Mme la présidente. La parole est à M. Serge Babary. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Serge Babary. Monsieur le président de la mission d’information, madame le rapporteur, je tiens tout d’abord à vous remercier de votre travail, auquel j’ai eu le plaisir de participer.
Je me réjouis que soient évoqués à plusieurs reprises tout au long du rapport d’information la situation et le rôle singulier des PME et des ETI face à l’innovation.
Je reviendrai sur quatre points qui ont particulièrement retenu mon attention.
Premièrement, il faut renforcer la culture de l’innovation et de l’entrepreneuriat. L’innovation et l’entrepreneuriat devraient être encouragés dès l’école, les formations à l’entrepreneuriat généralisées dans l’enseignement supérieur. Il faut mettre fin à la culture de la peur de l’échec, de la honte, afin d’encourager la créativité et l’innovation. Relancer l’esprit d’entreprise est crucial, dans un pays qui glisse sur la pente dangereuse de l’assistanat.
Deuxièmement, il faut faire converger le temps administratif et le temps économique. Il faut intégrer le temps de l’entreprise dans les procédures administratives, mettre en place des procédures rapides pour agir et adopter des lois pluriannuelles pour sécuriser l’environnement juridique des entreprises.
En matière de commande publique, il faut former l’acheteur public à l’achat innovant. Par ailleurs, il est indispensable de le sensibiliser au monde de l’entreprise. Nous avons déjà abordé ces sujets hier soir avec vous, monsieur le ministre.
Quand allons-nous, enfin, copier les États-Unis et adopter un Small Business Act européen ? Les PME pourraient ainsi enfin accéder à la commande publique, qui représente des montants considérables. Le triplement du plafond de l’achat innovant irait également dans le bon sens.
Plus généralement, ce qui ressort du rapport d’information, c’est la nécessaire simplification des procédures administratives. Les entreprises ont besoin de pragmatisme, de lisibilité, de simplicité !
En 2010, selon l’OCDE, les charges administratives représentaient 3 % du PIB de la France, soit 60 milliards d’euros. Aujourd’hui, selon une étude de l’iFRAP, le montant de ces charges est compris entre 75 et 87 milliards d’euros. En 2017, dans son rapport d’information relatif aux moyens d’alléger le fardeau administratif des entreprises pour améliorer leur compétitivité, la délégation sénatoriale aux entreprises, alors présidée par Élisabeth Lamure, formulait vingt et une recommandations.
Une simplification ambitieuse des démarches des entreprises favoriserait la création et la croissance des entreprises, et par là même l’innovation !
Troisièmement, il faut réorienter les aides fiscales et financières. On ne peut en effet penser innovation sans mettre en place un environnement fiscal, financier et économique adapté.
Madame le rapporteur, je vous remercie d’avoir souligné l’iniquité du versement du crédit d’impôt recherche, dont 77 % reviennent aux 10 % des entreprises les plus importantes, la plupart des PME étant laissées de côté.
Quatrièmement, j’évoquerai le rôle des acteurs privés. Si la fiscalité et le soutien public ont évidemment leur rôle à jouer, l’investissement privé doit en être le complément.
La posture de nos grandes entreprises vis-à-vis de nos start-up et PME doit évoluer. Les grands groupes n’aident pas nos petites entreprises. L’inscription de ce critère dans la RSE serait une excellente chose, afin que ces grands groupes soient plus que des « grands frères bienveillants ».
Monsieur le ministre, j’insisterai enfin sur le caractère interministériel du sujet. (M. le ministre délégué acquiesce.) On ne peut penser innovation et recherche sans intégrer le développement économique. Sans débouchés pour nos chercheurs, pour nos innovations, le risque, comme on l’a malheureusement déjà constaté, c’est la fuite de nos cerveaux et le déclassement de nos entreprises en raison de l’obsolescence technologique.
N’oublions pas que la conquête de nouveaux marchés se fait sur les prestations de rupture, qui sont le résultat de l’innovation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est-elle en train de décrocher définitivement en matière de recherche et d’innovation ? Ma question est évidemment provocante, mais il faut constater que la situation est inquiétante pour notre pays, qui n’investit pas suffisamment dans sa recherche.
