M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les finances locales sont-elles devenues les variables d’ajustement des comptes publics ? De contrats de Cahors en pactes de confiance, l’autonomie financière et la libre administration des collectivités territoriales ne seront bientôt plus que de lointains souvenirs.
Madame la ministre, comprenez l’inquiétude des élus locaux, qui, de crise en crise, doivent toujours faire plus avec moins du fait des incessantes modifications de ressources que vous leur imposez : suppression de la taxe d’habitation sous le précédent quinquennat ; suppression de la CVAE sous celui-ci ; etc.
Transformer ainsi des recettes fiscales en dotations pose problème à plusieurs égards : c’est une réelle perte d’autonomie ; c’est couper le lien entre le territoire et les habitants ; c’est acter de fait une diminution des recettes.
L’inquiétude se transforme en colère lorsque ces mêmes élus entendent ici et là que les finances locales se portent bien. C’est d’ailleurs ce que m’avait répondu le ministre des comptes publics lorsque je l’avais alerté sur ce sujet en mars dernier – il est vrai qu’il était alors question d’une ponction de 10 milliards d’euros sur les finances locales.
Depuis, avec l’augmentation – nécessaire – du point d’indice et la hausse du coût des matières premières, des denrées alimentaires et de l’énergie, les collectivités locales sont au bord de l’asphyxie, enfin celles qui peuvent encore respirer…
Prenons l’exemple d’une commune que je connais bien pour l’avoir administrée pendant vingt ans. Comment peut-elle faire face à une augmentation de 1 million d’euros de sa facture d’électricité, alors que son budget de fonctionnement dépasse à peine les 5 millions ? Beaucoup d’autres communes, petites ou grandes, rurales ou urbaines, doivent faire face à la même situation.
Il en est de même pour les départements, dont les finances sont déjà affectées par le manque de compensation des dépenses liées au Ségur de la santé et à l’évolution des allocations individuelles de solidarité, particulièrement le RSA, pour lequel le fonds d’urgence ne fera pas la maille.
Au-delà de leurs dépenses propres, les collectivités doivent aussi faire face aux difficultés des organismes ou établissements qu’elles financent. La situation des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est particulièrement préoccupante. Que dire de celle des services d’incendie et de secours (Sdis) ? Nous le voyons bien, cette crise financière a des répercussions sur l’ensemble des services publics.
Devant l’explosion des coûts, nous avons voté cet été un filet de sécurité. S’il était initialement censé concerner 22 000 communes, seul un tiers d’entre elles y serait éligible. Il est donc urgent de revoir la copie, notamment les critères d’accès, afin que ce filet puisse jouer pleinement son rôle.
La réponse du Gouvernement doit être à la hauteur de l’enjeu. Aujourd’hui, que nous proposez-vous ? Les pactes de confiance ! Quelle que soit la manière dont on les nomme, ces pactes constituent une double peine pour les collectivités : baisse des dotations du fait de la non-indexation sur l’inflation, d’une part, contrôle de la dépense, d’autre part. Il s’agit purement et simplement d’un contrat léonin.
Au-delà de toute autre considération, comment imposer une réduction des dépenses à des collectivités qui ne peuvent pas, en raison de l’inflation, estimer leurs coûts ? Pour la seule électricité, selon les dates d’échéances des marchés, les choix énergétiques passés ou les modes d’indexation, les surcoûts peuvent être de 10 %, 100 %, 300 %, voire plus dans certains endroits.
De même, il est difficile d’avoir un peu de lisibilité sur les intérêts de la dette, sauf à pouvoir prévoir les taux de 2023, dont personne ne peut à ce jour connaître l’évolution.
Ainsi amputées de toute marge de manœuvre, quelles perspectives reste-t-il aux collectivités ?
Contribuer au seul redressement des comptes publics ? C’est oublier le rôle primordial des collectivités en matière d’investissement public, un investissement qui assure la bonne tenue du tissu économique local et contribue à la préservation de l’emploi.
