite apporter quelques modifications au texte et a déposé cinq amendements à cet effet.
Notre premier amendement tend à préciser, à l’article 1er, le seuil des établissements publics concernés par le champ de la proposition de loi. En effet, il est essentiel d’éviter de faire peser une charge déraisonnable sur des structures de taille réduite. Le seuil de 60 millions d’euros de dépenses est déjà bien connu des acteurs concernés, car il correspond au seuil des avances obligatoires versées aux PME dans le cadre d’un marché public.
Le deuxième amendement vise à exclure les prestations de conseils internes à l’administration, pour éviter une surinterprétation par le juge.
Le troisième a pour objet de réaffirmer l’exclusion des prestations de gestion des ressources humaines et d’expertise informatique.
À l’article 11, nous défendrons un amendement visant à prévoir la définition par décret des modalités d’enregistrement des actions de démarchage, l’objectif étant d’aligner le dispositif sur les règles de droit commun.
Enfin, à l’article 18, notre amendement tend à limiter les obligations d’audit, souvent très coûteuses, aux marchés les plus sensibles qui le nécessitent.
En commission, d’aucuns ont envisagé d’appliquer le dispositif aux collectivités territoriales. En effet, les régions, les départements, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et certaines villes font aussi appel au conseil. Cela s’inscrit dans la suite logique des choses.
Toutefois, cette extension du champ de la loi doit passer par la fixation d’un seuil. Le Gouvernement et plusieurs collègues de différents groupes ont déposé des amendements tendant à porter ce seuil à 100 000 habitants. Ce nombre semble tout à fait adapté.
Je sais que M. le ministre aura à cœur de ne pas dévitaliser le texte de la commission. Il convient de rendre visible l’action de chaque acteur des politiques publiques, d’empêcher toute dérive, mais aussi de ne pas tomber dans la surenchère législative, de ne pas ajouter aux différents niveaux une surcharge de travail et des règles confuses.
Le groupe RDPI est favorable sur le principe à cette proposition de loi. Ses membres seront très attentifs au vote des différents amendements.
Le texte tel qu’il résulte des travaux de la commission est équilibré et s’inscrit dans la continuité des travaux de la commission d’enquête. Il faudra veiller à ce que le dispositif puisse facilement être mis en place par l’administration, en l’alignant le plus possible sur ce qui existe déjà pour les représentants d’intérêts. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord, au nom du groupe socialiste, à remercier très sincèrement nos collègues Éliane Assassi et Arnaud Bazin d’avoir mené, avec les membres de la commission d’enquête, un travail tout à fait remarquable, qui illustre une fois encore combien le Parlement, et particulièrement le Sénat, peut être utile et efficace lorsqu’il exerce pleinement la mission de contrôle qui lui est dévolue par la Constitution.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Ce travail a notamment permis l’ouverture d’une enquête judiciaire à la suite de la découverte du non-paiement de l’impôt sur les sociétés entre 2011 et 2020 par le cabinet McKinsey, alors que cette firme réalise en France un chiffre d’affaires annuel de plusieurs centaines de millions d’euros. C’est inacceptable ! Il est impossible que cela continue ainsi.
Grâce à la commission d’enquête, nous avons également appris que l’État avait dépensé en 2021 plus d’un milliard d’euros en prestations de conseil de cabinets privés, soit 45 % de plus qu’en 2018. Nous avons découvert que, lors de la crise sanitaire, il avait largement fait appel à ces cabinets. Pourtant, mes chers collègues, les services de l’État disposent de compétences considérables. Il est donc parfois regrettable de faire appel à des instances privées.
Mme Nathalie Goulet. Absolument !
M. Jean-Pierre Sueur. Un jour, j’ai appris qu’un ministre avait fait appel à un cabinet de conseil pour rédiger l’exposé des motifs d’un projet de loi. C’est absolument insupportable ! (Mme Nathalie Goulet approuve.) Si un ministre ne peut pas expliquer lui-même les raisons pour lesquelles il présente un projet de loi, alors c’est à désespérer de la politique !
Ne mélangeons pas tout. Il est vrai que dans certains domaines il est utile de faire appel à des compétences extérieures à l’administration ; personne ne le conteste. Mais encore faut-il que cela soit fait en toute transparence.
Mes chers collègues, nous avons nous aussi déposé quelques amendements pour élargir le champ du texte. Madame la rapporteure, vous nous avez dit qu’il vous était apparu plus sage de vous en tenir strictement au champ de la commission d’enquête. J’entends cet argument, mais rien n’empêche le législateur d’aller plus loin ! Si les principes sont bons, au terme des travaux de la commission d’enquête, pourquoi ne pas élargir le champ du texte aux collectivités locales d’une certaine importance – de plus de 100 000 habitants –, à la Caisse des dépôts et consignations, ainsi qu’aux assemblées parlementaires ?