Depuis vingt-cinq ans en effet, le financement de la recherche publique et de la recherche privée stagne autour de 2,2 % du produit intérieur brut, à tel point que nous avons abandonné à d’autres pays européens le leadership en matière de R&D. Dans ces conditions, nos gains économiques sont nettement plus faibles que ceux de nos voisins ayant fait de la recherche et de l’innovation un enjeu majeur de dynamisme industriel.
La loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur (LPR), dont j’ai eu l’honneur d’être la rapporteure, était censée tenir la promesse d’un réinvestissement massif dans la recherche publique, l’objectif étant de parvenir à un effort national de recherche équivalent à 3 % du PIB.
Cette loi prévoyait également de renforcer l’attractivité des métiers scientifiques, de consolider les dispositifs d’évaluation, d’organisation et de financement de la recherche et de faciliter la diffusion de la recherche dans l’économie et la société.
Lors de l’examen de ce texte, j’avais affiché un optimisme très relatif tant la trajectoire budgétaire me semblait peu crédible et surtout peu efficace au regard de l’importance de l’écart de compétitivité à combler entre notre pays et les pays européens les plus avancés en matière de recherche et d’innovation. C’est d’ailleurs sur l’initiative du Sénat que l’intensité de l’effort budgétaire a été renforcée sur les premières années de la programmation.
J’avais en outre émis des doutes sur la capacité de cette loi à fixer un cadre réellement motivant pour nos chercheurs et enseignants-chercheurs, susceptible de favoriser leurs activités de recherche en France et non à l’étranger. L’absence de vision sur ce que doit être la politique publique de recherche à moyen et long termes y est sans doute pour beaucoup…
La commission de la culture du Sénat a récemment rendu public son rapport d’information sur la mise en œuvre de la LPR. Le bilan que nous avons dressé démontre que ce texte était nécessaire, mais que son application sur le terrain reste perfectible.
Si cette loi de programmation a permis un bon début de réinvestissement public dans la recherche, sa durée – dix ans – et l’intensité de l’effort budgétaire doivent néanmoins être reconsidérées, d’autant que cet effort est aujourd’hui très largement absorbé par l’inflation.
La mission d’information sur l’excellence de la recherche et de l’innovation, dont nous rendons compte des travaux aujourd’hui – je salue la qualité de ses auditions et de ses déplacements – juge pour sa part nécessaire de considérer la recherche comme un investissement de long terme dans l’innovation.
Trop longtemps, hélas, l’investissement public dans la recherche a été perçu comme un coût et celle-ci a, de ce fait, régulièrement fait fonction de variable d’ajustement pour réduire le déficit budgétaire de l’État. Or, tout démontre à quel point cette vision est néfaste pour la France.
Nous en avons la conviction : la recherche fondamentale se situe au cœur de l’innovation et doit bénéficier d’un puissant soutien financier sur le long terme.
Par ailleurs, la politique de rémunération des chercheurs doit être plus attractive qu’elle ne l’est aujourd’hui si nous voulons retenir nos meilleurs chercheurs et attirer les talents étrangers à fort potentiel.
Le cas d’Emmanuelle Charpentier, jeune prix Nobel de chimie, partie mener ses recherches pionnières et majeures hors de France, n’est pas anecdotique : quand un chercheur de ce niveau fait le choix de poursuivre ses recherches à l’étranger, il emporte avec lui son aura, ses financements et ses compétences. En outre, il ne fera pas bénéficier de jeunes chercheurs français de l’étendue de ses connaissances.
Je suis pour ma part assez optimiste pour l’avenir, même s’il nous faudra persister dans notre effort budgétaire.
En effet, le réinvestissement dans la recherche est en marche. L’Agence nationale de la recherche a connu une année 2021 exceptionnelle, les financements alloués aux équipes de recherche et aux établissements ayant connu d’une augmentation très significative. Grâce à la LPR, l’Agence a vu son rôle renforcé dans l’écosystème de la recherche et de l’innovation et ses missions ont été confortées.
Les budgets en croissance offrent de nouvelles perspectives d’accompagnement des communautés scientifiques. Les premiers résultats sont là : le taux de succès aux appels à projets génériques atteint désormais plus de 23 % et le taux de préciput est passé de 19 % en 2020 à 25 % en 2021. En outre, le soutien à la recherche partenariale a été considérablement renforcé. Nous savons qu’il s’agit d’un puissant levier en faveur de l’innovation.