C’est oublier le rôle majeur que jouent les collectivités dans notre pays et les actions qu’elles portent au quotidien, au plus près des populations, en finançant des services publics de proximité en tout point du territoire.
Madame la ministre, les communes, les intercommunalités, les départements et les régions n’en peuvent plus d’être si peu considérés. Nos collectivités locales ont besoin de véritables relations de confiance avec l’État et non d’une mise sous tutelle déguisée. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat sur les finances locales intervient dans un climat de défiance réciproque entre l’État tutélaire et des collectivités asphyxiées par la hausse de leurs coûts de fonctionnement. L’énergie, les denrées alimentaires, la revalorisation du point d’indice et la hausse du coût des matériaux menacent directement les projets d’investissement.
La colère des maires est partout, nous la soutenons, et se heurte à des préfets démunis. Les garants de la puissance publique dans les territoires sont sans solution. Le Gouvernement invite les collectivités à la sobriété, mais il est temps de prendre la mesure des responsabilités.
La sobriété, mais pour qui ? Il est paradoxal que la relance de l’économie soit mise à mal par des mécanismes de marché déraisonnés, alors que les collectivités sont les premiers investisseurs publics français. Ce paradoxe est entretenu par une relation financière et politique insincère entre l’État et la démocratie locale.
Les élus communaux, plus que jamais, les conseillers départementaux et régionaux consacrent le plus clair de leur temps à quémander leur dû à l’État, à quémander des dotations qui ne viennent pas.
Ce phénomène s’est accru à cause du démantèlement de la fiscalité locale mis en œuvre au cours du précédent quinquennat d’Emmanuel Macron.
La suppression de la taxe d’habitation pour l’ensemble des Français a marqué une première atteinte, grave, à l’autonomie fiscale des collectivités. La baisse des impôts dits de production en est une deuxième, à laquelle vient s’ajouter la suppression totale de la CVAE sur les deux prochaines années.
Ces deux réformes ont affaibli en même temps l’État et les collectivités locales, mais aussi, et surtout, la relation entre le citoyen-contribuable, son territoire et l’activité économique.
Pis, les ménages, les travailleurs modestes en particulier, sont ceux qui financent des baisses d’impôts qu’ils ne payaient pas ! C’est une vérité, madame la ministre : alors que 93 % des ressources de TVA, assises principalement sur la consommation de tous les ménages et sur les entreprises de moins de dix salariés, étaient destinées à l’État en 2017, cette part a diminué pour atteindre 50,6 % en 2021. Chaque année, ce sont donc 41 milliards d’euros qui échappent à l’État. Sans cette évaporation fiscale, le déficit du budget général serait déjà résorbé de près d’un tiers !
L’État procède à un transfert de fiscalité, tout en s’employant avec peu de succès à éponger sa dette sur le dos des collectivités territoriales. Nous ne le rappellerons jamais assez, elles sont toujours à l’équilibre, envers et contre tout : malgré les transferts de compétences, malgré les baisses de charges, malgré la disparition de la principale part de fiscalité économique. Ces renoncements sont ceux de gouvernements successifs. Pourquoi les PME et les travailleurs devraient-ils payer pour compenser cette forme de lâcheté ?
Cette accélération sans précédent de la quasi-disparition de l’autonomie fiscale des collectivités puise un début d’encouragement dans la loi de finances rectificative pour 1982, dans laquelle l’État a institué et pris en charge des allégements de la part salaire de la base de la taxe professionnelle. Ces allégements pour les ménages et sur la taxe professionnelle sont lourds de conséquences puisqu’ils sont compensés par l’État, qui devient dès lors le premier contribuable local.
La démocratie tourne sur elle-même, quand le contribuable perd de vue l’utilité de ses prélèvements sociaux et fiscaux. Dès 2010, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) relevait « une compatibilité de plus en plus compromise entre, d’une part, une évolution du dispositif par des aménagements à la marge, successifs et sédimentés, et d’autre part, les objectifs d’efficacité économique, de rendement budgétaire, d’équité sociale et d’acceptabilité politique ».