Ne serait-il pas logique de nous appliquer à nous-mêmes les excellentes recommandations formulées dans le rapport ? Nous avons déposé un amendement en ce sens, en veillant à ce que sa rédaction préserve intégralement l’autonomie des assemblées parlementaires. C’est le bureau de chaque assemblée qui décidera des modalités de leur mise en œuvre.
Le but, c’est la transparence, même si diverses méthodes sont possibles pour l’atteindre. Nous avons grand intérêt, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, à jouer la carte de la totale transparence à l’égard de nos concitoyens.
Il est un livre très ancien, qui a connu quelque succès, dans lequel on peut lire cette phrase : « La vérité vous rendra libres. » (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les cabinets de conseil privés, acteurs de l’ombre, omniprésents pourtant, « tentaculaires », selon la commission d’enquête sénatoriale, ont été démasqués, dévoilés, mis au grand jour.
Les parlementaires du groupe CRCE, qui sont à l’origine de la création de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, ont conduit, sous la présidence d’Arnaud Bazin et avec Éliane Assassi, rapporteure, une investigation dont les résultats nous ont dépassés.
Ainsi, les travaux de la commission ont connu un fort retentissement dans l’opinion publique. Les cabinets de conseil constituent désormais un objet politique identifié et controversé. Nous devons collectivement nous en féliciter.
Ensuite, au terme de ces travaux, il est apparu nécessaire de légiférer rapidement, comme nous le faisons ce soir, pour traduire en actes les constats partagés à l’unanimité par les membres de la commission d’enquête.
Si le recours aux cabinets de conseil est ancien, l’ampleur du phénomène est inédite : ils représentent pour l’État un coût de 1 milliard d’euros en 2021. Mais ce qui change par rapport à hier, c’est la croyance toujours plus affirmée depuis le début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron qu’il existe une différence entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, les « sachants » appartenant aux cabinets de conseil, les autres étant dans l’administration.
Le monopole de la vérité objective et rationnelle incomberait à des cabinets connus pour appliquer les mêmes recettes à des problèmes différents, économies d’échelles obligent…
Nous nous souvenons des mots de Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République, le 12 décembre 2007, lors de la présentation de la fameuse révision générale des politiques publiques (RGPP) : « La réforme de l’État, je l’ai promise, je la ferai. Je la ferai parce que nos finances publiques doivent être redressées ». Ces mots, qui se sont traduits par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, ont porté un coup important à la capacité de la fonction publique de mener à bien ses missions.
Chacun reconnaît aujourd’hui que l’on est allé beaucoup trop loin. Il faut consacrer le retour du politique comme maître de l’action publique.
Lors de la révision de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) et de l’examen de la loi du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, nous fûmes bien les seuls à proposer la suppression de la « fongibilité asymétrique », terme barbare qui permet de redéployer le budget du personnel vers des dépenses différentes comme l’investissement, l’intervention ou le « consulting » – permettez-moi cet anglicisme –, mais qui interdit le mouvement inverse.
Cette logique libérale est mortifère. (M. Emmanuel Capus proteste.) Je souhaite que tous nos concitoyens et toutes nos concitoyennes défient ces mécanismes libéraux de réduction de l’emploi public au prétexte d’une prétendue « obésité » de l’État.
Le collectif « Nos services publics » explique cet effet pervers : « Plutôt que de diminuer le coût du service tout en maintenant sa qualité, on en réduit la qualité tout en dégradant les finances publiques », notamment en raison des rémunérations beaucoup plus élevées versées aux cabinets de conseil.
Feignant de soutenir la proposition de loi transpartisane du Sénat, le Gouvernement et ses alliés révèlent leur volonté de miner le texte à grands coups d’exclusions et de suppressions.
On ne peut pas prétendre encadrer le recours aux cabinets de conseil et « en même temps » leur faire béatement confiance. On ne peut pas prétendre encadrer le recours aux cabinets de conseil et « en même temps » exclure des consultants en raison de leur statut. On ne peut pas prétendre encadrer le recours aux cabinets de conseil et « en même temps » saper les obligations déontologiques prévues dans cette proposition de loi.
Pardonnez-moi, monsieur le ministre, mais votre « en même temps » n’est pas l’équilibre, c’est le laxisme. C’est la poursuite de la connivence entre les cabinets de conseil et le Gouvernement.
Les contrats massifs passés durant l’été et en ce début d’automne montrent que vous n’avez tiré jusqu’ici aucune leçon des travaux de la commission d’enquête et que vous entendez bien vous limiter à des déclarations d’intention.
Tout au long du processus, vous n’avez eu de cesse de miner les travaux de la Haute Assemblée, sentant que la situation vous échappait quelque peu : publication d’un rapport à l’Assemblée nationale, d’une circulaire opportune la veille d’une audition de ministre, conférence de presse de ministre en pleine campagne présidentielle et publication d’un « jaune budgétaire » incomplet avant même le vote de la proposition de loi.