En conclusion, j’évoquerai trois enjeux majeurs auxquels nous devrons apporter une réponse singulière et courageuse.
Il nous faudra tout d’abord procéder à une clarification du paysage français de la recherche. Celui-ci est en effet constitué d’une pluralité d’acteurs – organismes nationaux de recherche, établissements d’enseignement supérieur, agences de financement, unités mixtes de recherche –, dont les missions ne sont pas forcément bien réparties et les relations pas toujours fluides.
Il nous faudra ensuite donner un cap à la recherche française. La programmation budgétaire de la LPR n’a pas été accompagnée d’une programmation stratégique et c’est incontestablement l’une des raisons pour lesquelles la communauté scientifique a modérément adhéré à la réforme promue par le Gouvernement.
Il nous faudra enfin favoriser une meilleure articulation entre recherche publique et secteur privé, et ce dès l’amorce des projets de recherche, car il n’y a pas d’innovation sans recherche fondamentale.
Si nous sommes capables de répondre à ces trois enjeux, la France redeviendra un grand pays innovant dans tous les secteurs d’avenir – systèmes numérisés, nanotechnologies, nouvelles énergies, biologie, santé – et nous pourrons ainsi renouer avec notre brillant destin collectif, ce que nous appelons tous de nos vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit aujourd’hui n’a rien de nouveau, et c’est là tout le drame. Voilà plusieurs décennies que la France s’est engagée sur la voie de la désindustrialisation. Nous avons laissé partir nos usines, ne gardant ici que les centres de décision. C’était le rêve de la mondialisation heureuse !
Résultat : nous n’avons plus guère d’usines, nous exportons nos cerveaux et nous importons les produits que ces mêmes cerveaux, formés sur deniers publics, fabriquent à l’étranger. Nous sommes perdants sur toute la chaîne de valeur.
Ce qui est heureux toutefois, c’est que nous en sommes désormais conscients. Il aura fallu plusieurs crises, singulièrement la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, pour nous en rendre compte : nous avons perdu notre souveraineté industrielle.
L’objectif fait maintenant consensus : il faut réindustrialiser le pays. C’est bon pour nos importations, bon pour nos emplois, bon pour la transition énergétique, bon pour la cohésion sociale. La bataille théorique a été gagnée. Nous devons désormais passer à la pratique.
Or, en la matière, les choses se compliquent : d’abord parce qu’il faut analyser précisément les causes de notre déclin industriel, ensuite, parce qu’il faut identifier des remèdes pour guérir le mal – et c’est souvent là que le bât blesse.
C’est pourquoi je me réjouis que le groupe Les Indépendants – République et Territoires, auquel j’appartiens, ait créé cette mission d’information, qui visait précisément à identifier les principaux blocages empêchant notre pays de convertir ses innovations scientifiques en innovations industrielles.
Je tiens à saluer l’engagement de Vanina Paoli-Gagin, qui est à l’origine de cette initiative et qui a accompli un travail de fond pour auditionner de très nombreux acteurs et proposer des solutions opérationnelles et concrètes pour relever cet immense défi. Ce travail a porté ses fruits : toutes les recommandations ont été adoptées à l’unanimité. C’est dire s’il y a consensus sur le sujet.
Je ne reviendrai pas en détail sur chacune d’elles. Le rapporteur a déjà rappelé les principales mesures, notamment fiscales, pour transformer l’essai de l’innovation. Je me contenterai de tirer deux leçons du rapport d’information.
La première leçon concerne la relation entre science et entreprise.
Transformer l’essai de l’innovation, c’est traduire les avancées scientifiques en solutions opérationnelles, c’est faire le lien entre la recherche fondamentale et les projets industriels, entre le monde académique et le monde de l’entreprise.
À cet égard, notre université recèle encore de très puissants éléments de conservatisme. Il n’est pas rare d’y croiser des enseignants et des chercheurs qui soutiennent mordicus que la recherche, pour rester pure, ne doit surtout pas trouver d’application concrète, que tout transfert de propriété intellectuelle ou tout brevet déposé avec une entreprise est une compromission terrible avec le Grand Capital. Ces réflexes corporatistes découragent encore trop souvent les vocations de ceux qui veulent valoriser autrement leurs savoirs.