La situation que nous connaissons est l’aboutissement d’une logique qui conduit nos collectivités dans le mur. Elle ne peut faire que des perdants, dès lors que les collectivités constatent une décorrélation entre leurs charges et leur capacité budgétaire, fruit de compensations dépassées par l’évolution démographique, par une inflation qui érode en euros constants ces transferts et par des besoins sociaux et environnementaux nouveaux.
Face à la hausse des prix de l’énergie et à la décision du Gouvernement de revaloriser de seulement 3,5 % le point d’indice, le fameux filet de sécurité voté à l’été comporterait, je l’entends ici ou là, des trous dans la raquette… À ce niveau, il ne s’agit pas de jouer au tennis avec une raquette de ping-pong, madame la ministre !
Le filet de sécurité, c’est 430 millions d’euros, tandis que la seule augmentation du point d’indice représente 1,14 milliard d’euros ! Les factures énergétiques augmentent, elles, entre 30 % et 300 %, selon l’Association des maires de France (AMF).
Les propositions de mon groupe sont claires, ambitieuses et responsables, madame la ministre.
D’abord, il faut indexer dès le prochain projet de loi de finances la DGF sur l’inflation, et ce de façon pérenne, comme le demandent les élus, afin d’assurer la continuité des services publics.
Il faut ensuite sanctuariser dans la Constitution l’autonomie fiscale des collectivités territoriales, au premier rang desquelles les communes.
Par ailleurs, il faut maintenir la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et refondre un impôt économique territorial avec une liberté de taux pour les communes.
En outre, il faut étendre les tarifs réglementés de vente de l’électricité à toutes les communes, et pas seulement à certaines d’entre elles. (M. Éric Bocquet acquiesce.)
Enfin, il faut revenir sur la suppression annoncée des tarifs réglementés du gaz.
Madame la ministre, les élus locaux sont responsables…
M. le président. Il faut conclure !
M. Pascal Savoldelli. … et font face, de même que leurs représentants.
N’en déplaise au Gouvernement, les oppositions sont utiles. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, questionner les finances locales revient à s’interroger sur les relations entre l’État et les collectivités territoriales. Au cours de la dernière décennie, ces relations ont été largement bouleversées par les réformes successives portant sur l’organisation territoriale, la fiscalité ou les concours financiers de l’État. Dans un récent rapport sur le financement des collectivités territoriales, la Cour des comptes souligne l’augmentation des ratios d’autonomie financière, alors que l’autonomie fiscale se réduit.
L’autonomie financière croît pour des raisons mathématiques et n’est absolument pas le signe d’un renforcement des marges de manœuvre financières des collectivités locales. Quant à l’autonomie fiscale, elle se réduit comme peau de chagrin, victime d’une emprise accrue de l’État central sur les collectivités territoriales, notamment les communes.
Après la suppression de la taxe d’habitation ou le reversement obligatoire d’une fraction de la taxe d’aménagement des communes aux intercommunalités, le Gouvernement a annoncé la disparition progressive de la CVAE. Le groupe Union Centriste souhaite un report de cette réforme, afin de pouvoir en débattre en profondeur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Canévet. Bravo !
M. Jean-Michel Arnaud. Et que l’on ne s’avise pas de nous dire que l’on porte un coup aux entreprises : il s’agit de protéger l’autonomie fiscale des collectivités locales et le lien important entre ces dernières et leurs entreprises.
Nous avons donc affaire, une nouvelle fois, à une fiscalité par procuration, téléguidée par l’exécutif national. Alors que la libre administration des collectivités est toujours et encore structurellement grignotée, les contraintes progressent. Toujours dans son rapport publié ce mois-ci, la Cour de comptes indique que l’évolution des dépenses des collectivités locales – leurs dépenses de fonctionnement ont connu une hausse de 2,4 % en 2021 – s’explique en partie par l’accroissement de leurs compétences sous l’effet de la décentralisation.