Les mots du président alors candidat sont teintés de vérité : « Sur McKinsey, on est mauvais comme des cochons, les enfants ! ».
Permettez-moi de m’arrêter un instant sur un point, car vous connaissez mon appétence en matière de lutte contre la fraude fiscale et toutes les formes d’optimisation intolérables.
Mme Nathalie Goulet. Absolument !
M. Éric Bocquet. La commission d’enquête a prouvé que McKinsey ne payait pas d’impôt sur les sociétés depuis dix ans, alors même que celle qu’on appelle « la Firme » réalisait plusieurs centaines de millions d’euros de chiffres d’affaires chaque année et captait de l’argent public. Merveilleux Delaware, qui compte 970 000 habitants et 1 600 000 sociétés enregistrées ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
Mes chers collègues, nous sommes fiers de ce texte et de l’esprit de construction transpartisane qui nous a animés. Il constitue un point de départ bienvenu pour celles et ceux qui pensent encore que l’État peut et doit garantir l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce stade de la discussion générale – je suis la neuvième à m’exprimer –, beaucoup a déjà été dit.
Je regrette de ne pas avoir eu moi-même l’idée de cette commission d’enquête – j’en éprouve une certaine frustration ! – et je remercie Mme Assassi et son groupe de l’avoir eue… (Sourires sur les travées du groupe CRCE.) Je m’étais limitée lors d’un rappel au règlement à suggérer l’organisation d’un débat sur le sujet, et voilà que la commission d’enquête est arrivée !
Les travaux de la commission d’enquête, dont j’ai eu l’honneur d’être vice-présidente, témoignent de l’importance de ce sujet, sur lequel il était justifié de se pencher.
Ce sujet est important d’un point de vue financier : la part du privé dans la décision publique, les conditions du recours aux cabinets de conseil et les garanties offertes ne sont pas que des sujets philosophiques, notre société étant ouverte aux conflits d’intérêts, qui sont, à mon sens, le pire cancer de la politique.
Encore une fois, il n’a jamais été question d’interdire le recours aux cabinets de conseil ; il s’agit d’encadrer cette pratique pour la rendre plus transparente et être sûr qu’elle apporte une réelle plus-value.
On peut toutefois s’interroger sur le fait que l’État ait de plus en plus recours à ces cabinets, y compris pour les politiques publiques les plus sensibles. Cette tendance à ubériser le pouvoir régalien est, de mon point de vue, assez inquiétante.
Certains, dont je fais partie, acceptent difficilement cette philosophie : placardiser la haute fonction publique en lui préférant à prix d’or des cabinets extérieurs privés revient à dévaloriser et à paupériser tant la haute fonction publique que les inspections générales, qui regorgent de compétences souvent et rarement écoutées ou entendues. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Mickaël Vallet et Patrice Joly applaudissent également.)
Ainsi, Martin Hirsch, dont les propos sont cités page 39 du rapport de la commission d’enquête, évoque le malaise ressenti par les agents : « Autant le fait de travailler, y compris dans le corps médical, sur un projet donné avec un regard extérieur ne pose aucun problème, autant le fait d’avoir une sorte d’abonnement auprès de grands cabinets de consultants et de personnes pour lesquelles l’hôpital n’est qu’un client n’était pas perçu positivement. »
De même, les agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), dont les propos sont retranscrits page 38 du même rapport, avouent avoir l’impression d’être « régulièrement infantilisés ». Je rappelle que le cabinet de conseil ayant fourni une prestation afin de réduire les délais de traitement des demandes d’asile, lesquels n’ont toujours pas été réduits, a perçu 485 818 euros ! Or la valeur ajoutée de son travail n’est pas perceptible dans l’immédiat…
Moderniser, ce n’est pas paupériser ! Moderniser, ce n’est pas supprimer le corps diplomatique un lundi de Pâques au matin ! Moderniser, ce n’est pas davantage supprimer l’École nationale d’administration (ENA) ou le corps préfectoral au 1er janvier 2023. (Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Pierre Laurent et Mickaël Vallet applaudissent.) Je ne crois pas à ces réformes en faux, qui ne sont d’ailleurs que des réformes en trompe-l’œil, jamais évaluées.
Le sujet dont nous débattons, sur lequel le groupe CRCE a eu raison de se pencher, n’est pas que technique, il est aussi politique.
Le Gouvernement a d’ailleurs été contraint de réagir à la suite des travaux menés en toute transparence par la commission. Les auditions, qui étaient ouvertes au public, sont d’ailleurs toujours disponibles en ligne.
Le 19 janvier 2022, à la rubrique « Il faut sauver le soldat Montchalin », …