Et pour cause : une incursion dans le monde de l’entreprise est parfois perçue par les chercheurs comme un égarement de carrière, qui peut pénaliser l’avancement au sein de l’université. Il faut donc repenser le modèle académique pour permettre de mieux appréhender ces trajectoires, qui sont enrichissantes, à la fois pour nos chercheurs et pour nos universités.
J’espère que la récente attribution du prix Nobel de physique à Alain Aspect, directeur de recherche émérite du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Paris-Saclay, professeur à Polytechnique, mais aussi grand entrepreneur, puisse les convaincre que l’on peut à la fois entreprendre et réussir une carrière académique…
La seconde leçon que je tire du rapport d’information, c’est l’absolue nécessité de simplifier notre bureaucratie.
Nos entrepreneurs, mais aussi nos universités, nos chercheurs, nos laboratoires, tout l’écosystème l’affirme sans ambages : la France est un Absurdistan, où le formulaire est la norme et l’administration l’arbitre de tout. Nous avons laissé se développer tout un ensemble de règles qui nous étouffent.
Le rapport d’information l’illustre par un exemple éloquent : pour démarrer l’activité d’un laboratoire de thérapie génique, il faut attendre près de dix mois en France. En Suisse, on part du principe que tout est en règle et l’entreprise peut commencer à produire cependant que le dossier est instruit en bonne et due forme.
Voilà ce que nous devons faire en France : miser sur la confiance et remettre l’administration au service des usagers. C’est non pas aux Français, notamment aux entrepreneurs, qui prennent des risques pour faire bouger les choses, de s’adapter à l’administration, mais bien à l’administration de s’adapter à eux. Il est aberrant de financer par nos impôts des délais qui font perdre de l’argent à la collectivité.
Pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a mis en place des instruments très efficaces, notamment parce qu’ils étaient immédiatement opérationnels. Bien sûr, il y a eu des erreurs et parfois des abus, mais y en a-t-il plus lorsque la défiance prévaut au sein de l’administration ? À mon avis, non, évidemment.
J’espère que nous saurons capitaliser sur ces réussites récentes pour stimuler l’innovation et réindustrialiser le pays. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et Les Républicains. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué. Madame la présidente, monsieur le président de la mission d’information, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, au préalable, je souhaite vous remercier de ce débat très enthousiasmant et stimulant – le débat d’hier soir sur la souveraineté économique était plutôt long et autrement plus déprimant. Ces débats sont en quelque sorte les deux faces de la même médaille : nous regardons tous vers l’avant, industrie et innovation vont de pair pour que la France se développe. Je pense qu’ici tout le monde partage ce point de vue.
Depuis cinq ans, notre politique se fonde sur une triple accélération : celle, d’abord, de la recherche et développement, laquelle, je le reconnais, est plus ancienne que le quinquennat qui vient de s’achever, celle, ensuite, du transfert de la recherche vers l’industrie, celle, enfin, de l’innovation industrielle, qui est, je pense, une nouveauté. Mme Lienemann l’a rappelé : les trois composantes de cette accélération sont essentielles et sont le gage d’une véritable culture de la réindustrialisation.
Du « mythe funeste » du fabless – cette France « sans usine » que vous avez à raison dénoncée, madame Schillinger –, nous sommes bel et bien revenus ! Pourquoi ? Parce que nous savons tous que l’industrie, c’est l’innovation. Un pays qui se désindustrialise, c’est un pays moins innovant, et un pays moins innovant, c’est moins de croissance.
Le tandem innovation-industrie nous permet de réaliser l’indispensable transition écologique, voire d’accélérer en la matière, car nous avons déjà pris ce virage. Il nous permet aussi de redynamiser nos territoires et de créer partout des emplois pour tous les niveaux de qualification. Ce tandem nous permettra également de rester une grande nation sur tous les plans et dans tous les territoires.
La dimension territoriale de notre politique industrielle est essentielle – Mme la sénatrice Pantel a bien insisté sur ce point –, car, là où l’industrie recule, l’extrémisme et la colère progressent.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est vrai !
M. Roland Lescure, ministre délégué. Si nous réindustrialisons de nouveau les territoires, je suis convaincu que l’extrémisme et la colère reculeront.