La réalité se révèle bien plus complexe. Cette tendance s’explique plutôt par une triple évolution, à commencer par la multiplication des normes imposées aux collectivités locales. Elle représente un milliard d’euros dans le projet de loi de finances dont nous allons discuter dans quelques semaines. Je rappelle que l’indexation de la DGF équivaudrait, elle aussi, à un milliard d’euros de dépenses complémentaires. Il faut comparer les choses, madame la ministre.
Ensuite, l’élargissement des périmètres des intercommunalités a entraîné, rappelons-le, une forte hausse des coûts.
Enfin, l’échelon local a joué un rôle croissant dans l’amortissement des effets des crises écologique, économique et sanitaire – je pense en particulier à la crise du covid-19.
Ne l’oublions pas, mes chers collègues, nos communes, intercommunalités, départements et régions assurent le dernier kilomètre de la vie de nos concitoyens. Comme cela est régulièrement rappelé, elles représentent 70 % de l’investissement public, mais sont responsables de moins de 9 % de la dette.
Le Gouvernement a récemment appelé à la mise en place d’un énième pacte de confiance. Sur le principe, nous ne pouvons qu’être d’accord avec cette proposition, mais cela ne doit pas se traduire par l’instauration de contrats léonins, comme l’une de nos collègues l’a dit précédemment.
Si le premier mandat d’Emmanuel Macron fut décevant en matière de décentralisation, à l’image de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS), et marqué par des relations parfois houleuses avec les collectivités territoriales, ce pacte doit être envisagé comme un facteur d’aide à la croissance et non comme outil de contrainte de la gestion locale. Pour cela, il faut fixer des objectifs communs aux territoires et leur donner des libertés qui leur permettent de les atteindre en fonction de leur situation.
Plus encore, j’en appelle à la différenciation territoriale et à la confiance envers les élus. Par exemple, à court terme, la révision des valeurs locatives doit prendre en compte le taux d’inflation, indispensable à la sécurisation des ressources locales. Autre illustration, et je ne doute pas que Jean-Baptiste Blanc l’évoquera également, le financement nécessaire à la mise en œuvre du zéro artificialisation nette (ZAN) est une variable à intégrer dans les discussions, afin qu’il soit comptabilisé dans les futurs concours financiers de l’État.
Madame la ministre, nous allons prochainement entamer la discussion du PLF. Je souhaite que ce débat se fasse dans la confiance et permette de donner aux collectivités locales les moyens d’agir dans le dernier kilomètre, auquel nos concitoyens sont particulièrement sensibles. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Canévet. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport sur les finances publiques locales, annexé au projet de loi de finances, est un document de 208 pages, riche en chiffres et en informations, mais, comme l’a dit Jean-Michel Arnaud, il ne comprend quasiment rien sur la règle nouvelle qui suscite des inquiétudes considérables dans de nombreux territoires souvent en fusion : celle du zéro artificialisation nette, que nous appellerons le ZAN.
Cette règle a été définie sans les outils qui permettraient d’en assurer la mise en œuvre, laissant les collectivités démunies face à un tel écart entre l’objectif qui leur est assigné et les moyens à leur disposition.
J’alerte une nouvelle fois le Gouvernement sur cette question. Tous les élus locaux, quelle que soit leur appartenance politique, nous ont fait part de leurs inquiétudes, qui sont très nombreuses, comme je l’ai constaté lors du tour de France que j’ai effectué et qui m’a conduit à visiter quasiment un département sur deux.
La quasi-absence du mot « artificialisation » dans les différents rapports du Gouvernement démontre l’insuffisante réflexion de ce dernier sur la manière dont les obligations imposées aux collectivités seront financées.
Plusieurs pistes sont à explorer.
La première est le fonds Friches. De nombreux projets visant à revitaliser des espaces délaissés ont été déposés dans le cadre de ce fonds, auxquels seul manquait un équilibre économique pour pouvoir émerger. Mais que devient le fonds Friche ? Le Président de la République a annoncé sa pérennisation, mais il ne constitue plus que l’un des volets du fonds d’accélération de la transition écologique ou fonds vert : son objectif est désormais limité au recyclage de 1 000 hectares de friches par an. Les documents budgétaires n’indiquent pas clairement ses crédits. C’est insuffisant. Les collectivités auront besoin d’un soutien beaucoup plus important pour mener à bien les indispensables actions de recyclage urbain.