Rendons à Nicolas Sarkozy ce qui lui appartient : le réveil national en matière d’innovation date de 2010…
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Roland Lescure, ministre délégué. … avec la mise en place des programmes d’investissements d’avenir, à la suite des travaux de la commission Juppé-Rocard – le dialogue était déjà transpartisan à l’époque ! (Sourires.) –, dont les recommandations très innovantes ont toutes été mises en œuvre.
En revanche, reconnaissons que c’est à notre gouvernement que nous devons le grand retour de la politique industrielle française (Sourires.), la définition de priorités sectorielles pour l’innovation et le soutien à l’émergence de la French Tech, label internationalement connu aujourd’hui, qui représente – je l’ai dit hier, je le répète aujourd’hui – plus d’un million d’emplois directs et indirects dans le secteur de l’innovation.
L’innovation et la technologie sont essentielles pour notre industrie, M. Malhuret l’a souligné.
Les efforts que nous avons réalisés en matière de financement des start-up sont payants : après avoir démontré leur résilience durant la crise sanitaire, les start-up tricolores ont levé, au cours des six premiers mois de l’année, 8 milliards d’euros, soit dix fois plus qu’en 2017.
Nous avons plus de 25 licornes en France – soyons-en fiers. Les champions sont en train d’émerger, de préférence en Europe, madame Jourda, vous avez raison de souligner ce point. À cet effet, le Président de la République a lancé en 2021 l’initiative Scale up Europe, qui vise à trouver des fonds à l’échelle de l’Union européenne afin de financer les start-up européennes.
Mme Lienemann a indiqué que l’on manquait de start-up industrielles, mais on en dénombre tout de même 1 500 aujourd’hui ! Certes, c’est encore insuffisant en comparaison des 20 000 start-up que compte notre pays, d’autant qu’une grande partie de celles-ci exercent leur activité dans le secteur des services. Cependant, n’oublions pas que le développement industriel prend du temps : il faut treize ans pour créer une véritable entreprise de biotech et dix ans pour créer une entreprise de technologie profonde, appelée aussi deep tech.
Le développement des projets industriels issus de la R&D s’inscrit dans le temps long, mais nous commençons à récolter certains fruits, ce qui va dans le bon sens. Ainsi, une première génération de sites industriels portés par des start-up est en train d’émerger. J’ai eu l’occasion de voir les robots fabriqués par la remarquable start-up Exotec, bien implantée dans le Nord, et utilisés dans les locaux d’une autre entreprise exceptionnelle Lacroix Electronics, située dans le Maine-et-Loire. Ces robots made in France révolutionnent la logistique partout dans le monde.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons encore accélérer grâce au déploiement de la stratégie « Start-ups industrielles et deep tech », annoncée au mois de janvier dernier. Nous nous sommes fixé l’objectif d’atteindre cent projets d’industrialisation par an et souhaitons que les start-up s’implantent partout dans le territoire. À cet effet, nous déployons plus de 2 milliards d’euros et nous renforçons notre accompagnement. Le plan d’investissement « France 2030 » amplifiera encore cette dynamique, puisque 50 % de ses financements seront à destination de PME innovantes – j’espère que M. Babary s’en réjouira.
Madame le rapporteur, nous partageons votre souhait de sanctuariser les financements et de donner de la visibilité à l’ensemble des acteurs : nous lui donnerons corps avec le plan « France 2030 ».
Mme Darcos nous a reproché de ne pas avoir de cap en matière de recherche. Nous en avons un, qui est bien fixé : le plan « France 2030 ». C’est dans cette direction que nous devons aller.
Je conclurai sur notre point de désaccord : le crédit d’impôt recherche. (Mme Gisèle Jourda et M. Jean-Pierre Moga s’exclament.)
J’entends ce que vous dites : on peut sans doute faire mieux ! Le Gouvernement, pour être franc, est prêt à examiner en détail la manière dont on pourrait optimiser ce crédit. Pour autant, de grâce, comme la Constitution, ne le touchons que d’une main tremblante ! Il est aujourd’hui extrêmement bien identifié par les investisseurs internationaux… (Mme Sophie Primas s’exclame.)
Ce crédit d’impôt recherche permet aujourd’hui aux ingénieurs français de faire jeu égal avec les ingénieurs du monde entier.
Nombre d’entrepreneurs français qui réussissent en Amérique du Nord – je le sais, puisque, jusqu’à récemment, j’étais député des Français établis aux États-Unis et au Canada – viennent désormais installer leurs laboratoires de recherche en Europe, notamment en France grâce au crédit d’impôt recherche.
Alors, soyons prudents ! Vous avez mentionné l’abaissement du plafond du CIR à 100 millions d’euros de dépenses de R&D, mesure qui rapporterait à l’État 700 millions d’euros, mais qui diminuerait les dépenses au-delà de ce seuil de 1,8 milliard d’euros. Nous avons besoin d’étudier en détail les effets de vos propositions – nous sommes prêts à vous aider dans ce chantier – avant de les inscrire dans la loi. Le CIR fait aujourd’hui partie de l’image de marque de la France dans le monde entier ; je le répète, n’y touchons que d’une main tremblante.
L’autre grand chantier devant nous est celui de la commande publique. Beaucoup l’ont souligné : celle-ci doit devenir un véritable levier d’innovation, d’industrialisation et d’achats français. J’ai eu l’occasion d’en parler hier soir lors du débat sur la souveraineté économique – tout se recoupe, en somme (Sourires.) – : au Sénat comme à l’Assemblée nationale, où je siégeais alors, des dispositions permettant d’atteindre cet objectif ont été votées dans la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), dans la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap) ou encore dans la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience.
Nous devons sécuriser nos acheteurs, notamment dans les collectivités territoriales, de manière qu’ils comprennent que l’on peut acheter des produits durables, issus des circuits courts, innovants et français, sans passer sous les fourches caudines du code de la commande publique.
Pour le dire de façon extrêmement claire : la protection, oui, le protectionnisme, non. Notre industrie doit avoir des fondements solides, mais elle doit également être en mesure de gagner des parts de marché. Nous devons attirer des capitaux en France, construire des entreprises qui seront capables de s’exporter et de conquérir le monde. Je suis intimement convaincu que nous sommes capables d’y parvenir et, mesdames, messieurs les sénateurs, que votre rapport d’information nous y aidera.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas la vision du seul ministre délégué chargé de l’industrie que je viens de vous exposer. La ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Mme Sylvie Retailleau, ancienne présidente de l’université Paris-Saclay, dont est issu notre récent prix Nobel de physique, avec laquelle j’ai eu une longue conversation, partage cette volonté d’avoir une recherche et innovation de rang mondial, fortement connectée avec le monde de l’entreprise.
Nous travaillerons de concert à cet objectif, je vous le garantis. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et Les Républicains. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
Conclusion du débat
Mme la présidente. Pour conclure ce débat, la parole est à M. le président de la mission d’information.
M. Christian Redon-Sarrazy, président de la mission d’information sur le thème « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française ». Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment de conclure ce débat, je soulignerai que cette mission d’information s’est penchée sur une question qui nous préoccupe tous, peu importe notre couleur politique : comment et à quelles conditions l’innovation peut-elle nous aider à reconquérir notre souveraineté industrielle, à créer et maintenir des emplois pérennes dans nos territoires ?
Cet après-midi, le CIR a été au cœur des débats. Faut-il maintenir une rente de situation que nous avons dénoncée et qui fait l’objet de critiques régulières dans de nombreuses études économiques ?
Je rappelle que les modifications que nous proposons ne font que corriger à la marge certains abus, sans porter atteinte au cœur du dispositif. Le crédit d’impôt recherche français restera d’ailleurs le dispositif fiscal le plus généreux parmi l’ensemble des pays de l’OCDE pour favoriser la R&D. Il sera même encore plus généreux, puisque l’actuel taux de 30 % sera augmenté à due concurrence des économies réalisées, en supprimant le taux de 5 % au-delà des 100 millions d’euros de dépenses de R&D et en calculant le plafond du CIR au niveau de la holding de tête pour les groupes qui pratiquent l’intégration fiscale. En outre, le CIR sera plus efficace, puisqu’il bénéficiera davantage aux PME et aux ETI, c’est-à-dire aux entreprises pour lesquelles le levier qu’il représente pour favoriser les dépenses de R&D est le plus important.