La deuxième piste est le levier fiscal, et c’est là peut-être mon message principal : la fiscalité locale n’est pas adaptée à la politique de sobriété foncière. On ne peut pas imposer aux communes une contrainte aussi forte sur l’aménagement local sans que les communes, en particulier, aient une incitation, alors que les réformes successives de la fiscalité locale distendent de plus en plus le lien entre leurs ressources et le résultat de leur action.
La commission des finances a donc saisi le Conseil des prélèvements obligatoires afin qu’il fournisse des pistes sur la manière dont la fiscalité, notamment locale, pourrait favoriser l’atteinte de l’objectif ZAN. Le CPO présentera ses résultats le 26 octobre et ses analyses pourront nourrir nos débats, notamment sur le projet de loi de finances.
En effet, plus d’un an après la promulgation de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, les lois de finances successives restent muettes, ou presque, sur la question du financement du ZAN.
Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit, certes, une adaptation mineure de la taxe d’aménagement : les collectivités locales pourront en exonérer les constructions réalisées sur des sites ayant fait l’objet d’une opération de dépollution. Toutefois, cette mesure n’est de toute évidence pas à la hauteur de l’enjeu, d’autant qu’il s’agit d’une exonération facultative. En outre, son coût pour les collectivités ne sera pas compensé par l’État, alors même que l’objectif est la mise en œuvre d’une politique d’intérêt national. La taxe d’aménagement fait pourtant bien partie des voies à explorer.
D’autres pistes sont évoquées, comme la taxe sur les logements vacants ou l’ancien versement pour sous-densité, mais aussi des incitations directes aux particuliers, telles que le dispositif Denormandie. Les dispositifs fiscaux présentent chacun des avantages, mais aussi des risques de contournement ou d’effet rebond : c’est pourquoi nous aurons besoin de l’éclairage du CPO, dont les rapports font référence.
Je regrette que l’administration, que j’ai déjà interrogée en de nombreuses occasions, n’ait pas déjà conduit cette réflexion : des propositions claires sur le financement du ZAN auraient permis d’apaiser certaines des inquiétudes dans les territoires.
Les collectivités sont en effet soumises à des injonctions contradictoires, comme nous le savons désormais tous. Elles doivent développer le logement, notamment social, et attirer des activités économiques, mais sur quels terrains ? Une enquête du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et d’Intercommunalités de France (AdCF), publiée le mois dernier, montre que la pénurie de foncier est d’ores et déjà une réalité pour une majorité de territoires.
Madame la ministre, comment peut-on réindustrialiser la France si les collectivités ne peuvent pas accueillir d’activités ? Celles-ci effectuent actuellement un travail considérable pour élaborer des solutions et modifier des documents d’urbanisme. Les membres de la mission conjointe de contrôle relative à la mise en application du « zéro artificialisation nette », présidée par Valérie Létard, constatent le haut niveau de réflexion des élus et des acteurs locaux, qui ont des propositions à vous faire, madame la ministre.
Les décrets de mise en œuvre, publiés hâtivement, doivent être corrigés, comme un de vos collègues l’a reconnu dans cet hémicycle. La nomenclature fait encore l’objet de travaux des urbanistes et un certain nombre de grands projets, engagés ou prévus, risquent de consommer une part importante du foncier autorisé dans les dix années à venir.
Le sujet est donc bel et bien explosif. Il faut adapter les recettes fiscales locales aux nouvelles missions des collectivités, dont la transition écologique et la mise en œuvre du ZAN. Aux trois options polaires mises sur la table par la Cour des comptes, je propose d’en ajouter une : la climatisation sans délai du ZAN et de la fiscalité locale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au gré de nos déplacements dans nos circonscriptions, nous constatons l’inquiétude palpable des élus du bloc communal.