Quant à l’argument de stabilité fiscale qui a été évoqué, il ne tient pas davantage selon moi. Comme Mme le rapporteur l’a souligné et comme certains collègues l’ont rappelé, le contexte fiscal des entreprises a changé. En outre, le dispositif du CIR n’a pas évolué depuis quatorze ans. Le temps d’une évolution est donc venu, d’autant que les études économétriques démontrent qu’une révision même marginale du CIR s’impose pour garantir l’efficacité de la dépense publique.
Mes chers collègues, à l’heure où le Parlement est souvent critiqué pour son impuissance, j’espère que nous vous avons convaincus de cosigner et de voter les amendements transpartisans que nous vous proposerons, Vanina Paoli-Gagin et moi-même, au moment de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, afin de renforcer la compétitivité de nos PME et ETI par l’innovation.
Au-delà du CIR, je souhaite insister sur une autre mesure qui nous paraît importante pour promouvoir l’innovation dans les PME qui ne font pas encore appel aux dispositifs d’aide à la R&D. À l’instar de ce qui se fait en Belgique, nous proposons d’instituer un « coupon recherche-innovation » de 30 000 euros à destination des PME, dans la limite d’une enveloppe globale de 120 millions d’euros. Ce dispositif permettrait d’élargir le vivier des bénéficiaires des aides à l’innovation à des PME, lesquelles sont souvent rebutées par la bureaucratie associée au dispositif de soutien à l’innovation.
Dans nos circonscriptions, nous avons tous entendu des chefs d’entreprise se plaindre qu’ils n’avaient ni le temps ni les ressources humaines pour remplir les dossiers d’appels à projets. Par ailleurs, au cours de nos auditions, nous avons constaté que c’étaient souvent les mêmes entreprises qui bénéficiaient des aides publiques d’une année sur l’autre, notamment parce qu’elles pouvaient s’appuyer sur des services juridiques disposant d’une expertise pour remplir ce type de dossiers.
Nous avons également été choqués d’entendre que 15 % du montant des appels à projets servirait en réalité à rémunérer des cabinets de conseil chargés de monter les dossiers !
Le « coupon recherche-innovation » vise donc à rétablir une certaine égalité devant les aides publiques en permettant aux PME de se lancer dans un processus d’innovation indispensable pour leur compétitivité future, donc pour leur pérennité, tout en veillant à ce que le dispositif ne soit pas trop complexe, afin de simplifier sa mise en œuvre.
Tout ne doit toutefois pas venir du Parlement : le Gouvernement a également son rôle à jouer pour soutenir la réindustrialisation de notre pays par l’innovation.
D’une part, le Gouvernement doit mobiliser la commande publique au service des entreprises industrielles innovantes. Les chefs d’entreprise attendent moins des subventions que des opportunités pour faire croître leur chiffre d’affaires. Or la commande publique représente chaque année 111 milliards d’euros…
Il existe une idée fausse, malheureusement très répandue, selon laquelle les règles communautaires seraient à l’origine de notre incapacité à utiliser la commande publique pour soutenir nos entreprises. En réalité, nous nous mettons nous-mêmes des bâtons dans les roues à cause d’une conception rigide et peureuse des règles des marchés publics.
D’autre part, le Gouvernement doit renforcer toutes les initiatives de facilitation des démarches administratives et de raccourcissement des délais, afin d’aligner le temps administratif sur le temps économique.
En conclusion, si les défis sont grands, je suis, comme Mme le rapporteur, optimiste, car la France dispose des atouts nécessaires pour faire partie des grandes nations innovantes. Le débat d’aujourd’hui a montré une réelle prise de conscience, de la part aussi bien du Parlement que du Gouvernement.
Désormais, il nous faut agir collectivement pour améliorer l’efficacité des dépenses publiques consacrées à l’innovation et, surtout, pour les mettre au service de la réindustrialisation de nos territoires – de tous nos territoires.
Je tiens à remercier particulièrement Mme le rapporteur, à l’initiative de ce débat avec son groupe, dont je salue l’engagement et l’expertise sur ce sujet – nous avons pu le mesurer tout au long des auditions. Je ne doute pas qu’elle continuera de mener ce combat. Nous serons à ses côtés, comme nous l’avons été au cours des quelques mois de travail de la mission d’information. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)