Les dépenses contraintes des mairies s’envolent littéralement. Cela peut vous paraître trivial, madame la ministre, mais il faut bien que les villes chauffent et éclairent leurs équipements publics ! Sur mon territoire, Le Mans Métropole, ces dépenses représentent 4,5 millions d’euros de surcoût, rien que pour l’énergie.
Il n’est pas inutile de rappeler que nos communes fournissent la nourriture des restaurants scolaires et construisent ou rénovent leur bâti afin d’éviter qu’il ne tombe en décrépitude.
Ce sont précisément toutes ces dépenses liées au fonctionnement du quotidien qui sont en nette hausse du fait de la flambée des prix des matières premières. On sait déjà que, pour la seule année 2022, elles vont globalement grimper de 15 % pour les communes.
Je rappelle que, chaque année, les communes doivent équilibrer leur budget. C’est cette obligation de présenter un budget à l’équilibre qui conduit certains maires à se demander s’ils pourront boucler leur budget pour 2023 sans être contraints de fermer des services publics.
Dans ce contexte, que fait l’État ? Clairement, pas assez !
Pour être réellement efficiente, la DGF doit être revalorisée à hauteur de l’inflation. Je défendrai cette mesure avec mon groupe lors de l’examen du prochain PLF. Ce n’est pas la maigre rallonge de 320 millions d’euros qui permettra de boucher le trou dans la raquette. Après l’aide de l’État, 900 millions font encore défaut.
Si nous en sommes à lutter bec et ongles lors des débats budgétaires pour obtenir plus de moyens, c’est parce que vous avez placé nos collectivités dans une subjective dépendance à l’État, et ce en rognant depuis six ans sur leur autonomie financière.
Vous avez supprimé la majeure partie des impôts dont elles percevaient le produit et pouvaient moduler les taux. Avec vos réformes, vous siphonnez de manière systémique les recettes, plaçant ainsi de fait les communes sous perfusion de dotations que vous pouvez moduler de façon discrétionnaire, madame la ministre.
Je le dis sans détour, ce mode opératoire est insupportable pour la démocratie de proximité, qui œuvre au quotidien au sein du bloc communal.
À en croire les déclarations récentes de Bruno Le Maire, cela ne risque pas d’aller en s’améliorant. Interrogé sur la gestion financière des communes en difficulté, il a déclaré en septembre dernier : « Vous avez des collectivités bien gérées, et d’autres qui sont moins bien gérées, […] qui ne pourront pas se prévaloir de l’aide de l’État. »
Cette déclaration fixe les contours des bien mal nommés « pactes de confiance » prévus dans le projet de loi de programmation des finances publiques, lesquels ont déjà été rejetés à l’Assemblée nationale. Ce texte a de toute façon peu de chances d’être voté, le Gouvernement ne disposant pas aujourd’hui d’une majorité à l’Assemblée nationale !
Une chose est certaine, vous êtes animée par une volonté d’engager une relation « transactionnelle » avec les collectivités territoriales, madame la ministre, voire de personnaliser leurs relations avec l’État.
J’en appelle à toutes les travées de cet hémicycle : un grand débat doit avoir lieu sur une refonte idéologique de la relation entre l’État et les collectivités territoriales. Ce débat ne doit pas porter sur les contingences matérielles et budgétaires, il doit être d’une autre ampleur. Il doit interroger notre rapport à l’impôt local : ne serait-il pas tout aussi démocratique que celui-ci puisse être voté et levé par nos élus locaux ?
Si rien n’est fait, alors le Gouvernement accélérera encore la mise sous tutelle budgétaire des collectivités territoriales, obligeant ces dernières à devoir, à l’avenir, négocier chaque ligne budgétaire. Or, je le répète, cela n’est ni acceptable ni supportable ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Charles Guené. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Charles Guené. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’avenir des finances des collectivités locales nous interpelle dans l’immédiat, mais également à moyen terme. Pour l’heure, j’évoquerai tout d’abord le traitement dont elles font l’objet dans le cadre du projet de loi de finances, en mettant en exergue en particulier le bloc communal.
Le Gouvernement, conforté par l’appréciation de la Cour des comptes, vient d’évoquer leur bonne situation financière et leurs excédents, qui friseraient l’insolence, au sortir de la crise financière. Je nuancerai cette assertion et en montrerai le caractère relatif.
Les collectivités locales ne sont pas régies par les mêmes règles de gestion que l’État, et c’est tant mieux. Bordées par la règle d’or, elles ne peuvent créer de la dette à des fins de fonctionnement et doivent gérer leurs finances par la pratique de mise en réserve et d’une gestion prévisionnelle pluriannuelle.
Il est donc curieux que l’État observe la situation des collectivités à l’aune de règles qui ne s’appliquent pas à elles, alors qu’il devrait plutôt songer à s’inspirer de leurs pratiques vertueuses et s’astreindre à faire ce qu’il entend imposer aux autres. Je veux parler ici du contrat dit de confiance.
Je rappelle à cet égard que notre République garantit la libre administration des collectivités locales aux termes de l’article 72 de la Constitution, comme l’a indiqué Roger Karoutchi précédemment.
Durant le quart de siècle écoulé, les collectivités ont consenti des efforts financiers sans précédent. Il m’apparaît de bonne justice de les évoquer, d’autant que les fonds qu’elles ont ainsi épargnés entrent positivement dans le solde maastrichtien, pour le plus grand bénéfice de la France.
Afin de permettre à notre pays de conserver une trajectoire acceptable, les collectivités ont ainsi renoncé progressivement à la taxe professionnelle comme à la taxe d’habitation, en contrepartie de dotations moins dynamiques. Elles ont subi durant quatre ans la contribution au redressement des finances publiques, qui a entraîné une amputation drastique de leur DGF, pour la voir ensuite figée et contributrice à la péréquation verticale. Si l’on avait paramétré pour elles une loi de programmation spécifique sur cette période, on constaterait qu’elles ont consenti une perte de l’ordre de 50 milliards d’euros au bénéfice de la Nation.
Malgré l’inflation et la crise énergétique, nous ne revendiquerons pas l’indexation d’une DGF en état de déliquescence avancée et nous admettrons le principe d’un filet de sécurité et de dotations ciblées sur les plus vulnérables, mais nous disons haut et fort que le compte n’y est toujours pas et que les collectivités n’admettent pas d’être fustigées par un État impécunieux.
Force est de constater que les collectivités n’ont aujourd’hui aucune visibilité sur leur avenir à moyen terme, dans un système financier désormais menacé d’obsolescence. Je veux m’en expliquer.
La suppression de la taxe d’habitation et la perspective de celle de la CVAE ont totalement achevé la désarticulation du cadre sous-tendu par des indices désormais privés de sens. Les collectivités ne disposent plus des perspectives nécessaires pour gérer leur dynamique et doivent s’en remettre à la diligence de la direction générale des collectivités locales pour la mise en œuvre d’une péréquation au fil de l’eau.
Ainsi que vient de le confirmer la Cour des comptes dans son rapport, réalisé à la demande de notre commission des finances, le système est aujourd’hui « complexe et à bout de souffle ».
Les collectivités locales sont désormais à la merci de la suppression ou de l’affectation nouvelle d’un impôt, décidée d’en haut. Elles n’ont plus aucune visibilité dans un monde désormais aléatoire et complexe, alors qu’elles sont aux prises avec un système financier devenu incohérent.
Nous nous sommes attelés, au Sénat, à résoudre cette équation, mais elle est devenue insoluble, faute d’une boussole, face aux scénarios aussi pluriels que ceux que la Cour a évoqués dans ses travaux. Il faudrait que l’État mette fin au démantèlement erratique des ressources des collectivités et pose les bases d’une réforme dans le cadre d’un dialogue construit avec elles et d’une nouvelle gouvernance.
Les collectivités le méritent, car elles sont des actrices majeures de notre République d’un point de vue démocratique et sociétal. Par ailleurs, elles réalisent 70 % de l’investissement public.
Madame la ministre, quand allez-vous mettre cet ouvrage sur le métier ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Conclusion du débat